« Immortelle, historienne du temps long, elle sut toujours marier le goût des institutions et des permanences, avec la singularité comme l’audace que toute sa vie inspire. (…) Du modeste appartement familial à Vanves, [ses parents] firent un inépuisable creuset de culture européenne, meublé par les livres, animé par les conversations qui débutaient en géorgien, en russe, ou en italien, pour se terminer en français, cette langue alors de survie, qui devint la langue de sa vie. » (Communiqué de l'Élysée).
Quelques jours après Alexandre Adler, c'est une autre spécialiste de la Russie à l'époque soviétique qui vient de partir ce samedi 5 août 2023 à Paris. Hélène Carrère d'Encausse, célèbre soviétologue (on disait kremlinologue), s'est en effet éteinte à l'âge de 94 ans qu'elle avait atteinte un mois auparavant, née le 6 juillet 1929 à Paris. Un hommage national lui sera rendu par Emmanuel Macron « aux Invalides avant la fin de l'été ». Russie et langue française, sans doute les deux principales passion de l'historienne qui ont structuré toute son existence.
Originaire de Géorgie, elle s'appelait, à sa naissance, Hélène Zourabichvili, du même nom que l'actuelle Présidente de la République de Géorgie Salomé Zourabichvili (71 ans), qui est sa cousine germaine (la fille de son oncle). Sa famille paternelle avait émigré en France après la Révolution russe et la soviétisation de la Géorgie qui l'a fait plonger dans la grande pauvreté, tandis que sa famille maternelle était d'origine allemande (rhénane) et russe (sa mère Nathalie est née à Florence, en Italie). Son père Georges, philosophe et économiste, a été assassiné en 1944 et elle est restée sans nationalité jusqu'à l'obtention de la nationalité française en 1950 (à sa majorité à l'âge de 21 ans). Parmi ses ancêtres, il y a eu des grands serviteurs de l'empire russe et des dissidents, en particulier le président de l'Académie des sciences sous Catherine II et trois régicides (selon la notice de l'Académie française).
Héléne Carrère d'Encausse s'appelait ainsi parce que le 5 juillet 1952, elle a épousé Louis-Édouard Carrère (95 ans), fils de deux musiciens, le violoniste Georges Carrère et la pianiste Paule Dencausse, qui s'est fait appeler Louis Carrère d'Encausse. Cela explique pourquoi leurs enfants ont adopté ou pas ce second patronyme qui n'est en fait qu'un pseudonyme, l'écrivain Emmanuel Carrère, l'avocate Nathalie Carrère et la médecin et présentatrice d'émissions télévisées Marina Carrère d'Encausse (qui, au début, officiait sur France 5 en duo avec un autre médecin, Michel Cymes).
Elle a appris la langue russe avant la langue française, mais sa patrie d'adoption qui est aussi sa patrie natale, sa patrie intellectuelle a toujours été la France (le communiqué de l'Élysée évoque « un destin exceptionnel, mû par l’amour de notre pays, de sa langue et de sa culture, et la volonté d’écrire en français l’histoire du monde pour mieux servir notre nation et notre Europe »). Diplômée de Science Po Paris (IEP Paris), docteure en histoire en 1963 (son sujet de thèse était : "Réforme et révolution chez les musulmans de l’Empire russe", publiée en 1966 chez Armand Colin) et docteure ès lettres en 1976, elle a hésité puis renoncé à se présenter à l'ENA. Au lieu d'historienne, on aurait pu l'imaginer ambassadrice, par exemple.
Sa carrière d'universitaire fut prestigieuse : elle a enseigné l'histoire à la Sorbonne (elle a présidé Radio Sorbonne entre 1984 et 1987), puis à l'IEP Paris, elle a aussi été directrice d'études à la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), elle a aussi enseigné au prestigieux Collège d'Europe de Bruges et encore dans plusieurs universités américaines, canadiennes, belges, etc.
Entre 1959 et 2021, Hélène Carrère d'Encausse a publié une quarantaine d'essais historiques, principalement sur la Russie, au style clair et aux idées claires, en particulier des biographies (Staline en 1979, Nicolas II en 1996, Lénine en 1998, Catherine II en 2002, Alexandre II en 2008, Alexandra Kollontaï en 2021). Sa carrière médiatique a véritablement commencé en 1978 avec la publication d'un livre événement devenu best-seller : "L'Empire éclaté : la révolte des nations en URSS" (chez Flammarion).
Voici un extrait de la note de lecture de l'historienne et démographe Jacqueline Hecht (1932-2020) parue quelques mois après la sortie du livre : « Les revendications de certains groupes nationaux, Tatars, Allemands, Juifs, ceux que Carrère d'Encausse appelle les "apatrides" de l'URSS, ou ceux qu'elle appelle encore les "rebelles", comme les Géorgiens, ou les "frères ennemis" (les Ukrainiens), montrent bien que l'intégration totale est loin d'être acquise et que le peuple dit soviétique est en fait un conglomérat de peuples. Le facteur religieux est, lui aussi, un facteur de renforcement des particularismes : ainsi le catholicisme en Lituanie et, à la périphérie, l'islam, puissant ciment d'organisation politique et sociale, qui apporte un autre système de valeurs dans la société soviétique, et à cause duquel, derrière l'Homo sovieticus, se profile désormais l'Homo islamicus. Celui-ci, sans s'opposer au système, témoigne par sa seule présence que "le peuple soviétique a au moins deux composants : les Soviétiques et les musulmans soviétiques". ».
C'était son neuvième ouvrage et il a détonné (surtout par son titre et sa quatrième de couverture) car l'auteure a anticipé l'effondrement de l'Union Soviétique plus de douze ans avant l'événement. Néanmoins, ses "prédictions" (du moins, ce qu'on pouvait interpréter comme telles, car en bonne historienne, elle ne faisait aucune prédiction) n'étaient pas forcément pertinentes puisqu'elle envisageait, au contraire de la réalité, un effondrement par explosion démographique dans les États musulmans d'Asie centrale. Or, l'effondrement a été principalement politique, porté par la Pologne, les Pays baltes, l'Allemagne de l'Est, la Hongrie, et l'évolution démographique, au contraire, a été fortement à la baisse, non seulement en raison d'une réduction des frontières de "l'empire russe", mais aussi d'une baisse de l'espérance de vie et d'une baisse de la natalité.
L'historienne a publié plusieurs ouvrage pour développer "L'Empire éclaté" et aussi mettre ses analyses à jour avec l'actualité. Je conseille notamment la lecture de "La Russie entre deux mondes" en 2010 (éd. Fayard) et de "Six années qui ont changé le monde : 1985-1991, la chute de l'Empire soviétique" en 2015 (éd. Fayard).
C'est à la fin des années 1970 qu'Hélène Carrère d'Encausse a donc acquis sa notoriété auprès du grand public et aussi auprès des institutions. Car au-delà de sa passion intellectuelle pour la Russie et le monde russe qu'elle ressentait évidemment dans ses tripes, par son origine familiale, elle avait, comme le proposait le Président de la République « le goût des institutions » et plus généralement des honneurs et récompenses. Elle a été très décorée, en particulier grand-croix de la Légion d'honneur en 2011, officier de l'ordre national du Mérite, commandeur de l'ordre des Palmes académiques, commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres en 1996, médaille de l'ordre de l'Honneur en 2009 (décoration en Russie, elle était, à ma connaissance, la seule récipiendaire non russe), etc. Elle a reçu le Prix Comenius de pour l'ensemble de son œuvre en 1992.
L'universitaire a été nommée dans de nombreux organismes : comme membre la Commission pour la réforme du code de la nationalité de 1986 à 1987, conseillère auprès de Jacques Attali à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) en 1992 « participant ainsi à l’élaboration d’une politique d’assistance à la démocratisation des anciens États communistes », présidente de la Commission des archives diplomatiques françaises, présidente de la Commission des sciences de l'homme au Centre national du livre (CNL) de 1993 à 1996,, membre du Conseil national pour un nouveau développement des sciences humaines et sociales en 1998, présidente du conseil scientifique de l'Observatoire statistique de l'immigration et de l'intégration en 2004, etc.
Lorsqu'on croisait Hélène Carrère d'Encausse, on avait l'impression aussi de croiser Simone Veil. Si les deux femmes (de la même génération) étaient très différentes et d'origine très différente, elles étonnaient d'abord par leur taille assez petite mais en contradiction avec le visage qu'elles affichaient, montrant qu'elles étaient des femmes de caractères, de volonté, de vision, de dynamisme qui, souvent, impressionnaient. En d'autres termes, des grandes dames.
Les deux ont eu des origines familiales bien particulières, très différentes mais issues des deux principales tragédies humaines du XXe siècle (les camps d'extermination nazis pour Simone Veil, la Révolution russe pour Hélène Carrère d'Encausse). Elles ont été des femmes actives, intellectuelles, elles n'ont pas hésité, après la guerre, à poursuivre des études longues. Elles ont eu pour l'Europe une passion particulière, l'une pour promouvoir la paix, l'autre pour tenter la réconciliation du continent européen (la guerre en Ukraine fut un véritable désespoir pour Hélène Carrère d'Encausse). Les deux ont été distinguées, gratifiées, récompensées par les institutions républicaines par de nombreux prix et décorations (Simone Veil jusqu'à être inhumée au Panthéon).
L'une et l'autre ont été députées européennes, l'une et l'autre ont été "immortelles", élues membres de l'Académie française et chacune élue première femme à la tête de ces deux grandes institutions. Simone Veil fut la première femme (et plus généralement personne) Présidente du Parlement Européenne en 1979 et Hélène Causse d'Encausse fut la première femme élue Secrétaire perpétuel (sans féminin encore, voir plus loin) en 1999 et elle le resta près d'un quart de siècle.
Les comparaisons pourraient s'arrêter là mais encore un aspect plus politique : aucune des deux femmes n'étaient ce qu'on appellent des "partisanes", c'est-à-dire des militantes forcenées de partis politiques. Par leur engagement européen, elles étaient naturellement proches de l'UDF, le parti fondé par Valéry Giscard d'Estaing (autre immortel), mais ni l'une ni l'autre n'ont jamais eu la carte de l'UDF. Simone Veil a eu une véritable carrière comme députée européenne (1979 à 1993) et l'Académie fut pour elle accessoire (élue le 20 novembre 2008).
De son côté, si Hélène Carrère d'Encausse a été élue députée européenne de 1994 à 1999, en numéro deux de la liste UDF-RPR menée par Dominique Baudis (maire UDF de Toulouse), c'était à la demande de Jacques Chirac et pour l'occasion, malgré sa proximité avec les idées de l'UDF, elle a pris sa carte du RPR pour être dans le quota des candidats RPR de la liste (en numéro deux, la liste alternait UDF et RPR, mais n'avait pas encore la contrainte de devoir alterner un homme, une femme). Ainsi, l'historienne a été pendant un mandat élue européenne, mais seulement à titre accessoire au contraire de Simone Veil. Elle a été néanmoins élue vice-présidente de la commission des affaires étrangères et de la défense du Parlement Européen.
En revanche, l'Académie française ne fut pas du tout accessoire pour Hélène Carrère d'Encausse qui a été élue par cette noble institution le 13 décembre 1990, encouragée par Henri Troyat (dont les origines lui faisaient apprécier l'historienne) et par Jean d'Ormesson. Elle a été élue au 14e fauteuil, celui de Victor Hugo, du maréchal Hubert Lyautey, du maréchal Louis Franchet d'Espèrey, et elle a succédé directement à Jean Mistler (ancien secrétaire perpétuel), qui a été (entre autres) ministre de l'unique gouvernement de Joseph Paul-Boncour en 1932.
À son élection, Hélène Carrère d'Encausse était la troisième femme à avoir été élue à l'Académie, après Marguerite Yourcenar et Jacqueline de Romilly. Le 6 décembre 2012, elle citait Madame de Staël, George Sand et Colette comme possibles femmes académiciennes : « Le sens des usages, de la tradition, de leur dignité et le choix de leur mode de vie et de leurs comportements, c’est-à-dire le sens de leur liberté, les ont préservées de briguer l’Académie. Et ce sont les académiciens qui, reconnaissant des qualités si éminentes et les services rendus, ont décidé un jour d’inviter les femmes à les rejoindre. ».
Hélène Carrère d'Encausse a été reçue sous la Coupole le 28 novembre 1991 par Michel Déon (son épée d'académicienne lui a été remise le 21 novembre 1991 par Henri Troyat). Elle a été élue secrétaire perpétuel de l'Académie française le 21 octobre 1999, succédant à Maurice Druon (qui voulait absolument qu'une femme lui succédât pour reprendre la modernité aux autres académies de l'Institut), et l'est restée jusqu'à sa mort plus de vingt-trois ans plus tard. C'est la plus grande longévité d'un secrétaire perpétuel depuis le 8 mai 1870, à la mort d'Abel François Villemain, et la quatrième plus grande longévité depuis 1634, l'élection du premier secrétaire perpétuel.
Je l'ai rencontrée lors d'un colloque qui s'est tenu au Collège de France le 9 décembre 2013. Elle expliquait qu'elle revenait d'un voyage au Cambodge et était désolée que la langue française eût si peu de locuteurs. Dans ce pays faisant partie de la francophonie, il y a un centre culturel français pour apprendre le français, mais cela coûte très cher de s'y inscrire, donc impossible pour la plupart des habitants. En revanche, il y a un centre Confucius pour apprendre à parler chinois qui est gratuit et les inscrits sont même invités à passer un séjour d'immersion en Chine. Elle disait cela ...en insistant aussi sur le fait que pour la France, il n'y a pas qu'un problème d'argent mais aussi de visa : on ne peut même pas circuler librement à l'intérieur de l'espace francophone (d'autant plus que nos lois sont surtout ciblés vers les Maghrébins).
La défense de la langue française a été l'une de ses priorités à la tête de l'Académie française, notamment en refusant la réforme de l'orthographe de 1990 : « Il est remarquable que la tempête s’étendit à toute la société. Les médias y firent une place considérable et pendant des mois les Français, qui tendent à oublier l’orthographe, débattirent passionnément du sort de l’accent circonflexe. » (3 décembre 2009). Elle était également très opposée à l'écriture inclusive dont la motivation était stupide puisque cela signifierait que les mots puissent avoir un sexe. Va d'ailleurs être publié le dernier tome de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie française (le premier tome est sorti en 1992) et Hélène Carrère d'Encausse en aura été l'une des principales contributrices en présidant les très nombreuses séances de travail.
Première secrétaire perpétuel femme, elle n'était pas insensible aux responsabilités données aux femmes, et pourtant, elle était peu adepte de la féminisation des fonctions, préférant son titre au masculin (secrétaire perpétuel) au titre féminin (secrétaire perpétuelle). Ce sera probablement une question de temps, comme cela était pour une femme Premier Ministre (Édith Cresson était Madame le Premier Ministre ; Élisabeth Borne est Madame la Première Ministre). Ou même ministre : Michèle Alliot-Marie voulait se faire appeler Madame le Ministre de la Défense, par exemple. Hélène Carrère d'Encausse voulait être appelée "président" et pas "présidente" d'un comité Théodule parmi les nombreux qu'elle présidait (voir plus haut). C'est seulement au bout de plusieurs années, en février 2019, qu'elle accepta de proposer quelques métiers au nom féminisé, sous la pression de l'époque.
Hélène Carrère d'Encausse a prononcé beaucoup de discours académiques en faveur de la langue française sous la Coupole. Le 5 décembre 2002, elle a déclaré : « Une volonté politique ferme est nécessaire. N’est-il pas temps de faire de la langue française la grande cause nationale de ce début de siècle ? ». Le 2 décembre 2004 : « Faut-il ajouter que l’anglais utilisé à tout va est davantage une langue d’aéroport que celle de Shakespeare ? Et que, de l’autre côté de la Manche, les Anglais se gaussent de cette anglophonie approximative ? Pour autant, nul n’hésite plus dans les entreprises, voire dans des universités, à répondre au courrier d’un Autrichien ou d’un Italien rédigé en français par une lettre écrite en anglais. ».
Le 30 novembre 2006 : « Pourquoi maltraite-t-on le français dans notre pays ? Le vocabulaire se réduit, on ignore la grammaire et la syntaxe. La phrase n’est le plus souvent qu’une simple juxtaposition de mots employés hors de leur sens, ou d’anglicismes inappropriés, ou enfin d’un nouveau vocabulaire, qui évoque irrésistiblement la novlangue d’Orwell, fondé comme elle sur des critères de correction politique. Les mots utilisés couramment s’éloignent toujours plus de la réalité qu’ils nomment. L’école, qui a pour mission de transmettre la langue et la littérature aux adultes de demain, admet, hélas ! que ses élèves apprennent le français en écoutant Sky Rock ou Fun Radio, plutôt que dans les textes d’Anatole France ou de Colette. Mais il est vrai, nous dit-on, que dictées et récitations sont des exercices qui blessent la liberté des élèves. Montaigne, Rabelais, Corneille, Marivaux sont passés à la trappe des programmes parce que jugés incompréhensibles, et l’on considère que le néo-argot des banlieues et un vocabulaire technique anglo-américain simpliste sont les meilleurs outils de communication modernes. La langue, disent les spécialistes de l’éducation, doit s’adapter à une société hétérogène, à la mondialisation, aux nouvelles technologies de communication, à la professionnalisation. Et surtout à la libre invention de celui qui parle au mépris de toute règle. Il n’est guère étonnant dans ces conditions que ce français dégradé, déconcerte et décourage tous ceux qui, hors de nos frontières, continuent à chérir notre langue (…). ».
Une définition de la francophonie le 27 octobre 2007 : « Ceux qui au XVIIIe siècle liaient la position universelle du français à la puissance royale, à l’impérialisme des souverains, seraient déconcertés de constater qu’au XXIe siècle, alors que la France est passée du rang de très grande puissance au statut d’État moyen, que l’Europe est elle-même dépassée par la puissance américaine et surtout par les sociétés démographiquement si fortes d’Asie, la francophonie atteste d’une persistance de l’envie du français à travers le monde et reste une des formes d’universalité. Au XXIe siècle ni la puissance politique, ni la richesse, ni même le poids démographique remarquable des siècles passés ne peuvent expliquer la pérennité de l’envie du français et l’existence de cette communauté d’esprit qui se nomme francophonie. Le monde moderne est moins préoccupé qu’il ne le fut de la conversation, de la civilité, de la convivialité et de l’élégance, toutes composantes du prestige du français hors de ses frontières. Et pourtant, la francophonie qui unit aujourd’hui des centaines de millions d’hommes à travers un nombre considérable de pays, ceux qui participèrent au destin français par la domination coloniale, la plupart des pays européens, mais aussi des pays longtemps peu familiers avec la France et sa langue, témoigne d’une étonnante vitalité, d’autant plus étonnante qu’elle ne repose ni sur l’obligation, ni sur des pressions, ni sur des intérêts matériels. Le seul fondement de la francophonie est le choix, la passion d’une langue qui est associée à des valeurs indépendantes d’une nation particulière, le respect de l’altérité, l’esprit de liberté, la tolérance. ».
Un optimisme relatif exprimé le 27 novembre 2008 : « La "complainte du français perdu" n’est plus d’actualité. (…) Les signaux se multiplient indiquant que la mondialisation, conséquence première de la révolution des technologies de l’information et de la communication, s’accommode mal en dernier ressort de l’uniformité, linguistique notamment. Cette mondialisation n’abolit pas les différences entre États, ni les clivages des cultures et c’est pour cela qu’elle sera multilingue. Et la langue française, parce qu’elle est en France le ciment de l’État et de la société, par son rôle passé et présent au sein de l’Europe, parce qu’elle unit le monde francophone, y retrouve son prestige et son aptitude à rayonner. ».
Le 5 décembre 2013, Hélène Carrère d'Encausse remettait en cause le programme de français à l'école qui empêcherait d'aimer la lecture : « En dépit des différences sociologiques, c’est la maîtrise et le goût de la langue qui partout reculent. Et notamment parce que le goût de la lecture et le savoir lire sont en régression. Pour savoir lire, c’est-à-dire lire par goût, par appétit, il faut avoir lu beaucoup. Et le goût se forme au contact des œuvres. Les élèves de l’enseignement secondaire doivent selon les nouveaux principes de l’enseignement de la littérature décortiquer des textes isolés de leur contexte et non des œuvres. Et plutôt que d’en goûter les beautés, d’en chercher le sens, doivent chercher qui est l’énonciateur, à qui s’adresse l’énonciation, de quel genre relève ce texte et dans quel registre il se situe. Molière se serait diverti de ce galimatias. Mais les élèves, enfermés dans ces consignes abstraites, peuvent-ils comprendre la souffrance d’Emma Bovary ? Ou s’émouvoir au récit des adieux de Titus et Bérénice ? Le goût de lire ne s’acquiert qu’avec une certaine vacance. Chercher à analyser savamment un texte selon des préceptes rigides ne prédispose pas à la rêverie, à l’identification au héros, à la volonté de connaître la fin de l’histoire qui nous fait sauter les pages d’une description trop longue avant d’y revenir, tous comportements passionnés qui constituent le bonheur de la lecture. ».
Le risque de la mondialisation le 4 décembre 2014 : « Le défi n’est pas mince, il faut dans ce qui est devenu une jungle langagière restaurer un usage, sous peine de ne plus disposer d’outil permettant aux hommes de se comprendre. De façon fort étonnante, l’Académie retrouve, en sautant par-dessus près de quatre siècles, la raison d’exister qui incita Richelieu à inventer cette curieuse institution. À sa naissance elle devait contribuer à l’unité de peuples qui n’avaient pas encore constitué une nation. Au XXIe siècle, c’est pour répondre à la dispersion des hommes, à leur isolement, à leur désarroi qu’elle doit distinguer et définir l’usage de la langue qui pourrait les rassembler autour de leur longue histoire commune. Ne nous y trompons pas, l’aventure de la langue au XXIe siècle, en cet âge des incertitudes, n’est pas simplement une affaire française, toutes les sociétés y sont plus ou moins confrontées. Toutes sont convaincues que dans ce monde naissant, dont nul ne connaît encore les règles, seule la parole qui commande la pensée permet aux hommes de se parler pour reconstruire un monde compréhensible et pacifié, et pour sauver, en dernier ressort, notre civilisation. ».
Le dernier discours académique d'Hélène Carrère d'Encausse fut prononcé le 1er décembre 2022, il y a quelques mois seulement, pour évoquer la vie de Voltaire, et ses derniers mots fut une citation de Victor Hugo commémorant le centenaire de la mort de Voltaire : « Il y a cent ans un homme mourait, il est mort immortel. ».
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 août 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Hélène Carrère d'Encausse.
Alexandre Adler.
Antone Sfeir.
G. Bruno.
Pap Ndiaye.
Geoffroy Lejeune.
Éric Zemmour.
Milan Kundera.
Vaclav Havel.
Denise Bombardier.
Victoria Amelina.
Edgar Morin.
Pierre Loti.
Jean-François Kahn.
Michel Houellebecq.
Éric Zemmour.
Bertrand Renouvin.
Charles Hernu.
Éric Tabarly.
Henry Kissinger.
Roger-Gérard Schwartzenberg.
Philippe Sollers.
Jacques Rouxel.
Jacques Maritain.
Aimé Césaire.
François Léotard.
John Wheeler.
Mgr Jacques Gaillot.
Mgr Albert Decourtray.
Le Petit Prince.
Maurice Bellet.
Stéphane Hessel.
François Cavanna.
Art Spiegelman.
Molière.
Alfred Sauvy.
George Steiner.
Françoise Sagan.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230805-helene-carrere-d-encausse.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/helene-carrere-d-encausse-le-gout-249767
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/08/05/40000153.html
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