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L'Europe au pied du mur !
Une excellente tribune de Jean-Christophe Lagarde
Le 24 juin 2016
La Grande Bretagne a décidé de quitter l'Union Européenne. Cette secousse est lourde, d'abord pour le Royaume Uni pour qui les conséquences sont incalculables sur les plans politiques, économiques et même du point de vue de l'unité de leur pays. Elle effraie évidemment les élites européennes, qui n'ont rien vu venir et doivent désormais se remettre en question. Mais en fait, que le Brexit l'ait emporté ou pas est relativement secondaire, car l'Europe était de toute façon au pied du mur.
Alors que l'UDI a toujours défendu une vision fédéraliste de l'Europe, le bal des hypocrites s'ouvre aujourd'hui sur son avenir. Mais que de temps et d'occasions perdus.
Avec ou sans la Grande Bretagne, 27 ans après l'effondrement du rideau de fer, 24 ans après le Traité de Maastricht, 14 ans après la naissance de l'Euro, l'Europe est menacée de mort.
En quelques années, l'Union Européenne a montré des limites qui ne sont plus supportables par nos peuples et qui nuisent à chacun de nos pays, à leurs intérêts, à leur souveraineté réelle, à la défense de nos modes de vie.
La crise de l'Euro, la crise des migrants, la crise du terrorisme, la crise économique ont pratiquement eu raison de ce beau projet dans les opinions publiques du continent. Les extrémistes de droite et de gauche, les europhobes en tout genre et ceux qui ne s'étaient que résignés à subir l'Europe, en profitent pour faire croire que l'achever rendrait à nos peuples liberté, prospérité et sécurité. C'est un énorme mensonge ! Mais surtout ce serait une faute tragique que payeraient très cher les deux ou trois générations à venir. Les britanniques vont d'ailleurs nous donner un exemple grandeur nature des souffrances que l'isolement nous imposerait.
Mon propos ici n'est absolument de défendre l'Union Européenne comme elle fonctionne, ou plutôt comme elle dysfonctionne. Au contraire, je veux affirmer clairement que si l'Europe se meurt c'est à cause de 15 à 20 ans d'immobilisme dont elle est victime, lié à deux erreurs stratégiques.
Première erreur, l'élargissement à l'Est n'a pas été précédé d'un redéfinition du projet européen. La construction européenne avait, dès son origine, la double ambition de mettre en commun nos intérêts pour garantir la paix et de construire une puissance politique défendant nos pays face aux deux super-puissances de l'époque, Etats-Unis et Union Soviétique. L'effondrement de cette dernière a ouvert la porte à de nouveaux pays qui cherchaient avant tout un bouclier militaire (l'OTAN) contre la Russie qui les avaient opprimés, et une zone motrice de leurs économies sinistrées par 45 ans de communisme. C'est à ce moment là, avant d'ouvrir la porte, que les pays fondateurs auraient du redéfinir le projet européen en tenant compte du grand écart entre les aspirations des nouveaux entrants et le projet de souveraineté politique que portait dans ses gènes la construction européenne. Gerhard SCHRODER et Jacques CHIRAC ont la responsabilité de cette faute qui a dénaturé l'Europe et son projet.
Pourtant, dés 1995, le Président GISCARD D'ESTAING montrait clairement que le changement de dimension de l'Europe devait changer sa nature. Elle devait nécessairement devenir double, une Europe espace (économique) et une Europe puissance (politique). La première peut se contenter d'un vaste marché économique unifié, favorisant le libre échange et la croissance. La seconde a un besoin vital d'émerger pour protéger nos intérêts fondamentaux, affirmer notre vision humaniste du monde et redonner à nos pays une souveraineté réelle, qui ne soit pas que d'apparence. Cette Europe puissance n'est jamais née. L'Europe espace économique a dérivé régulièrement dans une conception ultra libérale dont le marché devenait la seule règle, le seul but.
Et c'est la seconde erreur qui mine l'Union Européenne et la dénature depuis un quart de siècle. Dans son essence même, l'Europe, à travers les politiques communes construites progressivement, n'est pas un projet ultralibéral. La Communauté Economique du Charbon et de l'Acier, la Politique Agricole Commune, le Système Monétaire Européen étaient par nature des politiques économiques volontaristes qui refusaient de tout confier aux lois des marchés. Au contraire, elles avaient pour objectif de bâtir des politiques économiques de souveraineté industrielle, agricole et monétaire. L'obsession libérale de la Commission Européenne ces dernières décennies a conduit à un double et triste résultat.
D'une part, la compétition interne aux pays de l'Union a été excessivement dérégulée, mettant nos peuples en situation de concurrence déloyale entre eux, dont l'exemple si connu du travailleur détaché montre l'aberration. Au lieu de mettre nos intérêts en commun, elle conduit à les voir s'affronter faute de stratégie économique et de régulation sociale. C'est le contraire même du projet européen et cela conduit à un profond rejet motivé par les sentiments de perte de niveau de vie et de maîtrise de nos destins collectifs. C'est le boulevard qui a été ouvert aux euro-destructeurs de tout poil.
D'autre part, la Commission n'a eu de cesse d'ouvrir, sans véritable contrôle, nos marchés intérieurs aux pays émergents en espérant bénéficier de nouveaux marchés d'exportation en retour. Cette idée pouvait et peut se défendre. Mais elle est minée par un vice fondamental ; l'insuffisante intégration européenne qui nous a conduit à être les « naïfs du sérail ». A chaque fois qu'une négociation commerciale s'engageait, les 28 débattaient publiquement entre eux des objectifs à se fixer, laissant nos concurrents communs lire en nous comme dans un livre ouvert et adopter la stratégie qui leur était la plus profitable. De plus, faute d'un Gouvernement fédéral intégré, nous sommes en situation de déséquilibre permanent à 28 Etats cherchant des compromis entre eux, puis négociant face à des Etats nations parfaitement intégrés. Résultat, nous ouvrons toutes grandes les portes sans véritable régulation, pendant que nos concurrents trouvent le plus souvent des biais pour se protéger ou conditionner l'accès à leurs marchés.
Ces deux erreurs, l'absence de redéfinition de l'Europe en deux cercles distincts et compatibles, économique et politique, ainsi que l'obsession libérale qui est le contraire des politiques européennes, sont les deux virus mortels qui ont placé l'Europe au bord du gouffre en lui faisant perdre sa vision historique.
Tout est-il perdu ? NON !
Car l'Europe reste la condition absolue pour garantir la paix sur notre continent, l'instrument indispensable pour ne pas subir la loi des grands ensembles mondiaux qui nous font face, l'outil nécessaire pour nous protéger contre les dangers que nous font courir nos voisins géographiques, le seul projet qui donnerait à chacun de nos pays le poids nécessaire pour ne pas subir la mondialisation mais en profiter.
En politique, dans la conduite des Nations, la nécessité doit faire loi. Si l'Europe est en train d'échouer, c'est d'abord faute de lucidité, de courage et de vision de la part de dirigeants qui n'y croient pas vraiment. L'Union Européenne est aujourd'hui comme une voiture sur une chaîne automobile à qui on refuse de mettre des roues et un moteur. Elle ne peut ni fonctionner, ni avancer.
La famille politique que je dirige a toujours porté un projet fédéraliste qui est aujourd'hui devenu une nécessité urgente. C'est la raison pour laquelle les Députés UDI viennent de demander au Président HOLLANDE de prendre enfin une initiative française qui redonne sens et vie au projet européen.
L'Europe peut être remise sur les rails si un nouveau traité définit clairement qu'en plus de l'espace économique créé par l'Union Européenne, nous créons une Europe fédérée destinée à nous protéger et nous rendre plus fort face au reste du monde. Nous devons créer cette Europe fédérée à partir de la zone euro. L'Euro est en effet une monnaie fédérale qui ne dit pas son nom et qu'on prive des moyens de la puissance. C'est la seconde monnaie au monde, mais c'est la seule monnaie au monde qui n'a pas de Gouvernement pour la défendre et s'en servir.
Avec les pays de la zone euro qui le souhaiteront, nous devons bâtir un Gouvernement Economique Fédéral qui aura pour mission de construire des stratégies monétaires, industrielles, commerciales et énergétiques communes. Ces stratégies doivent avoir pour objectif la stabilité des prix, la croissance durable, le développement de l'emploi, la transition énergétique (facteur d'indépendance) et la naissance de réseaux industriels puissants et performants dans les domaines stratégiques du XXIème siècle, comme nous l'avions fait au siècle dernier, dans le charbon, l'acier, l'agroalimentaire, l'aérospatiale ou l'aéronautique. Pour assoir ces stratégies économiques, nous devons créer une deuxième chambre européenne qui représentera les parlements nationaux afin qu'ils soient entendus dés l'élaboration des politiques fédérales.
Afin que la zone Euro soit un ensemble économique cohérent, nous devons créer un Serpent Fiscal et un Serpent Social commun. Sur 10 ans pour l'un, sur 15 ans pour l'autre, ils auront pour rôle d'encadrer et de rapprocher dans des limites supportables les écarts de fiscalité et de protection sociale qui existent entre nous. Nous devons également décider de créer une grande place financière de la zone euro, à l'échelle de notre continent.
Avec les pays qui le souhaiteront, nous devons créer un espace de sécurité commun qui remplacera Schengen. Cet espace fédéré devra être fondé sur trois piliers, un parquet fédéral, une police fédérale, tous deux en charge de lutter contre les grands trafics et le terrorisme, ainsi qu'un ministère fédéral des migrations. Ce dernier devra gérer les besoins d'immigration de chaque pays fédéré, disposer d'une police fédérale des frontières, harmoniser le droit d'asile entre nos pays, préciser dans quel pays le migrant à qui on délivre un visa aura le droit de vivre, organiser dans les pays sources de migration des comptoirs communs pour recueillir les demandes de visa.
Nous devons créer un vrai Commissariat Européen de La Défense, pour définir enfin ce que sont nos intérêts stratégiques communs et élaborer ensemble nos programmes militaires afin d'en réduire le coût et gagner en indépendance. Au sein de l'OTAN, nous devons accepter de prendre en charge une plus grande part de l'effort de notre défense, en même temps que la direction du pilier européen de l'OTAN doit revenir à nos pays.
Parce que nous sommes les plus menacés, comme le montre les crises Syro-Irakienne et Libyenne, par la déstabilisation du proche et du moyen orient ainsi que par le développement trop lent de l'Afrique, nous devons construire à 27 une véritable politique collective de co-développement, qui seule permettrait de transformer ces menaces en opportunités majeures.
Nous devons tourner le dos au tout libéral, au culte de la concurrence interne afin que celle-ci soit régulée et graduée pour profiter à tous. Nous devons nous donner les armes juridiques pour faire payer l'impôt à ces grandes entreprises qui font de gros profits sur notre continent et jouent de nos différences pour transformer l'Europe en véritable passoire fiscale.
Qu'il s'agisse de l'espace économique ou de l'espace politique européen, nous devons recentrer l'Europe sur ses missions essentielles et ne plus accepter, ni sa dispersion, ni ses intrusions dans des politiques nationales qui n'ont pas besoin d'elle pour être efficaces et adaptées à chaque pays. Pour que cette subsidiarité soit enfin une réalité, les deux Europes, politiques et économiques, devraient désormais se contenter de fixer les objectifs à atteindre par les nations dans chaque domaine où une action unique de l'UE est moins efficace.
L'Europe n'est pas morte, mais elle peut mourir et nous entraîner dans sa chute si on ne lui donne pas désormais sa vraie signification, sa réelle légitimité, celle de nous donner les moyens de défendre nos intérêts, notre sécurité et nos modes de vie.
C'est le débat central, primordial pour notre pays comme pour notre continent. C'est le débat essentiel dont tous les autres découleront, sur lesquelles ceux qui dirigent la France depuis 35 ans, le PS comme LR, sont profondément divisés et sur lequel l'UDI, centriste, humaniste et fédéraliste est parfaitement unie. Cela nous confie une lourde responsabilité dans le débat national. Le projet européen est à reconstruire totalement pour donner à nos petites Nations, à nos peuples, la force de ne pas subir les grands ensembles mondialisés.
Il n'y aura que les aveugles pour ne pas le voir, et les lâches pour ne pas le défendre.
Jean-Christophe Lagarde
Président de l'UDI