Le 13 juillet 2011, l’Assemblée Nationale a adopté en troisième lecture le texte définitif modifié en deuxième lecture par le Sénat concernant l’insertion dans la Constitution de la règle d’or pour équilibrer les finances publiques. Troisième partie.
Après avoir expliqué la procédure de révision constitutionnelle puis présenté le contenu du texte du 13 juillet 2011, je passe à l’attitude du PS qui est une pièce essentielle puisque l’UMP et ses alliés n’ont pas la majorité des trois cinquièmes et après les élections sénatoriales du 25 septembre 2011, les groupes majoritaires risquent d’être encore moins nombreux.
Guerre de positions entre le PS et l’Élysée
Le Parti socialiste a clairement laissé entendre que ses parlementaires ne voteraient pas le texte si le Parlement était convoqué en congrès à Versailles.
Martine Aubry a ainsi déclaré le 26 juillet 2011 : « La France n’a pas besoin de nouvelles fausses promesses, mais de vrais engagements. À la fausse règle d’or d’un Sarkozy qui a plombé les comptes de la nation, je préfère une vraie règle de conduite, celle que je m’engage à suivre si je suis élue Présidente de la République en 2012 : affecter la moitié des marges de manœuvre au désendettement du pays, qu’il s’agisse de celles issues de la réduction des niches fiscales injustes et inefficaces, ou des fruits de la croissance. ».
Quant à François Hollande, il a été tout aussi explicite à Asnières-sur-Seine le 26 juillet 2011 : « Nicolas Sarkozy n’a aucune leçon à donner. Il a même plutôt une repentance à avouer : c’est sous son mandat que les comptes publics se sont dégradés avec la plus grande rapidité et, hélas, la plus grande intensité. (…) La première décision que devrait prendre Nicolas Sarkozy, avant d’envoyer une lettre, ça serait de remettre en cause les mesures qu’il a lui-même fait voter au lendemain de son élection, et qu’il affirme là la nécessité de redresser les comptes publics. ».
Pourtant, le Président Nicolas Sarkozy ne s’est pas encore avoué vaincu et a commis effectivement un acte sans précédent dans l’histoire républicaine puisqu’il a purement et simplement écrit une lettre le 25 juillet 2011 à l’ensemble des parlementaires pour leur exprimer implicitement l’importance de ce vote : « En France, dans les mois qui viennent, nous avons besoin aussi de nous rassembler sur ces questions essentielles, au-delà des intérêts partisans. La représentation nationale que vous incarnez jouera, j’en suis sûr, un rôle majeur pour assurer le sens de notre responsabilité commune face à l’Histoire. ».
L’été pourrait peut-être changer certains élus d’avis…
La position du PS se tient à peu près à deux arguments : d’abord, le critère du quinquennat passé du "faites ce que je vous dis, pas ce que je fais" ; ensuite, l’inutilité du texte.
Des "nouvelles fausses promesses" ?
Prenons d’abord le dernier argument. Le PS considère que cette règle d’or n’est pas si contraignante que cela puisqu’il suffirait de voter une modification à la loi-cadre pour faire évoluer les objectifs. Par ailleurs, elle n’a pas empêché l’Allemagne (ce dispositif est inscrit dans sa loi fondamentale de 1949) d’être déficitaire quatre fois depuis 1970.
C’est donc le contraire de l’argumentation des souverainistes qui, eux, ne cessent de clamer (à tout bout de champ) que ce texte est d’une redoutable efficacité dans la réduction de la souveraineté nationale. Comme je l’ai expliqué précédemment, le texte au contraire redonne du pouvoir aux parlementaires français dans les procédures européennes.
Mais c’est aussi un argument de mauvaise foi. On ne peut critiquer ce texte car il ne serait pas assez contraignant ; il est en effet déjà plus contraignant que le statu quo actuel, et renforcer encore plus les contraintes pourraient effectivement réduire l’expression de la volonté populaire. La possibilité de modifier les lois-cadres (qui durent au moins trois ans) est par exemple bien normale quand une nouvelle majorité parlementaire a été élue. Il serait antidémocratique que la nouvelle majorité soit prisonnière d’une loi-cadre adoptée par la majorité sortante. D’ailleurs, il est fort probable que cette loi-cadre soit en pratique étendue à la durée de la législature (ou du quinquennat).
Cette stabilité des lois de finances serait un pas franchi supplémentaire pour en finir à la grande précarité des règles sociales et financières qui ne font que la joie des experts mais sûrement pas des contribuables ou des entreprises qui aimeraient bénéficier d’un peu plus de visibilité fiscale sur plusieurs années.
Une "repentance à avouer" ?
En revanche, le premier argument est recevable même si ce n’en ai pas vraiment un. Le fait est que les déficits publics ont effectivement énormément crû depuis le début du mandat de Nicolas Sarkozy et cela n’aide pas à la clarté des enjeux. François Hollande n’a pas manqué de fustiger Nicolas Sarkozy qui « demande à son successeur de faire ce que lui-même n’a pas réussi à réaliser ».
On pourrait toujours polémiquer sur l’origine de ces déficits. La crise financière de 2008 n’y est pas pour rien quand même et la courbe des déficits français suit la moyenne des déficits dans les États comparables. Selon Martine Aubry qui cite la Cour des Comptes, un tiers des déficits serait imputable aux conditions particulières des crises financières.
La responsabilité de la dette très élevée
Les déficits ont toujours été une solution de facilité des gouvernements pour ne pas trop imposer les contribuables tout en développant différents clientélismes. Si on suit la courbe dans le temps, ce n’est qu’après le premier choc pétrolier que les déficits deviennent récurrents et en particulier à partir de 1981 (Raymond Barre avait réussi à stabiliser la situation malgré le second choc pétrolier).
Si on essaie de trouver une couleur politique aux déficits, c’est à mon avis assez difficile. Depuis ces trente dernières années, la gauche a été au pouvoir quinze ans et la droite tout autant. Il semble que c’est en début de législature, toutes majorités confondues, que les déficits sont les plus gros (que ce soient les gouvernements Mauroy, Chirac II, Balladur, Juppé et Fillon). Je n’ai pas cité ni le gouvernement Rocard ni celui de Jospin car ils ont bénéficié d’une période de prospérité économique exceptionnelle mais ils n’en ont pas pour autant profiter pour rééquilibrer les comptes publics. Ils ont juste évité l’accroissement de la dette.
Pour le gouvernement Jospin, l'année 1999 s'était soldée avec la fameuse "cagnotte" de 30 milliards de francs supplémentaires (c'est-à-dire que le déficit était passé de 80 à 50 milliards de francs) et au lieu d'utiliser ce "surplus" à rembourser la dette, Lionel Jospin l'a dépensé dans un but purement électoraliste.
Le principe même de croire qu'il y avait une cagnotte à dépenser (alors que c'était juste une réduction du déficit grâce à une croissance internationale sans précédent, faite des bulles NTIC) montre d'une part que la mauvaise gestion des comptes publics est bien générale (à droite et à gauche) et pas dans un seul camp et que la période 1997-2000 avait bénéficié d'une conjoncture internationale très favorable.
Réduire la dette
À ce sujet, tout le monde est pourtant d’accord : il est très mauvais de créer des déficits publics, surtout s'ls ne sont que pour du fonctionnement, donc sans rentabilité pour l’avenir, car ils accroissent la dette publique ce qui devient très coûteux en raison de la charge des intérêts (second poste de l’État).
François Bayrou a été le premier leader politique d’importance nationale à avoir pointé cet enjeu en 2007 (voir entre autres l'émission sur TF1 du 26 février 2007, son meeting du 21 mars 2007 au Zénith ou son discours du 18 avril 2007 à Bercy où il fustigeait « la France de la dette et des déficits »). Il a rappelé que la dette d’aujourd’hui va devoir être payée par les générations futures et qu’il y a une sorte de fuite en avant qui a fait le nid à toutes les démagogies clientélistes.
Étrangement, François Bayrou s’est abstenu lors de la première lecture de la loi, probablement pour signifier qu’il était à la fois d’accord avec le principe de la règle d’or (c’est lui-même qui l’avait proposée dans son programme présidentiel de 2007) et en désaccord avec la politique du gouvernement.
Cette dette est de plus socialement injuste car ceux qui prêtent, via des organismes financiers, ce sont ceux qui peuvent épargner et par conséquent, les plus aisés. En d’autres termes, lorsque l’État emprunte, les plus aisés gagnent les intérêts et ce sont tous les contribuables qui les financent. Pas très juste socialement, donc. (Je n’évoque pas cette utopie irresponsable de vouloir emprunter sans intérêt, ce qui reviendrait à créer de la monnaie et à accroître l’inflation ; elle se base sur la contestation assez stupide et quasi-obsessionnelle de la loi du 3 janvier 1973, stupide car cette loi a été abrogée au 1er janvier 1994 avec la réforme de la Banque de France).
La faiblesse de la croissance et le déficit du commerce extérieur vont de toute façon obliger le prochain gouvernement à augmenter les prélèvements obligatoires d’une manière ou d’une autre. En ce sens, la règle de l’équilibre budgétaire est plus une idée "de gauche" dans le sens où la dépense doit être compensée par une imposition supplémentaire (supposée plus "juste") qu’une idée "de droite libérale" qui cherche à baisser les impôts sans réellement réduire les dépenses (l’économie de la règle peu pertinente de ne remplacer qu’un fonctionnaire sur deux est quasi-microscopique au regard de l’immensité des déficits).
Responsabilité historique
Le PS est complètement d’accord sur la réduction des déficits.
François Hollande a en effet rappelé à Asnières son engagement qu’à « la fin de l’année 2013, nous ayons un redressement qui nous permette d’avoir 3% de la richesse nationale en déficit » (Il l’avait déjà exprimé dans "Le Monde" le 16 juillet 2011).
Un objectif auquel s’est rallié Martine Aubry sur Europe 1 le 17 juillet 2011 : « Nous nous sommes engagés, dans le projet socialiste, à respecter les engagements de la France, 3% en 2013, puisque c’est la règle aujourd’hui. (…) Et nous avons construit le quinquennat et la première année sur laquelle nous travaillons actuellement sur ce principe-là. ».
Alors, ma question est la suivante : si le PS est d’accord sur le fond, pourquoi refuserait-il cette règle d’or ? Par antisarkozysme primaire ? Même pas ! Par électoralisme. Double électoralisme. D’abord, il y a la primaire du PS qui va donner la prime au moins coopératif avec le pouvoir actuel (le PS se gagnerait généralement sur sa gauche, raisonnement qui tenait jusqu’en 2006 et la désignation de Ségolène Royal). Puis, l’élection présidentielle renforcera mécaniquement la démagogie à bon compte.
Les déclarations de François Hollande à Asnières sont même d’une grande limpidité : « La proposition que je fais, c’est que nous réglions cette exigence de redresser les finances publiques au lendemain de 2012. Tout ce qui sera annoncé avant sera de l’affichage. ».
Une position qui fait penser à celle de Lionel Jospin repoussant la réforme des retraites au-delà de l’élection présidentielle de 2002 après cinq années au pouvoir. Nicolas Sarkozy a au moins le courage de ne pas repousser cet effort nécessaire aux calendes… grecques.
C’est donc très clair : le PS est d’accord avec la règle d’or (l’instaurerait même une fois au pouvoir) mais ne veut pas le montrer à ses électeurs potentiels…
Pourtant, il est des moments où il faut savoir aller au-delà du simple opportunisme électoral. On ne peut pas faire des déclarations dans un sens et agir dans le sens opposé. C’est tromper les Français.
Mesdames et Messieurs les parlementaires du PS, prenez donc vos responsabilités.
Allez jusqu’au bout de vos convictions !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 juillet 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le texte intégral du projet de loi constitutionnelle (adopté le 13 juillet 2011).
Quels parlementaires ont voté pour ou contre ce texte ?
La loi de 1973…
Lettre de Nicolas Sarkozy aux parlementaires.
Position du PS sur la règle d’or.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/regle-d-or-d-equilibre-budgetaire-98195
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