Philippe Séguin et François Mitterrand : deux fortes personnalités de la vie politique française, en mémoire ce week-end. Et une gagnante, l’Europe, qui se montre très efficace pour garantir les droits sociaux et les libertés en France.
Ces deux journées, vendredi 7 et samedi 8 janvier 2011, voici le retour aux commémorations politiques : à un an de la disparition de Philippe Séguin et à quinze ans de celle de François Mitterrand (j’y reviendrai, sur François Mitterrand).
Le débat du 3 septembre 1992
Curieuse coïncidence qui fait naturellement rappeler l’étonnant débat télévisé entre François Mitterrand et Philippe Séguin en direct du grand amphi de la Sorbonne, animé par Guillaume Durand et diffusé sur TF1 le 3 septembre 1992 devant vingt millions de téléspectateurs.
Le sujet ? L’Europe, et le référendum du 20 septembre 1992 sur le Traité de Maastricht. En clair, sur la monnaie unique européenne, qui sera appelée plus tard l’euro. Ce débat a été rediffusé par LCP le 13 avril 2005 à vingt-deux heures dans le cadre de la campagne pour l’autre référendum sur l’Europe, celui du 29 mai 2005. Rediffusé également à la mort de Philippe Séguin le 7 janvier 2010 à dix-huit heures quarante-cinq.
En assénant des arguments de fond, Philippe Séguin était parvenu à rassembler autour de lui tout le petit monde de contestation contre la construction européenne, tant à droite avec Charles Pasqua (l’aile droite du RPR, lui, Philippe Séguin, représentait alors l’aile gauche) et Philippe De Villiers qu’à gauche avec Jean-Pierre Chevènement.
En face, avec la puissance colossale de tous les médias, les partisans du Traité de Maastricht n’avaient pas bougé le nez, pensant que le référendum n’était qu’une formalité évidente.
François Mitterrand avait été très fin en organisant le référendum : il a réussi ainsi à diviser le principal parti d’opposition et si Jacques Chirac, conseillé par Édouard Balladur, a finalement soutenu Maastricht, cette campagne référendaire a durablement désordonné le RPR et il n’est pas exclu que la rivalité entre Nicolas Sarkozy et Dominique De Villepin en fût l’un des derniers soubresauts. Dans le même temps, il accordait foi aux réflexions de Philippe Séguin qui lui avait demandé un référendum dès le 5 mai 1992.
En acceptant la confrontation directe devant des dizaines de millions de Français, le Président Mitterrand donnait à l’ancien ministre Séguin une place de choix dans la classe politique : une personnalité de même stature que ce vieux Président, vieux (presque soixante-seize ans) et surtout, très malade.
Or, beaucoup des "nonistes" ne comprirent pas à l’époque pourquoi Philippe Séguin avait été si courtois et surtout si mou et si peu combatif au cours de l’unique passe d’armes officielle.
Certes, dans cette émission, Jean d’Ormesson avait osé poser à François Mitterrand la question qui tue : comme le Président avait une très faible popularité, pourquoi ne pas proposer le contraire de De Gaulle, c’est-à-dire se retirer en cas de victoire du oui, ce qui dépolluerait le thème européen de l’impopularité présidentielle ?
Le malade pas imaginé
On sait maintenant que la réalité derrière la caméra était d’un enjeu bien différent. Très affaibli par son cancer, François Mitterrand ne cessait d’endurer des souffrances physiques si intenses qu’il demanda une pause au cours de l’émission télévisée pour aller prendre quelques médicaments contre la douleur.
C’est en sortant de sa loge que Philippe Séguin a découvert qu’on soignait son contradicteur. Philippe Séguin, qui, comme les journalistes et la classe politique en général, n’avait sans doute pas eu conscience, jusqu’à ce jour, de l’étendue du mal présidentiel, ne pouvait pas, décemment, l’enfoncer politiquement. Par respect pour la personne, par déférence pour la fonction et aussi par simple empathie.
François Mitterrand avait néanmoins gardé toute sa vivacité intellectuelle en s’exprimant sans aucune note et en faisant encore preuve de grande clairvoyance. Quand Philippe Séguin lui disait que les pays d’Europe centrale et orientale devraient « attendre quelques dizaines d’années pour envisager éventuellement leur adhésion » à l’Union Européenne, François Mitterrand lui répondit : « Vous verrez, ils peuvent adhérer ». Les négociations commencèrent dès 1998 et les adhésions furent effectives le 1er mai 2004.
Postures politques
Certes, l’opposition de Philippe Séguin à Maastricht aurait été une posture pour affronter Jacques Chirac (version proposée par Charles Pasqua). Pour preuve, Philippe Séguin avait par la suite fait amende honorable et reconnu que la création de l’euro avait été une excellente innovation financière.
L’opposition de Laurent Fabius au Traité constitutionnel européen en mai 2005 pourrait être comprise également de la même manière : une posture pour se positionner à gauche du PS.
Et François Mitterrand au fait ? Sans doute a-t-il, avec Valéry Giscard d’Estaing, fait avancer l’Europe comme personne d’autre depuis 1992. Tous pays confondus.
L’Europe, protectrice efficace des Français
Pour finir, une information annoncée par Leïla de Cormarmond du journal "Les Échos" le 17 décembre 2010 mais qui n’a pas fait la une des journaux et qui fut seulement rappelée par Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT, ce matin du 7 janvier 2011 sur RTL : le Comité européen des droits sociaux qui veille à l’application de la chartre des droits sociaux issue du Traité de Lisbonne (et du TCE) a tiré les oreilles à la France le 16 décembre 2010 pour la loi du 20 août 2008 sur le temps de travail car elle « n’impose pas que les conventions collectives prévoient une durée maximale [du travail], journalière et hebdomadaire », et il juge déraisonnable que des cadres puissent travailler en France jusqu’à soixante-dix-huit heures par semaine.
L’avis de ce comité n’a pas été beaucoup diffusé car il ne fait le beurre de personne : ni des pro-européens favorables à l’ultralibéralisme (qui espèrent harmoniser les lois du travail avec les lois du marché, essentiellement chinois aujourd’hui), ni des anti-européens de gauche qui devraient alors reconnaître que c’est l’Europe qui servirait de garde-fous le plus efficace pour garantir les droits sociaux (soit une réalité diamétralement contraire à ce qui avait été prétendu pendant le débat sur le Traité constitutionnel européen en 2005 et sur le Traité de Lisbonne en 2008).
Et l’Europe n’est pas seulement un garde-fous social. Elle l’est aussi pour les droits des citoyens avec la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme du 23 novembre 2010 qui oblige la France à réformer le statuts des procureurs (la Cour de cassation en a pris acte en séance plénière le 15 décembre 2010).
L’Europe, protectrice des droits sociaux et des libertés, voici qui pourrait faire réfléchir tous ceux qui avaient montré leur scepticisme en 2005. Et faire commencer l’année 2011 sur une note constructive.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (7 janvier 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Philippe Séguin.
François Mitterrand.
La crise de l’euro.
L’Europe.
Le discours de Philippe Séguin du 5 mai 1992.
Le Comité européen des droits sociaux (avis du 16 décembre 2010).
La Cour européenne des droits de l’Homme (décision du 23 novembre 2010).
Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007.
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/le-debat-entre-philippe-seguin-et-86874
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-236