Crime de lèse-modem : supputer sur un éventuel rapprochement avec le pouvoir sarkozyste. Pourtant, aucune autre voie n’est permise à François Bayrou, sous peine d’une marginalisation définitive qui anéantirait avec lui le centrisme politique en France.
Les trois sont des personnages ambitieux, égocentrés et tenaces. Les trois sont arrivés finalement à remplacer une génération politique qui occupa le devant de la scène depuis le début des années 1970. Il était temps, nous pourrions dire.
Et pourtant, dans les perspectives, que ce soit dans les sondages ou dans les élections intermédiaires (on appelle "élections intermédiaires" toutes les élections se déroulant entre deux élections présidentielles), ces trois personnages sont les plus en difficulté pour 2012 : la cote de Nicolas Sarkozy est au plus bas (mais rappelez-vous celle de François Mitterrand en 1986 ou de Jacques Chirac en 1993), Ségolène Royal est décidément bien en peine à s’imposer au sein du Parti socialiste (au point d’envisager de renoncer) et François Bayrou a du mal à faire cohabiter les 18% du premier tour de 2007 avec les petits 4% des dernières "élections intermédiaires".
Rumeurs ?
Depuis le début du mois de juin, la rumeur court selon laquelle François Bayrou reviendrait auprès de ses anciens amis du centre droit. Des journaux comme "Le Point" et "Libération" en ont fait leurs croustillantes nouvelles mais même des militantes fidèles du MoDem y croient jusqu’à imaginer son improbable nomination à Matignon par Nicolas Sarkozy dès l’automne prochain.
En fait, ce n’est pas vraiment une rumeur. Cela paraît plutôt une décision logique. Et surtout salutaire. Il ne reste même plus deux ans au leader centriste pour changer l’actuelle donne politique qu’il subit et qui, demain, risquerait de l’envoyer aux oubliettes de l’histoire.
Des démentis en guise de confirmation…
La rumeur a certes été démentie officiellement, sur le site du MoDem. Un démenti réaffirmé par François Bayrou lui-même le 8 janvier 2010 dans une réaction au blog de Jean-François Kahn, son ancien candidat aux élections européennes pour le Grand Est, et qui en profite d’ailleurs pour préférer les mots "démocrate" et "républicain" à l’inconsistant "centriste" (il n’a pas tort).
Mais c’est un peu normal : tant que rien n’est finalisé, on dément toujours. L’éviction de Xavier Darcos et son remplacement par Éric Woerth avaient par exemple été démentis avec vigueur quelques jours avant les élections régionales.
De même, comment ne pas perdre la face sans démentir un changement de cap ? Même François Mitterrand et ses socialistes avaient toujours refusé de parler de changement de cap lors de la mise en place de l’austérité et de l’acceptation des règles de base de l’économie de marché en juin 1982 puis mars 1983, tout en se revendiquant toujours socialistes (le PS en est toujours à ce problème de discours).
Stabilité stratégique et fuzzy logic
Officiellement, François Bayrou n’a jamais eu de changement de cap depuis 2002 et a toujours prôné l’indépendance des centristes vis-à-vis de tous les partis.
Cette indépendance est la conséquence directe d'une réflexion qu'il a rappelée assez clairement dans le blog de Jean-François Kahn (cité plus haut) : « Cette ouverture, au sens propre du terme, elle se nourrit de la certitude que bien des courants, aujourd’hui au PS, ou à l’UMP, partagent l’essentiel des valeurs que nous défendons. Simplement nous savons bien, il suffit d’ouvrir les yeux pour le constater, que chacun de ces courants est minoritaire dans son camp, et donc au bout du compte sans influence. C’est un courant majoritaire dans la société française, dont chacun des tronçons est minoritaire dans son propre camp. Il y a donc à défendre sa cohérence une nécessité stratégique autant que morale et intellectuelle. ».
En pratique, les députés proches de François Bayrou (UDF à l’époque) ont tous été élus en juin 2002 dans une alliance électorale avec l’UMP. Mais revirement : une partie des députés UDF (onze dont François Bayrou sur les vingt-neuf que compte le groupe UDF) vont jusqu’à voter une motion de censure le 16 mai 2006 contre le gouvernement UMP de Dominique de Villepin.
Pendant la campagne présidentielle de 2007, toujours indépendance, mais entre les deux tours, François Bayrou rompt cette "neutralité" (qui est la conséquence logique de l’indépendance quand on n’est plus candidat) en déclarant qu’il ne voterait en aucun cas par Nicolas Sarkozy au second tour le 6 mai 2007.
Avec la création du MoDem, retour à l’indépendance pour les élections législatives de juin 2007, au point de se prendre un sérieux revers et surtout, éloignement de la plupart des parlementaires bayrouïstes attachés à une alliance électorale avec l’UMP (on peut comprendre pourquoi). Même François Bayrou a été élu député au second tour après le désistement imposé par Nicolas Sarkozy au candidat UMP (placé en troisième position et capable de se maintenir au second tour).
Pour les municipales de mars 2008, la ligne de François Bayrou était un condensé des lignes sur plusieurs années, mais au même moment : indépendance totale (avec l’échec au bout des urnes sauf dans le cas où les candidats étaient des élus sortants de bonne notoriété), alliance au premier ou au second tour avec l’UMP (comme à Bordeaux), ou encore alliance au premier ou au second tour avec le Parti socialiste (comme à Grenoble, à Lille etc.) jusqu’à dresser des listes où se trouvent des candidats MoDem aux côtés de candidats communistes ! Grâce à cette brouillonne stratégie ("au cas par cas dans chaque commune"), le MoDem a réussi à garder le même nombre d’élus municipaux, environ deux milliers sauf erreur de ma part, que l’UDF en mars 2001, ce qui, d’un point de vue quantitatif, est un succès mais d’un point de vue politique, une faute très lourde pour la visibilité du MoDem (Lyon aura été le comble de cette stratégie jusqu’à n’avoir plus aucune liste en raison des forces pro-UMP et pro-PS).
Après l’indépendance de nouveau prônée aux élections européennes de juin 2009 (à juste titre en raison du mode de scrutin), la fin de l’été 2009 se termine sur un meeting commun avec le PS, les Verts et l’ancien candidat communiste à l’élection présidentielle Robert Hue !
Ce virage à gauche (toujours décrit comme la continuation de l’indépendance) n’a pas franchement été un succès à cause du refus de Martine Aubry, la première secrétaire du PS qui a profité pourtant de l’alliance PS-MoDem chez elle à Lille, d’imaginer une ouverture au centre : son esprit s’est plutôt tourné vers Europe Écologie et le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon allié aux communistes.
L’effondrement du MoDem aux élections régionales de mars 2010 n’est venu que conclure un débat interne depuis la fin de l’été 2009 où des hypothèses de listes communes MoDem et PS avaient été sérieusement posées (mais rejetées poliment par les socialistes). La tactique des municipales de 2008 n’a pas pu être renouvelée.
Quel "positionnement" aujourd’hui ?
Aujourd’hui, la stratégie de François Bayrou est pourtant assez claire et assez simple.
Trois voies s’offrent à lui et à son mouvement, le MoDem, pour les deux années qui viennent : l’indépendance totale (version législatives 2007), le rapprochement vers la gauche (version municipales 2008) ou le rapprochement vers la droite (version législatives 2002).
1. La première voie (l’indépendance) a montré que c’était une erreur électorale grave qui n’a pu se concevoir que par l’élection présidentielle : un homme (seul) est élu à l’Élysée, et par son élection, tout devient possible (comme disait un concurrent).
Sauf que l’homme n’a pas été élu en 2007. Par conséquent, en n’étant pas en position de force, peu suivi des électeurs (parfois, quand même, suivi, comme en Aquitaine derrière Jean Lassalle par exemple, en mars 2010), François Bayrou ne peut pas se permettre d’être indépendant sans tomber dans la marginalisation (comme c’est le cas du Front national par exemple).
Le refus d’alliance, s’il est normal pour le FN compte tenu de ses thèmes de campagne, est paradoxalement bien étrange pour le MoDem : comment vouloir réunir la gauche et la droite en refusant systématiquement toute alliance, même avec ses anciens amis centristes ? Une interrogation que j’avais exprimée dès juin 2007.
2. La seconde voie est l’alliance vers la gauche. Ségolène Royal, entre deux déclarations contradictoires, semble apparemment favorable à une telle alliance, histoire de phagocyter ce qu’il reste de centrisme indépendant dans une machinerie vaguement socialiste. Sauf que Ségolène Royal n’a aucun pouvoir sur le PS. Et en plus, elle n’y est plus très populaire (au contraire de la situation en automne 2006).
Il est sûr que les centristes les plus idéalistes ont rêvé de cette alliance entre la démocratie-chrétienne version française ("démocrates sociaux") et les socio-démocrates version française (socialistes de la seconde gauche, genre Michel Rocard ou Jacques Delors). Je me souviens en décembre 1994 du nombre de centristes (dits de droite à l’époque) déçus du renoncement de Jacques Delors pour l’élection présidentielle de 1995 et un peu gênés de devoir départager deux candidats du RPR (Édouard Balladur et Jacques Chirac). Je me souviens encore des tentatives maladroites d’un groupe autonome à l’Assemblée Nationale, l’Union du Centre (UDC), en juin 1988, avec l’échec d’une ouverture entre Michel Rocard et Pierre Méhaignerie (à l’époque, deux centristes avaient été débauchés sans négociation : Jean-Marie Rausch, alors président du Conseil régional de Lorraine et maire de Metz, et le barriste prometteur, Bruno Durieux).
Aujourd’hui, la perspective de ces mêmes centristes (ou de leurs héritiers) serait une alliance entre François Bayrou et Dominique Strauss-Kahn. Le problème, c’est que si Dominique Strauss-Kahn était candidat, ce serait avec un zèle de fidélité aux dogmes du Parti socialiste (DSK a d’ailleurs toujours confirmé sa loyauté au PS pour couper court à toutes les supputations sur son éventuelle tentation centriste).
Mais aujourd’hui, le PS, c’est-à-dire Martine Aubry, en alliance avec l’aile gauche du PS, Laurent Fabius, Henri Emmanuelli et son poulain, Benoît Hamon, s’est engagé dans une stratégie très claire "à gauche toute", dans une coopération/rivalité avec Europe Écologie et avec la coalition PG-PCF (Mélenchon/communistes). Rien pour le centrisme, impression d’autant plus confirmée que le centrisme indépendant version MoDem ne vaut plus que 4% à la bourse électorale.
L’incapacité du MoDem a convaincre la gauche de l’utilité d’une alliance avec lui aboutit donc à la troisième et seule voie salutaire (on tombe de haut lorsqu’on se rappelle l’ambition de François Bayrou de remplacer le PS par le MoDem dans la vie politique).
3. Cette troisième possibilité, c’est la coopération sur la droite, à savoir avec l’UMP, le Nouveau centre (et tous les petits mouvements centristes qui furent la conséquence de l’explosion de l’UDF en mai 2007).
Rapprochement vers la majorité présidentielle
D’un point de vue historique, c’est assez naturel : l’UDF a été partie prenante d’une alliance électorale et gouvernementale avec les gaullistes et les libéraux pendant une trentaine d’années (ou quarantaine d’années si on remonte jusqu’au CDP pompidolien de Jacques Barrot et Pierre Méhaignerie). Jusqu’à se hisser à un groupe de 215 députés UDF (sur un total de 577) entre mars 1993 et juin 1997.
D’un point de vue programmatique, c’est normal aussi d’imaginer un rapprochement entre le MoDem et le Nouveau centre, par exemple, puisque le programme présidentiel du candidat François Bayrou a été rédigé essentiellement par des parlementaires qui se retrouvent actuellement au Nouveau centre.
Enfin, d’un point de vue stratégique, c’est la seule voie de salut pour laisser quelques chances au centre de s’affirmer dans les années futures.
On imagine bien l’intérêt de Nicolas Sarkozy dans un tel rapprochement : le besoin d’une candidature centriste non issue de ses rangs (donc, exit Hervé Morin et ses 2% qui ne feraient que réduire le score du candidat UMP), mais capable de rediriger ses voix vers l’UMP au second tour.
Mais j’imagine aussi l’intérêt de François Bayrou.
Notons pour rappel qu’il y a un an, pris d’un accès de fièvre démagogique, François Bayrou avait reproché à Daniel Cohn-Bendit d’honorer les invitations élyséennes. Aujourd’hui, forcé d’admettre sa rencontre du 22 avril 2010, François Bayrou la justifie sur la base de la responsabilité collective des forces politiques à répondre aux enjeux nationaux actuels. Cette évolution dans le dialogue politique me paraît fort pertinente bien que tardive.
Options pour un rapprochement
Deux possibilités s’offrent à François Bayrou dans une perspective de rapprochement avec l’UMP.
1. D’une part, un rapprochement avec des personnalités isolées de l’UMP. Celles dont la stature pourrait représenter un avenir autre que sarkozyste et qui ne seraient pas beaucoup impliquées dans l’action gouvernementale. Je pourrais citer Dominique de Villepin, mais aussi Alain Juppé ou même, dans une moindre mesure (car ministre), Michèle Alliot-Marie (pourquoi pas ?).
Il semblerait que cette stratégie serait l’alliance hétéroclite des électrons libres de la majorité. Difficile à réaliser d’un point de vue personnel (chocs des egos), et inutile et inefficace d’un point de vue électoral, puisque l’UMP a cherché à impliquer au maximum les villepinistes (avec Bruno Le Maire et Georges Tron) et les chiraquiens (comme François Baroin) et qu’il n’existe pas vraiment de communauté de positions spécifiques capable de créer une force politique cohérente et originale.
2. D’autre part, un rapprochement avec la composante centriste de l’UMP, tant du côté de Pierre Méhaignerie que de Jean-Pierre Raffarin. Ce serait, à mon avis, la voie la plus utile et politiquement la plus nécessaire dans le paysage politique actuel. D’ailleurs, François Bayrou ne dit pas autre chose lorsqu’il répète sur RTL le 30 mai 2010 : « Le centre, c’est une famille politique (…), un jour, elle se reconstituera parce qu’elle n’a pas le rôle qu’elle devrait avoir. ».
Le centre en France, une idée balkanisée
Ce rapprochement est d’autant nécessaire que les forces centrifuges ont semé la panique dans le camp centriste depuis 2002 avec la fondation de l’UMP puis en 2007 avec l’extrême-centrisme suicidaire du MoDem.
Rappelons que le centre en France a rarement été uni. Déjà en 1969, le Centre démocrate de Jean Lecanuet s’était disloqué en deux avec le Centre démocratie et progrès (CDP) de Jacques Duhamel et Joseph Fontanet, composante pompidolienne du centre, réuni ensuite en Centre des démocrates sociaux sous la houlette de Jean Lecanuet, André Diligent et Jacques Barrot (issu du CDP) après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing (seulement en 1976 et pas avant car le CDP avait soutenu la candidature de Jacques Chaban-Delmas en 1974).
Cette césure s’est étrangement retrouvée parmi les électeurs de François Bayrou au premier tour de l’élection présidentielle de 2007 qui se sont départagés en deux gros blocs d’environ 40% pour le second tour, l’un pour Nicolas Sarkozy et l’autre pour Ségolène Royal, les autres (environ 20%) tombant dans l’abstention par refus de départager la droite et la gauche. Ce qui signifie que la meilleure stratégie ne pouvait au mieux contenter qu’environ 7% de l’électorat (40% des 18%), soit le score du premier tour des élections législatives de juin 2007.
En somme, le partage électoral de la candidature de François Bayrou résume à lui seul les trois stratégies possibles : aucune alliance, alliance à droite, alliance à gauche (et la quatrième essayée sans cohérence en mars 2008 : "à droite ou à gauche ou tout seul, tant qu’on a des élus").
Coresponsabilité
L’autonomie totale a été expérimentée depuis 2007 et a provoqué une marginalisation susceptible de devenir une extinction définitive de type Jean-Jacques Servan-Schreiber (moins de 2% aux élections européennes de juin 1979).
La main tendue à gauche est un échec politique par refus du Parti socialiste de l’accepter, lui-même reprenant ses vieux démons avec sa notion de "gauche solidaire" dans une stratégie d’union de la gauche aussi lourde que dogmatique.
Le rapprochement avec les autres composantes du centre droit devient la seule voie possible dans la perspective de l’élection présidentielle de 2012.
François Bayrou parle de responsabilité collective dans la gestion du pays.
Alors, chiche !
Il faut prendre ses responsabilités.
L’erreur de 2007 est encore rattrapable.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 juin 2010)
NB : Mon titre reprend le livre d’Alain Peyrefitte "Encore un effort, Monsieur le Président de la République" publié en 1985 et qui aurait pu servir de base pour un programme gouvernemental dans le cas où il aurait été nommé à Matignon par François Mitterrand en mars 1986.
Pour aller plus loin :
Quelques articles de journaux.
Comment ne pas faire d’alliance ?
Ci-gît, le MoDem.
Comment remonter la pente ?
François Bayrou, Premier Ministre virtuel.
Bayrou s’invite à Reims.
Bayrou, info ou intox ?
La fin du rêve bayrouïste ?
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/encore-un-effort-monsieur-bayrou-76186
http://www.lepost.fr/article/2010/06/10/2107629_encore-un-effort-monsieur-bayrou.html
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-194
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