Il y a dix ans, le 24 septembre 2000, sept millions et demi de Français, soit seulement 18,5% des électeurs inscrits, ratifiaient l’un des changements les plus radicaux de la Ve République. Première partie.
Et finalement, "on" a fait le quinquennat. Qui "on" ? Cela aurait dû en principe être à l’initiative du Président de la République, à savoir Jacques Chirac, gardien des institutions, garant de la Constitution, mais dans la réalité, c’était une action convergente d’un (lointain) prédécesseur, Valéry Giscard d’Estaing, et du Premier Ministre Lionel Jospin.
Au contraire, Jacques Chirac avait réaffirmé très clairement sa volonté de statu quo sur le sujet le 14 juillet 1999 à la suite d’une relance du débat par Valéry Giscard d’Estaing quelques jours auparavant : « Le quinquennat sous une forme ou sous une autre serait une erreur, et donc, je ne l’approuverai pas. Instaurer en France un régime présidentiel sur le modèle de celui des États-Unis, sans Premier Ministre, serait une grave erreur. ». Le 14 juillet 1997 déjà, Jacques Chirac avait été tout aussi explicite : « Le quinquennat conduit presque automatiquement au régime présidentiel. Moi, je suis hostile au régime présidentiel. ».
VGE au cœur du quinquennat
Valéry Giscard d’Estaing, qui n’avait pas jugé utile de réviser la durée du mandat présidentiel sous son septennat (1974-1981) et qui avait même souhaité son renouvellement pour rester quatorze ans (malheureusement pour lui, les électeurs en avaient décidé autrement), avait déjà beaucoup réfléchi à la question entre 1981 et 2000. En 1983, par exemple, il avait proposé de réduire le mandat présidentiel à six ans (dans son livre "Deux Français sur trois"), jugeant sept ans (de François Mitterrand) un peu trop excessif et considérant qu’il ne fallait surtout pas que les mandats du Président de la République et des députés soient de la même durée. Il avait d’ailleurs reçu quelques critiques polies ou ironiques disant qu’un Président de la République ne pouvait pas avoir un mandat de même durée qu’un simple élu local (maire, conseiller général, conseiller régional).
Le 9 mai 2000, Valéry Giscard d’Estaing, à la fin de la troisième année d’une cohabitation exceptionnellement longue (les deux précédentes n’ont duré que deux ans), est revenu à la charge, une énième fois, plus sérieusement car sous la forme d’une proposition de loi (il était encore député), pour réduire de sept à cinq ans le mandat présidentiel. Juste un petit jeu un peu mesquin contre Jacques Chirac. Mesquin mais habile : Valéry Giscard d’Estaing avait judicieusement attendu la fin de la cinquième année du mandat de Jacques Chirac pour formuler cette nouvelle proposition et rendre inutile le débat de savoir si l’actuel mandat devait être écourté ou pas.
Une idée aussi de Pompidou et de Mitterrand
L’idée n’était pas nouvelle puisque le Président Georges Pompidou lui-même avait commencé la procédure puis s’était arrêté à la dernière étape alors qu’il estimait qu’il n’obtiendrait pas une majorité des trois cinquièmes du Parlement réuni en Congrès (le projet adopté au Conseil des ministres du 6 septembre 1973 avait été voté par l’Assemblée Nationale le 16 octobre 1973 puis par le Sénat, mais sans dégager l’adhésion des trois cinquièmes des parlementaires).
François Mitterrand avait, lui aussi, proposé le quinquennat renouvelable une seule fois dans ses fameuses "110 propositions" de sa campagne présidentielle de 1981, mais il n’en fit rien pendant les quatorze années de règne qui suivirent cette promesse.
Raymond Barre, en 1988 comme en 2000, était plutôt favorable à un septennat non renouvelable immédiatement, permettant au Président de la République de prendre des décisions qui n’auraient aucune considération électorale et qui laisseraient place au seul intérêt de l’État. En 2000, d’autres personnalités comme Jacques Delors, Christian Poncelet ou encore Charles Pasqua avaient également rejeté le quinquennat pour éviter l’évolution vers un régime présidentiel.
Sur ce sujet, hautement politique, l’initiative et la décision reviennent évidemment au chef de l’État, et qui pourrait vraiment vouloir réduire la durée de ses pouvoirs ? Georges Pompidou se savait malade et imaginait mal atteindre la fin de son mandat, en juin 1976 (il est mort le 2 avril 1974). François Mitterrand était trop gourmand du pouvoir pour s’amputer quelques années (même si celles-ci étaient de cohabitation).
Valéry Giscard d’Estaing, prompt à vouloir tout réformer hors de l’Élysée, a été un conservateur scrupuleux de l’ordre institutionnel sous son septennat, à tel point qu’il s’était interdit une dissolution de l’Assemblée Nationale en 1974 qui lui aurait pourtant permis de faire apparaître une véritable majorité giscardienne affranchie du joug gaulliste. À propos du quinquennat, VGE disait en 1974 : « À l’heure actuelle, ce problème n’ayant pas pu être réglé, il faut se donner le temps de la réflexion » et prévoyait « certainement une initiative le moment venu » : cette initiative a donc eu lieu… vingt-six ans plus tard !
Tout est pourtant affaire de circonstances
Quand le Général De Gaulle a décidé de maintenir à sept ans la durée du mandat présidentiel, peu autour de lui avaient conscience que De Gaulle visait déjà l’Élysée qui, alors, n’était pas le lieu du pouvoir. Ses différentes allocutions télévisées ont confirmé qu’il distinguait nettement le rôle national et éminent du Président de la République et celui des députés, élus localement et ne recueillant qu’une partie de la légitimité populaire.
Affaire de circonstances évidemment sur la détermination même de la durée de sept ans. Le premier Président de la République avait été élu pour un mandat de quatre ans non renouvelable immédiatement (en 1848). La "non renouvelabilité" du mandat de Louis Napoléon Bonaparte a été l’un des éléments moteurs du coup d’État du 2 décembre 1851 et de l’instauration du Second Empire un an plus tard (entre temps, le mandat présidentiel était rallongé à dix ans).
Lorsque la République fut rétablie en 1870, il y avait des forces très divergentes : d’une part, des républicains très fermes (Léon Gambetta, Jules Grévy, Jules Ferry), d’autre part, des monarchistes (menés par Albert de Broglie), majoritaires à la Chambre des députés, qui souhaitaient l’union des légitimistes (partisans du Comte de Chambord, petit-fils de Charles X) et des orléanistes (partisans du Comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe).
Par "chance", le Comte de Chambord (Henri d’Artois) n’avait aucun descendant, si bien qu’à la disparition de celui-ci, il était naturellement possible de faire réunir les deux branches monarchistes. Cet héritier avait cependant contrarié de nombreux parlementaires monarchistes en s’accrochant à son panache blanc, refusant les trois couleurs de la France révolutionnaire.
Auréolé de son action pour maintenir l’intégrité du territoire national, Adolphe Thiers, originellement orléaniste, a vite compris, pragmatique, qu’il valait mieux prôner une république conservatrice plutôt qu’une monarchie impossible en raison de la stupidité du prétendant.
Mais les députés l’ont vite renvoyé, le 18 mai 1873, car il ne correspondait plus aux aspirations des monarchistes. C’est à cette occasion qu’on a interdit au chef de l’État de se rendre physiquement devant les parlementaires (mesure remise en cause par Nicolas Sarkozy dans sa réforme des institutions du 23 juillet 2008 et son application le 23 juin 2009 pour présenter le grand emprunt).
Les députés ont alors élu le vieux Maréchal de Mac-Mahon en remplacement d’Adolphe Thiers, dans l’espoir que celui-ci laissât aux parlementaires (toujours inspirés par Albert de Broglie) tous leurs pouvoirs d’initiative, et ils instaurèrent le 20 novembre 1873 la durée de sept ans à son mandat, pensant que cela serait suffisant pour que le Comte de Chambord décédât (il mourut le 24 août 1883), en d’autres termes, les monarchistes espéraient que « la Providence veuille enfin ouvrir les yeux au prétendant ou alors les lui fermer ». C’est Mac-Mahon lui-même qui a décidé de la durée, pour mettre d’accord les députés républicains favorables à cinq ans (Thiers était partisan de trois ans) et les députés monarchistes favorables à dix ans (les mandats de dix ans pouvant facilement déboucher sur un règne monarchique, selon la tradition bonapartiste).
Finalement, à chaque renouvellement, partiel ou général, la majorité à la Chambre devint de moins en moins monarchiste et de plus en plus républicaine, jusqu’à officialiser le 30 janvier 1875 ce type de régime dans l’amendement Wallon faisant état du "Président de la République", base constitutionnelle de la IIIe République.
Donc, affaire de circonstances.
Des arguments à prendre en considération
Alors que les précédentes propositions de Valéry Giscard d’Estaing étaient restées systématiquement des coups d’épée dans l’eau, la surprise fut totale quand, en juin 2000, le Premier Ministre socialiste Lionel Jospin en profita pour la soutenir. Lui-même y était très favorable (il l’avait même promise lors de sa campagne présidentielle de 1995), et il y voyait un bon "coup" contre son rival Jacques Chirac dans la perspective de la campagne présidentielle de 2002.
Les arguments sont bien connus : la démocratie a besoin de plus d’aération qu’il y a cinquante ans. Le rythme est trop rapide pour laisser sept ans un Président sans autre légitimité que son élection de début de mandat.
Plus de démocratie. Pouvoir partagé. Pourtant, c’était l’argument opposé que Georges Pompidou avait tenté d’utiliser devant ses troupes pour vendre le quinquennat : en augmentant la fréquence de l’élection présidentielle, on renforcerait la légitimité du Président de la République et donc, ses pouvoirs par rapport au Parlement. Pompidou avait raison.
Un autre argument était de regarder autour de soi, dans les démocraties qui pourraient faire référence : les États-Unis ont un mandat de quatre ans renouvelable une fois (c’est donc huit ans sauf accident électoral), l’Allemagne et la Grande-Bretagne sont des démocraties parlementaires qui renouvellent leurs députés plus souvent que ce que leur obligent leurs institutions.
Quant à la Russie postsoviétique, dont le caractère démocratique pourrait parfois être remis en cause, oscillant entre le modèle institutionnel américain et le modèle français, vient de rallonger son mandat de quatre ans renouvelable une fois à six ans, laissant entrevoir à Vladimir Poutine un possible retour à la Présidence de la Fédération de Russie en 2012 pour douze années encore.
Le revirement surprenant de Chirac
Si l’utilisation politicienne de la suggestion giscardienne par Lionel Jospin était de bonne guerre dans le jeu de cache-cache de la précampagne présidentielle, l’acceptation de Jacques Chirac fut nouvelle et surprenante.
Prenant au mot son rival, Jacques Chirac a en effet donné son accord pour le quinquennat, à condition qu’il soit… "sec", à savoir, que ce ne soit pas l’objet de discussions constitutionnelles. Lionel Jospin en était ravi même s’il a eu beau jeu d’en vouloir plus pour rééquilibrer les institutions (Nicolas Sarkozy est allé à cet égard assez loin en juillet 2008 sur les rapports entre l’Exécutif et le Parlement).
Conclusion, Jacques Chirac a organisé un référendum qui fut très peu suivi des électeurs, majoritairement indifférents à une question constitutionnelle qui touchait pourtant le cœur de nos institutions républicaine. Les 70% d’abstention peuvent donc être considérés comme un semi-échec malgré la réponse positive.
La raison supposée du changement de cap de Jacques Chirac ?
Sans doute la popularité de Lionel Jospin, presque certain de gagner l’élection présidentielle de 2002 sur de solides atouts de compétence, d’expérience et de vivacité face à un rival empêtré dans l’immobilisme (cinq ans de cohabitation), au souvenir présidentiel très contreproductif (les grèves de l’hiver 1995 et l’impopularité d’Alain Juppé), à la pertinence institutionnelle discutable (la dissolution de 1997) et à l’âge déjà bien avancé (69 ans).
Le référendum sur le quinquennat lui permettait de se redonner une légitimité électorale à bon compte (même s’il démentait ce principe a priori), et une dédramatisation de son âge à la fin d’un éventuel second mandat (74 ans au lieu de 76 ans ; son prédécesseur François Mitterrand, in articulo mortis, avait laborieusement terminé son double septennat à 78 ans).
La grande durée de la troisième cohabitation et l’âge du capitaine furent sans doute les éléments clefs pour favoriser cette réforme. Un sénateur de la majorité, Jean-Louis Masson, le regrettait en 2006 : « Si, en 2000, on a modifié la durée du mandat présidentiel, c’est plus pour la convenance personnelle du Président de la République et du Premier Ministre de l’époque que pour améliorer le fonctionnement de la démocratie. ».
La loi constitutionnelle n°2000-964 du 2 octobre 2000 fut donc appliquée pour la première fois en mai 2002.
Un glissement du régime
Le premier quinquennat n’a pas changé seulement la durée du mandat présidentiel. Il a renforcé considérablement la présidentialisation (déjà très forte) du régime par le fait de deux événements pas forcément prévisibles.
Le premier était le plus prévisible : la fin de la législature qui concordait avec la fin du septennat en 2002. En bonne logique institutionnelle, Lionel Jospin avait décidé de l’inversion de l’ordre des élections prévues initialement, à savoir l’instauration d’élections législatives à l’issue de l’élection présidentielle (loi organique n°2001-419 du 15 mai 2001), méthode qui avait été appliquée doublement par François Mitterrand en 1981 et 1988. Cet événement (concordance des élections présidentielle et législatives au printemps 2002) était en fait la conséquence (voulue) de la dissolution de l’Assemblée Nationale du 21 avril 1997.
Le second événement fut la performance inattendue de Jean-Marie Le Pen le qualifiant pour un second tour au détriment du candidat socialiste Lionel Jospin. L’émotion liée à ce résultat encouragea Jacques Chirac et Alain Juppé à imposer rapidement la fusion de l’UDF et du RPR en UMP, parti présidentiel monolithique (François Bayrou avait heureusement réussi, à l’époque, à sauvegarder l’UDF et surtout, son groupe à l’Assemblée Nationale en juin 2002).
Ces deux éléments ont donné une tonalité particulière au quinquennat que beaucoup d’électeurs pourraient regretter aujourd’hui : un parti par définition godillot car ses candidats à l’Assemblée Nationale sont directement dépendants du Président nouvellement élu (ce qui a été le cas pour l’UMP en 2002 et en 2007 pourrait le cas échéant être valable pour le PS en 2012, comme il l’a montré en 1981 et 1988).
Dans le prochain article, j’analyserai l’expérience des deux quinquennats et ensuite l’éventualité du retour au septennat.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 septembre 2010)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le mandat présidentiel (1).
Le mandat présidentiel (2).
160 ans d’élection présidentielle.
La loi du 2 octobre 2000 sur le quinquennat.
Les 50 ans de la Ve République.
La réforme des institutions de 2008.
Documentation française sur le quinquennat (1).
Documentation française sur le quinquennat (2).