« Être sénatrice, être sénateur, c’est être autonome, libre et indépendant. C’est aussi se respecter les uns les autres. C’est donner à nos compatriotes le visage d’une assemblée où l’on débat, où l’on propose, où parfois l’on s’oppose, mais jamais dans le mépris, l’invective ou la violence. (…) Il y a, me semble-t-il, une façon sénatoriale de faire de la politique : avec sérieux, calme et détermination. C’est la bonne méthode pour recoudre un pays fracturé, sans craindre de dire la vérité, même si elle dérange, et en ne reculant jamais devant l’obstacle. » (Gérard Larcher, le 2 octobre 2023 au Sénat).
Ce lundi 2 octobre 2023, le Sénat a fait sa rentrée des classes. Dans l'hémicycle, des petits nouveaux, les sénateurs élus le 24 septembre 2023. Au programme, pour un nouveau mandat de trois ans, le renouvellement de toutes les instances dirigeantes du Sénat et en premier lieu, la Présidence du Sénat.
Il y avait peu de surprise politique, et donc, peu de chance que le Sénat créât une autre surprise, celle d'élire à sa tête une femme. Ce sera pour la prochaine fois... ou la suivante. Non pas qu'il n'y ait pas de femmes sénatrices, il y en a de plus en plus, il n'y a jamais eu autant de femmes depuis deux siècles, mais on est encore loin de la parité. Et surtout, le leadership de Gérard Larcher, Président sortant du Sénat, était incontestable et sa réélection inéluctable car non seulement il n'est pas contesté par son camp, mais il rassemble très largement au-delà de son camp.
Ainsi, l'élection s'est faite dès le premier tour et les résultats proclamés dès 16 heures 30. Sur les 348 votants (le nombre total de sénateurs), 28 ont voté blanc ou nul. Pour les autres, 218 voix ont choisi Gérard Larcher (LR), 64 voix Patrick Kanner (PS), 20 voix Cécile Cukierman (PCF) et 18 voix Guillaume Gontard (EELV), ces trois derniers candidats, uniques adversaires de Gérard Larcher, étant les présidents respectifs des groupes de gauche au Sénat.
Comme on le voit, Gérard Larcher a non seulement rassemblé sa majorité (LR et UC), soit 189 sénateurs, mais bien plus, 29 supplémentaires, probablement les 18 du groupe LIRT de Claude Malhuret (Horizons) et une partie du RDSE et du RDPI (= Renaissance). Ces trois groupes charnières qui appartiennent à la majorité présidentielle représentent 56 sénateurs qui ont principalement voté pour Gérard Larcher ou voter blanc ou nul. Instructif : ces groupes n'ont pas présenté de candidat.
À gauche, on retrouve les scores du 1er octobre 2020 (précédente élection du Président du Sénat), où le PS avait même fait mieux (65 voix), les autres moins bien (PCF 15 voix et EELV 13 voix). En 2023, trois sénateurs, probablement du RDSE (Rassemblement démocratique et social européen), autrement dit, radicaux, ont choisi le candidat communiste ou écologiste.
Pour Gérard Larcher, c'est évidemment le résultat de tous ses efforts sur le terrain, tant pour soutenir les sénateurs, le Sénat que les élus locaux dans leurs projets : « Ces dernières années, j’ai sillonné le pays. J’ai rencontré de nombreux élus locaux et nombre d’acteurs économiques et sociaux. Vous le sentez bien, nous traversons une crise profonde : aggravation des fractures territoriales, montée de l’abstention et des votes contestataires, dégradation de nos services publics et de la présence médicale, envolée de la dette publique et des déficits, montée des violences et des émeutes urbaines, inquiétude quotidienne face à l’inflation. La jeunesse est inquiète elle aussi, notamment face au défi climatique. (…) Il nous faudra rompre avec cette spirale du déclin, et le Sénat devra y prendre toute sa part. ».
Il est le représentant symbole de la France des territoires et des terroirs, face à un Président de la République, Emmanuel Macron, roi de la technostructure et du parisianisme centralisé. Si les deux hommes sont faiblement éloignés sur un certain nombre de principes, en particulier de gestion économique, ils divergent totalement par leur profil très différent et par leur représentation. Gérard Larcher est donc là pour renforcer la France intermédiaire devant un Président qui avait fait table rase des organisations intermédiaires (élus locaux, syndicats, etc.).
Il y a trois ans, j'écrivais que Gérard Larcher était au sommet de son influence. En 2023, il est toujours au sommet de celle-ci, à tel point que des journalistes, un peu négligents (ou à la mémoire courte) ont considéré qu'il était à la tête du Sénat depuis 2008 (soit quinze ans). Ce qui est faux car ils ont oublié la "parenthèse" socialiste avec Jean-Pierre Bel de 2011 à 2014. Mais en entamant son cinquième mandat de Président du Sénat, Gérard Larcher est en passe de durer au moins ces quinze ans (2008-2011 et 2014-2026), ce qui est encore loin de la longévité d'Alain Poher (vingt-quatre ans) mais qui le place juste après lui depuis 1958 (Gaston Monnerville a présidé vingt ans le Sénat, mais sur deux républiques et sous la Quatrième République, il s'agissait du "Conseil de la République").
Dans son discours d'investiture, Gérard Larcher a inlassablement rappelé l'intérêt du Sénat et des sénateurs, chambre de modération mais aussi de détermination, qui entend bien tirer son épingle du jeu avec des cousins, au Palais-Bourbon, un peu trop dissipés et sans majorité fixe. En neuf ans (depuis qu'il est revenu à la Présidence du Sénat), la cote de popularité du Sénat est remontée en flèche jusqu'à 62% des sondés qui le trouve utile : « Nous incarnons plus que jamais ce pôle de stabilité, ce point d’équilibre que vous m’avez souvent entendu évoquer. ». Il est loin le temps d'un Lionel Jospin qui parlait avec provocation d'une « anomalie de l'histoire ». Il est désormais le partenaire obligé d'Emmanuel Macron qui a même jugé habile de faire examiner son projet de loi sur l'immigration d'abord par le Sénat pour bâtir un consensus avec le groupe LR avant son arrivée à l'Assemblée Nationale.
Apportant une réponse préalable aux propositions présidentielles de révision de la Constitution, Gérard Larcher a été très clair sur la ligne à tenir : « Nous sommes prêts à envisager toute réforme à même d’améliorer le fonctionnement de notre démocratie, si elle permet de recoudre le pays, si elle permet au peuple de retrouver confiance en ses parlementaires, en ses gouvernants et en sa justice. Toutefois, je le dis et je le répète, notre Constitution ne se modifie pas en fonction des pulsions du moment. ».
Pour Gérard Larcher, il faut aussi moins de lois, mieux de lois : « La loi, pour retrouver sa force et son efficacité, doit obéir à quelques principes : simplicité, lisibilité, efficacité ou encore subsidiarité. Il nous faut donc moins légiférer pour mieux légiférer, et cela nous concerne tous, représentants de l’exécutif comme membres des assemblées. Cet objectif me paraît essentiel. (…) L’annonce d’un projet de loi est trop souvent devenue un outil de communication pour les réseaux sociaux et les médias. Méfions-nous des lois de pulsion, à l’origine d’une inflation législative qu’il nous faut combattre. ».
Enfin, le dada sénatorial, ce qui fait que Gérard Larcher est aimé bien au-delà de ses fidèles partisans, il a prôné une véritable libéralisation territoriale : « Nous portons la voix des territoires. Nous sommes convaincus que la gouvernance verticale, la suradministration et l’hyperconcentration du pouvoir sont en partie à l’origine des maux dont souffre notre pays. Nous devons replacer les maires au cœur de la décision, gérer en proximité et imposer un nouveau souffle de décentralisation. Mais à une décentralisation forte, il faut un État territorial fort. Nos collectivités ont besoin de plus de libertés. C’est vrai pour les communes, pour les départements et pour les régions. Il nous faudra trouver un juste équilibre entre l’exigence de différenciation et le principe d’unité de la République. ».
Depuis 2017, les rumeurs sont nombreuses qui font de Gérard Larcher un futur Premier Ministre d'Emmanuel Macron ou un futur candidat à l'élection présidentielle. Il est probable qu'il ne veuille ni l'un ni l'autre. Au contraire, à 74 ans (qu'il vient d'atteindre il y a trois semaines), Gérard Larcher s'épanouit complètement dans ce rôle fait sur mesure pour lui de Président du Sénat. Il est sénateur des Yvelines depuis 1986 (en même temps que Jean-Luc Mélenchon en Essonne), et à l'époque, il était (avec le futur leader des zinsoumis) parmi les plus jeunes des sénateurs, à 37 ans (en outre, il a été élu maire de Rambouillet à l'âge de 34 ans, et président de la Fédération hospitalière de France de 1997 à 2004). Il a refusé à Nicolas Sarkozy d'être nommé Ministre de l'Agriculture en 2007 afin de se préparer à l'échéance de 2008, sa première élection à la Présidence du Sénat (où il affrontait l'ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin).
Ah, au fait, pourquoi mon titre ? Le maire du palais, à l'époque mérovingienne, était en quelque sorte le Premier Ministre du roi, le premier intendant, le régisseur. Les maires du palais étaient tellement influents qu'ils étaient presque plus puissants que les rois et, par voie de conséquence, sont devenus des rois, d'où la survenue de la dynastie des carolingiens...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (02 octobre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Gérard Larcher, le maire du palais.
Sénatoriales 2023 (3) : les résultats.
Sénatoriales 2023 (2) : les enjeux.
Sénatoriales 2023 (1) : présentation.
L’Assemblée Nationale en ordre de bataille pour la XVIe Législature.
Les élections législatives des 14 et 21 juin 2022.
L'élection présidentielle des 10 et 24 avril 2022.
Gérard Larcher réélu en 2020.
Gérard Larcher réélu en 2017.
René Monory.
Christian Poncelet.
Jean-Pierre Bel.
Alain Poher.
Élections municipales de 2020.
Élections sénatoriales du 27 septembre 2020.
Élections sénatoriales du 24 septembre 2017.
Élections sénatoriales du 28 septembre 2014.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20231002-gerard-larcher.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/gerard-larcher-le-maire-du-palais-250722
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/10/03/40062393.html