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26 novembre 2022 6 26 /11 /novembre /2022 04:04

« Toute l'expérience a été un cauchemar total, la façon dont ils nous ont traités, ce que nous avons dû faire pour survivre. Nous étions moins que des animaux. » (Robert Clary sur sa vie dans les camps).



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L'acteur et le chanteur français Robert Clary est mort à Los Angeles le 16 novembre 2022 à l'âge de 96 ans (il est né le 1er mars 1926 à Paris sous le nom de Robert Max Widerman). D'origine juive polonaise, sa famille s'était installée à Paris quelques années avant la naissance de l'acteur, en 1923.

Le plus jeune de la fratrie de quatorze enfants, Robert Clary a été découvert par une dénicheuse de talents dès l'âge de 12 ans, ce qui lui a permis de chanter à la radio. Mais pendant qu'il découvrait sa vocation, quatre plus tard, il allait vivre une tragédie familiale et mondiale, la Shoah. Dans l'immeuble de l'Île de la Cité, dans le quatrième arrondissement de Paris (immeuble neuf construit à sa naissance) où il avait vécu les seize premières années de sa vie, heureuses et insouciantes, une plaque rappelle la mémoire de cent douze habitants, dont quarante enfants, qui ont été déportés et assassinés dans les camps d'extermination nazis.

Douze membres de sa famille ont été déportés à Auschwitz entre juin et septembre 1942. Une fois arrivés au camp, ses deux parents ont été directement amenés et assassinés dans une chambre à gaz. Raflé comme les autres par la police française, Robert Clary aussi faisait partie du convoi du 25 septembre 1942 avec ses parents au départ de Drancy pour Auschwitz (il avait alors 16 ans). Mais il n'est pas allé jusqu'au bout, car il a été réquisitionné pour des travaux forcés au camp de Blechhammer (une annexe d'Auschwitz). En plus de ses travaux habituels, il devait chanter devant des soldats allemands pour les divertir. Il a été tatoué à l'avant-bras gauche de son numéro de matricule. La chanson a été son alliée, c'était probablement son talent qui lui a permis de survivre.

En janvier 1945, il fut évacué par les nazis comme tous les autres déportés dans des conditions effroyables pour fuir les Alliés venus libérer Auschwitz. Il a séjourné au camp de Gross-Rosen avant d'atteindre Buchenwald : « Nous n'étions même pas des êtres humains. Arrivés à Buchenwald, les SS nous ont poussés dans une salle de douche pour y passer la nuit. J'avais entendu les rumeurs sur les pommeaux de douche factices qui étaient des jets de gaz. J'ai pensé : "Ça y est". Mais non, c'était juste un endroit pour dormir. Les huit premiers jours là-bas, les Allemands nous ont gardés sans une miette à manger. Nous nous accrochions à la vie par nos tripes pures, dormant les uns sur les autres, nous réveillant chaque matin pour trouver un nouveau cadavre à côté de toi. ».

Les Alliés sont arrivés et ont libéré le camp de Buchenwald le 11 avril 1945. Cette période l'a toujours hanté : « Parfois, je rêve de ces jours. Je me réveille en sueur, terrifié par la peur d'être envoyé dans un camp de concentration, mais je ne garde pas rancune parce que c'est une grande perte de temps. Oui, il y a quelque chose de sombre dans l'âme humaine. Pour la plupart, les êtres humains ne sont pas très gentils. C'est pourquoi, lorsque vous trouvez ceux qui le sont, vous les chérissez. ». De retour à Paris, il a appris que trois de ses frères et sœurs n'ont pas été déportés et ont survécu à la guerre.

Après la guerre, il a chanté avec un orchestre dans un dancing à Paris et a été remarqué par le musicien Harry Bluestone qui lui a permis d'enregistrer en 1948 son premier disque aux États-Unis, un disque qui a eu du succès. Ainsi, il est parti aux États-Unis en octobre 1949 et a fait toute sa carrière artistique loin de la France dont il n'avait plus beaucoup d'attaches à la fin de la vie : « À l’époque, je ne parlais pas un mot d’anglais et j’ai appris l’intégralité des chansons en phonétique ! Pour moi qui adorais l’Amérique, c’était l’occasion rêvée de partir. D’autant que rien ne me retenait vraiment en France : mes parents avaient tous les deux été tués dans la Shoah, et mes frères et sœurs survivants étaient tous mariés… (…) Partir, c’était l’occasion de mettre ce lourd passé derrière moi et me concentrer sur ma carrière artistique. ».

Robert Clary était de petite taille, il ne dépassait pas 1 mètre 55, mais il était très à l'aise devant un micro à chanter et aussi à parler, à faire rire, il pouvait faire des sketchs. Sa carrière a évolué au milieu des années 1950 dans l'enregistrement de séries américaines, de sitcoms (c'était nouveau à l'époque, sur NBC et sur CBS notamment). Il jouait aussi dans des comédies musicales à Broadway et était très apprécié du public, construisant ainsi une belle renommée.

Grâce à l'Internet, on peut écouter deux échantillons de ses prestations, le premier de 1952 avec la chanteuse Eartha Kitt et le second de 1960 en compagnie d'Inga Swenson, Virginia de Luce et Susanne Cansino.








Ce fut une vingtaine d'années après son arrestation et sa déportation que Robert Clary semblait recroiser sa funeste histoire, mais dans une fiction, une longue fiction. En 1963, alors qu'il était au creux de la vague, sa carrière patinant, on lui proposa de jouer le rôle d'un caporal français dans la future série télévisée à renommée internationale "Hogan's Heroes" (sous le nom en français de "Papa Schultz" ou encore "Stalag 13").

La série, qui s'est déclinée en cent vingt-huit épisodes de 25 minutes pendant six saisons, diffusés la première fois sur la chaîne CBS du 17 septembre 1965 au 4 avril 1971 (il a fallu attendre 1987 pour sa version française diffusée sur Canal Plus puis en 1991 sur la chaîne M6), met en scène des prisonniers alliés (américains, britanniques, français) dans un camp de prisonniers en Allemagne sous commandement allemand. Les prisonniers alliés peuvent en fait s'échapper du camp (car les gardes allemands sont particulièrement stupides) mais reviennent chaque fois dans leur cellule car c'est leur QG pour monter des coups contre les Allemands ou aider des soldats alliés.

Parmi les acteurs de ce sitcom comique d'un humour pas forcément très raffiné, Robert Clary n'a pas été le seul acteur à avoir été pourchassé par les nazis. John Banner (le sergent Hans Schultz), Werner Klemperer (le colonel Wilhelm Klink) et Leon Askin (le général Burkhalter) ont aussi été, d'une manière ou d'une autre, victimes des nazis (acteurs avec lesquels Robert Clary a continué à entretenir des relations amicales bien après la fin du tournage de la série) : « Les gens me demandent souvent : comment faites-vous pour jouer un rôle comique dans cette série, alors que vous êtes vous-même un survivant des camps de concentration ? Je leur explique que même si les conditions de vie dans un stalag étaient terribles, cela n’avait rien à voir avec l’expérience concentrationnaire. (…) Quant à ce qu’il m’est arrivé pendant la guerre, il me fallait de toute façon tourner la page, pardonner pour pouvoir avancer. ».

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Pendant le tournage de cette série, rien n'était improvisé. Certes, le lundi, aux séances de répétition, quand le producteur ou le réalisateur étaient présents, à la lecture du scénario et des dialogues, les acteurs pouvaient faire quelques corrections, mettre leur grain de sel, mais pendant les jours de tournage, rien ne devait changer par rapport au texte. Dans la série, le caporal de l'armée de l'air française qu'il jouait portait le matricule n°19176546.

Comme dit plus haut, il justifiait sa participation comique à cette série parce qu'il y avait une grande différence entre les camps de concentration et les stalags, en précisant : «  Le Stalag 13 n'est pas un camp de concentration ; c'est un camp de prisonniers de guerre, et il y a un monde de différence. Vous n'avez jamais entendu parler d'un prisonnier de guerre gazé ou pendu. Quand dans le spectacle à l'antenne, on m'a demandé si j'avais des scrupules à faire une série comique sur les nazis et les camps de concentration, j'ai dû expliquer qu'il s'agissait de prisonniers de guerre dans un stalag, pas dans un camp de concentration, et bien que je n'aie pas voulu diminuer ce que les soldats ont enduré pendant leurs internements, c'était comme la nuit et le jour de ce que les gens ont enduré dans les camps de concentration. ».

Dans son film "La vie est belle" (sorti le 31 décembre 1997), l'acteur et réalisateur Roberto Benigni (qui vient de fêter ses 70 ans) a, lui, fait sa comédie la moitié du film dans le cadre d'un camp d'extermination, avec plus ou moins de succès. Mais c'était trente ans plus tard, la parole des déportés s'était libérée entre-temps.

Robert Clary a fait de nombreux cauchemars pendant des décennies sur ce qu'il avait vécu dans les camps et ce ne fut qu'au bout d'une trentaine d'années qu'il a pu raconter ses souvenirs, témoigner de l'horreur, aller dans les écoles, faire le tour des États-Unis et du Canada pour faire de nombreuses conférences sur le sujet, bref, transmettre la mémoire : « Pendant 36 ans, j'ai gardé ces souvenirs de la guerre enfermés en moi. Mais ceux qui tentent de nier l'Holocauste, mes souffrances et les souffrances de millions d'autres m'ont forcé à parler. ». Il a aussi participé à de nombreuses émissions de télévision, à un documentaire en 1985 sur PBS consacré à son témoignage, et a publié en 2001 une autobiographie au titre très évocateur : "De l'Holocauste à Papa Schultz".

Pendant toute sa carrière, Robert Clary a côtoyé des stars du cinéma, comme Carl Reiner (1922-2020) et Mel Brooks (né le 26 juin 1926), aussi Kirk Douglas avec qui il a joué dans un film de guerre ("Remembrance of Love", diffusé le 6 décembre 1982 sur NBC), ou encore Eddie Cantor dont il est devenu le gendre en 1965 à titre posthume pour trente-deux ans (Eddie Cantor est mort en 1964 et sa fille Natalie en 1997).

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Membre du parti démocrate, Robert Clary a été désolé de voir Donald Trump triompher en novembre 2016 et voir aussi Marine Le Pen accéder au second tour de l'élection présidentielle en 2017 (et en 2022) en France. Il fustigeait les candidats populistes qui n'avaient rien compris des leçons du passé : « Après ce qu’il s’est passé pendant la guerre en Europe, cela me dégoûte. (…) Le monde entier semble encore avoir du mal à tirer les leçons de ses erreurs passées. ».

Français, il se plaisait en Californie. Robert Clary n'a jamais pensé revenir vivre en France depuis son départ en 1949. Il disait en 2017 : « C’est normal que je me sente plus Américain que Français. Ça fait soixante-dix ans que je vis ici ! Et l’Amérique m’a tellement apporté. ». Il est mort aux États-Unis, dans ce qui ressemblait à un ranch à Beverly Hills.

Robert Clary avait-il un secret pour vivre aussi vieux ? Peut-être pas, si ce n'est que malgré les horreurs absolues qu'il a pu vivre, il ne s'est pas victimisé et au contraire, il a même su en rire. Le sens de l'humour comme meilleur vaccin pour la vie...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (20 novembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La Shoah.
Kirk Douglas.

Emmanuel Macron à Pithiviers.
Robert Clary.
Quai d'Orsay.
Thierry Lhermitte.
Dupont Lajoie.
Emmanuelle Bercot.
Jacques Tati.
Sandrine Bonnaire.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20221116-robert-clary.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/robert-clary-matricule-a-5714-245004

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/11/24/39721954.html





 

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24 novembre 2022 4 24 /11 /novembre /2022 04:55

« Les réseaux sociaux, c'est un bon truc sociologique pour juger de l'état de l'opinion, mais là c'est carrément angoissant. » (Thierry Lhermitte, "Le Point" le 11 septembre 2016).




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Le célèbre comédien Thierry Lhermitte fête son 70e anniversaire ce jeudi 24 novembre 2022. Un comble de devenir vieillard (bon, c'est vrai, à 70 ans, on était vieillard en 1970, maintenant, il faut avoir au moins 90 ans pour être vieillard !) quand on a commencé sa carrière sur le souvenir de Popeye, ce playboy séducteur, symbole agaçant de la jeunesse en bonne santé (plus affective que mentale).

En fait, justement, non ! On aurait pu imaginer que Thierry Lhermitte voulût rester dans ce registre qu'il a acquis, en même temps que le succès, au sein de la Troupe du Splendid dans des comédies hyperconnues comme "Les Bronzés" ou "Le Père Noël est une ordure", et si cela lui a profité au début de sa carrière pour se faire connaître, il n'est heureusement pas resté prisonnier de ce type de rôle.

Au contraire, la vieillesse, ou plutôt, l'arrivée de la maturité lui a profité pour construire des rôles et des personnages plus subtils. Contrairement à son compère et ami Christian Clavier, camarade de classe à Neuilly-sur-Seine avec Michel Blanc et Gérard Jugnot, l'âge ne lui a pas fait prendre du volume à l'instar de Gérard Depardieu, physiquement mais aussi peut-être caricaturalement. Il est resté au contraire un jeune homme longiligne, ce qui lui a apporté la crédibilité du médecin, breton d'adoption, qu'il incarnait dans la série télévisée "Doc Martin" (diffusée sur TF1 du 10 janvier 2011 au 27 avril 2015).

J'ai été bluffé après une grosse inquiétude par sa prestation dans "Quai d'Orsay" de Bertrand Tavernier (sorti le 6 novembre 2013), une adaptation de l'excellente bande dessinée de Christophe Blain et Abel Lanzac (Antonin Baudry), alors que j'avais adoré l'œuvre originale et justement, je craignais que Thierry Lhermitte fût trop lui-même... Or, au contraire de nombreux acteurs largement confirmés, Thierry Lhermitte a su s'effacer derrière son personnage, celui de Dominique de Villepin (Alexandre Taillard de Worms), dynamique mais fatigant Ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac (épuisant tous ses conseillers) : « Le "mulot" de Chirac, ce n'est pas une blague. En préparant l'adaptation de "Quai d'Orsay", j'ai découvert que Dominique de Villepin, que j'ai par ailleurs trouvé très sympa, ne savait pas se servir d'un ordinateur. Du reste, il n'y a pas Internet au Quai d'Orsay pour des raisons de sécurité. C'est incroyable ! » ("Le Point").

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Si la comédie de Tavernier a été excellemment bien servie par Raphaël Personnaz (très en vogue cette année-là avec aussi la saga Malaussène, "Au bonheur des ogres"), le parfait Niels Arestup en indispensable directeur de cabinet qui règle tous les problèmes (César 2014 du meilleur acteur dans un second rôle), et la dircab adjointe, malicieuse nymphomane, jouée par Julie Gayet (qui sortait des fictions élyséennes), Thierry Lhermitte y a apporté tout son talent de l'interprétation du personnage central.

Près de cent cinquante films au cinéma (du film "Les Valseuses" au numéro deux de "Joyeuse retraite !"), quelques dizaines interprétations pour la télévision et le théâtre (encore très récemment, au festival d'Avignon en 2022), Thierry Lhermitte est pourtant un comédien dilettante, se permettant de choisir les films et les personnages qu'il jouerait. Au-delà des succès des trois "Bronzés" (1978, 1979, 2006) et du "Père Noël est une ordure" (1982), il a aussi joué dans "Clara et les chics types" (1981), les trois numéros de la série "Les Ripoux" avec Philippe Noiret (1984, 1990 et 2003), "Le Zèbre" (1992), "Le Placard" (2001), et surtout, il a contribué à l'immense succès d'un film pièce de théâtre, dans le style de la grande époque du Splendid mais sans ses autres amis de la troupe, à savoir "Le Dîner de cons" de Francis Veber (sorti le 15 avril 1998), même si l'apport de Jacques Villeret et de Daniel Prévost m'a paru capital. Il a généralement un rôle de dirigeant, chef, cadre supérieur, profession libérale, bourgeois, etc.

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Dans un autre film où il s'est essayé au scénario (ce n'était pas le seul), "Un Indien dans la ville" de Hervé Palud (sorti le 14 décembre 1994), lui aussi un immense succès (qui a relancé la carrière de l'acteur après plusieurs échecs), Thierry Lhermitte, également producteur du film, avait demandé à tous les figurants présents aux Champs-Élysées d'être équipés d'un téléphone mobile pour illustrer le grand contraste technologique avec le jeune Indien débarquant dans le monde moderne, et les gens autour de lui se marraient en se disant que c'était de la science fiction (que tout le monde fût doté de téléphone mobile). C'était en 1994 !

Effectivement, Thierry Lhermitte, petit-fils et neveu de deux neurologues de renom, a toujours été un passionné des nouvelles technologies. Si après son baccalauréat scientifique (filière C), il n'a pas vraiment poursuivi ses études pour apprendre le métier de comédien et jouer avec le Splendid, Thierry Lhermitte a toujours appris sur le tas, possédant dès les années 1980 un ordinateur Amstrad 6128 (il était pote avec Bernard-Pierre Donnadieu, lui aussi utilisateur d'un Amstrad). Adorant les mathématiques, Thierry Lhermitte est toujours resté très informé de l'actualité scientifique et technologique, réfléchissant sur les avancées de l'informatique, imaginant l'importance grandissante de l'Internet et anticipant les probables progrès médicaux d'une association homme-machine (sans forcément tomber dans le délire du transhumanisme).

Ci-dessous, une vidéo fort intéressante de janvier 1996 où Thierry Lhermitte montrait l'intérêt de l'Internet à Jean-Luc Delarue et Jean-Claude Brialy. Michel Boujenah, également présent sur le plateau de l'émission, semblait déjà initié.





Passionné, il faisait encore récemment une chronique mensuelle sur les sciences sur France Inter après avoir officié au "Magazine de la Santé" de France 5. Il a également investi dans des start-up de haute technologie sans pour autant gagner au jackpot (il a reconnu qu'il y avait perdu pas mal d'argent). Il a sympathisé avec l'inventeur de la carte à puce Roland Moreno, qui était venu l'écouter au théâtre et ils sont devenus très rapidement amis au restaurant, même si à la fin de la vie de ce dernier, Thierry Lhermitte était en froid après une discussion où il remettait en cause les droits d'auteur (alors que lui-même avait reçu des millions de rente sur les redevance de son brevet).

Pour comprendre sa passion de geek, il faut relire son entretien accordé à Guillaume Grallet et Thomas Mahler publié dans "Le Point" du 11 septembre 2016, où il assumait clairement son soutien à la loi Hadopi qui protégeait les droits d'auteur : « À l'époque, personne n'a osé dire : "Moi, je vous emmerde, c'est mon boulot. Et mon boulot je le vends. Et si vous voulez le voler, je vais vous attaquer ". Tout le monde était gêné. ».

L'acteur avait conscience déjà qu'il perdait beaucoup de temps avec les réseaux sociaux : « Internet, c'est super, mais c'est aussi une perte de temps car tellement addictif ! Twitter, c'est le café du commerce à grande échelle. Je regarde mon profil Facebook vingt-cinq fois par jour en me demandant quelle nouvelle connerie je vais y trouver. En plus, comme je fais du cheval, j'ai accepté plein de gens de plein de milieux différents. Mais il y a des monstres et des racistes ! ».

Mais le plus croustillant qu'il a confié, c'est qu'il s'amusait follement à un petit jeu qui s'apparente beaucoup avec le Dîner de cons. En effet, régulièrement, Thierry Lhermitte s'amuse à proposer des citations, mais totalement inventées de lui : « Ce que j'aime bien faire sur Facebook, c'est poster de fausses citations, juste pour voir le nombre d'abrutis qui vont liker. (…) Celle qui a le mieux marché, c'est un faux Voltaire : "Ne jugez pas ce que l'avenir a condamné, le passé pourrait bien vous en absoudre". Évidemment, ça ne veut rien dire. Heureusement, mes enfants n'ont pas "liké". J'ai été très fier d'eux. ».

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Plus sérieusement, Thierry Lhermitte, qui a développé une véritable expertise personnelle sur l'avancée des sciences grâce à ses visites régulières dans des laboratoires de recherches pour ses documentaires télévisés, a une certaine idée sur les futurs développements de la technologie : « Je crois que c'est dans la biologie que les choses incroyables vont nous arriver. La communication a connu un bond prodigieux en vitesse, mais dès que tu te confrontes au vivant, tu restes à la vitesse du vivant. ».

Alors, c'est vrai que la carrière de comédien ne sera jamais achevée tant qu'il n'aura pas joué dans un film qui explique une facette de la science. À l'âge de la maturité, il sera probablement très crédible dans le débat philosophique qui tourne autour de la physique quantique. Je ne le vois pas en Albert Einstein, mais pourquoi pas en Niels Bohr, en Paul Dirac ou encore en Alain Aspect ?


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (20 novembre 2022)
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Pour aller plus loin :
Quai d'Orsay.
Thierry Lhermitte.
Dupont Lajoie.
Emmanuelle Bercot.
Jacques Tati.
Sandrine Bonnaire.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/thierry-lhermitte-geek-passionne-244892

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13 novembre 2022 7 13 /11 /novembre /2022 04:05

La grande dame très respectée à travers le monde vient d'atteindre son centenaire.



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La société de radio et télévision publiques du Royaume-Uni fête son centenaire. Fondée le 18 octobre 1922, la British Broadcasting Corporation, autrement dit BBC (société de radiodiffusion publique) est née de manière très pragmatique : les fabricants de postes de radio voulaient augmenter l'offre de diffusion pour accroître leur nombre d'acheteurs, tandis que le service des postes et télécommunications ne voulait pas se lancer dans la diffusion d'émissions radios. La BBC était donc l'association de plusieurs entreprises d'intérêts privés et du service public, et l'un des objectifs a été de ne surtout pas diffuser beaucoup d'informations afin de ne pas concurrencer la presse écrite.

Dirigé par John Reith jusqu'en 1938, le consortium était composé notamment de Marconi, GEC, British Thomson Houston, Metropolitan-Vickers et Western Electric. BBC signifiait alors Bristish Broadcasting Compagny (société de droit privé) devenue en 1927 Bristish Broadcasting Corporation (société de droit public). Au fil de son développement, de nombreuses filiales ont été créées, radios et télévisions dans le monde entier.

La BBC a innové dans beaucoup de domaines, ouvrant la voie des radios puis télévisions des autres pays du monde entier. Elle reste la première société d'audiovisuel du monde, diffusant en 42 langues et bénéficiant de l'écoute de près de 500 millions d'auditeurs chaque semaine. Son atout est d'abord l'excellente image dont elle jouit, un gage de sérieux et de référence. Entre autres sujets d'excellence, les documentaires animaliers.

La première émission radio a été diffusée du studio londonien de Marconi le 14 novembre 1922 à 18 heures, heure de Londres, un bulletin d'information suivi d'un bulletin météo. Les premiers mots furent le nom de la radio expérimentale : « 2LO calling ! ». En guise d'information, seulement un bulletin quotidien fourni par les agences de presse. L'idée était surtout de proposer des émission de divertissement à un public appréciant les nouvelles technologies, sans pour autant entraîner la chute des journaux écrits. Mais c'est grâce à une grève très dure de la presse écrite en 1926 que la BBC a obtenu l'autorisation de diffuser régulièrement des informations, avec sa propre rédaction.

Les microphones coûtaient très cher au début des années 1930, si bien que la BBC a développé avec Marconi son propre microphone qui a abouti en 1934 au micro traditionnel des radios, qu'on peut apercevoir par exemple sur les photos représentant De Gaulle s'exprimant entre 1940 et 1943 à la BBC à Londres.

Au début, il y a eu une réelle inquiétude que la BBC concurrençât les communications officielles du gouvernement. Cependant, on a trouvé aussi dans la radiodiffusion une caisse de résonance inouïe pour les communications officielles. Ainsi, le 19 décembre 1932, la BBC a retransmis pour la première fois un message radiodiffusé du roi George V, son message pour Noël, diffusé partout dans le monde. Étrennant son nouveau service de télévision, la BBC a retransmis pour la première fois le couronnement du roi George VI le 12 mai 1937. Plusieurs millions de téléspectateurs étaient déjà au rendez-vous. Le premier programme en langue étrangère fut lancé en 1938. George VI s'exprima sur la BBC au début de la guerre le 3 septembre 1939 en prononçant son fameux discours raconté dans le films "Le discours d'un roi" de Tom Hooper (sorti le 22 décembre 2010). La télévision est passée à la couleur dès juillet 1967 avec la retransmission d'un match de tennis à Wimbledon (mais la couleur fut généralisée dans tout le groupe BBC seulement en 1976).

Le suicide d'Hitler fut annoncé par la BBC le 1er mai 1945, puis, quelques jours plus tard, le 7 mai 1945, la fin de la guerre pour le lendemain. Le déroulement des jeux olympiques de 1948 organisés à Londres fut retransmis par la BBC. Le couronnement de la reine Élisabeth II a marqué un événement mondial vu le 2 juin 1953 par une vingtaine de millions de téléspectateurs, puis, le 29 juillet 1981, 750 millions de personnes dans le monde ont assisté à la retransmission du mariage de Lady Diana et du Prince Charles. Et ce furent 4 milliards de téléspectateurs qui ont assisté aux funérailles de la reine Élisabeth II le 19 septembre 2022.

Par ailleurs, la BBC a produit de nombreuses fictions. Son premier feuilleton fut "The Archer" lancé en mai 1950. Le premier épisode de "Dr Who" fut diffusé en novembre 1963, le premier documentaire en 1974, le premier numéro de la série animalière "Life On Earth" en janvier 1979 et la série qui a été la plus regardée, "EastEnders", un soap opera, a commencé le 19 février 1985 et elle continue toujours (plus de 6 600 épisodes à ce jour), le troisième plus ancien programme encore en cours (et encore inédit dans les pays francophones).

Peter Ian Donaldson, présentateur de BBC Radio 4, mort à 70 ans en novembre 2015, prêta sa voix dans les années 1980 pour un message préenregistré qui aurait été diffusé en cas d'attaque thermonucléaire. Les auditeurs britanniques l'auraient ainsi entendu à la radio : « Ce pays a été attaqué par des armes nucléaires. Ne sortez pas de chez vous sous aucun prétexte ! ». Et il donnait quelques recommandations comme « L'eau] ne doit pas être utilisée pour tirer la chasse d'eau. ».

Malgré l'image prestigieuse de la BBC, elle n'a pas évité quelques scandales au fil de ce centenaire, notamment certains écarts de déontologie de la part de journalistes de la BBC qui enquêtaient sur la famille royale, sujet toujours très couru des rédactions.

Régulièrement, la BBC est contestée par la classe politique pour son indépendance de ton. Fustigée tant par les conservateurs (encore récemment par Liz Truss quand elle était Première Ministre) que par les travaillistes, elle risque d'être démantelée. Son financement par la redevance est assuré seulement jusqu'en 2027 et de nombreux services d'éducation, d'information et de divertissement sont remis en cause avec le changement des comportements, les télévisions sur Internet par streaming, les réseaux sociaux, etc. En janvier 2020, la direction de la BBC a annoncé un plan de suppression de 450 emplois dans sa rédaction, une coupe franche visant à dégager de quoi investir dans le numérique. (En France aussi, l'audiovisuel public reçoit moins de dotation et ne perçoit plus la redevance payée par les contribuables chaque année).

Longtemps la BBC était connue comme un modèle, ce dernier connaît donc maintenant ses limites avec le développement des nouvelles technologies. En France, elle reste encore la référence de l'audiovisuel public même si les deux sociétés françaises n'ont pas à rougir de honte : Radio France, qui regroupe les stations de radio du service public, affiche une influence record, l'audience de sa station phare France Infer continue à grimper pour hanter les sommets de Médiamétrie depuis plusieurs années, alors que l'audience de toutes ses concurrentes s'effondre avec le changement de comportement des plus jeunes. Et France Télévisions, qui regroupe les chaînes de la télévision publique, n'a pas non plus à rougir (quant au service public de l'audiovisuel extérieur, regroupant RFI et France 24 sous la société France Médias Monde, il dépend du Quai d'Orsay).

Depuis quelque temps, il est d'ailleurs vaguement question de réunir France Télévisions et Radio France, au risque de recréer l'ancienne ORTF à l'époque où l'information demeurait gouvernementale, alors que les succès ont pu être atteints en raison de leur autonomie respective. Ce sera d'ailleurs l'enjeu de la nomination dans quelques semaines pour la prochaine présidence de Radio France, disputée entre la présidente sortante sollicitant sa reconduction à la suite d'un mandat brillant de ses réussites, à l'antenne et sur Internet (premier producteur de podcast), et une ancienne secrétaire générale probablement plus proche d'une optique de fusion (mais ça reste à confirmer, je reviendrai peut-être sur le sujet plus tard). La chaîne de télévision franceinfo: est déjà un premier bébé commun à France 2 et France Info né le 1er septembre 2016, mais cette chaîne d'information continue reste encore à moitié confidentielle même si elle a progressé au fil des années de 0,3% à environ 0,8% de part de marché.

En revanche, pour le centenaire, les deux sociétés françaises de l'audiovisuel public devront encore attendre un certain temps. Radio France, née le 6 janvier 1975, n'a pas encore 50 ans, tandis que France Télévision vient de fêter ses 30 ans le 7 septembre 1992 après trois ans de présidence commune aux deux chaînes de télévision Antenne 2 et FR3. BBC est une sorte de vieille tante encore plein d'atours pour tous les audiovisuels publics dans le monde.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (12 novembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La BBC fête son centenaire.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20221114-bbc.html

https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/la-bbc-en-piste-pour-un-second-244348

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6 novembre 2022 7 06 /11 /novembre /2022 04:53

« [Jésus, c’est...] un copain d’enfance. Catéchisme, confessions, messe le vendredi... il a rythmé ma primaire et mes années collège. J’ai aussi vu un nombre incalculable de fois le film "Jésus de Nazareth" [de Franco Zeffirelli, 1977, NDLR], que projetait la salle en bas de chez moi. Je découvrais, en images, l’histoire que j’avais tant écoutée. C’était magique. De toute évidence, mon amour du cinéma vient de là. » (Emmanuelle Bercot, "Le Pèlerin" le 28 août 2019).




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L'actrice et réalisatrice française Emmanuelle Bercot fête son 55
e anniversaire ce dimanche 6 novembre 2022. Elle a quasiment le même âge que Julia Roberts (qui les a eus le 28 octobre). Elle fait partie des rares acteurs qui sont en même temps réalisateurs, avec une solidité professionnelle pour ces deux cordes du même arc (cinématographique), et en plus, elle fait aussi partie des rares réalisatrices femmes à être autant récompensées ou honorées par la profession. À ces deux métiers, elle en rajoute également un troisième non négligeable, celui de scénariste, ce qui en fait une cinéaste quasi-complète. Celle qui aurait voulu être chirurgienne dissèque les âmes et les corps avec la même précision pour le bonheur des spectateurs.

Emmanuelle Bercot a reçu notamment deux prix du Festival de Cannes et le Prix de l'Âge d'or, et si elle n'a pas été récompensée, pour le moment, par un César, elle a quand même été nommée cinq fois, dont quatre fois en 2016 tant pour ses qualités d'actrice (meilleure actrice) que pour ses qualités de réalisatrice (meilleur film, meilleur réalisateur) et même de scénariste (meilleur scénario original).

Parmi les films longs-métrages qu'elle a réalisés (elle a réalisé aussi plusieurs courts-métrages qui ont été très remarqués comme "Les Vacances" sorti le 17 novembre 1999), on en peut citer six intéressants : "Clément" sorti le 4 juin 2003 (avec notamment Lou Castel et Jocelyn Quivrin), "Backstage" sorti le 16 novembre 2005 (avec Emmanuelle Seigner et Isild Le Besco), "Elle s'en va" sorti le 18 septembre 2013 (avec Catherine Deneuve et Claude Gensac), "La Tête haute" sorti le 13 mai 2015 (avec Catherine Deneuve, Benoît Magimel, Sara Forestier et Rod Paradot), "La Fille de Brest" sorti le 23 novembre 2016 (avec Benoît Magimel et Sidse Babett Knudsen) et "De son vivant" sorti le 24 novembre 2021 (avec Catherine Deneuve, Benoît Magimel et Cécile de France). Pour tous ces films, Emmanuelle Bercot a non seulement été leur réalisatrice mais également leur scénariste ou coscénariste, et pour "Clément", elle a aussi joué le personnage principal (pas dans les autres films cités).

"Clément" est le premier long-métrage d'Emmanuelle Bercot, tourné en 2001 et présenté au Festival de Cannes de 2001 (il a reçu le Prix de la Jeunesse), réalisé pour la chaîne Arte mais sorti seulement deux ans après avoir longtemps refusé la censure de deux scènes d'amour qui faisaient scandale puisqu'il s'agit de relations devenues amoureuses entre une jeune femme trentenaire (Emmanuelle Bercot) et son filleul de 13 ans (joué par Olivier Guéritée). Emmanuelle Bercot voulait dépeindre l'anormalité des situations d'un amour impossible et pas du voyeurisme pédophile : la réalisatrice voulait parler d'amour, pas de morale. Ce film a aussi reçu le Prix de l'Âge d'or en 2003 décerné par la Cinémathèque royale de Belgique.

Dans "Elle s'en va", Emmanuelle Bercot a choisi Catherine Deneuve comme personnage principale (elle allait devenir l'actrice fétiche de la réalisatrice) avec entre autres sa mère jouée par Claude Gensac et son petit-fils joué la Nemo Schiffman, le propre fils d'Emmanuelle Bercot). L'histoire est centrée sur le personnage de Catherine Deneuve.

Sélectionné hors compétition pour l'ouverture du Festival de Cannes en 2015, "La Tête haute", qui raconte la vie très difficile d'un adolescent devenu délinquant, est sans doute le film d'Emmanuelle Bercot qui a reçu le plus de récompenses ou de citations (en particulier, il a reçu deux Césars 2016, celui du meilleur espoir masculin pour Rod Paradot et celui du meilleur acteur dans un second rôle pour Benoît Magimel). Certes authentique, mais restant toujours dans le cadre de la fiction, le film ne fait pas documentaire comme cela aurait pu en être la tentation. C'est avec ce film très ambitieux qu'Emmanuelle Bercot est entrée dans le très petit cercle des auteurs qui comptent en France.

Laurent Aknin (du site avantscenecinema.com) le considère comme très réussi : « "La Tête haute" est tout sauf un film à thèse, et s’il en plaide une, c’est sans doute uniquement le rappel de la nécessité et de l’utilité des structures de centres éducatifs pour jeunes délinquants, en montrant l’incroyable patience et le dévouement (non exempt d’autorité et de stricte fermeté) des éducateurs. (…) Car le film de Bercot, et c’est la plus grande surprise, est fondamentalement optimiste. La cinéaste prend le parti et le pari de la réussite de l’éducation, de la possibilité pour un jeune pour qui a priori tout semble perdu d’avance de, comme dit le titre, relever la tête et marcher finalement en levant les yeux. Pour ce faire, elle semble toujours adopter la bonne distance et le bon point de vue. ».

Dans "La Fille de Brest", Emmanuelle Bercot a repris le scandale du Mediator sous l'angle de la lanceuse d'alerte, la pneumologue Irène Frachon. C'est sa rencontre avec la pneumologue qui a convaincu la réalisatrice de tourner ce film alors que la société de production qui a produit "Backstage" lui avait proposé un tel film. Six ans ont été nécessaire pour comprendre le milieu médical, avec les rencontres au CHU de Brest. La fiction a été légèrement modifiée par rapport au livre d'Irène Frachon dont c'était l'adaptation. La seule critique de la pneumologue a été que le film n'évoque pas le Ministre de la Santé de l'époque, Xavier Bertrand, qui l'avait soutenue dès le début de son combat, notamment en commandant sur le sujet un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales. Le choix de Sidse Babett Knudsen, l'actrice qui a joué la Première Ministre dans la série danoise "Borgen, une femme au pouvoir", pour jouer le rôle d'Irène Frachon, lui a été conseillé par Catherine Deneuve. Sidse Babett Knudsen venait d'être "révélée" en obtenant le César de la meilleur actrice dans un second rôle pour le personnage de la jurée donnant la réplique au juge joué par Fabrice Luchini dans "L'Hermine" (de Christian Vincent) sorti le 18 novembre 2015.

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"De son vivant" est le dernier long-métrage d'Emmanuelle Bercot qui évoque le thème de la maladie et de la mort. Une mère (Catherie Deneuve) apprend que son fils, professeur d'art dramatique, encore jeune (Benoît Magimel), est atteint d'un cancer du pancréas en phase terminale et va donc bientôt mourir. Tourné à partir d'octobre 2019, le film a été en arrêt à partir de novembre 2019 en raison de l'AVC dont a été victime Catherine Deneuve pendant le tournage dans un hôpital (où elle a été immédiatement prise en charge), puis de la crise du covid-19. Le tournage a repris en juillet 2020. Sélectionné hors compétition au Festival de Cannes 2021, le film a reçu le César 2022 du meilleur acteur pour Benoît Magimel. Ce qui n'était pas du tout ordinaire dans ce film, c'est que c'était le véritable cancérologue qui a joué son propre rôle.

Pour le site du CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée), Emmanuelle Bercot a expliqué le 23 novembre 2021 : « Tout est parti de la volonté d’écrire un mélodrame pour Catherine Deneuve et Benoît Magimel [déjà ensemble dans "La Tête haute"]. Très vite, je savais qu’il allait s’incarner à travers une relation mère-fils marquée par le spectre de la mort. (…) Dans mon cinéma, la fiction prime toujours. Le réel ne fait que l’enrichir mais n’agit pas en surplomb. La première question était donc de savoir quelle histoire je voulais raconter. Comme beaucoup de gens, j’ai été moi-même confrontée dans mon intimité à la maladie. J’avais donc une matière documentaire à ma disposition. ».

Comme indiqué plus haut, Emmanuelle Bercot est aussi une actrice de grand talent, elle a joué dans environ une demi-cinquantaine de films. J'en retiendrai vraiment un seul qui m'a frappé, et j'en citerai un autre, deux qu'a réalisés Maïwenn Le Besco.

Je cite le premier "Polisse" (sorti le 19 octobre 2011) parce que si Emmanuelle Bercot a joué aux côtés notamment de Karin Viard, Marina Foïs, Maïwenn, Joey Starr, Wladimir Yordanoff, etc., elle a aussi collaboré avec Maïwenn pour le scénario (ce qui lui a valu une nomination aux Césars 2012 pour le meilleur scénario original ; et bien d'autres récompenses et nominations pour Maïwenn et ce film).

L'idée de faire jouer Emmanuelle Bercot dans le rôle principal de "Mon Roi" (sorti le 21 octobre 2015) était venue assez naturellement à sa réalisatrice et coscénariste Maïwenn ; elle l'a exprimé le 25 mai 2015  : « Oui, j’avais très envie de faire un film avec Emmanuelle, mais elle a pas mal hésité. Dès "Polisse", elle s’est mise à me hanter. (…) Elle me disait : "Pourquoi moi  ? Mais je suis pas belle, je suis pas si, pas ça". Plus elle disait ça et plus je la voulais parce que c’est justement l’histoire d’une fille qui ne comprend pas pourquoi elle est choisie par un séducteur qui pourrait avoir n’importe quelle nana. Emmanuelle, c’est quelqu’un qui rigole très fort, son rire est très communicatif, j’adore ça. Elle pleure aussi très facilement, elle est très émotive. » ("Première").

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"Mon Roi" est un film qui est entier. Il raconte les relations très tortueuses, torturées, chaotiques (c'est du Maïwenn), au sein d'un couple, Emmanuelle Bercot (Tony) et Vincent Cassel (Giorgio). Ce dernier met d'ailleurs mal à l'aise, tant Vincent Cassel se la joue à la Patrick Dewaere, l'air assez inquiétant et troublant, grand séducteur, macho à mort. L'histoire est finement racontée, sur deux unités de temps, la pendant convalescence de la femme séparée après une chute de ski, et, bien avant, lors de la rencontre tumultueuse avec l'homme. Ce film me paraît essentiel dans l'histoire des femmes. Il me trouble encore car à la place de la femme, j'aurais immédiatement quitté cet homme infidèle, sexiste, menteur, lâche, addict, et finalement, violent. Certes, il n'y a aucune réelle violence physique, mais une violence psychologique extrême. Et ce sentiment diffus que Vincent Cassel ne méritait pas Emmanuelle Bercot (leur personnage, bien sûr !).

La scène de la fin est intéressante aussi, qui va au-delà d'une narration conjugale, pour se rapprocher d'une chronique sociale : pourquoi elle, l'avocate, préfère-t-elle fréquenter ses camarades de convalescence qui sont beaucoup plus jeunes qu'elle (qui pourraient presque être ses enfants), beaucoup moins diplômés qu'elle, d'un milieu beaucoup moins aisé (habitant dans une "cité de banlieue")... à fréquenter des avocats, des médecins, des artistes de son milieu ? Et la réponse de la personnage principale est simplement : parce que je me sens bien avec vous, je m'y sens à l'aise. Parmi les autres acteurs, on y retrouve aussi Isild Le Besco, la petite sœur de Maïwenn.

Comme l'expliquait Maïwenn plus haut, Emmanuelle Bercot était très réticente à l'idée de jouer de ce mélodrame : « J’étais persuadée, à tort, qu’à l’écran, le couple ne serait pas crédible. Un Cassel ne pouvait pas tomber amoureux d’une Bercot. ». Et Maïwenn a tenu à la détromper : « Emmanuelle a un regard très innocent qui correspondait exactement au personnage de Tony, qui a des rêves romantiques de petite fille : c’est pour ça qu’elle ne se remet pas de ce que lui fait vivre Georgio. ».

Le tournage fut très difficile et épuisant pour Emmanuelle Bercot qui vivait complètement ce qu'elle jouait : « Avec Maïwenn, on vit autant qu’on joue. On ne triche pas. Les scènes, très dures émotionnellement, me vidaient. ». Cet effort fut largement récompensé, d'abord par la vision de ce film excellent même si gênant (une rediffusion a eu lieu récemment sur une chaîne TNT, le 27 octobre 2022), ensuite parce qu'avec sa participation à ce film, Emmanuelle Bercot a reçu le Prix d'interprétation du féminine du Festival de Cannes 2015, autrement dit, elle a été consacrée reine du cinéma français en tant qu'actrice. Le petite fille est devenue princesse dans un conte de fée !
La prochaine rediffusion du film "Mon Roi" aura lieu ce jeudi 10 novembre 2022 à 23 heures 10 sur la chaîne Chérie 25.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 novembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Emmanuelle Bercot.
Jacques Tati.
Sandrine Bonnaire.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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4 novembre 2022 5 04 /11 /novembre /2022 04:05

« En vous présentant la musique originale, naïve et gaie de ce ravissant chef-d'œuvre, nous savons ce que nous faisons : nous vous offrons l'illustration sonore d'un film qui durera autant que les bandes immortelles de Chaplin (…). Et Tati est bien plus qu'un Chaplin français ; c'est un créateur original, un poète de la pellicule, un artiste aussi simple qu'il est bourré de talent. Tati c'est Tati : Il ne ressemble à personne et il faudrait se donner bien du mal pour lui ressembler. » (Boris Vian présentant le film "Mon Oncle" en mai 1958).



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Le réalisateur et acteur Jacques Tati est mort à Paris il y a quarante ans le 4 novembre 1982, à l'âge de 75 ans (il est né le 9 octobre 1907). D'origines russe par son grand-père paternel (son patronyme était Tatischeff) et italienne et néerlandaise par sa mère, Jacques Tati a été un cinéaste plein d'humour léger qui a peu tourné, seulement six longs-métrages, mais des chefs-d'œuvre ! Son sosie et doublure, Jacques Cottin, costumier de métier, qui est apparu furtivement dans un film de François Truffaut et mort il y a vingt ans, est né, quant à lui, il y a juste un siècle le 2 novembre 1922.

Je serais tenté de dire que la France de Jacques Tati est celle des années 1950... mais non, elle est plus large, beaucoup plus générale que cela, je pense qu'on peut dire que la France de Jacques Tati est celle des Trente Glorieuses, celle de l'après-guerre, des années de reconstruction, des années de restabilisation de l'économie et de la société (en fait, il y a eu beaucoup de crises économiques dans les années 1950 et la fin des années 1960 a connu une révolte étudiante qui secoue encore notre société actuelle), c'est surtout la France d'avant les crises, d'avant les chocs pétroliers, d'avant le chômage, d'avant la globalisation, d'avant la peur de l'avenir. C'était la France prospère, celle qu'on pourrait regretter en oubliant qu'il n'y avait pas encore, ou presque, toutes les avancées du confort quotidien (réfrigérateur, lave-linge, télévision, ordinateur, smartphone, Internet, etc.) et tous les progrès de la médecine, comme un nostalgique qui perpétue jusque dans l'idéologie politique (souvent d'extrême droite) cette idée fausse qu'avant, c'était mieux, pour juste comprendre qu'avant, j'étais plus jeune, j'étais plus beau.

Pour le cinéma, c'est peut-être le cas. N'avez-vous pas remarqué qu'il y a une différence notable entre les films à partir des années 1990 et ceux d'avant, années 1980, et avant, années 1970, 1960, 1950, etc. ? C'est le rythme. Dans les années 1950, dans les années 1960, dans les années 1970, on avait le temps. Le réalisateur prenait le temps. Le personnage silencieux allait prendre son verre de whisky et revenait avant de sortir la phrase cruciale. Maintenant, c'est de la musique folle (j'ai du mal à aller dans une salle de cinéma, le son est vraiment réglé pour les sourds-dingues), un rythme fou, on n'a pas le temps de réfléchir, on doit à tout prix piger tout de suite, sinon, on perd le fil définitivement (heureusement, les histoires sont souvent simplissimes !).

Et je ne parle pas de la rapidité de l'information où le spectateur zélé de BFMTV ou de LCI connaît mieux l'actualité, plus rapidement, plus complètement, que le ministre retenu à une interminable inauguration qu'un événement quelconque. Cette course effrénée de l'existence, elle se ressent aussi dans la vie professionnelle, avec des objectifs et des agendas impossibles à tenir (mais qu'on tiendra car on le vaut bien et qu'il y a la concurrence), aussi dans la santé (avec l'accroissement des burn-out), etc.

Eh bien, le cinéma de Jacques Tati, maintenant, il repose. Il repose sans plus dans la phrase, et il repose sur le calme, la fraîcheur, la vie vraie, celle champêtre, celle de l'authenticité. Celle de la vie simple, sans ambition, comme de modestes chroniques sociales qui hument l'époque (qu'on regrette donc, même si, finalement, on ne l'a jamais connue car il faudrait avoir été adolescent à la sortie de la guerre pour la connaître vraiment, cette période, cela limite le nombre de personnes !). Jacques Tati est comme un peintre de la fin du XIXe siècle, un impressionniste qui laisse s'impressionner sur la pellicule l'air du temps. Il est un témoin précieux de ce qui ne se fait plus.

Jacques Tati a repris l'idée de Charlie Chaplin à l'époque du cinéma muet, il a créé son personnage très typique (un peu trop typique au point de risquer d'exaspérer même ses plus fervents adorateurs), le fameux Monsieur Hulot, comme Chaplin avait son Charlot. Et il a fait des films comme réalisateur, scénariste et acteur principal. Une sorte de tout ou rien. En fait, il y a eu beaucoup de rien car hélas, le nombre de films se compte quasiment sur les doigts d'une seule main. Il revendiquait une inspiration de Chaplin, et aussi de Buster Keaton. En revanche, il ne voulait pas jouer à l'humoriste, il voulait s'intégrer dans une peinture plus vaste, s'effacer derrière l'histoire. Après Jacques Tati, je n'ai guère trouvé que Rowan Atkinson comme exemple d'avoir voulu continuer le genre, celui d'une chronique sociale qui peut s'autosuffire, sans vraiment de parole, sans vraiment de scénario, avec son personnage de Mister Bean.

Wikipédia, aidé d'un document pédagogique sur l'art burlesque, va même plus loin : « Monsieur Hulot s'inscrit ainsi dans la lignée des burlesques du cinéma muet, tels que le firent certains acteurs et scénaristes comme Max Linder, Charlie Chaplin, Harold Lloyd, Buster Keaton, etc. ».

C'est d'ailleurs assez fédérateur, assez universaliste, l'absence de parole, ou les paroles inutiles pour comprendre le film, cela permet aussi d'exporter le film dans les pays ne parlant pas votre langue. Chez Jacques Tati, la bande-son était essentielle. Bien sûr, la petite musique très caractéristique de ses films. Mais pas seulement : quand Monsieur Hulot a son patron au téléphone, on l'entend vitupérer mais sans en comprendre exactement le sens, il n'y a pas besoin, c'est l'engueulade l'essentiel. On retrouve cette caractéristique chez Charlot ou Bean. Hulot était aux Trente Glorieuses (en France) ce que Charlot a été à l'entre-deux-guerres aux États-Unis et ce que Bean allait être dans les années 1990 en Grande-Bretagne.

Le personnage de Monsieur Hulot également est très caricatural. Probablement un rêveur, un distrait, un contemplatif (à opposer au productif, voir Marthe et Marie), mais aussi un très observateur, un tendre, un perspicace, un bricoleur, un ingénieux, un poète... La silhouette suffit à le reconnaître, la pipe, le chapeau, l'imperméable, le parapluie et la démarche bien personnelle. La seule ombre d'une pipe, ou la présence d'un chapeau sur un port-manteau, suffisent à signifier la présence de Monsieur Hulot. La pipe a d'ailleurs fait polémique en avril 2009 à cause d'une affiche de la Cinémathèque française car elle contrevenait à la loi contre le tabac : il ne fallait plus exposer de pipe (et Magritte alors ? Et Lucky Luke?). Au fait, quel était donc le prénom de Monsieur Hulot ?

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Dans chacun de ses films, Jacques Tati brossait une critique des comportements sociaux, mais avec une très forte tendresse, une bienveillance qu'on pourrait retrouver chez Pierre Desproges voire Coluche. Il n'y avait aucune méchanceté, aucune volonté de pourfendre des individus ou groupes d'individus, juste signaler les petits (et gros) défauts d'une société, de plus en plus de consommation, et de sa communauté humaine. C'était le cas aussi de Charlie Chaplin (avec plus de violence dans les personnages) et de Rowan Atkinson. Par exemple, dans "Trafic", il montrait dans un embouteillage que tous les automobilistes se grattaient le nez. Je me suis amusé à regarder dans un embouteillage parisien, et c'était vrai (bien que beaucoup plus tardif !).

Cette description, cette société qu'il a dépeinte, permettant de presque mythifier les Trente Glorieuses, Jacques Tati n'a pas été le seul à la faire. Sempé aussi l'a fait à sa manière, avec ses nombreux dessins, présentant une France qui passait du rural à l'urbain, des champs et du travail à la ferme à la vie parisienne infernale, celle du métro boulot dodo. C'était aussi la France de l'enfance de cette génération du baby boom, celle qui a été doublement gâtée, par le plein emploi et par la retraite dans les meilleures conditions.

Chaque film, chaque thème, présentait ainsi un (beau) tableau de la société française de la part de Jacques Tati.

Ainsi, dans "Jour de fête" (sorti le 11 mai 1949), c'était bien une France rurale que voulait dépeindre Jacques Tati en filmant le village berrichon de Sainte-Sévère-sur-Indre en pleine fête, avec le postier en personnage principal (joué par Jacques Tati qui n'était pas encore Monsieur Hulot). Toute la mécanique de Tati s'est mise en place : description minutieuse, anecdotique, importance du mouvement, paroles sans importance, impression globale de foule, de fête, comme dans les grands dessins où de nombreux personnages sont exposés, faisant différentes choses.

"Les Vacances de Monsieur Hulot" (sorti le 25 février 1953), c'était bien le thème des vacances à la plage, grâce aux congés payés, qui prévalait pour ce premier long-métrage avec Monsieur Hulot. Une description des vacanciers et un cadre qu'allait rappeler une soixantaine d'années plus tard le film de Laurent Tirard "Les Vacances du Petit Nicolas" (sorti le 9 juillet 2014), ce qui n'était pas étonnant puisque "Le Petit Nicolas" vient de Sempé et Goscinny, les deux histoires se déroulant à la même époque en Bretagne (en principe pour le Petit Nicolas, tournée sur l'île de Noirmoutier). Pour Monsieur Hulot, cela se passait sur une plage de Saint-Nazaire, celle de Saint-Marc-sur-Mer, avec la mention désormais de "Plage de Monsieur Hulot" (j'ai eu l'agréable fortune d'avoir un déjeuner professionnel au restaurant des lieux, tout dédié à Jacques Tati, au bord de l'océan).

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Enfin est arrivé "Mon Oncle" (sorti le 10 mai 1958), peu avant le retour au pouvoir de De Gaulle, que je considère (avec beaucoup de monde) comme le plus grand chef-d'œuvre de Jacques Tati, critique gentille de la société de la fin des années 1950 marquée par la construction à tout-va, par le progrès matériel, et par le modernisme, voire le futurisme. C'était aussi l'époque (avec les années 1960) des meubles au design supposé moderne (et authentiquement horrible !) qu'on retrouve aussi chez Franquin dans Gaston Lagaffe, des films de science-fiction avec vêtements et décors futuristes, etc. L'histoire est assez anecdotique puisque c'est Monsieur Hulot qui va visiter sa sœur mariée à un riche directeur d'usine (fabriquant des tuyaux en plastique), son futur employeur, qui montre son niveau de vie en étant fier de sa maison possédant tous les gadgets inutiles de la modernité technologique, comme une fontaine d'eau qui fonctionne automatiquement (ou devrait fonctionner), des appareils électroménagers modernes, etc. Monsieur Hulot évidemment va multiplier les pannes, les absurdités, de tout ce matériel qui fait perdre plus de temps qu'il n'en fait gagner, mais qui est une preuve apparente et indiscutable de réussite sociale.

Il faut attendre plus de dix ans, après le tournage entre-temps de "Playtime" (sorti le 16 décembre 1967 et qui a engendré la faillite de la société de production de Jacques Tati), pour voir sur les écrans un autre grand chef-d'œuvre "Trafic" (sorti le 16 avril 1971), sur le thème devenu sociologiquement très important de l'automobile, en pleine période des années Pompidou, celle où la société des voitures prenait le dessus sur celle des piétons, celle des 18 000 morts sur la route chaque année, avec la construction du périphérique parisien et des principales autoroutes en France. Pollution, tics des chauffeurs, moyens de frimer, etc., toute cette société mécanisée est décrite avec bonheur par Jacques Tati, toujours sous un œil sympathique, montrant également un part de modernisme avec des voitures équipées de barbecue, etc. Et ce constat qui l'a encouragé à tourner ce film : « Avant de faire le film, j'étais resté un dimanche matin pendant deux heures sur un petit pont de l'autoroute de l'ouest. J'ai vu partir tous ces Parisiens qui allaient à la campagne. Et pendant ces deux heures, je n'ai pas vu un seul conducteur sourire. Pour un dimanche matin, dans le fond, c'est tout de même assez grave ! ».

La Renault 4L camionnette, que Monsieur Hulot était chargé d'acheminer jusqu'à un salon de l'automobile, a été conçue pour le camping, avec beaucoup de gadgets pratiques pour les vacanciers. C'était une voiture assez visionnaire de ce qui se passe encore à notre époque actuelle, d'aménagement de camping-car ou de VAN pour le bien-être des familles en vacances (il y a plein de documentaires sur le sujet pendant les vacances d'été à la télévision).

La carrière cinématographique de Jacques Tati s'est terminée sur Monsieur Loyal avec son dernier long-métrage "Parade" (sorti le 18 décembre 1974), présentant les numéros d'un cirque et ses propres sketchs de mime.

Dans son Dictionnaire d'histoire culturelle (éd. Bordas), Michel Fragonard notait à propos du cinéma comique français basé avant tout sur le sens de la réplique (voir Michel Audiard) : « Le contre-exemple de cette tradition française est l'incompréhension qu'ont rencontrée les tentatives originales pour retrouver l'esprit du cinéma burlesque fondé sur la pantomime et l'économie de la parole : de ce point de vue, Jacques Tati (…) est sans doute le créateur le plus inventif du cinéma comique français, tandis que l'ambition de Pierre Étaix d'être le Buster Keaton du cinéma français n'a pas été couronnée de succès. ».

Pour l'anecdote, Pierre Étaix, de formation graphiste et dessinateur, a rencontré Jacques Tati en 1954 et a réalisé l'affiche pour "Mon Oncle" ainsi que celle des "Vacances de Monsieur Hulot" lorsque celui-ci est ressorti au cinéma. En outre, il était intégré dans le spectacle de Tati "Jour de fête à l'Olympia" en 1961 (où Jacques Tati proposait une soirée très diversifiée, cela sur demande de Bruno Coquatrix pour remplacer Édith Piaf souffrante).

Ce qui est étonnant, effectivement, c'est que le cinéma de Jacques Tati n'a jamais été commercialement un succès (au contraire, il s'est ruiné à faire ses films), et même si ses films font l'objet d'une grande admiration, voire dévotion, auprès de nombreux cinéphiles encore aujourd'hui (plusieurs cinémas sont baptisés de son nom, en particulier à Orsay, Saint-Nazaire et Saint-Germain-en-Laye où il a été enterré), malgré son César en 1977 pour l'ensemble de son œuvre, Jacques Tati a toujours été assez "confidentiel". Entre la réputation toujours très élogieuse et la réalité brut, celle qui compte le nombre de places vendues ou le nombre de DVD vendus, il peut y avoir un monde. Jacques Tati, en tout cas, restera dans la mémoire collective comme le représentant et le chroniqueur d'un pays dont on pourrait avoir subitement la nostalgie...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (30 octobre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jacques Tati.
Michel Galabru.
Vincent Lindon.
Micheline Presle.
Anne Heche.
Olivia Newton-John.
Marilyn Monroe.
Arnold Schwarzenegger.
Michel Serrault.
Patrick Dewaere.
Richard Bohringer.
Jean-Louis Trintignant.
Charlotte Valandrey.
Margaret Keane.
Jean Dujardin.
Alain Resnais.
Julie Gayet.
Johnny Depp.
Amber Heard.
Jacques Morel.
Sandrine Bonnaire.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20221104-jacques-tati.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-france-de-jacques-tati-244756

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/10/31/39691671.html








 

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29 septembre 2022 4 29 /09 /septembre /2022 05:05

« Quand je m'enfermais pour téléphoner à ma femme, on croyait que j'appelais Giscard ! » (février 1982).


 

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Le journaliste Jean-Pierre Elkabbach fête son 85e anniversaire ce jeudi 29 septembre 2022. Pied noir (il est né à Oran), Jean-Pierre Elkabbach fait partie de ces journalistes très connus qu'on pourrait qualifier d'insubmersibles, au moins doublement pour lui, d'un point de vue politique car il a traversé toute la Cinquième République et d'un point de vue de la santé, puisqu'il a toujours refusé de prendre sa retraite.

Beaucoup l'ont critiqué pour ses allégeances avec le pouvoir politique en place et c'est d'ailleurs très étonnant puisque, effectivement, très typé "giscardien" en 1981 (il était le directeur de l'information d'Antenne 2), il représentait, lors de la victoire de François Mitterrand, le symbole d'un audiovisuel renversé. Et pourtant, il a su rebondir très rapidement jusqu'au point de devenir l'un des confidents de François Mitterrand et celui qui l'a interviewé lors du pire moment du double septennat du leader socialiste, quand il était presque à l'agonie de sa maladie, fustigé par son passé et ses amitiés sous Vichy, et déconsidéré par la révélation d'une double vie familiale.

Cette interview présidentielle diffusée en direct sur France 2 le soir du 12 septembre 1994 a été sans doute l'un des sommets du professionnalisme de Jean-Pierre Elkabbach : « la conversation la plus douloureuse et la plus bouleversante de ma vie ! » (8 mai 2022, sur LCP). Car oui, on peut dire effectivement que ce journaliste a toujours été du côté du pouvoir, giscardien sous Valéry Giscard d'Estaing, balladurien sous Édouard Balladur (il a publié avec le Premier Ministre d'alors un livre interview), sarkozyste sous Nicolas Sarkozy (entre autres), mais il n'aurait pas autant "réussi" sa carrière s'il n'avait été que "cela".





Présentateur du journal télévisé sur TF1 puis Antenne 2 entre 1970 et 1974, Jean-Pierre Elkabbach est d'abord un professionnel du journalisme, et son professionnalisme a largement montré ses qualités, en particulier, d'intervieweur, un peu à la mode socratique, comme s'il cherchait à faire accoucher ses invités. S'il a conquis la télévision et la radio, c'est aussi grâce à sa voix très distincte, une diction, un ton très agréable (et nécessaire à la radio, il n'y a que la voix comme mode de transmission).

Alors, on peut citer effectivement les très nombreuses interviews qu'il a menées depuis le début de sa carrière, du moins les émissions les plus célèbres. La plus célèbre est "Cartes sur table", l'émission politique d'Antenne 2 entre 1977 et 1981, en collaboration avec Alain Duhamel, cette émission fut très importante pour la vie politique et a pris sa part de célébrité grâce à Thierry Le Luron qui faisait dire à Georges Marchais : Taisez-vous Elkabbach !





Une autre émission très intéressante était l'émission "Découvertes" diffusée en direct sur la radio Europe 1 tous les jours à 18 heures, entre 1981 et 1987 (son rebondissement après son bannissement bref de l'audiovisuel public). Il disposait d'une heure pas pour parler d'actualité mais pour parler de son invité, de ses motivations, de sa trajectoire, et une heure, c'était beaucoup, cela permettait d'aller au fond des choses, l'invité pouvait s'expliquait pleinement, dans sa complexité, hors de tout slogan (évidemment, il y avait beaucoup d'invités politiques).

Pendant très longtemps, Jean-Pierre Elkabbach a assuré également l'interview quotidien de la matinale sur Europe 1, également animé l'émission politique dominicale (le "Club de la Presse" puis le "Rendez-vous"). Il a aussi assuré pendant quelques années l'interview politique de CNews.

Autre émission très importante de Jean-Pierre Elkabbach, "Bibliothèque Médicis" diffusée de 2001 à 2017 sur Public Sénat, enregistrée dans le cadre très culturel de la très historique bibliothèque du Sénat. Le journaliste invitait alors quatre personnalités qui avaient publié un ouvrage récemment et les faisait débattre sur un thème particulier, pas forcément politique. Si on pouvait s'agacer que Jean-Pierre Elkabbach coupait la parole souvent alors que ses interlocuteurs disaient quelque chose d'intéressant, le choix des invités, le thème choisi, très en dehors des modes et de l'air du temps, permettaient de connaître de nouveaux écrivains, de nouveaux sujets, plus confidentiels ; bref, on apprenait en culture avec cette émission même si le journaliste, trop imbu de lui-même, prenait un peu trop de place et ne s'effaçait pas assez derrière ses honorables invités.

L'émission a d'ailleurs cessé à partir du moment où, toujours boulimique de travail, Jean-Pierre Elkabbach commençait son interview sur CNews, entre 2017 et 2019, en concurrence avec la matinale de la chaîne parlementaire !


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Et la boulimie ne s'est jamais arrêtée là : car en dehors du journaliste professionnel, Jean-Pierre Elkabbach a aussi poursuivi une véritable carrière de manager de l'information, de patron de médias, ce que n'a jamais voulu par exemple son compère Alain Duhamel. Ainsi, il a été rédacteur en chef de France Inter en 1975, très influent directeur de l'information d'Antenne 2 entre 1977 et 1981, directeur général adjoint d'Europe 1 en 1988, conseiller auprès du patron de la nouvelle chaîne La Cinq en 1990, et la consécration fut sans doute d'avoir été élu président de France Télévisions en décembre 1993. Il a néanmoins dû démissionner en 1996 après un rejet des journalistes, plombé qu'il était par l'affaire dite des productions qui coûtaient beaucoup trop cher au contribuable français : les émissions de Jean-Luc Delarue, Naguy et Arthur furent dans le collimateur, les animateurs étant également les producteurs.

Qu'importe, il a rebondi justement à Public Sénat dont il est devenu président de 1999 à 2009, parallèlement à ses responsabilités sur Europe 1 dont il est devenu directeur général de l'antenne puis président de 2005 à 2008, également rattrapé par une contestation de la rédaction sur ses méthodes. Journaliste du groupe Lagardère, Jean-Pierre Elkabbach a donc eu à la fois la liberté du journaliste (faire ses émissions, concept, animation, durablement) et le pouvoir, mais ce côté-ci de sa carrière ne semble pas avoir été probant, avec cette question habituelle : un journaliste peut-il être un bon patron de médias ? La question se pose pour tous les cœurs de métier (comme : les médecins sont-ils les meilleurs patrons d'hôpitaux ?).

Le fait de vouloir être partout à la fois a pu agacer plus d'un confrère et, par exemple, Michèle Cotta, de retour de la Présidence de la Haute Autorité de l'audiovisuel en 1986 (et ancienne patronne de Radio France) a raconté à quel point elle avait été très mal accueillie par Jean-Pierre Elkabbach quand elle a été recrutée par Europe 1 pour reprendre sa vie de journaliste politique, au point d'avoir été humiliée avec un contrat qui imposait trois mois de période d'essai, elle, la journaliste confirmée, ce qui généralement ne se faisait jamais dans ce milieu.

Homme de l'audiovisuel, Jean-Pierre Elkabbach n'a publié que deux ouvrages, et encore, en collaboration avec son épouse, l'écrivaine Nicole Avril. On peut donc s'étonner qu'il n'ait pas sorti plus d'essais, soit sur la politique en général (cinquante ans de vie politique), soit sur ses responsabilités à la tête de chaînes de télévision ou de radio, soit encore sur certains sujets issus de ses très intéressantes discussions de "Bibliothèque Médicis". Mais effectivement, on ne peut pas tout faire dans une seule vie...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (24 septembre 2022)
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Pour aller plus loin :
Jean-Pierre Elkabbach.
Patrick Poivre d’Arvor.
Nicolas Hulot.

Ci-gît la redevance à la papa.
Daria Douguina.
Michel Drucker.
Michèle Cotta.
Ivan Levaï.
Jacqueline Baudrier.
La déplorable attention du journalisme à sa grande dame.
Aider les chrétiens d’Orient.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220929-jean-pierre-elkabbach.html

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19 septembre 2022 1 19 /09 /septembre /2022 05:47

« Le but du journalisme n'est ni de déplaire ni de complaire. C'est de remuer la plume dans la plaie. La plume, et aujourd'hui le micro et la caméra. » (Patrick Poivre d'Arvor).



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Formule efficace pour définir son métier. Le journaliste Patrick Poivre d'Arvor fête son 75
e anniversaire ce mardi 20 septembre 2022. PPDA, comme l'appelle la profession, est l'incarnation du présentateur du journal télévisé en France, il faudrait sans doute mettre au passé, il l'était, tant il pouvait représenter ce rôle dans une sorte de "perfection professionnelle".

S'inviter chez les gens tous les soirs de la semaine à l'heure du dîner pour leur annoncer les (mauvaises) nouvelles crée évidemment un lien d'intimité qui est absolument incomparable. Lien auquel il a fait allusion lors de son dernier JT.

À l'origine, ils étaient d'ailleurs deux qui pouvaient être ces incarnations, Patrick Poivre d'Arvor et Christine Ockrent. Ils n'étaient pas les premiers présentateurs, mais ils étaient sans doute ceux qui ont marqué le plus l'histoire des journaux télévisés.

Christine Ockrent fut recrutée en octobre 1981 par Pierre Desgraupes, le patron d'Antenne 2, pour présenter le journal de 20 heures de cette chaîne en alternance avec Patrick Poivre d'Arvor déjà en place. Christine Ockrent y est restée jusqu'en juin 1985 avec la réputation de "reine Christine", la première femme à présenter régulièrement le journal (il y en avait avant elle, mais pas régulièrement). Ensuite, elle a occupé d'autres fonctions de journaliste, parfois en tant que dirigeante de médias.


Patrick Poivre d'Arvor, lui, de manière différente, a toujours voulu rester présentateur du JT ou journaliste plus généralement et ne pas prendre de fonctions managériales. Il a commencé sur Antenne 2 le 16 février 1976 pour un remplacement et c'est Jean-Pierre Elkabbach qui l'a imposé à la rentrée de la même année avec deux autres journalistes. Très rapidement, il a fait quelques "coups" médiatiques, comme présenter le journal en direct de Pékin le 10 octobre 1979. La présence de Christine Ockrent qui présentait le journal une semaine sur deux ne lui convenait pas et il a quitté le JT le 28 juillet 1983. Cela dit, la formule de Pierre Desgraupes était la bonne puisqu'en 1982, l'audience du JT d'Antenne 2 avait dépassé celle du JT de TF1.

Après quelques activités dans la presse écrite et Canal+, Hervé Bourges l'a recruté sur TF1 en 1986 et après la privatisation de TF1, PPDA est devenu le journaliste phare du journal de 20 heures sur TF1, à partir du 31 août 1987. Le JT de TF1 a redépassé celui d'Antenne 2 en audience, et Patrick Poivre d'Arvor régnait en maître du JT pendant deux décennies, jusqu'au 10 juillet 2008, du lundi au jeudi, relayé en fin de semaine notamment par Claire Chazal de 1991 à 2008.

Pendant cette période, il animait les soirées électorales, interviewait les Présidents de la République, animait les débats présidentiels (en 2007 avec Arlette Chabot), etc. Il s'occupait aussi d'une émission littéraire sur TF1, "Ex-Libris" de 1988 à 1999, puis "Vol de nuit" de 1999 à 2008. Sa statue semblait indéboulonnable au point que les Guignols de l'Info en avaient fait leur personnage central, puisqu'à partir du 29 août 1988, la marionnette PPD, dont la voix était imitée par Yves Lecoq, a présenté ces faux JT parodiques, et cela jusqu'au 26 juin 2015, c'est-à-dire bien après l'éviction de PPDA de TF1 (en 2008).

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Lors de son dernier journal télévisé, le jeudi 10 juillet 2008, Patrick Poivre d'Arvoir a terminé en beauté, par ces paroles en citant Shakespeare : « "Ce qui ne peut être évité, il faut l'embrasser". Alors, puisque je n'ai pu éviter ce qui m'arrive ce soir, je vous embrasse tous (…). Merci pour votre affection, votre confiance, pour ce lien que nous avons tissé. Et je suis sûr qu'on va se revoir très vite ! Je vous laisse entre de bonnes mains pour l'été, puisque ce sont celles d'Harry Roselmack. ». Sans citer celle qui allait reprendre à la rentrée 2008 son poste, Laurence Ferrari. Selon Médiamétrie, 9,6 millions personnes auraient regardé ce dernier JT, au lieu des 8 habituels, soit 49,3% de part de marché (au lieu de 36%). Un départ en beauté. La polémique entre PPDA et TF1 s'est poursuivie jusque devant certains tribunaux.

Patrick Poivre d'Arvor a eu aussi son clone sur la chaîne concurrente : David Pujadas, ancien de TF1 et de LCI, recruté par Olivier Mazerolle, a présenté le journal télévisé de 20 heures sur France 2 du 3 septembre 2001 au 8 juin 2017, lui aussi évincé par la direction de la chaîne.

L'éviction de Patrick Poivre d'Arvor de TF1 en 2008 l'a conduit à ne plus présenter de journaux télévisés mais à présenter d'autres émissions télévisées, d'actualité ou de littérature. Il n'a en revanche jamais voulu diriger opérationnellement un média, et a refusé également la proposition qui lui a été faite de succéder à Dominique Baudis à la Présidence du CSA en janvier 2007 (Dominique Baudis avait aussi été présentateur du journal de 20 heures sur TF1 entre 1977 et 1980 et du Soir 3 sur FR3 entre 1980 et 1982, avant d'être élu maire de Toulouse en mars 1983).


Patrick Poivre d'Avor n'est pas que "journaliste" dans la mesure où il a également beaucoup écrit. On lui doit environ quatre-vingt ouvrages, des romans ou des documents, pour beaucoup coécrits avec son frère Olivier Poivre d'Arvor. Il a aussi touché au cinéma, au théâtre et même à l'opéra (il a écrit un livret). Il s'est aussi beaucoup engagé dans les sports, lui-même très sportif (cyclisme, voile, course automobile, alpinisme, tennis, football, rugby, parachutisme, etc.). Il était parmi les journalistes qui couvraient le Paris-Dakar 1986 et suivait en particulier Daniel Balavoine, il aurait même dû être dans l'hélicoptère au moment du malheureux crash le 14 janvier 1986.

Parmi les nombreux livres de PPDA, j'en cite un qu'il a coécrit en 2000 avec le déjà polémiste Éric Zemmour : "Les Rats de garde" (éd. Stock), qui citait un psychanalyste : « Nous ne voulons pas entendre ce cri d'alarme poussé par un psychanalyste, Serge Tisseron, qui, dans un livre paru aux éditions Arthaud, Nos secrets de famille, écrit : "Le droit au secret de chacun, adulte ou enfant, est essentiel. Il permet de protéger son identité profonde des intrusions de l'environnement. Il est la première condition à la possibilité de penser par soi-même et pour soi-même. Les régimes totalitaires ont d'ailleurs tous pour point commun de chercher à étendre leur contrôle sur la vie privée des individus et à abolir cette barrière du secret". ».


Au-delà de son engagement au sein des jeunes giscardiens entre 1969 et 1971 (il a quitté la politique lors de son recrutement sur France Inter en 1971), Patrick Poivre d'Arvor, dont le nom réel est Poivre, le "d'Arvor" n'étant qu'un nom d'emprunt pour faire plus breton, pris à son grand-père qui l'avait adopté comme pseudonyme pour ses écrits, a provoqué de nombreuses controverses dans sa carrière de journaliste, des faux interviews, des plagiats, etc. voire des situations de privilèges (affaire Botton).

Je m'arrêterais sur deux autres aspects de sa vie, ici plutôt privée mais qui ont très largement débordé dans le domaine public, soit de sa propre initiative, soit au contraire bien malgré lui.

Patrick Poivre d'Arvor a eu sept enfants, dont deux filles qui sont mortes bébé ou à la naissance (Thiphaine en 1975 et Garance en 1980), ce qui a dû être de terribles chocs pour les parents. Parmi ses cinq filles, la plus connue s'appelait Solenn, dont il a raconté l'histoire dans plusieurs ouvrages. Solenn souffrait en effet d'anorexie et elle s'est jetée sous une rame de métro aux Sablons, à Neuilly-sur-Seine, à l'âge de 19 ans. Accompagnant son suicide, cette lettre à son père : « Merci pour tout mais je n'aime pas la vie. Je veux être incinérée et gardée dans une petite boîte, mais pas jetée à la mer. ». En 2004, avec la mère de Solenn, Véronique, PPDA a ouvert une maison des adolescents souffrant de ce mal, appelée la Maison de Solenn, dans le cadre de l'hôpital Cochin, financée principalement par l'Opération pièces jaunes promue par Bernadette Chirac, elle-même mère d'une enfant ayant aussi connu cette triste maladie, l'anorexie (ce qui pouvait expliquer la grande humanité du Président Jacques Chirac pour tout ce qui relevait des situations de handicap).

L'autre aspect est en fait la seule actualité de PPDA depuis un an, les très nombreuses accusations d'agressions sexuelles voire de viols contre lui. Dans ce phénomène qui tend à délier la parole des femmes victimes des abus des hommes, "abus" étant un mot qu'il faudrait absolument précisé car il peut s'agir d'un simple geste sexiste comme d'un véritable viol, il est bien entendu bon que la parole se libère, comme on dit, la parole des femmes. Mais le procès médiatique, ou plutôt, le lynchage médiatique ne doit pas remplacer un vrai procès avec de vrais juges. L'ennui, c'est que la plupart des faits présumés sont prescrits.

PPDA n'est pas le seul en cause, avant lui, Richard Berry et Nicolas Hulot ont eu des accusations du même genre, elles aussi classées sans suite, du moins pour celles qui ont fait l'objet d'une plainte judiciaire. Apparemment, toutes celles à l'encontre de Patrick Poivre d'Arvor aussi ont été classées sans suite jusqu'à maintenant. Pourtant, il est très étrange qu'un grande nombre de femmes continuent à porter ces accusations. Un titre de magazine people expliquait que PPDA était passé du statut de star au statut de paria.

Sa figure titulaire en a pris effectivement un grand coup. La première affaire concerne une plainte pour agressions et viols déposée en février 2021 au parquet de Nanterre. PPDA nie toute agression et est soutenu par un certain nombre de ses confrères, mais dans cette affaire, il est difficile de faire la part entre la réalité et ce que PPDA appelle lui-même "une dénonciation calomnieuse inspirée par une quête de notoriété inconvenante".

Les classements sans suite par la justice sont soit à cause de la prescription (faits trop anciens), soit à cause de l'insuffisance de preuves. (Précisons que pour la première plainte, son classement sans suite a été décidée en juin 2021 par une femme, la procureure de Nanterre). Du reste, la plainte pour dénonciation calomnieuse déposée par PPDA a aussi été classée sans suite en raison d'une "absence de démonstration d'une intention de nuire".

D'autres accusations ont été lancées dans certains médias au printemps 2022, dont une accusation de viol présumé sur mineure, si bien que dans le doute, l'employeur de PPDA, France Télévisions, lui a retiré, le 12 mai 2022, l'émission qu'il présentait sur France 5.

Une telle situation est impossible à gérer pour un employeur qui permet une exposition publique : soit il considère la présomption d'innocence et il laisse la possibilité qu'un violeur soit sous les projecteurs, soit il le vire car il prend en compte le sérieux des accusations, sans être pour autant juge, et il se donne la possibilité d'être injuste et de confirmer une accusation injuste le cas échéant.

Dans ce cas, le choix le moins hasardeux est de lâcher l'accusé : avant lui, d'autres en ont fait les frais, notamment au sein même du gouvernement, puisque Damien Abad n'a pas été reconduit (il a perdu l'avantage de sa supposée trahison politique), peut-être aussi Éric Coquerel aura quelques difficultés dans quelque temps. PPDA en a fait les frais cette année. Ce n'est pas nouveau, la très forte notoriété peut faire de vous une vedette mais aussi, comme disait l'autre, un paria. Vivons heureux, vivons cachés (et respectueux des autres, bien sûr).


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (10 septembre 2022)
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Pour aller plus loin :
Patrick Poivre d’Arvor.
Nicolas Hulot.

Ci-gît la redevance à la papa.
Daria Douguina.
Michel Drucker.
Michèle Cotta.
Ivan Levaï.
Jacqueline Baudrier.
La déplorable attention du journalisme à sa grande dame.
Aider les chrétiens d’Orient.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.

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13 septembre 2022 2 13 /09 /septembre /2022 10:00

« Jean-Luc Godard n’est pas le seul à filmer comme il respire, mais c’est lui qui respire le mieux. Il est rapide comme Rossellini, malicieux comme Sacha Guitry, musical comme Orson Welles, simple comme Pagnol, blessé comme Nicholas Ray, efficace comme Hitchcock, profond, profond, profond comme Ingmar Bergman et insolent comme personne. » (François Truffaut, "L’Avant-scène" n°70 de mai 1967).


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Jean-Luc Godard est mort ce mardi 13 septembre 2022. Voici mon évocation il y a presque deux ans.

Le cinéaste franco-suisse Jean-Luc Godard atteint son 90e anniversaire ce jeudi 3 décembre 2020. Il est en quelque sorte le symbole du "nouveau" cinéma français des années 1960 (et même 1950) et l’un des porte-voix de la fameuse "Nouvelle Vague" qui a également entraîné Éric Rohmer, François Truffaut, Jacques Rivette, Claude Chabrol, Alain Resnais, Louis Malle, Agnès Varda, Jacques Demy, Jean Eustache, etc.

J’aurais pu intituler l’article "En attendant Godard" mais cela n’aurait pas été très original (on m’aurait déjà largement devancé sur ce jeu de mot à la Beckett), mais cela aurait signifié quelque chose car après sa période faste des années 1960 (il avait la trentaine), on pouvait peut-être l’attendre pour un nouveau film aussi grand public. Il a préféré plutôt être dans la recherche cinématographique, sans jamais d’ailleurs arrêter sa production puisque son dernier film est sorti il y a deux ans, le 11 mai 2018, avec "Le Livre d’image" qui lui a valu enfin une palme, la Palme d’or spéciale au Festival de Cannes de 2018.

Justement, parlons des récompenses. Jean-Luc Godard en a reçu de toute part, de tous les pays : deux Césars d’honneur en 1987 et 1998 (et deux nominations), un Oscar d’honneur en 2010, un prix spécial en 1962 et deux Lions d’or en 1982 et 1983 à la Mostra de Venise, un prix du jury du Festival de Cannes en 2014 (et la Palme d’or spéciale de 2018), un Ours d’or en 1965 et deux Ours d’argent en 1960 et 1961 à la Berlinale, et de nombreux autres prix comme le Prix Louis-Delluc en 1987. Quant aux décorations, il fait partie de "modestes orgueilleux" qui tentent de les refuser, comme cet insigne de l’Ordre national du Mérite : « Je n’aime pas recevoir d’ordre, et je n’ai aucun mérite. » (1981).

Entre 1961 et 1967, il fut marié à l’actrice Anna Karina (morte il y a un an, le 14 décembre 2019) et, entre 1967 et 1979, à la romancière et actrice Anne Wiazemsky (morte le 5 octobre 2017), petite-fille de François Mauriac.

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Jean-Luc Godard fait ses films en entier, c’est-à-dire non seulement la réalisation mais aussi le scénario, les dialogues, le montage, parfois la coproduction, etc. Souvent, il est récompensé pour l’originalité de ses œuvres. Il a probablement suscité plus de livres sur lui, son œuvre, que lui n’a fait de films ! Il est à lui seul une sorte de Dieu vivant du cinéma français, une Bible, une Pyramide… Son œuvre est à la fois grand public et hyperculturelle dans le sens où il a fait des films qui sortaient de l’ornière classique du grand public. Parfois admiré, parfois détesté, toujours fascinant, il a provoqué de nombreux commentaires sur son œuvre, comme celui de Philip Roth qui trouvait ses films insupportables, sauf "À bout de souffle".

"À bout de souffle", c’est le film qui a fait "décoller" Jean-Luc Godard. Le film fut l’un de ceux qui ont fait la réputation de la "Nouvelle Vague" (avec "Le beau Serge" de Chabrol, "Les quatre cents coups" de Truffaut, etc.). Ce fut son premier long-métrage, sorti le 11 mars 1960. Incroyable histoire (reprise d’un scénario de Truffaut) à l’origine qui aurait pu être "classique" mais mise en scène d’une manière magistrale et avec une injection permanente d’amoralité, servie chaude avec deux acteurs époustouflants, Jean-Paul Belmondo et celle qu’il aime dans le film, Jean Seberg dont l’accent américain à Paris est toujours très séduisant (future femme de Romain Gary, elle est morte dans des conditions mystérieuses à l’âge de 40 ans).








Un autre chef-d’œuvre est sorti le 5 novembre 1965, un road movie franco-italien, "Pierrot le fou" avec Jean-Paul Belmondo et Anna Karina (et la participation furtive de Raymond Devos). À l’origine, les deux principaux rôles auraient dû être confiés à Michel Piccoli et Sylvie Vartan.





Dans plus d’une centaine de films, Jean-Luc Godard a fait jouer beaucoup d’acteurs de haut niveau, après Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg, également Brigitte Bardot, Mireille Darc, Jane Fonda, Michel Piccoli, Jean Yanne, Yves Montand, Jean-Pierre Léaud, Alain Delon, Gérard Depardieu, Nathalie Baye, Isabelle Huppert, bien sûr Anna Karina, etc.





À l’occasion de la programmation sur la chaîne Arte d’une soirée spéciale Godard le mercredi 24 avril 2019 avec la diffusion des films "À bout de souffle" et "Le Livre d’image", la radio France Culture s’est entretenue avec Jean-Luc Godard pour l’émission d’Olivia Gesbert "La grande table culture" diffusée le 15 avril 2019 où il a déclaré : « Je suis un archéologue du cinéma. L’archéologue, c’est plus noble. L’archiviste, il classe, alors que l’archéologue, il sculpte l’histoire. Chez les sculpteurs non plus, il n’y a pas de scénario. ».





Quel avenir pour le cinéma de Godard ? Eh bien, il carbure toujours ! Godard comptait faire un film sur les gilets jaunes. Dans une (autre) interview diffusée le 14 avril 2019 sur RTS (la télévision publique suisse), le réalisateur a effectivement confirmé son souhait de faire « un film qui raconte l’état de ce pays, la France, ou certains aspects de ce pays ».

Depuis la mort d’Agnès Varda le 29 mars 2019, Jean-Luc Godard fait partie des deux derniers survivants de la "Nouvelle Vague", avec Jacques Rozier, de quatre ans son aîné. La marée est en train de se retirer tout doucement.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 décembre 2020)
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Pour aller plus loin :
Jean-Luc Godard.
Michel Robin.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220913-jean-luc-godard-0.html

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12 septembre 2022 1 12 /09 /septembre /2022 05:11

« À la différence des miens, tous les parents de France me souhaitent bonne chance pour ma carrière. Une relation très forte avec des millions de gens commence. Toute une génération va m’accompagner. » (Michel Drucker, 2007).



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L’animateur de télévision Michel Drucker fête son 80e anniversaire ce lundi 12 septembre 2022. Et au grand dam des syndicats favorables à la retraite à 60 ans, Michel Drucker, octogénaire donc, est toujours en activité. Dans son autobiographie, il avouait en préface : « J’ai décidé, si possible et si les téléspectateurs me le permettent, de ne jamais prendre ma retraite. Mon père a exercé son beau métier de médecin de campagne jusqu’à l’âge de 80 ans, j’aimerais en faire autant. ». Il a derrière lui plus d’un demi-siècle d’émissions de télévision et il est, pour ainsi dire, l’incarnation même d’un animateur d’émissions de télévision en France, d’émissions de variétés en particulier.

Il est un peu le Johnny Hallyday de la télé, il a réussi à ségréger plusieurs générations (quatre) autour de lui. Certes, il a été récemment renvoyé de France 2 pour France 3, un peu comme "Les chiffres et les lettres" ont été débarqués de la programmation de l’après-midi en semaine. En effet, depuis le 28 août 2022, l’émission "Vivement dimanche" a été transposée à France 3 entre 13 heures 30 et 15 heures.

À l’origine, il était un enfant inadapté au système scolaire et donc, mauvais élève, dans une famille qui cultivait l’excellence des études et des diplômes. Son frère aîné Jean Drucker, né un an avant lui, a fait l’IEP Paris et l’ENA, a travaillé auprès du ministre André Malraux, puis a fait une brillante carrière dans l’audiovisuel qui l’a amené comme directeur général de la SFP en 1975 puis directeur général de la CLT en 1980, puis président-directeur général d’Antenne 2 en 1985 et enfin président-directeur général de M6 à partir de 1987 jusqu’en 2000. Son petit frère Jacques Drucker, né quatre ans après lui, est un médecin spécialiste des maladies infectieuses, nommé directeur général de l’Institut de veille sanitaire, qu’il a créé, entre 1998 et 2002.

Leur père aussi était médecin, Abraham Drucker, venant de Roumanie entre les deux guerres et naturalisé français, il a été arrêté par la gestapo en 1942, fut interné et médecin-chef du Camp de Drancy puis a accompagné Aloïs Brunner à Nice, présent lors des scènes de tortures, et a failli faire partie du dernier convoi vers Buchenwald le 17 août 1944 (il fut libéré le lendemain). Au moment de l’arrestation d’Abraham Drucker, sa femme Lola était enceinte de Michel Drucker. Peu de temps après, accompagnée de son aîné d’un an et demi, elle s’est fait arrêter par la gestapo à Rennes et se trouvait là alors un homme qui lui sauva la vie en affirmant auprès de l’officier de la gestapo qu’elle était sa femme. Cet homme, c’était le père de Patrick Le Lay, qui fut le président-directeur général de TF1 au moment de sa privatisation, de 1988 à 2008.

On comprend donc le besoin de respectabilité et d’excellence que cette famille cultivait, dans laquelle il faut ajouter deux autres célébrités, l’actrice Léa Drucker, fille de Jacques, et la journaliste Marie Drucker, fille de Jean. Ainsi, cela faisait désordre d’avoir un cancre dans la famille, d’où un peu l’enfant terrible, jamais compris. Et Michel Drucker a donc toujours été fier de ne pas avoir le baccalauréat et d’avoir cependant "réussi" bien mieux que des surdiplômés. Malheureusement, si ce besoin de revanche sociale l’a nourri très tôt (il a été célèbre dès les années 1960), et qu’il a eu de la chance, surtout de vivre dans sa génération où beaucoup de choses était permises quand on avait l’enthousiasme, il n’est plus un exemple pour les enfants d’aujourd’hui qui auraient un mal de chien à trouver un emploi intéressant sans diplôme.

Bref, il est ce qu’on peut appeler un autodidacte, c’est-à-dire quelqu’un qui a appris sur le tas, et sur le tard, par lui-même. Et cela lui a permis d’avoir une très belle carrière à la télévision qu’il n’a toujours pas achevée même si certains le pressent de la finir.

À 17 ans, il a donc quitté la maison familiale pour faire sa vie sans cette statue du commandeur qu’était son père.

Pendant son service, il était boulevard de la Tour-Maubourg (il s’occupait de la revue "Terre-Air-Mer" et il rencontrait beaucoup de journalistes de la télévision de l’ORTF, à la rue Cognacq-Jay. Il a décidé d’en faire partie et à l’audace, il a obtenu un entretien avec Pierre Sabbagh qui l’a pris pour un stage à "Sports Dimanche". Il est entré à l’ORTF en 1964 et est devenu un commentateur sportif. En 1966, il a enfin obtenu sa première émission à présenter, "Tilt Magazine", une émission pour les jeunes (dont il faisait partie, il avait 24 ans) où il rencontrait toutes les stars du moment qui sont devenus ses amis, Claude François, Johnny Hallyday, Jacques Dutronc, etc. Il fut limogé comme plein d’autres à la suite de mai 68. Il fut réintégré très vite après. Michel Drucker s’est marié en catimini à Las Vegas en 1973 avec l’actrice Dany Saval (avec qui il est toujours), en "adoptant" la fille Stéfanie qu’elle a eue avec son ancien mari, Maurice Jarre (celle-ci est donc la demi-sœur de Jean-Michel Jarre).

Jusqu’en 1972, Michel Drucker a fait les deux, sports et variétés, puis, il s’est focalisé sur les variétés comme le pro de cette branche particulière où ses amitiés bienveillantes pourraient le faire passer comme un passeur de plats. Beaucoup d’émissions ont marqué sa carrière à la télévision, en particulier "Les Rendez-vous du dimanche" sur TF1 de 1975 à 1980, puis "Champs-Élysées" sur Antenne 2 de 1982 à 1990, puis "Studio Gabriel" de 1994 à 1997, et enfin, l’indéboulonnable (ou presque) "Vivement dimanche" depuis 1998 sur France 2 puis (depuis la rentrée) sur France 3.

Au-delà de ce cœur de métier qu’est la télévision, Michel Drucker a fait de nombreuses autres "prestations", encore à la télévision en animant de nombreuses émissions spéciales, ou des soirées de remises de récompenses (Molière, Victoires de la musique, Césars, Eurovision de a chanson, etc.), mais il animait aussi des émissions à la radio, sur RTL de 1974 à 1982 et sur Europe 1 de 1983 à 1987.

En outre, il a collaboré avec la presse écrite, et en particulier dans "Jours de France" : Marcel Dassault, très soucieux du caractère populaire de son magazine, était allé le chercher pour avoir des critiques de cinéma et dire du bien des films que le vieil industriel produisait parallèlement. En 2007, Michel Drucker écrivait ainsi, dans sa biographie parue chez Robert Laffont, la demande formulée par Marcel Dassault : « Voilà, j’aimerais que vous nous fassiez des papiers en cravate, hein… Vous voyez ce que je veux dire ? Je vous vois le dimanche, vous plaisez beaucoup à Madame Dassault. Vous êtes bon chic bon genre, bien habillé, c’est tout à fait le ton que je cherche. Pas trop de phrases, vous n’êtes pas un intellectuel, j’espère ? Je m’en doutais. C’est très bien, vous allez me faire des articles où quand une actrice aura un vilain nez, eh bien vous direz qu’elle a de beaux cheveux. C’est ça, le style Jours de France. ». Marcel Dassault avait aussi demandé des portraits à Catherine Nay, des personnalités politiques de tout bord, mais toujours vue de façon positive (Dassault arrosait toute la classe politique, communistes compris).

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Revenons à la télévision et aux principales émissions télévisées présentées par Michel Drucker. L’un des hommes qu’il admirait le plus fut Léon Zitrone qui avait deux obsessions, la télévision et la reconnaissance. Fils d’un immigré russe, il voulait montrer qu’il réussissait, mais il n’avait aucun humour, tout au premier degré : « L’argent ne l’obsède pas, il n’en a pas, donnant quelques conférences pour arrondir ses fins de mois. À l’époque, la télévision est un artisanat qui ne génère pas la fortune. ». Parfois, Léon Zitrone et Abraham Drucker se rencontraient comme anciens immigrés de l’est et le père n’avait jamais cru en son fils Michel. Léon Zitrone, au contraire, lui disait : « Mon cher docteur, votre rejeton ira loin ! ».

"Les Rendez-vous du dimanche" juste après "Le Petit Rapporteur" de la bande de Jacques Martin : c’est en se préparant pour l’enregistrement d’un numéro de cette émission que Claude François a trouvé la mort dans son bain le samedi 11 mars 1978.

Le titre "Champs-Élysées" reprend une chanson de Joe Dassin et fut une émission de variétés typique des années 1980 diffusée le samedi soir, à l’heure de grande écoute des familles. C’est l’émission phare de Michel Drucker du samedi soir, à tel point que Silvio Berlusconi, l’actionnaire de la nouvelle chaîne La Cinq, a tenté de le débaucher, en vain car Jean Drucker, alors patron d’Antenne 2, a su le convaincre de rester. C’était l’émission où tous les chanteurs, humoristes, acteurs, et autres agents de la culture allaient pour présenter leur actualité. Il a tenté de en faire un remake mitigé et irrégulier entre 2010 et 2013, à la demande des artistes.

En 1987, Francis Bouygues voulait absolument débaucher Michel Drucker pour TF1 devenu sa chaîne privatisée, il lui a offert le triple de ce qu’il gagnait sur Antenne 2 mais il a refusé pour continuer à garder le ton de ses émissions. Néanmoins, Antenne 2 a été ingrate. En mai 1990, il fut en effet "remercié" par le président de la chaîne, qui le considérait comme trop ringard : « Écoutez, Michel, je vais être franc, la télévision de demain ne passera pas par vous, ni par Martin, ni par Pivot d’ailleurs… Vous êtes un homme du passé. ». Du coup, il s’est recasé sur TF1 avec les émissions "Ciné Stars", "Drôle de stars", "Stars 90", etc., de 1990 à 1994.

Autre émission mémorable présentée par Michel Drucker, repris par France 2, "Studio Gabriel" diffusé "en direct" du Studio Gabriel tous les soirs avant le 20 heures. L’émission présentait l’actualité culturelle tout en faisant la part belle aux chroniqueurs, à l’actualité, en particulier avec l’imitateur Laurent Gerra, mais aussi Virginie Lemoine, Laurence Ferrari, Benjamin Castaldi, Gaël Leforestier, etc. Les sketchs de Laurent Gerra (à l’époque, inconnu du grand public) avaient leur audience malgré la rude concurrence de TF1 avec le "Bébête Show" et de Canal+ avec "Les Guignols de l’Info".

Une petite anecdote personnelle : à Grenoble, j’avais organisé pour des étudiants de l’IEP de Grenoble une visite d’une journée au Sénat puis à l’Assemblée Nationale. Tôt le matin, trajet en car, visite le matin en séance au Sénat et l’après-midi, en séance aussi, à l’Assemblée Nationale, puis retour dans la nuit en car. J’avais limité au maximum les coûts pour permettre aux petits budgets de venir, mais il restait des places vides et la facture du car n’était pas assurée. Alors j’avais voulu mettre une cerise sur le gâteau : si les blabla parlementaires n’étaient pas assez sexy, pourquoi pas terminer la journée par la participation à une émission de télévision ? J’avais évidemment envisagé d’aller assister aux Guignols de l’Info, émission très prisée des jeunes (intellos plutôt), mais la géographie parisienne n’allaient pas vraiment, aller du Palais-Bourbon au siège de Canal+ à Boulogne-Billancourt nécessitait trop de temps avec les embouteillages. J’avais alors imaginé l’émission "Question pour un champion" de Julien Lepers sur France 3 quand on me proposa cette émission "Studio Gabriel" dont on m’assura qu’elle était bien en direct. L’intérêt, c’était sa proximité, il suffisait de traverser la place de la Concorde et on était tout de suite au Pavillon Gabriel.

Mon car était rempli et le soir dit, je suis arrivé avec une quarantaine d’étudiants grenoblois aux portes de l’émission. Alors que nous étions en avance, on m’a averti qu’on était au milieu d’un enregistrement. J’étais étonné. Il y avait eu un préavis de grève et donc, le producteur avait décidé d’enregistrer le même jour toutes les émissions de la semaine. Nous arrivions ainsi un peu comme des cheveux sur la soupe, mais heureusement, deux grandes rangées vides nous attendaient et nous sommes arrivés en plein milieu d’une émission donc très peu discrètement au point que Michel Drucker, nous ayant repérés, s’était rapproché de nous et dans la plus pure démagogie de vendeur de lessive, avait salué "nos Grenoblois" sous les applaudissements. Je ne savais plus où me mettre. Émission que j’ai trouvée très basique et sans intérêt à tel point que j’ai eu honte d’avoir organisé une telle participation. Parmi les invités ce soir-là, entre autres, il y avait la célèbre Rika Zaraï, qui venait très régulièrement chez Drucker.

Il faut savoir qu’il y avait souterrainement toute une société de fans des émissions de télévision et certains y participaient à de nombreuses. C’était bien avant le développement de la téléréalité et de l’Internet : la télévision demeurait un objet fascinant et en faire partie restait encore le rêve de nombreuses personnes.

"Vivement dimanche", qui reprenait le créneau de Jacques Martin avec "L’école des fans", est devenu, elle aussi "culte", une discussion dans un canapé, comme deux bons amis, avec toutes les vedettes de l’actualité culturelle, et parfois, même au-delà, avec la participation des responsables politiques, ou des femmes de responsables politiques (ou même des femmes politiques à part entière !).

Bien sûr, le dialogue consensuel qu’instaure Michel Drucker avec des chanteurs et acteurs devient très agaçant avec des invités politiques qui sont, par définition, clivants. L’animateur a toujours expliqué qu’il était indépendant mais qu’il n’avait aucune envie de mettre mal à l’aise ses invités, s’ils ne les aimaient pas, autant ne pas les inviter. Cela se tient mais dans une société qui préfère persifler, râler et critiquer, Michel Drucker détone dans le consensuel, et parfois, on l’imagine flatterie et même léchage de bottes.

Pourtant, il faut regarder la réalité et c’est en reprenant certaines émissions de "Champs-Élysées" qu’on peut mieux le comprendre. Était-ce du léchage de bottes cette célèbre émission où Serge Gainsbourg se montrait très inconvenant avec la chanteuse Whitney Houston ? En effet, les deux étaient les invités de Michel Drucker dans l’émission du samedi 5 avril 1986 et Gainsbourg a demandé directement, en parlant d’elle qui avait 22 ans : « I want to fuck her ». La réponse de la star : « What ?! He must be drunk. ». Elle avait probablement vu juste, mais Michel Drucker lui a dit : « Non, c’est son état normal, alors, vous imaginez quand il est ivre ! ». Par décence, je préfère ne pas traduire ! Maintenant, à l'heure de MeToo et du buzz viral, le scandale aurait été bien plus grand.

 



Une autre émission (antérieure) célèbre était encore plus loin d’être consensuelle et bisounours que la précédente. Le samedi 10 novembre 1984, Thierry Le Luron était l’invité principal en direct et il a fait chanter toute l’assistance "L’emmerdant, c’est la rose" sur un air de Gilbert Bécaud, puis a parodié "Chez ces gens-là" de Jacques Brel pour fustiger Laurent Fabius alors Premier Ministre, enfin, a modifié une chanson de Serge Lama pour alerter sur le danger que représentait Jean-Marie Le Pen qui venait d’obtenir 10% aux élections européennes quelques mois auparavant. Rien de consensuel ! Cela a valu un contrôle fiscal à Thierry Le Luron et son interdiction d’antenne jusqu’à sa mort, et un sérieux recadrage du ministre Jack Lang à Michel Drucker qui a raconté par la suite que beaucoup d’éléphants du PS lui en avaient voulu (notamment parce que dans le public, il y avait une grande partie qui venait de la section PS de Lille, celle de Pierre Mauroy, ancien Premier Ministre socialiste). L'imitateur avait réussi son coup parce qu'il n'avait pas chanté avec les textes à la répétition.





Terminons justement sur la notion de service public : s’il a passé quatre années dans le privé, c’est parce que la chaîne publique n’en voulait plus, et il en est maintenant à sa cinquante-quatrième année dans le public, ce qui laisse songeur. L’intérêt du public, c’est celui-ci : « Parlons clair : malgré ses nombreuses contraintes, ses pesanteurs, ses instabilités directoriales (…), malgré des relations complexes avec son État actionnaire, la télévision de service public reste la seule où l’on peut encore avoir de l’ambition. C’est-à-dire prendre des risques, montrer aux gens non seulement ce qu’ils aiment mas aussi ce qu’ils pourraient aimer, véhiculer une culture destinée à la fois aux élites et au plus grand nombre. Bien sûr, tous les patrons que j’ai rencontrés auraient voulu réaliser l’audience de "Star Academy" en proposant les programmes d’Arte. L’exercice n’est pas simple. Comment réunir un maximum de téléspectateurs sans singer le privé ? ». C'est tout l'enjeu de l'audiovisuel public avec la fin de la redevance.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 septembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :

"Mais qu’est-ce qu’on va faire de toi ?", Michel Drucker, éd. Robert Laffont, 2007
(d’où sont tirées les principales citations de cet article).

Ci-gît la redevance à la papa.
Michel Drucker.
Christophe Izard.
Virginie Efira.
Michèle Cotta.
Jacques Perrin.
Jean Roucas.
Jean Bertho.
Igor Bogdanoff.
Grichka Bogdanoff.
Jean Amadou.
Le Petit Prince de l’humour vache.
Yves Montand et la crise.
Miss France.
Combien valez-vous ?
Loft Story.
Abus d'autorité (1).
Abus d'autorité (2).
Maître Capello.
Une ambition intime.
Les aboyeurs citoyens de l’Internet.
Arthur.
Spectacle télévisuel quinquennal.
Programme minimum.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220912-michel-drucker.html

https://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/michel-drucker-le-consensus-fait-241551

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/05/01/39458984.html





 

 


 






 

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30 août 2022 2 30 /08 /août /2022 05:38

« Je ne sais pas comment nos contemporains font pour arriver à comprendre quelque chose, à supporter de marcher la tête en bas, les pieds en l’air. On est dans un asile géant. C’est incroyable. La même année, il y a des jeux d’hiver dans un pays où il n’y a pas de neige, et après, il y a des jeux d’été dans un pays où il fait 60°C à l’ombre, où ils ont construit dix, douze stades réfrigérés. C’est non seulement une aberration climatique mais une aberration écologique, et en plus, il y a un non-respect de l’idéologie des droits de l’homme. C’est incroyable. » (Vincent Lindon, le 29 août 2022 sur France 5).





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On excusera l’homme ému et en colère de parler de "l’idéologie des droits de l’homme", les droits de l’homme ne sont pas une idéologie, ce sont des droits pour chaque humain, non négociables. À 63 ans, l’acteur Vincent Lindon est sans doute comblé. Président du jury du 75e Festival de Cannes en mai 2022, il a du succès au cinéma, il est reconnu par sa profession et il jouit d’une bonne popularité. Ce mercredi 31 août 2022 sort un nouveau film où il est l’acteur principal, en duo avec Juliette Binoche qu’il n’avait jamais rencontrée sur un plateau jusqu’à alors, "Avec amour et acharnement" de Claire Denis, une réalisatrice avec qui il avait déjà travaillé auparavant ("Vendredi soir", sorti le 11 septembre 2002, avec Valérie Lemercier, et "Les Salauds", sorti le 7 août 2013, avec Charia Mastroianni, Julie Bataille et Michel Subor).

Comme il est de coutume, on le voit donc cette semaine dans les médias, à la télévision, à la radio, pour faire la promotion de ce film. En particulier, il était le lundi 29 août 2022 l’invité de la matinale de France Inter ainsi que, le soir, l’invité de "C à vous" sur France 5.

Issu d’une sacrée famille (descendant de Jules Dufaure, un ancien Président du Conseil sous la Troisième République, du maréchal Exelmans, plus connu pour son boulevard à Paris et sa station de métro que pour ses faits d’arme à la Bataille de Rocquencourt, par exemple, juste après Waterloo, gagnée par les forces napoléoniennes, aussi descendant de la sœur aînée d’André Citroën et d’un maire pendant trente ans d’Étretat ; par ailleurs, sa mère a divorcé de son père et s’est remariée avec le journaliste Pierre Bénichou), le futur acteur a abandonné rapidement ses études pour se consacrer au cinéma, d’abord par la petite porte (costumier de Gérard Depardieu et technicien de Coluche) avant de se former au Cours Florent. Il a commencé à jouer en 1983 dans des petits rôles, puis, comme premier rôle à partir de 1988 dans "L’Étudiante" de Claude Pinoteau (sorti le 5 octobre 1988) avec Sophie Marceau.

Sa notoriété date surtout du film de Coline Serreau, "La Crise" (sorti le 2 décembre 1992), film qui a traduit avec grande qualité la société telle que la vivent de nombreuses personnes, faite de séparation affective et de licenciement. Récompensé (tardivement) du César du meilleur acteur pour "La Loi du marché" de Stéphane Brizé (sorti le 20 mai 2015), un excellent film sur le chômage et le flicage des clients et des salariés, pour lequel il a reçu aussi le Prix d’interprétation masculine du Festival de Cannes en mai 2015, Vincent Lindon avait eu précédemment cinq autres nominations aux Césars pour "La Crise" ; pour "Ma petite entreprise" de Pierre Jolivet (sorti le 1er septembre 1999), sur une fraude à l’assurance avec François Berléand ; pour "Ceux qui restent" d’Anne Le Ny (sorti le 29 août 2007), où le thème de la maladie est traité avec originalité en duo avec Emmanuel Devos ; pour "Welcome" de Philippe Lioret (sorti le 11 mars 2009) sur l’immigration illégale ; et pour "Quelques heures de printemps" de Stéphane Brizé (sorti le 19 septembre 2012), une histoire de souhait d’euthanasie, avec Hélène Vincent. On peut aussi rajouter, comme films importants récents (ce n’est pas exhaustif), "La Moustache" d’Emmanuel Carrère (sorti le 6 juillet 2005) avec Emmanuelle Devos, "Journal d’une femme de chambre" de Benoît Jacquot (sorti le 1er avril 2015) avec Léa Seydoux, et "Enquête sur un scandale d’État" de Thierry de Peretti (sorti le 9 février 2022).

Son succès lui a permis de choisir les films dans lesquels il souhaite jouer. Parce qu’il bénéficie d’une belle exposition médiatique, il peut effectivement exprimer ses opinions, les faire entendre, et il entend bien qu’il n’a pas plus de légitimité que monsieur tout le monde. Mais pas moins non plus. Sur France 5, ainsi, il a confirmé : « Est-ce qu’on est légitimes pour parler du monde et de ce qui se passe ? Je pense que oui. Pourquoi on ne le serait pas ? Pourquoi on serait moins légitimes que tout d’un coup, lorsqu’on demande l’avis à un boulanger ou à un entrepreneur (…) ? Je paie mes impôts, je vis, je subis les mêmes malheurs que tout le monde, les mêmes bonheurs. (…) Moi, j’ai décidé d’être illégitime, je vais répondre aux questions que vous me posez (…). Mais en même temps, tous les gens qui s’expriment du matin au soir sur les réseaux sociaux, c’est moi qui leur pose la question, est-ce qu’ils sont légitimes de donner leur avis seize fois par minute ? ».

Et de développer ainsi : « Les intellectuels, c’est un sujet qui me révolte beaucoup, parce que je pense qu’il n’y a plus vraiment d’intellectuels comme j’entendais un intellectuel à l’époque, je trouve que les intellectuels se taisent, que leur silence est assourdissant. Ils sont sourdement corrompus, je ne les entends plus. Si, sur certains petits réseaux confidentiels, pour se donner bonne conscience, mais, comme disait Coluche un jour, il l’a dit mais il ne l’a pas dit fort. Je trouve que ça manque beaucoup, ça manque, de grands intellectuels qui haranguent les foules, qui ont du courage… Personnellement, ça me fait très plaisir de me livrer ce soir, même si parfois j’agace des gens, je m’en fiche complètement, je ne devrais pas exister, ce que je fais là ce soir, je ne devrais pas le faire. Je devrais être un acteur qui ne devrait parler que de son film. On ne devrait même pas m’inviter en première partie pour me demander mon avis sur la société. S’il y avait de grands intellectuels, c’est eux qu’on inviterait. Les artistes n’auraient pas à prendre des risques et à passer pour des ridicules de temps en temps, des peintres, des musiciens, des musiciennes, des actrices, on serait pénards. À l’époque, on ne voyait pas Jean-Paul Belmondo ou Lino Ventura parler des problèmes (…), on appelait Glucksmann… (…) Maintenant, c’est à l’image des réseaux. Vous imaginez bien que je ne maîtrise pas mon sujet. Je vous dis ce que je peux, comme je le ressens, mais une grande pensée intelligente de quelqu’un qui prend des risques, au risque même d’être en danger, ça n’existe plus. Je trouve cela très dommage. ».

Sur ce sujet, le débat est largement ouvert : certes, un acteur n’est pas un spécialiste ni du climat, ni de la géopolitique, ni du sport, etc. mais il est aussi un citoyen et je rappelle que tous les citoyens, a priori, sauf condamnation, peuvent voter et donc, participent à la vie de la nation et surtout, aux décisions qui y sont prises. La politique, c’est effectivement d’avoir une vision, un cadre (peut-être idéologique), ou une méthode (pragmatisme), mais il ne doit pas être nécessaire d’être compétent en tout, d’être savant, connaisseur. Sinon, il faudrait des brevets d’électeurs, une formation minimale (cette idée, d’ailleurs, très dangereuse pour la démocratie à mon sens, est défendue ardemment par une personne que j’apprécie peu et qui est devenue maintenant un député FI).

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Mais pourquoi était-il question de sa légitimité à exprimer une opinion politique ? Parce qu’il s’était permis le 17 mai 2022, en tant que président du Festival de Cannes, de dire trois mots sur la planète et sur le bouleversement climatique, d’évoquer « les tourments d’une planète qui saigne, qui souffre, qui étouffe et qui brûle dans l’indifférence des pouvoirs (…). Je me demande si nous ne sommes pas en train de danser sur le Titanic ». On avait eu "la maison brûle" de Jacques Chirac. La danse sur le Titanic, c’est aussi une belle image qui n’a pas dû plaire à tous ses collègues du cinéma. Cela donne un écho particulier à la "fin de l’abondance" annoncée par le Président Emmanuel Macron.

D’où son laïus sur : on marche sur la tête, avec des jeux sportifs dans des stades climatisés avec une température extérieure de 60°C ! C’est vrai que c’est complètement loufoque, sans compter en plus le malheur extrême de ces milliers d’ouvriers clandestins qui ont perdu la vie depuis une dizaine d’années dans ces travaux pharaoniques.

S’il était un grand joueur de football, voici ce qu’il dirait de ce tournoi complètement démesuré et déraisonnable : « Je ferais une conférence de presse. Eh bien voilà, j’ai eu x fois le ballon d’or, je suis extrêmement demandé, je gagne beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup d’argent. J’ai pris la décision personnelle de ne pas aller au Mundial, sans prévenir mon entraîneur et mon pays. C’est ma décision d’hier soir. Messieurs, Mesdames… et je me lève. À la Pompidou pour l’affaire Gabrielle Russier. (…) Ça a l’air simpliste, mais ça ne peut venir que des joueurs. (…) Un joueur, il est libre, c’est un artiste, il peut, lui. ».

Plus tôt dans la journée, sur France Inter, parlant toujours de la coupe du monde au Qatar, il a lâché l’idée que l’argent déciderait de tout pour faire cette remarque très généralisante : « En fait, je crois qu’aujourd’hui, on se laisse dévorer par l’argent rouge de sang. Je crois que c’est ça, le drame du monde. ».

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En termes d’engagement, dans le passé, Vincent Lindon avait soutenu la candidature de François Bayrou aux élections présidentielles de 2007 et de 2012. Il avait même été présent au congrès fondateur du MoDem.

Dans "Le Monde" du 22 mars 2007, dans un article de Patrick Roger, on y lit cette appréciation de la (regrettée) Marielle de Sarnez : « Il a un vrai sens politique. » en parlant de Vincent Lindon qui se confiait ainsi au journaliste : « [François Bayrou], c’est un homme qui prend le temps d’écouter, et qui a une véritable vision, sur la culture, l’écologie, les solidarités, les nouvelles technologies. Ce que j’aime chez lui, c’est ce mélange de modernisme, ce qu’il sait faire avec un ordinateur, il m’impressionne, on dirait un hacker, et, en même temps, ce côté paysan intellectuel. (…) J’ai été attiré par Mitterrand et par Chirac. J’adorais les hommes. Chirac a un charisme incroyable, c’est un acteur américain. Mais je suis aussi fasciné par le charisme qui n’est pas forcément là au départ, qui vient avec le succès et la fonction. C’est ce qui arrive à Bayrou en ce moment. Il a pris de l’épaisseur. ».

Vincent Lindon a des propositions politiques. Il considère par exemple qu’il faudrait un mandat présidentiel unique, de six ans car cinq ans, c’est trop court, mais unique car sinon, le Président de la République n’agirait que pour se faire réélire. Il constatait sur France Inter qu’un candidat qui ne voudrait faire qu’un seul mandat ne le dirait pas aux électeurs car ces derniers voudraient avoir la possibilité de le sanctionner à la fin de son mandat. S’ils n’en avaient pas la possibilité, ils ne l’éliraient pas, selon l’acteur (peut-être pensait-il à François Fillon ou Alain Juppé ?).

L’acteur est un peu "gauche" dans sa formulation, par exemple, il ne connaît pas très bien les institutions et parle de proposer cette révision constitutionnelle « à l’Assemblée Nationale ou au Conseil d’État », le Conseil d'État n’a rien à voir avec une instance politique délibérative, c’est une instance de consultation juridique du gouvernement et le tribunal administratif suprême.

Évoquant le réchauffement climatique, Vincent Lindon considérait sur France Inter qu’il ne pouvait pas ne pas parler, que son rôle d’acteur était accessoire : « Là, aujourd’hui, c’est impossible de ne pas être engagé. Personnellement, pardon, mais un être humain, femme, homme, qui aujourd’hui, public en tout cas, n’est pas engagé, là, franchement, je ne vois pas comment on peut faire, enfin. ».

Et à la dernière question de Léa Salamé, Vincent Lindon a confirmé : « Un engagement dans la cité, oui. C’est exactement comme cela que je l’aurais dit. (…) Fédérer, fédérer, et m’occuper des gens. (…) On n’est pas quelque chose pendant toute une vie. Et je trouve que oui, un moment, à 65 ans, ce serait intéressant de faire autre chose. ». 65 ans ? C’est en 2024 : un mandat européen pour Vincent Lindon ?


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 août 2022)
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Pour aller plus loin :
Vincent Lindon.
Micheline Presle.
Anne Heche.
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Marilyn Monroe.
Arnold Schwarzenegger.
Michel Serrault.
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Charlie Chaplin.









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https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/vincent-lindon-compte-t-il-s-243519

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