« Je ne serai pas candidat lors des élections européennes. (…) À la fin de ce mandat, je réfléchirai à la nature et à l’orientation de mes futurs engagements. » (Charles Michel, le 26 janvier 2024 sur Facebook).
Dernier acte en rebondissement pour un psychodrame européano-belge dont l'anti-héros est Charles Michel, l'actuel Président du Conseil Européen. Fonction créée par le Traité de Lisbonne visant à créer une sorte de chef d'État de l'Europe (aux côtés d'un chef de gouvernement qui serait le Président de la Commission Européenne), le Président du Conseil Européen préside les réunions du Conseil Européen pendant la duré de son mandat de deux ans et demi renouvelable une fois, en clair, pendant la durée d'une législature européenne.
Jusqu'à maintenant, en effet, chacun avait été reconduit une fois : Herman Van Rompuy, puis Donald Tusk, enfin Charles Michel. Ce dernier, qui fut le plus jeune député de Belgique à 23 ans (en juin 1999), a gravi les échelons politiques à la vitesse grand V : après des mandats locaux, il a été nommé membre du gouvernement belge du 21 décembre 2007 au 14 février 2011 (Ministre de la Coopération au développement), puis, Premier Ministre de Belgique à l'âge de 39 ans, du 11 octobre 2014 au 27 octobre 2019.
Charles Michel est aussi le fils de Louis Michel, bien connu des chancelleries européennes puisqu'il a été Ministre belge des Affaires étrangères et Vice-Premier Ministre du 12 juillet 1999 au 18 juillet 2004, puis commissaire européen du 18 juillet 2004 au 17 juillet 2009, enfin député européen de juin 2009 à mai 2019.
Président le Mouvement réformateur (équivalent belge des libéraux démocrates en Europe, désormais Renew, qu'on peut aussi appeler centristes entre les sociaux-démocrates et les démocrates chrétiens, eux-mêmes appelés parfois, à tort à mon avis, conservateurs) du 14 février 2011 au 10 octobre 2014, puis du 18 février 2019 au 28 novembre 2019, Charles Michel a quitté son poste de Premier Ministre pour celui de Bruxelles : désigné Président du Conseil Européen le 2 juillet 2019 et reconduit pour un second mandat le 24 mars 2022.
Charles Michel a commencé son mandat de Président du Conseil Européen le 1er décembre 2019 et celui-ci devrait donc se terminer le 1er décembre 2024. Mais Il aura alors 49 ans, trop jeune pour prendre sa retraite. Cependant, l'agenda électoral belge lui est défavorable : en effet, le 9 juin 2024 ont lieu en Belgique les élections européennes, les élections législatives et les élections régionales. S'il n'était pas candidat à l'une de ces élections, Charles Michel se retrouverait sans mandat électif jusqu'en 2029.
Depuis plusieurs mois, il réfléchissait donc très haut : le meilleur moyen pour retrouver un mandat après la Présidence du Conseil Européen serait qu'il soit candidat aux élections européennes du 9 juin 2024. Il était en effet question qu'il soit la tête de liste du Mouvement réformateur, et le mode de scrutin fait qu'il serait assuré d'être élu député européen. Au contraire des commissaires européens, rien n'empêche le Président du Conseil Européen de mener une campagne électorale. En revanche, une fois élu, il devrait démissionner de son mandat. Donc, le 1er juillet 2024, jour de la prise de fonctions des prochains députés européens, il ne pourrait plus rester Président du Conseil Européen. Pour Charles Michel et son parti, c'était un beau coup politique : le Mouvement réformateur aurait ainsi une tête de liste assez porteuse, et Charles Michel, non seulement, pourrait se recaser comme député européen, mais il pourrait même postuler pour devenir Président du Parlement Européen.
Le 6 janvier 2024, ce n'était plus seulement une hypothèse, c'était devenu sa décision : Charles Michel serait le candidat tête de liste du Mouvement réformateur aux élections européennes de juin 2024.
Évidemment, ces réflexions à voix haute ne pouvaient qu'engendrer médisance et dénigrements de la part de ses opposants et plus généralement, des opposants à la construction européenne : Charles Michel penserait peu au bien commun, à l'intérêt de l'Europe, mais se focaliserait sur sa propre carrière politique, sur son petit destin de drogués de la politique politicienne. Ces réactions sont habituelles dans la vie politique, et il ne faut pas faire de la politique si on ne les supporte pas... mais il y avait un hic dans cette affaire.
Le hic, c'est que Charles Michel devait démissionner de la Présidence du Conseil Européen cinq mois avant la fin de son mandat. Or, cela créerait un sacré problème institutionnel et politique : impossible de nommer préventivement la personnalité qui serait choisie comme successeur à l'issue des élections européennes et qui prendra ses fonctions le 1er décembre 2024. Donc, il faudrait nommer un Président d'interrègne de cinq mois qui puisse avoir l'accord des Vingt-Sept sans réalité électorale (qui seraient légitimes, les députés sortants ou les députés nouvellement élus et pas encore connus à l'heure du choix ?). Et si aucun accord n'était trouvé, ce qui serait le plus probable, alors la règle institutionnelle veut que le Président du Conseil Européen soit provisoirement le chef d'État ou de gouvernement de l'État membre qui présiderait le Conseil de l'Union Européenne. Or, du 1er juillet 2024 au 1er janvier 2025, c'est la Hongrie justement que assure cette Présidence tournante. Par conséquent, il serait impensable pour beaucoup de pays membres que le Premier Ministre hongrois Viktor Orban puisse être ce Président du Conseil Européen provisoire.
Si bien que les réactions hostiles ont aussi été émises, progressivement, parmi les propres amis de Charles Michel, amis politiques ou amis européens : en clair, pour son petit carriérisme politicien, Charles Michel risquait d'emmerder (disons-le clairement !) toute l'Europe pendant six mois !
Entre autres, représentatif des ces réactions, le quotidien français "Libération" dénonce crûment : « L’explication de ce départ anticipé est purement matérielle : faute d’un point de chute international certain, il risquait de se retrouver en carafe, les prochaines élections européennes, nationales et régionales, couplées en Belgique, n’ayant lieu qu’en 2029. Une traversée du désert qu’il voulait éviter, la tête de liste lui garantissant d’être élu et même d’espérer occuper d’autres fonctions, comme la Présidence du Parlement Européen. ». Tout comme "Le Point" qui, de son côté, explique : « Le Belge a pu mesurer tout le discrédit dont il est accablé, mezzo vocce, au sein des institutions. Cette candidature avait suscité, en effet, un torrent de critiques tant l'individu paraissait en dessous de sa fonction et seulement intéressé à sa survie politique, désespérément à l'affût du "job d'après" ! ».
Il a suffi donc de trois semaines pour faire machine arrière. Constatant les nombreuses réactions hostiles, dénonçant les « attaques personnelles [qui] prennent de plus en plus le pas sur les arguments factuels », l'ancien Premier Ministre belge a finalement jeté l'éponge en renonçant à sa petite cuisine électorale de bas étage et a annoncé qu'il ne serait pas candidat (laissant la suite de son CV avec une feuille blanche angoissante ; certaines rumeurs expliquent qu'il serait même en burn-out depuis quelques jours).
La résolution du problème institutionnel européen (par le renoncement de Charles Michel) crée bien sûr un problème politique pour le parti politique qu'il avait présidé il y a quelques années. Qui choisir comme tête de liste aux élections européennes pour le remplacer ? "On" songe alors à Didier Reynders (65 ans), qui a aussi présidé le Mouverment réformateur du 11 octobre 2004 au 14 février 2011, ancien Ministre belge des Finances du 12 juillet 1999 au 6 décembre 2011, ancien Ministre belge des Affaires étrangères et européennes du 6 décembre 2011 au 30 novembre 2019, ancien Ministre belge de la Défense du 9 décembre 2018 au 30 novembre 2019, ancien Vice-Premier Ministre belge du 18 juillet 2004 au 30 novembre 2019 et actuel Commissaire Européen à la Justice (depuis le 1er décembre 2019), mais le problème, c'est qu'il s'était placé comme le candidat de la Belgique pour être le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe. Un autre ancien président du Mouvement réformateur pourrait aussi mener cette liste, Olivier Chastel (59 ans), ancien ministre belge du 14 février 2011 au 11 octobre 2014 (Affaires européennes, Budget, etc.), ancien président du Mouvement réformateur du 12 décembre 2014 au 18 février 2019 et actuel député européen depuis mai 2019.
Quant à Charles Michel, toujours sur son compte Facebook, il a essayé de rattraper sa boulette : « Je ne veux pas que cette décision nous détourne de notre mission, qu'elle porte atteinte à cette institution et à notre projet européen, ni qu'elle soit utilisée à mauvais escient pour diviser le Conseil Européen, qui, je crois, doit travailler sans relâche à l'unité de l'Europe. ». Nous voilà rassurés...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Charles Michel et Viktor Orban : l'Europe victime d'une histoire belge !
Jacques Delors : il nous a juste passé le relais !
Il y a 15 ans : Nicolas Sarkozy, l'Europe et les crises (déjà).
La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
Le 8 mai, l'émotion et la politique.
Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
Le 60e anniversaire du Traité de l'Élysée le 22 janvier 2023.
De Gaulle, l’Europe et le volapük intégré.
L’inlassable pèlerin européen Emmanuel Macron.
Valéry Giscard d’Estaing, le rêveur d’Europe.
Enfin, une vision européenne !
Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240126-charles-michel.html
https://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/charles-michel-et-viktor-orban-l-252796
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