Les opérations militaires en Afghanistan ont encore touché le contingent français au début du mois. Retour sur une mauvaise manie des médias, celle de numéroter les victimes.
L’Afghanistan était à la Une des actualités il y a quinze jours et de nouveau cette semaine.
Vous avez peut-être entendu parler de l’assassinat de Burhanuddin Rabbani.
Cela s’est passé ce mardi 20 septembre 2011 au cours d’un attentat suicide à Kaboul. Rabbani était un moudjahidin du peuple qui résista contre l’occupant soviétique et fut le premier Président afghan à la victoire de ses troupes. Il fut chassé par les talibans quatre ans après. Proche à l’époque du Commandant Massoud, il était ces derniers temps le principal opposant au Président Hamid Karzaï et le plus apte à négocier la paix avec les talibans. Probablement que cet événement aura un impact important dans la poursuite de la guerre.
Les informations sont généralement données au compte-gouttes concernant l’Afghanistan et généralement, c’est pour apprendre la mort de soldats.
Alors, je désire exprimer un petit coup de gueule et protester contre certaines attitudes journalistiques.
J’en ai franchement marre d’entendre sans arrêt, à chaque nouveau mort de soldat français en Afghanistan, un titre du genre : « 75e soldat français tué en Afghanistan » (titre du journal "Le Parisien" du 7 septembre 2011).
Certes, cela insiste bien sur le nombre total de victimes… du côté français, mais cela n’apporte aucune information ni sur le nombre de victimes parmi toutes les forces de l’OTAN, ni a fortiori sur le nombre total de victimes du côté afghan. Bref, cette information ne traduit aucune indication fiable sur la gravité de la guerre en Afghanistan.
Elle a en plus un petit côté franchouillard (il n’y aurait que les soldats français qui mériteraient une pensée) et un côté très robotisé. En fait, le journaliste qui écrit ou prononce un tel titre a tout l’air bien se moquer de cet être humain, un jeune homme, qui vient de perdre sa vie et qui laisse derrière lui des parents, des frères, peut-être une compagne voire des enfants complètement traumatisés.
J’aurais préféré que soient diffusés son nom, son histoire, qu’il soit reconnu comme une véritable personne humaine, et pas seulement « un lieutenant parachutiste de Montauban ». Dans l’article, il y a aussi référence aux précédentes victimes (« le 74e », « le 73e » etc.) qui ne sont que « un lieutenant de Colmar » (le 14 août 2011), « un caporal-chef » (le 11 août 2011) et « deux légionnaires de Calvi ».
Le pire, c’est que dans l’article du même journal (pris en exemple parmi tant d’autres puisque la plupart des journaux ne font que reprendre des dépêches prêtes à l’emploi), il est question aussi d’une journaliste de TF1. Et là, pas de souci, on donne son nom parce qu’elle « a été légèrement blessée au cours de l’action par des éclats de vitres ».
Alors, c’est vrai, le communiqué de l’Élysée n’indiquait pas, lui-même, le nom du lieutenant tué, mais c’est aussi le travail des journalistes d’aller chercher les informations.
Alors, considérons donc ce soldat comme une véritable personne, racontons-le brièvement : ce lieutenant, nommé capitaine à titre posthume, s’appelait Valéry Tholy ; il était affecté en Afghanistan depuis le 1er août ; il allait avoir 36 ans le 3 novembre ; il était marié et père de trois enfants, de 5, 7 et 9 ans.
Voici ce qu’en disait le Ministère de la Défense, son employeur depuis quatorze ans : « Officier solide et déterminé, soldat particulièrement aguerri et expérimenté, possédant un sens tactique développé, il commande avec charisme et justesse une équipe soudée et extrêmement performante. ».
Gérard Longuet (son ministre) évoquait le 15 septembre 2011 à Montauban : « Que les plus jeunes prennent conscience de la gravité et de la beauté de cet engagement, qu’ils se souviennent de ce qu’ils doivent à ces indéfectibles serviteurs de la Nation, à ces hommes d’honneur comme l’était le capitaine Tholy. ».
Il est tombé parce que c’était dans les risques de ses missions qu’il a accomplies non seulement en Afghanistan mais aussi en ex-Yougoslavie, en Côte d’Ivoire, à Djibouti et en République centre-africaine.
Il n’était peut-être pas le héros qu’on voudrait idéaliser, mais il n’était pas qu’un simple numéro attribué par paresse journalistique, pas plus que certaines jeunes femmes victimes de pervers n’étaient que des "joggeuses".
Hommage à lui et à tous ses camarades.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (22 septembre 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Chasseur alpin en Afghanistan.
Mourir "joggeuse".
Mort de Rabbani.
Liste des premiers soldats tués en Afghanistan.
http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/ils-ne-sont-pas-des-numeros-101112
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