Publié le vendredi 7 mai 2010 dans la revue scientifique anglophone de référence "Science" (à télécharger ici), un article de treize pages bouleverse un peu le sens commun que nous avions à propos de nos origines. "Nos", celles de l’Homo sapiens que nous sommes tous, êtres humains sur Terre de cette année 2010.
Il correspond à l’une des étapes du séquençage du génome de l’Homme de Néandertal, être qui est apparu sur Terre il y a environ 400 000 ans. Elle consistait à le comparer au génome de l’homme moderne pour y déceler d’éventuels points communs.
Pour cela, ils ont analysé le génome de cinq hommes modernes, répartis dans le Monde : un de France (de type européen), un de Chine (d’ethnie Han), un de Papouasie-Nouvelle-Guinée et deux d’Afrique subsaharienne, Afrique du Sud (San) et Afrique de l’Ouest (Yoruba).
Une analyse techniquement exceptionnelle
Techniquement, l’affaire n’était pas évidente. L’étude a eu lieu à l’Institut Max Planck de Leipzig sous la direction du spécialiste des analyses d’ADN ancien, le Suédois Svante Pääbo aidé d’une équipe internationale d’une soixantaine de chercheurs (américains, allemands, espagnols, croates, irlandais, russes, britanniques).
Le génome néandertalien a été analysé à 60% (il est composé de 4 milliards de nucléotides) sur 500 grammes d’os prélevés auprès de trois Néandertaliennes découvertes dans la grotte de Vindija, en Croatie (où elles auraient vécu entre il y a 44 000 et 38 000 ans). Quelques autres tests ont été réalisés sur des échantillons issus de trois autres sites (El Sidron, en Espagne, vallée de Neander, en Allemagne, et Mezmaiskaya, dans le Caucase russe).
Les premiers résultats qui viennent d’être publiés ont de quoi révolutionner ce qui était jusque là un petit mystère.
Une part commune du patrimoine génétique
En effet, sur le génome de trois des cinq hommes modernes analysés, les scientifiques ont retrouvé entre 1 et 4% de patrimoine génétique commun au Néandertalien. Ce qui signifie qu’il y aurait bien eu croisement entre l’Homo sapiens et le Néandertalien.
Cette idée pourrait donner une explication au mystère jamais éclairci de la disparition des Néandertaliens alors que leur civilisation était aussi évoluée que celle de l’Homo sapiens. Les deux hominidés ont dû cohabiter pendant plusieurs dizaines de milliers d’années, environ entre il y a 80 000 ans (à partir du Moyen-Orient) et 30 000 ans (on remonte à il y a 30 000 ou 25 000 ans l’extinction des Néandertaliens).
Toutes les hypothèses avaient été imaginées mais n’ont jamais vraiment convaincu. Une exposition au Musée de l’Homme avait eu lieu en fin 2006 sur ce thème très intéressant au Trocadéro (avant qu’il ne soit transféré au Musée des Arts Premiers quai Branly, futur "Musée Chirac" sans doute).
En rendant crédible, par des analyses ADN, le croisement entre des Néandertaliens et des Homo sapiens, le mystère diminue. Le métissage aurait ainsi permis de favoriser l’un des deux groupes assez naturellement et assez progressivement sans qu’une cause singulière (épidémie, guerre, catastrophe naturelle) n’en fût à l’origine.
Les Africains exclus du métissage ?
La deuxième information essentielle de cet article, et qui va sans doute engendrer bien des polémiques idéologiques, c’est que le génome des deux Africains n’ont aucun point commun avec celui des Néandertaliens, au contraire de ses "homologues" eurasiens.
Cela signifierait que si croisement il y avait, il aurait commencé à avoir eu lieu au début de la migration de l’Homo sapiens de l’Afrique (Kenya) vers l’Eurasie (via le Moyen-Orient), c’est-à-dire entre il y a 80 000 et 60 000 ans (pour l’Asie de l’Est). Ou le contraire, selon Silvana Condemi, paléoanthropologue de l’Université de Marseille, qui parle plutôt d’une migration des Néandertaliens d’Europe vers le Moyen-Orient (qui seraient arrivés au Moyen-Orient après l’Homo sapiens).
L’archéologue français Pascal Depaepe rappelle que les Néandertaliens et les Homo sapiens « avaient la même technologie lithique, le moustérien, et rien ne permettait de les distinguer d’un point de vue culturel, alors que leurs différences anatomiques sont évidentes ».
La grande proximité des trois génomes analysés sur les trois hommes modernes eurasiens (allant de l’Europe de l’Ouest à l’Asie de l’Est) montrerait aussi l’absence de métissage entre Cro-Magnons et Néandertaliens qui ont cohabité en Europe pendant dix mille ans. D’autres pensent que la migration des paysans du Néolithique allant de l’Asie mineure à l’Europe de l’Ouest entre il y a 7 000 et 4 000 ans aurait pu "gommer" les différences génétiques entre les deux extrêmes de l’Eurasie, ce qui n’exclurait donc pas un métissage entre Cro-Magnons et Néandertaliens (d’un point de vue anatomique, l’observation des fossiles infirmerait l’hypothèse du métissage).
Ce qui nous distingue des Néandertaliens
Dernier résultat passionnant, la comparaison génétique entre Néandertaliens et Homo sapiens donne aussi, a contrario, une idée de ce qui les distingue. Les grandes différences ont un rapport avec les capacités cognitives, le métabolisme énergétique, la morphologie du crâne, de la clavicule et de la cage thoracique, l’apparence de la peau et la cicatrisation. Ces gènes différents sont par exemple impliqués dans la schizophrénie, l’autisme et la trisomie 21.
Théories raciales
Revenons sur la différence de résultats entre Africains et non-Africains.
Cette conclusion, si elle était confirmée, ferait sans doute couler beaucoup d’encre. En effet, dire que les Africains n’ont pas d’aïeuls néandertaliens au contraire des autres peuples du Monde qui, eux, seraient le résultat d’un mélange génétique entre les Néandertaliens et les Homo sapiens, cela pourrait conforter les thèses raciales.
Je rappelle que le principe du racisme n’est pas seulement de dire qu’il y a une race humaine supérieure ou inférieure à une autre. Il est avant tout de proclamer qu’il existe plusieurs races humaines.
Or, en différenciant de façon génétique (et un peu rapidement, j’y reviens juste après) deux groupes humains, Africains et non-Africains, par leur origines généalogiques, l’un Homo sapiens "pur" et l’autre métissé de sang néandertalien, on peut renforcer les thèses des théories raciales.
Car si les Néandertaliens et les Homo sapiens ne constituent pas deux espèces différentes (il faut entre autres que les êtres issus d’une procréation commune ne soient pas stériles, ce qui serait le cas si l’on en juge par cette étude), ils pourraient bien constituer, pour le coup, deux races d’hominidés différentes.
Les plus "ouverts" pourraient même se réjouir que ce soient les Africains les plus "purs" mais quel que soit le sens du métissage, cette conclusion me paraît pour le moins étrange, imprudente et un peu rapide.
Effectivement, même si ce métissage avait effectivement eu lieu en Eurasie au début des migrations de l’Homo sapiens, il serait très étonnant qu’en 60 000 ans de distance, il n’y ait pas eu de métissage entre populations africaines et eurasiennes.
Il est vrai que les échanges mondialisés (culturels, commerciaux, guerriers) ont souvent exclu l’Afrique jusqu’au XVe siècle, mais notamment en Afrique du Nord (à l’époque antique) ou sur les côtes est de l’Afrique, il serait étonnant qu’aucun "croisement" n’eût pu redonner aux Africains un résidu génétique des Néandertaliens.
De plus, si on reprend la méthodologie de l’étude, elle paraît pour le moins contestable vu le très faible échantillonnage réalisé (pour des raisons budgétaires). Si découvrir des gènes communs au Néandertalien permet de conclure, ne pas en trouver ne peut pas amener à conclure que toute une population n’en a pas.
C’est cette erreur de logique qui, pourtant, semble avoir été faite dans cet article scientifique par ailleurs très instructif et rédigé prudemment. Car limiter à deux individus l’échantillonnage de l’Afrique, c’est un peu court, notamment pour délimiter géographiquement cette "Afrique non néandertalisée". Du sud du Sahara jusqu’à sa pointe sud ?
André Langaney, généticien de l’Université de Genève, le concède : « Avant de faire la distinction entre Africains et non-Africains dans leurs relations avec Neandertal, il s’agirait d’augmenter le nombre d’humains analysés. ». Et Laurent Excoffier, généticien de l’Université de Berne, d’ajouter : « Et y inclure des représentants de l’Afrique de l’Est. ». La différence entre Africains et non-Africains pourrait en effet avoir d’autres raisons que le métissage (ou pas) avec les Néandertaliens.
Todd Disotelle, anthropologue de l’Université de New York, le dit tout aussi clairement : « Mon hypothèse est que, si nous faisons des tests sur davantage d’Africains, nous trouverons certaines de ces anciennes origines en Afrique », notamment en Afrique du Nord.
Prudence dans les conclusions spéculatives
La prudence reste de mise lorsqu’il s’agit de conclure sur quelques cas (trois Néandertaliens et cinq hommes modernes). Christoph Zollikofer, anthropologue de l’Université de Zurich, est même plus sévère : « Les interprétations des scientifiques liées à la présence ou à l’absence de certains gènes sont très spéculatives, voire parfois erronées. Cela peut s’expliquer par le fait que ces chercheurs sont avant tout des généticiens, pas des anthropologues. Cela dit, il y a des chances qu’on en apprenne plus dans la décennie à venir. ».
Évelyne Heyer, spécialiste d’anthropologie génétique du Muséum d’histoire naturelle à Paris, insiste elle aussi sur la prudence à apporter à ces travaux qu’elle considère par ailleurs comme exceptionnels (« Si quelqu’un avait prétendu il y a dix ans pouvoir le faire, personne ne l’aurait cru. C’est un travail génial, magique, qu’ont réalisé Svante et son équipe. ») : « Même si cette première est formidable, il faut prendre les hypothèses émises par ces chercheurs avec prudence. Certains aspects techniques, comme la longueur des fragments d’ADN analysés, sont à mon avis un peu "légers". Donc, toutes les conclusions sur les différences ou ressemblances entre Néandertal et l’homme moderne n’ont pas toutes la même valeur. Il faudra que d’autres analyses du même type soient faites, peut-être par d’autres approches, pour vraiment y voir clair. ».
Motivation cachée ?
À moins qu’il n’y ait une explication un peu plus terre-à-terre qui ne fait pas partie des habitudes scientifiques françaises mais très utilisée en particulier dans le monde anglo-saxon : que cette conclusion un peu rapide ait été annoncée à la presse pour recevoir un écho médiatique très élevé au moment même où l’équipe (le Neandertal Genome Analysis Consortium) fait un appel de fonds pour poursuivre ses études.
Serait-ce une sorte de "leurre du scoop scientifique" qui, par la mousse médiatique provoquée par cette double information (croisement entre Homo sapiens et Néandertalien et Africains non croisés), porterait l’intérêt de poursuivre cette recherche ? En réalité, cet article dans "Science" est loin d’être un leurre, et pouvoir fournir des résultats sur l’ADN d’il y a 40 000 ans relève avant tout de l’exploit scientifique.
La critique aurait pu être également exprimée lors de la communication très médiatisée, le 17 février 2010, de Zahi Hawass, le très visible directeur des Antiquités égyptiennes, sur l’analyse ADN de plusieurs momies afin de retrouver celle d’Akhenaton et éventuellement, celle de Néfertiti. Les conclusions paraissaient un peu trop avancées par rapport au contenu concret de l’étude, mais avaient aussi pour but la recherche de fonds.
Résultats passionnants
Dans tous les cas, ces résultats sont passionnants.
J’avais appris à l’école en sixième que les êtres humains provenaient de l’Homme de Néandertal. J’ai compris vite après le baccalauréat que cette idée était remise en cause et que c’était beaucoup plus compliqué (chaque nouvelle découverte d’hominidé semble apporter un nouveau groupe, une nouvelle espèce disparue). Il y a deux ans encore, ces mêmes scientifiques avaient justement exclu tout croisement génétique entre les deux groupes. Maintenant, on revient sur ce qu’on avait imaginé il y a plusieurs décennies par simple supposition.
Entre le certain et l’hypothétique
La science bouge. Il faut donc rester prudent dans les conclusions.
Et ne surtout pas en profiter pour y mêler l’idéologie. La science est une discipline humble et désintéressée, capable de revenir sur ses premières impressions, et qui prouve factuellement tout ce qu’elle avance.
Pour Laura Zahn, rédactrice en chef associée de la revue "Science", cet article va alimenter la discussion entre anthropologues et généticiens pour longtemps.
Ce que l’auteur principal de l’article, Richard Green, biologiste à l’Université de Californie, confirme : « Le décodage du génome de l’Homme de Néandertal est une mine d’informations sur l’évolution humaine récente et sera exploitée durant les années à venir. ».
Le doute est toujours permis, et c’est pour cela que les conclusions doivent toujours rester prudentes dans leur formulation.
Au moins vis-à-vis du grand public, a priori peu au fait des méthodes scientifiques.
Pour aller plus loin :