Canulars, désinformations, manipulations, et faits réels… Internet n’est décidément plus de tout repos pour séparer le bon grain de l’ivraie. Après Ben Ali et Moubarak, Kadhafi aurait-il lui aussi plié bagages ?
Ce qu’il se passe en Tunisie a l’air d’être un mauvais feuilleton. L’information s’emballe, notamment quand Internet s’y mêle dans la plus grande négligence : informations non vérifiées, incompétences ou même manipulations, et la manipulation peut être d’origine multiple : arrière-pensées politiques, mais aussi volonté de faire du buzz voire simple ennui.
L’information avait remué tout le monde : l’ancien Président tunisien Zine Ben Ali aurait été accepté dans un hôpital saoudien sous une fausse identité et serait tombé dans le coma, victime d’un accident vasculaire cérébral le 15 février 2011. Publiée initialement le mercredi 16 février 2011 matin et confirmée le jeudi 17 février 2011 après-midi, la nouvelle émane d’un des rares journalistes français suivant l’actualité tunisienne de très près, Nicolas Beau (58 ans).
À 74 ans, Ben Ali serait également soigné d’un cancer de la prostate et n'est pas le seul à subir les rumeurs sur Internet sur sa très faible espérance de vie ; Steve Jobs (56 ans), fondateur d'Apple, lui, n'aurait plus que six semaines à vivre selon une presse people trash.
D’après son médecin personnel, le professeur et général Mohamed Gueddiche, qui ne l’a pas revu depuis sa fuite du 14 janvier 2011, Ben Ali n’aurait pas de cancer mais « juste quelques adénomes de la prostate, comme tout homme de plus de cinquante ans, soignés par quelques médicaments, là encore comme tout un chacun » et considère l’hypothèse de l’AVC plausible : « Il n’est pas impossible qu’il ait fait un accident cérébral, il travaillait vingt heures sur vingt-quatre, ce qui est beaucoup à 74 ans, les derniers jours étaient terribles, stressants, sans parler de son départ précipité, lui qui détestait les voyages, jamais plus de vingt-quatre heures. ».
Dans son billet du 18 février 2011, Nicolas Beau expliquait que Ben Ali se trouverait « à Djedda dans un état extrêmement critique à l’hôpital Fayçal » et que « le pronostic vital restait très pessimiste », ajoutant que d’après ses informateurs, « les médecins sur place ne lui donnaient que quelques jours à vivre ».
Toutefois, le samedi 19 février 2011 dans la soirée, Nicolas Beau affirmait que Ben Ali venait de sortir du coma, dans « un vague état de conscience » et qu’il serait sorti de l’hôpital et transporté dans un lieu non indiqué.
Pendant ce temps, sur Internet, quelques sites se risquaient à annoncer plus ou moins affirmativement la mort de Ben Ali, et cela depuis le milieu de la semaine dernière. Parmi les plus fermes, le webmagazine israélien JSSSNews qui a même osé donner l’heure du décès (le vendredi 18 février 2011 à vingt-deux heures trente), des sources sûres de diplomates tunisiens en poste en Europe occidentale, et est allé jusqu’à parler de l’existence de négociations pour organiser un enterrement à Tunis.
D’autres sites avaient repris fort maladroitement cette supposition, notamment relayée par des billets de contributeurs anonymes dans le site LePost.
Des adolescents qui s’ennuyaient n’auraient pas hésité, non plus, à relayer quelques rumeurs plausibles, comme sur ce site de jeux vidéo où un message du 19 février 2011 midi lâchait avec cynisme (j’ai corrigé les fautes) : « Faire croire à sa mort serait très simple vu qu’il est dans le coma depuis mardi ! (…) Voilà, il suffirait de lancer un article sur LePost et ça irait super vite car ils mettraient énormément de temps à démentir. ».
L’un d’eux serait resté cependant sceptique en maugréant : « Il faut arrêter de croire au père Noël là, deux fakes de suite, d’annonce de morts qui plus est, et à deux jours d’intervalles… » rappelant que les mêmes avaient déjà fait croire au faux décès de l’acteur Jean Dujardin avec la même méthode.
Il est vrai que tout s’excite depuis quelques jours en Tunisie.
L’odieux et cruel assassinat du père Marek Marius Rybinski, prêtre polonais qui vivait à Tunis et qui avait reçu quelques jours avant cette menace : « Ô Juif, nous savons qui tu es, tu as beaucoup d’argent. » avec une croix gammée, serait mis sur le compte d’anciens partisans zélés de Ben Ali chargés de créer du "désordre".
Les premières déclarations publiques du nouvel ambassadeur de France en Tunisie, Boris Boillon (41 ans), un peu excessives qui ont entraîné de sa part des excuses à la télévision tunisienne dans un arabe irréprochable, n’étaient pas non plus de nature à calmer les passions ni à freiner la désinformation.
Enfin, la découverte du trésor de guerre de la famille Ben Ali dans les coffres du palais présidentiel, a renforcé cette idée que le pouvoir sous Ben Ali n’était que lâcheté meurtrière et cupidité qu’il s’agit désormais de juger.
Ce dimanche soir, tout reste donc mystérieux sur la réalité de la santé de Ben Ali, le lieu où il réside actuellement ainsi que la localisation de son épouse Leila Trabelsi (54 ans), détestée dans son pays (une Marie-Antoinette tunisienne ou la "régente de Carthage" selon l’expression de Nicolas Beau), et qui serait partie à Tripoli, en Libye, auprès de son ami Kadhafi pour préparer un retour à Tunis. Un ministre tunisien aurait confié : « Il ne faut pas oublier qu’au sein de l’administration et de l’appareil sécuritaire, ils sont un bon nombre à fantasmer sur le retour de Ben Ali et de Leila Trabelsi. ».
Ben Ali, lui, serait complètement isolé, son clan disloqué et le gouvernement tunisien dirigé par Mohamed Ghannouchi (69 ans), contesté encore par quatre mille manifestants le jour même, réagissait aux rumeurs sur l’état de santé de Ben Ali en réclamant à l’Arabie saoudite son extradition et déclarant la volonté de le juger.
Évidemment, d’autres supputations ont été évoquées, comme l’idée que ce serait plus commode pour Zine Ben Ali de se faire passer pour mort, de changer d’identité après une opération de chirurgie esthétique au visage, et de finir ses jours tranquillement dans un pays lointain tout en évitant un procès.
Les dernières rumeurs publiées tard dans la soirée du dimanche 20 février 2011 seraient presque comiques si la vie de populations n’en dépendait pas et dignes d’un vaudeville de très mauvais goût : Mouammar Kadhafi (69 ans) et sa famille auraient fui la Libye pour le Venezuela après le ralliement de l’armée au peuple. Il aurait transféré ses pouvoirs à son fils Saïf El-Islam Kadhafi (39 ans) que d’autres rumeurs affirmeraient assassiné. Après le massacre de plusieurs centaines de manifestants de l’opposition libyenne, des chefs tribaux auraient demandé au dictateur libyen de quitter de pays.
L’information proviendrait d’un diplomate libyen interviewé par la chaîne Al-Jazeera. Cette "information" n’a pour l’instant pas été beaucoup relayée par les médias classiques à l’exception de TF1 qui a annoncé sur son site Internet le "départ non confirmé" de Kadhafi à minuit cinq, ce lundi 21 février 2011.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (21 février 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Après Ben Ali, Moubarak.
Blog du journaliste Nicolas Beau.
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/l-emballement-d-internet-sur-les-89231
http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-257
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