« La leçon que j'en tire, c'est l'ordre, l'ordre, l'ordre. » (Emmanuel Macron, le 24 juillet 2023).
Tout sur la forme comme sur le fond a laissé apparaître le Président de la République Emmanuel Macron en décalage. Un Président décalé. En d'autres termes, un médiocre calage de communication.
Déjà sur la forme : Emmanuel Macron a répondu depuis un studio à Nouméa aux questions des deux officiants des deux journaux de 13 heures... à Paris. Au-delà d'un léger différé (mais l'interview a été diffusée dans les conditions du direct), la longue distance (de l'autre côté de la planète) laissait un temps de plusieurs secondes entre l'émission et la réception d'une question ou d'une réponse, ce qui empêchait la contradiction ou donnait quelques étrangetés comme celle-ci, à une question sur le maintien, par défaut ou pas, de la Première Ministre Élisabeth Borne, les trois secondes d'attente avant la réponse laissaient croire à une hésitation dans la réponse alors qu'il s'agissait d'un décalage à distance.
On pouvait avoir l'impression qu'Emmanuel Macron a pris cette communication aux Français comme une corvée, une double, triple corvée : il fallait bien conclure la période totalement artificielle des cent jours (l'idée était du 17 avril 2023, une façon de procrastiner en attendant des jours meilleurs après la contestation sociale sur les retraites), mais aussi, il fallait bien s'exprimer sur les émeutes urbaines (il n'y avait pas eu encore de communication présidentielle formelle), et enfin, les Français avaient l'habitude d'écouter leur Président de la République les 14 juillet, Emmanuel Macron, par prudence, avait préféré différer, décaler la date pour éviter tout télescopage avec une éventuelle reprise des émeutes (qui, heureusement, ne s'est pas produite).
C'est même plus que cela : en s'exprimant en milieu de journée un 24 juillet, qui voulait-il cibler ? Les gens qui bossaient encore ne regardaient pas la télévision à 13 heures et les gens qui étaient déjà en vacances avaient sans doute bien d'autre chose à faire qu'écouter le Président de la République à midi.
Du reste, pour que cela fût encore plus confidentiel, l'entretien n'a pas mobilisé les journalistes vedettes des deux grandes chaînes nationales (qu'on aurait sortis de leurs torpeurs estivales), mais "seulement" (qu'ils m'excusent pour cet adverbe) Jacques Legros (72 ans) pour TF1 et Nathanaël de Rincquesen (51 ans) pour France 2, dont la notoriété reste assez faible et qui présentent cet été les journaux télévisés à cette heure-là.
Et sur le fond, l'observateur remarquera qu'Emmanuel Macron n'a rien dit de nouveau, aucune nouvelle mesure, nouvelle initiative, rien de plus que son préambule télévisé du conseil des ministres du 21 juillet 2023.
Alors, bien sûr, on comprend que la présentation de sa politique, bilan et perspective, soit positive, enthousiaste, optimiste et encourageante. S'il ne la défend pas, qui la défendrait ? C'est d'ailleurs la raison du remaniement : ceux des ministres incapables de défendre leur action sont partis. Agir et faire-savoir. Face à des oppositions qui ne font que dénigrer, le faire-savoir est essentiel dans la vie politique, même hors campagne électorale. L'impression l'emporte souvent sur la réalité.
On se rappelle le décalage de Lionel Jospin avec les Français sur les questions de sécurité en 2002. Emmanuel Macron ne voudrait pas répéter cette erreur, ni l'impression que son second mandat serait celui de l'immobilisme. En d'autres termes, son volontarisme se poursuit, mais peut-être avec un décalage avec les préoccupations des Français.
Oui, la France va mieux sur le front du chômage, mais un demandeur d'emploi d'aujourd'hui ne sera pas convaincu que tout va bien, ni un salarié précaire qui recherche un meilleur emploi.
Alors, la question sur le remaniement, sur la Première Ministre, il faut dire ce qui est : elle n'intéresse pas du tout les Français sinon de manière anecdotique. La phrase d'Emmanuel Macron est une répétition du 21 juillet 2023 : « C'est le choix de la confiance, de la continuité et de l'efficacité. ».
Parlons-en, de l'efficacité, il l'a répété une bonne dizaine de fois (« Il y a eu des jours avec, des jours sans, mais le gouvernement a avancé avec efficacité. »), c'est sûrement ce qu'il voudrait qui reste de sa Présidence, une Présidence efficace. Dans quel but ? C'est là le cap depuis 2017 : indépendance pour plus de justice. Deux mots qui couronnent le "en même temps" macronien, l'un à droite (souverainisme national), l'autre à gauche (justice sociale).
Si le chef de l'État a bien compris que la mission d'élargir la majorité était impossible (c'est-à-dire, de demander au groupe LR d'intégrer la majorité), il a joué sur les mots pour évoquer les nuances : avec les échecs des motions de censure, il est certain qu'il n'y a pas de "majorité de rechange", mais il a rendu hommage aux "majorités d'échanges" pour différentes lois : « Textes par textes, nous avons réussi à bâtir des majorités. ». Et il a insisté (comme le 21 juillet 2023) sur le fait que la première année de son second quinquennat, il y a eu plus de textes adoptés à l'Assemblée Nationale que la première année de son premier quinquennat.
Bien entendu, il ne pouvait pas rester silencieux sur les émeutes urbaines et son avis ressemblait à s'y méprendre à un avis de droite musclée. Louis de Funès proposait dans "La Zizanie" (film rediffusé sur la chaîne C8 le dimanche soir) son programme électoral : « Mon programme se résume en trois points : premièrement, le plein emploi ; deuxièmement, le plein emploi ; troisièmement, le plein emploi ! ». Emmanuel Macron, ce sera donc : « l'ordre, l'ordre, l'ordre » !...
Emmanuel Macron est, en cela, très en phase avec une majorité de sondés : pas question, comme après les émeutes de 2005, d'investir des milliards supplémentaires dans les banlieues alors que les sauvageons détruisent tout ce que l'État y construit :« Ces violences sont inqualifiables. ». La répression comme seule attente, donc comme seule réponse, et c'est efficace (toujours ce mot) : « Le retour à l'ordre a prévalu, ce qui a permis un retour au calme en quatre jours. ».
En insistant sur les quatre jours d'émeutes, Emmanuel Macron a rappelé que celles de 2005 avaient duré trois semaines avec la mise en état d'urgence. La solution apportée par le gouvernement, en particulier par le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin, a été la répression : les 45 000 forces de l'ordre ont eu raison des quelques milliers de sauvageons. Gérald Darmanin, qui accompagnait Emmanuel Macron dans son voyage en Nouvelle-Calédonie, a reçu, exclusivement, les félicitations élyséennes, sorte de lot de consolation de ne pas avoir été nommé à Matignon.
Emmanuel Macron a apporté deux réponses aux émeutes : la première, c'est l'ordre ; la seconde, c'est restaurer l'autorité, et avant tout, l'autorité parentale. Il veut cadrer la jeunesse, restructurer le noyau familial (observant qu'il y a des « familles en détresse ») : « Nous allons ouvrir le chantier de l'autorité au sein de la famille. ». Que signifie cette idée ? Réduire voire supprimer des aides sociales ? (auquel cas, ce serait double peine pour ces familles). Et aussi : « Il faut mieux protéger nos enfants et mieux modérer les réseaux sociaux. ».
En trente-cinq minutes, Emmanuel Macron a dit beaucoup de choses, mais rien de nouveau. Oui, il faut payer plus les enseignants, tous les profs, et encore plus ceux qui travaillent plus (font du soutien, aident aux devoirs, acceptent de faire des remplacements). Le Président de la République s'est engagé, un peu imprudemment, à ce qu'à la prochaine rentrée, aucun élève ne subisse l'absence de prof, et que l'école puisse accueillir les élèves de 8 heures à 18 heures... et dès l'âge de 2 ans. Cela pour rétablir l'égalité entre ceux qui vivent dans un milieu familial qui leur permette de faire des études et les autres au milieu défavorable.
Le Président a rappelé qu'il y a trois mois, on disait qu'il ne se déplacerait plus sans son concert de casseroles. La contestation sur les retraites est bel et bien terminée, avec la dernière motion de censure, avec l'année scolaire, et surtout, avec les émeutes urbaines. Emmanuel Macron, gestionnaire de crise patenté, est capable de remettre les pages en blanc. La seule crise qu'il a provoquée par son volontarisme, celle de la réforme des retraites, il l'a éteinte avec ce stratagème inattendu des cent jours. On dira ce qu'on veut de sa pertinence ; la réalité, c'est qu'il a fonctionné à plein, on ne parle plus de retraites, on parle des "cent jours", sorte d'OVNI de communication politique, on parle de projets à venir du gouvernement. Exit les retraites.
S'il fallait retenir une seule chose, c'est sur le projet de loi sur l'immigration. Il faut comprendre que si le premier semestre a été monopolisé par le débat sur les retraites, le second semestre le sera sur le thème de l'immigration. Emmanuel Macron sait que ce sujet est très dangereux pour son quinquennat. C'est peut-être le seul sujet qui pourrait faire adopter une motion de censure. Il a ainsi mis dos au mur ceux qu'il appelle l'opposition constructive mais en pensant exclusivement au groupe LR, leur demandant de prendre leurs responsabilités.
L'objectif d'Emmanuel Macron sur l'immigration, c'est que son projet soit le moins en décalage possible avec les Français. Dans une autre vie, il était magicien. Beaucoup l'attendent donc sur ce terrain miné. Sans illusion, bien sûr.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 juillet 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Décalage.
Interview du Président Emmanuel Macron le 24 juillet 2023 à 13 heures sur TF1 et France 2 (vidéo).
Emmanuel Macron : le choix de l'efficacité.
Intervention filmée du Président Emmanuel Macron au conseil des ministres du vendredi 21 juillet 2023 (vidéo).
Composition complète du gouvernement d'Élisabeth Borne au 20 juillet 2023.
Le 4e remaniement ministériel du premier gouvernement d'Élisabeth Borne du 20 juillet 2023.
La France des investissements productifs félicitée par Emmanuel Macron.
Interview du Président Emmanuel Macron le 15 mai 2023 à 20 heures sur TF1 (vidéo).
Faut-il encore polémiquer sur le RSA ?
Emmanuel Macron : "J'appelle à la pause réglementaire européenne".
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230724-macron.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/decalage-249533
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/07/23/39983843.html