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22 octobre 2024 2 22 /10 /octobre /2024 03:36

« La commande publique est un outil de politique économique. Fortement mobilisés autour des problématiques comme le développement durable ou l’accès de toutes les entreprises, dont les PME, à la commande publique, les acheteurs ont pris conscience du poids que représentent les marchés publics (…) et des enjeux autour de leur performance. » (Introduction du "Guide pratique de l'achat public innovant" distribué par le Ministère de l'Économie et des Finances, mai 2019).



 


Le nécessaire redressement des finances publiques va obliger l'État à réduire son déficit structurel de 60 milliards d'euros pour l'année 2025, selon l'objectif du gouvernement : 40 milliards de réduction des dépenses publiques et 20 milliards d'augmentation des recettes (à savoir augmentation d'impôts et de taxes). Après une semaine folklorique d'examen en commission (le président de la commission des finances et le rapporteur général du budget sont dans l'opposition), où chaque quart d'heure, de zélés et créatifs députés inventaient une nouvelle taxe ou un nouvel impôt, l'examen en séance publique du projet de loi de finances pour l'année 2025 a démarré ce lundi 21 octobre 2024 dans la soirée avec une forte incertitude sur la capacité du gouvernement à mener à bien la discussion.

Les solutions pour réduire le déficit peuvent être nombreuses mais elles sont toutes compliquées et, je dirais, inconséquentes. Le défi est de ne pas donner le signal du retour au boulet fiscal pour les entreprises qui quitteraient dans ce cas le territoire national ou qui ne s'y installeraient plus, alors que depuis sept ans, la France est
devenu le pays européen le plus attractif économiquement avec une croissance supérieure à la moyenne européenne et un taux de chômage enfin durablement en baisse (passant de 10% à 7%).

Nos parlementaires, qui ne manquent pas de bonne volonté, ont montré, ces derniers jours, une incroyable incapacité à comprendre les leviers de l'économie, de l'innovation et des investissements. Cela s'est particulièrement illustré avec la polémique sur le
Doliprane, l'État est même sur le point, sottement, d'acquérir 2% du capital d'Opella, la filiale de Sanofi qui produit des médicaments qui sont dans le domaine public et qui n'ont plus de valeur ajoutée, alors que nous sommes déjà endettés à plus de 3 000 milliards d'euros !

Certains, au contraire, souhaiteraient vendre les participations de l'État. Il est sûr qu'il y a des dizaines voire centaines de milliards d'euros de participation, certaines sont stratégiques, comme dans le capital d'Orange, il est indispensable que l'État puisse avoir le contrôle sur l'un des gros de la télécommunication, en cas de guerre, ce serait un élément crucial, mais en revanche, on peut toujours discuter de l'intérêt de garder des participations dans la Française des jeux, par exemple, ou même dans
Stellantis.

Au-delà donc de la question de la pertinence stratégique ou pas de vendre les participations de l'État, on peut tout de suite répondre que si c'était pour réduire le déficit, ce serait une bêtise financière, et j'ajouterais, une bêtise politique, celle de l'avoir proposé. En effet, on confondrait dans ce cas actif et exploitation, investissement et fonctionnement, et l'idée de réduire le déficit n'est pas pour une seule année, mais en progression sur plusieurs années pour atteindre le 3% du PIB en 2029 (5% du PIB en 2025, la première marche est la plus haute et difficile). La vente des participations de l'État n'est qu'un pistolet à un coup, or, l'année suivante, en 2026, il faudra encore réduire le déficit, donc, on n'aura rien résolu si ce n'est attendre ce que tout le monde attend, l'indispensable réforme de l'État.


À noter aussi que ces participations de l'État, quand les entreprises dans lesquelles il a investi font des bénéfices, assurent à l'État des revenus sous forme de dividendes (le résultat net moins les investissements), et il faudrait préciser les chiffres, mais on serait tenté d'affirmer que les dividendes seraient d'un montant plus élevé que l'équivalent des intérêts que l'État ne payerait plus s'il remboursait la même somme à ses créanciers que ce que l'État lâcherait en participations.

Bref, on voit bien que beaucoup de responsables politiques, sans doute parce qu'ils pensent s'adresser à des électeurs qui sont aussi compétents qu'eux en économie, prennent surtout des positions idéologiques et des postures démagogiques, ce qui est regrettable pour le bien commun.

Comme
Michel Barnier est avide d'idées nouvelles, je me permets de lui soumettre une petite piste qui a le mérite de ne pas faire augmenter d'impôt ni de taxe ni de cotisation ni de toutes sortes de redevances, etc. Il s'agit des achats dans la fonction publique, y compris dans les collectivités territoriales (on parle d'achats publics, de commandes publiques).
 


Le 17 octobre 2024, un internaute a lâché sur Twitter une petite bombe, par agacement. Si j'ai bien compris, il doit être un enseignant en science de la vie et il avait besoin d'une lampe pour accélérer la photosynthèse d'une plante en travaux pratiques. Il a regardé les offres dans les catalogues des entreprises référencées dans l'Éducation nationale (« par lesquelles je suis obligé de passer ») et il a été ulcéré par les prix. Une petite lampe de chevet orientable à 80,00 euros... vendue sans l'ampoule qui, elle, est proposée à 48,60 euros (4W culot E27) ! Honnête, cet enseignant a précisé que s'il avait acheté cette lampe, il aurait automatiquement une ristourne de 12% (entre 10 et 15% de la commande), mais on est loin du compte quand on peut s'équiper exactement avec le même type de produit dans une grande surface ou sur un e-marchand.

En quelques jours, le tweet a été lu par presque 9 millions de personnes ! et a reçu plus de 2 000 réponses ou commentaires. Certains montrent des pages de catalogue d'entreprises grand public qui vendent la même lampe ou même type de lampe entre 10 et 20 euros, et l'ampoule dans les 2 à 5 euros. Quand on regarde le catalogue du même fournisseur, les prix vont bien plus loin pour n tableau magnétique, un four micro-ondes, un lave-verres, etc.


Beaucoup de fonctionnaires ont réagi au tweet en disant qu'ils ont le même problème, à l'Éducation nationale, mais aussi à l'hôpital, dans diverses administrations, etc. Il semblerait qu'il peut y avoir de la réticence humaine : les catalogues d'entreprises déjà référencées permettent de faire moins de travail qu'une entreprise non référencée, et dans le système scolaire, ce serait la bonne volonté de l'intendant qui serait en cause. Dans certains établissements, certains enseignants pourraient commander sur Amazon ou acheter dans le supermarché du coin, mais ce serait plus compliqué à gérer. Comme c'est de l'argent public, utilisateurs ou acheteurs semblent souvent se moquer du prix, puisque le budget est là. J'ajoute, pour l'Éducation nationale, et c'est la même chose que dans les grandes entreprises, les fournitures papier sont souvent dévalisées pour des intérêts particuliers, curieusement au moment des rentrées scolaires...

Le fournisseur référencé en question (qu'il n'est pas utile de citer, selon moi, car c'est un parmi d'autres qui ont les même prix surévalués) a été créé en 1987 par un enseignant-chercheur au CNRS qui a inventé « un concept inédit en France : le kit de travaux pratiques de biologie destiné aux enseignants de Sciences et Vie et de la Terre. (…) Ce kit a dès la première année de commercialisation séduit plus de 85% des lycées français. ». Depuis ce temps, l'entreprise « s'est développée et propose plus de 6 500 produits aux enseignants de sciences des lycées, collèges et universités français ». Ces produits sélectionnés sont « des produits de qualités, adaptés aux besoins et problématiques des enseignants et à un tarif compétitif ».

Le "tarif compétitif" est donc à sens inverse ! Ce n'est pas le seul fournisseur et il faudrait quand même comprendre comment de telles sociétés peuvent s'engraisser (il n'y pas d'autre verbe) avec des commandes publiques si ce n'est pas la mauvaise gestion du responsable des achats, à quelle qu'échelle que ce soit.

Il faut admettre qu'il peut y avoir des frais à être fournisseur de l'État. En effet, l'État est un mauvais payeur mais il paie toujours. Mauvais payeur, c'est-à-dire avec beaucoup de retard. Cela peut couler des fournisseurs s'ils n'ont pas la trésorerie en conséquence. Cela fait donc des frais, bien sûr, que le particulier n'impose pas aux grandes surfaces (là, c'est le contraire, c'est la grande surface qui devient une banque, avec des avances de trésorerie sur le dos de ses propres fournisseurs).

Quand on sait que, d'après l'Observatoire économique de la commande publique (OECP, un organisme ministériel), les marchés publics ont représenté 89,3 milliards d'euros HT pour 163 519 contrats recensés en 2017 par l'OECP, il y a sept ans donc, on peut aisément dire que les achats publics représentent aujourd'hui au moins 100 milliards d'euros par an en France. Si tous les prix sont aussi fous que celui de la lampe, on pourrait certainement faire des économies, mais auparavant, au moins faire une enquête approfondie (et exhaustive, ce que je ne fais pas ici) sur les différents enjeux de la commande publique.


Car les enjeux sont nombreux : il y a la performance, le moins disant en prix, mais aussi d'autres paramètres comme le critère national (favoriser les PME françaises et européennes, mais la loi sur la concurrence est en contradiction avec le patriotisme économique), et le dernier critère, double critère, est de favoriser les entreprises qui font attention à leur politique sociale et surtout à leur politique environnementale.

On pourrait penser que les centrales d'achat permettraient au contraire de réduire considérablement les prix. Dans une collectivité comme une commune, même pour payer un plombier, si, sur une année, le marché dépasse un seuil légal, il faut faire un appel d'offre qui coûte très cher à tout le monde : à celui qui le publie, selon une procédure très réglementée et le moindre vice de forme peut faire tout annuler, et faire rallonger des délais, mais aussi aux fournisseurs ou prestataires qui doivent passer beaucoup de temps à répondre aux appels d'offre sans être assurés d'être retenus.

S'il y a à débureaucratiser le pays, c'est bien sur cet aspect des choses que la débureaucratisation serait intéressante et libérerait beaucoup d'argent et beaucoup de temps d'agents publics.

Oui ! Je sais l'origine de cette réglementation pointilleuse. Avant, il y a trente ans, on pouvait tout faire avec l'argent public, on pouvait faire n'importe quoi et on a fait n'importe quoi. Les procédures de la commande publique permettent de réduire énormément les risques de corruption, mais aujourd'hui, elles pèsent tellement lourdement qu'on se demande si c'est vraiment financièrement pertinent, même si cela restera toujours moralement pertinent.
 


Et puis, on ne s'improvise pas acheteur. Dans les grandes entreprises, c'est un métier à part entière, très important, qui peut faire gagner beaucoup d'argent à une entreprise qui, si elle parie sur l'avenir, fera attention aussi à ne pas étouffer ses fournisseurs pour qu'ils puissent vivre aussi longtemps qu'elle. C'est donc un savant équilibre, et les lois contre la corruption, selon les directives européennes, rendent beaucoup plus difficiles les "cadeaux" aux acheteurs ; même une caisse de champagne doit maintenant être déclarée dans sa déclaration de revenus !

Je ne dis pas que cela résoudrait le problème du déficit, bien sûr, car la solution ne peut être que plurielle, mais gagner 10 à 20% sur l'ensemble des achats publics, avec une meilleure organisation, des procédures plus rationnelles qui font dépenser l'argent public comme si c'était son propre argent, pourrait à mon avis être envisageable. Et surtout, cela n'empêcherait nullement d'être équipé selon les besoins, simplement, pour la même qualité mais à moindre prix, parce que l'argent public, ce n'est pas celui de personne, c'est celui de tout le monde, et tout le monde en veut pour son argent.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 octobre 2024)
http://www.rakotoarison.eu

(Illustrations sur Internet proposées par Google Images).

Pour aller plus loin :
Achats dans la fonction publique : des économies à faire ?
Doliprane : l'impéritie politique.
Budget 2025 : l'impossible mission de Michel Barnier.
L’aspirine, même destin que les lasagnes ?
François Guizot à Matignon ?
Gilberte Beaux.
Standard & Poor's moins indulgente pour la France que les autres agences de notation.
Assurance-chômage : durcissement pour plus d'emplois ?
Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
Le Tunnel sous la Manche.
Agences de notation Moody's et Fitch : la France n'est pas dégradée !
Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".
 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241020-achats-fonction-publique.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/achats-dans-la-fonction-publique-257317

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/20/article-sr-20241020-achats-fonction-publique.html




 

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17 octobre 2024 4 17 /10 /octobre /2024 03:07

« De toute façon, il n'y a pas de risque de délocalisation de l'emploi puisqu'à 97%, le Doliprane est consommé en France. Le Doliprane qui est fabriqué en France pour des consommateurs français. On est des gros consommateurs de paracétamol (…) et ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays. » (Roselyne Bachelot, le 16 octobre 2024 sur BFMTV).



 


Depuis près d'une semaine, la classe politique est agitée par une information économique importante : le groupe français Sanofi ("fleuron de l'industrie pharmaceutique") a annoncé le vendredi 11 octobre 2024 qu'il s'apprêtait à vendre sa filiale Opella, son pôle activité Santé Grand Public, au fonds d'investissement américain CD&R (Clayton Dubilier & Rice). Parmi les médicaments produits et commercialisés par Opella, il y a le très connu et très consommé analgésique, le Doliprane, du paracétamol qui est un anti-douleur et un anti-fièvre. Émotion chez les Français et émoi dans la classe politique.

Dans ce dossier, je suis déconcerté par l'impéritie terrible du monde politique, qu'elle vienne du gouvernement ou de l'opposition. On pourrait croire à du populisme économique, voire du
populisme médicamenteur (Didier Raoult avait inauguré le genre), mais j'ai bien peur que ce soit sincère, ce qui serait pire à mon sens car cela signifierait une méconnaissance totale du monde économique, celui des entreprises, et du monde de la recherche et de l'innovation. Heureusement, quelques éditorialistes, quelques chroniqueurs se montrent un peu plus connaisseurs et surtout, rationnels sur ce sujet.

Mais avant d'être rationnels, ne rejetons pas l'émotion. J'ai la chance de ne pas consommer beaucoup de Doliprane parce qu'il m'arrive rarement d'avoir mal à la tête, mais ce n'est pas le cas autour de moi, et je connais beaucoup de personnes proches pour qui le Doliprane fait partie d'éléments nécessaires à leur vie ordinaire. En termes de consommation, les Français avalent dix boîtes de Doliprane par an pour chacun d'eux, bébés compris (et bien sûr, les bébés ne doivent pas en prendre aux doses pour adultes), ce qui montre à quel point ce médicament est familier des Français.


Donc, que les Français en général s'inquiètent que l'entreprise qui produit le Doliprane soit revendue à un groupe américain, qui en plus est un groupe financier et pas un groupe industriel dans le domaine de la santé, c'est tout à fait normal. Ce qui l'est moins, c'est que le monde politique, censé apporter des solutions pratiques et concrètes aux inquiétudes des Français, dise n'importe quoi sur le sujet, jusqu'à vouloir nationaliser (pour le groupe FI) le groupe Sanofi qui, je le rappelle, représente un capital de quelque 127 milliards d'euros, une somme dont dispose bien évidemment l'État qui n'a "que" 3 500 milliards d'euros de dette publique ! À les écouter, il faudrait tout nationaliser, tout planifier, comme dans l'épopée soviétique dont les résultats économiques ont pourtant montré leurs ...non-preuves !

Ceux qui se croient les plus malins, par antimacronisme primaire que je dirais aujourd'hui anachronique (plus la peine de tirer sur
Emmanuel Macron, il ne sera pas candidat à la prochaine élection présidentielle), évoquent les désastreuses conséquences de la politique industrielle du Président de la République. À cela rappelons que l'État n'est pas tout (on ne prête qu'aux riches) et que nous sommes (encore ?) dans une société de liberté d'entreprise, que la décision de Sanofi de vendre une partie de sa production est une décision privée d'une entreprise privée, et qu'elle a le droit de définir comme elle l'entend sa propre stratégie industrielle (et heureusement que l'État ne commence pas à s'ingérer dans les stratégies de toutes les entreprises françaises, quand on voit sa capacité à gérer déjà ses propres comptes publics).

Il faut déjà indiquer quelques précisions. Par exemple, quel est le projet de Sanofi ? C'est de vendre 50% du capital de sa filiale Opella au fonds d'investissement américain CD&R pour la somme d'environ 7 milliards d'euros (la capitalisation d'Opella est évaluée à 15 milliards d'euros). Ce fonds n'a pas d'objectif industriel mais un objectif de rentabilité financière, probablement sur cinq ans. Ensuite, il revendra ses actions d'Opella. Il serait déjà plus intéressant de connaître la nationalité de ce futur acquéreur que la nationalité du fonds acquéreur d'aujourd'hui.


Précisons aussi qu'Opella fabrique et commercialise 115 marques de médicaments, dont certains très connus du grand public qu'on peut acheter sans ordonnance, comme le Doliprane, bien sûr, mais aussi l'Aspégic, le Phosphalugel, la Lysopaïne, etc. Le chiffre d'affaires d'Opella (5,2 milliards d'euros) correspond à 12% du CA de Sanofi. La filiale, qui emploie 11 000 salariés, possède treize usines dans le monde dont deux en France, à Compiègne et à Lisieux, et la transaction avec CD&R a été négociée sur la base d'une valeur autour de 15 milliards d'euros (16,41 milliards de dollars). Sanofi garderait la moitié du capital d'Opella pour avoir un droit de veto sur les orientations stratégiques.

Cette vente est conforme à la stratégie de Sanofi annoncée dès octobre 2023. Dans "Les Échos" du 15 octobre 2024, Frédéric Oudéa, le président de Sanofi, a affirmé qu'il n'était donc pas question de délocalisation de deux usines françaises : « Cela fait dix ans que l'on ne cesse d'investir à Lisieux, un investissement de 20 millions d'euros est par ailleurs en cours pour augmenter de 40% les capacités de production et de stockage du Doliprane. ».

En outre, si le fonds était français, y aurait-il la même destinée avec l'entreprise ? Probablement. On peut d'ailleurs regretter l'absence de fonds d'investissement français, et surtout, de fonds de pension qui permettrait de préserver les entreprises françaises de leur nationalités et les start-up françaises de recueillir des fonds français. Ces fonds de pension seraient issus d'un inévitable complément de la retraite par répartition par la retraite par capitalisation (un mot qui fait peur en France mais pourtant, ce tabou favorise les plus aisés puisque ceux-là savent investir et capitaliser depuis longtemps pour avoir des compléments de retraite, mais c'est un tout autre sujet...).
 


Dans ce dossier, les politiques laissent croire qu'ils découvrent la situation alors qu'on peut voir, par exemple, une chronique économique de BFMTV l'annoncer déjà le 17 juillet 2024. C'est vrai que la nomination du futur Premier Ministre et les Jeux olympiques et paralympiques avaient beaucoup occupé les esprits politiques. Mais, comme je l'ai rappelé plus haut, la stratégie de Sanofi avait déjà été communiquée l'an dernier. Ce qui est regrettable, c'est que par démagogie, la classe politique confond allègrement plusieurs notions que j'énumère ici pêle-mêle : la souveraineté sanitaire, le patriotisme économique, les considérations sociales, la logique industrielle et l'intérêt national.

1. La souveraineté sanitaire d'abord. Elle doit être au niveau européen et pas seulement français, c'est l'échelle qui est la meilleure. Or, qu'en est-il de la souveraineté sanitaire avec le Doliprane, médicament le plus consommé en France et à ce titre, faisant partie des médicaments "stratégiques" ? Actuellement, cette souveraineté sanitaire est inexistante pour le Doliprane ! En effet, si l'usine qui fabrique ce médicament est en France, le principe actif, la molécule cruciale qui fait l'effet du médicament, n'est pas fabriquée en France ni en Europe, mais en Chine.

Or, justement, avec la prise en compte de l'importance de la souveraineté sanitaire après la
crise du covid-19, une usine va être mise en route près de Toulouse pour produire ce principe actif, et Sanofi y a même investi 500 millions d'euros. Cela signifie que la souveraineté sanitaire sera plus assurée demain, même avec l'achat de la moitié d'Opella par un fonds d'investissement américain, qu'aujourd'hui où le principe actif dépend du bon vouloir des usines chinoises. Pour rappel, je précise que la souveraineté sanitaire n'a pas d'intérêt en période ordinaire, mais seulement en période de crise sanitaire, or, dans une telle période, si la crise est mondiale, comme celle du covid, les tensions de production en Chine seront très fortes et si on peut l'imaginer aussi en Europe, les pays européens pourront cependant avoir la garantie d'être prioritaires.

Invitée de BFMTV, l'ancienne Ministre de la Santé (et ancienne pharmacienne)
Roselyne Bachelot, qui connaît un peu le sujet, a déclaré le 16 octobre 2024 : « Il n'y a pas de risque sur notre souveraineté avec un produit qui est, je ne voudrais pas dire en fin de vie, mais enfin, qui est, pour parler pudiquement, mâture, qui n'est protégé par aucun brevet... ». Effectivement, déjà aujourd'hui, rien n'empêche une entreprise étrangère de venir produire et vendre en France du Doliprane (avec des coûts de production moindre qu'actuellement s'il veut conquérir des parts de marché). En revanche, le prix des médicaments est régulé en France, et donc, il n'y a pas de risque d'augmentation du prix avec un changement de propriétaires du producteur.

2. Le patriotisme économique. Là aussi, cette notion paraît bien incertaine. Aujourd'hui, l'économie est ouverte et mondialisée. La compétition est forte partout dans le monde. On le voit pour les GAFAM (et pas seulement elles), les multinationales n'ont pas de nationalité. La seule patrie d'une grande entreprise, c'est celle de l'argent. Est-ce une catastrophe ? Non, heureusement ! C'est le principe de toute entreprise, faire des bénéfices, elles assurent ainsi, par ses bénéfices, sa pérennité pour employer ses nombreux salariés (et faire vivre leurs familles), proposer aux consommateurs leurs produits et attirer les investisseurs dans leur capital, sans compter financer le ou les États où elles sont établies par l'impôt direct (IS), indirect (TVA) et les cotisations sociales (salaires).

Deux exemples permettent de montrer que l'intérêt des Français n'a plus grand-chose à voir avec le patriotisme économique, ce qui peut attrister mais ce sont les faits. Exemple positif (grâce à Jean-Louis Borloo, qui fut maire de Valenciennes) : lorsque les Français achètent des voitures Toyota, ils engraissent des capitaux japonais, certes... mais ils favorisent des emplois français, puisque l'usine de Valenciennes a fait renaître un nouveau dynamisme économique. Exemple négatif, toujours dans le secteur automobile : le patron de Stellantis Carlo Tavares a déjà averti qu'il n'excluait pas la fermeture d'une usine en France (4 500 emplois à la clef). On peut aussi rappeler les délocalisations européennes de Renault (à Novo Mesto, en Slovénie pour la Twingo ; quand je me suis rendu près de Trieste, j'ai été très impressionné par le nombre de véhicules qui attendaient d'être livrés ; la future Twingo 100% électrique commercialisée en 2026 sera fabriquée à Novo Mesto, selon une information du 24 juillet 2024).

Bref, la nationalité d'une entreprise ne signifie plus rien, d'autant plus que les nombreuses participations au capital proviennent de multiples pays (multinationalité des capitaux, multinationaux des sites de recherche et de production, multinationalité des composants et matières premières, multinationalité des clients). En clair, le patriotisme économique n'est pas un patriotisme de nations, c'est un patriotisme d'entreprises. L'entreprise, lorsqu'elle est géante, est devenue un État, avec la même puissance financière. C'est le cas des GAFAM, mais pas seulement.

3. Les considérations sociales. Elles sont importantes dans un pays qui a perdu des millions d'emplois industriels en quatre décennies. Depuis 2017, la politique économique et fiscale d'Emmanuel Macron a justement permis de redresser l'emploi et surtout, l'emploi industriel, et réduire le chômage durablement. 2024 est d'ailleurs une année politique cruciale et tout le monde, du moins les sérieux, espèrent que le choc de la
dissolution et celui du déficit à réduire ne contreviendraient pas à l'attractivité économique de la France (malgré les perspectives "négatives" sur le redressement des finances publiques de la France, l'agence de notation Fitch Rating a tout de même maintenu la note de AA–, l'équivalent de 17/20, pour la France pour cette raison économique : la France a une économie saine, il faut le répéter !).

Une fois écrit cela, je reviens au Doliprane : même vendue à un fonds américain, il n'y a aucune raison que l'usine française qui fabrique le Doliprane soit délocalisée alors qu'elle fournit les Français pour 97% de se production. Les Américains ont eux-même leur paracétamol déjà commercialisé avec sa marque. Il y a donc découplage, comme c'est le cas pour Toyota ou Renault, entre nationalité des capitaux et implantation géographie des usines.


4. Logique industrielle. C'est le plus important à mon sens. Une bonne entreprise, celle qui évite le dépôt de bilan et qui s'agrandit au fil des années, c'est une entreprise qui prend les bonnes décisions au bon moment sur sa stratégie à long terme. Or, quel est l'intérêt de Sanofi à continuer à produire le Doliprane ? Pas grand-chose. En effet, le principe actif est dans le domaine public depuis longtemps. Je précise ce que cela signifie : cela veut dire qu'un brevet qui a protégé la molécule pendant une durée déterminée (généralement vingt ans, peut-être un peu plus pour le secteur pharmaceutique à cause de la durée des tests cliniques), ne la protège plus aujourd'hui (et depuis longtemps). En somme, c'est comme les droits d'auteur : soixante-dix ans après la mort de l'auteur, ses écrits tombent dans le domaine public et n'importe qui, n'importe quelle entreprise peut fabriquer et vendre des œuvres de cet auteur sans verser de droits d'auteur. Pour les inventions qui sont dans le domaine public, cela signifie que tout le monde est autorisé à produire et vendre ces inventions sans verser de royalties. C'est le principe des médicaments génériques, beaucoup moins coûteux que les médicaments d'origine parce que leurs coûts ne viennent que de la fabrication et pas de la recherche et développement en amont (qui justifie les royalties).

En clair, pour produire et vendre du Doliprane, c'est comme vendre n'importe quel produit sans valeur ajoutée, c'est un travail d'industriel et pas de pharmacien, pour réduire les coûts, par exemple. Le Doliprane est un produit stable, peut-être pas en fin de vie (sauf si on trouve mieux) mais en fin d'intérêt pour un grand groupe d'innovation comme Sanofi. En récupérant 7 milliards d'euros, Sanofi a ainsi la possibilité d'investir encore plus massivement qu'auparavant dans la recherche et développement pour trouver d'autres médicaments pour demain, assurer une rente par la protection de ses futurs brevets et aller de l'avant. Tout euro misé dans la R&D (recherche et développement) est un espoir supplémentaire de guérir des maladies aujourd'hui incurables (en particulier le cancer). Il faut aussi bien comprendre que les résultats de la recherche sont proportionnels aux investissement de recherche alloués. On le voit par exemple avec
SpaceX d'Elon Musk qui, dans le domaine spatial, a réussi le 13 octobre 2024 un véritable exploit technologique (et probablement économique), simplement parce qu'il a su investir à bon escient son argent.

Économiste à la Sorbonne, Nathalie Coutinet a affirmé le 24 septembre 2024 sur France Culture que l'évolution de l'industrie pharmaceutique était la même aussi chez les concurrents de Sanofi, à savoir Johnson & Johnson, GSK, Pfizer, Novartis et Servier : « Tous les grands laboratoires pharmaceutiques se séparent de ces branches [médicaments dans le domaine public] pour se concentrer sur des médicaments innovants, beaucoup plus chers et rentables. ».


Dans une société de liberté, il ne convient pas à l'État de dire aux entreprises ce qui est bon ou pas pour leur stratégie, et c'est intérêt de tout le monde, entreprises, capitaux, employés, consommateurs et États, que les grands groupes prennent les bonnes décisions pour leur stratégie.

5. L'intérêt national. Terminons par cet intérêt national si galvaudé. L'intérêt à moyen et long terme, c'est à la fois de préserver dans son giron une grande entreprise capable d'investir dans l'avenir, et dans le secteur de la santé, il y a encore beaucoup de travail de recherche, et c'est d'être capable de répondre correctement aux demandes de médicaments selon les besoins.

La manière dont s'organisent les entreprises n'a pas beaucoup d'intérêt, dans les faits. L'État n'a rien à faire dans certains capitaux, et on voit bien que l'État a été capable de faire d'énormes erreurs stratégiques dans le passé en matière industrielle. En revanche, il doit permettre, quel que soit le type d'entreprises (entreprises françaises, étrangères, ou même publiques), de donner la possibilité de continuer le développement de l'innovation. En ce sens, contrairement à ce que disent souvent certains responsables politiques (cela fait dix ans que certains râlent), le crédit impôt recherche (CIR) a fait beaucoup pour inciter les grandes entreprises à investir massivement en France dans la recherche et développement.

On comprend bien que l'hypothèse d'une nationalisation de Sanofi (financièrement impossible à imaginer pour l'État français), si elle pourrait répondre de manière particulièrement démagogique et coûteuse à la réelle inquiétude des Français sur cette annonce de vente d'Opella, ne répond pas du tout ni à la logique industrielle ni à l'intérêt national. Cela fait longtemps qu'on sait bien que la nationalité des véritables propriétaires des entreprises, en particulier la nationalité française, n'assure aucune éthique particulière (cf le scandale des EHPAD, par exemple).
 


Écoutons encore Roselyne Bachelot : « Et vraiment, le cirque qu'il y a autour de ça me paraît complètement... Je comprends les salariés du site qui ont peur et qui ont besoin d'être rassurés, mais que des responsables politiques connaissent aussi peu l'industrie et le marché pharmaceutiques, c'est quand même un peu grave ! ». Le consultant financier et essayiste Alexis Karklins-Marchay, sur Twitter le 16 octobre 2024, a également dit la même chose, en termes plus crûs : « Immense lassitude de tant de bêtises et de démagogie de la part de ces élus qui ne connaissent rien au monde de l'entreprise (Panot confondait par exemple chiffre d'affaires et bénéfices...) ! (…) Nous nous noyons dans ce marécage d'idiotie. ». En réaction aux déclarations du groupe FI, le journaliste Claude Weill, le 15 octobre 2024 sur Twitter, faisait état de son incompréhension : « Nationaliser un groupe transnational qui pèse 120 milliards d'euros, avec un capital déjà étranger à plus de 70% (dont US 44%) et 5,5% de son CA en France, pour “sauver” un médoc qui est dans le domaine public et dont il existe une bonne dizaine d’équivalents… Plus débile, je cherche, je trouve pas. ».

Sur BFMTV le 14 octobre 2024, le professeur
Philippe Juvin, député LR, était lui aussi en colère : « C'est révélateur de notre modèle économique. C'est révélateur d'une hypocrisie de la classe politique. Et c'est révélateur d'une certaine ignorance du sujet. D'abord, l'hypocrisie. Quand je vois qu'un certain nombre de mes collègues du parti socialiste sont en train de signer une tribune en disant : "surtout, il ne faut pas qu'il parte !". Dans ce cas-là, arrêtez d'augmenter des impôts sur les entreprises (…). Donc, ils se plaignent des maux qu'eux-mêmes créent. Deuxièmement, c'est une affaire d'ignorance absolue. Le fait qu'il y ait cette vente ne signifie pas que demain, on n'aura pas de Doliprane en France. Imaginez même que l'usine ne bouge pas. Ce n'est pas parce que vous fabriquez un médicament en France, et d'ailleurs, on ne le fabrique pas, je vais y revenir, que ce médicament est disponible pour la France. L'usine, elle fabrique des médicaments, elle les vend au monde entier. (…) Qu'est-ce qui fait en revanche qu'il y ait des pénuries ? Ce qui fait qu'il y ait des pénuries en France, de paracétamol et d'autres médicaments, c'est que le prix du médicament est trop faible. Quand une usine, où qu'elle soit, en France ou ailleurs, fabrique du paracétamol, elle a plutôt intérêt à le vendre en Allemagne qu'en France, parce qu'en Allemagne, c'est 25% plus cher. Enfin, troisièmement, dans cette affaire, c'est extrêmement révélateur de nos politiques économiques, parce que d'abord, il n'y a pas un seul gramme du principe actif qui est fabriqué en France (…), la molécule, le médicament, est formée en Asie à 100%, dont 80% en Chine. ».

Quant à la "blogueuse libérale" Nathalie MP Meyer, dans
son billet du 17 octobre 2024 (qu'il faut lire !), elle est également choquée (comme on pouvait s'y attendre) : « Voilà qui est fort de café. On sort tout juste d’une séquence budgétaire qui n’a pas masqué combien les marges de manœuvre de nos finances publiques s’étaient évanouies dans des niveaux de déficit et de dette alarmants, mais on pourrait s’endetter encore un peu plus pour investir dans la fabrication du Doliprane ? Et ce faisant, devenir juge et partie en entrant en concurrence avec d’autres acteurs de ce marché comme UPSA par exemple ? Ridicule, bien sûr, et typique des gesticulations aussi incohérentes que surjouées qui accompagnent chaque évocation du mot "souveraineté". ». Elle a rappelé en outre l'énorme coût de la conception des nouveaux médicaments : « Gardons à l’esprit qu’il faut en moyenne 11,5 ans pour la mise au point d’un médicament et que seuls 7% des médicaments entrant dans un essai clinique de phase 1 accéderont au marché (chiffres du LEEM, syndicat des entreprises du médicament en France). ».

Il serait temps que les Français puissent recevoir une instruction ou une culture économique non idéologisée. Cela permettrait de valoriser notre véritable excellence, celle de la recherche et de l'innovation, par des réussites industrielles qui attendent d'être majeures.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 octobre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L’aspirine, même destin que les lasagnes ?
Doliprane : l'impéritie politique.
François Guizot à Matignon ?
Gilberte Beaux.
Standard & Poor's moins indulgente pour la France que les autres agences de notation.
Assurance-chômage : durcissement pour plus d'emplois ?
Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
Le Tunnel sous la Manche.
Agences de notation Moody's et Fitch : la France n'est pas dégradée !
Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".

 





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241011-doliprane.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/doliprane-souverainete-patriotisme-257203

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/14/article-sr-20241011-doliprane.html



 

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29 juillet 2024 1 29 /07 /juillet /2024 03:54

« Il faut aimer la vie. J'aime la vie (…). Quand on aime (…), on arrive toujours à faire des choses merveilleuses. La vie est fantastique ! » (Gilberte Beaux, le 26 juillet 2017).



 


Gilberte Beaux fête son 95e anniversaire ce vendredi 12 juillet 2024. Il est très difficile de définir en deux mots qui est Gilberte Beaux. En ce qui me concerne, je la connaissais car elle était la "trésorière" de Raymond Barre, je ne sais pas trop sa fonction, peut-être conseillère économique aussi (les deux probablement) pendant sa campagne présidentielle de 1988.

Si Gilberte Beaux n'est pas très connue du grand public, c'est parce qu'elle a tout fait pour être discrète, éloignée des médias. Son monde, ce n'était pas celui de la politique où, au contraire, il faut se faire connaître, il faut se promouvoir, il faut faire parler de soi, parfois lourdement, la notoriété étant un élément important dans une victoire électorale (c'est le chat qui se mord la queue : on est connu aussi parce qu'on est élu). Son monde, c'est celui de l'économie, celui de la gestion d'entreprises,celui des discussions feutrées, des négociations secrètes.

Alors, on pourrait qualifier Gilberte Beaux de femme d'affaires, mais cela risque de faire oxymore, une femme peut être une bonne affaire, mais fait-elle de bonnes affaires ? Arg ! Stop ! J'arrête mon sexisme et si je suis un peu provocateur par le plaisir du jeu, c'est parce que Gilberte Beaux se sent (encore aujourd'hui) une femme libre, mais une femme libre parce qu'une femme forte, et à ce titre, elle s'inscrit dans la tradition des femmes fortes de sa génération, en particulier Simone Veil, mais aussi Marie-France Garaud (grande amie de Simone Veil).

Encore un petit détour avec Marie-France Garaud (qui est morte récemment). Gilberte Beaux a eu, donc, sa période barriste, en gros toute la décennie des années 1980. Dès 1981, Raymond Barre a vu sa cote de popularité grimper en flèche au fur et à mesure que le gouvernement socialo-communiste vidait toutes les caisses de l'État. Les Français aiment bien les hommes d'État (et femmes d'État) mais seulement lorsqu'ils ne sont plus au pouvoir.

 


L'un des préceptes du barrisme institutionnel, c'était sa conception très gaullienne de la Constitution, et à ce titre, Raymond Barre avait repris le flambeau de De Gaulle délaissé par Jacques Chirac prêt à foncer à Matignon (à l'époque, on faisait moins de chichi !) pour faire la première cohabitation. Raymond Barre, fidèle au dogme de la légitimité populaire sacrée par l'onction des urnes, considérait que le Président de la République devait démissionner s'il avait perdu les élections législatives. Au contraire, le président du RPR et futur candidat à l'élection présidentielle refusait d'exclure de gouverner et refusait d'engager un bras de fer avec François Mitterrand visant à le faire démissionner. À l'époque, j'étais à fond dans cette interprétation barriste, mais c'est l'interprétation pragmatique qui a finalement gagné (trois fois) en faisant même de la cohabitation un régime plutôt apprécié des Français car rétablissant une certain équilibre des institutions au sein de l'exécutif.

Les gardiens du dogme gaullien étaient rares dans la classe politique, notamment parmi les gaullistes, mais on pouvait compter sur Michel Debré (le père de la Constitution, évidemment) et aussi sur Marie-France Garaud, conseillère spéciale de Georges Pompidou à l'Élysée et conservatrice réactionnaire, en quelque sorte (avant-c'était-mieux). Les deux avaient eu le courage de se présenter à l'élection présidentielle de 1981, probablement aidés dans leurs parrainages par les giscardiens pour disperser l'électorat de Jacques Chirac (à charge de revanche, ce dernier, lui, a encouragé ses militants à voter contre VGE au second tour !).

Malgré son envie de discrétion, Gilberte Beaux s'est quand même engagée dans la bataille électorale... aux côtés de Marie-France Garaud puisqu'elles ont constitué une liste (Marie-France Garaud tête de liste) à Paris aux élections législatives du 16 mars 1986 qui étaient au scrutin proportionnel à l'échelle départementale. Sans investiture de grands partis politiques, cette liste était discrètement soutenue par... Raymond Barre qui cherchait à multiplier les députés purement barristes dans l'Assemblée de 1986 pour empêcher la cohabitation (la majorité très serrée a fait que les députés barristes, y compris le député de Lyon Raymond Barre, se sont finalement ralliés au gouvernement de Jacques Chirac pour ne pas être accusés d'être des diviseurs).

En 1986, leur liste n'a pas obtenu de siège, mais elle a fait mieux que les écologistes, Lutte ouvrière, le MPPT, ou encore qu'une liste menée par Albert Jacquard. Bref, avec 23 701 voix, soit 2,6% des suffrages exprimés, la liste Garaud-Beaux s'est classée en sixième place sur seize listes, juste après les listes des partis bien établis : la liste RPR menée par Jacques Toubon, la liste PS menée par Lionel Jospin, la liste UDF menée par Jacques Dominati, la liste Rassemblement national (oui oui, pas FN mais RN = FN + CNI) menée par Jean-Marie Le Pen (et le député des concierges Édouard Frédéric-Dupont) et la liste PCF menée par Gisèle Moreau (qui n'a pas obtenu non plus de siège, au contraire des quatre premières). Malgré son concurrent Jacques Dominati, la liste Garaud bénéficiait du soutien des Corses de Paris, car Gilberte Beaux est d'origine corse (son nom de jeune fille est Gilberte Lovisi).
 


Mais je m'égare dans cette voie politique qui n'était pas la sienne et sans doute cette candidature en 1986 a été téléguidée par Raymond Barre et elle ne pouvait pas la lui refuser. Revenons surtout à son parcours professionnel qui est loin d'être ordinaire. S'il fallait le résumer avec des noms, on pourrait le résumer étrangement avec deux noms : Jimmy Goldsmith et Bernard Tapie !

L'encyclopédie en ligne Wikipédia la considère comme « une personnalité du monde des affaires en France, des années 1960 aux années 1990, et une dirigeante d'entreprise » et ajoute : « Elle a été l'associée discrète de deux personnalités flamboyantes du milieu financier et entrepreneurial de ces décennies, Jimmy Goldsmith puis Bernard Tapie, chargée par eux de la bonne gestion des sociétés dont ils s'emparaient. Elle incarne aussi une époque de l'histoire du capitalisme, et du management en entreprise, où il était encore possible à une personne entrant comme dactylo de gravir tous les échelons et de devenir le dirigeant d’un groupe international. ».

Quand on regarde son origine familiale, un père qui a eu une faillite, on peut y voir un point commun avec Raymond Barre dont le père aussi a été socialement humilié par la faillite de son entreprise. Juste après la guerre qu'elle a passée adolescente avec sa famille à Marseille, la future Gilberte Beaux (elle s'est mariée en 1951 avec Édouard Beaux et est devenue veuve en 1995) a appris la sténodactylographie et a commencé à travailler très jeune dans une banque au plus bas des échelons afin de payer les études de son frère. Au bout de dix ans, par une volonté de fer (et un management particulièrement à l'écoute), elle a grimpé tous les échelons de la banque jusqu'à en devenir une fondée de pouvoir ! Une évolution aujourd'hui quasiment impossible à imaginer où les diplômes et recommandations sont bien plus nécessaires qu'à la sortie de la guerre où beaucoup d'emplois manquaient de titulaires.

Fort de cette expérience déjà exceptionnelle au milieu des années 1950, Gilberte Beaux a poursuivi dans d'autres entreprises, le groupe automobile Simca, dont elle a géré la trésorerie par l'intermédiaire d'une autre entreprise, la Compagnie financière de Paris. Elle gérait des grands comptes, des investissements, des crédits, etc., réputée au point d'être nommée à la tête de l'Union financière de Paris et de la Société de gestion industrielle et financière.

Et puis, ce furent ses rencontres dans la vie des affaires qui ont consolidé sa carrière financière. La première fut avec Jimmy Goldsmith dont elle est devenue le bras droit pendant une vingtaine d'années, entre 1967 et 1987. Elle a pris la tête de la Générale Occidentale, société holding du magma de la finance, qui a investi dans le secteur agro-alimentaire, en particulier en rachetant la Générale Alimentaire (marques Amora, Poulain, Maille, etc.). C'est elle qui négociait les prises de participation, les achats, les reventes et surtout la diversification économique du groupe.

Fine négociatrice, elle a revendu tous les activités du secteur alimentaire au groupe BSN afin d'investir dans les médias et l'audiovisuel au milieu des années 1970 et début des années 1980 : si les tentatives de rachat dans la télévision se sont avérées décevantes (et ratées), la Générale Occidentale a réussi à racheter l'hebdomadaire "L'Express" en 1977 à son fondateur JJSS (qui avait besoin d'argent pour investir dans ses campagnes électorales très coûteuses et assez vaines), ainsi que les Presses de la Cité. Jean-François Revel a été alors nommé directeur de "L'Express" avec, pour rédacteur en chef, Olivier Todd (qui lui aussi vient d'avoir 95 ans, le 19 juin dernier), proche du PSU, et accueillant les réflexions écrites de Raymond Aron. Après le renvoi d'Olivier Todd et la démission, par solidarité, de Jean-François Revel en 1981, l'hebdomadaire a évolué vers la droite (historiquement, il était de centre gauche et mendésiste) pour combattre le gouvernement socialo-communiste après l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand.


En 1987, ce fut la fin de l'idylle entre Jimmy Goldsmith et Gilberte Beaux, non qu'il y ait eu une mésentente professionnelle, mais parce que Jimmy Goldsmith a voulu vivre et se recentrer aux États-Unis et revendre toutes ses entreprises d'Europe. Gilberte Beaux a négocié alors le rachat de la Générale Occidentale par la CGE (Compagnie générale d'électricité), devenue ainsi propriétaire de "L'Express" (voir la première vidéo ci-dessous).

À cette époque (lire plus haut), Gilberte Beaux était surtout occupée par son engagement politique derrière Raymond Barre, tout en présidant Basic, une société pétrolière au Guatemala, résidu de ses investissements antérieurs. Elle aurait pu dire qu'elle attendait ainsi une retraite déjà bien méritée, mais atteignant ses 60 ans, elle a relevé un nouveau challenge : Bernard Tapie est venu lui demander en 1990 de prendre la direction du groupe Adidas qu'il venait d'acquérir. Elle connaissait depuis une dizaine d'années Bernard Tapie pour avoir tenté de faire des affaires avec lui, mais sans résultat concret (Bernard Tapie était spécialiste des reprises d'entreprise en liquidation et de la valorisation et revente de leur actif).
 


Pour Adidas, dont elle a présidé le directoire puis le conseil de surveillance jusqu'à sa revente (qu'elle a négociée) en 1994 au milliardaire Roger Louis-Dreyfus. Pour redresser financièrement Adidas (au bord de la faillite), Gilberte Beaux a revendu d'autres entreprises du groupe Tapie comme La Vie claire avec de fortes plus-values, puis a accompagné la revente d'Adidas, remis à flots en deux ans (revendu parce que son propriétaire a été nommé ministre) dont fut chargé le Crédit lyonnais (ce qui allait aboutir à une très longue affaire financière et judiciaire car le Crédit lyonnais a fait de très substantiels gains en cachant la valeur réelle d'Adidas).

Cette revente a coïncidé à peu près avec la mort de son mari en 1995. Édouard Beaux avait acheté un ranch en Argentine et s'y était installé. Veuve, elle a découvert que la vie là-bas y était agréable et s'y est définitivement installée, commençant à près de 70 ans une nouvelle vie de paysanne argentine, du reste très appréciée localement pour avoir soutenu des opérations d'archéologie dans le coin. Ce qui est amusant, c'est que Marie-France Garaud et son collègue politique Pierre Juillet étaient eux aussi, à leurs heures perdues, des éleveurs de moutons dans la campagne profonde !

Elle qui a passé une trentaine d'années à voyager dans le monde pour les affaires, se rendant sur tous les continents, Europe, Amérique, Asie, reconnaît cependant un trou dans sa raquette, elle ne connaît pas l'Australie ! Elle a été aussi nommée membre du Conseil Économie et Social (devenu CESE, avec Environnemental), pour lequel elle est partie au Japon pour une mission d'étude, qui a abouti à un rapport publié au Journal officiel : "Pour une politique européenne et française face au Japon" (popularisée par un ouvrage grand public : "La Leçon japonaise", ed. Plon). Elle a aussi publié son autobiographie "Une Femme libre" en 2006 (éd. Fayard).
 


Gilberte Beaux est une personne qui est bien placée pour dire qu'elle s'est faite toute seule. Elle proclame à qui veut l'entendre que la personnalité et le caractère sont bien plus importants que l'intelligence pour réussir, en particulier, il faut prendre des décisions rapidement, quitte à prendre de mauvaises décisions, mais c'est toujours moins pire que ne pas décider du tout.

Femme ayant particulièrement réussi sa vie professionnelle, Gilberte Beaux est sans doute une meilleure féministe au sens de la promotion sociale des femmes que bien des militantes féministes stériles qui pinaillent sur des aspects dérisoires de la vie sociale ou prêtes à s'enflammer pour l'écriture inclusive. Elle a donné trois conseils aux femmes qui souhaitent réussir : la liberté, la flexibilité et la confiance en soi. Et pour elle, c'est essentiel : si vous ne vous sentez pas à l'aise dans vos fonctions, dans votre milieu professionnel, n'hésitez pas à en changer et à vivre autre chose. Sinon, votre créativité et votre vitalité risquent de se nécroser.

Et Gilberte Beaux est bien placée pour le dire parce qu'elle a eu plusieurs vies économiques, passant allègrement d'un secteur à l'autre pour diversifier ses expériences personelles : secteur de la banque, secteur de l'automobile, secteur de l'agro-alimentaire, secteur des médias et de la presse, secteur du pétrole, secteur du sport. Sans compter son incursion politique. Et désormais, secteur agricole avec son exploitation en Argentine. Elle a toujours été discrète et s'est peu souvent exposée auprès du grand public (selon ses activités économiques), mais elle mériterait d'être plus connue, car elle peut être un bon modèle de femmes cultivée et cultivatrice ! Bon anniversaire !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 juillet 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Bernard Tapie.
Marie-France Garaud.
Raymond Barre.
Gilberte Beaux.
Carlos Tavares.
Carlos Ghosn.
Bernard Madoff.
Jacques Séguéla.
Gustave Eiffel.
Francis Mer.
 

 

 







https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240712-gilberte-beaux.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/gilberte-beaux-une-grande-dame-qui-255755

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/12/article-sr-20240712-gilberte-beaux.html

 

 

 

 

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1 juin 2024 6 01 /06 /juin /2024 03:32

« Nous avons sauvé l'économie française ! » (Bruno Le Maire, le 31 mai 2024).



 


C'est avec cette petite phrase que le Ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire a accueilli la décision très attendue (et redoutée) dans la soirée de ce vendredi 31 mai 2024 de l'agence de notation Standard & Poor's de dégrader la note de la France de AA à AA–. « Nous avons dépensé pour bien protéger. Ces dépenses indispensables ont évidemment augmenté la dette. », mais la dette française trouve « facilement preneur sur les marchés », a-t-il ajouté.

Pour Bruno Le Maire, en effet, la politique très dépensière du quoi-qu'il-en-coûte a permis de sauver des centaines de milliers d'emplois et des milliers d'entreprises de la faillite lors de la crise sanitaire du covid-19. Il a réaffirmé son objectif très ambitieux de réduire le déficit budgétaire en-dessous de 3% du PIB en 2027.

Alors que Moody's et Fitch avaient maintenu la note de la France le 26 avril 2024, Standard & Poor's, qui est sans doute l'agence de notation des dettes souveraines les plus écoutées des marchés, a été un peu plus sévère qu'elles pour sanctionner le déficit de 2023 beaucoup plus élevé que prévu. Il faut cependant rappeler que si elle avait maintenu sa note, cette note pour Fitch était déjà à AA– (avec un système de notation comparable). Malgré cette dégradation, la note signifie que le pays reste encore un pays de haute qualité pour ses obligations.

Cette dégradation de la note pourrait, si elle se répétait, avoir des effets dévastateurs si les taux d'intérêts devaient monter pour que la France puisse emprunter dans les marchés mondiaux. Elle sanctionne non seulement le déficit de 2023 mais finalement l'ensemble des budgets déficitaires depuis le début de la Présidence de François Mitterrand. Globalement, cela fait plus d'une génération que nous vivons au-dessus de nos moyens et que nous reportons l'addition aux générations suivantes. Les augmentations de taux pourraient amorcer un cercle vicieux, une spirale où les intérêts de la dette seraient tellement importants qu'il faudrait emprunter et emprunter.

Heureusement, la France n'en est pas là et a des fondamentaux sains puisque malgré le freinage de la croissance, le nombre de création d'emplois ne descend pas. Certes, la dégradation envoie un signal négatif, mais il y a d'autres signaux positifs pour les investisseurs étrangers et la France reste toujours le pays européen le plus attractif pour les investisseurs.

La dégradation de la note de la France doit donc être comprise comme un avertissement pour bien suivre la trajectoire annoncée du gouvernement de baisse à 2,9% du PIB de déficit dans trois ans. La crédibilité du gouvernement est cependant mise en cause par l'expérience du passé.

Inévitablement, les opposants de toute sorte à Emmanuel Macron vont bien sûr fustiger cette dégradation sans voir d'ailleurs une contradiction avec leur opposition aux réformes des retraites, de l'assurance-chômage, etc. qui contribuent pourtant à réduire les dépenses de l'État. On se plaint des carences dans l'éducation, la santé, la justice, la police, etc. et si on suivait la plupart des programmes des partis d'opposition, le déficit budgétaire bondirait de 100 milliards d'euros supplémentaires !

L'agence S&P, qui analyse la situation financière des États, prévoie que la dette de la France, qui est à 109% du PIB en 2023, atteindra 112% en 2027. Dans un communiqué, l'agence ajoute de manière assez pessimiste : « Même si nous pensons que la reprise de la croissance économique et les réformes économiques et budgétaires récemment mises en œuvre permettront à la France de réduire son déficit budgétaire, nous prévoyons maintenant qu'il restera supérieur à 3% du PIB en 2027. ».

Deux motions de censure pour contester la gestion des finances publiques ont été déposées et seront débattues lundi 3 juin 2024, une du RN et une de la Nupes. Le parti Les Républicains, en principe, ne devrait pas les voter, même si son président Éric Ciotti est très critique sur la politique du gouvernement en matière budgétaire. Dans "Le Parisien", Bruno Le Maire a affirmé : « Il n'y aura pas d'impact sur le quotidien des Français (…). Je prends note de cette décision. Elle ne change rien à ma détermination à rétablir les finances publiques. Nous avons commencé à le faire, nous continuons. ».

Malgré ces propos visant à dédramatiser, la dégradation de la note française ne va toutefois pas contribuer à renforcer la liste de la majorité présidentielle menée par Valérie Hayer aux élections européennes dans maintenant une semaine.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er juin 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Standard & Poor's moins indulgente pour la France que les autres agences de notation.
Assurance-chômage : durcissement pour plus d'emplois ?
Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
Le Tunnel sous la Manche.
Agences de notation Moody's et Fitch : la France n'est pas dégradée !
Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".

 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240531-standard-and-poor-s.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/standard-poor-s-moins-indulgente-254947

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/31/article-sr-20240531-standard-and-poor-s.html



 

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27 mai 2024 1 27 /05 /mai /2024 03:46

« Si nous ne réformons pas l'assurance-chômage aujourd'hui, nous risquons de caler sur la route du plein-emploi. Cette réforme, c'est donc le carburant qui nous permettra de créer toujours plus de travail dans notre pays. » (Gabriel Attal, le 26 mai 2024).


 


Est-ce une coïncidence ? Gabriel Attal a annoncé les conditions de la nouvelle réforme de l'assurance-chômage un mois jour pour jour après la décision de deux grandes agences de notation de ne pas sanctionner la France malgré son déficit public plus élevé que prévu en 2023. Peut-être est-ce moins une coïncidence quelques jours avant la décision de la troisième grande agence de notation qui devrait intervenir le 31 mai 2024 ?

Dans une interview accordée au journal "La Tribune Dimanche" du dimanche 26 mai 2024 (numéro 34), le Premier Ministre a effectivement précisé les contours de la réforme de l'assurance-chômage. Elle devrait être intégrée dans un décret avant le 1er juillet 2024 pour une mise en application au 1er décembre 2024. Gabriel Attal a expliqué que le gouvernement a pris la décision seule, puisque les partenaires sociaux ne sont pas arrivés à un accord contractuel à la suite de nombreux rounds de concertation.


Dans cette nouvelle réforme, il est prévu d'augmenter les conditions pour pouvoir prétendre à une indemnisation. Il faudra avoir travaillé huit mois les vingt derniers mois (au lieu de six mois sur les vingt-quatre derniers mois), le seuil des seniors passe de 55 à 57 ans pour une augmentation de la durée d'indemnisation (ce qui est une suite logique de la réforme des retraites de 2023), mais celle-ci est toutefois réduite de dix-huit mois à quinze mois pour les moins de 57 ans et de vingt-sept mois à vingt-deux mois pour les plus de 57 ans. Selon le gouvernement, cette réforme économiserait 3,6 milliards d'euros et entraînerait la création de 90 000 nouveaux emplois.
 


Au-delà de cette crédibilité extérieure qui fait que la France est un pays financièrement fiable, capable de faire des réformes de structure lorsque c'est nécessaire, on peut aussi comprendre cette réforme comme une étape supplémentaire de ce que veut laisser Emmanuel Macron après lui : l'idée qu'il continue toujours à réformer le pays, même pendant son second mandat, et que cela bouleverse le paradigme de l'emploi et du chômage depuis une quarantaine d'années en France.

Du reste, le Premier Ministre a rappelé : « Nos réformes ont permis de créer 2,5 millions d'emplois, notre taux de chômage est au plus bas depuis quarante ans... Nous avons montré que nous n'étions pas condamnés au chômage de masse. ». Et cela, c'est une vraie réussite des deux mandats d'Emmanuel Macron, saluée aussi par la presse allemande : rompre avec le cycle infernal du chômage, à l'image du Président impuissant et désabusé qu'était François Mitterrand, qui disait qu'on avait tout essayé. Emmanuel Macron a démontré le contraire. Et sur la période récente, même quand la croissance s'essouffle, cela ne renforce pourtant pas le chômage.

Mais j'ai quelques doutes sur l'intérêt de la réforme en matière d'emploi. Elle sous-entend que les chômeurs le sont parce qu'ils le veulent bien. Pourtant, ces chômeurs indemnisés un peu fainéants sur les bords, s'ils existent, ils sont finalement marginaux ; certains organismes ont cherché à les estimer, et selon leurs biais idéologiques, ils seraient de 1 ou 2% à 15%. Quand même François Bayrou dit le 26 mai 2024 sur France Inter : « Au bout de six mois, ils partent [de l'entreprise] car leurs droits sont rechargés. », il donne l'impression que tous les chômeurs pourraient trouver un emploi. Certes, beaucoup de secteurs sont en tension et beaucoup d'employeurs ont du mal à recruter, mais il reste quand même beaucoup plus de demandeurs d'emploi que de postes à pourvoir et surtout, le problème reste l'adéquation entre les candidats à l'emploi et le poste, c'est-à-dire, la formation.

C'est la troisième réforme de l'assurance-chômage depuis 2019 et le gouvernement a touché à tous les paramètres : durée d'indemnisation, montant de l'indemnité, conditions pour être indemnisé, et même dégressivité de l'indemnité pour les salaires élevés. Selon un rapport de 80 pages de la DARES, ces réformes auraient effectivement renforcé la création d'emplois... mais les conclusions ne sont pas très claires sur cette réalité et sur la nature de ces emplois. Toujours est-il que le taux de chômage est à 7,5%, ce qui est sans équivalent depuis que la France est en crise économique permanente.

 


Ces réformes sont des réformes structurelles profondes de notre modèle social, pour le maintenir et le fiabiliser. Les deux premières vont permettre d'avoir 1,1 milliard d'euros d'excédent en 2024 (c'était 1,6 milliards d'euros d'excédent en 2023), alors que les caisses de cette assurance étaient au rouge pendant longtemps (mais cet excédent va servir à éponger la dette de cette assurance). Avec la réforme des retraites (insuffisante si l'on en croit maintenant les prévisionnistes qui auraient mal calculé) et la réforme du code du travail, la réforme de l'assurance-chômage est le troisième point de cette transformation du pays. Gabriel Attal a voulu dédramatiser : « Nous conservons un régime plus généreux que nos voisins, en nous rapprochant du système allemand, où il faut avoir travaillé douze mois sur trente. Au Portugal et au Royaume-Uni, c'est douze mois sur vingt-quatre, et seize mois sur trente-trois en Belgique. ».

Pour l'opposition à gauche (syndicats, partis politiques), cette réforme est un scandale car elle va surtout pénaliser les plus âgés (les seniors) avec la baisse de la durée d'indemnisation et les plus jeunes et les plus précaires, avec le durcissement des conditions pour pouvoir être indemnisé. Pour le gouvernement, cela ne fait aucun doute qu'en modifiant ces curseurs, cela va mécaniquement renforcer l'emploi parce qu'un demandeur d'emploi qui disposera de moins de temps pour retrouver un emploi sera plus porté à accélérer ses recherches. Cela oublie les laissés-pour-compte. Et cela renforce l'idée que le gouvernement veut faire payer aux plus précaires, à ceux qui ont le plus de difficultés, pour renflouer le déficit. Or, Gabriel Attal n'a pas évoqué le déficit comme motivation pour faire cette réforme mais bien son objectif de plein-emploi (autour de 6,5% de chômage).


Cette réforme aurait dû être annoncée une ou deux semaines plus tôt et les émeutes à Nouméa ont retardé le calendrier. Mais est-ce téméraire sinon complètement fou d'annoncer une telle réforme à deux semaines d'un scrutin qui risque bien d'être catastrophique pour la majorité présidentielle ? Sans doute oui alors que la liste du parti socialiste menée par Raphaël Glucksmann talonne celle de Valérie Hayer dans les sondages : ce n'est pas ainsi que le gouvernement convaincra des électeurs de gauche de rejoindre la liste la plus européenne de France.

Toutefois, cette réforme est peut-être basée sur le pari d'une majorité silencieuse qui ne la rejetterait pas. Un sondage de l'IFOP publié le 10 octobre 2023 avait révélé que 65% des sondés étaient d'accord avec l'affirmation : "Les chômeurs pourraient trouver du travail s'ils le voulaient vraiment". Et un sondage d'Odoxa-Backbone publié en avril 2024 pour "Le Figaro" avait montré que 54% des sondés étaient favorables à un durcissement des règles du chômage.


Pourtant, vouloir courir après un électorat de droite semble assez contre-productif aujourd'hui alors que l'offre électorale à droite dépasse toutes les imaginations depuis cinquante ans. À mon sens, il faut parler ici d'un certain autisme de la part du l'Élysée : cette volonté très louable mais obstinée de faire de la France un territoire de prospérité économique risque bien de coûter très cher à cette majorité assez étrange, en provoquant la plus désastreuse des défaites électorales dans trois ans. On pourra dire ensuite qu'elle avait raison, que les réformes, on n'y reviendrait pas car elles étaient un moment douloureux mais nécessaire à passer, l'enjeu reste quand même de savoir si l'extrême droite, avec son visage le plus lisse et souriant, sera ou pas au pouvoir à brève échéance. Autant ne pas lui servir ce pouvoir sur un plateau d'argent. Cela fait réfléchir.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 mai 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Assurance-chômage : durcissement pour plus d'emplois ?
Les 10 mesures de Gabriel Attal insuffisantes pour éteindre la crise agricole.
Le Tunnel sous la Manche.
Agences de notation Moody's et Fitch : la France n'est pas dégradée !
Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".
 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240526-assurance-chomage.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/assurance-chomage-durcissement-254847

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/27/article-sr-20240526-assurance-chomage.html


 

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27 avril 2024 6 27 /04 /avril /2024 03:00

« Cette décision doit nous inviter à redoubler de détermination pour rétablir nos finances publiques et tenir l’objectif fixé par le Président de la République : être sous les 3 % de déficit en 2027. » (communiqué de Bruno Le Maire, le 27 avril 2024).


 


Ce vendredi 26 avril 2024, dans la soirée, le gouvernement français attendait avec une certaine anxiété la décision des deux agences de notation américaine Moody's et Fitch sur leur appréciation de la dette française.

Les notations de ces agences sont d'une grande importance financière pour la France et pour tous les États endettés (donc quasiment tous), dans la mesure où une dégradation de la note signifierait un risque considéré comme plus élevé de prêter à l'État en question, et donc, par effet mécanique, cela augmenterait les taux d'intérêt (le risque est toujours récompensé par le retour sur investissement).

Tout ce qu'un État paie pour la charge de sa dette est de l'argent que les contribuables n'utilisent pas pour leurs propres objectifs. En France, elle est le premier poste budgétaire, avec l'éducation, bien avant la défense. En 2023, on estime qu'au final, la charge de la dette publique de la France (les seuls intérêts) sera de 55,5 milliards d'euros (au lieu des 51,7 milliards d'euros prévus dans la loi de finances pour 2023). La loi de finances pour 2024 la prévoit à 52,2 milliards d'euros.

Il y a une certaine contradiction chez certains qui veulent dénigrer le gouvernement quand la note est dégradée, tout en voulant faire table rase de la dette. En dénigrant un pays dégradé, on accepte le principe de l'économie mondialisée qui veut que l'on ne prête pas gratuitement et que les prêteurs puissent rentabiliser leur financement. Si la charge de la dette est si lourde dans certains États, en particulier en France, ce n'est pas en raison d'une quelconque méchante finance internationale (dont nous sommes bien contents qu'elle soit là pour financer nos besoins de fonctionnement, c'est-à-dire nos retraités, nos personnels soignants, nos enseignants, nos policiers, etc.), c'est surtout que nous avons vécu au-dessus de nos capacités financières depuis plus d'une quarantaine d'années et que nous avons reporté l'addition (très salée) aux générations futures (merci à elles).

C'est pour cela que la meilleure souveraineté, la meilleure indépendance nationale, c'est encore de ne pas avoir à emprunter sur les marchés financiers internationaux, en d'autres termes, soit d'autofinancer soi-même ses emprunts (comme le fait le Japon), soit ne plus avoir de budget en déficit et rembourser définitivement sa dette (c'est plus sain). Ce serait plus sain mais cela signifierait ne plus faire de clientélisme, ne plus distribuer de l'argent à chaque catégorie qui revendique son bout de gras, et surtout, réduire la redistribution actuelle (bref, faire 144,5 milliards d'euros d'économies, le montant du déficit public prévu par la loi de finances pour 2024).

En raison d'une croissance plus faible que celle prévue dans la loi de finance pour 2023, la situation budgétaire de la France n'est pas très bonne, du moins, si on regarde les chiffres brut. Le déficit public de la France a dérapé en 2023, se hissant à 5,5% du PIB au lieu des 4,9% prévus. La dette atteint un niveau énorme, 110,6% du PIB, soit 3 000 milliards d'euros, soit environ 45 000 euros par Français, bébés compris ! C'est énorme mais elle s'explique aussi par les crises multiples que la France a traversé depuis six ans : crise des gilets jaunes, la crise du covid-19, le quoi-qu'il-en-coûte et le plan de relance, enfin, par le crise inflationniste consécutive à la montée du prix de l'énergie et aux pénuries provenant de la guerre en Ukraine. 110,6%, c'est 22 points du PIB en plus de la moyenne de la dette publique des pays de la zone euro (selon la dernière note des économistes de l'agence Rebond).

Pour autant, la situation de la France est loin d'être médiocre. Au contraire, depuis plusieurs années, la France est le pays le plus attractif économiquement de l'Europe, attirant vers elle de nombreux investisseurs étrangers. Depuis plusieurs années, on a plus d'entreprises industrielles qui se créent que d'entreprises industrielles qui ferment, avec un nombre de créations d'emplois industriels inédit depuis des décennies. Le chômage, s'il n'est pas jugulé (loin de là !), est maintenant à un taux assez faible (entre 7% et 8%), ce qui est nettement moins que du temps de François Hollande dont on évitera les analyses économiques actuelles qui sont particulièrement amnésiques en ce qui concerne sa gestion déplorable des finances publiques (avec une hausse de 70 milliards d'euros de prélèvements obligatoires !). De plus, les dépenses publiques continuent malgré tout à baisser par rapport au PIB : 59,6% du PIB en 2021 ; 58,8% du PIB en 2022 ; 57,3% du PIB en 2023. Le problème actuel provient d'une baisse de 21 milliards d'euros de recettes par rapport à ce qui avait été prévu dans la loi de finances pour 2023, en raison d'une baisse de la croissance.

Donc, malgré ce passage un peu difficile pour les finances publiques (qui va avoir pour conséquence des coups de rabot de 10 à 20 milliards d'euros, encore en débat pour la loi de finances de 2025, ce qui n'est pas rien), l'économie de la France d'Emmanuel Macron reste saine, le pays est attractif et c'est la raison pour laquelle le Président de la République ne voudrait surtout pas retourner aux mauvais réflexes de ses prédécesseurs en taxant encore plus l'activité économique, car cela viendrait gâcher tous ses efforts de redressement économique depuis 2017.

Cette analyse, que je fais, que certains font, que le "Spiegel" n'a pas hésité à faire en automne dernier en considérant la France en meilleure santé économique que l'Allemagne, elle est confirmée ce vendredi par les deux agences de notation Moody's et Fitch. On peut penser raisonnablement que leur appréciation se fait en dehors de tout esprit politicien ou de toute arrière-pensée électorale, puisque ces agences doivent préserver leur grande réputation dans les milieux financiers.

En effet, quelles sont ces appréciations annoncées ce 26 avril 2024 ? L'agence de notation Moody's a maintenu la note actuelle de la France, à savoir AA2, avec une perspective stable, jugeant que le risque de défaut de paiement de la dette était très faible et improbable. Quant à l'agence de notation Fitch, moins attendue car elle l'avait déjà annoncé implicitement au début du mois, elle a maintenu également sa note actuelle, à savoir AA–, avec une perspective stable, prenant le même chemin que Moddy's. Les deux confirment que prêter à la France est un bon placement, sans risque de déroute financière, car la France a de solides atouts économiques.


Loin de fanfaronner, le Ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire a profité de cs annonces, qui ont eu de quoi soulager le gouvernement français, pour rappeler les objectifs financiers des prochaines années, à savoir le 3% du PIB de déficit public en 2027. Il a raison de montrer sa volonté de sérieux budgétaire, car il manque encore l'appréciation de la troisième grande agence de notation S&P qui donnera sa note de la France le 31 mai 2024, soit quelques jours avant les élections européennes...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Agences de notation Moody's et Fitch : la France n'est pas dégradée !
Der Spiegel : "La France, c'est l'Allemagne en mieux".

 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240426-moody-fitch.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/agences-de-notation-moody-s-et-254384

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/27/article-sr-20240426-moody-fitch.html



 

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18 avril 2024 4 18 /04 /avril /2024 03:30

« Si vous estimez que ce n'est pas acceptable, faites une loi et modifiez la loi, et je la respecterai ! » (Carlos Tavares, sur France Bleu Lorraine, le 16 avril 2024 à l'usine de Trémery, en Moselle).



 


La polémique resurgit en France avec le vote consultatif des actionnaires ce mardi 16 avril 20240, au cours d'une assemblée générale réunie à Amsterdam, qui a approuvé à 70,2% la rémunération du directeur général du groupe Stellantis, mais l'information était déjà connue dès le 23 février 2024 avec la publication du rapport annuel : Carlos Tavares (65 ans) a touché 36,5 millions d'euros de rémunération pour l'année 2023.

Autant le dire tout de suite : c'est un montant complètement fou et excessif. Démesuré et disproportionné. Mais une fois écrit cela, qu'en penser ? D'abord, est-ce mérité ? Peut-être. Stellantis existe depuis le 16 janvier 2021. C'est nouveau et c'est la fusion de plusieurs groupes automobiles, français, italien, américain, pour en faire le quatrième constructeur mondial avec les marques : Peugeot, Citroën, Open, Fiat, Lancia, Chrysler, Alfa Romeo, Jeeetc.

Carlos Tavares est issu d'une famille portugaise de conditions plutôt modestes aimant la France et le français. Il est diplômé de l'École centrale de Paris et s'est consacré tout entièrement au secteur automobile dont il était passionné. Jusqu'en 2013, il a fait toute sa carrière à Renault, devenant le numéro deux de Carlos Ghosn comme directeur général délégué aux opérations du groupe Renault de 2011 à 2013.

Le jour de ses 55 ans, le 14 août 2013, il a affirmé publiquement, dans une interview, qu'il ne souhaitait pas rester un simple numéro deux et qu'il voulait devenir numéro un : « À un moment donné, vous avez l'énergie et l'appétit pour devenir numéro un (…). Mon expérience serait bonne pour n'importe quel constructeur ! ». Crime de lèse majesté ! Stupeur de son patron, Carlos Ghosn, qui l'a immédiatement viré (le 29 août 2013). Exit Renault. L'objectif de Carlos Tavares s'est porté alors sur General Motors ou Ford.


Ce fut PSA : le groupe Peugeot SA était alors au bord de la faillite en 2014 lorsqu'il a été nommé président du directoire. Son objectif était de redresser les comptes, supprimer la dette, retrouver de la trésorerie et une marge opérationnelle. En quelques années, il a redressé le groupe familial français et a pris l'initiative (aux côtés de l'État français) de la fusion de PSA avec Fiat en 2021 (Fiat venant d'absorber Chrysler en 2014).
 


Le 16 janvier 2021, il est devenu le directeur général de Stellantis, le nouveau groupe, dont le siège est aux Pays-Bas. Le chiffre d'affaires en 2023 a été de 189,5 milliards d'euros, en progression de 6%. Le résultat net pour 2023 a été aussi en progression, de 11%, pour atteindre le record de 18,6 milliards d'euros, ce qui est un exploit financier. Ce bénéfice a été d'ailleurs obtenu surtout à l'extérieur de la France, sur le marché américain. De ce bénéfice, 1,9 milliard d'euros ont été consacrés à une prime exceptionnelle aux près de 260 000 collaborateurs du groupe (précisément, un intéressement de 4 100 euros selon une annonce du 15 février 2024). 7,7 milliards d'euros ont été redistribués aux actionnaires (le reste est retourné en investissement).

Cette excellente situation financière d'un fleuron européen de l'automobile provient aussi de la stratégie mise en place par Carlos Tavares, en particulier l'idée de ne pas vouloir vendre le plus d'automobiles possible (comme pour Renault) mais de faire les meilleures marges possible.

Le sujet des rémunérations des patrons de constructeurs automobiles revient régulièrement dans l'actualité en France où le principe d'égalité est sacro-saint. En effet, l'indécence vient du fait que la rémunération de Carlos Tavares serait 500 fois la rémunération moyenne d'un salarié de son groupe. Dans cette rémunération, à 90% en fonction du résultat de son groupe, il faut compter une prime de 10 millions d'euros pour avoir mené la fusion, 2 millions d'euros pour une pension de retraite, etc.

Ce qui étonne, c'est que l'attention devrait être portée sur les personnes en précarité pour qu'elles puissent vivre décemment et pas s'indigner de rémunérations énormes. Les limiter ne résoudrait pas le problème de la pauvreté. De même, la transparence apportée à la rémunération des dix plus gros salaires des groupes n'a pas entraîné une modération salariale, au contraire, plutôt une surenchère qu'on avait déjà comprise avec Carlos Ghosn : comme les adolescents qui jouent à avoir la plus grosse, ces patrons se comparent non pas à leurs salariés mais aux autres patrons dans le monde, et plus ils gagnent de l'argent, plus ils pensent que leur reconnaissance est effective. Cette surenchère n'a plus beaucoup de sens à partir d'un certain seuil (qui reste à définir).

Du reste, l'arrogance va avec cette surenchère : presque provocateur, Carlos Tavares a justifié sa rémunération et si on la trouve trop importante, il défie les parlementaires de voter une loi et lui respectera la loi. Dans son arrogance, il se compare d'ailleurs à Kilian Mbappé (lui aussi objet de polémique sur sa rémunération), mais la différence, c'est qu'un joueur de football fait partie de l'actif d'un club, qui est l'argument d'achat des spectateurs et des sponsors, et il peut être revendu, au contraire du patron du groupe dont l'identité ne fait pas vendre à proprement parler ses véhicules (c'est plutôt la conception des véhicules qui déclenche l'acte d'achat).

Cela écrit, je n'ai pas personnellement d'idée précise sur le sujet. Ce qui semble certain, pour évacuer un risque, c'est que réduire la rémunération d'un patron, dans ces cimes si hautes, ne me semblent pas réduire leurs (éventuelles) performances ni celles de leur entreprise. Donc, l'argument de performance économique ne me paraît pas pertinent pour empêcher de fixer un seuil de rémunération. Néanmoins, la philosophie générale de liberté me paraît globalement un élément majeur de performance économique en elle-même. Limiter, réguler (dans le secteur automobile, il y a de plus en plus de réglementation notamment dans le domaine écologique), entraîne toujours un risque économique à long terme. De plus, à part un effet électoraliste à court terme, je n'en vois pas l'intérêt général pour le peuple français : réduire le salaire des autres n'augmentera jamais le sien (en revanche, soulage psychologiquement, peut-être est-ce propre à la France qui a l'argent honteux ?).


Pour moi, le problème est le calcul de la rémunération en général. Pour justifier son emploi, celui-ci doit rapporter nécessairement plus à l'employeur qu'il ne lui coûte en salaires et charges salariales (évidence élémentaire).

Mais comment rémunérer juste ? Il y a deux méthodes. Celui du consultant payé à l'heure (et aux frais). Tant de temps passé sera facturé de manière égale, qu'il s'agisse d'une affaire petite ou grande. Mais souvent, les rémunérations sont des pourcentages d'une affaire. C'est le cas des commerciaux. L'exemple typique est l'agent immobilier. Il peut passer autant de temps à vendre un appartement à 200 000 euros qu'une maison à 2 millions d'euros. Pourquoi décupler ses honoraires pour le même travail ? Dès lors qu'il y a une rémunération en pourcentage, il n'y a plus de limite, c'est le cas pour les acteurs, chanteurs, auteurs de best-sellers etc. La limite, finalement, c'est nous : plus nous achetons un bien, un livre, une place de cinéma, etc., plus nous donnons aux auteurs de l'œuvre. On peut juste réagir en aval, en imposant plus durement les rémunérations élevées, mais à condition que cela ne s'apparente pas à de la confiscation d'État.

Et si l'État français a encore une participation à Stellantis (près de 6,1% du capital), on oublie trop souvent dans ce genre de polémique franco-française qu'il s'agit toujours d'un groupe international, du reste de droit néerlandais et pas français et que les meilleures lois seront de toute façon détournées en raison de cette position internationale (on l'a vu pour Carlos Ghosn). Et le moteur de cette surenchère est d'ordre psychologique, le besoin du patron de montrer qu'il fait partie des plus puissants du monde. Ce qui est un peu chiche par rapport aux vrais riches, car même à 36,5 millions d'euros par an, il faut durer une carrière complète pour atteindre le "petit" milliard d'euros. Face aux milliardaires, ces patrons arrogants sont des petits joueurs !

La ligne à tenir pour la puissance publique, c'est l'intérêt général, on doit garder à l'esprit, hors de toute pression, ce qui rejaillirait en bien pour les Français en cas de réforme de la législation. Et ce dont je suis sûr, c'est que la jalousie voire l'envie n'ont jamais apporté un seul centime aux contribuables français. Juste de la rancœur et du dénigrement alors que les Français devraient d'abord être fiers de compter un patron très performant au niveau mondial.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Carlos Tavares.
Carlos Ghosn.
Bernard Madoff.
Jacques Séguéla.
Gustave Eiffel.
Francis Mer.
 






https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240416-carlos-tavares.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/stellantis-carlos-tavares-a-100-254211

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/18/article-sr-20240416-carlos-tavares.html



 

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5 novembre 2023 7 05 /11 /novembre /2023 04:29

« Comme il aime le rappeler, il n’y a pas eu de réelle autogestion chez Lip, mais seulement autogestion des luttes. Les décisions n’étaient ni prises, ni influencées par les directions fédérales. Elles étaient le résultat de longues discussions et réflexions suscitées aux assemblées générales. Toute une pédagogie héritée de l’Action Catholique Ouvrière (non-violence, respect de l’Autre même s'il est un adversaire, refus de la démagogie) et l’inventivité de l’esprit de mai 68 participaient à l’invention d’une nouvelle démocratie. » (Dominique Féret, "À voix nue" sur France Culture le 12 septembre 2011).






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C'est bien une "figure emblématique" du syndicalisme français, comme l'a souligné la presse, qui vient de s'éteindre à l'âge de 95 ans ce samedi 4 novembre 2023 à Besançon, quelques jours après une "figure emblématique" du patronat français. Charles Piaget (né le 28 juillet 1928 à Besançon) était en effet le "leader" (mot qu'il n'aimait pas) de la lutte syndical à l'époque de l'Affaire Lip, un conflit social très important qui a dominé la Présidence de Georges Pompidou.

En raison de sa notoriété nationale, Charles Piaget avait été pressenti pour être candidat à l'élection présidentielle de 1974, après la mort du Président, sous l'étiquette du PSU (il avait reçu de nombreux soutiens dont celui de Jean-Paul Sartre), mais l'ancien candidat de ce petit parti, en 1969, Michel Rocard, qui y avait la majorité, préférait un soutien sans faille au candidat unique de la gauche François Mitterrand (avant d'ailleurs de rejoindre carrément le parti socialiste et y créer un courant).

Ouvrier dans l'industrie horlogère, la spécialité économique de la Franche-Comté, après sa formation au lycée technique (il était orphelin, son père mort en 1943 avait été un artisan horloger), salarié chez Lip à l'âge de 18 ans, Charles Piaget est devenu ensuite technicien et contremaître. Syndiqué à la CFTC, syndicat basé sur la doctrine sociale de l'Église, puis, lors de sa création (issue de la CFTC) en 1964, à la CFDT (une laïcisation du syndicat chrétien), délégué syndical pas vraiment volontaire au début, il était très engagé politiquement, adhérant au PSU (parti socialiste unifié) dès sa fondation en 1960 (parti à l'origine de Pierre Mendès France, rejeté par ses amis radicaux).

Charles Piaget a pris une part déterminante dans ce conflit social qui a reçu un grand écho national voire européen. Lip était une entreprise familiale fondée en 1867. Fred Lip (ex-Lipmann), « à la fois paternaliste et moderniste » (selon l'expression de Dominique Féret), en est devenu l'unique patron en 1944, et en raison des difficultés financières, il a cédé une partie de son capital à une entreprise horlogère suisse qui en est devenue l'actionnaire principal en 1970 avec 43%. À l'époque, Lip représentait 83 millions de francs de CA et employait 1 300 salariés. La concurrence avec les montres à quartz était rude. En 1971, Fred Lip a été renvoyé par le conseil d'administration, et l'entreprise a produit ses premières montres à quartz deux ans plus tard, dans un contexte concurrentiel très difficile (montres japonaises et montres américaines). L'Affaire Lip a commencé à la démission du nouveau patron et au dépôt de bilan le 17 avril 1973. Le tribunal de commerce a décidé le redressement judiciaire, à savoir la possibilité de continuer l'activité sous la responsabilité de deux administrateurs judiciaires.

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L'existence d'un plan de licenciement de près d'un demi-millier de salariés par les administrateurs a alerté le 12 juin 1973 les ouvriers qui se sont mis en grève, ont occupé l'usine et ont même séquestré (sans violence) les administrateurs pendant une nuit, le temps de fouiller leur bureau (on peut penser à l'excellent film "Potiche" de François Ozon, sorti le 10 novembre 2010, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu et Fabrice Luchini).

Le Premier Ministre Pierre Messmer confiait alors que l'entreprise allait être liquidée (le 15 octobre 1973). Cette ligne fataliste « Lip, c'est fini ! » était soutenue par le Ministre de l'Économie et des Finances Valéry Giscard d'Estaing qui avait la charge de gérer les Fonds de développement économique et social et la Datar. Au contraire, le Ministre du Développement industriel et scientifique Jean Charbonnel voulait pacifier le climat social et négocier avec les grévistes menés par Charles Piaget et Jean Ragunès avec la nomination d'un négociateur, Henry Giraud, le 2 août 1973.

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Charles Piaget a considéré que c'était un peu par hasard qu'il se trouvait ainsi en tête du mouvement et que « la réussite d'un mouvement syndical, c'est de ne plus avoir besoin de leader ». L'Affaire Lip a d'ailleurs été le premier mouvement social qui est véritablement parti de la base, indépendamment des centrales syndicales : « Le syndicat ne doit pas diriger, mais animer la lutte. Il doit pousser les salariés à se prendre en main, à diriger progressivement la lutte par eux-mêmes. » (Charles Piaget dans son livre "On fabrique, on vend, on se paie" publié en 2021, éd. Syllepse). Cela préfigurait de nombreux conflits sociaux dont les syndicats étaient dépassés, jusqu'aux gilets jaunes.

Loin de vouloir agir par destruction du chiffre d'affaires, les grévistes ont voulu démontrer la possibilité d'une autogestion : pas besoin de trouver un nouveau patron, on peut se suffire. Ils avaient un atout de poids : ils n'occupaient plus l'usine (car occupée par les CRS) mais ils avaient saisi les machines et le stock de montres déjà produites. Leur idée était de produire, vendre et se rémunérer eux-mêmes, en montrant que l'entreprise était pérenne, avec ce slogan relativement simple : « C'est possible, : on fabrique, on vend, on se paie ! ». Ainsi, l'activité de l'usine a été reprise sous la direction des grévistes eux-mêmes. C'est la première réelle tentative d'entreprise autogérée (et unique). Un slogan de l'Organisation révolutionnaire anarchiste en 1973 : « Le meilleur soutien aux travailleurs de Lip, c'est, à notre tour, de prendre nos affaires en main. ».

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Il faut insister sur cette réaction peu ordinaire des salariés face à un plan de licenciement : les syndicats, en général, leur proposaient surtout de négocier des indemnités fortes mais ne remettaient pas en cause l'idée du plan de licenciement qu'ils ne pouvaient pas empêcher. Les salariés de Lip, eux, résistaient au fatalisme en s'engageant eux-mêmes.

Une grande marche a réuni 100 000 personnes le 29 septembre 1973 à Besançon en soutien aux salariés de Lip. Mais le gouvernement ne pouvait pas tolérer un risque de nationalisation du conflit au-delà de Lip, avec des circuits de vente sauvage et une revendication d'autogérer les entreprises. Cette expérience de l'autogestion a été fortement soutenue par des personnalités comme Edmond Maire (secrétaire général de la CFDT) et Michel Rocard (représentant la "seconde gauche").

Propulsé par Antoine Riboud et Michel Rocard, le numéro deux de Publicis, Claude Neuschwander (qui est mort il y a deux mois peu avant ses 90 ans), militant UNEF, puis PSU et CFDT, a repris Lip le 29 janvier 1974 en réembauchant tous les grévistes (830 ouvriers furent réintégrés progressivement jusqu'au 11 mars 1974) et en concevant de nouvelles montres. Mais il a dû démissionner deux ans plus tard, le 8 février 1976 à la suite du refus d'un soutien financier du gouvernement. Jean Charbonnel en a beaucoup voulu à Valéry Giscard d'Estaing, devenu Président de la République, et Jacques Chirac, Premier Ministre, d'avoir voulu assassiner Lip.

Après un nouveau dépôt de bilan quelques semaines plus tard, une nouvelle occupation par les salariés, Lip a été définitivement liquidé le 12 septembre 1977, mettant fin à une expérience originale et particulière. En novembre 1977, des anciens salariés de Lip ont alors tenté de continuer leur activité dans une autre structure, une société coopérative de production appelée Les Industries de Palente, siglée LIP (Palente est le quartier de Besançon où était implantée l'usine Lip) qui a été rachetée en 1986 par une autre entreprise horlogère qui a fait faillite en 1990.

Le 15 septembre 2011 sur France Culture, Charles Piaget résumait ainsi l'origine de l'Affaire Lip, et surtout, le cynisme des nouveaux dirigeants de Lip : « Finalement, notre aventure, c'est une aventure qui est extrêmement courante aujourd'hui. Une multinationale prend les actions d'une entreprise familiale et décide de la modeler selon sa logistique. Quelque chose qui est très courant aujourd'hui, qui l'était beaucoup moins à l'époque. (…) Ils se sont adressé à une entreprise conseil (…) et ils leur ont demandé comment il fallait faire (…). La réponse a été : premièrement, il faut (…) créer l'inquiétude (…), préparer psychologiquement les salariés à quelque chose d'important ; (…) faire le vide devant les salariés, c'est-à-dire qu'ils n'aient plus d'interlocuteur valable (…) dans l'entreprise ; donc, (…) ils vont se mettre en grève et occuper l'usine, et à partir de là, vous allez couper les salaires et il va y avoir lutte. (…) On a fait des statistiques, il n'y a aucun conflit qui a pu durer plus de deux mois lorsqu'il n'y avait pas de salaire. (…) Donc, deux mois après, vous aurez toute liberté de faire des restructurations que vous voulez. Voilà. Cela vous coûtera 2 millions de francs. » (voix nue").

À la retraite en 1988, Charles Piaget a continué ses engagements jusqu'à la fin de sa vie, notamment contre le chômage (cofondateur d'Agir ensemble contre le chômage) et aussi en participant à de nombreuses conférences pour témoigner de cette période d'autogestion (sa dernière interview date du 15 septembre 2023). Au début des années 2000, il constatait avec joie : « En ce moment, il y a moins de militants qui viennent au local, mais surtout, il y a moins de chômeurs. Tout ce que je souhaite, c’est la disparition de notre groupe avec la disparition du chômage. ». Mais le chômage a repris énormément après la crise de 2008.

C'est donc à la fois un acteur historique d'un grand mouvement social du début des années 1970, premier soubresaut d'une mondialisation qui allait s'étendre dans tous les secteurs, et aussi une personnalité qui a toujours voulu rester modeste, mettant en avant l'action collective, qui vient de disparaître. Dans son livre témoignage, il avait écrit : « Aujourd’hui, l’essentiel pour l’humanité, c’est de pérenniser l’aventure humaine. Elle se trouve en grand danger. Il faut changer profondément les sociétés actuelles. ». Il avait en outre insisté sur l'action déterminante des femmes dans le conflit Lip : « Cette participation très active des femmes a constitué une grande richesse pour la lutte. Mais aussi pour elles, pour leur vie personnelle. Sans cette forte participation, sans elles, le conflit n’aurait pu prendre cette dimension, cette popularité formidable. ».


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (04 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Charles Piaget.
Marylise Léon.
Laurent Berger.

José Bové.
Sophie Binet.
Philippe Martinez.
Henri Krasucki.
Edmond Maire.
François Chérèque.
Georges Séguy.
Marc Blondel.
André Bergeron.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20231104-charles-piaget.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/charles-piaget-le-non-chef-de-la-251367

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/11/05/40097137.html



 

 

 

 

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3 novembre 2023 5 03 /11 /novembre /2023 04:20

« L’irruption de "l’intelligence artificielle" qui va la caractériser dans tous les processus de la vie privée et professionnelle va (…) se traduire par d’importants changements qui laisseront au bord de la route ceux, individus comme collectivités, qui ne sauront pas, ou ne voudront pas, les accepter comme des changements inéluctables mais riches d’autres potentialités. » (Francis Mer, le 18 février 2014).



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Succéder à Laurent Fabius et être suivi par Nicolas Sarkozy : avoir une telle carte de visite, dans un poste prestigieux, l'un des plus importants de l'État, successeur d'un ancien Premier Ministre et prédécesseur d'un futur Président de la République, cela doit être un responsable politique de premier plan. Eh bien non ! Il s'agissait d'un non-politique, ce qu'on dit pompeusement (et avec inexactitude) quelqu'un de la "société civile" (comme si les professionnels de la politique étaient des militaires), il s'agissait de Francis Mer, "capitaine d'industrie" comme on le dit tout aussi pompeusement, qui est mort à Bourg-la-Reine le mardi 31 octobre 2023 à l'âge de 84 ans (il est né à Pau le 25 mai 1939).

Effectivement, Francis a été nommé Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie dans les deux premiers gouvernements de Jean-Pierre Raffarin, du 7 mai 2002 au 30 mars 2004, au début du second mandat présidentiel de Jacques Chirac. Ce n'est toutefois pas dans ces fonctions qu'il a le plus brillé, mais dans les fonctions de grand patron de la sidérurgie française.

Diplômé de Polytechnique et ingénieur en chef du corps des Mines, Francis Mer a fait partie des chefs de grandes entreprises emblématiques de la France industrielle. Dans le groupe Saint-Gobain où il a travaillé de 1970 à 1986, il était en charge du plan, puis directeur général de Saint-Gobain Industries en 1974, directeur général adjoint du groupe Saint-Gobain en charge de la politique industrielle en septembre 1978, et président-directeur général de Pont-à-Mousson SA (une filiale du groupe Saint-Gobain) en juillet 1982.

En septembre 1986, le gouvernement de Jacques Chirac a procédé à la fusion des deux groupes sidérurgiques Usinor et Sacilor (dont l'État était actionnaire) et a fait appel à Francis Mer pour diriger le nouveau groupe. La nouvelle gestion a permis de retrouver des bénéfices en 1988 après quatorze années de pertes, mais au début des années 1990, les pertes sont revenues. En juillet 1995, le gouvernement a privatisé Usinor-Sacilor et Francis Mer fut choisi pour présider le conseil d'administration d'octobre 1995 à mai 2002 de ce qui allait devenir Arcelor, le numéro un mondial de l'acier. Francis a alors réduit de plus de la moitié les effectifs pour permettre au groupe de survivre à la crise internationale, en négociant avec les syndicats un pacte pour réinsérer les salariés en partance.

À partir de la fin des années 1980, Francis Mer a dominé le secteur de la sidérurgie française, en prenant notamment la présidence de la Fédération française de l'acier à partir de 1988, en présidant aussi Eurofer (l'association des producteurs d'acier européens) entre 1990 et 1997, l'International Iron and Steel Institute entre 1997 et 1998, etc. En qualité de patron d'un grand groupe, Francis Mer a également présidé le conseil d'administration du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) entre 1989 et 1997.

Arrivé à Bercy avec la réélection de Jacques Chirac dans des circonstances particulières (Jean-Marie Le Pen au second tour), Francis Mer n'a jamais su se mettre à la place du politique et restait encore patron dans l'âme, au point que dans un conseil des ministres, il a commencé une intervention en disant : "Nous, les patrons, nous disons que..." ! Il n'était plus patron, mais ministre, et à ce titre, il devait prendre en compte des considérations politiques. Ce qui lui a valu quelques gaffes (de néophytes).

L'une des premières tâches de Francis était le grand écart entre la réalité économique et financière du pays et les considérations politiques. Quand il est entré à son ministère, Francis Mer répondait le 12 juillet 2002 au journal "Les Échos" à la question de la baisse des impôts :
« Au risque de vous décevoir, non ! Cela me paraît trop rigide. (…) Nous vivons dans un monde imprévisible et il vaut donc mieux conserver un maximum de souplesse. ». Il fut démenti par le Président de la République Jacques Chirac dès le 14 juillet 2002 : pour ce dernier, une promesse électorale devait engager son gouvernement, surtout avec l'envolée de l'extrême droite. Pendant la campagne présidentielle, il avait promis une baisse de 30% des impôts sur cinq ans, et 5% dès 2003 : il la réaliserait donc et tant pis pour son ministre trop prudent et pragmatique !

À Bercy, Francis Mer a fait beaucoup de réformes économiques, il a défendu la loi sur la transparence financière, modifié le code des marchés publics, réformé la méthode pour fixer le taux du livret A (en la déconnectant du politique). Il assura l'entrée des grands groupes publics dans le marché européen dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. Ainsi, il a privatisé Renault, France Telecom et Air France et a créé l'Autorité des marchés financiers (AMF).


Mais les préoccupations politiques de la majorité ont emporté Francis Mer : après l'échec des élections régionales de mars 2004, Jean-Pierre Raffarin (qui avait été battu par Ségolène Royal dans le Poitou-Charentes) a formé un nouveau gouvernement en nommant Nicolas Sarkozy à Bercy, permettant de l'évincer du stratégique Ministère de l'Intérieur revenu à Dominique de Villepin.

Après son aventure ministérielle, Francis Mer a laissé entendre (selon une indiscrétion du journal "Les Échos") le 18 avril 2005 qu'il allait se porter candidat à la présidence du Medef en association avec Guillaume Sarkozy (frère du futur Président de la République), vice-président du Medef et président de l'Union des industries textiles de 2000 à 2006 (Guillaume Sarkozy a été vice-président du CNAM de 2004 à 2005). Ce duo pouvait être cohérent (même si le Medef n'élisait qu'une seule personne) d'autant plus que Francis Mer représentait les très influentes industries sidérurgiques. Cependant, leur campagne était poussive et ils n'ont pas réussi à convaincre les patrons pour la succession d'Ernest-Antoine Seillère.

Finalement, Francis Mer a renoncé à sa candidature le 15 juin 2005 avec quelques regrets étonnés dans une interview au journal "Le Monde" :
« N'ayant pas le sentiment d'être le bienvenu, je ne souhaite donc pas compliquer les choses quant à l'élection d'un futur président (…). Je n'ai pas été considéré, ce qui m'a surpris, comme quelqu'un qui pouvait apporter une certaine valeur ajoutée à l'association qui représente les entreprises françaises. Visiblement je suis perçu comme un empêcheur de tourner en rond. Ce n'est pas la peine d'insister ! ». Il faut dire que les patrons souhaitaient probablement être indépendants du pouvoir, même s'ils en étaient proches, et dans ce duo, l'un était le frère du président du parti majoritaire et Ministre de l'Intérieur et l'autre avait été Ministre de l'Économie et des Finances de la même majorité. Laurence Parisot, présidente de l'IFOP, fut élue présidente du Medef (la première femme) le 5 juillet 2005 avec 53,6% des voix.

Francis Mer est devenu en 2005 membre du directoire de Vale Inco, un géant mondial du nickel et du platine (groupe canadien), et en janvier 2011, président du conseil de surveillance du groupe Safran puis vice-président du groupe Safran à partir d'avril 2011 (après le changement de gouvernance du groupe, passage du directoire à conseil d'administration).


Francis Mer a par ailleurs mené beaucoup de prospective et de réflexion sur l'économie : d'octobre 2004 à juin 2005, il a présidé le conseil de surveillance de Fondapol (Fondation pour l'innovation politique, un laboratoire de recherches fondé en avril 2004 par Jérôme Monod et
dont le directeur général est Dominique Reynié depuis 2008 et l'actuel président Nicolas Bazire depuis 2009) ; il a présidé aussi le Comité d'évaluation des stratégies ministérielles de réforme. De plus, en 2009, Francis Mer a fondé et animé la Fondation Condorcet Paris-Dauphine, considérée comme un laboratoire d'idées au service de la performance des entreprises. À cet égard, il estimait le 6 juin 2014 que la clef de la réussite résidait dans la mobilisation de toutes les ressources présente dans chaque entreprise : « Le schéma traditionnel, patron décideur, salarié exécuteur, débouche sur l'immobilisme (…). La confiance dans les capacités de l'autre est à la base du progrès. Et les collaborateurs détiennent des trésors de compétences qui restent inemployées parce qu'on a pris l'habitude de les réduire à leurs diplômes. ».

Dans une tribune antérieure, le 18 février 2014, il imaginait les enjeux à venir dans la gouvernance des entreprises et les limites de la société française : « Le moment est grave car les limites de la solidarité librement consentie sont atteintes, la révolution de l’information en route va continuer à détruire beaucoup d’emplois traditionnels et les responsables de l’intérêt collectif que sont les élus politiques sont de plus en plus déconnectés du monde "réel". (…) LE nouveau système donnant à chacun sa chance : dans un monde ouvert à toutes les informations, tous les modes de pensée, tous les échanges instantanés, il serait utopique de prétendre seul (moi État, moi Patron) être capable de maîtriser suffisamment la "situation" pour trouver LA "solution". Ce n’est qu’ensemble, au niveau de la communauté de travail de base qu’est l’entreprise, que cet effort d’imagination et de réflexion a quelques chances de se traduire concrètement par l’amélioration de performances dont elle a besoin pour se donner l’envie de continuer à construire son changement. (…) La relation entre les classes "dirigeantes" et la "masse des travailleurs" continue à s’inspirer d’une culture historique pluricentenaire privilégiant la hiérarchie qui "sait" et qui a le devoir de "protéger" les acteurs anonymes en contrepartie de leurs prestations obéissantes et passives, y compris par un code du travail envahissant. Cette caractéristique française n’est plus opérationnelle aujourd’hui au moment où la double révolution de la libération des personnes et de l’explosion des connaissances rend obsolète tout modèle fondé sur le contrôle et la rareté du savoir. Il risque même de se transformer en handicap si ce système d’organisation n’évolue pas rapidement pour libérer les initiatives car il poussera une part croissante des jeunes générations à "chercher fortune" ailleurs en profitant de cet acquis majeur qu’est la liberté de chacun de s’accomplir lui-même. ».

La disparition de Francis Mer a évidemment ému tout le monde économique mais aussi politique et en premier lieu le Président de la République Emmanuel Macron, promoteur de la start-up France, qui a exprimé le 3 novembre 2023 cet hommage : « Avec sa disparition, la France voit s'éteindre une figure emblématique de son paysage industriel, qui avait, tout au long d’une riche carrière, allié son esprit entrepreneurial à la quête du bien commun. (…) Incarnant les talents de la société civile au sein du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, il y importa son approche d’industriel, toute à la fois pragmatique et soucieuse d’une vision de long terme. Francis Mer, ingénieur au franc-parler tranché et au pragmatisme trempé, devint un ministre soucieux d’ordre budgétaire, d’attractivité, de libertés pour les chefs d’entreprises au service de l’emploi et de l’innovation. (…) Francis Mer était un homme d’industrie, de valeurs et d’engagement. Sa personnalité et son parcours (…) marquèrent notre économie, la vie des entreprises et celle des idées. ».


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (03 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Francis Mer.
Jérôme Monod.
Jacques Attali.

George Soros.
Silvio Berlusconi.
Michel-Édouard Leclerc.
La France des investissements productifs félicitée par Emmanuel Macron.
Faut-il encore polémiquer sur le RSA ?
Virginie Calmels.
Bernard Arnault.
Georges Chavanes.
Serge Dassault.
Thierry Breton.
Stéphane Soumier.
Elon Musk.

Jeff Bezos.
Donald Trump.
Anatoli Tchoubaïs.
Ravil Maganov.
François Perigot.
Alain Minc.
Jean Gandois.
Yvon Gattaz.
Bill Gates.
Carlos Ghosn.
Olivier Dassault.
Albin Chalandon.
Bernard Tapie.
Le Black Friday.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20231031-francis-mer.html

https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/francis-mer-un-grand-patron-en-251330

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/11/02/40094146.html






 

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1 novembre 2023 3 01 /11 /novembre /2023 04:24

« L’irruption de "l’intelligence artificielle" qui va la caractériser dans tous les processus de la vie privée et professionnelle va (…) se traduire par d’importants changements qui laisseront au bord de la route ceux, individus comme collectivités, qui ne sauront pas, ou ne voudront pas, les accepter comme des changements inéluctables mais riches d’autres potentialités. » (Francis Mer, le 18 février 2014).



_yartiMerFrancis04

Succéder à Laurent Fabius et être suivi par Nicolas Sarkozy : avoir une telle carte de visite, dans un poste prestigieux, l'un des plus importants de l'État, successeur d'un ancien Premier Ministre et prédécesseur d'un futur Président de la République, cela doit être un responsable politique de premier plan. Eh bien non ! Il s'agissait d'un non-politique, ce qu'on dit pompeusement (et avec inexactitude) quelqu'un de la "société civile" (comme si les professionnels de la politique étaient des militaires), il s'agissait de Francis Mer, "capitaine d'industrie" comme on le dit tout aussi pompeusement, qui est mort à Bourg-la-Reine le mardi 31 octobre 2023 à l'âge de 84 ans (il est né à Pau le 25 mai 1939).

Effectivement, Francis a été nommé Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie dans les deux premiers gouvernements de Jean-Pierre Raffarin, du 7 mai 2002 au 30 mars 2004, au début du second mandat présidentiel de Jacques Chirac. Ce n'est toutefois pas dans ces fonctions qu'il a le plus brillé, mais dans les fonctions de grand patron de la sidérurgie française.

Diplômé de Polytechnique et ingénieur en chef du corps des Mines, Francis Mer a fait partie des chefs de grandes entreprises emblématiques de la France industrielle. Dans le groupe Saint-Gobain où il a travaillé de 1970 à 1986, il était en charge du plan, puis directeur général de Saint-Gobain Industries en 1974, directeur général adjoint du groupe Saint-Gobain en charge de la politique industrielle en septembre 1978, et président-directeur général de Pont-à-Mousson SA (une filiale du groupe Saint-Gobain) en juillet 1982.

En septembre 1986, le gouvernement de Jacques Chirac a procédé à la fusion des deux groupes sidérurgiques Usinor et Sacilor (dont l'État était actionnaire) et a fait appel à Francis Mer pour diriger le nouveau groupe. La nouvelle gestion a permis de retrouver des bénéfices en 1988 après quatorze années de pertes, mais au début des années 1990, les pertes sont revenues. En juillet 1995, le gouvernement a privatisé Usinor-Sacilor et Francis Mer fut choisi pour présider le conseil d'administration d'octobre 1995 à mai 2002 de ce qui allait devenir Arcelor, le numéro un mondial de l'acier. Francis a alors réduit de plus de la moitié les effectifs pour permettre au groupe de survivre à la crise internationale, en négociant avec les syndicats un pacte pour réinsérer les salariés en partance.

À partir de la fin des années 1980, Francis Mer a dominé le secteur de la sidérurgie française, en prenant notamment la présidence de la Fédération française de l'acier à partir de 1988, en présidant aussi Eurofer (l'association des producteurs d'acier européens) entre 1990 et 1997, l'International Iron and Steel Institute entre 1997 et 1998, etc. En qualité de patron d'un grand groupe, Francis Mer a également présidé le conseil d'administration du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) entre 1989 et 1997.

Arrivé à Bercy avec la réélection de Jacques Chirac dans des circonstances particulières (Jean-Marie Le Pen au second tour), Francis Mer n'a jamais su se mettre à la place du politique et restait encore patron dans l'âme, au point que dans un conseil des ministres, il a commencé une intervention en disant : "Nous, les patrons, nous disons que..." ! Il n'était plus patron, mais ministre, et à ce titre, il devait prendre en compte des considérations politiques. Ce qui lui a valu quelques gaffes (de néophytes).

L'une des premières tâches de Francis était le grand écart entre la réalité économique et financière du pays et les considérations politiques. Quand il est entré à son ministère, Francis Mer répondait le 12 juillet 2002 au journal "Les Échos" à la question de la baisse des impôts :
« Au risque de vous décevoir, non ! Cela me paraît trop rigide. (…) Nous vivons dans un monde imprévisible et il vaut donc mieux conserver un maximum de souplesse. ». Il fut démenti par le Président de la République Jacques Chirac dès le 14 juillet 2002 : pour ce dernier, une promesse électorale devait engager son gouvernement, surtout avec l'envolée de l'extrême droite. Pendant la campagne présidentielle, il avait promis une baisse de 30% des impôts sur cinq ans, et 5% dès 2003 : il la réaliserait donc et tant pis pour son ministre trop prudent et pragmatique !

À Bercy, Francis Mer a fait beaucoup de réformes économiques, il a défendu la loi sur la transparence financière, modifié le code des marchés publics, réformé la méthode pour fixer le taux du livret A (en la déconnectant du politique). Il assura l'entrée des grands groupes publics dans le marché européen dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. Ainsi, il a privatisé Renault, France Telecom et Air France et a créé l'Autorité des marchés financiers (AMF).


Mais les préoccupations politiques de la majorité ont emporté Francis Mer : après l'échec des élections régionales de mars 2004, Jean-Pierre Raffarin (qui avait été battu par Ségolène Royal dans le Poitou-Charentes) a formé un nouveau gouvernement en nommant Nicolas Sarkozy à Bercy, permettant de l'évincer du stratégique Ministère de l'Intérieur revenu à Dominique de Villepin.

Après son aventure ministérielle, Francis Mer a laissé entendre (selon une indiscrétion du journal "Les Échos") le 18 avril 2005 qu'il allait se porter candidat à la présidence du Medef en association avec Guillaume Sarkozy (frère du futur Président de la République), vice-président du Medef et président de l'Union des industries textiles de 2000 à 2006 (Guillaume Sarkozy a été vice-président du CNAM de 2004 à 2005). Ce duo pouvait être cohérent (même si le Medef n'élisait qu'une seule personne) d'autant plus que Francis Mer représentait les très influentes industries sidérurgiques. Cependant, leur campagne était poussive et ils n'ont pas réussi à convaincre les patrons pour la succession d'Ernest-Antoine Seillère.

Finalement, Francis Mer a renoncé à sa candidature le 15 juin 2005 avec quelques regrets étonnés dans une interview au journal "Le Monde" :
« N'ayant pas le sentiment d'être le bienvenu, je ne souhaite donc pas compliquer les choses quant à l'élection d'un futur président (…). Je n'ai pas été considéré, ce qui m'a surpris, comme quelqu'un qui pouvait apporter une certaine valeur ajoutée à l'association qui représente les entreprises françaises. Visiblement je suis perçu comme un empêcheur de tourner en rond. Ce n'est pas la peine d'insister ! ». Il faut dire que les patrons souhaitaient probablement être indépendants du pouvoir, même s'ils en étaient proches, et dans ce duo, l'un était le frère du président du parti majoritaire et Ministre de l'Intérieur et l'autre avait été Ministre de l'Économie et des Finances de la même majorité. Laurence Parisot, présidente de l'IFOP, fut élue présidente du Medef (la première femme) le 5 juillet 2005 avec 53,6% des voix.

Francis Mer est devenu en 2005 membre du directoire de Vale Inco, un géant mondial du nickel et du platine (groupe canadien), et en janvier 2011, président du conseil de surveillance du groupe Safran puis vice-président du groupe Safran à partir d'avril 2011 (après le changement de gouvernance du groupe, passage du directoire à conseil d'administration).


Francis Mer a par ailleurs mené beaucoup de prospective et de réflexion sur l'économie : d'octobre 2004 à juin 2005, il a présidé le conseil de surveillance de Fondapol (Fondation pour l'innovation politique, un laboratoire de recherches fondé en avril 2004 par Jérôme Monod et dont le directeur général est Dominique Reynié depuis 2008 et l'actuel président Nicolas Bazire depuis 2009) ; il a présidé aussi le Comité d'évaluation des stratégies ministérielles de réforme. De plus, en 2009, Francis Mer a fondé et animé la Fondation Condorcet Paris-Dauphine, considérée comme un laboratoire d'idées au service de la performance des entreprises. À cet égard, il estimait le 6 juin 2014 que la clef de la réussite résidait dans la mobilisation de toutes les ressources présente dans chaque entreprise : « Le schéma traditionnel, patron décideur, salarié exécuteur, débouche sur l'immobilisme (…). La confiance dans les capacités de l'autre est à la base du progrès. Et les collaborateurs détiennent des trésors de compétences qui restent inemployées parce qu'on a pris l'habitude de les réduire à leurs diplômes. ».

Dans une tribune antérieure, le 18 février 2014, il imaginait les enjeux à venir dans la gouvernance des entreprises et les limites de la société française : « Le moment est grave car les limites de la solidarité librement consentie sont atteintes, la révolution de l’information en route va continuer à détruire beaucoup d’emplois traditionnels et les responsables de l’intérêt collectif que sont les élus politiques sont de plus en plus déconnectés du monde "réel". (…) LE nouveau système donnant à chacun sa chance : dans un monde ouvert à toutes les informations, tous les modes de pensée, tous les échanges instantanés, il serait utopique de prétendre seul (moi État, moi Patron) être capable de maîtriser suffisamment la "situation" pour trouver LA "solution". Ce n’est qu’ensemble, au niveau de la communauté de travail de base qu’est l’entreprise, que cet effort d’imagination et de réflexion a quelques chances de se traduire concrètement par l’amélioration de performances dont elle a besoin pour se donner l’envie de continuer à construire son changement. (…) La relation entre les classes "dirigeantes" et la "masse des travailleurs" continue à s’inspirer d’une culture historique pluricentenaire privilégiant la hiérarchie qui "sait" et qui a le devoir de "protéger" les acteurs anonymes en contrepartie de leurs prestations obéissantes et passives, y compris par un code du travail envahissant. Cette caractéristique française n’est plus opérationnelle aujourd’hui au moment où la double révolution de la libération des personnes et de l’explosion des connaissances rend obsolète tout modèle fondé sur le contrôle et la rareté du savoir. Il risque même de se transformer en handicap si ce système d’organisation n’évolue pas rapidement pour libérer les initiatives car il poussera une part croissante des jeunes générations à "chercher fortune" ailleurs en profitant de cet acquis majeur qu’est la liberté de chacun de s’accomplir lui-même. ».

La disparition de Francis Mer a évidemment ému tout le monde économique mais aussi politique et en premier lieu le Président de la République Emmanuel Macron, promoteur de la start-up France, qui a exprimé le 3 novembre 2023 cet hommage : « Avec sa disparition, la France voit s'éteindre une figure emblématique de son paysage industriel, qui avait, tout au long d’une riche carrière, allié son esprit entrepreneurial à la quête du bien commun. (…) Incarnant les talents de la société civile au sein du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, il y importa son approche d’industriel, toute à la fois pragmatique et soucieuse d’une vision de long terme. Francis Mer, ingénieur au franc-parler tranché et au pragmatisme trempé, devint un ministre soucieux d’ordre budgétaire, d’attractivité, de libertés pour les chefs d’entreprises au service de l’emploi et de l’innovation. (…) Francis Mer était un homme d’industrie, de valeurs et d’engagement. Sa personnalité et son parcours (…) marquèrent notre économie, la vie des entreprises et celle des idées. ».


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (03 novembre 2023)
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Pour aller plus loin :
Francis Mer.
Jérôme Monod.
Jacques Attali.

George Soros.
Silvio Berlusconi.
Michel-Édouard Leclerc.
La France des investissements productifs félicitée par Emmanuel Macron.
Faut-il encore polémiquer sur le RSA ?
Virginie Calmels.
Bernard Arnault.
Georges Chavanes.
Serge Dassault.
Thierry Breton.
Stéphane Soumier.
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Anatoli Tchoubaïs.
Ravil Maganov.
François Perigot.
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Bill Gates.
Carlos Ghosn.
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Albin Chalandon.
Bernard Tapie.
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