Le succès de la coalition rose et verte aux élections régionales a sorti un peu de l’anonymat un homme qui va sans doute prendre une importance politique considérable.
Jean-Vincent Placé
Il s’agit de Jean-Vincent Placé, 42 ans, secrétaire national adjoint des Verts (autrement dit, numéro deux) et "négociateur électoral" depuis 2004, qui vient d’être bombardé le 26 mars 2010 par Jean-Paul Huchon 2e vice-président du Conseil régional d’Île-de-France chargé des transports et des mobilités, l’un des thèmes phares de la campagne électorale.
D’origine sud-coréenne et enfant adopté, Jean-Vincent Placé a fait ses premiers pas en politique à l’ombre de Michel Crépeau, ancien Ministre de l’Environnement et l’un des leaders des radicaux de gauche. Jean-Vincent Placé quitte sa formation politique à la mort soudaine de Michel Crépeau et rejoint les Verts en 2001.
Rejetant tant le marxisme que le libéralisme (les deux étant productivistes), il est pour l’autonomie totale des écologistes vis-à-vis des socialistes. Il échoue dans cette idée en mars 2004 qui voit un accord à gauche pour des listes d’union aux élections régionales. C’est lui qui négocie cependant la composition des listes. Il se fait élire conseiller régional d’Île-de-France dans la majorité de Jean-Paul Huchon.
En 2007, favorable à l’autonomie des Verts aux législatives malgré la très faible performance de leur candidate Dominique Voynet à l’élection présidentielle (1,6%), il refuse ainsi la proposition du PS de lui céder la 5e circonscription de l’Essonne où Ségolène Royal avait devancé Nicolas Sarkozy au second tour (finalement, c’est le député UMP sortant, Pierre Lasbordes, qui est réélu de justesse avec 50,3%).
Il a participé à la composition des listes Europe Écologie aux européennes de juin 2009 et aux régionales de mars 2010.
Objectif : gouverner dans deux ans
Invité de l’émission "C dans l’air" sur France 5 le 1er avril 2010, joliment intitulée "Grenelle : la vacance de monsieur Hulot", Jean-Vincent Placé, l’air de rien et d’un naturel très sympathique, a montré qu’il allait être rudement exigeant avec les socialistes pour les deux prochaines années.
L’objectif, évidemment, c’est la victoire du candidat socialiste à l’élection présidentielle d’avril et mai 2012 et un accord de gouvernement entre PS et Europe Écologie pour les législatives de juin 2012.
Actuellement, il est assez clair qu’il y a un clivage entre deux positions, et ce clivage stratégique pourrait avoir des conséquences sur la cohésion de ce mouvement écologiste assez hétéroclite qui rassemble à la fois des gauchistes et des écologistes complètement indépendants (que certains diraient "de droite").
Il y a d’abord la ligne Cohn-Bendit.
Ligne mariage fusionnel avec les socialistes
Daniel Cohn-Bendit est un personnage atypique qui apporte de l’oxygène dans la vie politique française. On l’a vu dans son récent débat avec Ségolène Royal. C’est un bon "accoucheur" de propositions constructives. Il provoque, il titille, il impulse la réflexion et en ce sens, c’est toujours positif.
Daniel Cohn-Bendit ne peut pas être candidat à l’élection présidentielle car il est citoyen allemand. Rien, a priori, ne devrait l’empêcher de prendre la nationalité française mais ne connaissant pas sa situation personnelle, je ne m’étendrai pas sur le sujet sinon pour prendre acte que Daniel Cohn-Bendit me paraît surtout ne pas "vouloir" être candidat (Il déclare en effet dans "Libération" : « Pour être candidat à la présidentielle, il faut se cogner une centaine de meetings et développer des idées pour la France et pour le monde. Il faut le vouloir. Il faut savoir si Eva le veut, si Cécile le veut. Moi non »). Il croit aussi au parlementarisme. Pourtant, une candidature Cohn-Bendit pourrait détonner dans le paysage politique français.
Donc, Daniel Cohn-Bendit n’a a priori aucune arrière-pensée d’ambition personnelle. C’est suffisamment rare pour le noter.
Son idée, c’est de renforcer les écologistes pour qu’ils puissent avoir un groupe à l’Assemblée Nationale. Sa méthode : ne pas présenter de candidat à l’élection présidentielle et négocier une cinquantaine de circonscriptions gagnables par les écologistes. Avec un bon rapport de forces : 12,2% (EE) contre 29,1% (PS) soit un peu plus de 1/3 2/3.
Concrètement, cela signifierait que Europe Écologie pourrait participer à la primaire du Parti socialiste qui va désigner le candidat à l’élection présidentielle. Comme l’imagine l’éditorialiste Christophe Barbier, lui aussi invité d’Yves Calvi, les Verts pourraient ainsi peser en donnant un rapport de forces au cours de la primaire, pour "verdir" la gauche.
Comme les socialistes semblent avoir déconnecter les élections législatives de l’élection présidentielle dans leurs négociations avec les écologistes, une candidature écologiste paraît donc très certaine, même encouragée par des éléphants comme Laurent Fabius qui craint que sinon, l’espace écologiste soit occupé par d’autres candidats écologistes "de droite" (comme Corinne Lepage).
Daniel Cohn-Bendit va maintenant essayer d’encourager la candidature d’Eva Joly (députée européenne) pour éviter la candidature de Cécile Duflot qu’il juge paradoxalement trop axée à gauche (pourtant, Eva Joly n’a aucune chance de faire un bon score à l’élection présidentielle, peu connue, avec une grande inexpérience politique et peu susceptible d’incarner le renouveau à 68 ans).
L’autre ligne, c’est la ligne d’indépendance.
Ligne partenariat distant avec les socialistes
Elle est suivie par Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts, qui a déjà exprimé son désaccord avec Daniel Cohn-Bendit sur le sujet. C’est aussi la ligne que défend pleinement Jean-Vincent Placé.
Et que dit Jean-Vincent Placé ? Que Daniel Cohn-Bendit est bien sympathique, mais il raisonne comme s’il était en Allemagne. Lui aussi, Jean-Vincent Placé, il aimerait que la France soit un régime parlementaire où le Premier Ministre aurait tous les pouvoirs, mais il est réaliste. Il a intégré que Ve République est un régime semi-présidentiel et que le Président de la République est la clef de voûte des institutions.
Par conséquent, il est impensable qu’une force politique importante ne soit pas présente à l’élection présidentielle qui remet toutes les choses à plat pour cinq ans.
Certes, la négociation avec les socialistes pour les législatives pourraient être moins facile qu’avec le rapport de force des régionales (un tiers/deux tiers). En 2007, le rapport de force était Dominique Voynet 1,6% face à Ségolène Royal 25,9% soit un rapport encore plus faible qu’un écologiste pour quinze socialistes.
Cela signifierait qu’il faut que les écologistes présentent une personnalité qui ne fasse pas 1 ou 2% mais capable d’aller jusqu’à 10% ou plus encore. Jean-Vincent Placé n’a pas donné de nom mais il apparaît désormais de plus en plus évident que la candidature de Cécile Duflot va "naturellement" s’imposer dans les prochains mois. Cécile Duflot a notamment incarné le succès des écologistes aux européennes et aux régionales. L’ambition de Jean-Vincent Placé n’est pas mince puisqu’à terme, il a pour but l’élection d’un écologiste à l’Élysée (pour l’instant, aucune personnalité politique n’a osé sérieusement affirmer un tel but).
Jean-Vincent Placé estime que la démarche de Daniel Cohn-Bendit (quémander des postes de député au grand frère socialiste) ne serait valable que si les écologistes se sentaient petits. Or, il a l’ambition que Europe Écologie soit un grand parti.
Les arguments pour présenter un candidat écologiste à l’élection présidentielle ne lui manquent donc pas : occuper le terrain de l’écologie politique pour éviter sa récupération par d’autres candidats, nécessité mécanique des institutions actuelles, démocratie (quoi de plus démocratique que d’aller devant les électeurs au lieu de contracter des accords entre partis dans leur dos ?), ne pas se sentir faible (le mouvement écologiste est une force, il ne doit pas avoir peur du suffrage universel) et aussi, argument intéressant et finalement, assez novateur, une candidature permettrait de "s’améliorer", d’améliorer les positions écologistes, affiner leur programme, renforcer leur cohérence politique.
Ce dernier argument est utile : autour d’une candidature présidentielle, tout un mouvement se crée, pas seulement sur un projet présidentiel, mais aussi sur une dynamique humaine qui agrège une partie de la population autour du candidat (la candidature de François Bayrou en 2007 suivie du MoDem l’a amplement démontré).
Une grande ambition
Le regard malicieux, Jean-Vincent Placé a presque donné ses conditions pour conclure un accord de gouvernement avec le PS : un Président de la République socialiste (ou une Présidente) et un Premier Ministre… écologiste. L’ambition est forte. Fini de confiner les écologistes au perpétuel poste du Ministre de l’Environnement (Brice Lalonde, Dominique Voynet, Yves Cochet). À eux aussi le quai d’Orsay, Bercy, le Ministère de la Défense, ou place Beauvau. Bref, les écologistes ont, selon lui, vocation à diriger les principaux ministères pour influer réellement sur le cours des choses. « Nous n’avons pas de petite ambition. ça ne vous a pas échappé. » a-t-il ajouté.
C’est vrai que beaucoup entrevoient le risque, avec une candidature écologiste, de reproduire la situation de 2002 avec un FN au second tour. Pour Jean-Vincent Placé, qui a bien compris que c’est désormais l’argument choc du PS pour se rassembler derrière lui dès le premier tour, ces élections régionales 2010 ont au contraire éliminé la phobie du 21 avril 2002 : la démonstration a été faite, les 14 et 21 mars 2010, que les écologistes pouvaient être forts et les socialistes aussi, et qu’ensemble, il pouvait y avoir une dynamique de second tour. Tout le contraire des élections européennes du 7 juin 2009 où Europe Écologie a été très fort (16,3%) mais avec un PS qui s’est effondré (16,5%) car Europe Écologie prenait des voix au PS. Aux régionales, visiblement, EE a pris des voix ailleurs (chez les centristes ?).
Jean-Vincent Placé va donc être un négociateur coriace pour les socialistes, et il est assez probable que les critères du succès présidentiel du prochain candidat socialiste aient un rapport avec sa capacité à entretenir avec ses alliés écologistes des relations franches et fermes mais aussi respectueuse et équitables.
Europe Écologie, plus malin que le MoDem ?
Sans doute Europe Écologie est sur le point de concrétiser le rêve qu’avait eu le MoDem il n’y a pas si longtemps. À la différence près qu’avec des dirigeants comme Jean-Vincent Placé, les écologistes adaptent leur stratégie électorale aux institutions et au principe de la Ve République, une contrainte qu’avait évacuée François Bayrou de sa feuille de route le 3 mai 2007… ce qui lui aura été fatal.
L’avenir dira si la ligne indépendantiste (qui sera probablement adoptée par les écologistes) aura eu raison ou pas de Daniel Cohn-Bendit.
Pour aller plus loin :