C’est un peu banal de parler de ce 9 novembre 1989. Tous les médias en parlent depuis quelques semaines et ce 9 novembre, Radio France en fait même un programme unique. Pourtant, ce n’est pas à tort. Malgré quelques mouvements d’ostalgie qui regrettent le temps de la répression communiste (car la situation matérielle aurait été meilleure), ce jour était à marquer d’une sacrée pierre blanche.
C’est sans doute l’une des dates les plus importantes de la fin du XXe siècle. Elle sera peut-être en concurrence avec le 11 septembre 2001 pour déterminer la fin de la guerre froide et l’essor d’un nouveau monde, plus multilatéral, plus globalisant économiquement et sans doute plus inquiétant politiquement car plus complexe, moins manichéen. Un peu à l’instar de cette fin du Moyen-Âge collée (à juste titre) à la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453 mais placée parfois aussi en 1492 avec la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb.
Dès le lendemain, j’étais sur le point de partir à Berlin avec mes amis. Des trains entiers étaient affrétés en Lorraine pour aller au rendez-vous de l’Histoire. Mon absence de passeport et un nécessaire visa pour franchir la frontière est-allemande m’ont finalement fait renoncer, d’autant plus que ce déplacement devenait "à la mode".
En effet, c’est peu de dire que l’émotion m’a étreint quand j’ai appris dès le soir de ce jeudi 9 novembre 1989 cette brèche dans ce que je croyais à l’époque l’implacable système communiste. Je fais partie sans doute de la dernière génération qui pensait que de mon vivant, je n’en verrais sûrement pas la fin.
Rapide historique
Le mur a été érigé à Berlin le 13 août 1961 et a symbolisé ce rideau de fer entre l’Occident et les pays communistes. L’arrivée le 11 mars 1985 d’un jeune dirigeant à la tête de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, après la disparition des trois derniers gérontes de ce pays, Leonid Brejnev, Youri Andropov et Konstantin Tchernenko, a commencé à faire tourner le sens de l’Histoire : très vite, les réformes (glasnost et perestroïka) définies pour maintenir le régime communiste ont accéléré son effondrement.
Le premier signe avant-coureur a eu lieu le 2 mai 1989 lorsque le gouvernement hongrois décida d’ouvrir les frontières avec l’Autriche, pays neutre. Beaucoup d’Allemands de l’Est partirent alors en Hongrie pour passer en Autriche et regagner l’Allemagne fédérale.
Le premier signe politique se passait cependant à Varsovie où le syndicat Solidarité venait de négocier avec le général Jaruzelski les premières élections libres en Pologne puis, le 19 août, après sa victoire, a eu lieu la nomination de Tadeusz Mazowiecki, le premier Premier Ministre non communiste d’un pays communiste.
En septembre, les Allemands de l’Est fuirent par milliers. Des manifestations d’opposants se firent au grand jour, notamment à Leipzig. Le 7 octobre 1989, Gorbatchev rencontra Erich Honecker, le vieux dictateur communiste est-allemand, à l’occasion du 40eanniversaire de la RDA. Devant lui, les manifestants criaient : « Gorbi, aide-nous ! ».
Le 18 octobre 1989, Honecker fuit mis en minorité et fut obligé de démissionner pour raison de santé. Son successeur Egon Krenz, ami personnel de Gorbatchev, devint chef de l’État le 24 octobre mais dès le 30 octobre, il dut faire face à plus d’un demi million de manifestants à Berlin qui réclamèrent sa démission.
Parmi les manifestants, une jeune porte-parole du mouvement de contestation de trente-cinq ans, …Angela Merkel.
Le gouvernement communiste est-allemand fut contraint de démissionner le 7 novembre. À vingt-deux heures quinze, le 9 novembre, les premiers milliers de Berlinois ouvrirent le mur de Berlin. Egon Krenz, encouragé par Gorbatchev lui-même échaudé par le massacre de la place Tiananmen du 4 juin 1989 par les autorités chinoises, avait pris la décision la plus sage, celle de laisser faire le démantèlement du mur. Cette décision a valu à Gorbatchev le Prix Nobel de la Paix 1990, certes discutable en raison de ses décisions prises pour la Lituanie (comme celui reçu par Obama).
Gorbatchev avait déjà évoqué la chute du mur de Berlin lors de son déplacement en Chine le 15 mai 1989, pendant les manifestations de la place Tiananmen mais avant leur répression et avait répondu « Pourquoi pas ? » à la question : « Voudriez-vous qu’on élimine le mur de Berlin ? ».
Pendant ces vingt-huit ans que durèrent ces 160 kilomètres de mur de trois mètres soixante de hauteur, protégés par trois cents miradors, les vopos (soldats est-allemands) ont tué 239 malheureux qui voulaient le franchir.
Les autres pays ont suivi le mouvement de libération des peuples, en général pacifiquement sauf en Roumanie où le dictateur communiste Ceaucescu fut exécuté à la suite d’un procès expéditif le 25 décembre 1989 et de quelques désinformations sur le massacre de Timisoara.
Le chancelier ouest-allemand Helmut Kohl a su profiter de l’occasion pour réunifier le plus rapidement possible l’Allemagne, une réunification qui fut effective le 3 octobre 1990, moins d’un an après.
L’empire soviétique était à sa fin. Le 25 décembre 1991, après un pseudo-coup d’État raté en août 1991, Mikhaïl Gorbatchev quitta le pouvoir en signant l’acte de décès de l’Union soviétique elle-même, celle qui, depuis 1922 voire 1917, terrorisa tant de personnes dans le monde.
Une Europe qui revient de loin
Étrange destinée que ce 9 novembre pour l’Allemagne qui rappelle non seulement cette journée historique mais aussi d’autres journées fatidiques (Schicksalstag) de l’histoire allemande, parfois positives comme l’abdication de l’empereur Guillaume II et la proclamation de la République de Weimar en 1918 ou l’échec du putsch d’Hitler en 1923, mais aussi très négatives comme l’abominable et cynique "nuit de cristal" (Reichskristallnacht) en 1938. (L’Histoire française retiendra surtout la mort du général De Gaulle).
Les personnes de moins de trente ans peuvent avoir du mal à imaginer cette émotion que je peux ressentir encore aujourd’hui quand je parcours l’Europe.
Passer par Vienne, la capitale culturelle cosmopolite par excellence pour déboucher très vite sur la belle capitale slovaque Bratislava, si enjouée les nuits estivales, puis passer les Hauts Tatras par des routes quasiment neuves puis redescendre dans une Pologne rurale et montagnarde à mille lieux de la métropole intellectuelle Cracovie qui émet du wifi dans ses principales places publiques pour ses nombreux étudiants, ou encore visiter des villes ex-est-allemandes, comme Dresde l’industrieuse, ou encore l’Erfurt de Martin Luther, ou Fulda, la pépite religieuse…
Inversement, la circulation automobile en France s’en ressent aussi avec un grand nombre de camions originaires de Pologne, Roumanie, Tchéquie, Slovaquie, Bulgarie… dans l’axe Strasbourg/Paris.
Quid de la construction européenne ?
La réunification de ces deux Europe a mis institutionnellement presque quinze ans à se réaliser alors que la Grèce avait été intégrée seulement six ans après la fin de la dictature des colonels et l’Espagne et le Portugal respectivement onze et douze ans après la fin de leur dictature (Franco et Salazar).
Les frontières de l’Union européenne n’ont cessé de s’agrandir, englobant trois anciennes républiques soviétiques (les pays baltes) et plus récemment encore, une république si proche de l’Union soviétique qu’elle en avait demandé son rattachement (la Bulgarie).
C’est cela la question cruciale vingt ans après la fin de la division de l’Europe. Et malgré les ratifications laborieuses du Traité de Lisbonne qui entrera désormais en application le 1er décembre 2009, l’Union européenne reste bel et bien en panne de rêve…
Pour aller plus loin :