« [Sibyle] Veil propose un projet stratégique qui, dans l’ensemble de ses propositions, porte une vision ambitieuse et réformatrice pour l’entreprise Radio France. Elle manifeste un grand sens du service public et une attention marquée aux publics, notamment par ses initiatives innovantes pour renouveler et élargir l’accès aux offres éditoriales de Radio France. Son parcours professionnel et les méthodes envisagées témoignent de sa capacité à mettre en œuvre un projet d’entreprise dans ses dimensions humaine et managériale. » (CSA, le 12 avril 2018).
C’est ce jeudi 12 avril 2018 dans l’après-midi que l’annonce a été faite : Sibyle Veil (40 ans) a été nommée présidente de Radio France par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) présidé par Nicolas Curien (en remplacement de son président Olivier Schrameck, absent pour raison de santé depuis le 26 février 2018). Son mandat commence ce lundi 16 avril 2018 pour une durée de cinq ans. Cette nomination est intervenue conformément à l’article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986, modifiée par la loi du 15 septembre 2013 (décision n°2018-209 du 12 avril 2018).
L’enjeu est important. Le Président Emmanuel Macron compte proposer une réforme de l’audiovisuel public à la fin de cette année 2018. Certains évoquent ainsi la possibilité d’une fusion des différentes sociétés de l’audiovisuel public, à savoir France Télévisions, Radio France, France Médias Monde (France 24 et RFI) ainsi que (peut-être) RFO, l’INA, etc., peut-être dans un retour à l’ancienne ORTF… Or, depuis plusieurs mois, le président de Radio France n’était plus en mesure de peser dans ce débat préparatoire crucial.
Je propose ici d’évoquer la raison de la nomination d’un nouveau président de Radio France alors que le précédent mandat devait s’achever en théorie le 12 mai 2019, les modalités de la procédure de désignation, et enfin, un rapide portrait de la nouvelle présidente Sibyle Veil. Notons tout de suite que c’est la troisième fois que Radio France est présidée par une femme, les deux précédentes fois, c’étaient avec les deux premières présidentes, Jacqueline Baudrier (1975 à 1981) et Michèle Cotta (1981 à 1982).
Pourquoi un nouveau président de Radio France ?
En l’occurrence, une nouvelle présidente. Parce que l’ancien président Mathieu Gallet, après une audition au CSA le 29 janvier 2018, a été démis de ses fonctions le 31 janvier 2018 à compter du 1er mars 2018.
À cette date, le doyen des membres du conseil d’administration, à savoir Jean-Luc Vergne (69 ans), ancien DRH de Sanofi (1987-1992), du groupe Elf Aquitaine (1992-1999), de PSA Peugeot Citroën (1999-2009) et des groupes Banque Populaire et Caisse d’Épargne (2009-2011), a assuré pleinement l’intérim en attendant la nouvelle nomination. Mathieu Gallet, nommé à l’unanimité du CSA le 27 février 2014, avait pourtant commencé son mandat de cinq ans le 12 mai 2014.
Pourquoi ce limogeage sans précédent, puisque les prérogatives du CSA, en principe, se limitaient à la nomination pour un mandat de cinq ans et pas à cette possibilité d’éviction ?
Parce que le 15 janvier 2018, Mathieu Gallet a été condamné pour favoritisme à un an de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende en première instance. La Ministre de la Culture Françoise Nyssen l’a alors, dès le 16 janvier 2018, pressé à démissionner : « Les dirigeants d’entreprises publiques ont un devoir d’exemplarité. Un dirigeant condamné pour favoritisme, ce n’est pas une situation acceptable. Il appartient à l’intéressé d’en tirer les conséquences, ainsi qu’au Conseil supérieur de l’audiovisuel, légalement compétent. ».
Pourtant, Mathieu Gallet a refusé de démissionner de lui-même, estimant qu’il n’a pas été définitivement condamné et surtout, qu’il n’est en rien malhonnête.
En effet, cela mériterait un peu plus d’approfondissement, je ne survole ici que très brièvement le sujet. Ce que la justice a reproché à Mathieu Gallet, pour sa gestion quand il était président de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), et pas comme président de Radio France, c’est l’un des problèmes clefs des dirigeants d’entreprises publiques.
Parce qu’elles sont publiques, ces entreprises doivent avoir une transparence totale dans l’utilisation de leurs fonds. Ce qui, en principe, est normal : l’argent du contribuable doit pouvoir être dépensé selon des règles bien établies. Mais parfois, respecter les règles de marché public peut être très ardu. Faire une mise en concurrence, c’est-à-dire, faire un appel d’offres est une procédure très longue et coûteuse. Ces procédures sont indispensables à partir d’un certain montant d’une commande.
Pour le cas concerné, Mathieu Gallet voulait se faire conseiller par un cabinet de communication bien particulier. On peut comprendre que ces cabinets, nombreux, ne tiennent que par la réputation de leurs ressources humaines. Un cabinet n’équivaut donc pas à un autre, au contraire, par exemple, et sans mépriser la profession, d’un plombier ou d’un autre professionnel très technique qui réalisera à peu près de la même manière, selon les règles de l’art, le travail demandé. Pour une prestation intellectuelle où la psychologie rentre en compte, c’est différent.
Le "problème", pour Mathieu Gallet, c’est qu’à partir d’un certain nombre de mois, le coût cumulé des prestations a dépassé le seuil qui rend obligatoire une mise en concurrence. Celle-ci n’ayant pas été faite, la "faute" est donc constatée. Répétons que Mathieu Gallet ne voulait probablement aucune autre prestation que celle de ce cabinet en particulier. Une mise en concurrence aurait pu l’obliger à traiter avec d’autres consultants qu’il n’aurait pas voulus et dont la prestation lui aurait été inutile ou inefficace de son point de vue (on peut évidemment discuter de la pertinence de ces choix, mais cela relève de ses propres responsabilités de chef d’entreprise).
La loi n’a évidemment pas été faite par hasard : elle permet d’empêcher des collusions entre amis, entre un dirigeant d’entreprise publique et un ami consultant pour le financer, comme cela peut se constater dans beaucoup de pratiques politiques et électorales.
Il a été établi que Mathieu Gallet ne s’est pas enrichi avec cette non mise en concurrence et que les prestations proposées étaient au prix du marché. Donc, pas d’enrichissement personnel ni d’un côté ni de l’autre, mais la réalité d’un favoritisme malgré tout. Au mieux une "négligence".
Cela expliquait pourquoi Mathieu Gallet a voulu tenir coûte que coûte et a refusé de démissionner de lui-même. Il a même fait un recours devant le Conseil d’État pour contester la décision du CSA du 31 janvier 2018. Rappelons que lors de la grève très dure de mars 2015, le gouvernement avait tablé sur sa démission rapide, n’hésitant pas à faire pression en ce sens, et malgré tout, Mathieu Gallet avait su garder la tête hors de l’eau et s’était accroché avec une ténacité qui en a étonné plus d’un. Finalement, il a survécu deux ans à la ministre qui voulait tant son départ, Fleur Pellerin.
Le limogeage de Mathieu Gallet intervient au moment où jamais le groupe Radio France ne s’est aussi bien porté. France Inter est confirmée comme la radio la plus écoutée pendant la séquence matinale, et le site Internet est le premier pour les téléchargements de podcasts, montrant une nouvelle forme d’écouter la radio, plus libre et personnelle. Cela explique aussi l’émergence d’une candidature interne qui soit soutenue par les équipes dirigeantes actuelles pour poursuivre le travail.
Quelle a été la procédure de nomination ?
Après la polémique sur l’absence (ou pas) de transparence dans la nomination de Delphine Ernotte à la présidence de France Télévisions le 23 avril 2015, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a renforcé ses mesures de transparence en publiant la présélection des candidatures retenues (la liste a été publiée le 14 février 2018) puis en rendant publiques les auditions des candidats (la deuxième semaine d’avril 2018, Sibyle Veil a été "auditionnée" le mercredi 11 avril 2018 à 14 heures 30).
Six candidats ont été écoutés par le CSA : Sibyle Veil, Jérôme Batout, Bruno Delport, Guillaume Klossa et Christophe Tardieu.
Comme Radio France est une entreprise publique (une SA particulière à un seul actionnaire, l’État), il est normal que les citoyens puissent avoir le plus de transparence possible dans cette procédure.
Néanmoins, cela a abouti à un inconvénient majeur : cela a découragé des candidats potentiels qui étaient employés dans des entreprises privées d’audiovisuel. En effet, si leur candidature n’était pas retenue, à cause de la publication de leur nom, ils seraient mis en difficulté avec leur employé actuel qui pourrait y voir un acte de défiance. C’est pourquoi, généralement, dans le secteur privé, les candidatures restent confidentielles, pour laisser une marge de manœuvre aux candidats et ne pas se "brûler" auprès de leur employeur.
Réciproquement, la procédure avantage ceux qui sont déjà dans la fonction publique et qui n’ont pas de problème pour retrouver un nouvel employeur le cas échéant. La candidature de Sibyle Veil est à cet égard particulière. Certes, elle est haut fonctionnaire, mais en plus, elle est employée de Radio France, donc, elle postule à la tête de son propre employeur.
Qui est Sibyle Veil ?
Deux types de profil peuvent généralement occuper la présidence de Radio France : soit le profil de la personne du métier, un journaliste ou un producteur (par exemple, Jacqueline Baudrier, Michèle Cotta, Jean-Noël Jeanneney, Jean-Marie Cavada, Jean-Luc Hees, etc.), soit le profil d’un gestionnaire (par exemple, Michel Boyon, Jean-Paul Cluzel, Mathieu Gallet, etc.).
Sibyle Veil a incontestablement le profil de la gestionnaire, mais en même temps, elle provient déjà de Radio France. Sa nomination est donc une proposition de continuité avec le mandat précédent. En ce sens, avec cette décision, le CSA ne se déjuge pas à quatre ans d’intervalle, puisque Sibyle Veil a été nommée par Mathieu Gallet.
Depuis plusieurs semaines, Sibyle Veil était effectivement "donnée" favorite car sa candidature était la seule en interne. Depuis juin 2015, Sibyle Veil est directrice générale déléguée en charge des opérations et des finances, et à ce titre, connaît parfaitement la maison. Elle était notamment responsable des travaux de réhabilitation (qui ont commencé en 2006 et n’ont pas encore fini, et qui constituent le plus gros chantier à Paris). Elle avait été nommée à la suite d’un grave conflit social et d’une grève qui a duré vingt-huit jours en mars 2015.
Née le 26 septembre 1977 à Langres, Sibyle Veil est diplômée de l’IEP Paris (1999), a un DEA de Politiques européennes à Paris-III (2000) et est sortie de l’ENA en 2004 (même promotion qu’Emmanuel Macron).
Après un passage au Conseil d’État de 2004 à 2007 comme auditrice puis maître des requêtes, à la 7e sous-section du contentieux (spécialité marchés publics) et à la section des finances (spécialité budgétaire), elle a conseillé le Président Nicolas Sarkozy à l’Élysée sur les questions du travail, de la santé et du logement de 2007 à 2010, faisant notamment le suivi du plan de relance économique en 2008-2009. Entre 2010 et 2015, elle fut directrice du pilotage de la transformation aux Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, groupe qui emploie 95 000 employés pour un budget de 7 milliards d’euros.
Maître de conférences à l’IEP Paris en droit public, elle est intervenue aussi en formation au CNAM sur la conduite du changement en milieu hospitalier et à l’ENA, sur l’organisation territoriale du système de santé.
Pour terminer son bref portrait (elle n’a pas encore de fiche sur Wikipédia mais cela ne devrait pas tarder !), elle porte ce nom Veil parce qu’elle est mariée à un petit-fils de Simone Veil, l’ancienne ministre récemment disparue. Par ses brillantes études et son parcours élogieux, elle est un des fruits de la méritocratie républicaine. Gageons qu’à défaut de pouvoir se faire un nom, elle se fera un prénom.
Quel est son projet pour Radio France ?
Sibyle Veil a fait équipe avec un homme du métier, le journaliste Laurent Guimier (47 ans), directeur délégué aux antennes et aux contenus de Radio France depuis le 17 mai 2017 (poste de numéro deux de Radio France, remplaçant Frédéric Schlesinger recruté par Arnaud Lagardère pour être vice-président et directeur général de la radio Europe 1), ancien directeur de France Info (2014-2017) et à ce titre, ancien initiateur, du côté Radio France, de la création de la chaîne d’information continue commune à France Télévisions et Radio France (qui a commencé à émettre sur le canal 27 de la TNT le 1er septembre 2016).
Dans le projet stratégique exposé par Sibyle Veil (qu’on peut lire ici), Sibyle Veil définit plusieurs objectifs dont l’adaptation du groupe aux nouvelles pratiques (notamment numériques) et aussi quelques ambitions comme celle d’être le groupe d’informations de référence mondiale, l’équivalent francophone de BBCnews.
Je termine sur les défis auxquels elle compte répondre pour ces cinq prochaines années : « Ma conviction est que [les médias du service public] ne sont pas là seulement pour faire ce que le secteur privé ne fait pas, mais pour le faire autrement. Prouver leur utilité, en démontrant, chaque jour, leur différence et leur valeur ajoutée. Réinterroger leurs missions historiques d’information, de culture et de divertissement intelligent. Fédérer beaucoup plus largement tous les publics, dans une société où la demande de lien est aussi une demande de sens, tels sont les nouveaux défis des médias de service public, qui nécessitent des mutations profondes. ».
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a nommé Sibyle Veil présidente de Radio France le 12 avril 2018. Son projet stratégique ainsi que la décision du CSA sont disponibles sur Internet. Il faut cliquer aux différents liens pour télécharger le document voulu.
Après avoir été "auditionnée" le 11 avril 2018 à 14h30, Sibyle Veil, actuelle directrice générale déléguée chargée des opérations et des finances a été nommée ce jeudi 12 avril 2018 par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) au poste de présidente de Radio France qui regroupe l'ensemble des stations de la radio publique (dont France Inter, France Info, France Culture, France Musique, FIP et le réseau France Bleu) et deux orchestres philharmoniques. Elle prend la succession de Mathieu Gallet qui a été évincé le 31 janvier 2018 en cours de mandat en raison de sa condamnation le 15 janvier 2018 à 1 an de prison avec sursis et 20 000 € d'amende.
Mathieu Gallet : http://0z.fr/K9isL
Née le 26 décembre 1977, Sibyle Veil est énarque et avait travaillé dans le cabinet présidentiel de Nicolas Sarkozy puis aux Hôpitaux de Paris avant de rejoindre Radio France.
« Eh bien, si on ne peut plus péter sous les étoiles sans faire tomber un Martien, il va nous en arriver des pleines brouettes ! » (Personnage du Glaude, dans "La Soupe aux choux", film de Jean Girault sorti le 2 décembre 1981).
Évidemment, la citation ci-dessous n’est pas très avenante, surtout pour l’avant-dernier film (un "navet" ennuyeux avec Jacques Villeret et Jean Carmet) d’un acteur comique qui a tourné plus de cent quarante films entre 1947 et 1982. À la limite de la vulgarité. Et pourtant, Louis de Funès était un acteur à l’humour à la fois fin et odieux. Il est mort il y a trente-cinq ans le 27 janvier 1983, à l’âge de 68 ans (né le 31 juillet 1914 à Courbevoie) alors qu’il travaillait sur le tournage de "Papy fait de la Résistance" (il fut remplacé dans son rôle par Jacques Villeret). C’est vrai, beaucoup de ses films furent des "navets" (comme la série du "Gendarme de Saint-Tropez", avec Michel Galabru), souvent par carences du scénario, mais pas tous !
Il y a un petit côté snob à ne pas aimer Louis de Funès. Ou plutôt, une volonté d’anti-conformisme très conformiste. Car il n’y a pas eu beaucoup d’acteurs à avoir rassemblé autant de personnes en salle. Aucun Français en tout cas : Louis de Funès fut le champion hors catégories avec quelque 314 millions d’entrées en salle rien qu’en France pour l’ensemble des films dans lesquels il a joué, sans compter les autres pays européens (y compris la Russie) qui l’ont beaucoup apprécié. En revanche, très peu aux États-Unis sauf pour "Les Aventures de Rabbi Jacob", film de Gérard Oury sorti le 18 octobre 1973 en France et le 1er février 1974 aux États-Unis (aux côtés notamment d’Henri Guybet, Jacques François, Claude Piéplu, Miou-Miou et Suzy Delair, qui a fêté ses 100 ans le 31 décembre 2017).
Sa jeunesse fut difficile. Louis de Funès a commencé entre 1932 et 1942 par des petits boulots, et se faisait souvent renvoyer. Il fut pianiste le nuit dans des bars parisiens. Ce ne fut qu’à l’âge de 28 ans qu’il a eu la vocation de la comédie. Cours d’art dramatique René-Simon (grâce aux "Fourberies de Scapin" de Molière) où il fit la connaissance notamment de Daniel Gélin qui l’a introduit pour sa première pièce et son premier film.
Les débuts de Louis de Funès au cinéma étaient difficiles : entre 1947 et 1956, il n’a obtenu que des petits rôles quasi-humiliants (une ombre qui passe, etc.). Sa "révélation" auprès du public et des professionnels (acteurs, réalisateurs), ce fut la brève prestation de l’épicier Jambier face aux géants Jean Gabin et Bourvil, dans "La Traversée de Paris", un film de Claude Autant-Lara sorti 26 octobre 1956, puis le premier rôle (le braconnier Léon Blaireau) dans "Ni vu, ni connu" (film d’Yves Robert sorti le 23 avril 1958).
Louis de Funès a tourné avec un grand nombre de réalisateurs et quasiment avec tous les acteurs (et actrices) français de son époque. Parmi les réalisateurs, on peut citer évidemment Gérard Oury, mais aussi Édouard Molinaro, Jean Girault, Georges Lautner, Yves Robert, Claude Zidi, Henri Verneuil, etc.
La plupart ont donné à Louis de Funès un rôle toujours de la même trempe : un mélange de lâche, colérique sinon hystérique, odieux, autoritaire, rancunier, radin, injuste, vaniteux, vénal, fourbe, condescendant, obséquieux, renégat, machiste, raciste, etc. plutôt dans le personnage du puissant peu reluisant. Ajouté à ses mimiques, sa gestuelle, cela donne un trait comique plébiscité par les spectateurs de tous les milieux. Pas le clown mais le symbole vivant du "méchant", de celui qui est du mauvais côté, qui est de mauvaise foi, qu’on aime haïr ou dont on aime se moquer.
Choisie par sa femme Jeanne de Funès (née le 1er février 1914 à Nancy et morte le 7 mars 2015 à Ballainvilliers), l’actrice Claude Gensac (morte le 27 décembre 2016 à 89 ans) fut sa fidèle complice de cinéma (jouant souvent le rôle de son épouse : "Ma Biche !"), depuis "La Vie d’un honnête homme" (film de Sacha Guitry sorti le 18 février 1953) jusqu’au film "Le Gendarme et les Gendarmettes" (réalisé par Jean Girault et Tony Aboyantz, et sorti le 7 octobre 1982).
Beaucoup de ceux qui ont travaillé avec lui (réalisateurs, acteurs) ont témoigné que Louis de Funès n’était pas très drôle dans la vie, souvent entêté, colérique, pas facile, et ce dernier l’a même théorisé en 1968 : « Quand je joue au théâtre, j’ai la réputation de me brouiller avec tout le monde. C’est vrai, mais c’est exprès. Je fais tellement peur à la troupe qu’elle joue sans oser rigoler. Dans une pièce comique, c’est le public qui doit rire, pas nous. Et comme je suis moi-même rieur de nature, faire régner la terreur est le seul truc que j’ai trouvé pour que tout le monde soit sérieux. » (cité par Frédéric Vandecasserie, article en référence ci-dessous).
Au-delà des "navets" et de films comme la série "Fantomas" (avec Jean Marais), Louis de Funès a joué dans de très bons films devenus "culte" (comme on dit) qui sont, entre autres (je risque d’en oublier) : "La Traversée de Paris", "Pouic-Pouic" (film de Jean Girault sorti le 20 novembre 1963, avec Mireille Darc), "Le Corniaud" (film de Gérard Oury sorti le 24 mars 1965, avec Bourvil), "Le Grand Restaurant" (film de Jacques Besnard sorti le 7 septembre 1966, avec Bernard Blier), "La Grande Vadrouille" (film de Gérard Oury sorti le 8 décembre 1966, avec Bourvil), "Oscar" (film d’Édouard Molinaro sorti le 11 octobre 1967, avec Claude Rich), "Hibernatus" (film d’Édouard Molinaro sorti le 10 septembre 1969, avec son fils Olivier de Funès et Michael Lonsdale), "La Folie des grandeurs" (film de Gérard Oury sorti le 13 décembre 1971, avec Yves Montand et Alice Sapritch), "Les Aventures de Rabbi Jacob", "L’Aile ou la Cuisse" (film de Claude Zidi sorti le 27 octobre 1976, avec Coluche et Julien Guiomar), "La Zizanie" (film de Claude Zidi sorti le 22 mars 1978, avec Annie Girardot) et enfin "L’Avare" (film de Jean Girault sorti le 5 mars 1980).
Certains de ces films furent aussi des succès au théâtre. D’ailleurs, Louis de Funès était aussi un comédien de scène (il avait besoin d’un public pour certaines tirades, même lors du tournage d’un film). Il a joué dans une trentaine de pièces de théâtre entre 1942 et 1973, notamment aux côtés de Pierre Mondy, Raymond Souplex, Daniel Gélin, Jean Carmet, Arletty, Darry Cowl, Jean-Marc Thibault, Jean Richard, Micheline Dax, Marthe Mercadier, Jean Le Poulain, Claude Gensac, Jacques Legras, Jacqueline Maillan, Pierre Tornade, Maria Pacôme, Sabine Azéma, etc. L’une des premières pièces où Louis de Funès a joué (comme figurant) au Théâtre des Champs-Élysées fin décembre 1945 fut mise en scène par Pierre Henry.
Deux scènes comiques au moins ne pourraient plus être tournées aujourd’hui à cause du "politiquement correct". La scène avec Herr Müller et le jeu d’ombre qui dessinait cheveux et moustache d’Hitler sur le visage de Louis de Funès dans "Le Grand Restaurant" (1966), et bien sûr la plupart des sketchs des "Aventures de Rabbi Jacob" (1973) avec un racisme et un antisémitisme latents du personnage joué par Louis de Funès qui donne le même ressort comique que lorsque Pierre Desproges parlait des Juifs, des femmes ou du cancer dans ses spectacles. Le dialogue entre Louis de Funès et Henri Guybet (le chauffeur) est très cocasse ("Écoutez, ça ne fait rien, je vous garde quand même").
Après une première crise cardiaque en 1975, Louis de Funès a dû aménager radicalement de vie : régime alimentaire sévère, rythme moins soutenu pour ses tournages et surtout, moins de mouvements brusques, donc moins de "colères" dans les films, ce qu’il préférait car il avait fait le tour de ce comique-là et voulait changer un peu.
Je trouve que son meilleur film est "L’Aile ou la Cuisse" qui est à la fois une critique des institutions de l’époque (guide Michelin, Académie française, etc.) tout en restant d’une étonnante actualité (dans son combat contre la nourriture industrielle de Tricatel dont le patron est joué par Julien Guiomar).
De plus, le duo improbable entre Louis de Funès et Coluche a très bien fonctionné. Ce n’était pourtant pas gagné d’avance. Claude Zidi a reconnu qu’il a dû laborieusement convaincre Louis de Funès de jouer avec Coluche : « J’ai négocié avec lui durant des mois jusqu’à ce qu’il accepte enfin de le rencontrer. Là, il a totalement changé d’avis. Il m’a dit : "Mais, il fallait me le dire plus tôt, que ce jeune garçon était aussi talentueux". ». (cité par Frédéric Vandecasserie).
Coluche aussi a été séduit, comme il l’a raconté le 28 janvier 1983 (voir dernière vidéo) : « On m’avait dit : "Il a une réputation épouvantable, il est méchant". En fait, ce n’est pas vrai. C’est un homme charmant, qui a demandé à ce que je partage l’affiche en vedette avec lui alors qu’il n’était pas obligé. Quand il fait confiance, c’est comme le reste, il ne le fait pas à moitié. » (Antenne 2).
1. "L’Aile ou la Cuisse" (1976)
L’interview avec Michel Drucker le 31 octobre 1976 est "succulente". Elle donne une idée de la personnalité qui se cache derrière l’acteur. Louis de Funès dit regretter de ne pas avoir joué à l’époque du cinéma muet car cela donnait beaucoup plus de liberté à l’acteur de s’exprimer. Les dernières mimiques sans son, normalement en off, sont extraordinaires et m’ont fait imaginer Louis de Funès jouant le rôle de François Mitterrand Président, alors qu’avec ses grimaces, on aurait pu l’imaginer en Alain Peyrefitte voire en Nicolas Sarkozy.
2. "Le Grand Restaurant" (1966)
3. "L’Avare" (1980)
4. "Oscar" (1967)
5. "La Zizanie" (1978)
6. Le journal de 20 heures du 28 janvier 1983 sur Antenne 2
Coluche était interviewé par Christine Ockrent et a rappelé le projet commun de jouer avec Louis de Funès un second film avec la particularité d’être sans paroles. Un film qui ne s’est jamais réalisé (Coluche est mort quelques années après De Funès) et qui pourrait faire penser un peu à "The Artist" (réalisé par Michel Hazanavicius et sorti le 12 octobre 2011, avec Jean Dujardin et Bérénice Bejo), même si De Funès l’aurait voulu plutôt se déroulant en période contemporaine.
« Dans un monde où le langage pour défendre les choses qui paraissent en danger est surtout un langage guerrier (…), j’ai l’impression d’être là pour arrondir les angles et calmer les esprits. Ayant connu les désaccords et redoutant les violences, j’ai un grand goût de l’harmonie. (…) Je ne sais pas ce qu’il y a d’essentiel dans le cinéma, mais c’est quelque chose qui regarde la liberté. Tant que cette liberté d’expression existe, malgré les dangers qui la menacent, le totalitarisme n’est pas possible. Dans les pays où il règne, il n’y a plus d’images, plus de chansons, il y a le silence. » ("Le Monde" le 17 mai 1995).
Honorée de son vivant par une rétrospective de trente de ses films au célèbre MoMA (musée d’art moderne) de New York du 25 février 1994 au 18 mars 1994 ("Nouvelle vague and beyond"), elle avait conquis depuis longtemps la postérité dans de nombreuses institutions culturelles.
L’actrice Jeanne Moreau aurait eu 90 ans ce mardi 23 janvier 2018. Disparue en plein été l’année dernière, le 31 juillet 2017 à Paris, Jeanne Moreau a fait partie des merveilleuses femmes de l’histoire du cinéma français. Une femme d’une séduction folle. Sacha Distel, parmi d’autres : « J’ai craqué dès le premier soir. Il y avait de quoi. Jeanne était une sorte de tornade, l’amoureuse dont tout jeune homme rêve. ». Après avoir joué Véra Alexandrovna dans "Le mois à la campagne" de Tourgueniev, Jeanne Moreau est entrée comme pensionnaire à la Comédie-Française le jour de ses 20 ans, le 23 janvier 1948.
Fêtée lors de son 80e anniversaire le 6 février 2008 à la Cinémathèque française, Jeanne Moreau a obtenu les plus grandes distinctions du cinéma : elle a reçu le Prix d’interprétation féminine le 20 mai 1960 au 13e Festival de Cannes, un Molière de la comédienne le 2 mai 1988, un Lion d’Or d’honneur le 12 septembre 1992 au 49e Festival de Venise, un Ours d’Or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière le 20 février 2000 au 50e Festival de Berlin, un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière le 23 mars 1998 à Los Angeles, un César de la meilleure actrice le 22 février 1992 à Paris, deux Césars d’honneur le 25 février 1995 à Paris et le 22 février 2008 à Paris, et le 2 mars 2018 à la Salle Pleyel à Paris, lors de la 43e cérémonie des César, elle recevra un hommage de tous les professionnels du cinéma français (retransmis sur Canal Plus).
La carrière de Jeanne Moreau a été très "productive" en films mais aussi en chansons. Entre 1949 et 2015, elle a joué dans près de 150 films au cinéma mais aussi à la télévision. Entre 1947 et 2011, elle a joué dans près de 60 pièces de théâtre. Et entre 1963 et 2010, elle a sorti six albums de chansons dont le dernier avec Étienne Daho. Son dernier album et sa dernière prestation à Avignon furent consacrés à un poème de Jean Genet à l’occasion de son centenaire (né le 19 décembre 1910).
Parmi ses films, "Les Amants", réalisé par Louis Malle et sorti le 5 novembre 1958, fut très controversé en raison de la dernière scène très dénudée représentant un adultère, avec une polémique sur sa projection au 19e Festival de Venise qui, le 7 septembre 1958, l’a finalement honoré du Prix spécial du jury et, pour Jeanne Moreau, du prix de meilleure espoir féminin.
En 1956, lors d’une représentation de la pièce "La Chatte sur un toit brûlant" (pièce de Tennessee Williams mise en scène par Peter Brook), où elle jouait le rôle très sensuel de Maggie au Théâtre Antoine à Paris, elle a rencontré le réalisateur Louis Malle qui l’a ensuite aimée et choisie comme l’héroïne de son grand succès "Ascenseur pour l’échafaud" (sorti le 29 janvier 1958) grâce auquel elle est devenue une véritable star du cinéma.
Avec sa petite allure de femme des faubourgs au tempérament trempé, de femme moderne qui a pu inspirer beaucoup d’autres femmes à l’époque (et d’hommes, aussi, mais pour d’autres raisons), elle fut décrite par Pierre Cardin en 2001 (voir plus bas) ainsi : « D’humeur toujours égale, avec l’intention de faire plaisir aux autres, elle reste fidèle en amitié. (…) Elle sait être lumière, soleil, calme comme neige mais parfois orage. Cigale plutôt que fourmi, être généreuse pour les autres, ce qui ne facilite pas toujours les lendemains. Elle est également très coquette, aimant la mode et c’est une joie pour moi de l’habiller. Jeanne aborde sans détour le sujet du sexe (…). Elle sait désirer mais sans accepter la possession et ressent le besoin de s’isoler pour se trouver. Mais dans ce tourbillon de vie, elle a le sourire du matin et le bonheur du soir et bien d’autres moments inoubliables… ».
Point de départ de sa vocation de comédienne, sa voix si reconnaissable et si rassurante est extraordinairement familière. Par exemple, on ne la voit pas dans "L’Amant", une adaptation du roman de Marguerite Duras (publié en 1984) réalisée par Jean-Jacques Annaud et sortie le 22 janvier 1992, mais elle est présente tout au long du film par la voix de la narratrice qui a été la raison en bonne part du succès de l’adaptation. Elle a fait ainsi le bonheur des imitateurs (en particulier Laurent Gerra).
Parmi les nombreux films dans lesquels elle a tourné, je propose de citer une biographie de Mata Hari, le film "Mata Hari, agent H21" réalisé par son ancien mari (entre 1949 et 1951) Jean-Louis Richard et sorti le 29 janvier 1965. Ce film, qui a été diffusé récemment sur Arte, fait intervenir Jeanne Moreau dans le rôle de Mata Hari, avec aussi Jean-Louis Trintignant (l’officier amoureux), Claude Rich (le chauffeur et précieux homme à tout faire), mort le 20 juillet 2017. On y voit aussi la magnifique Marie Dubois (morte le 15 octobre 2014) qui ne fut vraiment une star que depuis "La Grande Vadrouille" réalisé par Gérard Oury et sorti le 8 décembre 1966.
Il est intéressant de retrouver une vieille interview de Jeanne Moreau en 1964 pendant le tournage de "Mata Hari, agent H21" (la scène de son exécution). Elle y révéla qu’elle ne voulait pas suivre la réalité du personnage qu’elle jouait et que cela restait bien sûr une fiction. Cela fait penser à l’auteur de bandes dessinées Jean Tabary qui s’était toujours amusé à laisser son imagination galoper pour dessiner les costumes et les décors de ses albums "Iznogoud". Lorsqu’un film n’a pas la prétention d’une reconstitution historique, la fantaisie avec la réalité est toujours bienvenue dans une fiction.
Jeanne Moreau a toujours montré une exigence dans les choix de ses films et de ses rôles, si bien qu’elle a vécu beaucoup d’entreprises ambitieuses et novatrices au cours de sa carrière. Elle a joué avec de nombreux grands réalisateurs comme François Truffaut, Luis Bunuel, Bertrand Blier, Theo Angelopoulos, Michelangelo Antonioni, André Téchiné, Michel Deville, Wim Wenders, Jean Renoir, Jacques Doillon, Josée Dayan, Jacques Becker, Gilles Grandier, Denys de La Patellière, Jean-Luc Godard, Édouard Molinaro, Roger Vadim, Orson Welles, Jacques Demy, Marcel Ophüls, Tony Richardson, Philippe de Broca, Pierre Granier-Deferre, Joseph Losey, Henri Verneuil, Rainer Werner Fassbinder, Jean-Pierre Mocky, Luc Besson, Agnès Varda, François Ozon, etc.
Avec le succès de "Jules et Jim" (réalisé par François Truffaut et sorti le 23 janvier 1962) dans lequel elle avait joué et chanté "Le Tourbillon", elle se mit également à la chanson (surtout l’interprétation). "Le Tourbillon" fut d’ailleurs chanté par Vanessa Paradis le 17 mai 1995 pour l’ouverture du 48e Festival de Cannes pour rendre hommage à Jeanne Moreau, présidente du jury cette année-là, et cette dernière l’a rejointe sur scène pour chanter ensemble. Jeanne Moreau a aussi présidé le jury du 28e Festival de Cannes en mai 1975.
Parmi les œuvres chantées par Jeanne Moreau, on peut aussi citer "India Song" pour la bande originale du film sorti le 4 juin 1975 et réalisé par Marguerite Duras (à partir de sa pièce publiée en 1973 et issue de son roman "Le Vice-Consul" publié en 1966).
Présidente de plusieurs festivals (Cannes mais aussi Berlin, Glasgow, San Sebastian, New Delhi, etc.), elle fut reçue comme une déesse à Moscou en 1990 pour le tournage du film "Anna Karamazov" réalisé par Roustam Khamdamov (accueillie dans l’ancienne limousine de Staline).
Officier de la Légion d’honneur (en mai 1980), grand-officier de l’ordre national du Mérite (le 14 novembre 2012), commandeur des Arts et des Lettres (le 16 juillet 1985), Jeanne Moreau fut aussi la première femme élue à l’Académie des Beaux-arts le 29 mars 2000, au nouveau 7e fauteuil de la 7e section des créations artistiques dans le cinéma et l’audiovisuel, fauteuil créé le 8 juin 1998.
Lors de sa réception le 10 janvier 2001, son ancien amant et nouveau confrère Pierre Cardin, qui lui a fait son costume d’académicienne, lui a rappelé qu’il l’avait habillée pour le film "Eva" réalisé par Joseph Losey et sorti le 3 octobre 1962 et qu’ils avaient voyagé souvent ensemble à Mexico, à Rio, à Venise, ou encore en Grèce : « À Paros, en débarquant sur l’île, nous nous laissions glisser dans le bonheur et nos deux corps nus, sur la plage au sable blanc, se reflétaient dans le grand miroir de la mer. ».
Elle a répondu : « Je sais être drôle, je vous l’assure. J’ai de l’humour, anglais en tout cas, mais mon goût inné pour les profondeurs et les passions humaines, mon attraction pour ceux dont la recherche rencontre la mienne, ont fait de moi la femme que je suis. ». Elle a terminé son discours en prononçant des alexandrins de Racine, le rôle d’Eriphile, dans la scène 1 de l’acte II de la tragédie "Iphigénie" (créée le 18 août 1674) qui lui a permis d’entrer au Conservatoire en 1947 comme auditrice et devenir la grande actrice qu’elle a été.
Jeanne Moreau, sex symbol lors de ses jeunes années, n’a jamais caché son vieillissement, en continuant sans cesse à tourner, avec des rôles de dame d’un certain âge ou même de grand-mère. Elle se moquait de son âge parce qu’elle n’avait pas le temps : « Pourquoi avoir ce genre d’inquiétude alors que l’on dispose d’aussi peu de temps pour bien gérer le présent ? ». Formidable leçon philosophique !
Et la politique ? Sans concession. Le 17 mai 1995, après une campagne présidentielle toujours assez prenante pour les Français, Jeanne Moreau a lâché : « On a tendance à comparer les hommes politiques aux comédiens : il est bon, il a été mauvais. Moi, je trouve qu’on fait du tort aux comédiens en disant cela. Jouer la comédie, c’est incarner, devenir un autre. On ne demande pas ça à un homme politique, à un chef, qui, d’après ce que j’ai compris, doit surtout apprendre à devenir lui-même. » ("Le Monde").
« Amoureux du cinéma, du rêve et de la magie, faites connaissance avec Méliès, caricaturiste, illusionniste et génie du 7e art naissant. Assistez à la création des premiers studios de cinéma, à Montreuil, à l’époque de la Star-Film, dont Méliès imagine toutes les perles, aux séances fantastiques de son Théâtre Robert-Houdin. La renommée de Méliès, qui pressent l’incroyable pouvoir suggestif du spectacle cinématographique et en invente grammaire et trucages, dépasse bientôt les frontières, en pleine folie 1900. Inventif, généreux, désintéressé et orgueilleux, Méliès, après avoir enchanté son époque, préfère affronter la ruine plutôt que de composer avec une industrie peu accordée avec ses rêves d’artiste. » (Madeleine Malthête-Méliès, petite-fille de Georges Méliès, pour introduire sa biographie : "Georges Méliès, l’enchanteur", publiée chez Hachette en 1973).
Née en 1923, la petite-fille de Georges Méliès a fait beaucoup pour transmettre son témoignage sur cet homme charmant qui l’éduqua entre août 1930 et janvier 1938. Georges Méliès est mort il y a quatre-vingts ans, le 21 janvier 1938, à Paris, à 66 ans, sans fortune mais avec une célébrité mondiale. Petit coup de projecteur sur cet artiste bricoleur génial !
Né le 8 décembre 1861 à Paris, Georges Méliès est né dans une bonne famille, la bourgeoisie aisée, industrielle, qui s’est enrichie grâce à la chaussure. Mais dès son enfance, on se douta assez vite qu’il ne serait pas industriel, car il avait montré très tôt l’âme d’un artiste. Il caricaturait ses professeurs et écrivait des poèmes, imaginait plein de trucs… Son père refusa qu’il poursuivît ses études aux Beaux-arts. En revanche, grâce au père (très introduit dans le tout Paris), il fut l’élève de Gustave Moreau puis fit un séjour linguistique en Angleterre où il découvrit la magie.
Eh oui, à l’origine, Georges Méliès n’était pas un "cinéaste" (très rare à son époque puisqu’on peut même considérer que ce fut lui, justement, le premier cinéaste) mais une sorte de "saltimbanque", ou plutôt, un prestidigitateur. Grâce à l’héritage de son père, il racheta en 1888 le Théâtre Robert-Houdin, fondé en 1845 par Jean-Eugène Robert-Houdin (1805-1871), connu pour être l’un des plus grands illusionnistes de tous les temps, et commença à monter des spectacles de magie.
Le voilà illusionniste, magicien. Mais pas seulement, car c’était tout le spectacle qui l’intéressait avec ses idées lumineuses : il s’occupait aussi des décors, des costumes, de la mise en scène, du choix des comédiens à ses spectacles, etc. Ce fut même lui qui créa et présida très longtemps la future Chambre syndicale de la prestidigitation.
Le 28 décembre 1895 au Salon indien du Grand Café, au 14 boulevard des Capucines à Paris, Georges Méliès (qui avait 34 ans) a découvert le cinéma comme beaucoup de ses contemporains. Louis Lumière (1864-1948) l’avait invité à la première projection de son Cinématographe et pour Méliès, ce fut soudain l’éclair de génie : il a tout de suite saisi l’intérêt de cette technologie au service de son imagination fertile, fantaisiste, voire loufoque.
Le père de Louis Lumière, qui ne croyait pas du tout en l’avenir commercial du cinéma, refusa de lui vendre les brevets pour utiliser l’appareil (Méliès, riche à cette époque, lui avait pourtant proposé une forte somme). Il trouva néanmoins un autre appareil à Londres appelé l’Animatographe de l’ingénieur britannique Robert William Paul (1869-1943), qui était en partie une contrefaçon du Kinétoscope de l’inventeur et industriel américain Thomas Edison (1847-1931), fondateur de General Electric en 1892 (et autrement doué pour protéger ses intérêts).
Georges Méliès était un productif de l’inventif. Entre 1896 et 1912 (c’est-à-dire, en seize ans), il réalisa au moins 520 courts-métrages (Michel Fragonard en a même évoqué 4 000 dans son dictionnaire d’historie culturelle chez Bordas ; beaucoup de films furent détruits ou ont disparu). Au début, sur le modèle des frères Lumière, il filmait des scènes de vie quotidienne, de la réalité, vie de famille, vie dans la rue, vi des entreprises, etc. Pour améliorer les conditions de ses tournages (notamment pour l’éclairage), il a eu l’idée de créer le premier studio de cinéma, en 1897, à Montreuil.
Son premier film est sorti en 1896 sous le titre "Une partie de cartes", d’une durée de 67 secondes, montrant trois convives jouant aux cartes, dont lui-même et son frère aîné Gaston (1852-1915) qui, plus tard, "plomba" financièrement l’aventure américaine de Georges Méliès. On y aperçoit aussi sa fille Georgette (1888-1930), la mère de la petite-fille citée, en fillette qui apportait le journal.
C’est vrai, aujourd’hui, que ce genre de scène est très banal. Tout le monde avec son smartphone est capable de faire un tel film, intimiste, mais en 1896, c’était très nouveau et cela fascinait. Ce genre de film était projeté dans les foires. De plus, ce film était aussi une parodie du film de Louis Lumière "Partie d’écarté" sorti le 20 février 1896. Ce qui signifie que c’était le premier "remake" de l’histoire du cinéma.
Ses idées cinématographiques se sont démultipliées.
Touché par le "J’accuse" d’Émile Zola dans "L’Aurore" du 13 janvier 1898 (il y a cent vingt ans) et profondément dreyfusard, Georges Méliès entreprit de reconstituer l’affaire Dreyfus (commencée le 15 octobre 1894 lors de l’arrestation du capitaine Dreyfus, condamné le 22 décembre 1894 pour trahison "à la destitution de son grade, à la dégradation militaire et à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée") dans un court-métrage de 13 minutes qui sortit même aux États-Unis le 4 novembre 1899.
Le premier docu-fiction était né. Autant dire que j’apprécie moyennement le docu-fiction lors qu’il relate des faits contemporains, dans le sens où il y a risque de mélanger documents d’archives réelles avec une partie de fiction (pour les périodes antérieures, la confusion est impossible), mais l’idée à l’époque était géniale, car elle permettait aux spectateurs de mieux comprendre un fait d’actualité. Et éventuellement, de modifier leur opinion (ce qui était le but de ce film "militant" ; il a fallu attendre le 12 juillet 1906 pour innocenter Dreyfus).
Ses projections fonctionnaient très bien. Il a eu tout de suite un public qui se pressaient pour aller aux présentations de ses films. Méliès a bien sûr fallu au départ qu’il se familiarisât à la technique. Son cerveau rempli de fantaisies venait de trouver un outil exceptionnel pour concrétiser ses délires oniriques.
Le site Internet mis en référence à la fin de l’article explique dans sa "bio" : « Il crée de nouveaux métiers, inconnus jusqu’alors, mais indispensables au cinéma : producteur, réalisateur, scénariste, décorateur, acteur, opérateur, directeur d’acteurs. (…) Les scénarios mais aussi les nouveaux procédés techniques le passionnent, ainsi il met au point : le fondu enchaîné, la surimpression, le gros plan, le ralenti, l’accéléré, l’usage des caches et des maquettes, l’arrêt sur image. (…) Peindre des décors, inventer des escamotages, faire disparaître un sarcophage ou faire danser un papillon lui apporte une joie intense, bien plus que les chiffres ou les tracasseries financières. La création est au centre de sa vie. ».
Georges Méliès a eu l’idée que le cinéma pouvait servir aussi à l’imagination et au rêve, pouvait servir la fiction, raconter des histoires, faire voyager dans les splendeurs de la poésie. Un film n’était pas seulement la retransmission de la réalité, comprise comme une prolongation de la photographie, mais comme un outil pour accompagner le roman, le théâtre, la peinture (Méliès appelait ses "plans" des "tableaux"). Moins la musique car la technologie ne le permettait pas encore (ses films étaient évidemment tous muets et à chaque projection, un musicien venait accompagner les images qui défilaient).
Son grand chef-d’œuvre, le plus connu, fut "Le Voyage dans la Lune" qui fut projeté pour la première fois le 1er septembre 1902 au Théâtre Robert-Houdin au 8 boulevard des Italiens à Paris. Ce fut le premier film de science-fiction. Mais aussi la première fois qu’on utilisait la technique des trucages, la première fois qu’on faisait des "effets spéciaux" (certes encore bien loin du film "Avatar"). Georges Méliès s’occupait de tout : ce fut lui qui dessina la lune, ce fut lui qui confectionna les décors, dans la pure tradition des scènes théâtrales.
Il n’avait aucune ambition d’anticipation. Jules Verne (1828-1905) avait certes déjà publié son fameux "De la Terre à la Lune" (en 1865) et ce thème fut porteur, repris par Hergé (1903-1983) dans sa bande dessinée de Tintin "Objectif Lune" publiée en janvier 1953, elle-même inspirée du film américain "Destination Moon" réalisé par Irving Pichel (1891-1954) et sorti le 27 juin 1950.
Dans ce court-métrage lunaire de Méliès, c’était tout le cerveau en pleine ébullition qu’on pouvait observer. Tout était loufoque. Surréaliste avant l’heure !
La première scène montrant les discussions entre savants académiciens se moquait d’eux, portant des costumes ridicules qu’on placerait plutôt à l’époque du "Malade imaginaire" de Molière. Tout n’était que délire et poésie. La manière d’aller sur la Lune aussi était intéressante, avec ce canon géant et la balle qui servait de fusée (fusée et fusil, drôle de rapprochement sémantique, pourtant étymologiquement évident).
À côté du loufoque, du comique, du fantasmagorique, il y a un petit côté naïf sur les moyens technologiques imaginés. En effet, pour revenir sur Terre, point n’était besoin d’énergie pour décoller de la Lune, il suffisait de se laisser tomber (la Lune étant en haut de la Terre) pour plonger dans un océan terrestre !
L’idée aussi de croire qu’il y a des sauvages qui habitaient la Lune (les Sélénites) donnait une idée de l’époque en pleine conquête coloniale. Les Sélénites n’étaient guère autres que des Africains colonisés et des Indiens du Far West. Là encore, on pourrait imaginer les idées politique de Méliès dans la mesure où finalement les Terriens, attaqués, étaient obligés de se replier et de quitter la Lune (les "colonisés" ont gagné !). On retrouva bien plus tard l’idée de ces "sauvages extraterrestres" chez Peyo (1928-1992) qui a publié en 1967 son histoire de bande dessinée "Le Cosmoschtroumpf" où les Schlips rouges faisaient office d’indigènes.
Méliès coloria lui-même "Le Voyage dans la Lune" et une restauration de cette version colorisée fut entreprise après la découverte de la version colorisée originale en 1993. Cette version restaurée a été projetée pour la première fois le 11 mai 2011, lors du 64e Festival de Cannes.
Les films de Méliès avaient du succès car ils venaient d’inaugurer un nouveau genre de divertissement. Ce succès populaire fut l’aubaine des groupes industriels qui, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, ont investi massivement dans "l’industrie" du cinéma (aux États-Unis, le nombre de salles de projection fut multiplié par mille entre 1905 et 1910 !). En France, Pathé, puis Gaumont et d’autres ont également investi dans ce nouvel art si apprécié.
Edison, qui a pris quasiment le monopole aux États-Unis, a été très dur avec Georges Méliès. En effet, les films de Méliès étaient tellement attendus que dès leur sortie, de nombreuses copies ont été réalisées (illégalement) et ceux qui les projetaient s’enrichissaient (par cette contrefaçon). Les lois sur la propriété intellectuelle protégeaient beaucoup moins que maintenant et encore moins si c’était à l’étranger. Du reste, ces copies illégales ont contribué à sauver une partie des œuvres de Georges Méliès, seuls vestiges de certains films (ainsi, le réalisateur avait revendu les originaux de son "Voyage dans la Lune" pour le prix des matériaux recyclés !). Or, Edison a attaqué de son côté Méliès pour avoir utilisé sa pellicule brevetée (le 8 millimètres) alors qu’il n’en avait pas l’autorisation.
Le dernier film de Méliès fut "Le voyage de la famille Bourrichon" réalisé à la fin de l’année 1912 et sorti en 1913. Le court-métrage de 15 minutes racontait l’histoire d’une famille forcée de voyager pour fuir ses créanciers.
Juste avant la Première Guerre mondiale, un concours de circonstances est venu altérer la capacité de création de Méliès : au-delà de ces "requins" industriels et financiers qu’il n’était pas taillé à affronter, la mort de son épouse Eugénie (1867-1913) l’a contraint à s’occuper de ses enfants et son théâtre a dû fermer lors de la déclaration de guerre. Il a pu survivre financièrement en continuant à faire des spectacles dans une salle improvisée de ses studios à Montreuil entre 1915 et 1923, date à laquelle, complètement endetté, il a dû se résigner à tout vendre, y compris ses films à des forains (il projetait ses films principalement dans les foires) quand ils n’étaient pas détruits.
Ruiné, il fut réduit en 1925 à devenir vendeur de jouets et de bonbons à la gare Montparnasse, dans la petite boutique de sa seconde épouse, la comédienne Jehanne d’Alcy (1865-1956), qui a tourné notamment dans "Le Voyage dans la Lune", et qu’il a retrouvée après la guerre. Son site dédié raconte : « Coincé quatorze heures par jour, sept jours sur sept, dans sa petite boutique, Méliès s’ennuie et souffre de cette routine peu sujette à la fantaisie. Il continue pourtant à dessiner sans arrêt sur le moindre petit morceau de papier. Son seul luxe est les vacances annuelles en Bretagne durant l’été. ».
Ce fut vraiment par hasard que le destin de Georges Méliès croisa l’un des admirateurs de ses films (grâce à un cafetier qui avait salué le boutiquier par son nom). Il s’agissait du directeur du Ciné-Journal, Léon Druhot, qui l’a fait sortir de l’oubli (il le croyait mort depuis longtemps). Lors d’une soirée en son honneur le 16 décembre 1929 à la Salle Pleyel à Paris, plusieurs de ses films furent projetés, ce qui fut un grand succès. Un an plus tard, Georges Méliès fut véritablement reconnu, d’abord par les professionnels du cinéma qu’il a lui-même initié, en mars 1931, puis par la République française qui lui a remis les insignes de la Légion d’honneur le 22 octobre 1931, obtenue par le ministre qui venait de décorer Charlie Chaplin et qui pressentait une profonde injustice.
Méliès termina les six dernières années de sa vie au Château d’Orly, une résidence de retraite de la Mutuelle du cinéma, mais lui et sa femme et petite-fille y habitaient "seuls" car il n’y avait pas encore de retraités du cinéma. Pendant cette période, Georges Méliès continua à rencontrer des réalisateurs, des journalistes, etc. et à développer des idées de création dans le cinéma mais aussi dans la prestidigitation.
Sa petite-fille, protégée de Georges Méliès à la mort de sa mère Georgette (qui était la fille de Méliès), lui a rendu un grand hommage tout au long de sa vie, notamment en publiant un témoignage biographique en 1973 : « Il était si gentil, toujours de bonne humeur, toujours plein d’idées pour se distraire et distraire le monde. Sportif, dynamique, jeune d’allure, foncièrement honnête, très droit, toujours de bonne humeur, il restait dans l’adversité le même homme sage et philosophique. Il n‘était pas désenchanté. Ce n’est pas étonnant qu’on découvre aujourd’hui la fraîcheur et l’enchantement de son œuvre, car il est resté très près de ses rêves et de la poésie de l’enfance. (…) Méliès était la joie de vivre, la malice au coin des yeux, une pirouette qui efface ce qui peut faire mal. ».
Si Georges Méliès s’est occupé de sa petite-fille après la mort de Georgette, c’était parce que son gendre (le père de Madeleine), Amand Fontaine (1894-1988) était un chanteur d’opérette et devait voyager souvent en roulotte sur les routes de France (parfois, Georges Méliès le rejoignait pour faire un spectacle de magie).
Madeleine Malthête-Méliès a travaillé aux côtés d’Henri Langlois (1914-1977) à la Cinémathèque de Paris entre 1943 et 1945 et a lancé tout un programme pour retrouver les films de Méliès. Ce ne fut qu’en 1961, à l’occasion d’une grande exposition organisée par Henri Langlois pour le centenaire de sa naissance, que Méliès fut reconnu comme l’inventeur du cinéma et commença à retrouver une célébrité posthume.
Pour les cent cinquante ans de la naissance de Georges Méliès, la Cinémathèque française a rendu hommage, le 8 décembre 2011, à la fois à Madeleine et à son grand-père Georges, après que le Ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, dans un discours le 21 janvier 2011 aux Beaux-arts, déclara : « Il ne faut jamais oublier que [le cinéma] est né dans l’esprit forain et l’amour du spectacle vivant. (…) Les occasions ne manqueront pas pour fêter un visionnaire de talent et un précurseur de génie, mêlant surréalisme et conscience aiguë des maux du temps. ». La consécration, ce fut le 30 mai 2002 avec le classement du "Voyage dans la Lune" dans le patrimoine mondial du cinéma.
L’ensemble de l’œuvre de Georges Méliès est passé dans le domaine public le 1er janvier 2009. C’est pour cela il est plus facile, depuis cette date, de retrouver sur Internet ses nombreux courts-métrages. Cette œuvre est un émouvant témoignage de son époque désormais si lointaine.
Née le 9 octobre 1947, France Gall a commencé à chanter très tôt, notamment "Sacré Charlemagne". Elle a été célèbre par son prix de l'Eurovision en 1965 avec "Poupée de cire, poupée de son" écrite par Serge Gainsbourg. Très brève compagne de Claude François puis de Julien Clerc, elle fut en couple tant musicalement qu'en privé avec Michel Berger dans les années 1970 et 1980 avec des chansons comme "Il jouait du piano debout", "Babacar", "Ella, elle l'a", "Evidemment". Atteinte d'un cancer qui est revenu en 2015, France Gall a fait sa dernière apparition publique le 30 janvier 2017 avant de s'éteindre le 7 janvier 2018 (hospitalisée depuis le 19 décembre 2017). Exposée au Mont-Valérien, elle fut enterrée le 12 janvier 2018 au cimetière de Montmartre, auprès de Michel Berger, mort à 44 ans le 2 août 1992 d'un infarctus, et de leur fille Pauline, morte à 19 ans le 15 décembre 1997 de la mucoviscidose.
« La relation entre l’homme et les dieux doit passer par les lamas et les lettrés qui, par leurs prières et leurs pratiques religieuses, peuvent obtenir des pluies plus abondantes, écarter l’épidémie de choléra qui sévit dans le village voisin, chasser le "mauvais esprit" qui a élu domicile sous un arbre trop proche de la maison. Dans un cas comme dans l’autre, pour que la nature soit clémente et favorable, il faut, non pas agir directement sur elle, mais prier, demander. C’est-à-dire attendre. » ("Birdim, village tamang, Népal. Compte-rendu de mission" in "L’Homme", 1975, tome 15 n°2 pp. 121-127).
Les passionnés francophones des cartographies, de la géopolitique et de la géographie n’ont pas pu ignorer l’existence d’une excellente émission télévisée, "Le Dessous des cartes" diffusée sur la chaîne culturelle franco-allemande Arte. Son créateur, le géopolitologue et grand voyageur Jean-Christophe Victor est mort il y a juste un an, dans la nuit du 27 au 28 décembre 2016 à Montpellier, à l’âge de 69 ans (il est né le 30 mai 1947 à Paris). Sa voix claire et grave restera dans les mémoires. C’est l’occasion de le présenter succinctement et de lui rendre hommage.
En plus d’un quart de siècle de télévision, il était devenu "célèbre", et visiblement, cette "célébrité" ne lui était pas montée à la tête comme pour certains. Jamais focalisé sur lui-même, il se focalisait sur ses sujets, très intéressants et parfois, très étonnants. Son métier ? Présenter en peu de temps un aspect du monde contemporain, avec parfois des considérations historiques, économiques, géopolitiques, géographiques, voire géologiques.
La célébrité, on pourrait presque dire qu’il en a été plus une victime qu’un bénéficiaire. Il fallait faire son prénom, même si, comme disait Anne Goscinny : « Contrairement à ce qu’on dit, c’est plus facile de se faire un prénom quand on a déjà un nom connu. C’est plus facile que si on n’a rien du tout. Mais "connu", ça reste relatif. ». Il fut le fils du célèbre explorateur Paul-Émile Victor (1907-1995), né il y a 110 ans le 28 juin 1907, et de la journaliste et productrice de télévision Éliane Victor (1918-2017), morte il y a quelques mois le 7 mars 2017. Également arrière-petit-fils d’un ministre du gouvernement de Pierre Waldeck-Rousseau, Albert Decrais (1838-1915).
Ayant passé son enfance aux États-Unis, Jean-Christophe Victor fut sans le vouloir à l’origine d’une campagne à la radio de dons pour aider les enfants malades du cœur en 1958 : lui-même venait d’être opéré à cœur ouvert et la publication des lettres de sa mère a ému beaucoup de monde (un bloc opératoire a pu être financé dans un hôpital parisien grâce à ces dons). Cela a amené Éliane Victor à produire l’émission "Cinq colonnes à la une", puis les premières émissions télévisées consacrées aux femmes dans les années 1960 et 1970 (elle fut notamment une amie de Françoise Giroud).
Un père voyageur qui explore les pôles, une mère journaliste qui défriche à la télévision, cela donnait une belle ascendance pour un passionné des cartes et de leur vulgarisation : « Il y [avait des cartes] partout à la maison (…). J’ai eu la chance d’avoir comme père un homme merveilleux. On a eu des moments extraordinaires. Heureusement, d’ailleurs, car on ne le voyait pas beaucoup. D’ailleurs, ma mère en a eu assez. » ("Libération", début décembre 2016).
Dans ses études supérieures, Jean-Christophe Victor s’est passionné pour l’Asie : il a passé un diplôme aux langues orientales (de chinois) et un doctorat en ethnologie, résultat d’une étude sur l’écologie et la géologie de l’Himalaya qui l’a envoyé en mission ethnologique entre mars 1973 et octobre 1973 dans un village népalais. Il a également obtenu un DEA en science politique à la Sorbonne sur "La Crise afghane et ses conséquences stratégiques" (1982).
Dans son compte-rendu de mission dans le village népalais, publié en 1975, dans une revue scientifique (citée en tête de l’article), on retrouve déjà les exposés clairs, synthétiques et didactiques de son émission "Le Dessous des cartes". À la lecture, on croit l’entendre.
Par exemple : « La complémentarité entre activités agricoles et activités pastorales, et l’insuffisance de la production par rapport aux besoins de la population sont les faits saillants de la vie économique de ce village. Cette complémentarité, qui ne concerne que l’organisation de la production, ne détermine en rien la composition de la communauté. Il ne s’agit pas de deux groupes sociaux, dont l’un aurait essentiellement des activités pastorales et l’autre agricoles (…). C’est un seul et même groupe qui s’organise, d’une part au sein de chaque famille (…), d’autre part au sein du village (…). Il s’agit d’accorder les possibilités de chacun pour qu’un système d’échanges permette de mieux faire face aux problèmes de subsistance. » (1975).
Ou encore, un peu plus loin : « Bien qu’il n’y ait ni castes, ni classes sociales, ni même "niveaux de vie" fondamentalement différents, la population de Birdim se divise en une minorité de riches (possédants) et une majorité de pauvres (journaliers). Considérée comme richesse, la terre est rare. Mais cette richesse s’évalue non seulement par la quantité de terre possédée, mais aussi en fonction de sa proximité par rapport au village. (…) Il n’existe pas de division sociale entre cultivateurs sédentaires et pasteurs transhumants, puisque chaque propriétaire possède à la fois un peu de bétail et un peu de terre. Il lui faut donc être à la fois pasteur et agriculture. En pratique, le problème est résolu par l’entraide. Celle-ci n’est que rarement fondée sur les simples intérêts communs de deux propriétaires sans lien de parenté (…). Pour obtenir ce genre de service, une petite unité familiale fera plutôt appel à sa famille étendue. » (1975).
Après sa thèse, Jean-Christophe Victor a été reçu au concours du Quai d’Orsay et a été affecté à Kaboul peu avant l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS (il aurait préféré être affecté à Pékin). Devenu un spécialiste de la géopolitique de l’Afghanistan et du Pakistan au sein du Centre d’analyse et de prévision, chargé de faire des analyses et des recommandations stratégiques au Ministère des Affaires étrangères, de 1980 à 1989 (dont le directeur fut à l’époque Jean-Louis Gergorin), il développa sa capacité de synthétiser les grands enjeux d’une région du monde en quelques pages ou minutes, au point de vouloir en faire profiter le grand public dès 1990 : « Sur la troisième page, je devais donner des options et des idées en fonction de l’intérêt national français. J’ai vite pris la mesure du niveau de responsabilité politique, qui n’était pas du tout le même qu’en journalisme. » ("Libération", début décembre 2016).
En effet, entre 1990 et 1992, pour la Sept, il proposa un nouveau type d’émission télévisée "intelligente" appelée "Le Dessous des cartes" : exposer à un public non averti les enjeux historiques, politiques, diplomatiques, militaires, économiques, énergétiques, environnementaux, climatiques, géologiques, etc. d’un pays ou d’un groupe de pays à partir de cartes simplifiées et interactives. Selon l’expression de Jean-Christophe Victor lui-même : « Une approche transversale, modeste mais rigoureuse, une analyse qui tient compte des contraintes géographiques, de la diplomatie internationale, des moyens militaires. » ("Le Monde" du 25 novembre 1990).
L’émission, de seulement une douzaine de minutes, sur un ton assez monocorde qui pourrait paraître ennuyeux mais qui ne l’est pas en raison de l’extrême richesse et densité de l’information transmise, a été diffusée sur Arte entre 1992 et 2017, de périodicité hebdomadaire, d’abord le mercredi en milieu de soirée puis le samedi en fin d’après-midi (sur la Sept, l’émission était plus courte et quotidienne, avant les journaux télévisés de 20 heures des chaînes concurrentes).
Les thèmes abordés dans cette émission sont très nombreux et vont même jusqu’à de la prospective, reprenant la tradition du premier avril le 1er avril 2000 avec une émission très particulière : "Les réfugiés climatiques en l’an 3000". Quelques exemples de sujet : "Dayton, trois ans après" (27 juin 1998), "La Corée du Nord" (13 février 1999), "Ukraine, pivot géopolitique ?" (27 mars 1999), "Géorgie, dans le grand jeu caucasien" (17 mars 2004), "La cartographie des espèces menacées" (14 et 21 avril 2004), "Du GPS à Galiléo" (28 février 2009), "Migration, pourquoi part-on ?" (21, 28 mars et 4 avril 2009), "Qui s’intéresse à la Birmanie ?" (1er décembre 2012), "Cartographie de la corruption" (8 mars 2014), "Le transport maritime, cœur de la mondialisation" (23 janvier 2016), etc. Comme on le voit, la plupart des sujets anticipent l’actualité des années suivantes. À partir du 2 septembre 2017 ("Russie/Chine, une relation atypique"), l’émission a repris avec une nouvelle présentatrice, la journaliste Émilie Aubry.
Pour "nourrir" son émission, Jean-Christophe Victor et sa compagne Virginie Raisson, géopolitologue également, ont fondé en 1991 le Laboratoire d’études prospectives et d’analyses cartographiques, un institut indépendant de droit privé, qui fournit également à des organisations internationales ou des entreprises des analyses géopolitiques. Un statut privé qui détone dans le "milieu" des géographes plus habitués aux centres de recherches publics.
Durant toute sa carrière, Jean-Christophe Victor a donc beaucoup voyagé, beaucoup synthétisé, beaucoup exposé le monde autrement que par le petit bout de la lorgnette, prenant parfois à revers certaines idées reçues, replaçant parfois avec humilité la réalité géopolitique de l’Europe ou de la France dans le monde actuel. Il a donné également beaucoup de conférences, et plusieurs atlas ont été publiés en reprenant son émission télévisée, avec des données statistiques et cartographiques clefs. Après l’Asie, il voulait d’ailleurs consacrer son prochain livre sur le monde arabo-musulman. Il voulait aussi approfondir ses connaissances sur le monde polaire et le Groenland, après avoir initié un musée sur les pôles dans le Jura auquel a participé aussi le glaciologue Claude Lorius (musée inauguré à Prémanon le 19 février 2017).
Dans une conversation avec Laurence Defranoux, journaliste de "Libération", au début du mois de décembre 2016 (publiée le 25 décembre 2016), Jean-Christophe Victor a raconté qu’il avait découvert que Google faisait plus du "léchage de bottes nationales" que de la neutralité pour gagner de l’argent : « Google Maps a choisi de ne pas prendre la référence internationale, que sont les cartes des Nations Unies, et de s’adapter à la vision de chaque partie. On a demandé à des chercheurs chinois, japonais, indiens de faire des tests, et on a pu voir que si vous êtes à Pékin, vous avez une certaine frontière dans l’Himalaya et qu’à Delhi, vous en avez une autre. Le même problème existe sur la représentation du Sahara occidental, du Chili, de la Crimée, d’Israël… Google accepte de faire disparaître des territoires entiers pour conquérir des marchés. C’est une profonde malhonnêteté intellectuelle. ».
Autre source d’agacement, selon le journal "Libération" : « ceux qui parlent de "bombe démographique" alors que l’analyse des courbes depuis 2000 ans montre que plus il y a d’habitants, moins il y a de pauvreté ». D’ailleurs, son dernier atlas sur l’Asie (chez Tallandier/Arte éditions) montre que dans ce continent s’est développée une classe moyenne de 600 millions de personnes qui sont, pour la plupart, sorties de la pauvreté et que la croissance démographique de l’Asie fut son principal atout qu’elle perdra en 2035 avec l’inflexion de la courbe démographique.
L’expérience de Jean-Christophe Victor et de ses "Dessous de cartes" fut une extraordinaire aventure, la démonstration que, d’une part, on pouvait informer le grand public simplement à partir de données très complexes, d’autre part, qu’une initiative de recherche et de pédagogie pouvait se développer avec succès hors du strict cadre public et académique.
Hommage soit rendu à Jean-Christophe Victor, plus ethnologue que journaliste, qui se moquait un peu de son apparence et qui peaufinait son message qui, au-delà de l’honnêteté intellectuel classique du chercheur, se voulait le plus neutre possible et le plus pédagogique possible. En somme, simplifier sans être simplificateur.
« Si Charlie Chaplin occupe une place majeure dans le monde du cinéma et de l’histoire culturelle du XXe siècle, c’est que, premier auteur complet de l’histoire du cinéma (producteur, scénariste, metteur en scène, compositeur), il a su donner au cinéma comique une profondeur d’humanité jusqu’aujourd’hui inégale. » (Michel Fragonard, "La Culture du XXe siècle, dictionnaire d’histoire culturelle", éd. Bordas, 1995).
Son nom émerveillait, en tout cas, m’émerveillait quand j’étais enfant, synonyme de bonne soirée, aussi mythique que Wald Disney. Considéré par le magazine américain "Time" du 9 juin 1998 comme l’une des cent personnalités majeures qui ont façonné le XXe siècle, Charlie Chaplin est mort il y a quarante ans, le jour de Noël 1977 près de Vevey, chez lui, en Suisse. Il avait 88 ans (né 16 avril 1889 à Londres) et a été un acteur et réalisateur de cinéma exceptionnel. Un monument de l’histoire du cinéma.
Chaplin émerveillait parce que tout en lui fut émotion, tout en lui fut sensibilité. Ce fut sa mère qui lui donna ce goût de l’observation et de l’imitation des sentiments. Quand il était petit, sa mère regardait par la fenêtre les passants et le faisait rire en les imitant. Les émotions s’exprimaient par le visage et aussi par les mains. Il fut un modèle et un inspirateur pour de nombreux cinéastes, comme Jacques Tati (le personnage de Monsieur Hulot), Federico Fellini, Richard Attenborough, etc., mais aussi le mime Marcel Marceau, et les personnages de dessins animés Mickey Mouse et Félix le Chat.
Il a laissé environ quatre-vingts films en soixante-cinq ans de carrière. Il a commencé très tôt sur la scène (il n’avait que 5 ans), et dans les années 1910, il avait déjà acquis sa notoriété et la fortune avec ses nombreux films burlesques muets, assez courts, qu’il a réalisés en inventant le personnage de Charlot. Son inspirateur, Max Linder.
Il y a eu plusieurs Chaplin : l’adolescent de théâtre, le jeune acteur comique, puis l’acteur confirmé, etc. Bien entendu, son rôle le plus célèbre est Charlot, personnage créé de toutes pièces pour décrire un monde social de désolation. Ce personnage, il l’a créé en 1914 et l’a tout de suite adopté. Il était à la fois inadapté et cherchant à s’adapter au monde. Pour preuves, ses vêtements : « Je voulais que tout soit une contradiction : le pantalon ample, la veste étriqué, le chapeau étroit et les chaussures larges. (…) J’ai ajouté une petite moustache qui, selon moi, me vieillirait sans affecter mon expression. Je n’avais aucune idée du personnage, mais dès que je fus habillé, les vêtements et le maquillage me firent sentir qui il était. J’ai commencé à le connaître et quand je suis entré sur le plateau, il était entièrement né. ».
Il faut préciser que son employeur, qui l’avait recruté avec un salaire élevé par l’intermédiaire du grand frère (Syd Chaplin) et qui fut séduit par son jeu de scène, l’avait trouvé trop jeune et l’avait laissé sans projet pendant quelques mois qui permirent à Charlie Chaplin de savoir et comprendre ce qu’était le cinéma. La moustache avait donc ce goût amer du besoin de se donner une prestance.
Dès novembre 1914, Chaplin est devenu une star du cinéma. Il pouvait revendiquer un salaire encore plus élevé, l’équivalent actuel de 55 000 dollars par semaine ! Succès après succès, la popularité fut très grande. Un troisième studio employeur fit de lui, en 1915, l’une des personnes les mieux payées du monde (plus de 30 millions de dollars actuels par an), ce qui, à l’époque, faisait déjà polémique ! Le patron du studio n’hésitait pas à assumer : « Nous pouvons nous permettre de payer ce gros salaire annuel à M. Chaplin car le public veut Chaplin et paiera pour le voir. » (John R. Freuler). C’est la loi de l’offre et de la demande.
J’ai oublié de rappeler que Chaplin avait émigré aux États-Unis en 1912 pour faire du music-hall. Dès mars 1916, il a pu avoir son propre studio à Los Angeles. Or, à 26 ans, il aurait dû être mobilisé pour combattre durant la Première Guerre mondiale, mais ni les États-Unis ni le Royaume-Uni ne l’appelèrent et il fut d’ailleurs très populaire aussi au sein de l’armée, participant au moral des troupes. L’ambassade du Royaume-Uni aux États-Unis déclara : « [Chaplin] est bien plus utile à la Grande-Bretagne en gagnant de l’argent et en achetant des obligations de guerre que dans les tranchées. ». En juin 1917, un nouveau contrat avec un autre partenaire lui fit gagner l’équivalent actuel de 35 millions de dollars en échange de la réalisation de huit films. Il fit construire son propre studio qui fut inauguré en janvier 1918.
Charlot aurait pu n’être qu’un clown triste, pauvre et amoureux. En fait, il a été bien plus. Chaplin a véritablement créé le mythe du vagabond sentimental, inadapté social, pauvre. Pendant une vingtaine d’années, Chaplin a multiplié les succès avec des films comme "Une vie de chien" (14 avril 1918), "Le Kid" (6 février 1921), "La Ruée vers l’or" (26 juin 1925), "Les Lumières de la ville" (6 février 1931), "Les Temps modernes" (5 février 1936), etc. Ses films sont souvent une critique sociale acerbe contre un monde (souvent économique) sans pitié, violent, basé sur les profits, pour les uns, et sur la jalousie, pour les autres.
Après 1923, Chaplin fut son propre patron (cofondateur de la United Artists) et a réalisé assez peu de films, misant plus sur la qualité que la quantité, seulement dix films en quarante-quatre ans, entre 1923 et 1967. C’était novateur : c’était la première fois qu’un réalisateur se permettait de produire lui-même son film. Il en avait les moyens.
Parce que la pantomime faisait partie du jeu comique de Chaplin, ce dernier était très peu enthousiasmé par les progrès techniques se traduisant par l’arrivée du cinéma parlant. Au contraire, la voix ne pouvait que réduire l’effet comique de Charlot. C’était d’ailleurs ce qui s’est passé : Charlot a disparu avec les films parlés de Chaplin.
Le premier film parlé de Chaplin est un chef d’œuvre, sans doute sa meilleure production, peut-être la meilleure production de toute l’histoire du cinéma mondial. Son titre est "Le Dictateur" et est sorti le 15 octobre 1940, après les conquêtes victorieuses des nazis. Chaplin mime de manière excellente et hilarante Hitler (il joue aussi un second rôle, celui du barbier juif, sosie d’Hitler, capable de raser la barbe à une femme !), et ce mimétisme est probablement la meilleure satire de la folie nazie.
Au-delà de l’aspect comique (la fameuse scène d’Hitler jouant avec la planète comme un ballon, la rudesse de Mussolini, les discours animalesques aux foules, etc.), Chaplin porte évidemment un message d’engagement contre l’idéologie nazie, ce qui, d’ailleurs, fut très mal ressenti dans certains milieux isolationnistes aux États-Unis pas encore engagés dans la Seconde Guerre mondiale. Chaplin expliquait sa manière de voir ainsi : « Je crois au pouvoir du rire et des larmes comme contrepoison de la haine et de la terreur. ».
La dernière scène du film est une tirade longue, certes un peu moralisatrice comme saura le faire le cinéma américain par la suite, mais une véritable ode à la paix, à la tolérance et à l’humanisme, sans doute bien plus efficace que bien des discours à la SDN puis à l’ONU.
Après "Le Dictateur", Chaplin tourna "Monsieur Verdoux", sorti le 11 avril 1947. C’est l’histoire d’un employé de banque (lui) mis au chômage par la crise de 1929 qui a l’idée de se marier à de riches veuves qui meurent rapidement après le mariage. La critique a été sévère contre ce film qui a cependant obtenu un certain succès commercial, notamment en France (avec 2,6 millions d’entrées) car le film se passe à Paris.
Le dernier film américain de Chaplin fut "Les Feux de la rampe" ("Limelignt"), sorti le 16 octobre 1952, film assez triste et mélancolique qui montre la difficulté d’un chanteur du music-hall à se retirer de la scène. L’histoire est presque autobiographique, comme si Chaplin disait définitivement adieu à Charlot, qui n’existait déjà plus avec l’arrivée du cinéma parlant. Dans ce film ont joué notamment Buster Keaton et Sydney Earl Chaplin, le deuxième fils de Charlie Chaplin (à ne pas confondre avec le grand frère Syd Chaplin). Sa fille Géraldine Chaplin y a fait une apparition (à l’âge de 8 ans), ainsi que son fils aîné Charles Chaplin Jr.
Pourquoi dernier film américain ? Chaplin et sa famille quittèrent New York le 18 septembre 1952 (à bord du "Queen Elizabeth") pour être présent à la première diffusion de son film à l’Odeon Theatre à Londres (le 16 octobre 1952). Il était sans illusion sur son retour. En effet, les États-Unis ont révoqué son visa de retour, à cause de la fièvre maccarthyste (David Bohm fut lui aussi victime de cette "hystérie"). Chaplin refusa de se plier aux interrogatoires pour pouvoir obtenir son visa et pour pouvoir retourner aux États-Unis : il resta donc en Europe : « Que je revienne ou non dans ce triste pays avait peu d’importance pour moi. J’aurais voulu leur dire que plus tôt je serais débarrassé de cette atmosphère haineuse, mieux je serais, que j’étais fatigué des insultes et de l’arrogance morale de l’Amérique. ».
Cette décision de ne pas retourner aux États-Unis était très hardie puisque toute sa fortune s’y trouvait. Ce fut son épouse qui régla toutes ses affaires à Los Angeles. Chaplin s’installa définitivement en Suisse en janvier 1953 et solda toutes ses affaires américaines en 1955 (son épouse prit la nationalité britannique et abandonna sa nationalité américaine) : « J’ai fait l’objet de calomnies et d’une propagande orchestrée par de puissants groupes réactionnaires qui, par leur influence et l’aide de la presse jaune américaine, ont créé une atmosphère malsaine dans laquelle les individus aux tendances libérales peuvent être persécutés. Dans ces conditions, j’ai trouvé qu’il était virtuellement impossible de continuer mon travail de réalisation cinématographique et j’ai par conséquent abandonné mon séjour aux États-Unis. ». Son séjour américain a duré quarante ans (1912-1952).
Son premier film après cette décision personnelle (avant dernier film de sa carrière) fut "Un roi à New York" sorti le 12 septembre 1957 (il a mis trois ans à le produire et réaliser), dans lequel son fils Michael Chaplin joue (le garçon de 10 ans aux idées déjà bien mûries). Satire de l’esprit américain intolérant du maccarthysme (et anti-anticommuniste), ce film ne sortit aux États-Unis que le 8 mars 1972 ! La scène de la prise des empreintes digitales à la douane montre l’humiliation que sont capables de faire subir les États-Unis à des stars déchues.
Au-delà de la critique du consumérisme en plein essor (le roi est réduit à faire de la publicité à la télévision pour payer son hôtel), quelques thèmes d’actualité sont traités dans ce film, notamment l’énergie nucléaire capable, selon le roi, de créer un "monde idéal". Étrangement, l’histoire de ce roi d’Estrovie ruiné par son Premier Ministre et détrôné par une révolution populaire préfigura la fuite du Shah d’Iran près d’un quart de siècle plus tard (d’autant plus étrange que le nom du roi est Igor Shahdov).
Après ce film, Chaplin reprit ses anciens films muets pour les rééditer et les resonoriser et commença à rédiger ses mémoires. Il a réalisé un dernier film où il apparaît à peine, "La Comtesse de Hong-Kong", sorti le 5 janvier 1967 (avec Sophia Loren, Marlon Brando et aussi ses enfants Sydney, Géraldine et Victoria, âgée de 10 ans) qui fut un échec commercial. En raison de son grand âge et de sa santé très faible (il a subi plusieurs accidents vasculaires cérébraux), il n’a pas pu achever la comédie dramatique "The Freak" qui avait pour but de lancer sa fille Victoria Chaplin dans la carrière cinématographique (il travailla sur ce film entre 1966 et 1975).
Après vingt années de quasi-exil, Charlie Chaplin accepta de se rendre à Los Angeles pour recevoir le 10 avril 1972, à quelques jours de ses 83 ans, son second Oscar (au cours de la 44e cérémonie des Oscars au Dorothy Chandler Pavilion organisé par l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences). Ce fut un Oscar d’honneur décerné pour « l’effet incalculable qu’il a eu en faisant des films de cinéma la forme d’art de ce siècle ». Le première Oscar d’honneur, il l’avait eu à la 1e cérémonie des Oscars le 19 mai 1929 « pour sa polyvalence et son génie à jouer, écrire, mettre en scène et produire "Le Cirque" ». Ce fut une sorte de réconciliation entre les États-Unis et celui qui allait bientôt s’éteindre et qui fut un monument inégalé et reconnu du septième art.
Chaplin avait donné sa définition du bon acteur : « Un bon acteur sait mettre de l’émotion dans l’action et de l’action dans l’émotion. ». Ou encore : « Quand intelligence et sensibilité sont en parfait équilibre, on a le merveilleux acteur. ».
Après son enterrement le 27 décembre 1977, Charlie Chaplin ne se reposa pas encore tout à fait : son cercueil fut exhumé et volé le 1er mars 1978 par des brigands pour réclamer une rançon, mais ces derniers furent arrêtés le 17 mai 1978 et le cercueil retrouva sa place d’origine, dans le caveau alors bétonné pour éviter d’autres tentatives. Peut-être que ce malheureux épilogue a conduit Johnny Hallyday à se faire enterrer dans une île lointaine ?…