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22 janvier 2024 1 22 /01 /janvier /2024 17:19

« Nous ne savons pas si la situation mondiale est seulement désespérante ou vraiment désespérée. » (Edgar Morin, le 22 janvier 2024 dans "Le Monde").





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Le sociologue et philosophe centenaire Edgar Morin a marqué de son empreinte intellectuelle (et probablement carbone) cette journée du lundi 22 janvier 2024 en publiant dans "Le Monde" une tribune intéressante où il a dressé un tableau apocalyptique de la situation mondiale, non sans y apporter une petite raison d'espérer pour autant. À plus de 102 ans et demi, le multiécrivain étonne par son tempérament éveillé, toujours à l'affût de la course du monde, qu'il sait complexe et c'est même cette complexité qui angoisse et désespère.

Dans cette chronique, il n'y va pas par quatre chemins. En plus de tous les soucis de notre temps, depuis deux ans, deux guerres graves pouvant s'étendre se sont ajoutées aux autres crises, la guerre en Ukraine, bien sûr, et la guerre entre Israël et le Hamas.

Dans son diagnostic, ces deux conflits ont des effets majeurs. L'Ukraine : « Cette guerre a déjà des conséquences considérables : l’autonomisation diversement avancée du Sud par rapport à l’Occident et le resserrement d’un bloc Russie-Chine. ». Israël-Hamas : « C’est une leçon tragique de l’histoire : les descendants d’un peuple persécuté pendant des siècles par l’Occident chrétien, puis raciste, peuvent devenir à la fois les persécuteurs et le bastion avancé de l’Occident dans le monde arabe. ». Personnellement, je trouve le mot "Occident" trop flou et hétérogène, car le mot suppose un clivage entre ce qu'il représente (on y met ce qu'on veut) et le reste du monde.


Mais il n'y a pas que ces deux conflits comme problèmes mondiaux : « Ces guerres aggravent la conjonction de crises qui frappent les nations, entretenues par l’antagonisme virulent entre trois empires : les États-Unis, la Russie et la Chine. Les crises s’entretiennent les unes les autres dans une sorte de polycrise écologique, économique, politique, sociale, civilisationnelle qui va s’amplifiant. ».

En particulier, la crise écologique a des conséquences graves : « L’hégémonie d’un profit incontrôlé (cause majeure de la crise écologique) accroît les inégalités dans chaque nation et sur toute la planète. Les qualités de notre civilisation se sont dégradées et ses carences se sont accrues, notamment dans le développement des égoïsmes et la disparition des solidarités traditionnelles. ». C'est aussi une crise des démocraties : « La démocratie est en crise sur tous les continents : elle se voit de plus en plus remplacée par des régimes autoritaires, qui, en disposant des moyens de contrôle informatique sur les populations et les individus, tendent à former des sociétés de soumission qu’on pourrait appeler néototalitaires. La mondialisation n’a créé aucune solidarité et les Nations Unies sont de plus en plus désunies. ».

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Dans le schéma d'Edgar Morin, le progrès scientifique, loin d'avoir élevé la pensée, l'a au contraire réduite : « Notons, ce qui est difficile à concevoir, que le progrès des connaissances, en les multipliant et en les séparant par des barrières disciplinaires, a suscité une régression de la pensée, devenue aveugle. Lié à une domination du calcul dans un monde de plus en plus technocratique, le progrès des connaissances est incapable de concevoir la complexité du réel et notamment des réalités humaines. Ce qui entraîne un retour des dogmatismes et des fanatismes, ainsi qu’une crise de la moralité dans le déferlement des haines et des idolâtries. ».


D'où la grande probabilité d'autres catastrophes humaines, car il n'y a plus « d'espoir prévisible ». La réflexion du philosophe place la situation actuelle dans un parallélisme avec la situation des années 1930 en Europe, avant la guerre mondiale. Ce qui laisse finalement une porte de sortie : « Cela signifie qu’il faut, avec ou sans espérance, avec ou sans désespérance, passer à la Résistance. (…) Nous ne sommes pas actuellement sous une occupation militaire ennemie : nous sommes dominés par de formidables puissances politiques et économiques et menacés par l’instauration d’une société de soumission. Nous sommes condamnés à subir la lutte entre deux géants impérialistes et l’éventuelle irruption guerrière du troisième. Nous sommes entraînés dans une course vers le désastre. ».

Et la résistance revêt plusieurs forme, dont la plus importante, celle de l'esprit : « Elle nécessite de résister à l’intimidation de tout mensonge asséné comme vérité, à la contagion de toute ivresse collective. Elle nécessite de ne jamais céder au délire de la responsabilité collective d’un peuple ou d’une ethnie. Elle exige de résister à la haine et au mépris. Elle prescrit le souci de comprendre la complexité des problèmes et des phénomènes plutôt que de céder à une vision partielle ou unilatérale. Elle requiert la recherche, la vérification des informations et l’acceptation des incertitudes. ».


Après avoir promu, de manière un peu utopique (ou incantatoire) la fraternité, la vie et l'amour (« La résistance préparerait les jeunes générations à penser et à agir pour les forces d’union de fraternité, de vie et d’amour (…), contre les forces de dislocation, de désintégration, de conflit et de mort. »), le grand écrivain a terminé sa tribune sur une note finalement d'espoir, que tout n'était pas perdu ; qu'il restait quelques étincelles pour retrouver la lumière : « Les tunnels ne sont pas interminables, le probable n’est pas le certain, l’inattendu est toujours possible. ».

Edgar Morin, au soir de vie, ferait-il du catastrophisme ? Peut-être. Peut-être que le catastrophisme, au même titre que l'alarmisme, cela pourrait conduire à mieux faire prendre conscience des enjeux actuels et à plus faire réagir. Malheureusement, le catastrophisme écologique, on l'a vu, a été très contre-productif dans les cinquante dernières années, au point que l'exagération a entraîné, chez certains, un déni bien commode pour continuer très égoïstement un mode de vie aujourd'hui inadapté.

L'athée rejoint ici le croyant : oui, lutter contre les haines, et surtout, aimer, sera une partie des solutions aux problèmes humains complexes d'aujourd'hui. Mais ce ne sera certainement pas suffisant : la Nature, la planète, l'environnement, eux, semblent en revanche bien indifférents à notre amour...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (22 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Edgar Morin : "Nous allons vers de probables catastrophes" !
Edgar Morin, 102 ans et toute sa vie !
Edgar Morin sur France Inter (à télécharger).
Les 100 ans d’Edgar Morin.
Le dernier intellectuel ?
La complexité face au mystère de la réalité.
97 ans.
Introducteur de la pensée complexe.
"Droit de réponse" du 12 décembre 1981 (vidéo INA).
Université d’été d’Arc-et-Senans avec Edgar Morin le 9 septembre 1990 (vidéo INA).

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240122-edgar-morin.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/edgar-morin-nous-allons-vers-de-252673

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2024/01/22/40183631.html





 

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