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27 février 2019 3 27 /02 /février /2019 03:13

« Nous n’effacerons pas le mal de notre société, ni par la loi, ni par un discours, ni par un acte ; mais nous devons être, tous ensemble, les combattants de cet outrenoir, de ces lignes de force, de ce courage inlassable, de cette forme d’humanité et d’intelligence que nous devons donner, même au noir qu’il y a dans notre société, parce qu’il est là ; mais nous tiendrons, et à la fin, nous gagnerons. »


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Ces propos assez étonnants ont été tenus par le Président Emmanuel Macron, ils terminaient son discours lors du dîner du CRIF le 20 février 2019, alors que le sujet principal, le "noir" évoqué, était l’antisémitisme, en pleine recrudescence en ce moment.

L’outrenoir, cela faisait évidemment référence au peintre Pierre Soulages qui va avoir 100 ans dans dix mois, le 24 décembre 2019.

Emmanuel Macron avait expliqué qu’il avait reçu dans son bureau de l’Élysée, le vendredi 15 février 2019, la maman d’Ilan Halimi, le jeune homme sauvagement torturé et assassiné le 13 février 2006 parce qu’il était Juif : « Elle avait, face à elle, un tableau de Pierre Soulages. Je lui ai dit : "c’est ça, ce que nous avons à vivre". Beaucoup pensait que le noir n’était pas une couleur et qu’on ne pouvait rien en faire. Un génie, centenaire cette année, a dit : "en travaillant inlassablement le noir au pinceau, au couteau, en y tirant mes lignes, en y mettant mes formes, j’y ferai vivre le soleil, j’y ferai exister la lumière". Et elle voyait sous ses yeux ce tableau qui prenait vie. Et ce noir n’était plus noir. Il était l’outrenoir de Soulages. » (20 février 2019).

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C’était une interprétation sans doute osée de fondre le grand peintre dans une cause, aussi noble soit-elle, peintre qu’Emmanuel et Brigitte Macron ont rencontré le 16 mars 2018 à Sète pour le déjeuner : « J’ai été impressionné par leur culture, leur ouverture et la manière dont ils ont su se rendre amicaux immédiatement. » (Pierre Soulages). On ne sait pas trop si Pierre Soulages serait d’accord avec ce genre d’interprétation, d’autant plus que, électron libre, il a toujours refusé de se mêler aux passions médiatiques de son temps, mais il est sûr, car il l’a déjà affirmé, qu’il préfère mille fois la personnalité d’Emmanuel Macron à celle de… François Mitterrand ! Mais de tous les Présidents de la République, c’est Jacques Chirac qu’il connaît le mieux.

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En ce qui me concerne, l’antisémitisme et sa démonstration la plus abominable que fut la Shoah, me feraient plutôt penser à Edvard Munch et son fameux Cri (peint bien avant l’Holocauste). L’idée d’y associer l’outrenoir de Soulages est à la fois audacieuse, originale et pourquoi pas, pertinente. Lorsque, enfant, j’avais passé ma profession de foi, j’avais distribué aux invités une petite carte souvenir avec cette phrase que j’aimais bien, dont, hélas, je n’ai plus souvenir de l’auteur : « Même quand les nuages s’amoncellent, il reste toujours le ciel. ».

C’est l’espoir qu’il faut comprendre dans l’outrenoir. Pierre Soulages l’a souvent expliqué, comme dans "Le Point" du 15 mai 2014 : « C’était une histoire de contraste. Le noir est une couleur très active, violente même… Vous mettez du noir sur une couleur sombre, et elle s’éclaire… ». L’outrenoir va au-delà du noir qui éclaire le pas-noir, puisqu’il n’y a plus que du noir mais du noir en relief, si bien que le reflet de la lumière sur ce relief crée des zones claires typiques de l’outrenoir.

La critique d’art suisse Françoise Jaunin (que j’ai déjà citée il y a deux mois) a décrit ette nouvelle étape artistique de Soulages : « Ses toiles géantes, souvent déclinées en polyptyques, ne montrent rien qui leur soit extérieur ni ne renvoie à rien d’autre qu’elles-mêmes. Devant elles, le spectateur est assigné frontalement, englobé dans l’espace qu’elles sécrètent, saisi par l’intensité de leur présence. Une présence physique, tactile, sensuelle et dégageant une formidable énergie contenue. Mais métaphysique aussi, qui force à l’intériorité et à la méditation. Une peinture de matérialité sourde et violente, et, tout à la fois, d’immatière changeante et vibrante qui ne cesse de se transformer selon l’angle par lequel on l’aborde. » ("Noir lumière", éd. La Bibliothèque des arts, 2002).

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Pierre Soulages continue toujours à peindre, à 99 ans. Son atelier, complètement dépouillé de tout objet inutile qui pourrait le distraire, situé en dessous de sa maison, à Sète, accueille encore ses projets artistiques. Sa femme Colette est auprès de lui pour le soutenir, comme elle l’a fait depuis qu’ils se sont mariés, il y a soixante-dix-sept ans (dans trois ans, ce sont les noces de chêne !), elle est plus jeune que lui, enfin, juste de quelques mois ! Il est toujours au travail mais doit faire face, parfois, à quelques problèmes de santé qui le ralentissent dans ses projets.

En fait, il n’a pas trop de temps de ne rien faire : le Louvre lui a commandé une œuvre, et elle doit être livrée à temps. L’enjeu est de taille : le Louvre a décidé d’honorer le grand peintre (Pierre Soulages est immensément grand) en consacrant le Salon carré à ses œuvres, pour célébrer son centenaire comme il se doit. Le Louvre empruntera à cette occasion des œuvres de musées du monde entier. Une place est donc restée vacante pour placer cette toile qu’il doit réaliser avant le début de l’exposition, la toile du centenaire.

Dans une dépêche de l’AFP datant du 4 février 2019, il est cité un "ami de passage" qui a expliqué : « L’extraordinaire, ce n’est pas tant qu’il peigne, c’est qu’il continue à chercher, à réfléchir. Il voit des choses qu’on ne voit pas. ». Très solitaire, Pierre Soulages veut être coupé du monde lorsqu’il crée : « Je connais mal les artistes contemporains. Ici, je veux travailler, j’ai demandé qu’il y ait quelques remparts. » (cité par l’AFP). Grand ami de Claude Pompidou (veuve de Georges Pompidou), le couple Soulages l’invitait souvent à Sète, mais l’artiste vit généralement loin du monde et des foules. Aujourd’hui, loin de toute retraite, il est attendu. Il faut qu’il continue encore à créer. Le Louvre l’attend !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 février 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L’année Pierre Soulages au Louvre.
Alfred Sisley.
Salvador Dali.
Jean-Michel Basquiat.
Dernières heures parisiennes pour Egon Schiele.
Pierre Soulages, l'artiste mélanthrope, a 99 ans.
Rotraut Uecker.
Egon Schiele.
Banksy.
Marcel Duchamp.
Pablo Picasso.
Le British Museum et le monde des humains.
Yves Klein.
Le Tintoret.
Gustav Klimt.
Georges Méliès.
David Hamilton.
Paula Modersohn-Becker.
Auguste Rodin.
Margaret Keane.
Rouault et Matisse à Paris.
La garde rapprochée du Premier Empereur de Chine.
Un Renoir de la Côte d’Ivoire.
Magritte.
Daniel Cordier.
Boulez à Paris.
La collection Cordier à Rodez.
Soulages à Rodez.
Claude Lévêque à Rodez.
Caillebotte à Yerres.
Goya à Paris.
Brueghel à Paris.
Chagall à Paris.
Dali à Paris.
Van Gogh à Paris.
Hiroshige à Paris.
Manet à Paris.
Rembrandt à Paris.
Boltanski, artiste contemporain.
Boltanski au MacVal.

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19 février 2019 2 19 /02 /février /2019 11:39

« Elle a sa propre petite fortune, c’est une héritière : s’il m’arrive quelque chose, la personne qui s’en occupera ne sera pas dans la misère. L’argent des pubs où elle apparaît a été mis de côté pour elle. » (Karl Lagerfeld, le 24 février 2015).


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De qui parlait Karl Lagerfeld à Marc-Oliver Fogiel dans l’émission "Le Divan" diffusée le 24 février 2015 sur France 3 ? De sa chatte Choupette qui posséderait en avril 2015 la fortune de 3 millions d’euros. Nous ne sommes pas aux États-Unis où les chiens peuvent hériter des fortunés mais en France, et Karl Lagerfeld l’a compris puisqu’il voulait d’abord rémunérer celui qui s’occuperait de sa chatte.

Ce mardi 19 février 2019, elle va être seule, cette chatte, car le grand couturier Karl Lagerfeld, appelé par certains le Kaiser, est mort à Neuilly-sur-Seine, à l’âge de 85 ans (il est né le 10 septembre 1933 à Hambourg). Depuis une vingtaine d’années, il cachait son âge avec son look à la limite sado-maso avec des gants qui masquaient les rides des mains, et il a toujours refusé de dire sa date de naissance par coquetterie.

Karl Lagerfeld a eu beaucoup d’influence sur la mode depuis une trentaine d’années. Bernard Arnault, propriétaire de LVMH, a réagi avec beaucoup de tristesse en apprenant cette nouvelle alors que sa Fondation Louis Vuitton va inaugurer le soir même l’exposition sur la Collection Courtauld.

Karl Lagerfeld fut le directeur artistique de la maison italienne Fendi à Rome depuis 1965 et de la maison française Chanel à Paris depuis 1983. Il s’est mis aussi à son propre compte en créant sa ligne en 1984. Il a eu beaucoup d’activités tournant autour de la mode, couturier, modéliste, dessinateur, costumier, photographe, architecte d’intérieur, joaillier, réalisateur, etc.

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Son arrivée dans la haute couture date du 25 novembre 1954, quand il a reçu le premier prix d’un concours organisé par Woolmark, il était ex-aequo avec …Yves Saint Laurent. Le couturier Pierre Balmain l’a recruté en 1955 (jusqu’en 1962), puis le couturier Jean Patou l’a recruté aussi en 1959 comme directeur artistique. Lagerfeld travaillait en styliste indépendant, il a travaillé pour Chloé, pour H&M, et à partir de 1963, il collaborait avec Fendi. Il créa du prêt-à-porter et des collections de haute couture pour Chanel à partir de 1983. Il a eu l’idée très novatrice de choisir un mannequin pour représenter la marque exclusivement, en médiatisant la jeune fille pour médiatiser la marque. Ce fut Inès de La Fressange, puis Vanessa Paradis, etc.

Versant artistique de la haute couture, Karl Lagerfeld s’est beaucoup enrichi tout en ne s’occupant pas de gérer financièrement ses créations (comme Yves Saint Laurent qui avait ainsi besoin d’un Pierre Bergé).

Coïncidence étrange : Karl Lagerfeld est mort le jour de la manifestation de la plupart des partis politiques français contre l’antisémitisme, pour condamner très fermement les actes antisémites récents (tags d’un restaurant parisien, croix gammées sur l’effigie de Simone Veil, insultes à Alain Finkielkraut, et tout récemment, profanation d’environ quatre-vingts sépultures dans le cimetière juif de Quatzenheim, en Alsace).

Or, Karl Lagerfeld, défenseur des Juifs, avait été en colère contre la politique d’accueil des réfugiés de la Chancelière allemande Angela Merkel, au point de vouloir renoncer à sa nationalité allemande, parce qu’il considérait que cela encourageait la montée de l’audience électorale du mouvement d’extrême droite AfD et que cela favoriser l’antisémitisme.

Dans l’émission de Thierry Ardisson "Salut les Terriens", diffusée le 11 novembre 2017 sur C8, Karl Lagerfeld a réussi, en une seule phrase, à faire de grossiers amalgames (Allemands = nazis, réfugiés = antisémites, etc.) : « Je vais dire une horreur. On ne peut pas, même s’il y a des décades entre, tuer des millions de Juifs pour faire venir des millions de leurs pires ennemis après. ». L’animateur n’a fait que sourire en écoutant cette phrase.

Karl Lagerfeld avait aussi violemment fustigé Angela Merkel ainsi : elle « qui en avait déjà des millions et des millions, qui sont bien intégrés, qui travaillent (…), n’avait pas besoin de se taper un million en plus, pour se donner une image charmante, après l’image de marâtre qu’elle s’était donnée dans l’histoire de la crise grecque. ».

On peut comprendre pourquoi il voulait cacher la vieillesse, car, comme le disait De Gaulle, la vieillesse est (parfois) un naufrage. Cela n’empêchera pas qu’il fut un grand créateur, et que les âmes artistiques sont rarement de bons analystes politiques… Qu’il repose en paix.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 février 2019)
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Pour aller plus loin :
Karl Lagerfeld.
Pierre Cardin.
Yves Saint Laurent.
Pierre Bergé.

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29 janvier 2019 2 29 /01 /janvier /2019 03:58

« Après le sujet, une des qualités les plus intéressantes du paysage est le mouvement, la vie. C’est aussi une des plus difficiles à réaliser. Donner la vie à une œuvre d’art est certes une condition indispensable pour l’artiste digne de ce nom. C’est l’émotion de l’exécutant qui donne la vie et c’est cette émotion qui éveille celle du spectateur. » (Alfred Sisley, janvier 1892).


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Il y a cent vingt ans, le 29 janvier 1899, à Moret-sur-Loing, en Seine-et-Marne, le peintre impressionniste britannique Alfred Sisley est mort d’un cancer à l’âge de 59 ans (il est né le 30 octobre 1839 à Paris). Il n’a pas eu le temps d’avoir le succès qu’il aurait mérité de son vivant, ni même la nationalité française qu’il avait pourtant demandée depuis longtemps aux autorités françaises alors qu’il n’a jamais que vécu en France (sauf quelques années). Il est mort très peu aisé et endeuillé (sa femme est morte de maladie quelques mois avant lui, le 8 octobre 1898), mais rapidement honoré : « Au jour où fut annoncée la mort de Sisley après tant de souffrances volontairement et fièrement dissimulées, il y eut un tressaillement dans tout le public renseigné. Les toiles possédées par ceux qui attendaient par le monde le caprice des amateurs furent immédiatement recherchées. », selon le critique d’art Gustave Geffroy (1855-1926).

En effet, les fins connaisseurs connaissaient l’importance artistique de celui qui venait de mourir. Ainsi, dans une lettre du 22 janvier 1899 à son fils Lucien, quelques jours avant la mort d’Alfred Sisley, le peintre Camille Pissaro en avait bien conscience : « Sisley, dit-on, est fort gravement malade. Celui-là est un bel et grand artiste, je suis d’avis que c’est un maître égal aux plus grands. J’ai revu des œuvres de lui d’une ampleur et d’une beauté rares, entre autres, une "Inondation" qui est un chef-d’œuvre. ».

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Déshérité par son père à cause de ses choix affectifs, Alfred Sisley a commencé la peinture à Paris en octobre 1862 (il a alors 23 ans) dans un atelier où il a lié amitié avec notamment Auguste Renoir (1841-1919) et Claude Monet (1840-1926). Sisley a fait partie des peintres du mouvement impressionniste qui sont sortis de leur atelier pour peindre directement sur le terrain les paysages et transmettre surtout leurs émotions, leurs "impressions". Le terme "impressionnisme" provient d’un critique et peintre, Louis Leroy (1812-1885), qui a ironisé sur ce mouvement le 25 avril 1874 dans "Charivari", néologisme construit à partir du fameux tableau de Claude Monet "Impressions, soleil levant".

Ce qui importe, dans l’impressionnisme, c’est d’abord la lumière. Pas de trait mais juste des formes, des ombres, des reflets. C’était révolutionnaire à l’époque. Le photographe Nadar (1829-1910) encouragea ce mouvement en louant une grande salle, boulevard des Capucines à Paris, pour faire la première exposition des peintres impressionnistes du 15 avril au 15 mai 1874.

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Sisley en fit évidemment partie, exposant quelques tableaux dont "La Machine de Marly" (1873) à propos duquel le critique d’art Ernest Chesneau (1833-1890) a écrit le 7 mai 1874 : « Tout n’est pas également bon dans les envois de M. Sisley ; mais il en est un, "La Seine à Port-Marly", qui est l’absolue réalisation des ambitions de l’école dans le paysage. Je ne sais pas de tableau dans le passé ni dans le présent qui donne d’une façon si complète, si parfaite, la sensation physique de l’atmosphère, du "plein-air". Voilà donc une acquisition toute nouvelle en peinture, et dont il importe de prendre note. ». Le tableau évoqué semble être celui montré ci-dessus, "La Machine de Marly", mais il reste encore une incertitude à ce sujet.

Un autre critique d’art, Léon Roger-Milès (1859-1928), a écrit dans la préface du catalogue d’une autre exposition, une rétrospective des œuvres de Sisley, qui a eu lieu à Paris du 5 au 28 février 1897 : « L’arbre est pour lui l’un des facteurs prépondérants pour exprimer la vie. L’eau aide à exprimer la vie dans l’étendue, l’arbre l’exprime dans le temps. Dans ses toiles, Sisley, pas plus que Corot, ne fait le portrait d’un arbre ; pourtant il les connaît tous ; il les a tous étudiés ; il en fait l’anatomie ; mais ce qu’il nous donne, ce sont des harmonies d’arbres dans la nature ; ce sont des éléments essentiellement variés où s’inscrivent les saisons et les heures, avec le chromatisme spécial de frondaisons. ».

Le collectionneur et critique d’art Arsène Alexandre (1859-1937), quant à lui, a souligné le 1er mai 1899 dans la préface du Catalogue des œuvres d’Alfred Sisley établi juste après sa mort, « l’intrépide bonne humeur de Sisley, à cette époque exempte d’argent et de mélancolie », et a affirmé que ce peintre représentait « la gaieté, l’entrain, la fantaisie ». Il répéta cette confidence que lui avait faite Sisley à propos du "trio" du scherzo dans le Septuor de Beethoven qui lui avait « procuré un ravissement ineffaçable » : « Cette phrase si gaie, si chantante, si entraînante, il me semble que, depuis la première fois que je l’ai écoutée, elle fait partie de moi-même, tant elle répond à tout ce que j’ai toujours été au fond. Je la chante sans cesse. Je me la fredonne en travaillant. Elle ne m’a jamais abandonné. ».

Il y a toujours une certaine émotion à voir peints des paysages qui nous sont familiers. Ainsi, les œuvres de Sisley dans la région parisienne sont toujours très intéressantes, même plus d’un siècle plus tard. Je propose donc ici un petit tour de la région parisienne avec pour guide… Mister Sisley lui-même, of course !

Le voici à Argenteuil, à l’époque un lieu classique des peintres où les habitants et visiteurs avaient un certain niveau de vie et appréciaient les activités nautiques sur la Seine.

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Le "Boulevard Héloïse" est vivant et apporte une note sociologique sur la vie quotidienne de l’époque.

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La "Passerelle d’Argenteuil", peinte en 1872, peut étonner : où était-elle ? En fait, cette passerelle en bois n’a pas duré très longtemps. Elle fut construite en urgence après la destruction du grand pont pendant la guerre de 1870 et quelques mois après la réalisation de l’œuvre artistique, la passerelle fut détruite et remplacée par un nouveau grand pont.

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À Louveciennes, Sisley a peint le même paysage à différentes saisons.

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La même vue en hiver, recouverte de neige.

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La Seine, fleuve fascinant par sa lumière, ses reflets, a été peinte aussi à Bougival.

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À Marly-le-Roi, une autre scène dans un paysage enneigé aurait été inspirée par Hiroshige.

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Dans la région de Fontainebleau,où il a séjourné à la fin de sa vie, Sisley a réalisé d’autres beaux paysages où les couleurs, le ciel, les reflets, les ombres frappent l’œil du visiteur dans un spectacle naturaliste.

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Le vieux village à Moret-sur-Loing a ainsi été peint par son habitant illustre.

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Ainsi que son église avec ses ombres, en "plein soleil".

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Après ce petit tour très modeste des œuvres de Sisley (qui a peint environ 1 500 toiles), je termine par cette petite réflexion du critique d’art et collectionneur, Adolphe Tavernier (1853-1945), en préface d’un catalogue consacré à des œuvres de Sisley (vente du 2 au 4 décembre 1907) : « Pourquoi ne pas écrire que Sisley nous apparaît, avec un apport nouveau bien entendu, comme le digne héritier de ce beau maître [Corot], en ces toiles exquises où la force le dispute à la grâce, la poésie à la distinction de la facture, surtout dans cette période de 1872 à 1876, où il produisit des chefs-d’œuvre ? ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 janvier 2019)
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Pour aller plus loin :
Alfred Sisley.
Salvador Dali.
Jean-Michel Basquiat.
Dernières heures parisiennes pour Egon Schiele.
Pierre Soulages, l'artiste mélanthrope, a 99 ans.
Rotraut Uecker.
Egon Schiele.
Banksy.
Marcel Duchamp.
Pablo Picasso.
Le British Museum et le monde des humains.
Yves Klein.
Le Tintoret.
Gustav Klimt.
Georges Méliès.
David Hamilton.
Paula Modersohn-Becker.
Auguste Rodin.
Margaret Keane.
Rouault et Matisse à Paris.
La garde rapprochée du Premier Empereur de Chine.
Un Renoir de la Côte d’Ivoire.
Magritte.
Daniel Cordier.
Boulez à Paris.
La collection Cordier à Rodez.
Soulages à Rodez.
Claude Lévêque à Rodez.
Caillebotte à Yerres.
Goya à Paris.
Brueghel à Paris.
Chagall à Paris.
Dali à Paris.
Van Gogh à Paris.
Hiroshige à Paris.
Manet à Paris.
Rembrandt à Paris.
Boltanski, artiste contemporain.
Boltanski au MacVal.

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27 janvier 2019 7 27 /01 /janvier /2019 16:09

Né le 18 avril 1930 à Angers, Jean Guillou fut un pianiste, organiste et compositeur français. Il fut titulaire de l'orgue de l'église Saint-Serge à Angers, puis l'élève d'Olivier Messiean et de Maurice Dupré au Conservatoire de Paris. Professeur d'orgue en 1955 à Lisbonne, puis en 1958 à Berlin, il fut titulaire des grandes orgues de l'église Saint-Eustache de Paris de 1963 à 2014 (à titre bénévole), sauf lors des travaux entre 1977 et 1989. Il a assuré l'accompagnement d'orgue pour encore beaucoup de messes du dimanche entre septembre 2014 et avril 2015. Au cours de son existence, il a fait beaucoup de récitals d'orgue et de piano partout dans le monde, et a composé près d'une centaine d'œuvres musicales. Il a par ailleurs enregistré plus d'une centaine de disques (notamment chez Universal-Philips-Decca). Il est aussi l'auteur de plusieurs ouvrages littéraires. L'enterrement de Jean Guillou a lieu le mardi 5 février 2019 à la cathédrale Notre-Dame de Paris.

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20190126-jean-guillou.html

 

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27 janvier 2019 7 27 /01 /janvier /2019 02:19

« J’ai frôlé la mort, je suis resté à l’hôpital pendant un mois. En la frôlant, c’est comme si on avait fait une répétition, je suis un peu mort, j’ai vu le purgatoire. » (Michel Legrand, le 19 septembre 2018).



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Pour lui, "retraite" était un mot qui n’était pas inclus dans son dictionnaire personnel. Il avait prévu de faire deux concerts au Grand Rex à Paris, les mercredi 17 et jeudi 18 avril 2019, avec Natalie Dessay, Michel Portal, Richard Galliano et Sylvain Luc, avec un hommage rendu à Claude Nougaro, et était envisagée aussi sa participation à des émissions l’été prochain pour une grande radio francophone. En fait, il avait prévu de faire neuf concerts en 2019 (le 21 février 2019 à Saint-Cloud, le 8 juin 2019 à Ottawa, le 9 juin 2019 à Montréal, le 12 juin 2019 à Québec, le 25 juin 2019 à Prague, le 26 juillet 2019 à Cahors, le 6 octobre 2019 à Bruxelles), un peu comme son collègue Ennio Morricone qui multiple actuellement les concerts dans le monde.

Il était donc loin d’être à la retraite : « Si je n’écris pas, si je ne joue pas, ma vie n’a plus de sens. La musique est en moi, elle m’accapare comme elle l’a toujours fait. Un musicien qui ne musique pas, c’est personne. Celui qui a inventé la retraite est un criminel. » (18 septembre 2018).

Effectivement, rien que pour l’année 2017, il a fait seize concerts pour fêter son 85e anniversaire (tant en France qu’en Russie, dans les Pays baltes, en Suisse, etc.), et pour l’année 2018, vingt-cinq concerts (notamment au Japon, en Grèce, en Espagne, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, etc.).

Par ailleurs, le 10 mars 2017, est sorti, sous le label Sony Classical en partenariat avec France Musique, un CD : "Michel Legrand : concerto pour piano et concerto pour violoncelle", avec Michel Legrand au piano, Henri Demarquette au violoncelle ainsi que l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par son directeur musical Mikko Franck : « Voici qu’aujourd’hui, ce qui sort de moi avec naturel, c’est enfin de la musique symphonique. », a-t-il dit, avec son grand sourire, le 26 février 2017 au journal de 20 heures sur France 2.

Ce qu’il y avait de fascinant avec Michel Legrand, qui s’est éteint dans la nuit, ce samedi 26 janvier 2019 à quelques jours de ses 87 ans (il est né le 24 février 1932 à Paris), c’était que pour lui, la musique était plurielle, forcément plurielle. Il n’y a pas d’une part, la musique dite classique (quelle est d’ailleurs sa définition ?), et d’autre part, la musique de films, le jazz, la chanson de variétés. Il faisait tout. C’est ce qu’il expliquait : « Depuis que je suis tout petit, mon ambition est de vivre complètement entouré de musique. Mon rêve est de ne rien manquer. C’est pourquoi je n’ai jamais opté pour une discipline musicale. J’aime jouer, diriger, chanter et écrire, et dans tous les styles. Je me tourne donc vers tout, pas seulement un peu de tout. Plutôt l’inverse. Je fais toutes ces activités à la fois sérieusement, sincèrement et avec un engagement profond. » (Son site Internet).

Le titre de son autobiographie (coécrite avec Stéphane Lerouge) donnait une idée du personnage fort sympathique qui vient de disparaître : "Rien n’est grave dans les aigus" (éd. Le Cherche Midi, 2013). Complétée par : "J’ai le regret de vous dire oui".

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Même s’il est l’un des grands représentants du génie artistique français, Michel Legrand fut plus récompensé aux États-Unis qu’en France, bien que le Président François Hollande l’ait fait commandeur de la Légion d’honneur le 31 décembre 2015. Connu et reconnu avant tout pour avoir composé la musique de près de deux cents films, et pas des moindres, il a reçu trois Oscars en 1969, 1972 et 1984 (et treize fois nommé) mais aucun César (bien que trois fois nommé). Certes, la Cinémathèque française lui a rendu un grand hommage en 2009, pour les cinquante ans de sa carrière, et surtout, il a reçu deux Palmes d’Or au Festival de Cannes en 1964 et 1971.

Michel Legrand fut l’élève de Nadia Boulanger, ce qui l’a beaucoup marqué car avec une si solide formation, il pouvait tout faire. Dans l’émission "Les Grands Entretiens" enregistrée le 9 février 2017 au micro du producteur de l’émission Jean-Baptiste Urbain et diffusée sur France Musique le 5 avril 2017, Michel Legrand confia cette anecdote : « Un jour où j’étais dans la classe de Nadia Boulanger, je rencontre Igor Stravinski dont elle était amie intime et dont nous déchiffrions régulièrement les partitions manuscrites à trois pianos. Alors que je le questionnais sur l’analyse de ses œuvres, il me dit : "J’ai une confidence à te faire, mon petit : quand on est un vrai créateur, on ne sait pas très bien ce qu’on fait". À ses mots, je me suis libéré et je me suis enfin dit : la musique va venir à moi dans le silence. ».

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Issu d’une famille de musiciens, Michel Legrand fut musicien dans tous les sens du terme : compositeur, chef d’orchestre, pianiste, chanteur, joueur de jazz, accompagnateur, arrangeur. Il a commencé au début des années 1950 dans la chanson de variété, comme accompagnateur et arrangeur aux côtés de Zizi Jeanmaire, Ella Fitzgerald, Aretha Franklin, Barbra Streisand, Nana Mouskouri, Henri Salvador, Maurice Chevalier, Charles Aznavour, Claude Nougaro, Frank Sinatra, Raymond Devos, etc. Il a eu aussi une carrière américaine de jazzman, à la fin des années 1950, notamment aux côtés de Miles Davis, John Coltrane, Quincy Jones, Ray Charles, Paul Chambers, Bill Evans, Gerry Mulligan, Stan Getz, Guy Pedersen, etc.

Au début des années 1960, Michel Legrand s’est quasi-exclusivement consacré à la musique de films : « J’ai fait du cinéma car je n’étais pas reconnu par le milieu musical. » ("Les Grands Entretiens", 2017). Il a véritablement laissé son talent se développer en innovant dans la comédie musicale à la française.

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Parmi les nombreux films auxquels Michel Legrand a participé, on peut citer "La Baie des Anges" de Jacques Demy (sorti le 1er mars 1963), "Les Parapluies de Cherbourg" de Jacques Demy (sorti le 19 février 1964), "Les Demoiselles de Rochefort" de Jacques Demy (sorti le 8 mars 1967) avec Vladimir Cosma, "L’Affaire Thomas Crown" de Norman Jewison (sorti le 19 juin 1968), "La Piscine" de Jacques Deray (sorti le 31 janvier 1969), "Peau d’âne" de Jacques Demy (sorti le 16 décembre 1970), "Les Mariés de l’an II" de Jean-Paul Rappeneau (sorti le 7 avril 1971), "Un été 1942" de Robert Mulligan (sorti le 9 avril 1971), "Atlantic City" de Louis Malle (sorti le 3 septembre 1980), "Les Uns et les Autres" de Claude Lelouch (sorti le 27 mai 1981) avec Francis Lai, "Yentl" de Barbra Streisand (sorti le 16 novembre 1983), "Paroles et Musique" d’Élie Chouraqui (sorti le 19 décembre 1984), "Palace" d’Édouard Molinaro (sorti le 23 janvier 1985), "Les Misérables" de Claude Lelouch (sorti le 22 mars 1995) avec notamment Francis Lai et Didier Barbelivien, "La Bûche" de Danièle Thompson (sorti le 24 novembre 1999), etc. Le dernier film auquel il a collaboré est "Les Gardiennes" de Xavier Beauvois (sorti le 6 décembre 2017). Il a aussi travaillé pour des téléfilms et même un opéra.

Michel Legrand s’est aussi produit, dans des disques (il en a enregistré plus de cent !), concerts, spectacles ou participations à des émissions de télévision avec notamment Maurice André, Nicolas Folmer, Iggy Pop, Laurent Gerra, Carla Bruni, Olivia Ruiz, Hélène Segara, Lambert Wilson, Thomas Dutronc, Muriel Robin, Yves Saint Laurent, Francis Lai, Sarah Vaughan, Maurane (qui est partie quelques mois avant lui, le 7 mai 2018) et Natalie Dessay qui a repris la comédie musicale "Les Parapluies de Cherbourg" en septembre 2014 au Théâtre du Châtelet (avec des décors de Sempé).

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En octobre 2013, Michel Legrand et Natalie Dessay ont enregistré dix-huit chansons pour le CD "Elle et Lui" (qu’ils ont interprétées notamment à l’Olympia à Paris les 27 et 28 octobre 2013, et à l’Opéra de Nancy le 3 novembre 2013). De plus, à partir du 14 novembre 2018, est représentée l’adaptation scénique de "Peau d’Âne" au Théâtre Marigny à Paris, notamment avec Claire Chazal (tous les jours sauf le lundi, et cela jusqu’au 19 février 2019).

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Pour rendre hommage à ce musicien exceptionnel, voici quelques-unes de ses créations les plus fameuses.


1. "Les Moulins de mon cœur" (film "L’Affaire Thomas Crown").






2. "Les Parapluies de Cherbourg".






3. "Je ne pourrai pas vivre sans toi" (avec Maurane).






4. "Un été 42".






5. "Papa Can You Hear Me ?" (film "Yentl" avec Barbra Streisand).






6. Un Parfum de fin du monde" : « On s’endormira puisque tout sera le grand sommeil. » (film "Les Uns et les Autres").






7. "Entre Elle et Lui" (avec Natalie Dessay).





Indiquons enfin que ce lundi 28 janvier 2019 dans la soirée, la chaîne Arte rediffuse le documentaire consacré à Michel Legrand qu’elle avait diffusé le soir de Noël, le 25 décembre 2018, "Sans demi-mesure", qui est un excellent portrait du musicien. Un hommage très mérité rendu de son vivant. Il vivra encore de très nombreuses années à travers ses œuvres.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 janvier 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Site officiel.
Michel Legrand.
Francis Poulenc.
Ennio Morricone.
Francis Lai.
Georges Bizet.
George Gershwin.
Maurice Chevalier.
Leonard Bernstein.
Jean-Michel Jarre.
Pierre Henry.
Barbara Hannigan.
György Ligeti.
Claude Debussy.
Binet compositeur.
Pierre Boulez.
Karlheinz Stockhausen.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190126-michel-legrand.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/michel-legrand-le-grand-seigneur-212082

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/01/26/37050790.html





 

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23 janvier 2019 3 23 /01 /janvier /2019 03:35

« Ne craignez pas d’atteindre la perfection, vous n’y arriverez jamais ! » (Salvador Dali).


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La perfection, il ne l’a peut-être pas atteinte, mais il s’en est quand même beaucoup approché. Salvador Dali est mort à Figueras il y a trente ans, le 23 janvier 1989, à l’âge de 84 ans (il est né à Figueras le 11 mai 1904).

Incontestablement, Salvador Dali a dominé le Vingtième Siècle par son art, son surréalisme, sa peinture, ses sculptures, ses autopromotions, et surtout, ses excès. On aurait pu dire la même chose de Picasso, mais l’excentricité de Dali qui en a fait un hypernombriliste mondialisé bien avant l’arrivée des réseaux sociaux sur le Web, avec ses yeux d’illuminé, a été un accompagnement marketing efficace, à la fois agaçant mais également amusant, par sa loufoquerie farfelue de son œuvre réellement géniale, qui regroupe les deux qualités intrinsèques d’un.excellent artiste : la maîtrise totale de la technique et l’originalité exceptionnelle de la composition.

De plus, fasciné par les progrès de la science, Salvador Dali n’a pas hésité à se resservir dans ses œuvres des dernières découvertes scientifiques, comme la physique quantique, la physique nucléaire, les mathématiques avec l’hypercube (cube en quatre dimensions) qu’il a utilisé audacieusement pour une représentation de Jésus-Christ en 1954 ("Corpus hypercubus"), la génétique qu’il a évoquée en 1963 pour rendre hommage aux deux découvreurs de l’ADN, Francis Crick et James Watson ("Galacidalacidesoxyribonucleicacid"), etc., et il n’a pas hésité non plus à utiliser quelques farces techniques, comme les illusions d’optique, l’holographie et même des procédés stéréoscopiques. En ce sens, il fut un artiste complet et global. Il lisait les livres de Stephen Hawking et de René Thom.
 



Par provocation, Salvador Dali a publié le "Manifeste de l’antimatière" en 1958 à New York : « J’étudie, je veux découvrir le moyen de transmuter mes œuvres en antimatière. Il s’agit d’appliquer une nouvelle équation formulée par le docteur Werner Heisenberg (…). Moi qui n’admirais que Dali, je commence à admirer cet Heisenberg qui me ressemble. » (Cité par Carme Ruiz, du Centre d’Études Dalieniennes, dans "Pasaje a la Ciencia" n°13, 2010). Dans "Le Figaro", il expliqua : « Je crois que les artistes devraient avoir des notions scientifiques pour avancer sur un autre terrain, celui de l’unité. » (Cité par Carme Ruiz).

Cette curiosité scientifique le faisait fréquenter régulièrement des scientifiques dont il parla ainsi : « Ils me trouvent tous sympathique (…). Mon seul avantage est de ne connaître rien à rien, ça me permet de mettre en pratique mes caprices les plus capricieux et les plus irrationnels, en me basant sur mes petites lectures. Et comme je suis doué d’un certain génie, il m’arrive de dire des choses qui ne leur semblent pas si improbables que ça. » (Cité par Carme Ruiz).

Citées de façon très pertinente par Wikipédia, je reproduis ici les réflexions de deux illustres académiciens qui ont adoré Salvador Dali, propos qui résument assez bien à la fois l’œuvre et le personnage.

Michel Déon (1919-2016) : « Ce qui est le plus aimable, en Dali, ce sont ses racines et ses antennes. Racines plongées profondément sous terre où elles vont à la recherche de tout ce que l’homme a pu produire de succulent (selon un de ses trois mots favoris) et quarante siècles de peinture, d’architecture et de sculpture. Antennes dirigées vers l’avenir qu’elles hument, prévoient et comprennent avec une foudroyante rapidité. Il ne sera jamais assez dit que Dali est un esprit d’une curiosité insatiable. ».

Jean Dutourd (1920-2011) : « Salvador Dali, qui était très intelligent, avait compris plusieurs choses qui, généralement, échappent aux artistes, la première étant que le talent (ou le génie) est une baraque foraine. Pour attirer les clients, il faut bonimenter, avoir la langue bien pendue, faire des pitreries et des cabrioles sur une estrade. Ce en quoi Dali, dès ses débuts, excella. Il considérait qu’il était le plus grand peintre du XXe siècle, c’est-à-dire un artiste classique ayant eu la malchance de tomber dans une basse époque de son art. Les Trissotin de l’intelligentsia occidentale et les bourgeois à leur suite faisaient la loi, c’est-à-dire l’opinion. Il y a deux façons de concilier ces gens-là, dont dépendent les réputations ; la première est d’être aussi grave qu’eux, aussi imbu de sa dignité. Ils reconnaissent aussitôt un membre de la tribu et savent le lui montrer. L’inconvénient est que pour réussir une telle attitude, il faut être soi-même un peu un imbécile (…). Il ne lui restait que l’autre issue qui est la provocation, c’est-à-dire les extravagances et l’imprévu en pensée autant qu’en paroles, la sincérité brutale, le goût de la facétie, l’iconoclastie à l’égard de tout ce qui est à la mode et de ce fait est intouchable. ».

En France, ceux qui ont l’occasion d’être à Paris (habitants ou visiteurs) sont encouragés à venir visiter le "petit" musée à Montmartre consacré à Salvador Dali. J’avoue ne pas l’avoir connu quand, un jour, je me suis promené à Montmartre et me suis retrouvé par hasard face à l’entrée, et ce fut une réjouissance d’autant plus grande qu’elle était permanente. Quelques peintures, quelques sculptures, une librairie, sont là pour apporter à Paris sa petite contribution. Il ne vaut pas le Musée Picasso à Paris pour Picasso, mais il est heureux de savoir qu’il existe à Paris ce "petit" musée qui reste la plus importante collection permanente présentée en France, comprenant environ 300 œuvres (au 11 rue Poulbot, musée inauguré en 1991).

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Un autre musée est absolument à visiter par les voyageurs qui ont l’occasion de se rendre sur la côte méditerranéenne en Espagne, peu après la frontière française, à Figueras, la ville natale de l’artiste, puisque le bâtiment est lui-même une œuvre d’art monumentale de Dali, à son image excessive et loufoque, à l’emplacement de l’ancien théâtre municipal de la ville qui a été détruit pendant la guerre civile espagnole : « Je veux que mon musée soit d’un seul bloc, un labyrinthe, un grand objet surréaliste. Ce sera un musée complètement théâtral. Les visiteurs qui viendront le voir repartiront avec la sensation d’avoir fait un rêve théâtral. ». Ce musée a été inauguré le 28 septembre 1974, mérite que le visiteur y consacre toute la journée, et est la dernière demeure de Salvador Dali qui repose embaumé dans la crypte depuis le 25 janvier 1989 dans un parfait état de conservation (constaté lorsque son corps fut brièvement exhumé le 20 juillet 2017 pour un test de paternité à Madrid, test négatif pour une femme qui prétendait être sa fille).

Il existe bien sûr d’autres musés Dali, dont le plus grand est situé aux États-Unis, à Saint Petersburg, en Floride, inauguré le 7 mars 1982, regroupant la plus grande collection permanente des œuvres de Dali au monde (plus de 2 000 œuvres acquises par un couple de mécènes pendant près d’un demi-siècle) autrefois présentée près de Cleveland, dans l’Ohio.

Mais on peut aussi considérer que l’Internet est un musée global qu’on peut visiter bien assis confortablement dans son fauteuil. Je propose ici quelques œuvres que j’ai appréciées de Salvador Dali et qui ont été exposées lors de la grande rétrospective Dali au Centre Pompidou à Paris du 21 novembre 2012 au 25 mars 2013.

On pourra ainsi, dans ce musée virtuel, revoir son œuvre la plus connue, "La Persistance de la mémoire" (1931) composée de plusieurs montres molles qui ont pris modèles, très basiquement, sur des camemberts coulants.

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"Le Grand Masturbateur" (1929), en plus de son titre et de sa composition provocateurs, multiplie les détails qui en font, comme très souvent chez Dali, une œuvre très riche en interprétations au point d’être analysée bien plus profondément que la volonté même de l’auteur.

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On pourra aussi regarder un coucher du soleil sans soleil mais avec œuf, "Œufs sur le plat (sans le plat)" (1932), qui fait penser à un suicide par pendaison.

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Ou encore déceler "L’Homme invisible" (1932) où l’on distinguera toujours les fesses de sa muse éternelle Gala, à une époque où il venait de la connaître, épouse de Paul Eluard.

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Le "Bureaucrate moyen atmosphérocéphale, dans l’attitude de traire du lait d’une harpe crânienne" (1933) donne une idée amusante d’une critique de la bureaucratie qui saigne le contribuable jusqu’à l’os, encore plus valable quatre-vingt-cinq années plus tard qu’à l’époque où il a été peint.

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Le troublant "Pieta" (1958) avec sa perspective révolutionnaire et sa fleur de tournesol montre à quel point, au-delà aussi de l’hyper Christ déjà cité ici, Dali a su renouveler les représentations religieuses, notamment de l’Ascension.

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La "Métamorphose de Narcisse" (1937) apporte elle aussi son lot d’imbrications et de complexité avec une vague idée du Penseur de Rodin après épuisement de la pensée (le front reposant sur un genou au lieu du menton reposant sur une main).

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Enfin, je termine modestement par cet hommage à Claude Le Lorrain, "La main de Dali retirant une Toison d’or en forme de nuage pour montrer à Gala l’aurore toute nue, très, très loin derrière le soleil" (1977) qui donne une idée de l’obsession récurrente de son amour pour Gala et de sa capacité à reproduire les grands classiques de la peinture. Et l’on comprend pourquoi Gala a été son obsession : « Je considère l’amour comme l’unique attitude digne de la vie de l’homme. ». Ce qui est un brin plus positif qu’un autre provocateur, Michel Houellebecq !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 janvier 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Site officiel du Théâtre-Musée Dali à Figueras.
Salvador Dali.
Jean-Michel Basquiat.
Dernières heures parisiennes pour Egon Schiele.
Pierre Soulages, l'artiste mélanthrope, a 99 ans.
Rotraut Uecker.
Egon Schiele.
Banksy.
Marcel Duchamp.
Pablo Picasso.
Le British Museum et le monde des humains.
Yves Klein.
Le Tintoret.
Gustav Klimt.
Georges Méliès.
David Hamilton.
Paula Modersohn-Becker.
Auguste Rodin.
Margaret Keane.
Rouault et Matisse à Paris.
La garde rapprochée du Premier Empereur de Chine.
Un Renoir de la Côte d’Ivoire.
Magritte.
Daniel Cordier.
Boulez à Paris.
La collection Cordier à Rodez.
Soulages à Rodez.
Claude Lévêque à Rodez.
Caillebotte à Yerres.
Goya à Paris.
Brueghel à Paris.
Chagall à Paris.
Dali à Paris.
Van Gogh à Paris.
Hiroshige à Paris.
Manet à Paris.
Rembrandt à Paris.
Boltanski, artiste contemporain.
Boltanski au MacVal.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190123-salvador-dali.html

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/salvador-dali-le-succulent-genie-211945

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/01/21/37036926.html





 

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17 janvier 2019 4 17 /01 /janvier /2019 03:12

« Inscrite dans le XXe siècle finissant, l’œuvre de Basquiat ne cesse d’affirmer son caractère précurseur pour le XXIe siècle. Répétition, collage, inscription fonctionnant en réseaux, font de lui une figure annonciatrice de l’ère d’Internet telle que nous la connaissons aujourd’hui. Lorsqu’il disparaît en 1988, la révolution numérique commence à se propager. Elle fait écho à l’accélération des échanges culturels planétaires à travers la globalisation, la mondialisation ou la "mondialité" pour reprendre le terme d’Édouard Glissant [grand écrivain martiniquais (1928-2011)]. » (Suzanne Pagé, 2018, notice de l’exposition).



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J’ai récemment fait état de l’exposition sur Egon Schiele à la Fondation Louis Vitton au Bois de Boulogne à Paris. Je l’avais visitée pour Egon Schiele et elle était couplée avec une autre exposition sur un artiste très important à l’autre extrémité du XXe siècle, Jean-Michel Basquiat, dont je connaissais très peu les œuvres.

Au contraire de celle sur Egon Schiele qui a fini le 14 janvier 2019, l’exposition sur Jean-Michel Basquiat a été prolongée exceptionnellement d’une semaine avec une ouverture exceptionnelle tous les jours de cette semaine, de 8 heures à 22 heures du mardi 15 au jeudi 21 janvier 2019. Si vous arrivez avant 9 heures 30, le musée vous offre même un café ! C’est une grande chance pour les visiteurs retardataires, car plus de cent vingt œuvres du peintre sont exposées, dans huit salles du bâtiment moderniste, ce qui en donne une vue impressionnante de débordement d’énergie.

Pour la clôture de l’exposition, le lundi 21 janvier 2019 à 20 heures 30, le célèbre Ensemble intercontemporain (créé par Boulez) a prévu de faire un concert dans l’Auditorium de la Fondation Louis Vuitton, dirigé par le compositeur et chef d’orchestre Matthias Pintscher (avec Bryce Dessner) avec au programme, notamment une création mondiale de Matthias Pintscher, commandée par le musée de Bernard Arnault pour l’occasion.

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Revenons à Jean-Michel Basquiat et évoquons rapidement sa trajectoire avant ses œuvres. Malheureusement, la trajectoire est rapide. Comme Egon Schiele, ce fut une sorte d’étoile filante de l’art qui a brillé d’une très forte énergie pendant un court moment, à peine dix ans.

Né le 22 décembre 1960 à New York dans une famille de classe moyenne dont la mère est d’origine portoricaine et le père d’origine haïtienne, ce qui explique un nom très francophone (l’artiste parlait d’ailleurs couramment les trois langues, l’anglais, l’espagnol et le français). Enfant, il fut sensibilisé à l’art, visitant notamment (et souvent) le MoMA (le très célèbre Musée d’art moderne de New York). Son univers d’enfant fut la boxe, le jazz et l’art. Les parents divorcés, il a vécu deux ans à Porto Rico pendant son adolescence puis retourna à New York.

Rejeté par sa famille, il a quitté très vite l’école pour se consacrer à l’art, au départ, l’art des rues, des graffitis, qui préfiguraient déjà son style, à l’âge de 16 ans, avec d’autres amis chez qui il vivait, et rapidement, il commença à être connu, à défaut encore d’être reconnu, pour son génie extrêmement créatif dès 1980.

Cette même année, il rencontra Andy Warhol (1928-1987) avec qui il a eu plus tard (1982-1985) une collaboration très fructueuse à laquelle une salle entière de l’exposition de la Fondation Louis Vuitton a été consacrée. Les deux artistes sont devenus rapidement de bons amis, et Jean-Michel Basquiat était allé vers Andy Warhol à l’origine pour booster sa carrière artistique. Andy Warhol fut cependant critiqué pour avoir voulu "exploiter" son ami : « C’est moi qui ai aidé Andy Warhol à peindre ! Cela faisait vingt ans qu’il n’avait pas touché un pinceau. Grâce à notre collaboration, il a pu retrouver sa relation à la peinture. (…) La production de peintures collectives nous a permis d’affirmer notre identité, chacun donnant à, prenant de, affectant l’autre. » (Jean-Michel Basquiat).

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Le peintre américain René Ricard a rendu hommage aux travaux de Jean-Michel Basquiat dans un article "The Radiant Child" (l’enfant radieux) publié en décembre 1981 dans le magazine Artforum, un magazine spécialisé dans l’art contemporain, ce qui l’a fait connaître et surtout reconnaître comme un artiste majeur.

Dès mars 1983, Jean-Michel Basquiat, qui n’a alors que 22 ans et fut ainsi l’un des artistes les plus jeunes à être exposés, exposa ses œuvres à la Biennale du Whitney Museum of American Art, dont l’objectif est de faire connaître les nouveaux artistes majeurs. Il a connu le succès très vite et très jeune. D’une force formidable, il a réalisé en une dizaine d’années près de sept cents œuvres très impressionnantes.

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Comme Egon Schiele, Jean-Michel Basquiat est mort très jeune, à seulement 27 ans, il y a trente ans, le 2 août 1988, à New York, d’une overdose de cocaïne et d’héroïne. Il avait été très ébranlé par la mort d’Andy Warhol le 22 février 1987 et avait plongé dans une sorte de dépression et toxicomanie qui lui enlevèrent son inspiration.

Parlons de son œuvre, maintenant. Quand j’ai fini l’exposition sur Egon Schiele pour laquelle je m’étais rendu à la Fondation Louis Vuitton, je ne pensais pas y voir les œuvres de Basquiat. Happé par la première salle, j’y suis finalement allé avec une certaine réticence qui s’est vite étiolée. Les rares et vagues idées que j’avais de l’artiste ne prêtaient en effet pas à approfondir sa connaissance. Je me disais que Basquiat dessinait et peignait comme un enfant de quatre ou cinq ans…

C’est ce qu’on aurait pu dire aussi de Picasso qui a beaucoup inspiré Basquiat : « Picasso est venu à l’art primitif pour redonner ses lettres de noblesse à l’art occidental, et moi, je suis venu à Picasso pour donner ses lettres de noblesse à l’art dit primitif. » (Jean-Michel Basquiat).

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Au fil des œuvres et des salles que j’ai visitées sur Basquiat, mon a priori fut vite dissipé. J’ai vu en Basquiat un artiste très subtil, très cultivé (littérature, art, histoire, religion, bande dessinée, économie, Antiquité grecque et romaine, culture africaine, musique, sport, médecine, etc.), et surtout, qui avait beaucoup de choses à dire, qui était un bouillonnement permanent d’idées, de mots (il y a de nombreuses œuvres remplies de mots, de phrases, etc.), de messages : « L’obsession compulsive pour le dessin constitue (…) le vecteur immédiat d’un corps jeune, lieu de toutes les énergies, tendu par une véritable rage à dire dans l’urgence. La conscience d’une mission, quasi christique, serait un autre trait commun avec Schiele. Un rapport essentiel aux mots aussi. » (Suzanne Pagé).

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Insistons sur la culture de Basquiat exprimée par Suzanne Pagé, la commissaire générale de l’exposition : « De fait, éminemment actuel, Basquiat n’aurait pu avoir une telle prégnance dans le futur sans s’appuyer sur une vraie connaissance et sur la compréhension sensible de l’art du passé. Ce dernier indice, parmi d’autres, d’une profonde appétence de savoir, contredit d’ailleurs la fable du supposé autodidacte sauvage. Il témoigne de sa formidable et très riche culture, totalement polyphonique. Avec des prédispositions d’ouverture liées à ses doubles racines haïtienne et portoricaine, l’artiste absorbe tout, tel un buvard, mixant l’apprentissage de la rue à un répertoire d’images, de héros et de symboles issus des cultures les plus diverses. ».

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Basquiat voulait promouvoir l’art primitif, se sentait en communauté avec les Américains d’origine africaine. Beaucoup de ses messages concernent d’ailleurs le racisme de l’Amérique des années 1960, celle qu’il a vécue quand il était enfant. Basquiat est d’ailleurs une figure de personnalités "noires" (c’est-à-dire à peau noire) qui est adulée au même titre que Nelson Mandela, Desmond Tutu, Martin Luther King, Bob Marley, etc. : « Je ne suis jamais allé en Afrique. Je suis un artiste qui a subi l’influence de son environnement new-yorkais. Mais je possède une mémoire culturelle. Je n’ai pas besoin de la chercher, elle existe. Elle est là-bas, en Afrique. Ca ne veut pas dire que je dois aller vivre là-bas. Notre mémoire culturelle nous suit partout, où que nous nous trouvons. » (Jean-Michel Basquiat).

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La notice de l’exposition souligne d’ailleurs l’une des sources d’inspiration de Basquiat : « L’absence des artistes noirs apparaît avec une douloureuse évidence ; l’artiste s’impose alors de faire exister, à parité, les cultures et les révoltes africaines et afro-américaines dans son œuvre. ». Dieter Buchhart, commissaire invité de l’exposition, a complété : « Basquiat se reflète, comme en un miroir, dans ses figures de boxeurs noirs et de musiciens de jazz, mais aussi de victimes de la brutalité policière et du racisme au quotidien. Il relie l’Atlantique noire, la diaspora africaine, l’esclavage, le colonialisme, la répression et l’exploitation avec la période dans laquelle il vit, le New York des années 1980, ne perdant jamais de vue ses propres conditions d’existence ni celles de l’humanité en général. ».

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Comme le disait Soulages pour justifier ses toiles géantes, il faut voir les œuvres Basquiat dans leur réalité physique : souvent, ses peintures et dessins sont géants, et donc très impressionnants. C’est vrai des visages à la mâchoire bien visible, les thèmes en général de ses peintures font très rapidement penser à la mort, à l’idée de mort, au temps et à l’existence qui passent. C’en est justement plus impressionnant.

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L’une de ses œuvres les plus impressionnantes est justement cette chevauchée avec la mort ("Riding with Death", pour la première fois visible à Paris avec cette exposition) réalisée quelques semaines avant sa propre mort (reprenant de nombreuses références classiques : Léonard de Vinci, Dürer, Rembrandt, etc.).

L’autre élément très marquant de cette visite, ce sont les couleurs, ce que Bernard Arnault appelle « cette énergie graphique et électrique ». Elles impressionnent autant que la densité des œuvres elle-même. Elles envahissent l’esprit et le cœur, elles séduisent, elles contraignent, elles imposent, elles valorisent. Elles font de l’humanité en général un ciel majestueux, ou destructeur. Les couleurs sont comme celles du coucher du soleil, toujours différentes et pourtant, déjà, on les reconnaît. Le style de Basquiat est reconnaissable parmi mille autres styles. La marque de l’artiste est absolument remarquable.

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Avec cette exposition, on ne peut nier le talent artistique de Basquiat parce que certaines œuvres le montrent réellement. Les motifs qui ont l’air très naïfs sont volontairement primitifs. Basquiat considérait que les dessins d’enfants étaient forcément très forts car ils montraient une réalité perçue par l’enfant, sans les filtres de la vie sociale : « Oui, j’aime les dessins d’enfants. Et ce qui me plaît vraiment et qui m’a influencé, ce sont les travaux des enfants entre trois et quatre ans. Je fuis la logique linéaire de l’adulte pour m’approcher de la logique immédiate de l’enfant. Comme eux, j’aime "pêcher" dans l’histoire de l’art. » (Jean-Michel Basquiat).

L’une des raisons d’avoir voulu coupler les deux expositions sur Schiele et Basquiat, ce fut, comme l’a expliqué Dieter Buchhart, la ligne : « Dans les deux expositions, l’accent est mis sur le rôle jouée par leur ligne inimitable. Tout comme l’art de Schiele présage l’imminence et les horreurs de deux guerres mondiales, les œuvres de Basquiat répercutent les attaques contre l’humanité replacées dans les contextes du colonialisme, de l’esclavage et du racisme, mais aussi dans leur environnement contemporain. Chez les deux artistes, la ligne représente l’expérience limite entre vie et mort, le seuil où, comme le note Schiele en 1910, "tout est mort vivant". De même qu’elle sert à Schiele d’outil pour exprimer une évolution et un inévitable pourrissement, la ligne, chez Basquiat, ouvre les têtes et les corps pour en révéler l’anatomie interne, les nerfs, les veines, les tendons et les os. Du fait de la radicalité stupéfiante de leur dessin, le trait, la ligne comme intentionnalité, autorisent une expérience dissonante et divergente du contour, dans un processus d’ouverture et de libération. ».

Notons d’ailleurs que Basquiat était un grand amateur d’anatomie humaine, discipline qui l’avait marqué, car sa mère lui avait offert un livre d’anatomie ("Henry Gray’s Anatomy of Human Body") lorsqu’il fut immobilisé à l’hôpital à l’âge de 7 ans à la suite d’un grave accident de voiture (une voiture l’avait heurté dans la rue). Cette anecdote peut aider à comprendre nombreuses de ses œuvres.

Si Basquiat a été "accueilli" ainsi à la Fondation Louis Vuitton, c’est parce qu’il est considéré comme « l’une des plus importantes figures de l’histoire de l’art » et « un artiste qui a radicalement renouvelé la pratique du dessin et le concept même d’art ». Ayant conçu lui-même le parcours de la visite, Dieter Buchhart a développé : « Par son approche qui rappelle le copier-coller, il a introduit une convergence entre plusieurs disciplines et conceptions, ouvrant ainsi de nouveaux espaces de pensée, anticipant notre société Internet et post-Internet et les formes contemporaines de communication et de réflexion. Depuis le début des années 1990, la perception et l’analyse de son travail ont évolué. L’accent mis naguère sur le rôle dans l’histoire de la peinture a glissé vers une vision plus conceptuelle, qui jette un éclairage revivifiant sur son procédé d’échantillonnage des sources et des techniques, y compris son utilisation du collage et de la sérigraphie, le replaçant au sein du temps présent où prévalent les réseaux sociaux, la surveillance et la connexion ininterrompue. ».

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Président de la Fondation Louis Vuitton, Bernard Arnault, qui a confié que Basquiat fut « aux origines de [sa] propre collection » (« Je lui dois beaucoup de ma passion pour l’art en général, pour l’art contemporain en particulier. »), a commenté ainsi l’œuvre du peintre : « La complexité de son œuvre n’a pour égale que l’immédiateté et une spontanéité des sentiments qu’elle provoque. En cela, Jean-Michel Basquiat a anticipé notre époque : une période de contradictions, de relations inattendues et d’intensités où la création doit nous servir de clef de lecture, de valeur cardinale. ».

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Mais, devant l’art, ce qui compte avant tout, ce n’est pas la compréhension intellectuelle mais l’émotion qui frappe les cœurs. Elle est encore présente jusqu’à ce lundi 21 janvier 2019. Aujourd’hui, s’il était encore vivant, Jean-Michel Basquiat n’aurait que… 58 ans.

Informations pratiques sur la Fondation Louis Vuitton :
www.fondationlouisvuitton.fr/
8 avenue du Mahatma Gandhi au Bois de Boulogne, 75116 Paris.
Derniers jours pour Jean-Michel Basquiat : tous les jours de 8 heures à 22 heures jusqu’au lundi 21 janvier 2019.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 janvier 2019)
http://www.rakotoarison.eu


(Les photographies des œuvres de Jean-Michel Basquiat, sauf la première et la dernière, sont issues du site www.fondationlouisvuitton.fr).


Pour aller plus loin :
Dossier de presse de l’exposition.
Jean-Michel Basquiat.
Dernières heures parisiennes pour Egon Schiele.
Pierre Soulages, l'artiste mélanthrope, a 99 ans.
Rotraut Uecker.
Egon Schiele.
Banksy.
Marcel Duchamp.
Pablo Picasso.
Le British Museum et le monde des humains.
Yves Klein.
Le Tintoret.
Gustav Klimt.
Georges Méliès.
David Hamilton.
Paula Modersohn-Becker.
Auguste Rodin.
Margaret Keane.
Rouault et Matisse à Paris.
La garde rapprochée du Premier Empereur de Chine.
Un Renoir de la Côte d’Ivoire.
Magritte.
Daniel Cordier.
Boulez à Paris.
La collection Cordier à Rodez.
Soulages à Rodez.
Claude Lévêque à Rodez.
Caillebotte à Yerres.
Goya à Paris.
Brueghel à Paris.
Chagall à Paris.
Dali à Paris.
Van Gogh à Paris.
Hiroshige à Paris.
Manet à Paris.
Rembrandt à Paris.
Boltanski, artiste contemporain.
Boltanski au MacVal.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181105-jean-michel-basquiat.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/jean-michel-basquiat-l-enfant-211738

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/01/16/37021508.html



 

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12 janvier 2019 6 12 /01 /janvier /2019 03:10

« La ligne détermine la pratique artistique d’Egon Schiele, dessinateur compulsif. Au cours d’une carrière courte mais prolifique, sa ligne évolue continûment  et de façon spectaculaire. L’évolution de son trait inimitable ne relève pas seulement d’une démarche stylistique radicale, mais bien de l’expression de l’expérience humaine au travers de la forme. » (Présentation de l’exposition).



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Depuis le 3 octobre 2018 a lieu à la Fondation Louis Vuitton la première exposition monographique d’Egon Schiele à Paris depuis un quart de siècle (dirigée par la commissaire générale Suzanne Pagé). Cette exposition ferme ses portes ce lundi 14 janvier 2019 et malgré son grand succès, elle ne sera pas prolongée en raison des conditions de conservation des œuvres.

Plus d’une centaine de ses œuvres y font le bonheur des visiteurs, parfois provenant de collections privées dont des pièces rares qui sont rarement présentées au grand public : « La générosité des uns et des autres est d’autant plus appréciée qu’en cette année d’anniversaire de la mort de Schiele, les institutions viennoises, dont les collections sont parmi les plus riches à cet égard, n’ont pu se départir de leurs œuvres en vue de cette légitime célébration dans son propre pays. » (Suzanne Pagé).

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La Fondation Louis Vuitton est un nouveau musée parisien ouvert au public depuis le 27 octobre 2014, à statut privé sur un domaine public municipal (avec une convention d’occupation de 55 ans à compter du 1er janvier 2007), qui a été construit par l’architecte Frank Gehry, habitant à Los Angeles. Créée à l’initiative de Bernard Arnault en octobre 2006, cette fondation s’inscrit dans le mécénat pour l’art et la culture développé par le groupe LVMH : « un espace nouveau qui ouvre le dialogue avec un large public et offre aux artistes et aux intellectuels une plateforme de débats et de réflexion ». Avec trois missions principales : promouvoir la création actuelle, accompagner les visiteurs dans une mission pédagogique, et ouvrir le dialogue avec les intellectuels, les artistes et tous les publics.

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J’ai déjà évoqué Egon Schiele il y a quelques semaines ici. Génie du dessin, il est mort jeune à l’âge de 28 ans le 31 octobre 1918 de la grippe espagnole. En une dizaine d’années, il a su laisser des milliers de dessins et peintures, parfois particulièrement audacieux et interdits d’exposition, qui révèlent une très grande maîtrise de son art et un style qui lui est propre, très reconnaissable.

Cité dans la notice officielle, le commissaire invité de cette exposition, Dieter Buchhart a ainsi affirmé : « Très rares sont les artistes qui ont abordé la ligne et le dessin avec autant de virtuosité et d’intensité que Schiele. (…) En faisant évoluer la ligne ornementale vers la ligne expressionniste, combinée, modelée en trois dimensions, fragmentées et amputées, il a rendu possible une expérience limite dissonante et divergente de la ligne comme signe de l’existence humaine. ».

L’exposition s’étend sur plus de six cents mètres carré, dans les salles du rez-de-bassin de la très pittoresque Fondation Louis Vuitton, au Bois de Boulogne. Malgré ce grand espace dédié, dans un cadre très intimiste, il est parfois difficile de prendre sereinement le temps du regard avec autant de visiteurs. Quatre parties ont été proposées pour comprendre l’évolution de l’art d’Egon Schiele, suggéré par Dieter Buchhart.

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D’abord, la "ligne ornementale" (1908-1909) qui est très inspirée de son ami Gustav Klimt. Puis, la "ligne expressive" (1910-1911) qui montre ses expérimentations avec la ligne et aussi la couleur, proposant des portraits de femmes et des autoportraits "anguleux et contorsionnés". Ensuite, la "ligne combinée" (1912-1914) qui suggère toute l’angoisse de l’artiste, indissociable de ses quelques jours d’emprisonnement en raison des accusations contre lui pour "atteintes aux mœurs", caractérisée par une tridimensionnalité. Enfin, la "ligne amputée et fragmentée" ou "ligne recomposée" (1915-1918) qui est caractérisée par des formes qui se détachent sur un fond vide, une fragmentation semblable à celle engendrée par la guerre.

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Dans une lettre à son beau-frère, le peintre Anton Peschka, Schiele écrivit : « Depuis que l’horreur sanglante de la guerre a fondu sur nous, beaucoup en sont venus à penser que l’art est bien plus qu’un luxe bourgeois. ».

Certains dessins étaient très audacieux en son temps et le restent encore aujourd’hui. Cependant, il est difficile d’y trouver une charge érotique en ce sens que ces dessins révèlent plutôt un aspect de noirceur de l’âme avec une vision quasi-anatomique, plus qu’une invitation à la licence.

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Le billet d’entrée est assez cher (tarif plein à 16 euros) mais donne le droit non seulement de visiter le bâtiment moderne très original et compliqué à comprendre avec ses nombreuses terrasses permettant de regarder le paysage parisien dans toutes les directions, mais aussi d’entrer au sympathique Jardin d’acclimatation du Bois de Boulogne qui est voisin. La visite de la Fondation Louis Vuitton se conçoit donc comme une journée ou demi-journée de loisirs, même si les derniers jours de cette exposition sur Egon Schiele promettent hélas de ne pas être vraiment ensoleillés ni cléments question météorologique…

Informations pratiques sur la Fondation Louis Vuitton :
www.fondationlouisvuitton.fr/
8 avenue du Mahatma Gandhi au Bois de Boulogne, 75116 Paris.
Dernière heures pour Egon Schiele : de 9 heures à 21 heures le samedi 12 et dimanche 13 et de 11 heures à 20 heures le lundi 14 janvier 2019.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 janvier 2019)
http://www.rakotoarison.eu


(Les photographies des œuvres d’Egon Schiele ainsi que la photographie d’ensemble du bâtiment sont issues du site www.fondationlouisvuitton.fr).


Pour aller plus loin :
Dossier de presse de l’exposition.
Dernières heures parisiennes pour Egon Schiele.
Pierre Soulages, l'artiste mélanthrope, a 99 ans.
Rotraut Uecker.
Egon Schiele.
Banksy.
Marcel Duchamp.
Pablo Picasso.
Le British Museum et le monde des humains.
Yves Klein.
Le Tintoret.
Gustav Klimt.
Georges Méliès.
David Hamilton.
Paula Modersohn-Becker.
Auguste Rodin.
Margaret Keane.
Rouault et Matisse à Paris.
La garde rapprochée du Premier Empereur de Chine.
Un Renoir de la Côte d’Ivoire.
Magritte.
Daniel Cordier.
Boulez à Paris.
La collection Cordier à Rodez.
Soulages à Rodez.
Claude Lévêque à Rodez.
Caillebotte à Yerres.
Goya à Paris.
Brueghel à Paris.
Chagall à Paris.
Dali à Paris.
Van Gogh à Paris.
Hiroshige à Paris.
Manet à Paris.
Rembrandt à Paris.
Boltanski, artiste contemporain.
Boltanski au MacVal.

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6 janvier 2019 7 06 /01 /janvier /2019 03:36

« Tous les hommes souhaitent des filles fraîches, écologiques et triolistes, enfin presque tous les hommes, moi en tout cas. » ("Sérotonine", 4 janvier 2019).


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D’habitude, j’aime bien attendre que le temps fasse son œuvre. J’aime mieux lire les romans en format de poche, pouvoir les trimballer n’importe où, dans une poche de veste ou de manteau. Je n’ai pas de "liseuse" même si j’en conçois les nombreux avantages car j’aime bien annoter sur le papier du livre. Et puis, je préfère être en dehors des modes littéraires, le marketing n’étant pas forcément synonyme de qualité, ou plutôt, certains ouvrages de qualité sont oubliés par le marketing habituel des médias.

Mais ce vendredi 4 janvier 2019, je ne peux pas vraiment dire pourquoi, cela m’a pris la veille, j’ai eu "envie" d’aller m’acheter pour la première fois de la vie le nouveau roman de Michel Houellebecq le jour même de sa sortie chez Flammarion (vingt-deux euros, pour trois cent quarante-sept pages). Trois cent vingt mille exemplaires dès la première parution, c’est beaucoup. Dont deux cents exemplaires sur vélin Rivoli des papeteries Arjowiggins numérotés de 1 à 200. Ceux pour la presse ont déjà été distribués dès décembre 2018.

Pourquoi ai-je voulu l’acheter tout de suite ? Le lire l’esprit vierge, sans le flot des commentaires et réactions sur le livre ? Peut-être parce que le précédent roman, "Soumission", a été publié le 7 janvier 2015, quelques heures avant la terrible série d’attentats qui a commencé à "Charlie-Hebdo" (Houellebecq y a perdu son ami Bernard Maris) ?

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Plus sûrement parce que c’est Houellebecq et que Houellebecq, je l’adore ! C’est presque affectif, plus que rationnel. Une sorte de contre-écrivain comme on parle de contre-héros. Oh, certes, il est certain que je ne partage probablement pas beaucoup de ses opinions politiques, et encore, il faudrait d’abord les confronter, mais il faut rendre à César ce qui est à César : Houellebecq est un écrivain, n’est "qu’un" écrivain. Il ne s’agit pas de l’élire, il s’agit de le lire. Et depuis "L’Extension du domaine de la lutte", qui l’a fait connaître, je me suis toujours délecté en le lisant.

Son style d’abord, un tantinet maniaque des détails et des marques commerciales (j’imagine qu’aujourd’hui, l’éditeur a embauché un bataillon d’avocats pour savoir si c’est légal ou pas de faire autant de publicités à peine subliminales ; notons que dans les films des années 1970, on peut aussi apercevoir beaucoup de marques). Il est simple. J’aurais même tendance à dire qu’il n’est pas prétentieux, son style. En tout cas, il n’est pas précieux. On rentre tout de suite dans l’histoire. C’est essentiel, mais ce n’est pas toujours gagné chez tous les romanciers. Je peux m’identifier tout de suite au personnage car il parle comme moi, certes, il n’est pas moi, mais il pourrait être un copain. Un copain paumé, cela va de soi, chez Houellebecq.

L’écrivain n’est pas un provocateur. Ceux qui l’imaginent se trompent probablement sur la réalité de la personne. Il n’est que sincère. Il n’apporte que sa vision du monde, souvent noire, d’ailleurs, il doit avoir des difficultés à concilier cette noirceur et son inattendu succès littéraire qui en fait maintenant l’un des écrivains les mieux rémunérés par leur plume. En ce sens, Houellebecq est mignon. Il est encore un ado qui se lâche, sans les brides de la politesse ou du qu’en-dira-t-on. Il en a aujourd’hui les moyens. Hier, il en avait l’audace et l'insolence.

Ses thèmes, on les connaît depuis longtemps. Cette noirceur, après tout, elle l’est profondément intégrée dans cette société qui laisse peu de place à la richesse précieuse et unique de chaque personne. On a voulu voir en Houellebecq un précurseur des gilets jaunes. Non, il n’est qu’un descripteur de sa société, la société du réel qui, depuis plusieurs décennies, une voire deux générations, est engloutie dans une crise de l’emploi, crise économique qui a basculé dans une crise morale, crise d’identité et de repli sur soi, mais crise aussi sur sa propre utilité dans la société alors que le travail était placé parfois comme l’unique fédérateur social. Travail bafoué, mais aussi famille bafouée. L’explosion de la structure familiale traditionnelle et le niveau en permanence élevé du chômage ont fait perdre tous les repères.

Alors, que reste-t-il sinon soi-même comme dernière cellule structurante ? Peut-on reprocher à Houellebecq de beaucoup parler de sexe ? de femmes et d’amour comme un homme plus maladroit que macho ? Non. Son style est certes d’une crudité qui rompt avec le romantisme gentillet des romans à l’eau de rose. Avec quelques mots qu’on évite soigneusement de prononcer devant des enfants. Par exemple, cet extrait de phrase : « Elle était revenue sauver d’un seul mouvement ma bit@, mon être et mon âme. ». Ou encore cette récurrence chez lui : « J’étais atteint par une érection, ce qui n’était guère surprenant vu le déroulement de l’après-midi. Je la traitai par les moyens habituels. ». Mais quand on ouvre un livre de Houellebecq, on sait à quoi s’en tenir. On sait que tout ne va pas sentir de la rose. Si on préfère les contes de fée, on choisit un autre auteur.

Bernard Maris avait vu en Houellebecq celui qui avait le mieux compris le monde d’aujourd’hui, fait d’égoïsmes mais aussi de nouvelles solidarités. Ce n’est pas un hasard si, dans "La Carte et le Territoire", le romancier se montre comme un adorateur des hypermarchés, ces espaces sans âme où il y a tout ce qu’on peut trouver sans lâcher un seul mot, sans aucune relation sociale. L’être asocial s’y retrouve. L’anonymat, le désert relationnel, la solitude, ce n’est pas toujours subi, cela peut aussi être voulu. Le commerce sur Internet remet d’ailleurs en cause cet anonymat. Tout est tracé dans le Web. Impossible d’y acheter le moindre objet sans qu’on ne le sache encore trente années plus tard.

Ni provocateur ni orgueilleux. Houellebecq est capable d’autodérision aussi, lorsqu’il se met en scène, toujours dans "La Carte et le Territoire", ce n’est pas exactement sous l’angle glorieux d’un héros de péplum, c’est plutôt comme un enfant gâté et retardé qui, grâce au succès, peut rester au lit en pyjama toute la journée à regarder des dessins animés sans intérêt.

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Si j’insiste sur le roman qui a obtenu, à mon sens avec justice, le Prix Goncourt, c’est qu’avec "Sérotonine", il y reparle des "territoires", mot désormais préempté par la classe politique pour parler des zones rurales, à mi-distance entre campagne et terroir. Il y parle d’agriculture.

L’unité de temps de "Sérotonine" est précisée ainsi : « Nous étions au début de l’été, sans doute vers la mi-juillet, plutôt vers la fin des années 2010, il me semble qu’Emmanuel Macron était Président de la République. ». C’est intéressant comme repère, car il prouve que le roman a été rédigé assez récemment (à moins que cette précision fût rajoutée par la suite) et que l’on se repère par les mandats présidentiels (depuis De Gaulle) comme on se repérait avec les règnes des rois voire des pharaons dans l’Antiquité égyptienne.

J’ai lu les premiers chapitres du livre (qui se lit, comme toujours, facilement), et j’essaie de ne pas le lire trop vite, je veux le savourer et je veux éviter aussi l’indigestion. Rien ne m’a étonné chez Houellebecq. Son personnage principal (qui s’exprime par le "je" narratif) est loin d’être son créateur, puisqu’il est déjà beaucoup plus jeune. Il attaque très vite sa vie, sa société, l’État.

Dès la deuxième page, il s’en prend au prénom "Claude" : « il me fait instantanément penser aux Claudette, et l’image d’épouvante d’une vidéo vintage de Claude François repassée en boucle dans une soirée de vieux pédés me revient aussitôt, dès que j’entends prononce ce prénom de Claude ». Juste avant, il attaque "Florent" : « trop doux, trop proche du féminin Florence, en un sens presque androgyne » alors que son visage est viril « mais pas du tout, vraiment pas du tout, comme le visage d’une pédale botticellienne ».

Voilà. En trois phrases, Houellebecq s’est déjà mis à dos tous les Florent, toutes les Florence, tous et toutes les Claude et évidemment, tous les Florent-Claude. Et en plus, son argumentation, deux fois, c’est de s’en prendre aux homosexuels ("pédés", "pédale", je cite plus loin également "lopette"). Politiquement incorrect. On lui pardonnera. Ce n’est pas lui qui parle, c’est son personnage. Si on lui reprochait cela, il faudrait alors interdire tous les films sur le nazisme.

Quelques lignes plus loin, nouveau tir sans sommation, cette fois-ci sur "l’administration" vue comme un vampire bureaucratique : « Presque rien n’est possible d’un point de vue administratif, l’administration a pour objectif de réduire vos possibilités de vie au maximum quand elle ne parvient pas tout simplement à les détruire, du point de vue de l’administration, un bon administré est un administré mort. ». C’est amusant et paradoxal de crier ainsi après "l’administration façon années 1970" (à l’époque où l’on attendait trois semaines pour avoir une ligne téléphonique) et en même temps, s’interroger sur la désertification des services publics en milieu rural.

Caricature, anarchisme, crudité. C’est tout Houellebecq. Encore une fois, c’est son personnage qui parle. Pratique, facile, habile habillage. D’autant plus que l’auteur-narrateur n’en oublie pas la lucidité puisque, un peu plus loin, pour un autre sujet, il reconnaît : « Enfin, je simplifie, mais il faut simplifier sinon, on n’arrive à rien. ».

D’autres catégories ou communautés de personnes sont par la suite également mises au pilori, comme la ville de Niort dont le maire, avec un brin d’humour, a invité l’auteur à venir la visiter. En voilà d’ailleurs une belle publicité pour une ville qui va pouvoir réduire ses dépenses en communication pour 2019 !

Ce qui plaît beaucoup chez Houellebecq, c’est que, comme dans la plupart des romans, et notamment des romans policiers, l’histoire n’est en fait qu’un prétexte, qu’un cadre, à écrire sur la société, à décrire la société, à coucher sur papier quelques rapides réflexions, toujours très noires et négatives avec Houellebecq mais c’est cela qui fait sa spécificité. Souvent, c’est plus efficace qu’un long essai argumenté. Le risque, évidemment, c’est qu’en ne prouvant rien, on peut tout dire. Qu’importe puisque c’est de la fiction. D’office, les romanciers comme les dramaturges, ont ainsi cet art de la pirouette.

Dans l’onglet "je fais court et je vous explique la vie", il y a aussi cette opposition qu’il fait entre naturisme et pornographie, qui est bien réelle (le naturisme est plutôt familial et collectif et la pornographie est plutôt adulte et solitaire), mais qu’il catégorise ainsi en parlant de deux "tendances contradictoires" (dans l’Espagne d’après-Franco) : « La première (…) mettait à haut prix l’amour libre, la nudité, l’émancipation des travailleurs et ce genre de choses. La seconde (…) valorisait au contraire la compétition, le porno hard, le cynisme et les stock-options. ». Et la seconde tendance aurait "définitivement" gagné sur la première.

Un peu plus et Houllebecq se ferait le champion de l’anticapitalisme, lui qui pourtant est très à l’aise avec la société ultraconsumériste, comme il l’avait précisé à l’occasion de la sortie, le 3 septembre 2001, de son roman "Plateforme", dans une interview au magazine "Lire" parue le même mois (propos recueillis par Didier Sénéchal) : « Le matérialisme est un moindre mal. Ses valeurs sont méprisables, mais quand même moins destructrices, moins cruelles que celles de… » (Je ne termine pas la phrase avec le nom d’une religion car ici, il n’est pas question d’évoquer la polémique de l’auteur avec l’islam, mais seulement de son goût pour le matérialisme consumériste).

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La grande nouveauté de ce nouveau roman, c’est probablement ce qui en a fait son titre, c’est la sérotonine, substance qui aiderait à tenir le coup dans une vie de misère et de détresse. Dès le début, le lecteur apprend que le Captorix est un antidépresseur de nouveau type, qui évite les envies suicidaires mais qui peut avoir un effet néfaste sur la libido, obsession du narrateur-auteur. Le nom de ce médicament sonne d’ailleurs comme Astérix avec un petit côté "gaulois irréductible" et "petit village" au milieu de l’empire. Techniquement, ou plutôt, chimiquement, le Captorix encouragerait l’arrivée de la sérotonine.

Je n’en dis pas plus sur le roman, parce que je ne l’ai pas encore fini et ce n’est jamais intelligent de "spoiler" une œuvre. Je termine seulement par cette tendance dépressive de l’auteur-narrateur (qui n’étonne pas car c’est récurrent dans ses romans) et qui justifie la médication ainsi révélée : « Je n’étais, je n’étais en réalité, je n’avais jamais été qu’une inconsistante lopette, et j’avais déjà quarante-six ans maintenant, je n’avais jamais été capable de contrôler ma propre vie, bref, il paraissait très vraisemblable que la seconde partie de mon existence ne serait, à l’image de la première, qu’un flasque et douloureux effondrement. ».

Et ce dernier petit extrait sur une tentation suicidaire : « Pour mettre fin à l’affaire, il suffisait que je m’abstienne de tourner le volant. La pente était très raide à cet endroit, compte tenu de la vitesse acquise, on pouvait s’attendre à un parcours parfait, la voiture ne dévalerait même pas la pente rocheuse, elle s’écraserait directement cent mètres plus bas, un moment de terreur pure et puis, ce serait fini, je rendrais au Seigneur mon âme incertaine. ».

C’est ce style qui fait de moi, comme beaucoup d’autres lecteurs, un admiratif quasi-jaloux de Michel Houellebecq. Bonne lecture !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 janvier 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
"Sérotonine" de Michel Houellebecq.
Maurice Bellet.
Alexandre Soljenitsyne.
François de Closets.
Noam Chomsky.
Joseph Joffo.
Ivan Tourgueniev.
Guillaume Apolinaire.
René de Obaldia.
Raymond Aron.
Jean Paulhan.
René Rémond.
Marceline Loridan-Ivens.
François Flohic.
Françoise Dolto.
Lucette Destouches.
Paul Claudel.
Louis-Ferdinand Céline.
Georges Bernanos.
Jean-Jacques Rousseau.
Daniel Cordier.
Philip Roth.
Voltaire.
Jean d’Alembert.
Victor Hugo.
Karl Marx.
Charles Maurras.
Barbe Acarie.
Le philosophe Alain.
Marguerite Yourcenar.
Albert Camus.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190104-houellebecq-serotonine.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/houellebecq-serotonine-c-est-ma-211348

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/01/05/36993861.html




 

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6 janvier 2019 7 06 /01 /janvier /2019 00:24

Les deux expositions sur Egon Schiele et Jean-Michel Basquiat qui ont eu lieu à la Fondation Louis Vuitton en 2018-2019 ont fait l'objet d'un dossier de presse qu'on peut télécharger.

Cliquer sur le lien pour télécharger le dossier de presse (fichier .zip) :
https://presse.fondationlouisvuitton.fr/download/?zip=1&type=attachment&attachments=15319-15354

Pour en savoir plus sur Egon Schiele :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181105-egon-schiele.html

Pour en savoir plus sur Jean-Michel Basquiat :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181105-jean-michel-basquiat.html

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20190110-dossier-basquiat-schiele.html

 

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