Le débat Hollande vs Sarkozy qui monopolise l’esprit des médias va à l’encontre du nécessaire débat sur les enjeux réels de l’élection présidentielle.
Parlons un peu de ce manichéisme rampant de la pensée qui sévit depuis une décennie et qui voudrait expliquer le monde par une seule alternative, droite ou gauche, UMP ou PS, blanc ou noir.
Dans mon article sur la suppression du mot "race", j’ai utilisé une analogie qui, quoique imparfaite et un peu simpliste, pouvait résumer le problème concernant les partitions artificielles qu’on pourrait faire de la population humaine, partitions qu’on pourrait appeler "races", ou "lignées", ou tout autre mot de vocabulaire, mais l’essentiel n’est pas dans l’appellation mais bien dans le fait même de partitionner, fait sans légitimité scientifique depuis que l’on sait analyser le génome humain.
Je prenais ainsi l’exemple d’un jeu pour bébé composé de plusieurs formes en bois de couleurs différentes. Par exemple, des cubes, des sphères, des cylindres, des pyramides et des cônes. Il pourrait y en avoir des bleus, des rouges, des verts, des jaunes, des oranges (pourquoi pas). Et je me demandais si le cylindre vert pouvait se sentir dans une même identité qu’un cylindre rouge ou qu’une pyramide verte.
En fait, formes et couleurs sont ici deux caractéristiques complètement différentes et totalement indépendantes. Par conséquent, certains cylindres verts estimeront peut-être plus importantes la forme, d’autre la couleur.
En politique, il n’y a pas deux dimensions mais bien plus. Pourtant, on voudrait nous faire croire qu’il n’y a qu’une seule dimension, l’axe droite/gauche, avec une barre au centre et on sépare, on divise la population des deux côtés de cette barre complètement artificielle. Complètement arbitraire.
C’est une réflexion assez banale mais qui reste pourtant actuelle et pertinente : tous les médias demeurent, malgré le début de la campagne officielle, sur une lutte de second tour entre Nicolas Sarkozy et François Hollande.
Les médias se sentent d’autant plus habilités à le faire que les sondages abondent dans leur sens : en effet, ces deux candidats sont largement en avance sur tous les autres, avec une différence de plus de 10% si bien qu’à moins de trois semaines du premier tour, il faudrait un événement exceptionnel pour bouleverser une telle situation.
La seule incertitude, qui ressemble plus à une curiosité anecdotique qu’à un véritable choix de société, c’est la troisième place (inutile puisque l’élu se trouvera parmi les deux seuls premiers candidats) qui semble à portée de main de trois candidats : François Bayrou, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon avec aujourd’hui un léger avantage au dernier.
Pourtant, cette sarkhollandisation de l’espace public (selon le mot de François Bayrou du 20 février 2012 : « Lundi, c’est Sarkozy ; mardi, c’est Hollande ; mercredi, c’est Sarkozy ; jeudi, c’est Hollande etc. ») n’est pas saine et même anticonstitutionnelle puisqu’il y a aujourd’hui dix candidats qui sont dans la compétition présidentielle, chacun avec son programme, sa personnalité, son originalité, ses atouts et ses handicaps.
La France ne sera jamais les États-Unis. Les Américains forment un peuple qui aime la simplicité. On est pour ou on est contre. Les nuances prédominent rarement. Certes, à chaque élection présidentielle américaine, il y a bien plus que deux candidats, mais l’argent n’arrive qu’aux candidats du Parti démocrate et du Parti républicain. Sauf en 1992 où Ross Perot, richissime candidat, avait réussi à percer en candidat libre, rognant surtout sur l’électorat républicain et entraînant la chute de George Bush père dans sa tentative de réélection, au grand profit de Bill Clinton.
Beaucoup pourtant voudraient renforcer cette bipolarisation. Droite/gauche, ce serait un duel si simple, si facile… Sauf que nos institutions n’obligent absolument à cette bipolarisation. Même le mode de scrutin de l’élection présidentielle. La preuve : à deux reprises (pas une seule !), le second tour n’a pas donné lieu à un duel droite/gauche. Le 15 juin 1969, le débat s’était imposé entre Georges Pompidou et Alain Poher et le 5 mai 2002, entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen.
Et il y a de quoi réfléchir sur cet aspect essentiel : la réflexion politique se mesure sur de nombreuses autres dimensions.
Bien sûr qu’il a la dimension gauche/droite car beaucoup de gens en France s’identifient encore soit dans une appartenance à ce camp (généralement la gauche) ou dans un rejet du camp adverse (généralement la droite est plus "anti-gauche" que "de droite").
Mais cette dimension n’est pas suffisante et est largement anachronique (la preuve, c’est que de moins en moins d’électeurs sont fidèles à cette dimension), car elle n’exprime pas la complexité du monde actuel et des enjeux actuels.
Il y a en effet d’autres clivages bien plus importants.
François Bayrou en a évoqué un qui me fait sens : entre ceux qui pensent que nos maux proviennent de l’extérieur (banques, Europe, euro, immigration) et ceux qui pensent qu’il faut réformer nos propres structures (dépenser mieux, investir, encourager l’initiative etc.). Ce clivage est de plus en plus prédominant dans les débats politiques depuis vingt ans (le référendum sur Maastricht en septembre 1992 n’y a pas été pour rien) et la ligne de partage passe quasiment dans tous les partis et en particulier, coupe le Parti socialiste en deux parties égales (comme l’a démontré le référendum sur le TCE en 2005).
Mais il y en a d’autres qui peuvent aussi faire sens, comme libéral ou conservateur dans l’organisation de la société, notamment tout ce qui touche à la famille, au couple, à la vie, à la naissance, au handicap, à la maladie, à la fin de vie, à la mort, à la bioéthique.
Ou encore le clivage plus d’État ou moins d’État. En ce sens, qui pourrait sérieusement affirmer que Nicolas Sarkozy est un ultralibéral (en économie) alors qu’au contraire, il a accentué le dirigisme étatique ? Les 600 milliards de déficit public supplémentaire n’y sont pas anodins, d’ailleurs.
Ou encore le clivage encourager la demande ou encourager l’offre. Mais à ce petit jeu, il est visible qu’il y a déjà une ou deux guerres en retard et qu’on raisonne toujours comme dans les années 1970 où la classe moyenne commençait à consommer et acheter ce qu’on lui proposait. Si l’on encourage la demande (augmentation du SMIC etc.), on encourage l’achat de produits de moins en moins français et donc, on ne résout aucune des difficultés actuelles. Si au contraire, on encourage l’offre (diminution des charges aux entreprises, etc.), on permet de plus produire, mais cela ne veut absolument pas dire qu’il y aura plus de ventes et donc plus de bénéfices. Ce n’est pas en travaillant plus qu’on gagne plus, parce que si personne ne veut le fruit de ce surplus de travail, il aura avant tout été inutile. Et invendu.
Bref, il y a quantité de débats essentiels qui pourraient s’instaurer dans le cadre d’une campagne présidentielle mais en l’emprisonnant dans un bipartisme peu accepté, on permet surtout de faux débat.
Comme faux débats, il y a ces polémiques quotidiennes sur des queues de cerise, basée sur des petites phrases mal préparées et qui engloutissent les vrais enjeux dans des joutes bien inutiles et éphémères.
Comme faux débat, il y a cette discussion sur la sécurité, comme si un camp voulait la sécurité (et la garantissait) et l’autre camp ne la voulait (et la décourageait). En revanche, le débat sur les moyens et pas sur les objectifs, on peut toujours attendre.
Pire ! Comme le CSA impose (ce qui est logique) une égalité de traitement avec tous les candidats, les chaînes de télévision et station de radio ont renoncé à faire des émissions politiques pendant cette période cruciale.
Le 1er avril 2012, Nicolas Dupont-Aignan se mettait même en colère sur France 3 : cinq petites semaines sur cinq ans, les médias peuvent quand même se donner un peu de mal.
D’ailleurs, en 1981, il y avait aussi dix candidats et je me souviens très bien que tous avaient été invités à un "Grand Jury" sur RTL, un "Club de la Presse" sur Europe 1 ou encore à "Cartes sur table" sur Antenne 2. Les émissions étaient devenues très momentanément quotidiennes au lieu d’être hebdomadaires ou mensuelles.
Autres réflexions entendues souvent parmi les commentateurs (en particulier chez les "sondagistes", mot qui me ferait penser aux chauffagistes, ceux qui chauffent les électeurs avant une élection), "les gens" trouvent consternant le déroulement de la campagne et qu’aucun sujet de fond n’est abordé. On peut le comprendre !
Mais en disant cela, ces éditorialistes oublient de préciser : les thèmes abordés par les deux grands candidats (dont un n’a toujours pas sorti un document étiqueté "projet présidentiel" !), alors que les thèmes abordés par les autres candidats sont bien plus originaux et bien plus approfondis sur les enjeux de fond. Lisent-ils ou écoutent-ils vraiment d’autres candidats que les deux principaux ? J’en doute.
Et comment peut-on vouloir un Président qui ne divise pas les Français et qui ne fasse pas d'illusionnisme si on reste avec deux seuls candidats ?
Alors, pour remettre le débat de fond, pour imposer le débat de fond, nul doute qu’il faudra éviter un second tour sarkhollandisé. Nul doute qu’il faudra hisser des candidats qui s’occupent plus du fond que de la polémique. Nul doute qu’il faudra privilégier la réflexion à l’invective.
Dans le cadre actuel, nul doute qu’un duel Bayrou vs Mélenchon instaurerait un véritable débat de fond que n’aboutirait certainement pas un débat Hollande vs Sarkozy qui, lui, s’appesantirait sur de simples postures électoralistes.
La démocratie, c’est la voix du seul peuple.
En dehors du brouhaha qui prétend l’influencer.
C’est à cela qu’on reconnaît une démocratie en pleine maturité.
Faire mentir feu Georges Frêche, qui aimait tant les c*ns !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (3 avril 2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Dehors les naufrageurs !
Lundi, c’est Sarkozy, mardi, c’est Hollande !
Ni division, ni illusion.
François Bayrou.
Jean-Luc Mélenchon.
Nicolas Sarkozy.
François Hollande.
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