La famine comme arme de guerre. Des images chocs pour mobiliser la générosité internationale. Une nécessité malgré le malaise et l’éthique ?
Le 15 janvier 1970 finissait l’une des guerres civiles les plus terribles de l’Afrique postcoloniale. Il est vrai que toutes les guerres sont terribles et d’autres, comme le conflit au Rwanda, seront également épouvantables. Plus d’un million de victimes dans un pays pourtant voué à s’enrichir grâce à ses ressources énergétiques.
Confrontations ethniques faussement requalifiées en guerres de religion, souvent encouragées de l’extérieur, mainmise des gisements en pétrole et en charbon, position géostratégique… Tout ce qui sera devenu banal par la suite était déjà présent dans la guerre du Biafra.
Guerre civile postcoloniale
De quoi s’agissait-il ? Du Nigeria, presque le double de la superficie de la France, qui fut sous domination coloniale britannique qui, jusqu’à l’indépendance le 1er octobre 1960, avait favorisé les Ibos (ethnie principalement chrétienne vivant au Sud) au détriment des Haoussas (principalement musulmans vivant au Nord) et des Yorubas (musulmans et chrétiens de l’Ouest).
Après une série de coups d’État et de fortes tensions ethniques (30 000 personnes auraient été massacrées en 1966), le gouverneur militaire de la région de l’Est, la région la plus riche car recouvrant la partie est du delta du fleuve Niger (pétrole, charbon), le colonel Odumegwu Emeka Ojukwu s’opposa à une partition fédérale qui désavantagerait les Ibos. Il proclama l’indépendance de sa région le 30 mai 1967, sous l’appellation de République du Biafra, le Biafra étant le nom du golfe au sud, sur la côte atlantique, et délimitée à l’ouest par le fleuve Niger et à l’est par la frontière camerounaise.
Commença alors le 6 juillet 1967 une longue guerre civile qui ensanglanta et affama le Nigeria.
Concrètement, la sécession du Nigeria, anglophone, fut vue par le général De Gaulle comme un moyen de réduire l’influence britannique en Afrique. Soutenant implicitement le Biafra, la cellule africaine de l'Élysée y envoya des mercenaires (notamment Bob Denard). Les mercenaires Roger Faulques, Rolf Steiner et Hank Warton ainsi que le poète Chris Okigbo ont eu ainsi un rôle essentiel au début de la guerre.
Les Biafrais envahirent la région à l’ouest du Delta pour conquérir l’ensemble des réserves en pétrole. Représentant 20% de la population totale du Nigeria (et 70% de la population biafraise), les Ibos furent également soutenus par les compagnies pétrolières alors que le gouvernement fédéral du Nigeria était soutenu par la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Union soviétique.
Parmi les soutiens politiques à la République du Biafra, par l’influence française, on retrouva Omar Bongo qui devint Président du Gabon le 2 décembre 1967 (il vient de mourir le 8 juin 2009), Félix Houphouët-Boigny (Président de la Côte d’Ivoire) et également d’autres pays africains comme la Tanzanie, la Zambie, l’Afrique du Sud et la Rhodésie. Le Portugal, l’Espagne et Israël également. Même le Vatican se rangea en fin 1968 du côté biafrais (sans doute pour soutenir le "camp chrétien").
C’est parce que les compagnies pétrolières (notamment Shell et BP) décidèrent qu’elles payeraient directement au gouvernement biafrais que le gouvernement nigérian a lancé une offensive pour récupérer les territoires de la République du Biafra. Les opérations militaires durèrent deux ans et demi. Finalement, les groupes pétroliers versèrent tous les royalties au Nigeria.
En 1968, une véritable guerre de positions eut lieu, rendant les populations civiles dans le plus grand dénuement, dans un étau entre l’armée biafraise (qui comptait 100 000 soldats) et l’armée nigériane (environ 120 000 soldats).
Les Nigérians reconquirent le sud de la région empêchant les Biafrais d’avoir accès à la mer. La grave famine qui sévit dans les camps de réfugiés (assiégés par l’armée nigériane) alarma la communauté internationale par une surmédiatisation du drame humanitaire (des sociétés de relations publiques furent même sollicitées par le gouvernement biafrais), ce qui engendra indignation et mobilisation.
Selon l’armée nigériane, l’envoi d’aide humanitaire aurait été l’occasion d’aider militairement les Biafrais.
Les troupes nigérianes récupérèrent l’ensemble du territoire biafrais et le gouvernement biafrais capitula le 12 janvier 1970. Les combats cessèrent le 15 janvier 1970. Le pays bénéficia de la croissance de la demande pétrolière pour prospérer après cette atroce guerre.
Le Président biafrais Ojukwu, qui avait fui quelques jours avant en Côte d’Ivoire, pourra ensuite revenir dans son pays en 1976 (après un pardon accordé par le gouvernement) et sera candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2003 (à l’âge de 70 ans).
Une guerre qui a été donc vraiment inutile et dont l’enjeu pétrolier était clairement identifié, même si Ojukwu, encore aujourd’hui, rejette cette motivation.
Parenthèse : quarante années après le retour à la paix, le Nigeria subit la maladie de son Président. Hospitalisé en Arabie saoudite (à Jeddah) pour une maladie cardiaque grave depuis le 23 novembre 2009, le Président Umaru Yar’Adua n’est en effet plus en état d’assumer ses fonctions. Le 14 janvier 2010, la Haute cour fédérale du Nigeria devait commencer à étudier à Abuja (la capitale) les possibilités d’un transfert de ses pouvoirs à son Vice-Président Goodluck Jonathan. Les décisions sont attendues à partir du 22 janvier 2010. Le vide du pouvoir avait engendré des manifestations de plusieurs milliers de personnes le 12 janvier 2010 au moment où l’Assemblée Nationale débattait de la santé d’Umaru Yar’Adua qui s’était toutefois exprimé le même jour dans une interview sur la BBC.
L’humanitaire en campagne médiatique
C’est donc à partir de 1968 que les premières campagnes d’appel à l’aide humanitaire furent lancées pour secourir les populations affamées. Les moyens étaient draconiens puisque les affiches montraient des enfants du Biafra mal nourris, squelettiques avec un ventre gonflé qui évoquaient amèrement les photos prises lors de la libération des camps d'extermination en 1945.
L’émotion, la tristesse, les sentiments passionnels étaient recherchés pour encourager la charité et la générosité.
C’est encore aujourd’hui une question qui, pour moi, est sans réponse. Faut-il utiliser l’émotion jusqu’à en faire de la propagande pour une juste cause ?
Le tsunami du 24 décembre 2004, maintenant le terrible tremblement de terre à Haïti du 12 janvier 2010, les multiples campagnes souvent annuelles pour différentes causes, comme la lutte contre la lèpre (il suffit de si peu d’argent pour soigner une personne), le cancer, le sida, le Téléthon, les campagnes médiatiques pour un sac de riz en Somalie, les multiples occasions de favoriser la générosité des gens plus chanceux (pas forcément plus riches), nécessitent et nécessiteront toujours l’emploi d’images fortes, l’emploi de visuels qui choquent, de symboles qui marquent, de photos qui dérangent dans le but de se secouer l’esprit.
Le risque, c’est la surenchère : quand le Sidaction veut concurrencer par exemple le Téléthon. Car il peut y avoir une réelle compétition entre plusieurs causes humanitaires.
Pour le cas du Biafra, il y avait urgence. Comme pour la population haïtienne aujourd’hui. Et dans l’urgence, on commet forcément des erreurs, on peut pécher par excès ou par omission.
On peut penser que la diffusion d’images difficiles, de scènes terribles ne fait que satisfaire un besoin universel de voyeurisme. Que ces images difficiles, que certains ont eu l’occasion de voir dans leur petite enfance, peuvent traumatiser. Mais elles permettent aussi de graver, de ne pas oublier. Elles permettent de réagir. Elles obligent à réagir. Elles peuvent parfois être sujettes à caution, être exercice de propagande (comme les charniers de Timisoara) mais elles réveillent et font réfléchir dans tous les cas.
Aujourd’hui, Haïti
Haïti, un autre Biafra ? Eh non justement ! Car la grande différence, c’est que la guerre du Biafra était largement évitable. Que toutes les parties (intérieures et extérieures) avaient tout intérêt à favoriser ce conflit pour des raisons ethniques, politiques, idéologiques (Ojukwu nourrissait un anticommunisme viscéral), religieuses et bien sûr économiques.
Alors que la catastrophe à Haïti n’est pas une catastrophe engendrée par l’homme, mais une catastrophe naturelle. Le vocabulaire est important : la Nature n’est pas forcément belle, n’est pas forcément "humaine". Le naturel n’est pas forcément la panacée.
Le désastre haïtien aurait-il pour autant été impossible à éviter ? Je ne sais pas. Aucun signal avant-coureur n’avait été détecté avant la secousse de magnitude 7,3. Donc, aucune possibilité de prévenir les populations, et même si elles avaient été prévenues, qu’auraient-elles pu faire ? Quitter l’île ? Pour aller où et comment ?
L’heure est à l’urgence, pour sauver le plus de vies possible. Puis l’heure sera à la reconstruction. Et à ce moment-là, il devient impératif que les habitants de Haïti se dotent de constructions antisismiques. Comme au Japon. Il est indispensable que la communauté internationale, d’une manière ou d’une autre, puisse aider les Haïtiens dans cette perspective. Car tout porte à croire que d’autres secousses de grande ampleur seront encore à prévoir dans les années ou décennies qui viennent dans cette zone extrêmement sensible.
Biafra, Haïti… deux drames humanitaires totalement différents, mais qui ont des conséquences humaines identiques et considérables : rien ne sera inutile pour favoriser l’arrivée de nouvelles aides et de nouveaux secours.
Pour aller plus loin :
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/il-y-a-40-ans-le-premier-drame-68201
http://www.lepost.fr/article/2010/01/15/1888799_il-y-a-40-ans-le-premier-drame-humanitaire-mediatise-se-terminait-le-biafra.html
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-119
http://www.centpapiers.com/il-y-a-40-ans-le-premier-drame-humanitaire-mediatise-se-terminait-le-biafra/11248/