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25 novembre 2009 3 25 /11 /novembre /2009 08:25

Une nouvelle découverte a eu lieu le 6 octobre 2009. Charles Darwin serait-il vaincu par un animal à quatre pattes ? Certainement pas encore maintenant.


Dans un article précédent, j’évoquais l’excellent documentaire "Espèces d’espèces" qui expliquait de manière claire et simple la nouvelle organisation du vivant.
 
Les observations du vivant et des fossiles constituent un élément-clef pour valider la théorie qui tend à expliquer l’existence des espèces vivantes actuelles sur Terre. Parfois, certains y voient des grains de sable qui enrayeraient la belle mécanique de l’évolution. Une interprétation très… tendancieuse et pour le moins erronée.
 
 
Des découvertes exceptionnelles
 
En 1832, l’ichtyologue suisse Louis Agassiz découvrit le premier individu fossilisé. On trouvera par la suite de tels fossiles partout dans le monde et en grand nombre, comme celui-ci retrouvé à Madagascar et datant de deux cents millions d’années. Ou comme cette découverte, au printemps 2004, à Cruzy (dans l’Hérault, en France), d'un fragment de mâchoire d’un individu fossilisé, datant de soixante-dix millions d’années. 
 
Le 23 décembre 1938 dans l’estuaire de la Chalumna River (en Afrique du Sud), un premier individu vivant, d’un mètre cinquante de longueur et de cinquante-sept kilogrammes, a été remonté dans les filets du pêcheur Hendrik Goosen. L’ornithologue sud-africaine Marjorie Courtenay-Latimer étudia le spécimen et c’est l’ichtyologue sud-africain James Brierley-Smith qui l’identifia.
 
Le 20 décembre 1952, au large de l’archipel des Comores (près de l’île d’Anjouan), un deuxième individu vivant a été pêché par Ahmed Hussein.
 
En fin 1953, un troisième individu fut pêché au large de Mutsamudu, capitale de l’île d’Anjouan, et fut transporté à Tananarive (à Madagascar) par le chercheur français Millot.
 
Le vingtième individu a été pêché en 1960 et le vingt-huitième en 1962.
 
Le 17 juillet 1987, les pêcheurs d’Ikoni ( aux Comores) ont repéré un individu d’un mètre dix pesant cinquante kilogrammes et ont alerté le plongeur française Jean-Louis Géraud pour le filmer dans son milieu naturel.
 
En juin 1998, en Indonésie (du côté des Sulawesi), un autre individu a été découvert dans un marché par un jeune biologiste californien, Mark Erdmann.
 
Le 30 juillet 1998, près de l’île Menadotua, dans l’archipel des Célèbes (en Indonésie), un deuxième individu indonésien a été capturé par un pêcheur et a prouvé l’existence de deux populations distinctes (aux Comores et en Indonésie, espacées de près de dix mille kilomètres).
 
En janvier 2000, deux individus furent repérés à cent cinquante-cinq mètres de profondeur dans une grotte sur les flancs volcaniques de Manado (en Indonésie).
 
En 2006, près des Sulawesi (en Indonésie), des Japonais ont filmé la nage d’un de ces individus.
 
Le 19 mai 2007, au large de la plage de Manado, au nord de l’archipel des Célèbes (en Indonésie), à plus de cent mètres de profondeur, un autre individu pesant cinquante et un kilogrammes et long d’un mètre trente et un a été ramené par le pêcheur Justinus Lahama accompagné de son fils Delvy. L’individu n’a survécu que dix-sept heures.
 
Enfin, le 6 octobre 2009 dans la baie de Manado, au large de l’île des Sulawesi (en Indonésie), à cent soixante et un mètres de profondeur, un jeune individu vivant a été pêché par des chercheurs japonais. Il mesurait trente et un centimètres et demi.
 
De quels individus s’agissait-il ?
 
 
De gros poissons bleus à pattes
 
Pour ceux venant du sud de l’Afrique et du canal de Mozambique, il s’agit du Latimeria chalumnae (du nom de la jeune ornithologue sud-africaine).
 
Pour ceux venant d’Indonésie, il s’agit du Latimeria menadoensis.
 
En d’autres termes, il s’agit de cœlacanthes. Les deux espèces se seraient séparées, selon les premières analyses ADN, il y a un million et demi d’années (leur génome est différent à 3,5%).
 
Le cœlacanthe est une sorte de gros poisson à quatre pattes qui existait déjà il y a trois cent soixante millions d’années et qu’on croyait disparu depuis la disparition des dinosaures, il y a soixante millions d’années. On a pu identifier cent vingt-cinq espèces de cœlacanthes fossilisés ayant vécu il y a trois ou quatre cents millions d’années.
 
L’animal est bleu foncé tacheté de blanc, se présente d’une longueur d’environ un mètre à un mètre cinquante et pèse d’une cinquantaine à cent kilogrammes. Les mâles sont légèrement plus petits que les femelles. Ils vivent dans les profondeurs marines (à plus de deux cent mètres) et vont chercher leurs proies vers six cents mètres de profondeur la nuit. Ils sont capables ouvrir leur mâchoire des deux côtés grâce à un joint intracranien (comme chez les grenouilles).
 
 
C’est vraiment un drôle d’animal
 
Il a des nageoires séparées du tronc par des sortes d’os : « leur succession rappelle vraiment l’humérus, le cubitus, le radius dans la nageoire pectorale, et le fémur, le tibia et le péroné dans la nageoire pelvienne » explique Gaël Clément, chercheur au Muséum d’histoire naturelle de Paris.
 
Il a des difficultés à nager notamment parce qu’il nage comme s’il marchait (deux à deux).
 
Par ailleurs, il a un début de poumon (en même temps que des branchies) et il est ovovivipare, c’est-à-dire que la femelle pond des œufs (de la taille d’une pomme) et qu’ils éclosent dans son ventre.
 
C’est le descendant des premiers crossoptérygiens qui sont apparus au Dévonien inférieur et ont disparu à la fin de l’ère secondaire. Il fait partie des sarcoptérygiens dont sont également issus les primates (entre autres).
 
On a cru au départ qu’il pouvait être à l’origine des tétrapodes (espèces terrestres) mais ne serait qu’un cousin d’une branche parallèle, les cœlacanthiformes. Les rhipidistiens (poissons à narines internes), l’autre branche, ont évolué vers les vertébrés terrestres (donnant naissance aux amphibiens, reptiles/oiseaux/dinosaures, mammifères et humains). Les deux branches se sont séparées il y a trois cent soixante millions d’années (voir l’article sur "Espèces d’espèces").
 
 
Du fantasme au dogmatisme créationniste
 
L’existence du cœlacanthe à notre époque fait beaucoup fantasmer. Certains l’ont appelé "fossile vivant" et d’autres "poisson dinosaure". Le fantasme, c’est d’imaginer comment les poissons ont quitté l’eau pour aller sur la terre. Le cœlacanthe pourrait apporter quelques indications supplémentaires. Le fantasme, c’est ce poisson sortant de l’eau avec deux jambes que les enfants ont pris l’habitude de dessiner en étudiant ces choses-là à l’école (j’ai dû en faire aussi moi-même). Une sorte d’inversion des sirènes. Cela peut donner lieu à beaucoup de loufoqueries, tant sur les objets, sur les idées que sur les poulets.
 
Mais certains fantasmes ne sont pas gratuits et nourrissent certaines idéologies, en particulier celle des créationnistes.
 
En effet, beaucoup de personnes se servent de cette espèce de cœlacanthe (donc encore vivante) pour mettre en défaut la théorie de l’évolution de Darwin. Dans un but assez tendancieux
 
Parmi les articles les plus lus sur le sujet, il y a celui du "Figaro Magazine" du 26 octobre 1991 intitulé "L’évolution condamne Darwin" dans un dossier préparé par Jean Staune qui dit beaucoup d’âneries qui sont hélas souvent reprises (il suffit de regarder sur Internet).
 
 
Mauvaise foi, naïveté ou ignorance
 
Dans le dossier en question, il est dit par exemple, cité par Guillaume Lecointre (du Muséum d’histoire naturelle de Paris) dans un article d’octobre 2000 : « Le cœlacanthe : en 1938, la première mauvaise nouvelle pour les darwiniens. C’était l’ancêtre de tous les vertébrés. On le croyait disparu depuis des millions d’années. On l’a retrouvé voici cinquante ans, bien vivant, au large des Comores. Il n’avait donc pas évolué depuis ses très lointains ancêtres : contrairement à ce qu’aurait voulu la théorie. ».
 
L’argumentation débitée ici est stupide pour ceux qui connaissent un peu la théorie de l’évolution.
 
Le cœlacanthe serait l’ancêtre aquatique des vertébrés terrestres, ce qui est doublement faux puisque d’une part, il ne peut pas être l’ancêtre alors qu’il vit encore de nos jours (de plus, les évolutionnistes ne parlent plus du mot "ancêtre" quand il s’agit d’une espèce identifiée), c’est comme si l’on dit qu’un cousin est un aïeul, et d’autre part, les vertébrés sont apparus bien avant cet animal qui n’est pas non plus à l’origine des tétrapodes (voir ci-dessus et l’article sur "Espèces d’espèces").
 
Par ailleurs, s’il est vrai que la morphologie du cœlacanthe n’a pas varié depuis la fin du Crétacé (les nombreux fossiles retrouvés semblent l’attester), cette supposée "non-évolution" ne contredit en rien la théorie de Darwin.
 
En effet, d’une part, la morphologie ne correspond qu’à environ 5% des gènes et le reste des gènes a très bien pu évoluer (ce qui serait difficile à vérifier sans l’ADN des individus d’il y a plusieurs dizaines de millions d’années), et d’autre part, le néodarwinisme a introduit aussi des stases, des périodes de stabilité relative qui peuvent avoir des durées plus ou moins longues.
 
Comme l’explique très bien le biologiste Patrick Forterre dans "Espèces d’espèces", même la bactérie moderne, c’est-à-dire actuelle, a évolué aussi longtemps que l’être humain, résultats, tous les deux, de trois milliards et demi d’années de lente évolution. Les trois cents millions d’années de "stagnation morphologique" du cœlacanthe ne contredit donc en rien à son évolution pendant cette période, notamment en ce qui concerne sa spécialisation dans des milieux particulièrement contraignants.
 
 
Une évolution par effraction de la Nature
 
Les périodes de stabilité des caractères peuvent aussi s’expliquer par le fait que ces derniers ont été déjà optimisés dans l’environnement dans lequel évolue l’espèce.
 
Les mutations génétiques ne sont que le fruit du hasard et pas celui de l’environnement : il y a toujours des erreurs dans le séquençage génétique et lorsque cette erreur, par inadvertance, améliore la durée de vie, la robustesse de l’individu dans son milieu environnemental, alors cet individu prend le dessus sur les autres moins bien protégés. C’est ainsi que l’évolution s’opère, par petites erreurs successives qui renforcent les individus. Celles qui au contraire les affaiblissent ne durent pas puisque leurs branches s’éteignent vite dans l’arbre de la vie.
 
Bref, ceux qui cherchent à utiliser les cœlacanthes vivants à notre époque comme des preuves irréfutables contre la théorie de Darwin en sont pour leurs frais : bien au contraire, le cœlacanthe, aux quatre nageoires charnues, c’est-à-dire avec des articulations entre le tronc et les doigts (qui deviendront dans d’autres espèces des bras et des jambes), est un précieux animal pour affiner la théorie de l’évolution.
 
 
En voie d’extinction ?
 
Comme les momies à la fin du XIXe siècle, les cœlacanthes ont fait l’objet de certains trafics, considérés comme des "objets" rares parallèlement à son intérêt scientifique. Saddam Hussein en aurait acquis un pour sa collection personnelle et l’Aga Khan aussi en 1996 pour en faire don à l’Institut de paléontologie de Pavie.
 
Il n’a pas été encore possible de maintenir en vie (plus de dix-sept heures) un cœlacanthe à la surface de la Terre, son milieu nécessitant la forte pression du fond marin (21 bars). Les deux espèces demeurent donc encore assez méconnues, notamment sur la durée de gestation, la fréquence, le taux de croissance… des paramètres qui pourraient aider à les protéger.
 
Les deux espèces sont considérées en effet comme en voie de disparition. Environ deux cents cœlacanthes ont déjà été pêchés depuis 1952. Entre 1987 et 1991, on avait évalué à six cent cinquante le nombre total d’individus encore en vie, en 1994, cela aurait chuté de 30% à cause de la pêche intensive près des côtés comoriennes, et selon les dernières estimations, ce nombre serait réduit aujourd’hui à cent cinquante individus, ce qui est dérisoire.
 
Pour l’instant, peu de fonds sont débloqués pour protéger le cœlacanthe, destinés surtout à écarter les poissons cibles des pêches intensives de l’environnement du cœlacanthe.
 
À peine un million d’années d’un côté, plus de trois cents millions d’années de l’autre. Il n’y a pourtant pas photo…
 
 
 
Sylvain Rakotoarison (25 novembre 2009)
 



Pour aller plus loin :
 
 
 
 
 
 
 
 
 

http://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/le-rival-de-darwin-65595 

http://www.lepost.fr/article/2009/11/25/1808841_le-rival-de-darwin.html

http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-96

http://www.centpapiers.com/le-rival-de-darwin/10736/







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