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Conférence nationale : discours de clôture de François Bayrou
8 février 2009
Seul le prononcé fait foi.
En vérité, comme ce qui s'est entendu ce matin, dans la diversité des voix qui s'exprimaient, je pourrais me dispenser de conclure cette matinée, mais l'usage et la télévision, et donc tous ceux qui viennent nous écouter en prenant l'antenne sur les chaînes qui retransmettent cette fin de matinée, m'obligent évidemment à vous dire, d'abord, la joie qui est la mienne à avoir vécu avec vous ce lancement de campagne pour les élections européennes, à avoir été entouré à cette tribune de ceux qui seront nos futurs élus au parlement européen, de dire mon affection pour eux, et si vous les connaissiez, ou de vous les présenter si vous ne les connaissiez pas encore. Vous avez vu, tout au long de la matinée, ce qui est apparu. Je crois, sans vouloir déformer le sentiment qui est le vôtre, nous n'avons pas sélectionné, seulement des candidats, pas seulement des représentants de région, nous avons sélectionné une équipe. Nous avons composé une équipe au sens du sélectionneur qui recherche la complémentarité, à savoir que l'on joue mieux, quel que soit son talent personnel, dans une équipe que dans une addition d'individualités. Vous savez, on dit cela au football ou au rugby. Ce sont les grandes équipes qui font les grands joueurs. Ils sont déjà des grands joueurs et, maintenant, ils sont une grande équipe. Nous les avons sélectionnés sur deux critères. Premièrement, compétence, authenticité, et deuxièmement, volonté de servir comme parlementaire européen à temps plein dans les années qui viennent au parlement européen? Une voix entendue, une voix respectée, dans cette assemblée où, j'y reviendrai, ce sont les peuples d'Europe qui sont censés se faire entendre.
Chacun des noms de cette liste -ils sont 17- a fait ses preuves -ils seront bien plus nombreux quand nous aurons composé l'ensemble des listes- et va apporter quelque chose de nouveau dans la vie de l'Union européenne ou dans la vie de notre pays.
Nous sommes le Mouvement Démocrate français. Nous sommes, en tant que Mouvement Démocrate français, partie intégrante du grand courant démocrate international. Nous sommes fondateurs du parti démocrate européen et pourquoi avons-nous fait ce choix ? Nous avons fait ce choix pour une raison toute simple, c'est parce que nous voulons un autre monde que le monde que l'on essaie de nous imposer depuis des décennies.
Vous aurez observé, au passage, en tout cas ceux qui aiment les mots et qui aiment le grec, que, démocrates... "demos", cela veut dire "le peuple" et, lorsqu'on entend ressortir de la part du parti au pouvoir qui, ce matin, nous a attaqués à différentes reprises… Ce n'est pas Olivier Besancenot qui faisait l'objet de ses flêches, parce que s’il naît une extrême gauche cela les arrange beaucoup ; mais que s'affirme à l'endroit où nous sommes le grand courant démocrate français, là, ils voient une concurrence, une menace et un danger et ils ont bien raison. Le peuple en France a besoin d'être défendu et nous avons bien l'intention de le défendre.
Ce ne sont pas les puissants et les privilégiés en France qui ont besoin qu'on les défende. Ils ont, au pouvoir, tous les amis pour cela. Ce sont ceux qui n'ont ni puissance ni privilèges et qui ont besoin de voix courageuses qui s'expriment en leur nom, sans jamais rien céder à la facilité et aux menaces.
Je dis que, si nous sommes engagés à construire le grand courant démocrate en France, en Europe et, si nous pouvons avec nos forces dans le monde aussi, c'est parce que nous voulons un autre monde. Il y a des années que nous bataillions pour dire : attention, le modèle dans lequel on veut nous conduire, ce modèle qui confond liberté, liberté d'entreprendre, liberté de créer, liberté de vivre avec la loi exclusive du profit, cette idéologie-là conduit tout l'occident dans le mur. Vous savez bien, parce que vous avez vécu cela et nous l'avons vécu ensemble, que c'est sur ce sujet-là que j'ai affronté Nicolas Sarkozy au moment de l'élection présidentielle.
Très souvent, certains de mes amis dont beaucoup sont dans la salle me disaient : "Mais pourquoi parles-tu si souvent du modèle américain ?" Eh bien, aujourd'hui, on sait, je crois, pourquoi je parlais si souvent du modèle américain. C'est parce que, cette politique E. Thatcher, R. Reagan, G. Bush, c'était l'idéologie que l'on essayait d'imposer à la planète tout entière et, la "rupture" de Nicolas Sarkozy, ce n'était pas autre chose que le renoncement de la France à son modèle et l'adhésion de la France à ce modèle d'inégalité que l'on essayait de lui imposer.
Bien sûr, il y avait de la garniture ! Rouge de préférence... Comme le coulis sur le gâteau ! Il y avait toutes les citations nécessaires, les citations de Blum, les citations de Jaurès et, s'il avait pu trouvé des citations de Marx, de Lénine et de Trotski, on les aurait eues aussi, mais, ce qui comptait, c'était le gâteau, ce n'était pas le coulis.
Le dur dans tout cela, c'était que la France acceptait, enfin, de rejoindre le peloton de ceux que l'on allait placer pour toujours dans la mondialisation, sous la coupe de cette idéologie, l'idéologie néo... néolibérale, néo conservatrice qui, en réalité, n'a de "néo" que le nom parce que c'est la plus vieille idéologie du monde, à savoir la domination de l'homme par l'homme, l'asservissement du faible au fort, l'accumulation de richesses et de privilèges, pour les uns, y compris au travers des générations, et, pour les autres, d'autres satisfactions, pour qu'ils se taisent : du pain et des jeux, surtout des jeux.
Dans les médias, des sortes de... comment on appelle cela... soaps opera, des histoires de people, de stars, de politiques regardés comme des stars, de politiques intimes avec des stars et toutes leurs histoires réputées intimes étalées dans les journaux et sous les caméras, mais, en réalité, derrière tout cela, il y a un modèle que j'ai si souvent défini devant vous comme le modèle des inégalités croissantes, inégalités de fortune, inégalités de pouvoir et citoyens menés par le bout du nez.
Et, cela, pour la France - je ne parle même pas de nous comme courant démocrate, je ne parle pas de droite, centre, gauche, mais de France -, c'est, en vérité, la plus terrible défaite historique de notre construction nationale, parce que, la France, précisément, la France, chers citoyens, s'est construite contre la domination de l'homme par l'homme, contre la société de privilèges dans tous ses courants, toutes ses sensibilités sociale, nationale, démocratique, laïque, spiritualité, chacun avec son idée de l'avenir, contre la société d'inégalités et de privilèges, les oligarchies et les ententes. C'est pour cela que, nous démocrates, nous portons aujourd'hui dans la vie politique française le drapeau des républicains.
C'était cela le grand combat de la dernière élection présidentielle. Quelques-uns l'ont vu, assez nombreux, d'autres se sont laissés séduire.
C'était une rupture, en effet, rupture avec je ne sais pas ... un siècle, deux siècles... quatre siècles de ce grand courant de peuple, précisément, de peuple qui parcoure notre nation et notre histoire et qui se fait entendre, aussi bien avec Henri IV qu'avec Clémenceau, qui prend tant de visages, mais qui raconte toujours la même histoire : nous sommes un peuple de citoyens et, quand il nous est donné d'exercer des responsabilités, nous tenons à l'honneur de les exercer, d'abord, au nom de ceux qui n'ont ni pouvoir ni fortune. C'est en leur nom que nous parlons et c'est pour eux que nous vous gouvernons.
Il y a beaucoup d'esprits faibles qui n'ont pas vu, mais il y a quelques esprits forts qui ont très bien vu et qui savaient exactement ce qu'ils faisaient et c'était parfaitement manifeste.
J'admire comme l'histoire sait résumer, en une seconde, les choses.
C'était parfaitement manifeste dans la minute qui a suivi la proclamation du résultat du deuxième tour de l'élection présidentielle. Il y avait les uns, ceux qui étaient abusés, qui s'ennuyaient à la concorde et il y avait les autres, triés sur le volet qui se retrouvaient au Fouquet's. Ceux-là disaient, en une minute, ce qu'était la réalité du choix politique qui avait été imposé, proposé et choisi par les Français et c'était le sens frappant que l'on voulait donner à l'histoire qui était en cause.
La question est celle-là : est-ce que le progrès des techniques, des savoirs, des processus de production, de la richesse de l'univers, est-ce que le progrès devait se faire en choisissant la justice comme but ou, au contraire, en considérant que l'injustice était une donnée ? Est-ce que, le but de la société, c'était la justice par le progrès, l'émancipation par le progrès ou bien est-ce que c'était le progrès par l'injustice ?
Et, ici, s'est établi une ligne de fracture. Nous sommes du côté de ceux qui veulent que le progrès serve à la justice et que le progrès serve à l'émancipation et pas que l'injustice serve le progrès. C'est pourquoi tout l'arsenal des mesures prises, toutes celles qui ont été applaudies à grands cris, le bouclier fiscal destiné à protéger les plus riches de la contribution fiscale, les franchises médicales, le financement du RSA par les classes moyennes, tout cela avait un point commun : l'esprit d'inégalité, l'acceptation de l'inégalité et, même, si l'on va bien jusqu'au bout, la recherche de l'inégalité. Celles qui sont ciblées, ce sont les classes moyennes, celles qui sont protégées, ce sont les situations les plus privilégiées. Ceci n'est pas le modèle français.
Au coeur de ce modèle d'inégalités dans le monde, il y avait le plus grand accélérateur d'inégalités qui était le système financier, l'ex-marché, comme l'on dit, la chaudière où l'on prétendait que l'argent se multipliait, presque sans lien avec la réalité.
Dans une étude récente qui a été faite par l'une des nôtres, on mesure que, sur les dix dernières années, le capital dans les marchés boursiers a augmenté de 11 % par an, tandis qu'en moyenne la production matérielle augmentait de 4 % par an. Et vous voyez à quel point le fossé ne cesse de se creuser. C'est ce que l'on appelle une "bulle", et la bulle vient d'exploser sous nos yeux en même temps que le système qui l'avait voulue, permise et souhaitée.
Tout cela, c'est la même idéologie et c'est avec cette idéologie souterraine qu'il nous faut rompre. Nous voulons un nouveau monde et ce monde s'appelle justice et s'appelle démocratie. Je dis démocratie parce que la vraie avancée des peuples, nous qui avons toujours été, chacun dans notre histoire, notre famille, depuis des décennies, tous les courants démocrates français -je parle en tout cas de ma famille- le premier parti politique qui s'est affirmé dans le champ politique français en 1924. Il s'appelait Parti démocrate populaire.
Courant démocrate, cela veut dire démocratie. Cela veut dire quelque chose d'absolument précis, qui a été admirablement défini par quelqu'un de grand qui s'appelait Marc Sangnier. Il a dit : "La démocratie, c'est l'organisation sociale qui porte à son maximum, à son plus haut la conscience et la responsabilité des citoyens". Je trouve qu'il n'y a pas de plus admirable définition d'une société, d'un régime politique, d'une organisation politique et sociale qui veut que soient maître de leur propre destin, en comprenant tous les éléments de la situation dans laquelle ils se trouvent, les citoyens, ce qui nous impose de ne jamais céder au simplisme, de ne jamais céder à la politique des boucs émissaires.
Je m'arrête un instant, parlant de la politique des boucs émissaires. Dans l'actualité, il y a aujourd'hui quelque chose de très inquiétant. C'est la situation qui a été créée dans le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche. Permettez que j'en dise un mot comme quelqu'un qui aime profondément cet univers-là.
J'ai été troublé, pour ne pas dire choqué, d'entendre la présentation de la situation des enseignants chercheurs qui a été faite dans son intervention de jeudi soir par Nicolas Sarkozy. Faire croire aux Français que les enseignants chercheurs en France ne sont pas évalués et qu'il faudrait les évaluer, je dis, comme cela doit être dit, que c'est se moquer du monde. J'affirme, et tous ceux qui connaissent cet univers savent, qu'il n'y a pas d'univers professionnel en France qui soit davantage soumis à évaluation que le monde de la recherche et, donc, je dis que, la question qui se pose, ce n'est pas l'évaluation des chercheurs, c'est de savoir qui conduit cette évaluation.
Est-ce que cette évaluation est conduite par leurs pairs auquel cas, en effet ce sont les libertés universitaires et la liberté de la science ? Ou est-ce que cette évaluation est conduite par quelqu'un d'autre auquel cas la liberté de recherche et la liberté scientifique que nous avons voulues lui donner en France depuis que la République existe n'ont plus court ?
Deuxièmement, présenter les choses comme créant une situation dans laquelle l'enseignement sera désormais la sanction imposée aux chercheurs insuffisants, c'est dévaloriser à la fois l'enseignement et la recherche. C'est donc une faute contre l'université française.
J'ai été très heureux d'entendre Axel Kahn dire, hier, que c'était aller droit dans le mur que de continuer ainsi, et d'appeler à ouvrir un processus nouveau.
Ce ne sont pas les enseignants chercheurs qui se protègent. C'est ce que l'on dit d'eux qui est mensonger et c'est à ce titre que l'université et la recherche françaises doivent aujourd'hui recevoir du soutien de la part de ceux qui les comprennent et qui les aiment.
Derrière tout cela, vous le voyez bien, il y a l'abus de pouvoir, l'abus quotidien de pouvoir qui est, en réalité, à l'oeuvre dans la manière dont on gouverne la France. Or, il n'y a rien de plus grave que d'oublier, de mépriser, de fouler aux pieds les principes républicains, les principes démocratiques, ceux qui protègent le citoyen de l'arbitraire, ceux qui lui garantissent conscience et responsabilité, l'information, la compréhension, la décision sur le monde comme il va, parce que nous considérons qu'il y a un lien profond entre le progrès économique, le progrès social, le progrès moral d'une société d'un pays et son progrès démocratique.
L'un tient l'autre. Si vous avez la démocratie, vous avez progrès social, économique et moral. Si vous n'avez pas la démocratie, un jour ou l'autre, vous avez régression dans les domaines fondamentaux qui font la vie d'un pays.
Vous l'avez entendu ce matin, je ne confonds pas la démocratie avec sa caricature. Je ne confonds pas la démocratie avec le happening ni avec -je regarde sur ma gauche et sur ma droite- ni avec la culture du vote perpétuel, ni avec l'autogestion.
La démocratie, ce n'est pas un désordre, c'est un ordre, mais c'est un ordre profond qui garantit au citoyen qu'il sera respecté et entendu, pas baladé, pas drogué, pas asservi, pas distrait, que rien ne l'écrasera, pas même le pouvoir qu'il aura lui-même désigné. Les institutions démocratiques garantissent au citoyen qu'il ne cédera jamais à l'excès de pouvoir, y compris le sien propre. Dans une démocratie, le citoyen n'a pas le pouvoir de choisir le despotisme. Dans une démocratie de citoyens, le citoyen n'a pas tous les pouvoirs et il n'a pas le pouvoir de choisir le despotisme pour l'écraser. Il y a un proverbe latin qui dit : bis repetita placent.
Je suis très heureux d'appartenir au pays qui a joué un rôle clé dans l'élaboration de cette pensée pour le monde. Alors... Ce ne sont pas les chapitres habituels de discours politiques, mais c'est formidable que ce soit un Français et, si vous me permettez d'ajouter, un Aquitain, à savoir Montesquieu qui ait le premier aussi clairement défini la séparation des pouvoirs.
Moi, j'aime bien rappeler que c'était Pascal, déjà quelques décennies auparavant, qui avait, dans l'ordre politique, défini une distinction philosophique qui est la même chose. Cela s'appelle la distinction des ordres : le pouvoir, le savoir et le croire, la chair, l'esprit et le coeur. Ce n'est pas la même chose : dans le cœur est rangée la religion et, dans la chair, est rangé le pouvoir, et l'armée. On ne pouvait pas juger l'un avec les critères de l'autre. Si on l'avait écouté, Galilée n'aurait pas été obligé de dire que la terre ne tournait pas autour du soleil, alors que, pourtant, elle tourne.
Pardon de cette digression philosophique, je n'en ferai plus ! Vous voyez... C'est parce qu'on est dans les fondamentaux qu'on est là. On n'est pas dans étiquette contre étiquette, avantages partisans. On est dans les raisons même qui font vivre un peuple et des citoyens, femmes, hommes, pères de famille, avec leurs enfants et, donc, tout cela, c'est l'essentiel de ce que nous sommes.
Il est tout aussi frappant et, pour moi, inquiétant, que ce soit en France, le pays qui a inventé cette distinction, alors que va bientôt s'achever la première décennie du XXIème siècle, que ce soit en France où tant d'actes de Gouvernement sont portés aujourd'hui contre les principes démocratiques et républicains, contre les libertés publiques.
La nomination du président de l'audiovisuel public par le Président de la République, ce n'est pas une décision anodine. C'est une régression démocratique et, d'ailleurs, que Nicolas Sarkozy ait eu besoin de dire l'exact contraire de la vérité dans chacune des trois affirmations sur ce sujet qui ont été les siennes jeudi soir, cela veut dire qu'en réalité, il sent bien la gravité de ce qu'il a décidé.
Non, contrairement à ce qu'il a dit, ce n'est pas le gouvernement qui décidera, mais le Président de la République. Non, le CSA ne sera pas un rempart, puisqu'il en a souligné lui-même à satiété le manque d'indépendance. Et non, les parlementaires n'auront pas leur mot à dire pour l'approuver à la majorité qualifiée. C'est le contraire de la réalité, le contraire de la lettre de la loi, puisque c'est le veto qui est soumis à la majorité qualifiée. On n'a pas besoin des voix de l'opposition pour mener. On aurait besoin des voix de la majorité pour s'opposer ce qui est évidemment absolument inatteignable pour le pouvoir en place… 3 phrases, 3 contrevérités.
J'ajoute - cela a été dit tout à l'heure par Marielle - que nous avons, dans le monde de la presse privée, des évolutions du même ordre et qui sont tout aussi inquiétantes puisqu'on vient de décider… le président de la République a annoncé, décidé, qu'il allait faire sauter les seuils qui défendent contre les concentrations excessives ceux qui… Je vous l'indique, c'est une évolution aussi inquiétante pour la presse et l'audiovisuel privé, qu'elle l'est pour la presse et l'audiovisuel public…
Deuxièmement, l'annonce du transfert de la poursuite du juge d'instruction indépendant au Parquet soumis à l'autorité hiérarchique du gouvernement, ce n'est pas une décision anodine. C'est une régression démocratique. C'est la certitude qu'aucune affaire gênante pour le pouvoir ne sortira plus et c'est la certitude que l'action de la Justice sera équilibrée entre défense et accusation pour les citoyens qui auront les moyens de payer un cabinet d'avocats prestigieux et enquêteurs privés, mais elle sera déséquilibrée pour tous les autres. Tous les moyens d'enquête, d'un côté, et des avocats commis d'office, pour ceux qui n'ont pas les moyens de les payer. On n'ira pas vers plus d'équilibre, mais je crains vers plus de déséquilibre, retrouvant les abus d'une justice américaine, modèle sur lequel, une fois de plus, on veut nous aligner.
Troisièmement, ce n'est pas un progrès démocratique. C'est une régression démocratique indigne de notre pays que le nouveau secrétaire d'État ou ministre de l'immigration nous annonce. Il va désormais proposer d'échanger des papiers contre des dénonciations de filière. Ce n'est pas la législation d'un pays démocratique qui respecte un certain nombre de principes et, de surcroît, cela ne marchera pas parce que, la crainte des rétorsions sera si forte que, une fois de plus, les gens seront courbés sous la menace et, au lieu de les affranchir, de les émanciper, on les humilie et on les réduit.
Je n'aime pas que mon pays soit en train de faire des choses de cet ordre, et que ce soit un homme réputé de gauche qui prétende faire cela me révolte encore plus.
La réduction des droits du parlement et notamment du droit d'amendement, et notamment du droit d'amendement des députés libres, comme nous sommes, ce n'est pas une décision anodine. C'est une régression démocratique. Nous l'avions dénoncé depuis la première minute où l'on a voulu nous faire prendre des vessies pour des lanternes en nous expliquant que cette réforme constitutionnelle était en réalité un rééquilibrage. Ce n'est pas vrai, c'est au contraire un peu plus de concentration entre les mains des majoritaires du pouvoir exécutif et du parti qu'ils représentent.
Il y a comme cela plein de régressions. Une qui n'a pas été observée : que le Président de la République pour s'adresser au pays soit obligé de monopoliser trois chaînes en même temps : la Une, la Deux et la Six, plus un certain nombre de chaînes de radio avec des journalistes choisis. C'est symbolique.
Cela a déjà été fait. Je ne suis pas content que cela se perpétue dans le temps. Je suis encore moins content, quand je vois que l'on n'a même pas posé de questions, jeudi soir, sur la situation en Guadeloupe qui est, pourtant, extraordinairement inquiétante.
Ce que je vais dire maintenant n'est pas facile à dire et il m'a même fallu du temps pour arriver à le penser et à le formuler de cette manière. Donc, je le soumets à votre réflexion. Je parle de la situation en Guadeloupe : grève générale depuis plusieurs semaines, le carburant manque pour les activités ordinaires de la vie et pour l'économie, le commerce est paralysé. C'est une situation terriblement révélatrice.
Cela signifie entre autres qu'en France, on ne peut déclencher la réflexion et l'action que par l'épreuve de force, car la situation que le gouvernement considère aujourd'hui comme anormale, cette situation existait hier.
Puis-je rappeler que le parti au pouvoir aujourd'hui est au pouvoir depuis sept ans, si je ne me trompe pas, sans interruption ? C'est donc un révélateur de l'État profond du pays.
Permettez-moi de vous dire que ce qui se passe en Guadeloupe, et qui a commencé en Martinique, nous concerne tous, car il y a là non seulement une crispation sociale, une exaspération face au chômage de masse, à la vie chère, à tout ce que nous n'accepterions pas évidemment à ce degré en métropole.
Permettez-moi d'ajouter, en vous alertant, qu'il y a quelque chose de plus profond encore, qui touche au mal être profond des Antillais, quelque chose qui touche au poids le plus intime, au poids jamais réglé de l'histoire, au mal jamais vraiment guéri de l'esclavage. En effet, rien ne s'efface vraiment au travers des générations. Beaucoup n'ont pas encore compris, car il est vrai qu'il faut faire du chemin intérieur, tant la compréhension de l'autre pour saisir, pour faire sien ce mal d'être. Mais je vous le dis, nous allons devoir faire ce chemin si nous voulons être la France et si, en France, le nom de Schoelcher veut encore dire quelque chose.
La crise économique touche les fondations et il fallait donc consolider, dans l'urgence, ce qui pouvait l'être. C'est pourquoi j'ai approuvé le sauvetage du secteur bancaire, mais c'est pourquoi aussi je n'ai pas approuvé la manière dont sont faites les choses. Cela a déjà été dit à la tribune. Je le redis à mon tour.
Quand on mobilise des dizaines de milliards pour le capital des banques, la moindre des choses est que l'on exerce, au nom des citoyens que l'on représente, la part de gouvernance qui doit revenir à cette part du capital.
On serait infiniment mieux placés pour dire qu'il y a des taux d'intérêt abusifs, notamment pour les ménages les plus fragiles, les fameux crédits revolving dont on parle si souvent, à 18 ou 19 %. Il y a des rémunérations abusives, des mobilisations qu'il faut faire en direction des PME.
On serait beaucoup mieux placés pour le dire à l'intérieur des Conseils d'administration qu'à l'extérieur et c'est la raison pour laquelle je demande que cette mobilisation de capital s'accompagne de la prise de sièges aux Conseils d'administration, qui doit aller avec, comme cela s'est fait dans les pays partenaires en Europe.
Nous avons avancé deux principes : le premier est l'idée d'un emprunt européen contracté par tous les pays de la zone euro ensemble, un emprunt de quelque 300 milliards, c'est-à-dire 3 % du PIB. Cet emprunt a deux vertus : la première est qu'il montrerait clairement au monde, notamment au monde financier, que la solidarité entre pays qui ont l'euro en partage est sans faille, et la deuxième est qu'il permettrait une action concertée, même si je reconnais bien volontiers qu'aucun des partenaires ne doit être obligé d'utiliser sa quote-part de l'emprunt commun.
Le deuxième principe que j'ai avancé est d'ordre social.
Quel que soit l'argumentaire théorique, on ne peut pas justifier la mobilisation de centaines de milliards en direction du système bancaire et des grandes entreprises, sans songer à l'équilibrer par une action symboliquement forte en direction des citoyens et de leurs familles et, quoi qu'il en soit, en direction de ceux des français qui sont en particulier en difficulté.
C'est la raison pour laquelle j'ai proposé un "Livret d'épargne crise" à destination de ceux qui ont le plus de mal à vivre : les petites retraites, les salariés en difficulté, les jeunes. J'avais proposé 1 000 euros pour environs 4 à 5 millions de foyers, ce qui fait 4 à 5 milliards d’euros. Obama a décidé de verser 1 000 dollars quelques semaines après. Mais je ne défendrai pas devant vous l'idée que j'ai été son inspirateur…
Certains affirmeront que c'est la même idée qui inspire la proposition de suppression de la première tranche d'impôt sur le revenu. Pas du tout, car en France, hélas, le nombre des foyers qui paient l'impôt sur le revenu est réduit : moins de 1 sur 2. Ainsi, agir par la suppression de cette première tranche, c'est donc oublier tous ceux qui ne paient pas d'impôt sur le revenu et, en vérité, ceux qui ont le plus besoin de solidarité.
Voilà pourquoi je pense que cette idée doit être reprise.
Puis, j'ai une deuxième inquiétude que je vais développer devant vous qui, pour moi, prend la proportion d'une alarme : on est en train de confondre relance et déficit durable. On est en train de créer, sous forme de relance, un gisement de déficit durable qui va entraîner notre pays par le fond.
Je suis partisan des politiques de relance énergiques quand l'économie s'asphyxie comme c'est le cas actuellement, mais je suis sceptique quant aux vertus des relances insuffisantes et je l'ai dit lorsque le gouvernement a annoncé son plan.
Obama mobilise quelque 800 milliards de dollars. Cela fait, l'un dans l'autre, entre 5 et 600 milliards d’euros. Nous, en réalité, nous mobilisons moins de 5 milliards d’euros comme l'a dit Jean-François Khan, c'est-à-dire 0,25 % de notre PIB, alors qu'ils sont à hauteur de 5 % de leur PIB. Nous, c'est dix fois moins. Je doute beaucoup qu'avec un si faible effet de levier, on obtienne des résultats probants.
Quoi qu'il en soit, les politiques de relance doivent, à mes yeux, répondre à une condition : elles ne doivent pas creuser durablement le trou des déficits au-delà de la période de relance.
Une fois l'argent dépensé utilement, le plus efficacement possible, on doit revenir à des dépenses publiques les plus équilibrées possible. Or, si l'on supprime des impôts, si l'on continue à couper dans les impôts comme on le fait depuis que Nicolas Sarkozy est là, comme on l'a fait avec le bouclier fiscal comme on nous annonce qu'on va le faire avec la suppression de la taxe professionnelle, comme on nous le prédit avec la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu, c'est aux recettes de l'État que l'on touche durablement pour l'avenir et non pas une fois, mais une fois pour toutes. On va, tous les ans, avoir à assumer cette charge, de même que le bouclier fiscal coûte 15 milliards tous les ans. De la même manière, les quelque 20 milliards de la taxe professionnels, les quelque 5 milliards de la première tranche d'impôt sur le revenu vont peser sur les finances publiques tous les ans.
Je dis que, sans réfléchir, pour faire des effets d'annonce, lors d'une émission, on touche aux grands équilibres du pays.
J'ajoute qu'il y a une immense émotion parmi les élus français, dont Jacqueline Gourault vous a dit un mot. Il y a une immense émotion parmi ces élus à propos de l'annonce de la suppression en 2010 de la taxe professionnelle, car la taxe professionnelle, pour une collectivité locale, c'est deux choses. C'est naturellement une ressource, mais également une ressource dynamique, une ressource permettant de créer, par une politique qui soit créative, une politique qui ouvre de nouveaux chantiers, qui crée de nouvelles filières et tout le monde y gagne, les collectivités locales et la collectivité nationale, car elle a des acteurs de développement sur le terrain.
Faire le choix de supprimer la taxe professionnelle, c'est à la fois couper dans les recettes et amputer le dynamisme des collectivités locales. Je crois que c'est une très mauvaise affaire, d'autant qu'évidemment, là encore, nous refusons de prendre des vessies pour des lanternes. On va remplacer ces prélèvements fiscaux par d'autres.
C'est un tour de passe-passe habituel, auquel les Français sont hélas accoutumés, mais qui mérite que l'on rappelle cette règle simple : quel que soit l'impôt, ce sont toujours les mêmes qui le paient.
Voilà pour la manière dont on exerce le pouvoir, voilà pour les libertés démocratiques, voilà pour la crise économique, voilà pour la crise des universités, voilà pour l'actualité de notre pays et elle est naturellement chargée de nuages.
Cependant, au-delà de la relance, au-delà de cela, il y aura, et nous le savons tous, à construire l'univers économique sur de nouvelles bases, à penser différemment l'avenir, à penser la société différemment et c'est la raison pour laquelle nous sommes là. L'Europe est notre atout.
Nous voulons un autre monde et, de cet autre monde, l'Europe est la porte d'entrée et la seule disponible.
Alors, il y a une condition, c'est que l'Europe soit enfin l'Europe, elle-même, et non pas une copie d'autres modèles de sociétés, d'autres projets de civilisations. Que l'Europe ait comme projet de changer la globalisation, dans ses principes, dans ses valeurs, en tout cas d'imposer, dans sa globalisation, nos valeurs européennes et non pas de faire reculer nos valeurs européennes devant les oukases d'une globalisation décidée par d'autres.
Cet impératif que l'Europe soit enfin l'Europe, il est entre nos mains à nous. Je veux dire nos mains françaises, comme nation, et nos mains de démocrates français. Il est entre nos mains de défendre et de porter un modèle, dans la globalisation, qui soit différent de ceux que l'on voulait nous imposer.
C'est pourquoi, car ces deux problèmes sont intimement liés, je veux traiter devant vous de la question de la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN. On nous annonce que c'est fait, que c'est décidé, que nous allons enfin nous normaliser, qu'enfin, l'agaçante exception française va disparaître, qu'enfin il n'y aura plus de différences entre la France et les autres. On nous dit : ce sera mieux.
Devant vous, je veux dire que nous lâchons la proie pour l'ombre. En nous alignant, nous abandonnons un élément de notre identité dans le concert des nations, y compris dans le concert des nations européennes.
C'est une défaite pour la France et, permettez-moi de le dire, c'est aussi une défaite pour l'Europe. Nous abandonnons, nous, Français une part de notre héritage et nous l'abandonnons pour rien. Nous l'abandonnons au détriment des autres Européens.
Alors, on nous dit : d'accord, on comprend vos scrupules. Ils étaient justifiés du temps de G. Bush, mais, maintenant, l'Amérique c'est B. Obama.
Alors, je veux vous dire : j'ai beaucoup d'espoir en Obama et pas seulement parce qu'il est démocrate et que c'est le drapeau qu'il porte, pas seulement parce qu'il est noir, comme on le dit, car, comme on l'a encore entendu cette semaine « il y a encore une génération, les restaurants américains étaient interdits aux gens de couleur ». Cela, c'est encore, d'une certaine manière, une condescendance.
Je ne mets pas mes espoirs en Obama seulement à cause de la couleur de sa peau, je mets mes espoirs en lui, parce que son attitude, ses décisions semblent inspirées par une vision enfin différente de la société américaine. Je mets des espoirs en Obama, parce qu'il ferme Guantanamo, parce qu'il ose mettre un terme à l'inflation honteuse des revenus des puissants, parce qu'il s'impose face au Congrès, parce qu'il n'hésite pas à taper du point sur la table et même parce qu'il accepte de dire : "J'ai foiré".
Je ne sais pas s'il réussira, je ne sais pas s'il changera, je n'ai pas de foi aveugle. J'espère, mais je veux m'assurer, dans la réalité, que mes espoirs sont fondés.
En tout cas, je sais une chose, les États-unis d'Amérique, première puissance du monde, ont leur chemin comme nation, ont leur intérêt et cela n'est pas prêt de changer. Nous sommes alliés avec eux, nous le revendiquons et nous avons pris notre part de cette alliance, particulièrement après le 11 septembre, particulièrement en Afghanistan. Nous sommes alliés, mais nous ne sommes pas alignés.
Nous sommes alliés, mais indépendants et la marque de cette indépendance, celle que nous avons préservée pendant des décennies en notre nom et au service des autres européens, c'est de n'être point liés à l'intérieur du commandement intégré de l'OTAN.
Je sais ce qui se passe quand on est intégré et c'est vrai en politique internationale, et c'est vrai en politique intérieure.
Je sais ce qui se passe quand on est intégré. Quand on est intégré, on ne compte plus. Je n'ai jamais oublié cette scène formidable au sommet du G7 en 2006, une scène formidable qui a fait le tour de la planète. C'est Bush qui est assis à table, Tony Blair se lève comme un petit garçon et vient quêter une approbation. Bush ne lève pas les yeux. Il mange son croissant et, quand Tony Blair s'approche, il lui lance les mots du supérieur parlant à l'inférieur et lui dit : "Yo Blair". Cela veut dire quelque chose du genre : "Eh bien, Blair, mec, ça va ?" et il ne le regarde même pas par-dessus son épaule. Il mange son croissant.
Tony Blair, le Premier Ministre britannique, le meilleur allié des États-unis, le plus fidèle allié des États-unis, celui qui voulait influencer les États-unis, parce qu'il était leur meilleur allié -je ne sais pas si cela ne vous rappelle pas quelque chose- vient quémander l'accord du Président américain dans la crise de 2006 pour aller faire une visite au Moyen-Orient. Bush, c'est très simple, s'arrête de manger et dit : "C'est Condi qui ira" et le Premier Ministre du Royaume-Uni tourne ses pas et il s'en va. Il n'est pas allé au Moyen-Orient.
Eh bien, je n'ai pas envie que l'on dise : "Yo" à un Français. Je n'ai pas envie que l'on dise "Yo" au Président de la République française. Je n'ai pas envie que nous soyons intégrés. On peut être indépendant en étant allié. C'est ce que nous sommes. Mais on ne peut pas être indépendant en étant intégré, sauf quand, par chance, vous avez, à côté de vous, dans l'alliance, d'autres indépendants solides, auquel accrocher votre refus.
C'est comme un piton dans la falaise : si vous avez un piton solide pour accrocher votre corde, vous pouvez vous permette quelques libertés et quelques acrobaties. La France, c'était le piton d'indépendance de l'Europe et je ne veux pas que l'on arrache ce piton, parce que c'est l'Europe tout entière qui va en souffrir.
Je suis persuadé, j'ai toujours été persuadé, que, si nous avions été intégrés dans l'OTAN au moment de la guerre en Irak, au lieu de tenir le discours de la défense du droit pour l’honneur de la France que nos dirigeants d'alors ont tenu à l'ONU. Au lieu de tenir ce discours, nous aurions été aux Açores avec Bush, avec Blair, avec Asnar, avec Berlusconi et avec Barroso.
Pour moi, l'indépendance ne se divise pas quand vous êtes intégrés. Vous êtes intégrés et, bientôt, vous êtes assimilés.
Le ministre de la Défense a prononcé deux phrases. Il a dit « Il faut arrêter de barguigner » et il a ajouté « Notre position d'indépendance aujourd'hui est purement symbolique ». Innocent !... On peut en dire des bêtises en deux phrases !
Mes chers amis, je veux le dire devant vous, les symboles, ce n'est pas secondaire, c'est essentiel. Les symboles, dans la vie, dans la politique, dans une vie d'homme, dans une vie de femme, dans une vie de famille, c'est essentiel.
Je le dis à Nicolas Sarkozy, nous ne voulons pas perdre notre indépendance et pas davantage le symbole de notre indépendance. Nous ne voulons pas être intégrés et être assimilés. La France est une alliée fiable, mais elle n'est pas une alliée comme les autres. Elle est une alliée qui garde une part symbolique, donc essentielle de liberté.
Voilà pour la politique étrangère. Voilà pour le patrimoine d'indépendance de la France et voilà pour le risque que nous sommes en train ou que l'on veut nous faire prendre.
Je veux ajouter un dernier mot sur cette affaire et c'est un mot de gravité un mot d'alerte. Il y a deux sortes de décisions politiques.
Il y a les décisions politiques, quel que soit le degré de faveur ou d'inquiétude qu'elles provoquent, que l'on peut combattre, mais dont, au fond, on sait que l'on pourra les changer à la prochaine alternance et ce sont finalement des décisions politiques d'importance relative.
Puis, il y a des décisions politiques d'importance absolue, c'est-à-dire d'importance historique.
Je vous dis que la décision de retour dans le commandement intégré de l'OTAN correspond à cette deuxième catégorie, parce que c'est un aller sans retour.
N'imaginez pas ou plus exactement il n'est pas sérieux d'imaginer qu'une décision de cette importance puisse être remise en cause à chaque alternance. Une majorité gagne, on entre dans le commandement intégré de l'OTAN, l'autre majorité gagne, on sort du commandement intégré de l'OTAN. Puis, quelques années après, on y revient... C'est impossible.
Le Général de Gaulle a fait ce choix pour 50 ans. Je demande que ce choix-là ne soit pas bradé, ne soit pas jeté aux orties, que l'on y réfléchisse comme peuple de citoyens face au reste du monde.
J'ajoute une deuxième chose : Nicolas Sarkozy répète beaucoup, à satiété, qu'au fond, tout cela, c'est simplement la reconnaissance que nous sommes l'occident, comme l'Amérique, comme nos partenaires de l'Union européenne, nous sommes l'occident, nous sommes un seul occident.
Je veux simplement dire que, si l'on accepte l'idée d'être un seul occident et que tout le monde, dans l'occident, a, au fond, les mêmes valeurs, les mêmes principes, les mêmes choix stratégiques, on prend de très grands risques dans l'équilibre du monde. Je me réjouis beaucoup, et je voudrais que l'on pèse le poids de cette identité française qui, précisément, aux yeux du reste du monde n'est pas exactement l'occident, n'est pas exactement la même chose que les autres puissances que je viens d'indiquer à l'instant.
Je voudrais que l'occident se comprenne enfin comme pluraliste, comme équilibré, comme addition d'indépendances et pas seulement comme un tout homogène qui risque d'être dressé contre le reste de la planète.
J'en viens à mon dernier sujet qui est celui du modèle économique et social et de société européen. J'ai envie de commencer par une question qui fait écho à d'autres questions qui ont été posées sur le même sujet : Europe, où est ta promesse ?
La promesse de l'Europe ne se ramène pas à la concurrence, à la consommation, à l'économie, aux marchandises et au profit comme, trop souvent, on l'a cru depuis des décennies. La promesse de l'Europe, c'est une promesse de valeurs et de civilisation.
Le monde aujourd'hui s'est abandonné à la loi du profit. Le capitalisme l'a imposé en imposant sa loi. Face au capitalisme et à la seule loi du profit, le monde, particulièrement l'Europe et spécialement la France attend qu'on lui propose une nouvelle économie, l'économie de l'humanisme, non pas une économie pensée en fonction de la seule loi du profit des détenteurs du capital, mais une économie pensée en fonction du développement humain, des services publics, de l'intérêt général, de l'étude, de la science, de la recherche, de la santé, de la famille, des enfants et des vieillards.
Capitalisme, c'est la loi du capital et donc la loi du profit. Humanisme, c'est la loi qui pense aux valeurs humaines et il n'est pas vrai que le capitalisme n'ait jamais été un humanisme.
Au fond, pour les années qui viennent, le seul combat qui vaille, c'est celui-là : capitalisme versus humanisme.
L'humanisme, c'est éducation, science, création, entreprise libre, coopération, mutualisme, c'est le consommateur citoyen armé et non pas désarmé, c'est confiance aux communautés de base dans la société, aux corps intermédiaires, au local, à la proximité.
L'humanisme, c'est prendre au sérieux l'égalité des chances et des droits et la loi qui oblige à tenir la balance égale entre le faible et le fort.
Jusqu'à maintenant, dans le monde et en France, dans le siècle dernier, on a pensé capitalisme contre socialisme et le socialisme est tombé le premier évidemment, d'abord dans sa version soviétique et dans toutes ses versions européennes, parce que l'État ne peut pas s'occuper de tout ou plus exactement, chaque fois que l'État veut s'occuper de tout, tout va mal, parce qu'il y a sclérose et thrombose.
Maintenant, il faut penser la confrontation non pas entre deux modèles, mais entre trois modèles. Entre les deux qui ont prouvé leurs limites et leurs échecs, capitalisme et socialisme, et celui qui doit naître que j'appelle l'humanisme démocratique. Si l'Europe est fidèle à sa promesse, alors c'est la terre où s'épanouira l'humanisme démocratique.
L'humanisme démocratique se construit par adaptation et non pas par révolution. Il est réformiste par nature, parce qu'il progresse avec les acteurs, les femmes, les hommes, les communautés et non pas contre eux par contraintes et violence.
Il est, par nature, défenseur des services publics, parce que le service public, c'est la richesse de celui qui n'a rien. C'est la richesse et la chance de celui qui est loin, de celui qui n'est pas né dans le bon milieu, qui n'a pas la "bonne ascendance" et qui, cependant, est certain que l'école où il ira est la bonne école et qu'elle peut être aussi bonne, généreuse dans le savoir, favorable aux élèves dans nos vallées pyrénéennes qu'elle le serait à Louis-le-Grand, à Paris.
Celui qui n'a rien ou pas-grand-chose doit être certain que la maternité est là, que l'hôpital est là au moins pour les premiers soins et que, dans le dénuement de ses vieux jours, il trouvera l'accueil, l'attention, le respect et le soin.
L'humanisme démocratique se construit sur l'association des hommes, voilà pourquoi nous sommes si attachés à la réflexion sur le tiers secteur. Nous sommes attachés à la coopération, au mutualisme, à ces autres formes de créativité économique qui ne sont pas d'asservissement, qui sont, au contraire, d'association des volontés.
Et cela est évidemment aujourd'hui un changement de perspective majeur pour l'Europe. Ce n'est pas autre chose pour l'Europe que de retrouver sa source. Au lieu de défendre uniquement le marché comme institution politique, elle doit penser l'économie sociale et j'avais même proposé que l'on ne dise plus économie sociale, mais que l'on dise social-économie pour montrer que l'un est si intimement lié à l'autre que l'on peut en faire un seul mot.
Qu'elle doit se définir bien sûr par sa capacité de création -autrement, on ne met rien, on perd du terrain- et par sa contribution au progrès social de tous. Il y a, là, une conséquence de long terme et cela a aussi été tout à l'heure abordé par un de nos amis ici.
Il y a, là, une conséquence de long terme : si l'on choisit cette société-là où les services publics sont sérieux, sont présents partout, alors, comme les services publics ont un coût, comme l'inégalité excessive se corrige par l'impôt, alors les citoyens doivent imposer que l'harmonisation fiscale commence maintenant à se construire progressivement en Europe.
Aujourd'hui, la loi de l'Europe, c'est le dumping fiscal, c'est une vision ultra libérale qui prévaut. Nous, nous croyons qu'il doit exister un socle commun, une réflexion partagée sur la fiscalité qui empêchera l'évasion fiscale.
Pour cela, dernière conséquence, et je m'arrêterai là, l'Europe doit se proposer un but politique, pas administratif, pas technocratique, et c'est un grand changement que nous portons là.
Je le disais, jusqu'à ces dernières années, on avait l'impression que le but de l'Europe était uniquement le marché. Maintenant, nous exigeons que le but de l'Europe ce soit les Européens, leurs vies et leurs chances.
Je suis très heureux de retrouver l'inspiration qui était tout à l'heure à cette tribune.
Cela veut dire quelque chose d'extrêmement simple, mais très lourd de conséquence. Cela veut dire qu'en Europe la démocratie reprend ses droits. Cela veut dire que les choix de l'Europe ne seront plus décidés dans le secret des conciliabules, entre Messieurs Sarkozy, Barroso et quelques autres excellences, quelques uns, pas tous puisque désormais, j'ai cru comprendre qu'il y avait en Europe des dirigeants de première et de seconde zones. Cela veut dire notre choix : la démocratie reprend ses droits en Europe, que les choix de l'Europe reviennent en dernier ressort aux citoyens européens.
Permettez-moi, puisque je traite ce sujet des dirigeants européens, de dire combien j'ai trouvé offensant, pour un Européen, la façon dont Nicolas Sarkozy a traité, dans son interview, nos partenaires et concitoyens européens de République Tchèque, dans la précédente conférence du Luxembourg ou encore de Grande-Bretagne. Il y avait, dans les propos qu'il a tenus, une condescendance, comme un mépris de supérieur à inférieur qui est une grave atteinte à l'idée que l'Europe se fait de la France et, partant, une grave atteinte aux intérêts de la France en Europe que l'on devrait défendre et non pas, hélas, diminuer.
J'en profite pour dire également que je m'inquiète de la relation franco-allemande, parce que rien ne se fera en Europe -ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est une vérité qui est inscrite au fronton de toutes les réflexions sur l'avenir de l'Europe- s'il n'y a pas une relation de confiance entre Allemagne et France. J'ai drôlement l'impression que cette relation de confiance a été terriblement atteinte ces derniers mois.
J'en profite aussi pour dire que les Nations européennes méritent le respect, quelle que soit leur taille. Cela a été une grande erreur et une grande souffrance de laisser s'accréditer l'idée que l'Europe se faisait contre les Nations ou contre les identités.
L'Europe, c'est l'identité. L'Europe, c'est la maison où chacun a droit à son identité et même chacun a droit aux identités multiples qui font ce que nous sommes.
Si nous voulons éviter les retours dangereux, parce que névrotiques de l'identité, il faut alors reconnaître, accepter, honorer l'identité qui est en nous et celle qui est dans l'autre. Nous réconcilions l'Europe, c'est notre choix, et l'idée européenne avec les Nations qui la forment. Elle est très belle la devise européenne. Elle est moyenne en français, Unis dans la diversité, mais elle est formidable en latin, langue dans laquelle elle a été pensée : In variatate concordia.
L'idée d'unité, c'est bien, mais l'idée de concorde, c'est autre chose. C'est plus riche, c'est plus proche de la communauté qui disait "plus et mieux que l'union".
La démocratie reprend ses droits, ce qui veut dire que le Parlement européen doit jouer son rôle, tout son rôle et ne plus se laisser confondre avec les autres autorités européennes.
Comme tout est affaire de symbole, je propose que l'on prenne au sérieux cette idée et que l'on fasse un changement de cap. Je propose que l'on revienne au traité. Ce n'est pas un hasard si le traité avait installé, en deux lieux différents : Strasbourg pour le Parlement européen et Bruxelles pour la Commission européenne.
Il n'est pas sain que l'un soit confondu avec l'autre, ou avec les autres car je n'oublie pas le Conseil. Il n'est pas sain que tout le monde pense "Bruxelles", comme aux États-unis tout le monde pense "Washington". Il faut que le citoyen européen pense, sache que, Strasbourg, ce n'est pas Bruxelles. C'est pourquoi je propose que l'on change de cap et que Strasbourg devienne effectivement, à temps plein, la capitale parlementaire de l'Europe, que tout s'organise en conséquence, bureaux et transports, que l'on cesse de reculer sur ce sujet et que, par exemple, le Secrétariat du Parlement s'installe à Strasbourg et les parlementaires aussi.
On fera d’ailleurs beaucoup d'économies, parce que l'on cessera les va-et-vient stupides et c'est quand même une chose formidable d'imaginer que la volonté des peuples n'est plus confondue par les citoyens avec d'autres volontés qui ont leur dignité, car la Commission a sa dignité.
Il y a les États d'un côté, les peuples de l'autre. Il est légitime que les peuples aient leurs villes, leurs droits en Europe et, après tout, ce n'est pas autre chose que la liberté.
Je finis avec un dernier point. Concernant l'Europe -c'est ma quatrième idée-, vous avez senti qu'il y avait quatre axes qui ont été ainsi fixés. Je veux proposer un dernier axe : l'Europe doit réaliser en son sein ce qu'elle demande au reste du monde. Nous demandons une relance de bonne qualité au reste du monde, très bien… Nous devons la réaliser chez nous.
Nous demandons des règles qui interdiront des règles financières, nous devons les réaliser chez nous. J'en cite une : les paradis fiscaux sont la gangrène de l'univers économique et financier. Très bien, interdisons-les chez nous.
Allons plus loin, refusons à nos institutions financières, sous peine d'interdit, de travailler avec des paradis fiscaux. Les autorités américaines ont obligé les paradis fiscaux à avoir, à leur égard, une transparence financière, sous peine d'interdit. Il n'y a eu aucune résistance.
Allons plus loin, nous demandons la coordination des politiques économiques. Réalisons-le chez nous.
Nous demandons la sauvegarde du patrimoine naturel, de l'atmosphère, de l'eau, des espèces et d'abord de l'espèce humaine, souvent menacée, ne serait-ce, paraît-il, que dans sa fertilité. Prenons les décisions qui s'imposent chez nous et appliquons-les. Si les concurrences abusives nous en empêchent, prenons les décisions de régulations qui s'imposent.
Nous avons un très grand projet à porter pour nous -pour nous, évidemment, mouvement politique, c'est secondaire- pour nous Français, pour nous Européens. J'ai confiance et je sens qu'en ce temps où le monde entier a les yeux fixés sur ce qui se passe aux États-unis, sur ce qui se passe au Moyen-Orient, sur ce qui se passe, hélas, dans des zones beaucoup plus dramatiques de la planète, j'ai le sentiment et la certitude que le modèle que nous portons est le modèle qu'attendent, en secret, les esprits et les cœurs des citoyens européens.
C'est cela, la mission que nous allons désormais remplir tous ensemble.
Je vous remercie.
François Bayrou, 8 février 2009, Paris.