Il y a un an, le 18 juin 2010, disparaissait le Portugais José Saramago.
Le même jour que le général Bigeard, l’écrivain lusophone José Saramago mourait à 87 ans.
Cet écrivain fut le premier (et seul) écrivain portugais à avoir obtenu le Prix Nobel de littérature (en 1998). Il était pourtant à l’origine de plusieurs polémiques, méthodes qu’il considérait efficaces pour faire avancer ses idées.
Car il était avant tout un homme engagé.
Son dernier engagement formel date d’ailleurs des élections européennes du 7 juin 2009 où il a été candidat sur la liste communiste (comme aux européennes du 13 juin 2004).
Écrivain original
Fils de flic, petit-fils d’ouvriers agricoles analphabètes, serrurier, dessinateur industriel, employé de compagnie d’assurance, puis correcteur dans une maison d’édition qui l’a licencié. Son premier roman en 1947 avait fait un flop si bien qu’il n’a pas réussi à faire éditer son second roman. Son licenciement en 1974 l’a amené à faire réellement sortir l’écrivain qu’il avait en lui.
Une écriture particulière, au style original, malaxant le style direct et indirect, les longues phrases, les répliques des personnages, les explications de celui qui raconte, avec beaucoup de liens logiques et un soupçon d’ironie : « J’écrivais un roman comme les autres [en 1980]. Tout à coup, à la page 24 ou 25, sans y penser, sans réfléchir, sans prendre de décision, j’ai commencé à écrire avec ce qui est devenu ma façon personnelle de raconter, cette fusion du style direct et indirect, cette abolition de la ponctuation réduite au point et à la virgule. Je crois que ce style ne serait pas né si le livre n’était pas sorti de quelque chose que j’avais écouté. Il fallait trouver un ton, une façon de transcrire le rythme, la musique de la parole qu’on dit, pas de celle qu’on écrit. Ensuite, j’ai repris les vingt premières pages pour les réécrire. ».
Un style qui a donné une sacrée force à l’engagement de cet homme entier et souvent politiquement incorrect.
Quel type d’engagement ? De deux natures : marxiste et athée.
Communiste
D’une part, un engagement assurément politique : il était communiste (déjà avant la Révolution des œillets, à l’époque du dictateur Salazar) et anti-mondialiste. Il contestait la construction européenne car il y voyait une conquête du libéralisme (notons que le Président de la Commission depuis 2004 n’est autre que l’ancien Premier Ministre portugais José Manuel Barroso).
Il soutenait les causes qu’il croyait justes, celles des peu aisés, mais aussi des causes plus politisées comme celle des Palestiniens, ou des défenseurs de l’indépendance du Sahara.
Lorsqu’il a reçu son Prix Nobel, à côté de l’émotion, il y avait toujours cette rage du monde actuel : « Ce monde est une catastrophe. Des millions de gens meurent de faim et d’autres envoient des robots sur Mars. C’est terrible car on finit par se dire qu’il est plus facile d’aller sur une autre planète que vers notre semblable. Cela n’a aucun sens. (…) Souvent, je ressens le monde de la littérature comme un monde à part, alors qu’à côté règnent la cruauté, la misère et la violence. ».
Un discours que je pense un tantinet démagogique car opposer progrès scientifique et pauvreté n’est certainement pas la manière la plus efficace de lutter contre les injustices. Les budgets militaires et les guerres devraient plutôt être mis en avant dans une telle démonstration. Démagogique et mal informé, car beaucoup de découvertes scientifiques (même dans le domaine spatial) ont rejailli sur les humains (et les pays pauvres bénéficient de beaucoup de nouveautés technologiques, comme les plaques photovoltaïques, pour n’en citer qu’une).
Il égratignait régulièrement George W. Bush, Silvio Berlusconi, Benoît XVI, Israël… au point d’être en difficulté avec l’Italie, le Vatican, Israël et même son Portugal natal.
Blogueur
Il avait même ouvert un blog pour faire passer ses idées (il publia même un recueil des commentaires postés sur son site Internet).
Une modernité qu’il relativisait en bon octogénaire : « La simplicité et la sincérité ne sont pas tributaires de l’extension et de la rapidité de la diffusion d’un texte. De grâce, le blog n’est pas le salut de la littérature. ».
Une explication qu’il complétait ainsi : « Je crois qu’on est en train de mythifier le blog comme si c’était la panacée de la communication. Depuis toujours, on écrit des textes brefs (la vieille carte postale est un exemple), sans être tombé dans la tentation de promouvoir une quelconque philosophie de l’écriture. On était alors un peu plus modeste. À mon avis, nous avons un peu perdu la tête. » en concluant : « Il y a des millions de blogueurs. Combien d’écrivains en sortiront ? ».
Anticlérical
D’autre part, un engagement religieux ou plutôt, antireligieux : en février 1993, il s’était exilé en Espagne où il est mort (sur une île des Canaries) et son corps a été ramené à Lisbonne pour un deuil national. Il avait choqué beaucoup de monde avec son roman "L’Évangile selon Jésus-Christ" où le Christ se faisait dépuceler par Marie-Madeleine et où Joseph se suicidait à la suite du massacre des Innocents, et aussi avec son autre ouvrage "Caïn", très récent, où il décrivait un Dieu injuste et envieux et à l’occasion de la présentation duquel il présenta la Bible comme un « manuel de mauvaises mœurs ».
Le journal du Vatican "L’Osservatore Romano" a été assez dur avec cet écrivain décédé qu’il juge « populiste extrémiste » et « idéologue antireligieux » en résumant son existence par cette phrase : « Il disait perdre le sommeil à la seule pensée des croisades ou de l’Inquisition en oubliant les goulags, les purges, les génocides et les samizdats culturels et religieux. ».
Engagé
Saramago a écrit trente-neuf livres. Il a véritablement "décollé" en tant qu’écrivain tardivement, seulement à l’âge de 60 ans, avec "Le Dieu manchot". Il est traduit dans vingt-cinq langues.
Ses qualités d’écrivain au style très personnel et ses idées très originales dans ses romans qu’il ne voulait pas historiques en font l’un des monuments de la littérature mondiale contemporaine.
Mais parallèlement, ses engagements, où, à mon sens, il se fourvoyait beaucoup trop dans la peu subtile pensée manichéenne de lutte des classes inadaptée au monde complexe d’aujourd’hui, n’empêchaient nullement un combat sincère pour aider ceux que la vie n’a pas favorisés.
Avec lui, comme avec Jean-Paul Sartre, reste posée la permanente question de l’engagement de l’écrivain, entre écrits et colères.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 juin 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Un article à lire de Saramago, "Que reste-t-il de la démocratie" (août 2004).
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/jose-saramago-engage-enrage-96113
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