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2 décembre 2018 7 02 /12 /décembre /2018 02:31

Sur Internet, il est possible de lire le livre de témoignage qui raconte la vie de Joseph Joffo, enfant juif de 10 ans à Paris sous l'Occupation en 1941.

Cliquer sur le lien pour télécharger le fichier .pdf  :
https://docplayer.fr/storage/40/20845023/1544235066/GIHBWgJes8EVfnfDCJ0QJw/20845023.pdf

(Important : le lien précédent n'émane pas de l'auteur de ce blog).

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181206-joseph-joffo.html

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20181206-joffo-un-sac-de-billes.html

 

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27 novembre 2018 2 27 /11 /novembre /2018 01:42

« Mes tableaux ne sont que les cendres de mon art. » ("L’architecture de l’art", Conférence de la Sorbonne, 1959).



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Imaginez la scène. Une petite salle de concert avec un nombre très limité de spectateurs, sans doute triés sur le volet. Un petit ensemble musical de neuf musiciens, mais qui, au lieu d’être au milieu de la scène, sont discrètement restés le long du mur. Le chef d’orchestre, très bien habillé, à l’allure noble, très jeune, qui, lui, dirige les opérations sans vraiment diriger les musiciens qui jouent tout seuls. Et puis voici que trois jeunes femmes plutôt belles, totalement nues, arrivent sur la scène et se maquillent. Plutôt, se mettent plein de peinture sur tout le corps. Puis elles s’approchent du mur du fond, où est fixée une toile géante, et elles s’appuient dessus.

« "La marque de l’immédiat". C’est ce qu’il me fallait ! (…) L’on comprendra aisément le processus : mes modèles ont d’abord ri de se voir transposées sur la toile en monochrome, puis elles se sont accoutumées et ont aimé la valeur, la qualité-colore chaque fois différente de chaque toile, même pendant l’époque bleue où c’était pourtant le même ton, le même pigment, les mêmes procédés techniques à l’exécution. Puis lorsque j’ai commencé peu à peu à ne plus rien produire de tangible avec l’aventure de "l’immatériel" dans mon atelier débarrassé même des monochromes et vide en apparence, là, mes modèles ont, alors, voulu absolument faire quelque chose pour moi (…). Elles se sont ruées dans la couleur et, avec leur corps, ont peint mes monochromes. Elles étaient devenues des pinceaux vivants ! » ("Le vrai devient réalité", 1960).

Le chef d’orchestre, c’était le peintre Yves Klein, qui est né il y a quatre-vingt-dix ans, le 28 avril 1928 à Nice. Selon la galeriste Isis Clert (1918-1986), il fut le "poète de l’irrationnel". Dans tous les cas, un véritable génie de la peinture, un génie éclair, car il est mort très jeune, à l’âge de 34 ans, le 6 juin 1962 à Paris, d’une crise cardiaque. Il venait de se marier avec une jeune artiste allemande, Rotraut Ueker (79 ans), le 21 janvier 1962 et ils attendaient un enfant prévu quelques semaines plus tard, né le 6 août 1962.

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On pourra toujours disserter sur la réalité de l’art d’Yves Klein, issu d’une famille d’artistes et initialement judoka au top niveau. Il a été un véritable provocateur, au point d’engendrer des polémiques, comme lors de l’exposition de ses œuvres à la Galerie Colette Allendy à Paris du 14 au 23 mai 1957, où une salle intitulée "Espaces et volumes de la sensibilité picturale immatérielle" fut …entièrement vide ! de quoi lui faire dire le 26 juin 1957 à l’Institut of Contemporary Arts : « Mes tableaux sont maintenant invisibles. ».

Oui, la provocation pouvait choquer et faire réagir, c’était d’ailleurs le but. La chose qui est sûre, c’est qu’il a développé une réelle vision de l’art qui était très intéressante et novatrice. Étudiant des langues orientales et élève de la marine marchande, enrichi de plusieurs voyages (notamment en Italie, en Angleterre, en Espagne et au Japon), adepte des Rose-Croix et de Gaston Bachelard, Yves Klein a cherché à aller dans les limites de l’art et de la matière, et a été un génie créatif, cherchant à innover dans un domaine pourtant déjà très innovant à l’époque.

Sa "carrière artistique" fut de très courte durée, puisqu’elle a couru de 1954 à 1962 (premiers tableaux en 1949), mais il est considéré comme l’un des plus grands avant-gardistes de la peinture de l’après-guerre.

Ses idées, probablement le mélange d’une forte intuition, d’une profonde spiritualité, d’un dynamisme physique, d’une grande sensibilité et d’une immense créativité, l’ont tout de suite amené à créer son ciel, le « monde de la couleur pure ». D’où le besoin de créer son fameux bleu (pour les moins connaisseurs, Yves Klein est associé à une couleur, le bleu), et de peindre des "monochromes".

Comme son nom l’indique, un monochrome est une œuvre composée d’une seule couleur. Cette unicité signifiait pour lui la pureté. Les couleurs pouvaient être une forte contrainte, la peinture considérée « comme la fenêtre d’une prison, où les lignes, les contours, les formes et la composition sont déterminés par les barreaux ». Avec une seule couleur, la liberté était atteinte. Au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, on lui a quand même refusé l’exposition d’un monochrome en mai 1955 en lui demandant de rajouter une seconde couleur.

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Yves Klein est entré réellement dans le monde des arts en publiant à Madrid en mai 1954 "Yves Peintures", un catalogue de ses "monochromes", sorte de parodie des volumineux catalogues d’exposition. Dix œuvres, seulement des rectangles d’une seule couleur, avec en légende des noms de villes différentes dans lesquelles il avait séjourné, avec, en guise de préface, des lignes noires qui mimaient les lignes de texte.

Au-delà de la provocation, il y a eu une véritable recherche originale. Ainsi, il expliquait pourquoi il peignait au rouleau, pour éviter d’y mettre une touche trop personnelle : « Déjà autrefois, j’avais refusé le pinceau, trop psychologique, pour peindre avec le rouleau, plus anonyme, et ainsi tâcher de créer une "distance", tout au moins intellectuelle, constante, entre la toile et moi, pendant l’exécution. » (cité par "Girly Mamie" dans son Encyclopédie de la peinture, un blog très personnel que je recommande vivement pour la culture picturale, voir les liens en fin d’article).

En février 1956, sa rencontre avec le critique d’art Pierre Restany (1930-2003) fut déterminante pour se faire comprendre du grand public. Ce dernier a réussi en effet à donner des explications théoriques au nouveau concept de la monochromie. Pour ce critique emballé par les réalisations d’Yves Klein, « l’art a définitivement basculé dans la morale, et l’esthétique dans l’éthique. ».

Pierre Restany entraîna par la suite Yves Klein et d’autres amis dans le Nouveau Réalisme qui voulait percevoir un humanisme dans chaque objet industriel (déclaration du 27 octobre 1960 à Milan et à Paris). Parmi les "nouveaux réalistes", on peut citer Yves Klein (et ses expérimentations), et un peu plus tard, le sculpteur César (et ses compressions), Christo (et ses emballages de bâtiments publics), Niki de Saint-Phalle (et ses Nanas), etc. : « Le lieu commun, l’élément de rebut et l’objet de série sont arrachés au néant de la contingence ou au règne de l’inerte, l’artiste les a faits siens. » (Pierre Restany).

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En collaboration avec un marchand de couleurs, Édouard Adam, Yves Klein a réussi à reproduire le bleu ultramarin qu’il aimait tant, et qu’il a appelé IKB (International Klein Blue) en 1956 : « Le bleu n’a pas de dimension, il est hors dimension, tandis que les autres couleurs, elles en ont (…). Toutes les couleurs amènent des associations d’idées concrètes (…) tandis que le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel, ce qu’il y a de plus abstrait dans la nature tangible et visible. ». Quand Gagarine a raconté qu’il avait vu la Terre bleue, le 12 avril 1961, Yves Klein en était presque fier.

Pour protéger le bleu IKB, il a déposé, le 19 mai 1960 à l’INPI, une enveloppe Soleau (qui n’a d’intérêt d’antériorité que si l’on dépose rapidement ensuite un brevet), où est décrit le liant qui fixait le pigment, plus pour montrer que c’était une invention que pour en faire de l’argent. Il fabriqua d’autres couleurs, jamais vives, comme l’or IKG (International Klein Gold), le vieux rose IKP (International Klein Pink).

Ainsi, Yves Klein redéfinissait ses trois couleurs primaires : IKB, IKG et IKP (une « trilogie chromatique »). Pour lui, la couleur était un lien entre le corps et l’immatériel, capable de changer l’environnement en œuvres d’art (la beauté existe au départ et l’artiste doit pouvoir la saisir dans son environnement : le monde lui-même est l’œuvre d’art).

Sa notoriété lui a permis de multiplier les expositions de monochromes IKB en France et à l’étranger à partir de 1956. En janvier 1957, il proposa des monochromes de même taille mais à des prix différents, toujours dans sa provocation contre le monde artistique, et ce fut un succès ! Ce fut aussi pendant cette période qu’il fabriqua des reliefs-éponges (comme dans la dernière photo proposée ici).

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Voulant toujours aller plus loin dans l’expérimentation, à partir du 5 juin 1958, Yves Klein réalisa des "anthropométries de l’époque bleue". Le terme "anthropométrie" a été inventé par Pierre Restany le 23 février 1960. L’idée était d’utiliser des modèles nus, de les enduire de peinture IKB et de se frotter au papier ou à la toile. Au départ, c’était pour réaliser des monochromes : les marques du corps étaient rapidement dissoutes dans la monochromie finale. Puis, ce fut pour réaliser de "véritables" anthropométries, qui laissaient visibles les marques du corps.

Nous voici à la scène décrite en début d’article. La première démonstration publique a eu lieu le 9 mars 1960 à la Galerie nationale d’Art Contemporain à Paris. La musique jouée fut sa "Symphonie monoton" (composée en 1949) qui n’utilisait qu’une seule note durant vingt minutes, puis vingt minutes de silence. On peut voir le film de la démonstration ici (il a été diffusé notamment au Centre Pompidou de Metz il y a quelques années).

Au fil des mois, Yves Klein varia la réalisation, fit également des anthropométries "négatives", c’est-à-dire, se servait du modèle comme pochoir, vaporisant de la peinture au pistolet autour du modèle, ou combinait les deux techniques (positive et négative). En tout, il a réalisé 150 anthropométries (ANT) ajoutées aux 30 anthropométries suaires (ANT SU). Yves Klein a cherché notamment à donner un sens de légèreté et d’apesanteur aux empreintes qu’il a ainsi esquissées : « L’homme libre l’est à tel point qu’il peut léviter. ».

Les jeunes femmes nues et badigeonnées sont donc devenues les pinceaux vivants d’Yves Klein. La réalisation même de l’œuvre est devenu une manifestation artistique, un peu dans le prélude aux futures "installations" d’arts contemporains quelques décennies plus tard (comme celle-ci).

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Quant à la nudité des femmes qui l’entouraient dans son atelier, et qui étaient présentes bien avant de réaliser ses premières anthropométries, Yves Klein en avait besoin pour « stabiliser la matière picturale » : « Cette chair, (…) présente dans l’atelier, m’a longtemps stabilisé pendant l’illumination provoquée par l’exécution des monochromes. ». Tout en précisant : « Je ne les ai jamais touchées. D’ailleurs, c’est pour cela qu’elles avaient confiance et qu’elles aimaient collaborer, et aiment encore collaborer ainsi, de tout leur corps à ma peinture. ». Cela dit, tout le monde n’a pas toujours compris cette méthode de réalisation que certains jugeaient obscène.

Certaines anthropométries sont particulièrement émouvantes. C’est à peu près le seul signe tangible de l’art, celui de faire ressentir une émotion au spectateur. Comme celle intitulée "Hiroshima", qui mimait les ombres des corps désintégrés par l’explosion nucléaire sur les murs de la ville : « Dans le désert de la catastrophe atomique, elles ont été un témoignage sans doute terrible mais cependant un témoignage tout de même d’espoir de la survie et de la permanence, même immatérielle, de la chair. » ("Le vrai devient réalité", 1960).

À partir de 1961, allant toujours plus loin dans la technicité, Yves Klein a obtenu le concours du Centre d’essais de Gaz de France, à la Plaine-Saint-Denis, pour faire de la peinture au chalumeau, ce qu’il appela ses peintures de feu. Il maniait ainsi une torche alimentée par un jet de gaz qu’il dirigeait vers sa toile, qu’il brûlait en partie, un opérateur l’aidait pour refroidir à l’eau la partie consumée. Une fois la technique maîtrisée, il l’a mélangée avec ses anthropométries pour faire obtenir de nouvelles œuvres non monochromatiques. On peut voir plusieurs démonstrations dans le film téléchargeable à ce lien.

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Évidemment qu’Yves Klein est parti bien trop tôt. Fourmillant d’idées aussi ingénieuses qu’excentriques, il ne s’était pas arrêté à la peinture, il a réalisé aussi beaucoup de sculptures (notamment ses éponges bleues mais pas seulement, aussi des portraits-reliefs bleus), et avait touché à d’autres domaines artistiques, la musique, la chorégraphie, l’urbanisme, l’architecture, etc. Il fallait avoir de l’audace et du toupet, surtout à un âge si jeune, pour avoir réussi à s’imposer dans un monde particulièrement fermé, celui des arts contemporains, et à avoir ouvert de nouvelles perspectives pour ses successeurs.

J’aimerais imaginer une association de créativité entre Yves Klein et des musiciens de sa génération comme Boulez, Stockhausen ou encore Pierre Henry


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 avril 2018)
http://www.rakotoarison.eu

La première illustration (en début d’article) est un détail de la photographie aux références suivantes :
Yves Klein in his studio, 1960.
14 rue Campagne-Première, Paris, France.
© Photo : Jacques Fleurant/MNAM

Les références des autres illustrations sont indiquées à leurs côtés.


Pour aller plus loin :
Films à télécharger : expérience d’anthropométrie d’Yves Klein.
Film à télécharger : expérience de peinture de feu d’Yves Klein.
Site d’archives sur Yves Klein : la plupart de ses œuvres et de leurs expositions.
Blog d’une amatrice sur la peinture : mon encyclopédie de la peinture.
Yves Klein.
Le Tintoret.
Gustav Klimt.
Georges Méliès.
David Hamilton.
Paula Modersohn-Becker.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181127-rotraut-uecker.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/10/27/36820133.html


 

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23 novembre 2018 5 23 /11 /novembre /2018 02:46

« En fait, Roudine nous échappe, sympathique au début, puis antipathique, puis pitoyable. Qui est-il réellement ? Est-ce un menteur ? Un imposteur ? (…) Il est capable de bonté, de dévouement, de beaucoup de bassesses aussi. Il nous ressemble au fond, cet étranger, ni bon ni mauvais, délicat, indécis, complexe. À travers sa vie, c’est la vie réelle qui se découvre à nous, pauvre, triste, profonde. »


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Ces quelques lignes sont extraites d’une quatrième page de couverture de l’édition française du roman "Dimitri Roudine". Il a été écrit en 1856, et son auteur est Ivan Tourgueniev, un écrivain russe francophile qui est né il y a deux siècles, le 9 novembre 1818 à Orel, ville au bord de l’Oka, à 360 kilomètres au sud-ouest de Moscou. Comme Soljenitsyne, Tourgueniev fait partie de ces auteurs russes qu’adore l’actuel Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine.

Tourgueniev est un romancier et dramaturge majeur du XIXe siècle en Europe. En plus de ses poésies, il a publié une soixantaine de nouvelles, une dizaine de romans et une douzaine de pièces de théâtre. Sa vie a été européenne et très cosmopolite.

Son père était un officier aristocrate aisé et distingué et sa mère était une propriétaire terrienne brutale et tyrannique qui lui imposa une éducation très stricte. Après des études à Moscou puis à Saint-Pétersbourg, il a passé quelques années d’étude, à l’âge de 20 ans, à Berlin, puis après un retour à Saint-Pétersbourg vers 1843, il rencontra Pouchkine et commença à écrire de la poésie. Ensuite, il est allé s’établir à Londres, puis enfin, à partir de 1847, à Paris dont il a adoré l’âme intellectuelle. Il a sympathisé avec de nombreux auteurs français contemporains dont Victor Hugo, George Sand, Flaubert, Émile Zola, Mérimée, Alexandre Dumas, Alphonse Daudet, Maupassant, Jules Verne (qu’il conseilla pour son "Michel Strogoff" publié en 1876 par un éditeur commun), etc.

Il sympathisa aussi avec des musiciens, en particulier Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré, Gounod, Berlioz… et il fut voisin (brièvement, pendant quelques mois) de Georges Bizet (1838-1875) lorsqu’il a habité à Bougival dans une villa qu’il a achetée en 1874 et qu’il céda ensuite à sa muse, la cantatrice Pauline Viardot (raison de son séjour en France à partir de 1847), pour habiter dans un chalet voisin qu’il s’est fait construire et qu’il appela "datcha". Autre voisine des arts, la peintre impressionniste Berthe Morisot (1841-1895), belle-sœur d’Édouard Manet (1832-1883), habitait également à Bougival à partir de 1880.

À cause de la guerre de Crimée, Tourgueniev a dû rentrer en Russie de 1850 à 1856, mais retrouva la France par la suite (tout en retournant régulièrement en Russie). Très malade, il est mort à Bougival le 3 septembre 1883 à l’âge de 64 ans, et est enterré à Saint-Pétersbourg.

Son progressisme transparaît dans ses œuvres (certaines furent censurées tellement considérées comme "subversives"), au théâtre et aussi dans ses romans et nouvelles. "Pères et Fils", écrit en 1862, considéré comme le plus grand roman de Tourgueniev, donne une première idée de la contestation révolutionnaire, dans un sens scientiste (que Tourgueniev appela "nihilisme") : « Un honnête chimiste est vingt fois plus utile que n’importe quel poète, l’interrompit Bazarov. ». Ou encore : « Il ne croit pas aux principes, mais il croit aux grenouilles. ». Un autre roman important est "Premier amour" (considéré comme une nouvelle), écrit en 1860, qui laisse entrevoir le "pessimisme romantique" et une amertume autobiographique sur l’amour, considéré comme une maladie.

Ce n’est pas le cadre, ici, d’évoquer trop sérieusement un écrivain si important qui a été l’objet de beaucoup d’études littéraires très approfondies depuis cent cinquante ans. Je voulais profiter de ce bicentenaire pour m’appesantir sur un autre roman, "Dimitri Roudine", du nom du personnage central de cette œuvre écrite, comme je l’ai signalé plus haut, en 1856. Car j’y ai remarqué une petite similitude amusante.

Dans cette quatrième couverture, le texte de présentation se poursuit ainsi : « "Ce qui est terrible", disait Tourgueniev, "c’est qu’il n’y a rien de terrible… Ni une idée, ni une chose, ni rien…". ».

Le texte introductif pourrait laisser penser qu’on ne parlât pas de Roudine, mais de …Emmanuel Macron, jeune homme éblouissant qui a séduit toutes les personnes qu’il a rencontrées depuis son adolescence. Au point de séduire sa professeure de théâtre. Au point que dans un dîner en ville, lui simple convive parmi une dizaine d’autres, il devenait à la fin du repas la star de soirée, au détriment de la personnalité ou des personnalités présentes. « L’âme d’autrui, c’est la forêt obscure. ». Toujours Tourgueniev dans le texte.

Parmi les exemples les plus frappants, les relations avec Philippe de Villiers qui, pourtant placé à la droite dure et donc, loin du positionnement centro-démocrate-social, fut complètement tombé sous le charme d’Emmanuel Macron le 19 août 2016, à quelques mois de l’élection présidentielle. L’intérêt soutenu pour son interlocuteur, une relative simplicité, une apparente proximité, un plaisir réel à débattre, à confronter les idées, et aussi, une grande capacité à travailler, à apprendre, à apprendre de ses erreurs, à corriger.

Et pourtant, ces derniers mois, Philippe de Villiers a dû laisser échapper son amertume. Sa déception pour ne pas dire son sentiment de trahison. Le créateur du Puy-du-Fou (l’un des lieux touristiques les plus fréquentés de France hors de Paris) croyait qu’Emmanuel Macron l’avait écouté, avait adopté son point de vue, mais en fait, il s’est aperçu qu’il n’en était rien. Ce sentiment de se croire écouté, d’avoir son interlocuteur pour allié, c’est un sentiment très fort d’adhésion mais s’il repose sur du vent, le rejet peut être aussi violent que l’adhésion a été très rapide. Or, au pouvoir, seuls, les actes comptent. Les belles paroles, les "en même temps", ne comptent plus. Décider, c’est choisir d’un côté et rejeter les autres solutions de l’autre. Donc, faire des mécontents. Des déçus.

L’affaire Benalla pendant l’été 2018, relayée par le mouvement des gilets jaunes à la fin de l’automne 2018, ont donc définitivement tourné la page de l’état de grâce, plus longue que ses deux derniers prédécesseurs. De "sympathique", il commence à passer à "l’antipathique". Le risque est d’en arriver au "pitoyable".

En piochant dans le roman de Tourgueniev, on peut retrouver des passages qui pourraient s’appliquer à Emmanuel Macron. Emmanuel Macron alias Roudine.

Ainsi, dans le 6e chapitre, cette conversation sur Roudine entre des personnes qui ne l’apprécient pas (par jalousie notamment) et d’autres qui l’apprécient (pour diverses raisons).

Par exemple, un personnage, Michaël Michaëlowitch Lejnieff dit : « Mais je ne doute nullement de l’esprit ni de l’éloquence de M. Roudine, je dis seulement qu’il ne me plaît pas. (…) C’est lui qui est maintenant le grand vizir. Il viendra un temps où ils se brouilleront. (…) Mais c’est Roudine qui règne pour le quart d’heure. ».

Un autre personnage, Alexandra Pawlowna (son épouse), prend au contraire la défense de Roudine : « La supériorité de Roudine vous offense. Voilà pourquoi vous ne l’aimez pas. Voilà ce que vous ne pouvez lui pardonner. Et je suis persuadée que l’étendue de son esprit ne nuit pas à la bonté de son cœur. ».

Lejnieff, qui a connu Roudine jeune et est le moins enthousiaste pour sa personnalité, raconte ensuite la jeunesse de ce dernier, de son réseau déjà : « L’éducation de Roudine s’est faite à Moscou. C’était d’abord un de ses oncles qui en payait les frais ; plus tard, lorsque Roudine eut grandi et qu’il se fut paré de toutes ses plumes… Allons, excusez-moi, je ne le ferai plus. Ce fut un certain prince fort riche, dont il devint l’ami ; puis Roudine entra à l’Université. ».

Ce "certain prince fort riche" fait curieusement penser au millionnaire Henry Hermand, pionnier de l’immobilier pour la grande distribution (il a construit de nombreux centres commerciaux, comme Grand’Place à Échirolles, au sud de Grenoble) et magnat de la presse (dirigeant du "Matin de Paris" avec Max Théret), qui est mort à 92 ans il y a deux ans, le 6 novembre 2016, c’est-à-dire, avant l’élection présidentielle (et même, avant la déclaration officielle de candidature d’Emmanuel Macron).

Ancien résistant, ancien physicien du CEA, ancien syndicaliste, Henry Hermand, grand mécène de la politique (au même titre que Pierre Bergé), avait toujours cru au talent d’Emmanuel Macron, dès sa première rencontre en 2003 dans la préfecture de l’Oise où l’étudiant effectuait son stage de l’ENA, et dès le début de janvier 2016, il considérait qu’il pourrait être élu à l’Élysée l’année suivante. Il n’a pas eu le temps de voir qu’il a eu raison.

Continuons le dialogue du roman. Alexandra Pawlowna, laudatrice de Roudine, trouve la description de Lejnieff très partiale, visant à discréditer Roudine : « Je suis convaincue que ce que vous dites est exact, que vous n’ajoutez rien, et cependant, sous quel jour défavorable avez-vous présenté tout cela ? (…) Savez-vous qu’on peut raconter la vie du meilleur des hommes avec des couleurs telles, et sans y rien ajouter, remarquez-le, que chacun en aura peur ? C’est là aussi une espèce de calomnie. ».

Cette petite réflexion fait penser à tous ceux qui aiment retracer la vie d’Emmanuel Macron en se faisant les procureurs pour y déceler tous les éléments terrifiants qui en feraient un être maléfique (mais en oubliant qu’il a quand même convaincu plus de 20,7 millions de Français le 7 mai 2017 et que ce n’est pas donné à beaucoup de monde de gagner une élection présidentielle, un ou deux citoyens par génération !).

Je m’arrête là dans ce petit jeu forcément périlleux et limité qui consiste à retrouver dans un roman vieux de cent soixante-deux ans quelques éléments épars pouvant s’appliquer au Président de la République actuel.

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Tout le roman est basé sur des conversations entre des personnages, certains qui ne se connaissent pas, d’autres si, chez la maîtresse des lieux, Daria Michaëlowna. Cela donne notamment un aperçu de l’idée que certains hommes se font des femmes.

Ce dialogue (tronqué) au 3e chapitre apporte une bonne vision du roman.

Africain Siméonowitch : « Mon dada… Les femmes en ont de trois espèces dont elles ne descendent jamais. À moins qu’elles ne dorment. ».
Daria Michaëlowna : « Quels sont ces trois dadas ? ».
Africain Siméonowitch : « La récrimination, l’allusion et le reproche. ».
Daria Michaëlowna : « Savez-vous, Africain Siméonowitch, que ce n’est sans doute pas sans raison que voue vous attaquez ainsi aux femmes ? Il faut qu’une d’elles vous ait… ».
Pigassoff : « Offensé, voulez-vous dire. ».
(…)
Africain Siméonowitch : « Je pense qu’il y a trois espèces d’égoïstes : ceux qui vivent eux-mêmes et laissent vivre les autres ; ceux qui vivent eux-mêmes et qui ne laissent pas vivre les autres, et enfin les égoïstes qui ne vivent pas eux-mêmes et ne laissent pas vivre les autres… La plupart des femmes appartiennent à la troisième catégorie. ».
Daria Michaëlowna : « Comme c’est aimable ! Je ne m’étonne que d’une chose, Africain Siméonowitch, c’est de votre confiance présomptueuse dans vos propres jugements, comme si vous ne vous trompiez jamais. ».
Africain Siméonowitch : « Qui est-ce qui dit cela ? Moi aussi, je me trompe ; tous les hommes se trompent. Mais savez-vous quelle est la différence entre l’erreur des hommes et l’erreur des femmes ? Non, vous ne le savez pas ! Voilà en quoi elle consiste : un homme pourra dire, par exemple, que deux et deux ne font pas quatre, mais cinq ; une femme dira que deux et deux font une bougie de cire. ».
(…)

Au 5e chapitre, un extrait avec Roudine parlant à Daria Michaëlowna : « Selon moi, dans la négation complète et générale, il n’y a pas de salut. Niez tout, et vous passerez facilement pour un homme d’esprit ; c’est un procédé connu. Les gens simples seront aussitôt disposés à en conclure que vous valez mieux que ce que vous niez ; mais c’est souvent faux. D’abord, on peut trouver des taches partout, et ensuite, quand même vous parleriez sensément, tant pis pour vous… Votre esprit, tourné exclusivement vers la négation, s’appauvrit et se dessèche. Vous satisferez votre amour-propre, mais vous vous priverez des véritables jouissances du cœur et de l’âme. La vie et tout ce qui la compose échappe à votre observation superficielle et bilieuse ; vous arrivez à l’hypocondrie, au marasme, et finissez par faire rire, tout en inspirant la pitié. Celui-là seul qui sait aimer a le droit de censurer et de réprimander. ». À cela, Daria Michaëlowna lui répond : « (…) Vous êtes vraiment passé maître dans l’art de définir les hommes. ».

Comme souvent chez Tourgueniev, la fin de cette œuvre est triste et pleine d’amertume, mais ne la dévoilons pas et revenons, pour terminer, à l’auteur.

Dans la préface de l’édition française de 1922 de "Dimitri Roudine", le romancier français Edmond Jaloux (1878-1949) commence ainsi : « J’aurais hésité à écrire ces lignes en tête d’une œuvre aussi admirable et aussi importante que "Dimitri Roudine", si je ne me rendais compte qu’Ivan Serguiévitch Tourguénieff est presque oublié et qu’il n’est pas mauvais, je pense, de rafraîchir les idées que nous avons de lui. Il est presque oublié, d’abord parce que ses livres demeurent, à part de rares exceptions, à peu près introuvables. Pour ma part, j’ai cherché "Dimitri Roudine" pendant plus de vingt ans sans pouvoir me le procurer. ». À l’époque, il n’y avait pas encore Internet et les sites de vente des livres introuvables…

Le préfacier poursuit ainsi : « Le centenaire de sa naissance en 1918 a passé inaperçu. Il est vrai que les Russes étaient alors trop occupés par leurs expériences sociales, où ils ont essayé de ramener la numération humaine au chiffre de zéro, pour avoir songé à lui, et nous-mêmes trop occupés par ailleurs. ». Le bicentenaire semble avoir passé tout aussi inaperçu, pour d’autres raisons, sans doute.

Edmond Jaloux décrit ainsi Tourgueniev (dont l’orthographe française a évolué) : « L’attitude morale de Tourguénieff a également brouillé les cartes, car il a déçu tous les partis politiques en ne se donnant à aucun. Il a paru trop libéral aux gens de l’ancien régime et trop réactionnaire aux nihilistes, qui sont devenus depuis des bolcheviques ; il a paru irrémédiablement russe à des amis français, sauf à Flaubert, qui l’a aimé et qui l’a compris, et chez les Russes, il semblait trop cosmopolite et surtout trop Français. Et il était en effet tout cela à la fois, mais il était aussi et avant tout un artiste et un romancier. ». Le fameux "et en même temps" avant l’heure et dans un cadre littéraire…

Pareil "en même temps" pour sa "franco-russophilie" : « Pendant longtemps, Tourguénieff, en effet, a fait figure de cosmopolite, et une grande partie de son œuvre se déroule hors de Russie. Mais au fond, personne n’était plus Russe que lui ; il l’était par son sentiment de l’inquiétude, ce qu’on appelle là-bas la toska, qui lui rendait la France insupportable, quand il y était et la lui faisait adorer quand il l’avait quittée ; il l’était par son impuissance à vouloir, par ses grands élans, suivis de rechutes, sa tristesse accablée, cette conviction indéracinable que tout est inutile, cette ambiguïté d’esprit qui, malgré lui, le rendait suspect à ses amis de France. ».

Dommage de ne pas avoir profité de l’occasion de ce bicentenaire pour raviver l’amitié entre la France et la Russie qui, dans les cœurs, restera toujours aussi ardente qu’il y a un siècle, comme des braises qui couvent et résistent aux orages ukrainiens…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 novembre 2018)
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Pour aller plus loin :
Ivan Tourgueniev.
Guillaume Apolinaire.
René de Obaldia.
Raymond Aron.
Jean Paulhan.
René Rémond.
Marceline Loridan-Ivens.
François Flohic.
Françoise Dolto.
Lucette Destouches.
Paul Claudel.
Louis-Ferdinand Céline.
Georges Bernanos.
Jean-Jacques Rousseau.
Daniel Cordier.
Philip Roth.
Voltaire.
Jean d’Alembert.
Victor Hugo.
Karl Marx.
Charles Maurras.
Barbe Acarie.
Maurice Bellet.
Le philosophe Alain.
Marguerite Yourcenar.
Albert Camus.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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11 novembre 2018 7 11 /11 /novembre /2018 03:24

« Le seul diplôme qu’exige le cinéma est l’amour de la vie et le courage de prendre des risques. » (Claude Lelouch, 2000).


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Il aurait pu avoir la grosse tête et finalement, il est toujours resté assez discret dans le monde où pourtant l’ego et l’autosurvalorisation de soi sont monnaies courantes. Francis Lai est parti ce mercredi 7 novembre 2018 à Nice, à l’âge de 86 ans. Il est né le 26 avril 1932 à Nice aussi.

Malgré sa modestie, Francis Lai était très connu et a multiplié récompenses et reconnaissances. Jouant du piano et de l’accordéon, Francis Lai était un grand compositeur, mais compositeur effacé car ce n’était pas sa musique qui était mise en avant, c’était ce qu’elle a accompagné. D’abord, musique de chansons à succès, puis musique de films à succès. Si bien que quasiment tout le monde a déjà un peu entendu Francis Lai, même s’il n’en connaissait pas trop le nom.

De nombreuses stars de la chanson ont bénéficié de son talent, principalement dans les années 1960-1970. En particulier, Édith Piaf, Ella Fitzgerald, Marie Laforêt, Isabelle Aubret, Dalida, Nicole Croisille, Mireille Mathieu (qui a aussi chanté sur de la musique composée par Ennio Morricone), Bulle Ogier, Patricia Kaas, Nicoletta, Françoise Hardy, Petula Clark, Nana Mouskouri, Linda de Suza, Arielle Dombasle, Serge Reggiani, Elton John, Philippe Léotard, Jacques Dutronc, Charles Aznavour, Johnny Hallyday

L’une des chansons les plus émouvantes et représentant bien la France, cette "France périphérique", comme on l’appelle maintenant, d’ailleurs pas toujours opposée aux considérations écologiques, c’est "La Bicyclette" chantée en 1968 par Yves Montand. Francis Lai en fut le compositeur et Pierre Barouh (1934-2016) le parolier.





En 1974, Francis Lay a été chargé de composer la musique de la chaîne FR3, nouvelle troisième chaîne née peu de temps auparavant. Cette musique lui a donné une identité forte très connue de ceux qui attendaient avec impatience le "film du mardi soir", soirée télé possible parce qu’il n’y avait pas école le mercredi. Cette œuvre fut jouée notamment avec des ondes Martenot et un synthétiseur, ce qui était plutôt original à l’époque.





Parallèlement, à partir du milieu des années 1960, Francis Lai s’est investi dans les musiques de film, et là aussi, ce fut un grand succès. International évidemment. Il était le compositeur fétiche de Claude Lelouch, et aussi de René Clément, Henri Verneuil, Jean Delannoy, Claude Zidi, Bertrand Blier, etc.  Sa dernière musique de film fut pour le réalisateur Claude Lelouch avec le film "Chacun sa vie" sorti le 14 mars 2017 (aussi le dernier film où a joué Johnny Hallyday).

Dans ce domaine, Francis Lai a eu de très grands succès. Il a reçu, entre autres, l’Oscar de la meilleure musique de film en 1970 pour "Love Story" (réalisé par Arthur Miller), après une nomination en 1966 pour "Un homme et une femme" (Claude Lelouch).








Sans jamais le recevoir, il a eu aussi plusieurs nominations pour l’attribution d’un César, en 1977 pour "Bilitis", en 1981 pour "Les uns et les autres" (Claude Lelouch), en 1988 pour "Itinéraire d’un enfant gâté" (Claude Lelouch), en 1998 pour "Hasards ou Coïncidences" (toujours Claude Lelouch).








Francis Lai a en effet composé la musique du film "Bilitis" qui fut l’un des rares films réalisés par le photographe David Hamilton. Ce film est basé sur "Les Chansons de Bilitis", un recueil de poèmes de Pierre Louÿs, ou plutôt, juste inspiré, puis l’œuvre de Pierre Louÿs fait référence à de la poésie antique, ce qui n’est pas le cas pour le film, mais le point commun reste l’homosexualité féminine. La musique romantique de Francis Lai a été très appréciée notamment en Allemagne.








Dans la bande originale du film "La bonne année" (Claude Lelouch) où Lino Ventura est le héros, Francis Lai a intégré cette célèbre chanson très nostalgique "Chabadabada" (selon les paroles de Pierre Barouh) qu’il avait composée pour "Un homme et une femme" dès 1966 (chantée par Nicole Croisille).





L’expression Chabada (signifiant "un homme une femme") a été promue au rang de la sémantique politique par Michel Rocard qui voulait composer la liste socialiste aux élections européennes en juin 1994 avec la parité homme/femme, sans que cela fût obligatoire (Lionel Jospin l’a rendue obligatoire par la loi n°2000-493 du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives).

Parmi les bandes originales composées par Francis Lai que j’ai beaucoup appréciées, il y a celle du film "Association de malfaiteurs" réalisé par Claude Zidi et sorti le 11 février 1987. Aidée par le jeu d’acteurs exceptionnels (François Cluzet, Claire Nebout, Christophe Malavoy, l’affreux Jean-Pierre Bisson et l’adorable tonton à la tortue Hubert Deschamps), l’histoire décrit une bande de camarades de promo de HEC, très symptomatique des années 1980 et du début de l’ère "libérale" du succès par l’argent, les femmes, le pouvoir (le film pourrait d’ailleurs se résumer par le match fric vs amour).











Parmi les autres contributions très célèbres de Francis Lai, il y a aussi les bandes originales du film "Le Corps de mon ennemi" (Henri Verneuil) et du film "Les Ripoux" (Claude Zidi).








Que ce très modeste hommage contribue à perpétuer la mémoire de Francis Lai comme un grand contributeur du cinéma français et de la chanson française, deux disciplines importantes pour le rayonnement culturel de la France.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 novembre 2018)
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Pour aller plus loin :
Le cinéma parlant.
Ennio Morricone.
Francis Lai.
Georges Bizet.
George Gershwin.
Maurice Chevalier.
Leonard Bernstein.
Jean-Michel Jarre.
Pierre Henry.
Barbara Hannigan.
György Ligeti.
Claude Debussy.
Binet compositeur.
Pierre Boulez.
Karlheinz Stockhausen.

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10 novembre 2018 6 10 /11 /novembre /2018 06:24

« Le compositeur aux 500 bandes originales sourit lorsque l’abondance de son travail est comparée à celle de Mozart ou Rossini. » ("Le Figaro").


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Depuis plusieurs siècles, les compositeurs de musique ont principalement une fonction de divertissement. Il y avait longtemps, la musique pouvait donc accompagner des loisirs comme les opéras ou les ballets (à moins que ce ne fût l’inverse). C’était donc normal qu’à partir du développement du cinéma parlant (et même avant, puisque la musique accompagnait déjà le film), la composition musicale entrât pleinement dans la création cinématographique au même titre que le scénario, les dialogues, les décors, les costumes, etc.

Au début, on prenait des morceaux musicaux déjà existants pour accompagner les films (on peut continuer à faire ainsi, c’était le cas du film "2001, l’Odyssée de l’Espace"), et petit à petit, on composait de la musique spécialement dédiée au film réalisé.

Or, la création musicale au cinéma a cet avantage sur la création artistique en général et musicale hors cinéma en particulier, c’est qu’elle fait partie intégrante d’une véritable industrie, et qu’à ce titre, elle peut plus facilement être "monnayable" par le "marché" (bouh !), bien au-delà des subventions d’État ou des dons de bienveillants mécènes. De plus, elle peut acquérir rapidement une certaine notoriété, au rythme des acteurs, des réalisateurs et de leurs films, avec leur lot de récompenses (Oscars, Césars, etc.).

L’un des grand musiciens français du cinéma vient de disparaître, Francis Lai (j’y reviendrai). Comme lui, certains de ses collègues, compositeurs de musique de film, sont très connus et sont connus surtout par leurs œuvres pour le cinéma. C’est le cas notamment des compositeurs français Maurice Jarre (1924-2009), Michel Legrand (86 ans), Vladimir Cosma (78 ans), Éric Serra (59 ans), ou encore Alexandre Desplat (57 ans).

Probablement le plus connu au monde des musiciens du cinéma, peut-être le plus fécond également, c’est l'Italien Ennio Morricone qui fête son 90e anniversaire ce samedi 10 novembre 2018. Il est difficile d’ignorer sa musique, à moins de n’avoir regardé aucun film depuis une cinquantaine d’années.

Ennio Morricone est né à Rome et cela fait plus de soixante ans qu’il compose de la musique pour films. La somme de ses œuvres est si monumentale qu’il serait bien périlleux et ennuyeux de les citer toutes. Ses premières compositions datent de 1957. Sa dernière œuvre fut pour le film "A Rose in Winter" réalisé par Joshua Sinclair et sorti le 13 mai 2018.

Ennio Morricone, joueur de trompette, compositeur, est aussi un chef d’orchestre. Malgré son âge avancé, infatigable, il est actuellement en tournée européenne dans une trentaine de villes et dirige une quarantaine de concerts. Le 23 novembre 2018, il sera ainsi à Paris, le 24 novembre 2018 à Bruxelles, le 26 novembre 2018 à Londres, le 19 janvier 2019 à Cracovie, le 21 janvier 2019 à Berlin, le 23 janvier 2019 à Budapest, le 25 janvier 2019 à Prague, le 27 janvier 2019 à Stockholm, le 28 janvier 2019 à Oslo, et enfin, le 13 février 2019 à Anvers.





Cette tournée est triomphale, les salles sont immenses et remplies, à la proportion de son talent : « Me produire dans toutes ces villes devant un public si large, aux âges et aux cultures si variés, est une expérience des plus enrichissantes. Cette année, je fête soixante années d’une carrière durant laquelle j’ai composé plus de 600 musiques. ». Parmi ces 600 musiques, 100 sont des œuvres originales non destinées au cinéma, comme "Concerto pour orchestre" en 1957, "Cantate pour l’Europe" en 1988, et même une messe dédiée au pape François en 2015, "Missa Papae Francisci".

Ennio Morricone a vraiment commencé ses tournées de chef d’orchestre à partir de 2001. Il a dirigé un concert le 2 février 2007 à New York en l’honneur du nouveau Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-Moon, et la même année, le 7 juin 2007 à Cracovie devant 40 000 spectateurs en l’hommage à l’ancien pape Jean-Paul II.








Ce qui est étonnant, c’est que malgré ses 500 musiques de film, il a reçu certes beaucoup de récompenses et énormément de reconnaissance, mais peu d’Oscars et aucun César par rapport à sa production. Il a reçu un Oscar de la meilleure musique de film très tardivement, en 2016, après cinq autres nominations, pour "Les Huit Salopards" (à l’âge de 87 ans !), et auparavant, un César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière en 2007. Il n’a (encore) reçu aucun César (seulement trois nominations, pour "I… comme Icare" en 1980, "Le Professionnel" en 1982 et "En mai, fais ce qu’il te plaît" en 2016). Il a reçu un Lion d’Or pour la carrière au Festival de Venise de 1995. En outre, il a "gagné" son étoile sur le fameux Hollywood Walk of Fame le 26 février 2016, qui récompense les légendes du cinéma mondial.

Je regrette d’ailleurs que la bande originale du film "Le Professionnel" ne fût pas récompensée aux Césars car c’est un exemple extraordinaire du talent d’Ennio Morricone. L’œuvre, appelée "Chi Mai" a été composée dès 1971 et fut, au-delà du succès cinématographique, un grand succès discographique (en France, près d’un millions de disques ont été vendus en 1981-1982).





Autre musique très connue et qui contribua au succès du film et à un succès discographique, "Here’s to You" chantée par Joan Baez sur des paroles de Joan Baez et une composition d’Ennio Morricone, qui a fait vibrer jusque dans les colonies de vacances de l’époque. La chanson fut la bande originale du film "Sacco et Vanzetti" réalisé par Giuliano Montaldo et sorti le 16 mars 1971 à partir d’une histoire réelle en 1920. Sacco et Vanzetti furent deux immigrés italiens aux États-Unis condamnés et exécutés injustement pour un crime qu’ils n’auraient pas commis (ils furent réhabilités par le gouverneur Michael Dukakis, candidat démocrate aux présidentielles de 1988). Sans doute le plus bel hommage aux deux condamnés.

La vraie reconnaissance, c’est évidemment celle de son public, qui est différent du public des films. En tout, le compositeur a vendu plus de 70 millions de disques dans le monde entier. Pour donner une comparaison, avant son disque posthume, Johnny Hallyday a vendu 110 millions de disques.

Mais Ennio Morricone, avant tout, c’est le western-spaghetti de Sergio Leone. Plusieurs films qui sont devenus légendaires et leur musique y a contribué grandement. Dans les vidéos qui suivent, parfois avec des doublons, ces musiques sont très régulièrement représentées et sont devenues des "classiques" qui peuvent s’écouter en dehors des films qu’elles accompagnaient. Merci Ennio Morricone et longue vie à vous !

















Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 novembre 2018)
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Pour aller plus loin :
Le cinéma parlant.
Ennio Morricone.
Francis Lai.
Georges Bizet.
George Gershwin.
Maurice Chevalier.
Leonard Bernstein.
Jean-Michel Jarre.
Pierre Henry.
Barbara Hannigan.
György Ligeti.
Claude Debussy.
Binet compositeur.
Pierre Boulez.
Karlheinz Stockhausen.

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7 novembre 2018 3 07 /11 /novembre /2018 05:14

« Si la notoriété de Guillaume Apollinaire tient à ce qu’il est un des plus grands poètes du XXe siècle, son importance dans l’histoire culturelle vient aussi de ce qu’il est au carrefour de tous les mouvements artistiques d’avant-garde du début du XXe siècle. Sa triple situation de "bâtard, métèque et fauché" (J.-Ch. Gateau) explique en partie son parcours spirituel : recherche d’une identité individuelle et culturelle qui explique sa curiosité et sa boulimie intellectuelle, vie de bohème où il entre en contact avec les milieux d’avant-garde, pauvreté matérielle qui l’exclut du monde des "installés" et le contraint à beaucoup d’ouvrages alimentaires (…). Tout cela le prédispose à rejeter le lourd héritage de l’académisme, mais aussi à se démarquer des raffinements élitistes du symbolisme, à goûter avec le même plaisir les particularités culturelles (…) et les mots de la langue française (d’où la fréquente préciosité de sa langue) ; son goût de surprendre le conduit à accueillir toutes les nouveautés, d’où qu’elles viennent. » (Michel Fragonard, 1995).



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Il y a un siècle, le 9 novembre 1918, dans les rues de Paris, on conspuait Guillaume. L’empereur Guillaume II. L’empereur allemand qui venait d’abdiquer. Deux jours avant l’arrêt des combats. L’Empire allemand était mort. Tout comme l’Empire austro-hongrois. À quelques heures d’intervalle, chez les vainqueurs, au septième arrondissement, un autre empereur mourait, Guillaume Apollinaire.

Il n’avait que 38 ans, et fut vaincu, comme des millions d’autres, par la grippe espagnole. Il fut officiellement "mort pour la France" parce qu’il avait été combattant sous la Première Guerre mondiale et qu’une grave blessure l’avait terriblement affaibli (blessé par un obus à la tempe le 17 mars 1916, il fut évacué à Paris et trépané le 10 mai 1916).

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La mention faite ne fut pas sans conséquence sur sa postérité puisque, au contraire de la loi habituelle, il n’a pas fallu attendre soixante-dix ans pour que ses œuvres tombassent dans le domaine public, mais… presque 95 ans, c’est-à-dire, jusqu’au 29 septembre 2013 (à l’époque, le délai était de cinquante ans et il fallait rajouter trente ans parce que "mort pour la France" plus des délais supplémentaires à cause de l’impact des deux guerres mondiales, plus de six ans pour la première et plus de huit ans pour la seconde).

Guillaume Apollinaire est un géant de la littérature française mais aussi un géant de la culture d’avant-garde en général, au-delà des disciplines et au-delà des frontières. Il est né polonais de l’Empire russe, à Rome le 26 août 1880, sous le nom de Guillaume de Kostrowitzky, et s’est installé à Paris en 1900. En 1901-1902, il tomba amoureux de la gouvernante anglaise lorsqu’il fut le précepteur des filles d’une veuve allemande, la vicomtesse de Millau. Sa mère est née au Grand-duché de Lituanie dans une ville qui est maintenant située en Biélorussie. Son père, inconnu, fut un officier italien. Le 20 janvier 1919, Paul Léautaud a rencontré la mère d’Apollinaire : « Elle raconte toute sa vie : russe, jamais mariée, nombreux voyages, toute l’Europe ou presque. Apollinaire m’apparaît soudain ayant hérité en imagination de ce vagabondage. » (Journal).

Apollinaire, synthèse à lui tout seul de l’Europe, a obtenu la nationalité française seulement le 9 mars 1916, après son engagement à Nîmes dans l’armée française (au 38e régiment d’artillerie) le 6 décembre 1914. Il fut promu par la suite lieutenant au 96e régiment d’infanterie (le 28 juillet 1918).

En août 1914, Guillaume Apollinaire s’était retrouvé seul à Paris, car tous ses amis avaient été mobilisés et pas lui, qui était étranger. Plus aucune activité culturelle car les éditeurs ont arrêté leurs publications à cause de la guerre. Il a voulu s’engager mais on le lui a refusé parce qu’étranger. Finalement, il a réussi à s’engager à la fin de 1914 après avoir rempli son dossier de demande de naturalisation le 1er septembre 1914. Apollinaire profita de l’arrivée d’un ami démobilisé à Nice pour l’y rejoindre le 3 septembre 1914. Il y rencontra une charmante demoiselle (voir plus loin).

Apollinaire fut son pseudonyme adopté en 1902 (il avait 22 ans) pour publier dans des revues ses poèmes, romans, contes, pièces et essais. C’état le prénom de son grand-père maternel et aussi l’un de ses multiples prénoms à la naissance (il en avait cinq). Apollon, dieu des arts, de la musique, de la beauté, de la poésie.

C’est intéressant de regarder les photos de lui. Guillaume Apollinaire paraît d’une étonnante modernité. Plus moderne que certains artistes contemporains pourtant déjà assez modernes.

Ainsi, lorsqu’on regarde des photos de famille de peintres des années 1910 comme Egon Schiele ou encore Paul Modersohn-Becker, on pourrait presque les prendre pour des photos des années 1950, 1960 et même en poussant bien, 1970, à une époque où la cravate était un attribut systématique pour les hommes, même dans des rencontres amicales (aujourd’hui, depuis l’été 2017, la cravate n’est même plus nécessaire dans l’hémicycle).

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Même Egon Schiele qui n’hésite pas (sur d’autres clichés) à faire des grimaces, des gestes loufoques ou des regards particuliers qui n’ont rien à voir avec les convenances de l’époque.

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Avec les photos représentant Guillaume Apollinaire, on pourrait presque les considérer comme de notre époque, des années 2010, cent années plus tard. Certes, il y a bien sûr l’aspect un peu vieilli des photos qui ne peut pas être confondu avec la technologie numérique d’aujourd’hui. De même, l’uniforme parce que combattant en pleine guerre, ce qui est une situation que ne connaissent heureusement plus la plupart des jeunes gens d’aujourd’hui en France, en absence de guerre et aussi, en absence de service militaire (les dernières classes qui ont fait leur service national atteignant maintenant les 40 ans, le service national a été supprimé par la loi du 28 octobre 1997). Mais la manière de poser, la manière de se comporter devant l’objectif, seul ou accompagné, reste très moderne.

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Comme Egon Schiele, Apollinaire a fait de la prison. Il a séjourné une semaine à la prison de la Santé en septembre 1911 parce qu’on l’accusait de complicité de vol de La Joconde (La Joconde fut dérobée au Louvre le 21 août 1911 et fut retrouvée à Florence le 10 décembre 1913 par un antiquaire italien). Comme pour Schiele, les jours passés en prison furent traumatisants. Apollinaire avait été accusé à cause d’une relation qui avait volé des statuettes égyptiennes au Louvre. Picasso aussi fut soupçonné pour la même raison.

Apollinaire est très connu comme poète, il l’est un peu moins comme auteur de romans pornographiques (comme "Les Onze Mille Verges" publié en 1907 : « Si je vous tenais dans un lit, vingt fois de suite je vous prouverais ma passion. Que les onze mille vierges ou même les onze mille verges me châtient si je mens ! »), qu’il a rédigés pour des raisons très alimentaires. Il est aussi critique d’art et à ce titre, il a encouragé tous les artistes d’avant-garde des années 1910, a fait l’éloge du Douanier Rousseau (en 1910 : « Cette année, personne ne rit, tous sont unanimes : ils admirent. »), il fut le mentor des surréalistes dont il a trouvé l’appellation en mars 1917. Il fut au centre de ce bouillonnement artistique des décennies 1900 et 1910.

Ce bouillonnement intellectuel était d’ailleurs généralisé : la littérature, la musique, la peinture, mais aussi les sciences, en particulier, la physique et la chimie, la relativité, la physique quantique, la radioactivité, ont eu leur premier développement essentiellement durant ces années.

Revenons à ses poèmes. Lorsqu’il rassembla ses poèmes écrits depuis 1898 pour en faire "Alcools", il hésita sur la ponctuation et décida finalement de la supprimer purement et simplement : aucun point, aucune virgule ! (Pour citer ses vers, je mettrai cependant une virgule ici pour les séparer sans passage à la ligne, que je préfère au trait oblique).

Guillaume Apollinaire a souvent écrit en fonction de son état affectif et de l’état de ses rencontres amoureuses. "L’Adieu" fut écrit en 1903 pour la gouvernante anglaise évoquée plus haut : « J’ai cueilli ce brin de bruyère, L’automne est morte souviens-t’en, Nous ne nous verrons plus sur terre, Odeur du temps brin de bruyère, Et souviens-toi que je t’attends ». "Le Pont Mirabeau" écrit en 1912 après la rupture avec Marie Laurencin : « Sous le pont Mirabeau coule la Seine, Et nos amours, Faut-il qu’il m’en souvienne, La joie venait toujours après la peine, Vienne la nuit sonne l’heure, Les jours s’en vont je demeure, Les mains dans les mains restons face à face, Tandis que sous, Le pont de nos bras passe, Des éternels regards l’onde si lasse (…) ».

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Un autre exemple de poème, éloquent de déclaration d’amour (ce qui est l’acte fondateur toujours très émouvant d’une nouvelle histoire), Guillaume Apollinaire l’a écrit à Louise de Coligny-Châtillon (1881-1963) le 28 septembre 1914 à Nice : « Vous ayant dit ce matin que je vous aimais, ma voisine d’hier soir, j’éprouve maintenant moins de gêne à vous l’écrire. Je l’avais déjà senti dès ce déjeuner dans le vieux Nice où vos grands et beaux yeux de biche m’avaient tant troublé que je m’en étais allé aussi tôt que possible afin d’éviter le vertige qu’ils me donnaient. ». Avec un ami, Apollinaire avait été invité par hasard à déjeuner à la table de la jeune femme le 27 septembre 1914 et quelques heures plus tard, celle-ci se retrouva sa voisine dans une soirée où les convives étaient invités à fumer l’opium…

Selon André Rouveyre, cité par la préface de Michel Décaudin à "Lettres à Lou" publié en 1969, chez Gallimard, Lou, qui avait déjà été mariée et divorcée le 11 mars 1912, était « gracieuse et novice aventureuse, frivole et déchaînée, prodigue à la fois et avare de soi, imprudente et osée, et plutôt d’ailleurs pour la frime que pour l’enjeu ». Michel Décaudin a décrit cet amour fascination : « Cet éclat de passion libéra en Apollinaire des forces qui, pour s’être déjà manifestées, n’avaient jamais éclaté avec une telle violence. Il s’abandonna à cette fête de la chair avec un déchaînement et une volonté de puissance sur lesquels il y aura beaucoup à dire lorsqu’on voudra étudier sérieusement et autrement que d’après quelques idées admises son comportement amoureux. Face à Lou, il éprouve constamment le besoin d’affirmer la supériorité du mâle, et par là, sans doute, de s’affirmer à lui-même, de prendre une revanche inconsciente sur toutes celles qui l’ont fait souffrir. ».

Par la suite, il lui envoya de nombreuses lettres, notamment du front, mais dès le 26 mars 1915, la dulcinée, qui l’avait suivi à Nîmes en décembre 1914, préféra rompre au profit de leur amitié. Volontaire, Guillaume Apollinaire partit au front le 4 avril 1915, près de Mourmelon, en Champagne. Ses lettres nombreuses (plus de deux cents) étaient enflammées, même en été 1915 (espérant encore la reconquérir). Le 30 janvier 1915 : « Si je mourais là-bas, sur le front de l’armée, Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée, (…) Souvenir oublié vivant dans toute chose, Je rougirais le bout de tes jolis seins roses. ». Sa dernière lettre à la muse Lou fut écrite le18 janvier 1916.

Michel Décaudin (1919-2004), universitaire et spécialiste d’Apollinaire, précisa d’ailleurs les arrière-pensées du poète : « Rien n’est simple chez Apollinaire, et le poète ne s’efface jamais complètement derrière l’amant. Dès la deuxième lettre, il pense à faire un livre sur Lou et cette préoccupation affleure sous des formes diverses tout au long de cette correspondance, au point qu’on a parfois l’impression qu’il écrit pour lui autant que pour elle. ».

Les deux se sont revus une seule fois Place de l’Opéra à Paris : « Entrevue navrante pour tous les deux. Une sorte de fuite intime de part et d’autre. Lui était d’ailleurs très atteint, très émotif. Puis, se retrouver ainsi soudain auprès d’une femme qu’il avait si profondément aimée et qui l’avait déçu… Reproches, entretien assez pénible. Entretien écourté où ils se sont regardés avec tristesse, et avec l’impression qu’ils ne se reverraient plus. Ce qui devait être, en effet. » (selon André Rouveyre cité par Michel Décaudin).

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Guidé par son originalité, Apollinaire a inventé le mot "calligramme" lorsqu’il a publié le 15 avril 1918 "Calligrammes, Poèmes de la paix et de la guerre" où il forme des dessins avec les mots de ses poèmes.

Il n’est cependant pas l’inventeur de ce type d’écrits qui a existé depuis très longtemps, et l’un des premiers calligrammes de "l’époque contemporaine" pourrait être la couverture du "Charivari" qui a publié le 27 février 1834 le verdict de son procès en forme de poire, accusé parce que le journal avait caricaturé le roi (Louis-Philippe) en forme de poire.

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Je termine ce texte un peu décousu sur le grand Apollinaire par un de ses poèmes issus de son œuvre "Alcools" publié en 1913, "Les Colchiques", en respectant, cette fois-ci, la non-ponctuation.

« Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne

Les enfants de l’école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières

Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne »

Guillaume Apollinaire, "Alcools"


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Sylvain Rakotoarison (06 novembre 2018)
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Pour aller plus loin :
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René de Obaldia.
Raymond Aron.
Jean Paulhan.
René Rémond.
Marceline Loridan-Ivens.
François Flohic.
Françoise Dolto.
Lucette Destouches.
Paul Claudel.
Louis-Ferdinand Céline.
Georges Bernanos.
Jean-Jacques Rousseau.
Daniel Cordier.
Philip Roth.
Voltaire.
Jean d’Alembert.
Victor Hugo.
Karl Marx.
Charles Maurras.
Barbe Acarie.
Maurice Bellet.
Le philosophe Alain.
Marguerite Yourcenar.
Albert Camus.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

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6 novembre 2018 2 06 /11 /novembre /2018 02:00

« En respectant l’enfant, on respecte l’être humain. » (Françoise Dolto, "La Cause des enfants", éd. Robert Laffont, 1985).


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La psychanalyste et psychiatre des enfants Françoise Dolto est morte à Paris il y a trente ans, le 25 août 1988, à l’âge de 79 ans (elle est née il y a 110 ans le 6 novembre 1908 à Paris). Très connue du grand public grâce à ses émissions quotidiennes de radio sur France Inter entre octobre 1976 et octobre 1978, elle a pu ainsi populariser ses très nombreux travaux sur l’enfance et l’adolescence. Ayant eu une enfance malheureuse, elle a voulu encourager les parents à respecter la liberté de leurs enfants ainsi que leurs différences.

Issue d’une famille catholique située plutôt à l’extrême droite, fille et petite-fille de polytechniciens, Françoise Dolto, sœur du futur ministre gaulliste Jacques Marette (1922-1984) et mère du futur chanteur de variétés populaires Carlos (1943-2008), n’a jamais caché son vague soutien à Pétain sous l’Occupation sans pour autant avoir commis des gestes de collaboration active ou des actes antisémites (elle fut recrutée par Alexis Carrel le 1er décembre 1942 pour travailler au département biologie de l’enfant et de l’adolescent de sa fondation).

Sa mère ne voulait pas qu’elle fît d’études et elle a dû batailler au milieu des années 1920 et au début des années 1930 pour en faire. Elle a finalement soutenu sa thèse de doctorat en médecine en 1939 (avec pour titre de sa thèse "Psychanalyse et pédiatrie" publiée en 1971, éd. du Seuil). Pendant sa carrière professionnelle, Françoise Dolto fut une praticienne et a beaucoup travaillé avec Jacques Lacan (1901-1981) qui recommandait auprès d’elle ses "cas" les plus difficiles. De son expérience, elle a écrit beaucoup d’ouvrages. Catholique, elle a également tenu une conférence à Rome sur le thème "Vie spirituelle et psychanalyse".

Encore enfant, Françoise Dolto avait déjà choisi sa vocation, elle voulait devenir "médecin d’éducation" qu’elle précisait de manière étonnamment mature : « un médecin qui sait que quand il y a des histoires dans l’éducation, ça fait des maladies aux enfants, qui ne sont pas des vraies maladies, mais qui font vraiment de l’embêtement dans les familles et compliquent la vie des enfants qui pourrait être si tranquille ». Une réflexion qui me fait sens puisque, enfant, je m’étais moi-même promis qu’une fois adulte, je n’oublierais jamais que j’avais été enfant…

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Originaire de Crimée, son mari Boris J. Dolto (1899-1981) fut l’un des précurseurs de la kinésithérapie en France, fondateur de l’École française d’orthopédie et de massage (un de leur fils, le chanteur Carlos, fut diplômé masseur-kinésithérapeute de cette école) et leur fille Catherine Dolto-Tolitch (72 ans) est une médecin pédiatre et haptopsychothérapeute, également désigné exécutrice testamentaire de Françoise Dolto peu avant sa mort.

Parce que son frère Jacques Marette, sénateur (suppléant d’Edmond Michelet), puis député, fut nommé Ministre des Postes et Télécommunications du 15 avril 1962 au 1er avril 1967 dans les gouvernements de Georges Pompidou, Françoise Dolto fut chargée de rédiger la première réponse-type aux lettres au Père Noël en décembre 1962 : « Mon enfant chéri, ta gentille lettre m’a fait beaucoup de plaisir. Je t’envoie mon portrait. Tu vois que le facteur m’a trouvé, il est très malin. J’ai reçu beaucoup de commandes. Je ne sais pas si je pourrai t’apporter ce que tu m’as demandé. J’essaierai, mais je suis très vieux et quelquefois, je me trompe. Il faut me pardonner. Sois sage, travaille bien. Je t’embrasse fort. Le Père Noël. ». Ce fut une initiative (lancée en fait par une employée des Postes dans les années 1950 qui répondait en cachette aux lettres adressées au Père Noël dans son village) dont le succès ne fut jamais démenti. En 2008, 1,6 million d’enfants avaient ainsi adressé un courrier au Père Noël en France.

Depuis plusieurs années, la pensée de Françoise Dolto est parfois un peu caricaturée et même contestée. Il faut dire que la société du XXIe siècle n’a rien à voir avec celle des années 1950. Aujourd’hui, l’enfant est roi, il est le cœur de cible marketing des publicitaires grand public, il est le prescripteur des achats des adultes, il amorce la pompe de la société de consommation en l’assommant par des marques, il est même décérébré dès le plus jeune âge avec tous les moyens technologiques modernes.

Bon, évidemment, j’exagère un peu, je grossis le trait, et il y a des avantages à cela, ce n’est pas de faire perdurer le Père Noël ni de rendre tristes ceux qui passent Noël seuls, mais c’est toujours plus agréable de penser aux enfants car en pensant aux enfants, on pense à la société de demain, à l’avenir, et il est probablement plus efficace de faire des campagnes sur le respect des autres, de l’environnement et même des limitations de vitesse (avez-vous remarqué qu’au sortir de certains péages d’autoroute, des affichettes exhortent les enfants à surveiller le compteur de vitesse de papa… ou de maman ?) que de dimensionner toute la société pour les plus de 65 ans (et pourtant, les plus âgés auraient besoin aussi d’adaptation pour leur déambulateur et leur fauteuil roulant, disons, autant que pour les poussettes de leurs petits-enfants). D’ailleurs, elle qui fut sa secrétaire, Françoise Dolto le disait : « Moi, j’y crois au Père Noël. Je crois à un jour par an où nous donnons à tout le monde pour le plaisir de donner. ».

En fait, on a vraiment commencé à s’inquiéter de l’enfant-roi lorsque celui-ci accusait gratuitement des adultes d’actes graves devant un juge. La parole de l’enfant n’est pas aussi sacrée qu’on a voulu le dire, elle peut se tromper, elle peut tromper, mais est-ce pour autant qu’il faut reléguer les enfants à leur place des années 1950 ? Heureusement, non !

Car la société est partie de très bas dans sa considération et son respect de l’enfant. Jusque dans les années 1980, les médecins ne s’occupaient pas de la douleur des bébés à l’hôpital, comme s’ils n’étaient que des larves végétales sans sensation, sans émotion (juste des tubes digestifs). Les enfants asociaux étaient parqués dans des bagnes pour enfants jusque dans les années 1930 ! Françoise Dolto a connu les premières résistances. La Convention internationale des droits de l’enfant a été adoptée deux siècles après la Déclaration des droits de l’homme… C’est avec ce lourd passif qu’on peut raisonnablement dire que Françoise Dolto fut une femme révolutionnaire, bien plus efficacement d’ailleurs que bien des féministes autoproclamées (Françoise Dolto fut d’ailleurs une grande référence du féminisme en France).

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Interrogée par Catherine Robin et Dorothée Werner, la psychanalyste Claude Halmos, qui fut une élève de Françoise Dolto, a essayé de remettre les idées au clair : « Sa pensée était révolutionnaire, elle continue de l’être. Dolto reste souvent mal comprise et caricaturée. Ses théories ont émergé dans une société où les familles répressives bénéficiaient d’un consensus social. L’enfant n’était pas considéré alors comme une personne et sa parole n’avait pas de valeur : il était supposé avoir des petites idées, des petits chagrins, des petites joies, des petites choses à l’image de sa petite taille. Dolto nous a fait comprendre que la parole d’un enfant a autant de valeur que celle d’un adulte. Mais en aucun cas elle ne dit qu’un enfant est un adulte. (…) Quand Dolto a commencé à parler à la radio, elle a réhabilité la souffrance de l’enfant dans chaque personne qui l’écoutait. Elle disait : "Votre souffrance d’enfant était légitime". C’est cet effet de vérité qui a fait le succès de Dolto… et suscité, en miroir, la haine que l’on sait. » ("Elle", le 11 octobre 2013).

Probablement que le principal contresens commis par ceux qui s’opposent à Dolto est justement de croire que réhabiliter la parole de l’enfant, cela reviendrait à discréditer l’autorité des parents. Rappelons d’abord que la cellule familiale est beaucoup plus éclatée qu’auparavant et que cette autorité a été réduite mécaniquement, notamment dans les familles monoparentales. Claude Halmos répondrait ceci : « Dolto m’a appris avant tout à ne jamais juger les parents, mais plutôt à écouter l’enfant dans le parent. Cette phrase a été une bascule dans ma pratique de jeune analyste. ».

Pour Dolto, tous les désirs des enfants sont légitimes, mais ils ne sont pas tous réalisables car il y a la loi, et avant la loi, avant tout, le respect de l’autre. Or, pour respecter l’autre, il faut d’abord se mettre à la place de l’autre. Cette réflexion des limites est en fait essentielle dans le développement de l’enfant et plus tard, du jeune adulte. Claude Halmos l’a ainsi expliqué : « Pour intégrer véritablement les lois, il faut être capable de se mettre à la place de l’autre que l’on pourrait faire souffrir. Ce n’est possible que si l’on se sent soi-même une personne. ».

En fait, la vraie difficulté de la théorie de Françoise Dolto, c’est d’imaginer une nouvelle forme d’autorité parentale qui soit basée sur l’intelligence et la compréhension (qu’on pourrait assimiler à du management participatif) et pas sur de la simple obéissance (management directif). Le laxisme éducatif, la permissivité, le laisser-aller de certains parents, leur renoncement parfois, ne doivent pas faire oublier que l’enfant reste une personne fragile à respecter et à protéger.

Toute sa vie, Françoise Dolto a développé des idées qui s’approchaient d’un certain humanisme, l’essentiel étant de pouvoir communiquer pour éviter tout malentendu et pour formaliser certaines pensées fortes. Elle a ainsi rejeté la compatibilité entre la jalousie et l’amour, la jalousie est le contraire de l’amour dans la mesure où c’est une défiance et pas une confiance : « La jalousie n’est pas une preuve d’amour mais d’immaturité. ».

Je termine enfin sur cette très belle phrase d’elle qui devrait être placardée dans toutes les collectivités, de la famille …aux États : « Tout groupe humain prend sa richesse dans la communication, l’entraide et la solidarité visant à un but commun : l’épanouissement de chacun dans le respect des différences. ». Uni dans la diversité, c’est justement la devise de l’Europe !


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Sylvain Rakotoarison (25 août 2018)
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Pour aller plus loin :
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Maurice Bellet.
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Micheline Preesle.
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Jeanne Moreau.
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31 octobre 2018 3 31 /10 /octobre /2018 04:23

« Je me fais une publicité terrible avec mes dessins interdits. » (Cité par Jeanette Zwingenberger et Esther Selsdon).



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Il y a exactement un siècle que le peintre expressionniste Egon Schiele est mort. Le 31 octobre 1918, il s’est "éteint" à Vienne de la "grippe espagnole" (à l’appellation trompeuse). Sa femme Edith, qui était enceinte d’un bébé au sixième mois de sa grossesse, est morte trois jours avant lui. Tout Vienne fut sous le choc de l’épidémie. Il n’avait que 28 ans (né le 12 juin 1890 à Vienne), mais il a laissé des milliers d’œuvres, souvent guidées par des pulsions de mort ou des pulsions sexuelles, qui en fait l’un des artistes essentiels du début du XXe siècle. Entre 1906 et 1918, en douze ans donc, il a réalisé environ 3 000 dessins, aquarelles et gouaches et 300 peintures (et très peu de gravures, lithographies).

Son dernier tableau ("La Famille") anticipa à tort la famille qu’il n’a jamais eue : il envisageait ainsi la paternité dans un cadre stable après quelques années d’errance avant de rencontrer sa future épouse (l’écrivain et cinéaste Alain Fleischer a publié un essai sur ce tableau en 2008 aux éditions du Huitième jour).

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Egon Schiele fut passionné par le dessin et la peinture très tôt dans son existence qui a été marquée par plusieurs drames comme la mort de sa sœur aînée (quand il avait 3 ans) et surtout la mort de son père de syphilis (quand il avait 14 ans). Ce fut à la mort de son père qu’Egon Schiele a commencé à peindre ses premiers autoportraits. Sa mère convainquit l’oncle, qui était devenu le tuteur, de laisser Egon étudier aux Beaux-Arts de Vienne (à partir de 1906) parce qu’il avait un talent fou, mais le futur artiste quitta vite ce repaire du conservatisme et d’académisme avec d’autres amis pour fonder son propre groupe artistique, le "Neukunstgruppe" ("groupe pour le nouvel art", en allemand).

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Ce petit groupe d’amis fut essentiel dans la promotion mutuelle de leurs œuvres, et aussi dans leur vie personnelle (l’un s’est marié à l’une des sœurs d’Egon Schiele, par exemple). En 1907, Egon Schiele a fait la rencontre de son maître artistique, Gustav Klimt (1962-1918), qui l’a ensuite introduit dans différents cercles artistiques. Les deux peintres allaient s’apprécier et apprécier leurs œuvres mutuellement. L’année 1909 fut pour Egon Schiel essentielle car elle représenta son ouverture à son public et à ses "sponsors" : premières expositions, rencontre avec des éditeurs, des collectionneurs, etc.

Pendant le reste de sa vie, il a réalisé des dizaines et des dizaines d’autoportraits, qui montre toute l’étendue de son état d’esprit très tourmenté, torturé, inquiétant, d’une noirceur à faire peur, de traits qui sembleraient presque cadavériques, d’un style ascétique et abrupt. Les mains et les membres en général ressemblent à des parties d’un squelette, les visages sont souvent horrifiés, tuméfiés. L’un des autoportraits fait vraiment penser au célèbre tableau d’Edvard Munch (1863-1944), "Le Cri" (1893).

Également poète, Egon Schiele savait décrire ses sensations : « J’entre sous le dôme noir rouge de cette épaisse forêt de sapins, qui vit sans vacarme et se regarde en mimant. Les troncs d’yeux qui denses s’agrippent et expirent un air visiblement humide. Parfois ! Tout est mort vivant. ».

La critique parlait d’un "excès d’un cerveau perdu". Egon Schiele ne manquait pas d’humour ni d’autodérision car beaucoup décrié (pour les raisons qui suivent), il coupait l’herbe sous le pied de ses détracteurs en dessinant ses yeux avec un certain strabisme, pour jouer sur son patronyme qui est associé au verbe "schielen" qui signifie en allemand "loucher".

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Signe d’un talent original, le style d’Egon Schiele est reconnaissable parmi les autres, mais il ne fut pas reconnu par beaucoup de monde au début. Pas seulement de lui, il a fait aussi beaucoup de portraits d’amis. Il a exposé ses tableaux et dessins dans certaines villes allemandes et austro-hongroise (Prague, Cologne, Munich, Budapest, etc.).

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La rencontre de la gracieuse Wally Neuzil (1894-1917), supposée être un modèle de Klimt, fut une étape importante dans sa vie, ils ont noué une liaison artistique et amoureuse de 1911 à 1913. La femme avait la réputation d’être une prostituée. Ils se sont installés dans une petite ville de Bohême, Krumau, d’où fut originaire la mère d’Egon, mais, rejetés par les habitants, ils se résignèrent à habiter finalement près de Vienne.

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Pourquoi un tel rejet ? Parce que les toiles d’Egon Schiele étaient "sulfureuses". Il a peint de nombreux nus qui avaient des poses très osées, ou même scandaleuses, notamment des couples de lesbiennes, ou alors un cardinal avec "sa" nonne (en 1912), etc.  Beaucoup de dessins d’Egon Schiele étaient à caractère érotique, il ne s’interdisait pas non plus à se représenter nu, dans les poses, la composition, tout porterait aussi à croire qu’Egon Schiele cherchait plus à peintre la réalité crue plutôt que des positions à vocations pornographiques.

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Comme avec ses autoportraits, ses représentations de nus ont parfois l’air très sombre. Les regards sont noirs, les membres parfois désarticulés. Egon Schiele s’était inspiré notamment des gestes de malades dans un asile psychiatrique.

Cet "audacieux" art a valu à Egon Schiele vingt-quatre jours de prison en avril 1912, soupçonné de détournement de mineures et de pédophilie. Soutenu de manière indéfectible par sa compagne Wally, il fut innocenté pour les soupçons qui ont provoqué sa détention (il fut arrêté parce qu’il avait séduit une jeune fille mineure) mais fut quand même condamné pour atteinte aux bonnes mœurs car il exposait ses œuvres qui n’étaient pas destinées aux enfants dans des lieux publics (en fait, dans son atelier mais des enfants pouvaient y venir et les apercevoir). Même si ce fut court, son séjour en prison l’a beaucoup traumatisé, lui qui refusait tous les cadres : « Entraver l’artiste est un crime, cela revient à assassiner une vie en germe. ». Cela lui inspira quelques œuvres encore plus sombres.

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Il est vrai qu’Egon Schiele adorait les femmes et un moment, il compta qu’il avait reçu 180 femmes dans son atelier en huit mois !

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Ce scandale a probablement contribué à diffuser ses œuvres dans toute l’Europe en 1913 et 1914, qu’il a exposées, en plus des villes déjà citées plus haut, à Düsseldorf, Dresde, Paris, Bruxelles, Rome, etc. Son talent commença à être reconnu à sa juste valeur. Certaines personnes haut placées qui l’admiraient lui permirent de passer son service militaire, en 1914, dans un bureau administratif pour continuer à se consacrer au dessin et à la peinture malgré la guerre.

Egon Schiele avait quitté Wally en 1913 (celle-ci est morte de la scarlatine à l’âge de 23 ans, le 27 décembre 1915) et se maria le 17 juin 1915 avec Edith Harms, l’une des deux sœurs voisines avec lesquelles il avait sympathisé à partir de 1914 (il a eu aussi des relations avec la sœur, Gertrude). Son mariage a eu lieu quatre jours avant sa mobilisation à Prague pour quelques semaines avant de retourner à Vienne.

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Toujours dans sa soif de reconnaissance et tombant dans la vanité, il a réalisé l’affiche de la 49e exposition de la Sécession viennoise en mars 1918, en se représentant au milieu d’une composition qui pourrait être prise pour la Cène. Egon Jésus Christ ! Lors de cette exposition, qu’il organisa alors qu’elle aurait dû être présidée par Klimt qui est mort le mois précédent, Egon Schiele remporta un vif succès avec les œuvres qu’il a présentées et réussi à vendre. Il reçut beaucoup de commandes de portraits, mais qu’il n’a jamais pu honorer en raison de sa mort soudaine.

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Pour se donner une idée de l’importance d’Egon Schiele aujourd’hui, voici trois exemples, parmi d’autres, de sa valeur dans le marché de l’art, au cours de ventes chez Christie’s, à New York.

Un tableau représentant la ville de Krumau en 1910 a été vendu à presque 3 millions de dollars le 5 novembre 2014.

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Le dessin représentant un nu couché avec jambe gauche levée, réalisé en 1914, a été vendu à près de 1,8 million de dollars le 6 mai 2008.

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Enfin, probablement le record, le tableau représentant un autoportrait avec modèle, peint en 1913, a été vendu à plus de 11 millions de dollars le 8 mai 2013.

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Le site de Christie’s évoque la permanence de l’œuvre d’Egon Schiele (qui disait : « Mon œuvre n’est pas moderne, elle est de toute éternité. ») en ces termes : « L’héritage artistique de Schiele est profond. Cent ans après sa mort, l’anxiété suscitée par les images érotiquement chargées de Schiele n’a pas diminué. Peu d’artistes ont été aussi francs dans leur exploration de la sexualité et n’ont pas manqué d’être aussi dangereux que le tabou. ».

Dans le monde cette année, de nombreuses expositions rendent hommage à Egon Schiele à l’occasion du centenaire de sa mort. Trois ont déjà fermé leurs portes, au Metropolitan Museum, à New York, qui a exposé des nus d’Egon Schiele du 3 juillet 2018 au 7 octobre 2018, à la Neue Galerie, à New York, du 26 juin 2018 au 4 septembre 2018, et au Tate Liverpool jusqu’au 23 septembre 2018. Une autre va bientôt se clore le 4 novembre 2018 à Vienne, au Leopold Museum, qui expose une quarantaine de tableaux et près de 180 dessins d’Egon Schiele.

La Royal Academy of Arts à Londres présente des dessins réalisés par Egon Schiele et Gustav Klimt du 4 novembre 2018 au 3 février 2019. Enfin, la Fondation Louis Vuitton, au Bois de Boulogne, près du Jardin d’acclimatation de Paris, dans le 16e arrondissement, propose également une exposition sur Egon Schiele et Jean-Michel Basquiat du 3 octobre 2018 au 14 janvier 2019 (Jean-Michel Basquiat fut, lui aussi, un enfant terrible de l’avant-garde, laissant plus de 800 tableaux et 1 500 dessins à sa mort à l’âge de 27 ans, il y a trente ans, le 12 août 1988).

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Et voici pour terminer un extrait d’un écrit d’Egon Schiele : « L’artiste est surtout un être extrêmement doué au plan spirituel qui exprime des vues de phénomènes imaginables dans la nature. Qu’il soit explorateur lequel la nature d’abord approche et qu’il se montre pour être communiquée au monde. L’artiste ressent aisément la grande lumière tremblante, la chaleur, le souffle des êtres vivants, l’émergence et la disparition. Il devine la ressemblance entre les plantes et les animaux, entre les animaux et les humains, et la ressemblance entre l’homme et Dieu. Ce n’est pas l’érudit dévorant par ambition les livres, il est lui-même. La religion est pour lui un degré dans le ressenti. (…) C’est au-dehors dans la tempête automnale déchaînée ou bien tout là-haut sur les rochers où poussent pour lui de nobles fleurs, c’est là qu’il est à même de deviner Dieu. » ("Lequel d’entre les grands doués", traduit par Henri Christophe, éd. Agone).


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Sylvain Rakotoarison (31 octobre 2018)
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Pour aller plus loin :
Egon Schiele.
Banksy.
Marcel Duchamp.
Pablo Picasso.
Le British Museum et le monde des humains.
Yves Klein.
Le Tintoret.
Gustav Klimt.
Georges Méliès.
David Hamilton.
Paula Modersohn-Becker.
Auguste Rodin.
Margaret Keane.
Rouault et Matisse à Paris.
La garde rapprochée du Premier Empereur de Chine.
Un Renoir de la Côte d’Ivoire.
Magritte.
Daniel Cordier.
Boulez à Paris.
La collection Cordier à Rodez.
Soulages à Rodez.
Claude Lévêque à Rodez.
Caillebotte à Yerres.
Goya à Paris.
Brueghel à Paris.
Chagall à Paris.
Dali à Paris.
Van Gogh à Paris.
Hiroshige à Paris.
Manet à Paris.
Rembrandt à Paris.
Boltanski, artiste contemporain.
Boltanski au MacVal.

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25 octobre 2018 4 25 /10 /octobre /2018 03:30

« Cette musique de Bizet me paraît parfaite. Elle approche avec légèreté, avec souplesse, avec politesse. (…) Cette musique est cruelle, raffinée, fataliste : elle demeure quand même populaire. (…) Bizet me rend fécond. Le Beau me rend toujours fécond. » (Friedrich Nietzsche, mai 1888).


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"Le Mystère Bizet" est un spectacle musical écrit et interprété par Éric-Emmanuel Schmitt qui fut créé le 10 octobre 2012 à l’Opéra Bastille, au cours duquel le normalien et agrégé de philosophie s’interroge sur ce musicien hors normes : « Jusqu’ici, Bizet a perdu son temps parce qu’il voulait triompher en faisant comme les autres ; il ose maintenant réussir comme lui-même. ». Trois mois avant sa mort, le génie se sublima : « "Carmen", c’est l’opéra dont Nietzsche a écrit le livret et Mozart la musique. ». Ou encore : « "Carmen, en effet, est le surhomme nietzschéen, le fort, innocent, cruel, sans attaches au passé, dépourvu d’appréhensions concernant l’avenir, l’être solaire qui s’affirme totalement dans l’instant. Carmen brûle, se consume et nous éclaire. Elle s’offre au destin. Mieux : elle incarne le destin. » (Le texte d’Éric-Emmanuel Schmitt a été publié le 2 novembre 2017 chez "Le Livre de Poche" dans "Mes Maîtres de bonheur").

Né il y a exactement cent quatre-vingts ans, le 25 octobre 1838 à Paris, Georges Bizet fut l’un des grands compositeurs français du XIXe siècle et parmi ceux que j’adore écouter. J’ai découvert vraiment Bizet enfant quand j’ai récupéré un vieux coffret de "musiques de chambre" (datant peut-être des années 1950, ou avant ?) que mes grands-parents m’avaient gentiment laissé à l’occasion d’un déménagement, et j’ai profité d’être seul un été pour écouter tous les disques, de la musique très "connue", dont "L’Arlésienne" et "Carmen" de Bizet. La première œuvre, deux suites orchestrales, nous l’avons d’ailleurs utilisée au lycée pour une pièce de théâtre collective en classe de grec (projet qui n’a pas abouti à une représentation en fin d’année car nous étions vraiment trop mauvais !).

Le génie et le talent sont-ils toujours liés à la précocité et au drame ? Georges Bizet a composé beaucoup d’œuvres musicales, une dizaine d’œuvres lyriques (opéra, opérette, opéra-bouffe), une dizaine d’œuvres orchestrales (dont trois symphonies), une dizaine de mélodies (qu’on pourrait appeler des chansons voire des tubes dans le monde moderne de maintenant), une petite dizaine d’œuvres pour chorale, encore une autre petite dizaine d’œuvres pour piano, etc. C’est déjà beaucoup, et pourtant, il les a composées rapidement car sa vie a été courte.

En effet, il est mort à l’âge de 36 ans (comme Mozart, à quelques mois près) le 3 juin 1875 à Bougival, d’un infarctus à la suite d’une rupture d’anévrisme qu’il a eue un peu avant en assistant à une représentation de son chef-d’œuvre, "Carmen". Il fut enterré au Père-Lachaise. On pourrait presque dire qu’il est mort de son œuvre, ulcéré par les critiques qui pleuvaient depuis trois mois. Son fils Jacques Bizet, futur médecin et futur ami de Proust, n’avait alors pas encore 3 ans.

Ces dernières années, il a fallu une campagne de financement participatif (ayant déjà récolté plus de 1,1 million d’euros de dons) pour que les amis de Bizet (dont Placido Domingo qui préside Europa Nostra, fondation pour le patrimoine européen) aient pu sauver (et racheter) la maison du compositeur à Bougival en 2017 et en faire un centre culturel (contrairement à la maison du compositeur Pierre Henry). Cette maison, où il a composé son chef-d’œuvre, Bizet l’avait acquise en 1874 et était voisine de celles de la peintre Berthe Morisot et de l’écrivain Ivan Tourgueniev.





Fils d’un professeur de chant et d’une pianiste, neveu d’un spécialiste de Christoph Gluck (1714-1787), qui fut un grand compositeur allemand d’opéra, Georges Bizet a appris très jeune le piano et le chant, entra au conservatoire à 9 ans et a obtenu deux premiers prix de piano, à 12 ans et à 13 ans. Il a appris la composition avec le même professeur que Charles Gounod (1818-1893), a obtenu deux premiers prix d’orgues et de fugue à 15 ans et 16 ans. Ce professeur de composition, Jacques Fromental Halévy, il se maria avec sa fille quelques années après la mort de ce beau-père posthume, épouse qui le quitta un peu plus tard avec leur fils en raison des nombreuses infidélités conjugales.

Et il continua à surprendre tout le petit monde musical par ses premières œuvres, pas sa première symphonie qu’il composa à 16 ans (car on ne l’a retrouvée qu’en 1933), mais pson opérette "Le Docteur Miracle" créée le 9 avril 1857 aux Bouffes-Parisiens (il n’avait que 18 ans) qui a été récompensée par le premier prix du concours d’opérette, puis sa cantate "Clovis et Clotilde", qui lui a valu le Grand prix de Rome de composition musicale à l’âge de 19 ans. Ce dernier prix lui a permis de résider pendant trois ans dans la prestigieuse Villa Médicis où il s’est inspiré du contexte italien pour imaginer plus tard "Carmen".

Bizet rentra ensuite en France pour composer de nouvelles œuvres tout en assurant de l’enseignement. Son opéra "Les Pêcheurs de perles" est un succès dont Berlioz fit l’éloge le 8 octobre 1863, ce qui contribua à construire sa réputation. Cependant, malgré les succès de ses compositions, elles ont eu peu de représentations et le compositeur devait travailler beaucoup sur des activités sans intérêt pour lui (enseignement, etc.) pour faire vivre son foyer.

Mais, présentons plutôt quelques-unes de ses œuvres…


1. "Carmen" (1875)

C’est la principale œuvre de Bizet, la plus connue, et surtout l’un des opéras les plus joués au monde. Son livret a été rédigé par Henri Meilhac et Ludovic Halévy, neveu du beau-père, qui étaient déjà les auteurs des livrets d’œuvres célèbres d’Offenbach comme "Ba-ta-clan" (1855) sans Henri Meilhac, "La Belle Hélène" (1864), "La Vie parisienne" (1866), "La Périchole" (1868), etc. : « L’amour est enfant de Bohême, il n’a jamais, jamais connu de loi. ».

Cette commande du Théâtre national de l’Opéra-Comique a été composée en trois mois à Bougival. Bizet assista à toutes les répétitions et harcelait les chanteurs qui devaient bouger sur scène. La création de "Carmen" a eu lieu le 3 mars 1875 à l’Opéra-Comique sous la direction d’Adolphe Deloffre (on a soupçonné celle qui a joué le rôle de Carmen, Célestine Galli-Marié, d’avoir eu une liaison amoureuse avec Bizet), et ce fut un désastre. L’interprétation des musiciens était mauvaise mais surtout, l’histoire de Carmen (inspirée d’une nouvelle de Prosper Mérimée) a scandalisé le petit monde la musique, le public, les critiques, etc. Le directeur de l’Opéra-Comique fut affligé : « C’est de la musique cochinchinoise ; on n’y comprend rien ! ». Le journal "Le Gaulois" ne fut pas moins assassin : « Monsieur Bizet appartient à l’école du civet sans lièvre ; il remplace par un talent énorme et une érudition complète, la sève mélodique ! ».

Mais le triomphe mondial a eu lieu quelques jours après sa mort à l’Opéra de Vienne. Brahms, Tchaïkovski, Wagner et Nietzsche furent complètement séduits par ce qui allait devenir l’œuvre lyrique parmi les plus connues au monde. Le chef d’orchestre Jean-Claude Casadesus a raconté l’œuvre : « Le premier coup de cymbales de l’ouverture contient toute la fulgurance d’un rayon de soleil acéré mais il fait luire aussi la pointe menaçante d’un couteau brandi. Le ton est donné. L’urgence est là. Elle conduit d’une façon implacable à la finalité de l’ouvrage, la fatalité de la mort. » (1994).

Après Célestine Galli-Marié, de nombreuses cantatrices ont chanté "Carmen", notamment Maria Callas, Régine Crespin, Teresa Berganza, Elina Garanca, Jessye Norman, etc.






2. "L’Arlésienne"

"L’Arlésienne" est une œuvre orchestrale qui fut ensuite adaptée en deux suites symphoniques, inspirée par Alphonse Daudet et créée le 1er octobre 1872 au Théâtre du Vaudeville. Ce fut un grand succès populaire.

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La première suite fut créée le 10 novembre 1872 au Cirque d’hiver sous la direction de Jules Pasdeloup, et la seconde suite fut adaptée après la mort de Bizet par son ami Ernest Guiraud, en 1879.






3. "Les Pêcheurs de perles"

"Les Pêcheurs de perles" est un opéra créé le 30 septembre 1863 au Théâtre-Lyrique, sur un livret de Michel Carré et Eugène Cormon. Malgré la réticence des critiques, Berlioz, comme le public, fut conquis par « un nombre considérable de beaux morceaux expressifs pleins de feux et d’un riche coloris » ("Journal des Débats" du 8 octobre 1863).






4. "La Jolie Fille de Perth"

"La Jolie Fille de Perth" est un opéra créé le 26 décembre 1867 au Théâtre-Lyrique, sur un livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Jules Adenis.






5. Symphonie en ut majeur

La Symphonie en ut majeur fut composée en 1855, la première œuvre musicale de Bizet (il avait 16 ans), qui ne fut retrouvée qu’en 1933. Elle fut créée le 26 février 1935 à Bâle sous la direction de Felix Weingartner.






6. Symphonie "Roma" ("Fantaisie symphonique : Souvenirs de Rome")

La Symphonie "Roma" est une pièce qui fut créée le 28 février 1869 à Paris sous la direction de Jules Pasdeloup et que Bizet a mis une dizaine d’années à composer.






7. "Jeux d’enfants" opus 22

"Jeux d’enfants" est une suite de douze pièces pour piano à quatre mains composée en 1871.






Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 octobre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Georges Bizet.
George Gershwin.
Maurice Chevalier.
Leonard Bernstein.
Jean-Michel Jarre.
Pierre Henry.
Barbara Hannigan.
György Ligeti.
Claude Debussy.
Binet compositeur.
Pierre Boulez.
Karlheinz Stockhausen.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181025-georges-bizet.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/le-mystere-bizet-208962

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/10/25/36810090.html

 

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20 octobre 2018 6 20 /10 /octobre /2018 04:22

« Les vertus ne viennent-elles pas au secours de l’homme pour éviter le pire, précisément, afin qu’il puisse vivre en harmonie avec ses semblables ? J’irai jusqu’à vous confier que, parmi celles-ci, qui s’épaulent et s’enrichissent mutuellement, je placerai au premier rang l’humilité, pierre de touche, à mon sens, de toutes les autres vertus : en découlent la charité (…), le courage (…), l’espérance, et autres petites sœurs… Toutefois, c’est l’une d’elles, des plus modestes, qui me va droit au cœur en ce moment même : la patience. La patience dont vous avez fait preuve, Mesdames et Messieurs, en m’écoutant discourir, tant bien que mal, sur ce noble sujet. Je ne puis que vous exprimer ma gratitude. » (Discours sur la vertu, le 1er décembre 2005).


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Il ne faut pas confondre. Pas un centenaire immortel, il y en a quelques-uns que la mort a oubliés et l’âge est alors impressionnant, par exemple, Lucette Destouches (106 ans !), mais un immortel centenaire. C’est très rare qu’un membre de l’Académie française atteigne cet âge canonique, bien que la moyenne d’âge soit particulièrement élevée.

Pour tout dire, René de Obaldia, qui fête ses 100 ans ce lundi 22 octobre 2018, est le second académicien à franchir ce seuil symbolique. Le précédent, ce fut le célèbre ethnologue Claude Lévi-Strauss qui a franchi les 100 ans le 28 novembre 2008 avant de s’éteindre onze mois plus tard. L’ancien doyen d’âge, Félicien Marceau, est mort le 7 mars 2012 à l’âge de 98 ans et demi. Auteur du roman "Le Centenaire" (sorti en 1959 chez Grasset et dont le héros dit : « Dans treize ans, je serai centenaire. On ouvrira grande la porte du salon et les contemporains viendront me toucher. »), René de Obaldia disait déjà pour ses 90 ans : « C’est tuant d’être immortel ! ». Et il a appliqué ce proverbe russe : « Pour devenir centenaire, il faut commencer jeune. ».

René de Obaldia est un "vrai" écrivain de l’Académie française : « Aujourd’hui, dans le laxisme ambiant, ce monument de la tradition française me paraît être une institution d’avant-garde. » ("Le Vif" le 19 mars 2012). Il apprécie qu’il n’y a pas que des écrivains, car sinon, ce serait très ennuyeux.

Élu comme un maréchal à l’Académie française le 24 juin 1999 au fauteuil de Julien Green, qui fut aussi celui de François Mauriac, pour ce qu’il a écrit et pas ce qu’il est, René de Obaldia est un dramaturge (et poète et romancier) à l’égal d’un Eugène Ionesco et d’un Samuel Beckett. Prince de l’absurde (qu’il rejette), marquis de bons mots, il a publié une soixantaine d’œuvres (entre 1949 et 2017), traduites dans une trentaine de langues, et sa discrétion dans les médias depuis très longtemps cache le fait qu’il est, depuis un demi-siècle, l’un des auteurs français qui est le plus joué au monde sur scène.

René de Obaldia a toujours refusé de se voir coller l’étiquette du théâtre de l’absurde : « J’ai refusé cette étiquette ; selon moi, si le monde est vraiment absurde, alors c’est trop absurde. Je pense que la vie a quand même un sens, d’un abord très difficile, certes. Je ne suis pas du côté du théâtre de l’absurde, mais du théâtre de l’interrogation, du mystère. » ("Zone Critique", le 11 novembre 2017).

Adorateur de la fantaisie et de l’amusement des mots, René de Obaldia, dont on ne pourra jamais dire qu’il n’est pas un défenseur acharné de la langue française, n’hésite pas, dans ses discours à l’Académie, à citer Shakespeare dans sa langue d’origine, c’est-à-dire l’anglais. Aimer le français, ce n’est pas combattre l’anglais mais c’est valoriser le français, et lui l’a valorisé par les faits, par ses scintillants écrits.

Dans son discours sur la vertu, l’unique discours qu’il s’est permis de prononcer sous la Coupole en dehors de celui de sa réception, lors de la séance publique annuelle du 1er décembre 2005, René de Obaldia, avec son esprit d’amusement et sens de l’humour, s’est prêté à l’exercice sur le thème "Vertu et relativité", à savoir « de la relativité du bien et du mal et, par voie de conséquence, des vertus inhérentes supposées ou présupposées qui en découlent ».

Et il n’a pu s’empêcher de raconter cette anecdote (connue, en fait, et plaisante) avec Albert Einstein : « Je ferai appel à Einstein, la vertu obéissant aussi, et par nature, aux lois de la relativité. (…) Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer cette anecdote peu connue : le savant, pour tenter de rendre compréhensible sa fameuse théorie à son boucher, et par là même, au commun des mortels, lui avait expliqué : "Monsieur Gaudinet… Monsieur Gaudinet, placez votre main sur un poêle durant une minute, cela vous semblera une heure… Asseyez-vous auprès d’une jolie fille durant une heure, et cela vous semblera une minute… C’est cela, la relativité". ». Cela fait toujours son petit effet.

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René de Obaldia est né le 22 octobre 1918 à Hongkong et fut élevée par une nourrice chinoise, Taï Hong Hua (qui signifie "fleur d’arc-en-ciel"). Son père diplomate, qu’il a à peine connu, était consul de Panama à Hongkong (tandis que sa mère était française). Son père est parti assez vite de la famille et est devenu par la suite Ministre de l’Intérieur. L’arrière-grand-père, d’ailleurs, José Domingo de Obaldia, avait été Président de la République du Panama (1845-1910) du 1er octobre 1908 à sa mort, le 1er mars 1910, lui-même fils de José de Obaldia (1806-1889), qui fut Président de la République de Nouvelle-Grenade, regroupant la Colombie, le Panama et le Nicaragua, du 1er avril 1851 au 1er avril 1855. Toute cette ascendance assez romanesque aurait pu faire de René de Obaldia le Président de la République des lettres, mais ce titre était déjà réservé à Jean Paulhan.

Très rapidement, quelque mois après la naissance, la famille (sans le père) est retournée en France et le futur écrivain passa son enfance à Amiens puis à Paris, au lycée Condorcet. Mobilisé en 1940, il fut fait prisonnier par les nazis et conduit en Silésie de 1940 à 1944. À Armelle Amiot du journal "Le Figaro", René de Obaldia a précisé le 13 avril 2009 : « J’ai été rapatrié en 1944, mes camarades n’ont été délivrés qu’en mai 1945. Or, Jean Robinet, ce camarade que j’ai revu récemment, m’a raconté cette histoire : ils étaient trois quand un Allemand, énervé, les menace de son arme. Il tue l’un d’eux, il blesse l’autre, quand il tire sur Robinet, son arme s’enraye. Si ce n’est pas "le destin"… ».

Après la guerre, il collabora à plusieurs revues littéraires, fut secrétaire général du Centre culturel international de Royaumont entre 1952 et 1954 (il n’a pas réussi à faire entrer le Sapeur Camembert à la bibliothèque : « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites ! »), se lia avec Roland Barthes, Jean Cocteau, Clara Malraux, Alain Robbe-Grillet et Jean Vilar qui le propulsa sur la scène du Théâtre national populaire en 1961 avec sa pièce "Genousie" (créée avec Jean Rochefort). Genousie reprendre le mot "genou" utilisé dans une autre pièce.

Les titres de ses romans, poèmes et surtout pièces sont assez parlants, comme "Tamerlan des cœurs" (1955), "Impromptus à loisir" (1961), "Le Général inconnu" (1964), "Les Larmes de l’aveugle" (1964), "Le Cosmonaute agricole" (1965), "Les Innocentines" (1969),  "Deux femmes pour un fantôme" (1971), "Le Banquet des méduses" (1971), "Endives et miséricorde" (1986), "Sur le ventre des veuves" (1996), "Obaldiableries" (1999), "Fantasmes de demoiselles, femmes faites ou défaites cherchant l’âme sœur" (2006), etc. Comment a-t-il trouvé ces titres ? « C’est le mystère de la création et de la grâce. Ils me viennent ainsi. Il y a une part de chance également. » ("Zone Critique", le 11 novembre 2017).

Son dernier ouvrage (sorti le 29 mars 2017 chez Grasset) a pour titre : "Perles de vie. Précis de sagesse portative", un recueil de pépites, des citations que René de Obaldia a appréciées et annotées durant son existence, que son éditeur a encouragé à publier. En forme de pirouette, on peut y lire des citations aussi de …René de Obaldia lui-même, ou des citations au style très obaldien, comme d’Alexandre Dumas : « Ah ! Ah ! dit don Manuel en portugais. ». Ou encore, de Chesterton : « Les anges volent parce qu’ils se prennent à la légère. ». Aussi de Cocteau : « Sans le Diable, Dieu n’aurait jamais atteint le grand public. ». Et pour un académicien, de Gaston Leroux : « Il faut s’habituer à tout, même à l’immortalité. ».

Beaucoup de pièces sont des parodies d’œuvres de grands auteurs (comme Shakespeare). Toutes ses œuvres ont été rassemblées et éditées par Grasset (dont huit tomes pour l’œuvre théâtrale) et les éditions Jean-Michel Place ont sorti "L’Encyclobaldia" (par Gérard-Denis Farcy). Parmi les comédiens qui ont joué des pièces d’Obaldia, il y a Michel Simon, Jean Rochefort, Samy Frey, Michel Bouquet, Henri Virlojeux, Maria Casarès, Georges Wilson, Maria Pacôme, Micheline Presle, etc.

La pièce la plus jouée et probablement la plus connue de René Obaldia est "Du vent dans les branches de sassafras", une parodie de western américain, qui fut créée le 17 février 1965 au Théâtre de Poche de Bruxelles, avec Michel Simon, Françoise Seigner, Caroline Cellier et Bernard Murat. Lors d’un colloque le 2 octobre 1999 à Beaulieu-sur-Mer, Monique Trédé parla du passage le plus importante de cette pièce : « À un moment critique de l’action, [René de Obaldia] confie au personnage de "la put@in au grand cœur" une longue tirade en alexandrins. Le public saisi par le caractère incongru de ce changement de ton, s’esclaffe ; il se délecte, de plus, en reconnaissant ici ou là une transposition du vocabulaire et des rythmes de la tragédie classique. ».

Catherine Schwaab, du magazine "Paris Match", a fait état de la grande humilité de René de Obaldia lorsqu’il a fêté son 99e anniversaire, le dimanche 22 octobre 2017, chez la poétesse Vénus Khoury-Ghata, aux côtés de quelques invités dont Hélène Carrère d’Encausse et Pierre Cardin (à peine plus jeune) : « René nous "fait" Michel Simon : "Saluant le public après avoir joué sa pièce ‘Du vent dans les branches de Sassafras’, l’acteur s’interrompt : ‘M@rde, je sais plus le nom de l’auteur…’ !" Élégant Obaldia qui se moque et ne la ramène pas alors qu’il est l’auteur le plus joué au monde. "Par beaucoup de troupes amateurs parce que j’ai fait des pièces en un acte, ça n’est pas cher à monter", minimise-t-il. » (26 octobre 2017). Peu de personnages, pas de décor. Pas cher.

Au-delà de la reconnaissance littéraire par son élection à l’Académie française, René de Obaldia a reçu de très nombreuses récompenses, prix, décorations, etc. parmi lesquels on peut citer le Grand prix du disque de l’Académie Charles Cros en 1978 (pour des textes lus par Madeleine Renaud et Michel Bouquet), le Prix de l’Académie en 1981, le Grand prix du théâtre de l’Académie française en 1985, le Grand prix de la poésie de la SACEM en 1988, deux Molière (d’honneur et du meilleur auteur) en 1993 pour "Monsieur Klebs et Rozalie", le Prix de la langue française (délivré par la ville de Brive-la-Gaillarde) en 1996 et la Monnaie de Paris a même sorti une pièce de monnaie en son honneur en 1997. Dans "Exobiographie" (ses mémoires sorties le 28 avril 1993 chez Grasset), il a écrit non sans humour : « Du désagrément de vieillir : ou mes amis meurent, ou ils se font décorer. ».





Jean-Joseph Julaud, en 2008, a montré son excitation à la lecture de René de Obaldia : « Il faut dire que les mots qu’il emploie se retrouvent souvent… à contre-emploi. Utilisés dans une entreprise qui peut paraître légère (…), ils conduisent avec humour et malice à installer le lecteur en position d’observateur par rapport au langage lui-même. Ces mots, qui s’amusent entre eux (…), ne sont-ils pas les mêmes que ceux de la solennité, de la gravité ou de la componction ? Dans le sillage de l’écriture surréaliste, René de Obaldia délivre un message où la plus jubilatoire des fantaisies renforce, sans jamais l’exclure, la prudence et la lucidité nécessaires face aux mots qui se laissent si facilement emprisonner par les idées. ».

La douceur de l’amour des mots. Jérôme Garcin, dans "Le Nouvel Observateur" l’a décrite le 4 décembre 2008 : « Le comte René de Obaldia est vraiment un poète singulier et un être à part. Ni l’un ni l’autre ne veulent vieillir. Le dramaturge résiste aux modes et l’homme, au temps. (…) Cousin de Michèle Morgan, parolier de Luis Mariano, partenaire au cinéma de Louis Jouvet (…) et marié à une belle Américaine [qui a disparu en novembre 2012], on dirait qu’il a toujours vécu dans un univers parallèle, régi par d’autres lois que celles, affligeantes et déprimantes, du monde réel. Lequel, à l’en croire, est "immonde" et "pue". En somme, Obaldia est le plus enjoué des neurasthéniques. ».

Le style du dramaturge selon Jérôme Garcin : « On y parle l’obaldien vernaculaire (c’est une langue verte, savante et bien pendue, qui se décline en alexandrins, calembours et parodies). On y tient que l’absurde est plus sérieux que la raison. On y pratique un doux anarchisme. On y croise selon la saison Queneau, Jarry, Ionesco et Giraudoux. La religion officielle est le ramonisme, de Ramon Gomez de la Serna, pape espagnol de l’hilarité cosmique et thuriféraire des seins de femme. » (4 décembre 2008).

René Obaldia a précisé ce ramonisme : « Une réaction contre ce sentiment tragique de la vie. Il faut bien vivre, après tout. Donc si la vie est tragique de nature, on peut survivre grâce à cet humour particulier. ». C’est ainsi que pendant sa captivité en Silésie, il continuait à user d’un certain humour, juste pour rester en vie : « J’ai été hanté très tôt par le Mal. J’ai d’ailleurs passé quatre ans dans un camp nazi en tant que prisonnier de guerre et me voici devant vous, maintenant. J’en suis sorti. Le Mal est une de mes grandes préoccupations, d’autant plus que le monde est magnifique. (…) Effectivement, le monde est une splendeur. C’est l’Homme qui pose un problème. C’est celui du Mal, qui lui est intrinsèque, car le Mal n’existe pas dans la Nature. » ("Zone Critique", le 11 novembre 2017).

Oui, c’est vrai, René de Obaldia est le cousin de Michèle Morgan. Il a expliqué son lien de filiation lors de la remise de son épée d’académicien par Félicien Marceau au Théâtre de la Madeleine le 7 juin 2000, en présence évidemment de la grande actrice. Au milieu de l’explication généalogique (son grand-père maternel ayant eu des enfants issus de deux femmes), il s’est arrêté pour dire : « Premier lit, deuxième lit, troisième divan, cinquième canapé, pouf, fauteuil à bascule ; Ô manèges ! ». C’est encore un cœur d’enfant.

À cette occasion, il a aussi confié sa campagne pour être élu à l’Académie : « Qu’est-ce que j’ai pu faire pour en arriver là ?!… Mes visites… Ma première visite, je la consacrai à notre doyen de l’Académie française, Louis Leprince-Ringuet ; nous nous sommes longuement entretenus de l’antimatière . La seconde alla au merveilleux professeur Jean Bernard, il me donna une leçon d’humanité. La troisième, je la réservai au Révérend Père Carré, lequel, avec délicatesse, prit aussitôt mon âme en mains. Je ne tiens pas vraiment pour une visite officielle celle que je rendis à la chère Jacqueline de Romilly, ah ! son excellent bourbon, avec qui j’avais déjà noué des relations amicales. Ma quatrième visite… Mais non ! Comme il est écrit dans l’Ecclésiaste, il y a un temps pour parler et un temps pour se taire. ».

Original, l’auteur du très beau vers de la  langue française « Le geai gélatineux geignait dans le jasmin » a commencé son discours de réception sous la Coupole le 15 juin 2000 ainsi, "ex abrupto" : « Le fait d’exister, de compter parmi les milliards d’individus qui s’agitent sur notre planète, est une aventure à la fois commune et singulière, et qui prête à réfléchir. Pour ma part, dès ma naissance, dès ma trouée dans ce bas monde, je fus ébaubi… Ébaubi non seulement de "voir le jour", après neuf mois de cécité absolue, mais de me trouver ex abrupto en Chine, dans une colonie britannique, Hongkong, flanqué d’un père panaméen et d’une mère française, originaire de Picardie. ».

Puis, il faisait part du paradoxe de son exercice du jour : lorsqu’il est reçu à l’Académie, le nouvel académicien doit faire l’éloge de son prédécesseur. Or, celui-ci, Julien Green, qui avait cherché à 96 ans à démissionner de l’Académie sans succès (Maurice Druon et Alain Decaux le lui refusèrent), avait interdit « d’avance tout éloge, quel qu’il soit, prononcé par son successeur lors de sa réception » ! Et René de Obaldia de se demander : « Devais-je me soumettre à cet oukase et, usant de cette liberté, vous entretenir des petits oiseaux, du temps qui passe ou encore : pourquoi ne pas exalter les vertus e mes autres devanciers, tous ces immortels qui furent un moment en chair et en os ? (…) Devais-je me conformer, ou bien outrepasser les volontés du trépassé ? ». Pour répondre à sa question, il s’est amusé à converser avec …Molière pour lui demander son conseil. D’où une parodie d’une pièce de Molière avec ce dernier et lui-même comme personnages.

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Dans un entretien le 4 mars 2015 avec Rodolphe Fouano, sur France Culture, René de Obaldia a dit comment il allait aborder son futur : « Ma vie fut assez passionnante, j’ai eu beaucoup de chance. Mais j’approche d’un terme. D’autant que je comptais sur ma femme pour me fermer les yeux et qu’elle est partie avant moi. Toute une vie merveilleuse passée ensemble a disparu d’un coup. Calderon a décidément raison : la vie est un songe ! (…) Ma mort interviendra bientôt maintenant, et c’est normal. (…) J’aimerais partir le mieux possible. Mais en soi, la mort ne me fait pas peur. Me revient le mot de Cocteau : "La mort ? Mais j’y suis habitué ! J’étais mort si longtemps avant de naître". Et puis il y a la boutade de Jean Paulhan : "La mort ? Pourvu que j’arrive jusque-là !". Au-delà de ces traits, demeure l’énigme, pour moi comme pour tout le monde. ».

Cette mort énigme. René de Obaldia a donné aussi un exemple : « Il y a souvent chez les grabataires, juste avant de mourir, des rémissions. Il me vient ainsi à l’esprit les derniers instants de William Blake, qui s’était dressé sur son lit de mort en s’écriant : "Je vais enfin savoir !" et qui est retombé d’un coup, foudroyé. » ("Zone Critique").

C’était mieux avant ? Au début de sa pièce "Monsieur Klebs et Rozalie", le personnage (qui a été joué par Michel Bouquet lors de sa création) referme son journal et déclare : "On ne peut pas dire que ça s’améliore !". L’occasion, pour René de Obaldia, de dire sur France Culture le 4 mars 2015 que non, ce n’était pas mieux avant : « Après l’hécatombe que fut la Seconde Guerre mondiale, comment aurait-on pu imaginer que l’on reviendrait soixante-dix ans plus tard aux guerre de religion ? C’est incroyable ! Je vais parler comme un vieux schnock, mais c’est un problème de valeurs bafouées. En vérité, le monde n’a jamais été très gai. Il ne faut pas céder au passéisme : homo homini lupus ! [L’homme est un loup pour l’homme] ça a été affreux à toutes les époques. Croyez-vous que la guerre de Cent Ans ou la peste bubonique n’ont pas été cruelles aussi ? ».

Interviewé par Guillaume Narquet le 11 novembre 2017 dans "Zone Critique" (déjà cité plusieurs fois plus haut), René de Obaldia cherchait à se définir : « Je suis toujours ébaudi d’être né, pour commencer, et ensuite, d’être Obaldia. Qui est vraiment cet Obaldia ? (…) Je crois que c’est Jérôme Garcin qui a le mieux compris ce questionnement quand il dit : "Obaldia est le spectateur incrédule d’une pièce qu’il n’a pas écrite, mise en scène à son insu et dont il joue le rôle-titre : sa vie". Je pense que cela résume bien l’état d’esprit que je porte en moi-même depuis longtemps. ».

Dans ce même entretien, il se disait très fier d’être au programme à l’école : « Il est très compliqué de choisir [parmi mes œuvres] (…). Mais je désignerais quand même "Les Innocentines" comme le fleuron de ma couronne, car, dans ce recueil de poèmes "pour enfants et quelques adultes" (…), je me suis vraiment mis au niveau des enfants, je me suis placé de leur point de vue et non du point de vue d’un adulte. Et le fait que ces poèmes soient repris dans les manuels scolaires représente un grand succès pour moi. » ("Zone Critique").

Il a d’ailleurs raconté la rencontre d’une amie d’une amie : « Cette dernière me dit : "Ah, je vous croyais mort !". Une fois de plus. Cela s’explique par le fait que son petit récitait un de mes poèmes en classe. Et à partir du moment où les poèmes d’un auteur sont récités en classe, on considère que cet auteur est mort depuis longtemps (…). Je reçois souvent, de classes entières, des poèmes à la manière d’Obaldia avec des illustrations et c’est tout à fait charmant. » (11 novembre 2017).

Cela dit, le titre de son prochain livre qu’il n’écrira pas sera selon lui : « Les Immortels meurent aussi. ». Mais j’espère le plus tardivement possible. Pour le moment, bon centenaire, le poète !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 octobre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Interview de René de Obaldia sur France 2 le 28 mai 2017.
Interview de René de Obaldia sur France Culture le 4 mars 2015.
Interview de René de Obaldia dans "Zone Critique" le 11 novembre 2017.
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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181022-rene-de-obaldia.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/rene-de-obaldia-l-humble-immortel-208795

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/10/20/36796420.html


 

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