Voyant rouge pour la sécurité routière en janvier 2011. La cause est-elle bien claire ? Il faudra attendre avril 2011 pour mieux comprendre mais les parlementaires ont quand même donné un très mauvais signal.
Le 8 février 2011, les statistiques de la sécurité routière pour le mois de janvier 2011 en métropole ont été rendues publiques et montrent une aggravation manifeste de la situation. Il y a eu plus de morts sur la route en janvier 2011 qu’en janvier 2011 : 331 tués au lieu de 273 soit une augmentation de 21%. Un nombre encore provisoire puisqu’il faut attendre le 1er mars 2011 pour comptabiliser également les blessés graves qui succombent dans les trente jours.
Entre septembre 2002 et décembre 2010, un seul mois avait connu une hausse de plus de 20%, onze mois une hausse entre 5 et 20%, et soixante-dix-sept mois avaient connu une amélioration (par rapport au mois de l’année précédente). Mais depuis 1973, seulement cinq mois ont eu une croissance exceptionnelle de plus de 20% dont deux pour cause de prévision d’amnistie. C’est donc une très mauvaise performance.
L’assouplissement du permis à points en cause ?
Très vite, les associations de prévention routière, qui font un travail considérable pour sensibiliser les automobilistes à rouler avec responsabilité et encourager les pouvoirs publics à sanctionner plus sévèrement les infractions au code de la route, ont réagi de manière, à mon sens, assez contreproductive en expliquant un peu hâtivement cette croissance d’accidents mortels par l’assouplissement du permis à points.
En effet, depuis très récemment, l’unique point supprimé est réattribué au bout de six mois au lieu d’un an auparavant (et avant encore, c’était trois ans), et les autres points (hors fautes graves) sont réoctroyés après une période probatoire sans infraction de deux ans au lieu de trois ans. De plus, il est possible de récupérer quatre points par un stage tous les ans au lieu de tous les deux ans.
Cet assouplissement, voté par les parlementaires contre l’avis du gouvernement et à un peu plus d’un an des prochaines élections législatives, peut, effectivement, faire croire à une manœuvre électoraliste et démagogique.
Pourtant, il répond aussi à une sévérité accrue dans l’application des sanctions : depuis presque une décennie, la mise en place de plusieurs milliers de radars automatiques rendant l’infraction systématiquement sanctionnée a entièrement changé les habitudes des automobilistes dans le bon sens.
Une politique répressive très efficace
La politique du bâton a hélas fonctionné, ce qui prouve a posteriori qu’avant 2002, aucune volonté politique n’avait été réellement engagée. Je me souviens notamment en 1995 du Ministre des Transports Bernard Pons refusant les contrôles radars surprises, le but étant de responsabiliser et pas de punir.
Les dommages collatéraux, ce sont les permis de conduire retirés qui risquent de faire perdre leur travail aux automobilistes contrevenants. Il faut noter cependant que cela ne concerne que 0,12% des usagers de la route (et plus des trois quarts d’entre eux n’ont perdu aucun point).
Pourtant, c’est bien la punition qui a été efficace : le nombre de tués sur la route est passé de 7 655 en 2002 à 3 994 en 2010, soit une baisse de 48% en huit ans alors que le trafic a augmenté d’environ 10% (à comparer aux 17 488 tués en 1972 !), et l’objectif du gouvernement est d’atteindre le seuil de 3 000 tués d’ici 2012, un nombre qui, quoique très ambitieux, restera encore beaucoup trop élevé pour les familles des victimes.
L’assouplissement du permis à points peut donc être considérée comme une mesure complémentaire à la sévérité toujours croissante de l’application du code de la route mais qui ne va pas dans le bon sens.
La technologie au service de la lutte contre l’insécurité routière
Depuis fin 2009, de nouveaux projets ont été lancés pour sanctionner encore plus durement : près de deux mille radars automatiques ont été mis en place, dont plusieurs centaines aux feux rouges et aux passages à niveaux (les radars aux feux rouges sont d’une efficacité redoutable, Nancy fut la première ville à l’expérimenter).
D’autres appareils vont être installés visant à contrôler les distances de sécurité entre les véhicules, d’abord dans les tunnels et les ponts. Enfin, beaucoup de radars seront équipés d’un dispositif infrarouge, n’utilisant donc plus le flash pour pincer les automobilistes en excès de vitesse.
Le 10 février 2011, en réaction aux mauvaises données de janvier 2011, le gouvernement a décidé d’installer dans l’année encore mille nouveaux radars automatisés, cent radars tronçons qui contrôleront la vitesse moyenne sur plusieurs kilomètres et quatre-vingt-dix radars discriminants permettant de différencier les poids lourds des véhicules légers.
Même la Commission européenne y met son grain de sel comme cette directive du 24 septembre 2008 qui oblige, à partir de ce 7 février 2011, à ce que tous les nouveaux véhicules soient équipés de feux spéciaux pour éclairage de jour (une mesure annoncée très discrètement dans la presse).
Hausse de tués et affaiblissement du permis à points
Donner une corrélation causale entre la forte hausse de janvier 2011 et l’assouplissement du permis à points, ce n’est pas un mauvais procès mais, à mon sens, un procès trop rapide.
Reprenons les éléments factuels.
On pourrait dire par exemple qu’il serait beaucoup trop tôt pour voir les effets de cette mesure même si l’on peut se souvenir que l’espoir d’une amnistie juste après l’élection d’un nouveau Président de la République aggravait la situation quelques mois avant (c’était assez flagrant en 1988) : la loi sur la sécurité intérieure (Loppsi 2) a été en effet adoptée définitivement à l’Assemblée Nationale et au Sénat le 8 février 2011 (après la réunion d’une commission paritaire) et n’a donc pas encore été appliquée.
À cet argument, on pourrait répondre que la réalité, c’est que le comportement des automobilistes obéissent non pas aux mesures concrètes mais aux effets d’annonce. Ainsi, la réduction drastique du nombre de tués a eu lieu dès l’été 2002 (l’annonce du combat contre la violence routière a été faite par Jacques Chirac le 14 juillet 2002) alors que la décision d’installer des radars automatiques a été prise seulement le 18 décembre 2002.
Si l’on se fie uniquement aux conséquences des effets d’annonce, rappelons toutefois que la première fois où a été évoquée l’aménagement du permis à points, c’était le 2 avril 2010 par une proposition de loi qui a été ensuite intégrée à l’article 28 bis de la Loppsi 2 par le dépôt le 7 septembre 2010 d’un amendement du sénateur UMP Alain Fouché qui, contre toute attente, a été adopté en séance publique avec cette philosophie : « Cet aménagement n’est pas contraire à l’esprit du texte examiné mais bien au contraire, la diminution des délais répond à la volonté de restreindre les cas de conduite sans permis ainsi que le trafic de points de plus en plus courant. ».
En première lecture, les sénateurs étaient allés très loin puisqu’ils avaient réduit la durée probatoire de trois à un an seulement, mais les députés l’ont ramenée (un peu plus sagement) à deux ans le 16 décembre 2010.
Or les mois d’octobre à décembre 2010 ont vu le nombre de morts régresser, donc cela n’aurait pas été influencé par cette préparation parlementaire. À cela, certains répondraient que le vote des sénateurs en septembre n’était pas "crédible" et qu’il aurait été retoqué par les députés et que c’est seulement en décembre que cette crédibilité a été renforcée par le vote même des députés (et l’accord finalement du gouvernement).
La Loppsi 2 avait pourtant un volet sécuritaire assez affirmé contre la violence routière avec de nombreuses mesures sévères comme la qualification du trafic de points en un délit passible d’un an de prison et de trente mille euros d’amende ou encore la possibilité donné aux policiers municipaux de dépister des produits stupéfiants.
Un double langage des pouvoirs publics ?
Dès le 30 septembre 2010, le Président Nicolas Sarkozy prenait les devants : « Je n’accepterai jamais un message de laxisme concernant la lutte contre la violence routière. ».
Le professeur Claude Got, spécialiste de la santé publique, met en doute la parole présidentielle quand il l’entend se focaliser uniquement sur les grandes infractions au code de la route, surtout quand "Le Canard Enchaîné" rapporte le 29 septembre 2010 ces propos qui auraient été tenus par Nicolas Sarkozy : « Il faut cesser de harceler ceux qui commettent des petits excès de vitesse et qui risquent ainsi de perdre leur boulot parce qu’ils n’ont plus leur permis (…), tout en étant intraitables pour les grands excès de vitesse et l’alcoolisme au volant. C’est le genre de réforme qui ne coûte rien, qui est simple à mettre en œuvre et qui plaît aux gens. Je comprends que pour les énarques, cela ne soit pas assez intelligent, mais c’est nécessaire de le faire. ».
Et Claude Got de rappeler quelques règles simples de probabilité : « Beaucoup de petits délits avec un faible excédent de risque peuvent provoquer plus d’accidents que peu de grands délits avec pour chacun d’entre eux un fort excédent de risque. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait math-spé pour comprendre cela, c’est la différence entre le joueur qui prend un billet de loterie à quelques euros avec de très faibles chances de gagner, mais il peut et il espère gagner gros et le joueur de poker qui joue gros avec une chance beaucoup plus élevée de gagner. La vie et la mort des humains sont gouvernées par des probabilités. Le raisonnement est identique, qu’il s’agisse de gains ou de pertes, de rester intact ou d’être handicapé. Les politiques qui n’ont pas compris cela doivent aller prendre des cours avec les spécialistes de la Française des jeux. ».
La répression des petites infractions réduit le nombre de tués sur la route
En huit ans, la vitesse moyenne sur les routes a baissé de 10% mais la réforme du permis à points adoptée le 7 février 2011 pourrait la faire augmenter de 1% à 2%. Or, 1% de réduction de la vitesse moyenne correspondent à 4% de mortalité en moins dans les modélisations de l’insécurité routière.
Une conclusion provisoire des analyses statistiques proposées par Claude Got reste très prudente sur ces statistiques : « Affirmer que la Lopssi 2 a tué est une affirmation grave, cela signifierait que ceux qui ont affaibli le permis à points sont soit des incompétents, soit des assassins, suivent leur niveau de compréhension de du risque d’un "mauvais signal" » dit-il par prévention mais il rajoute, en se basant sur les 438 derniers mois : « Si la Loppsi 2 a tué en tranquillisant les usagers qui craignaient pour leur permis, cet effet psychologique peut avoir des conséquences graves dès le mois de janvier 2011. Nous avons vu que les retournements de situations peuvent être rapides et très importants. La probabilité de se tromper sera d’autant plus faible que le nombre de décès sera important. ».
Pour bien comparer janvier 2011 à janvier 2010
Le mois de janvier 2010 avait été particulièrement bon pour la sécurité routière. S’il avait été moyen (comme les sept derniers mois de janvier), alors il y aurait eu 295 tués et pas 273 (0,074x3 994). C’est donc avec ces 295 tués théoriques qu’il faut comparer les 331 morts de janvier 2011, ce qui prouve une hausse sensible de 12% encore comme le montre cet autre graphique qui indique aussi l’effet d’une possible amnistie à la suite de l’élection présidentielle de 2007.
La raison de cette hausse n’est pas très claire : le mois de janvier 2010 avait connu un faible trafic en raison des nombreux jours de neige, alors que janvier 2011 a connu un trafic normal avec parfois de la pluie verglaçante peu prévisible. Si les jours de neige de janvier 2010 ont été pris en compte dans le réhaussage théorique (pour retrouver un mois de janvier moyen), nul doute que le verglas qui a surpris des automobilistes peut aussi apporter une part d’explication, parallèlement au mauvais signal émis par le Parlement.
Il est encore trop tôt pour connaître de façon indiscutable l’effet de l’assouplissement du permis à points : les statistiques des prochains mois donneront une indication pertinente et on sera fixé lorsque le nombre de tués au cours du premier trimestre de 2011 sera connu.
Conduire est un acte dangereux, la prudence s’impose
Dans tous les cas, il est clair que si les excès de vitesse sont maintenant largement sanctionnés, d’autres infractions graves restent toujours impunies et rendent la route encore très dangereuse, et la première d’entre elles est la distance de sécurité qui n’est jamais respectée, notamment par les poids lourds, cause de nombreux accidents. L’autre jamais sanctionnée et très accidentogène, notamment pour les motards, c’est l’absence de clignotant lors d’un changement de direction.
Il faut toujours se rappeler que le volant d’une automobile est comme un couteau : un objet létal qu’il faut manier avec la plus grande précaution.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (3 mars 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Analyse statistique du Pr. Claude Got avant de connaître les données de janvier 2011.
Analyse du Pr. Claude Got sur janvier 2011 (au 11 février 2011).
Des nouveaux moyens techniques pour sanctionner les infractions.
Aimez-vous les enfants ?
Les passages à niveaux.
Communiqué de Brice Hortefeux du 10 février 2011.
Le site officiel (sans mise à jour des données depuis 2009).
La neige sur les routes, que faire ?
(Les huit graphiques proviennent du site www.securite-routiere.org)
http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/trop-de-morts-sur-la-route-a-qui-88758
http://fr.news.yahoo.com/13/20110303/tot-trop-de-morts-sur-la-route-qui-la-fa-89f340e_1.html
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-266