Il y a dix ans, le 24 septembre 2000, sept millions et demi de Français, soit seulement 18,5% des électeurs inscrits, ratifiaient l’un des changements les plus radicaux de la Ve République. Troisième et dernière partie.
Les autres arguments en faveur du quinquennat ne me paraissent pas vraiment pertinents.
Faire comme les autres ?
Le premier serait de regarder les autres démocraties autour de nous. Il se trouve que la France a une relation très spécifique avec son pouvoir politique. Elle a eu, tout au long des deux derniers siècles, une grande instabilité institutionnelle avec des grandes variantes, du roi à l’empereur en passant par une république collectiviste ou un régime qu’on ne sait pas définir autrement que par la ville dont il était le siège sous l’Occupation. La France qui a donné au monde, grâce aux invasions napoléoniennes, toute la philosophie des droits de l’Homme, l’importance de l’individu, de sa liberté, de son égalité et de sa fraternité, au sein de la société, a une histoire constitutionnelle délicate que De Gaulle avait parfaitement comprise en lui proposant une République semi-présidentielle, dont l’ambiguïté des textes devait être levée simplement par l’expression du suffrage universel (Jacques Chirac avait l’habitude de parler en privé de "caoutchouc" pour qualifier la Ve République).
Les comparaisons internationales ne peuvent pas vraiment être faites de façon convaincantes avec des régimes parlementaires (comme en Allemagne, Grande-Bretagne, Italie ou Espagne) et si on garde les rares démocraties présidentielles, les États-Unis apparaissent pleinement et ne sont pas forcément un bon modèle pour les institutions françaises en raison de l’aspect très fédéraliste du pays.
La fin idyllique de la cohabitation ?
L’autre argument serait d’empêcher la cohabitation. Ce qui est un argument peu convaincant également : rien n’empêcherait que, pour une raison ou une autre, le Président de la République ou l’un de ses successeurs ne termine pas son quinquennat. Rien n’empêcherait non plus qu’une dissolution soit prononcée, rompant la concordance des deux scrutins. Enfin, même si c’est peu probable, rien n’empêcherait les électeurs de se choisir une majorité parlementaire différente de la majorité présidentielle venue au pouvoir quelques semaines auparavant. L’élection présidentielle est tellement basée sur des considérations purement personnelles qu’il y a risque de dichotomie.
Que faire du quinquennat ?
Les huit dernières années (depuis 2002) montrent que l’adoption du quinquennat n’a pas amélioré en elle-même la démocratie, et encore moins la capacité de contre-pouvoir au sein ou en dehors de la majorité.
Dans ce contexte, que faut-il proposer ? Le retour pur et simple du septennat ? La discordance des élections présidentielle et législatives ? dans ce cas, la dissolution en début de mandat présidentiel deviendrait-elle impossible ?
Faut-il pour autant revenir au septennat ?
Le 2 avril 2010, Martine Aubry avait fait quelques déclarations qui auraient pu aller dans ce sens : « Je pense qu’il est bien difficile de changer une société en étant élu pour cinq ans. (…) Il faut donner le temps pour que la réforme soit comprise et que les gens se l’approprient. (…) Le temps actuel est un temps qui ne permet pas de prendre en considération la complexité de la société, le temps de la démocratie et le temps de l’action. (…) Du coup, on est obligé de faire les choses rapidement et brutalement, car la visée électorale est plus importante que la visée politique. ». Ce type de déclaration a sans doute été de l’imprudence verbale car en fait, aucun retour du septennat n’est prévu dans le projet socialiste.
Peu après, Alain Minc, lui aussi, pensait dans le même sens : « Dans une société de plus en plus médiatique (…), le temps est devenu trop rude, cinq ans, c’est trop court. ».
Le problème, c’est que le retour au septennat serait perçu comme une amputation du droit électoral. C’est un peu comme revenir sur l’élection du Président au suffrage universel direct. Personne ne pourrait se permettre de proposer ce retour au septennat. Jean-François Copé est même très clair : « Je pense que le quinquennat, c’est mieux que le septennat. (…) En cinq ans, on peut faire beaucoup de choses. ».
Plus personne ? Si. Par exemple, un sénateur de Moselle (ex-RPR), Jean-Louis Masson (en opposition frontale au gouvernement à propos du redécoupage des circonscriptions électorales à Metz) avait déposé le 5 juillet 2006 au Sénat une proposition de loi pour rétablir le septennat sans possibilité de le renouveler immédiatement.
Changer de pratique ?
Le 3 juin 2010, le journaliste Renaud Pila considérait justement que le quinquennat ne pouvait être que durable dans nos institutions actuelles, et qu’il fallait surtout que les candidats à l’élection présidentielle abandonnent les catalogues à la Prévert (comme les "110 propositions" de François Mitterrand en 1981) et qu’ils se concentrent uniquement sur quelques sujets pendant leur mandat : « le choix de deux ou trois priorités majeures en lieu et place d’une boulimie d’actions tous azimuts qui déstructurent le débat public. Le respect d’un style de gouvernance présidentiel qui évitera au pays des polémiques futiles et chronophages. ».
Où va-t-on ?
L’un des points clefs de l’actuel quinquennat sera de savoir si François Fillon reste à Matignon cet automne 2010 ou pas.
Dans le cas positif, François Fillon aurait des fortes probabilités à exercer ses fonctions de Premier Ministre pendant la quasi-durée de la législature (comme Georges Pompidou entre 1962 et 1967, Raymond Barre entre 1978 et 1981 et les trois Premiers Ministres de la cohabitation, plus particulièrement comme Lionel Jospin qui aura finalement fait, lui aussi, un quinquennat entre 1997 et 2002). Ce cas rapprocherait la pratique actuelle des institutions du régime présidentiel : le Premier Ministre ne serait alors plus le chef de la majorité (rôle explicitement dévolu au Président de la République) mais une sorte de Vice-Président sur un "ticket" somme toute déjà connu pendant la campagne présidentielle de 2007.
Dans le cas contraire (nomination d’un nouveau Premier Ministre entre l’automne 2010 et le printemps 2012), Nicolas Sarkozy garderait une pratique proche de celle de ses prédécesseurs (comme Jacques Chirac entre 2002 et 2007), qui veut qu’un mandat présidentiel engendre deux ou trois Premiers Ministres.
Ce qui reste assez évident si on prend le recul sur l’histoire des trois dernières républiques, c’est que la pratique initiale est au moins sinon plus importante que la lettre des textes. Par leur comportement, Jules Grévy, Vincent Auriol et Georges Pompidou ont "solidifié" les trois dernières républiques.
En ce domaine, c’est donc bien les personnes et pas la Constitution qui façonnent nos institutions républicaines. La pratique du successeur de Nicolas Sarkozy, en 2012 ou éventuellement 2017, sera donc déterminante pour l’avenir de notre République.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 septembre 2010)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le mandat présidentiel (1).
Le mandat présidentiel (2).
160 ans d’élection présidentielle.
La loi du 2 octobre 2000 sur le quinquennat.
Les 50 ans de la Ve République.
La réforme des institutions de 2008.
Documentation française sur le quinquennat (1).
Documentation française sur le quinquennat (2).