« Nous voulons aller chercher des baisses, et en fait, on est en mode combat comme Teddy Riner ! » (Michel-Édouard Leclerc, le 17 mai 2023 sur BFMTV).
Le patron des Centres É. Leclerc, Michel-Édouard Leclerc fête son 71er anniversaire ce mardi 23 mai 2023. À l'allure encore jeune, le col ouvert, assez cool et décontracté, l'homme est toutefois très sérieux, solide et certainement très redoutable en affaires. J'aime beaucoup ce grand communicant, car c'est d'abord un grand communicant, même si je ne suis pas dupe de ses objectifs, il est un chef d'entreprise et son intérêt est celui des entreprises qu'il supervise. Du reste, le magazine "Forbes France" l'a classé en 2021 comme le patron préféré des Français devant Tony Parker (reconverti patron), Alain Afflelou, Bernard Tapie et Xavier Niel.
Michel-Édouard Leclerc, au contraire de la plupart de ses collègues chefs de grandes entreprises, est souvent dans les médias à communiquer et expliquer son point de vue. On y voit beaucoup moins les patrons de Carrefour, de Cora, d'Auchan, etc. Il a un petit côté messianique, affichant (avec plus ou moins de sincérité) ses valeurs et ses convictions, parfois à coup de pleine page de publicité dans "Le Monde", souvent en avance sur l'ère du temps ou même la réglementation, comme l'histoire du sachet en plastique qu'il a éliminé de ses magasins dès 1996 au profit d'un grand sac réutilisable.
On se doute bien que cet affichage est aussi une image qu'il a progressivement consolidée et qui fait partie intégrante de l'identité actuelle des Centres É. Leclerc. Michel-Édouard Leclerc a aussi fondé les Espaces culturels Leclerc qui se veulent des mini-FNAC.
J'ai eu l'occasion d'écouter Michel-Édouard Leclerc (au moins) deux fois dans diverses occasions, dans les années 1990 à l'occasion d'une conférence organisée par une banque à Grenoble et dans les années 2000, à Paris, lors d'un Salon des Entrepreneurs, et ce qui me frappait, au-delà de son discours très clair, c'était son charisme, j'écrirais, son charisme économique : à la fin de l'événement, il était toujours assailli par de jeunes créateurs d'entreprise pour lui proposer d'investir dans leur affaire. L'exercice est toujours périlleux, en moins d'une minute, il faut convaincre l'investisseur potentiel qu'il va gagner une fortune avec vous (en gros, vous vous trouvez par hasard, ou pas, dans la même cabine d'ascenseur qu'un big boss, c'est la chance de votre vie et vous en profitez pour dérouler votre argumentaire concis et efficace, que vous aurez préparé bien entendu préalablement). Et Michel-Édouard Leclerc, au lieu de les rembarrer, les écoutait attentivement et se permettait, le cas échéant, de leur donner un petit conseil en réaction à chaud.
C'est vrai qu'il est le fils de son père, mais comme avec Serge Dassault, il s'est fait un prénom réputé et redoutable. Réellement, puisqu'à la naissance, il s'appelait seulement Michel Leclerc (qui est aussi le nom d'un oncle), un nom très commun en France (un peu comme Philippe Martin ou Claude Petit), et c'est lui-même qui a accolé le prénom de son père au sien pour faire Michel-Édouard (afin de lui rendre hommage).
D'ailleurs, il n'était pas du tout prédestiné à succéder à son père : un bac littéraire, des études d'économie, de philosophie et de sciences politiques à la Sorbonne. Il a obtenu une maîtrise en philosophie (il a suivi les cours de Jankélévitch et Michel Serres), une maîtrise en sciences politiques, et un doctorat en sciences économiques sous la direction de Raymond Barre (sur le déficit du commerce extérieur). Il était destiné à être un professeur d'économie à l'université et éventuellement un journaliste économique (il a publié quelques articles pour la revue "Que choisir").
C'est le bras droit de son père qui l'a embauché en 1979, au plus bas échelon, pour le conseiller pour importer de l'essence et proposer la vente de carburant dans les Centres É. Leclerc. Il a ainsi réseauté pas mal dans les allées des ministères (de droite comme de gauche), et a commencé aussi son messianisme, appliqué contre le prix unique du livre imposé par Jack Lang (loi n°81-766 du 10 août 1981).
Finalement, depuis 1988, Michel-Édouard Leclerc est le président de l'Association des centres distributeurs Leclerc, avec son père jusqu'en 2006, et seul après (Édouard Leclerc est mort en septembre 2012). Régulièrement, Michel-Édouard Leclerc est donc dans le débat public pour faire avancer ses propres idées. Son importance économique n'est pas négligeable : leaders de la grande distribution en France, les Centres É. Leclerc représentaient 67,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2022 et employaient 250 000 salariés la même année.
Et d'ailleurs, pourquoi ne ferait-il pas de politique alors qu'il connaît si bien le monde politique ? Il a été souvent approché pour se faire élire député ou même se faire nommer ministre, mais Michel-Édouard Leclerc a toujours refusé car son job, c'est d'être à la tête du grand groupe de distribution familial, et pour lui, cela n'aurait aucun sens d'avoir des responsabilités politiques pendant quelques années, voire quelques mois, alors que son histoire est plus que demi-séculaire (le premier hypermarché Leclerc, à Landerneau, sa ville natale, fêtera ses 60 ans l'année prochaine). À chacun son métier.
Militant du PSU dans sa jeunesse soixante-huitarde, l'entrepreneur était un grand ami de Pierre Bérégovoy et Jacques Chirac lui aurait fait la danse du ventre pour l'intégrer au gouvernement. Emmanuel Macron ne lui a rien proposé, mais je suppose que le Président de la République actuel le préfère comme un brillant interlocuteur économique à un médiocre partenaire politique.
Avec la crise de l'énergie et en particulier du carburant (un sujet qu'il connaît bien), et surtout, la forte inflation depuis plus d'une année, le thème de bataille médiatique actuel de Michel-Édouard Leclerc était tout trouvé : comment fait-on pour faire baisser les prix ?
Une récente étude publiée le 4 mai 2023 et réalisée chaque mois par Wiser pour LSA, le magazine de la grande consommation, donne un comparateur des prix pour les drives des hypermarchés en France et Leclerc se place en meilleure performance pour les prix les plus bas (l'étude étant indépendante, Michel-Édouard Leclerc aime la citer car c'est une reconnaissance de sa propre action). Chez Leclerc, les prix en magasin sont quasiment les mêmes qu'en drive.
Car s'il n'est pas un homme politique, Michel-Édouard Leclerc se comporte un peu comme un homme politique, comme un maire qui représente l'intérêt de ses milliers d'administrés, lui, il représente ses 19 millions de clients et son objectif, c'est l'intérêt de sa clientèle afin qu'elle lui reste fidèle
L'une de ses dernières interventions télévisées, c'était la veille de l'Ascension, dans la soirée du mercredi 17 mai 2023 sur BFMTV (mais il parle aussi souvent sur LCI et d'autres chaînes). Le thème, bien sûr, c'était l'inflation et aussi l'initiative, même tardive, du Ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire de faire rencontrer autour de la table de négociations les producteurs et les distributeurs pour répercuter la baisse des prix des matières premières sur les prix à la consommation : « Ça ne dit pas un résultat, mais ça veut dire que c'est plus que symbolique. D'abord, parce que c'est la première fois (…). Ils [les industriels] ne voulaient pas (…). Il n'y avait pas de volonté de faire bénéficier les consommateurs du retournement des marchés des matières premières. ».
Michel-Édouard Leclerc avait mis en garde très tôt tant les pouvoirs publics que les consommateurs contre l'opacité de certaines augmentations de prix qui n'étaient pas justifiées ni par la crise de l'énergie, ni par la guerre en Ukraine... mais simplement comme un effet d'aubaine pour s'en mettre plein les poches.
En ce sens, ses propos à la télévision s'apparentaient à un petit cours d'économie. Il n'est pas neutre et insistait bien sur le fait qu'il parlait de son point de vue, c'est-à-dire, celui de la grande distribution, mais il a l'esprit pédagogue et expliquait ainsi très clairement ses enjeux, ses perspectives avec une certaine franchise. Il a rappelé que les marges des distributeurs se limitent à 2% tandis que celles des grandes marques, donc des producteurs, sont bien plus grandes. L'évolution des prix est donc principalement le fait des producteurs qu'il appelle également industriels et peu le fait des distributeurs.
Michel-Édouard Leclerc s'en est pris, ainsi, aux industriels aidés de certains politiques : « Je pense aussi que ce n'est pas qu'un problème industriel. Il y avait aussi une sorte d'accord entre parlementaires, entre plusieurs groupes d'ailleurs, et les industriels, pour éviter d'avoir à aider trop l'industrie sur fonds publics, de les laisser reconstituer leurs marges. Et donc, il y avait un peu un jeu, pas hypocrite, mais un jeu de dupes dans la dénonciation de l'inflation. Et en tout cas, je me trouvais, ainsi que mes collègues de la distribution, un petit peu seul à dire aux industriels, vous n'êtes pas transparents... ».
Il insistait effectivement sur le fait que le problème était aussi politique qu'économique : la loi LME (loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie) avait pour effet de réduire la toute-puissance des distributeurs au profit des producteurs. Une autre loi « assez déconnant » adoptée par la majorité actuelle limite les promotions : « Au sein du gouvernement, ce n'était pas unanime. Le groupe parlementaire présidentiel (…) n'était pas… (…). Là, il faut reconnaître que c'est Bruno Le Maire et Olivia Grégoire qui, un peu en partition solo, ont réussi à convaincre Élisabeth Borne, qui était allée visiter un Système-U pour dire qu'elle s'intéressait à ce sujet, et puis le Président depuis deux jours qui a quand même... ».
Mais l'initiative de Bercy ne changera pas la loi qui reste toujours la même. Donc ces négociations producteurs/distributeurs n'iront pas très loin : « La loi dit qu'on ne négocie qu'une fois par an... On nous l'impose... On est les seuls en Europe. ». Les négociations intermédiaires ne remettent donc pas en cause la négociation de mars. Ce système aurait été adopté ainsi, selon le chef d'entreprise, pour faciliter les contrôles de l'administration.
Ce qui ne fait plus l'affaire des consommateurs aujourd'hui : « Nous qui sommes présents dans différents pays de la communauté européenne, nous voyons bien aujourd'hui que le système de négociation et de répercussion des baisses aux consommateurs, est inerte. ».
Et de ne pas hésiter à faire changer le cadre législatif de 2008 (la loi LME) : « Il ne faut pas avoir peur de changer les lois, il n'y a pas une Bible ; les temps changent, on change la loi, ou alors, on met des lois plus flexibles, moins encadrant. ».
Son objectif, celui de répercuter à la baisse, c'est par exemple sur les biscuits dont les prix sont impactés par trois secteurs actuellement en baisse : les céréales, le papier et le transports. Tous les produits importés par containers devraient baisser : les prix du container sont passés en six mois de 15 000 euros à 2 000 euros.
Mais l'initiative de l'État est nouvelle, celle d'exiger que les industriels viennent à la table de négociation : « C'est un retournement politique. ». En effet, le gouvernement a obtenu des 75 plus grandes marques en France, représentant 80% du marché des marques, de négocier leurs prix avec les distributeurs. Pourquoi seulement 75% des marques ? Parce que le gouvernement a fait dans le plus simple et le plus efficace, en convaincant deux fédérations industrielles : « Ça veut dire que le marché de l'industrie est très concentré. ».
Et Michel-Édouard Leclerc de continuer son petit cours de grande distribution : « Dans le rapport de forces, le distributeur, il a eu besoin du gouvernement. Donc on va aller les chercher, ces baisses, sur les marchés des céréales, les biscuiteries, et tout ça. On ne va pas toucher, j'insiste, on ne va pas toucher au marché du lait, parce que c'est très fragile (…), nous avons promis de ne pas toucher au monde agricole, pour des raisons politiques, c'est clair, mais aussi pour des raisons sociales, et aussi pour des raisons de fourniture. (…) Il faut des messages clairs dans la société, si on ne veut pas de violence, si on veut aussi que tout le monde se retrouve dans un projet anti-inflation, parce qu'il faut fédérer les entreprises là-dessus, je pense qu'il faut dire ses priorités et au fond, nous, les grands groupes de distribution cotés en bourse ou coopératifs, on va focaliser notre combativité et notre attention sur les grandes marques internationales parce qu'au fond, on veut être au diapason de ce qui se fait en Europe. ».
Et puis, il a esquissé un agenda : « On n'a pas le droit de vendre à perte, donc, de toute façon, on répercute les hausses, c'est obligatoire, [le pic d'inflation,] ça va arriver fin juin, juillet. Après, il va y avoir une petite stagnation (…). Le pic d'inflation, ses répercussions vont être pendant l'été, et après, ça va descendre. Ce qui va descendre, ce n'est pas tous les prix, c'est le taux d'inflation (…). Je pense qu'à la fin de l'année, on sera moitié moins qu'aujourd'hui. (…) Ce qui a été pris ne sera jamais rendu. ».
Concrètement : « Dans cette négociation, on peut aller espérer des rabais, des promos, des déductions, des ristournes, mais la loi dit que le tarif négocié en mars est applicable pendant une année. (…) Cette négo, il ne faut pas lui donner un impact considérable. ».
Michel-Édouard Leclerc jouait la franchise : « Je vous jure, tout ce qu'on pourra faire baisser, on baissera ; on est déjà les moins chers (…) ; l'idée pour nous, c'est d'être le moins cher. Donc, vous voyez bien que ces histoires de panier, toutes ces polémiques, moi je pense que la vraie mesure de l'inflation, c'est ce que paient les gens au final, en pied de ticket de caisse. ».
Négocier, c'est d'abord se donner la possibilité de créer un rapport de forces. C'est le principe de la concurrence comme système visant l'intérêt des consommateurs : « C'est une négo. Ce n'est pas rationnelle, une négo. On y va plus puissants même que ce qu'on va obtenir. C'est normal, ce n'est pas un poker, mais (…) il faut créer ce rapport de forces. On va dire à untel que s'il ne baisse pas ses prix, on va multiplier les promos sur nos marques de distributeur, et on le mettra moins en rayon. C'est la règle du jeu. Ça vous paraît être Dallas, mais finalement, c'est BFM, LCI et franceinfo. Allez, c'est pareil ! La concurrence, là, c'est dramatisé, c'est théâtralisé, mais si vous regardez ça sous un plan sportif, ça peut se faire de manière moins polémique et plus au bénéfice des consommateurs. ».
Il en a rajouté une couche sur des producteurs qui seraient plus tentés par le court terme que le long terme : « Ceux qui dirigent l'industrie ne sont pas que des industriels. Ce sont aussi des financiers, ce sont aussi des gens qui surveillent le cours de bourse. Et en fait, dans les 75 entreprises qui sont là, il y a des managers qui sont des industriels qui aiment le produit etc., mais vous avez aussi des managers qui répondent à des actionnaires qui veulent et qui trouvent que c'est pas mal l'inflation, ça gonfle artificiellement le chiffre d'affaires, ça permet de dire à tout le monde qu'on est en progression, (…) Sur le court terme, pour soutenir le cours, c'est bien l'inflation, c'est pas mal l'inflation, vous savez, même peut-être pour l'État, la hausse du prix du carburant, la hausse de 17% sur l'alimentaire, ça fait aussi des hausses de TVA. (…) Moi je raisonne en négociant, j'assume ça, mais dans la réalité, en face de nous, quand on dit des grands industriels, c'est aussi des grands actionnaires qui ne sont pas pressés de baisser les prix. ».
Enfin, dernière leçon, la différence entre déflation et inflation pour la grande distribution, c'est le retournement du rapport des forces : « En période de déflation, c'est celui qui détient le débouché qui fait plus la loi (…). Mais en période d'inflation, aujourd'hui, c'est dur pour nous d'aller dire à Coca Cola, je vais me priver de toi, ou à Mars, je vais me priver de toi. Parce que même le consommateur, il est ambivalent là-dessus : si c'est trop cher, il va crier, mais s'il n'a pas le produit, il va crier aussi. ».
Avec son bâton de pèlerin, Michel-Édouard Leclerc est donc imperturbablement dans les médias à prendre les téléspectateurs, qui sont aussi les consommateurs, à témoins de sa bonne volonté et de la moins bonne volonté d'autres acteurs économiques ou politiques. Il reste partial, bien évidemment, puisqu'il doit faire du profit s'il veut continuer à exister (et à employer ses centaines de milliers de salariés), mais il le fait avec un certain messianisme qui est très singulier dans ces secteurs économiques où le silence ou la réserve l'emportent sur la communication.
Avec Bernard Arnault, on avait le laconique ; avec Bernard Tapie, on avait le flambeur, tout le contraire ; avec Michel-Édouard Leclerc, on a le pédagogue. Prendre ses auditeurs pour des personnes intelligentes capables de comprendre ses enjeux est au moins une forme de respect qu'on ne lui retirera pas, malgré toutes les critiques que certains (anciens clients ? anciens producteurs ?) n'hésitent pas à lui balancer encore aujourd'hui...
« Il s'agit ni plus ni moins de fourguer aux employeurs un nouveau bataillon de salariés jetables. »
Cette déclaration ci-dessus n'est pas une réaction de 2023 sur la réforme du RSA (revenu de solidarité active) que compte présenter le gouvernement le mois prochain dans le cadre de son projet de loi qui vise à transformer Pôle Emploi en un nouvel organisme, France Travail, s'occupant de l'emploi mais aussi de la formation professionnelle. Non, cette déclaration date de septembre 2008, un article de la revue mensuelle qui revendique le communisme libertaire, "CQFD", en réaction à la réforme voulue par le Président Nicolas Sarkozy, la transformation du RMI en RSA mise en œuvre le 1er juin 2009 (loi n°2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion).
Comme on voit, les polémiques politiques sur le RSA ne sont pas nouvelles et continuent toujours à alimenter de manière souvent assez stérile le débat sur l'insertion et sur le chômage. J'avais déjà évoqué un sujet parallèle à propos de l'indemnisation des demandeurs d'emploi (qui s'est durcie ces dernières années) et s'il y a évidemment des abus, voire des fraudes, la grande majorité tant des demandeurs d'emploi que des bénéficiaires du RSA ne sont pas heureux de leur situation et préféreraient avoir un (véritable) emploi et est complètement insérés (socialement) dans la société.
Pourtant, ce sujet est comme l'immigration, comme bien d'autres sujets, des "marqueurs" d'une hypothétique appartenance à la droite ou à la gauche, à cela près que depuis 2017, il n'y a plus vraiment de bloc de droite ni de bloc de gauche (ce qui, à long terme, pourrait poser un problème démocratique), mais trois blocs, un d'ultra-droite, un autre d'ultra-gauche, et un entre-les-deux qu'il est bien difficile de qualifier, aujourd'hui occupé par la majorité présidentielle mais qu'occupent aussi quelques socialistes fidèles à leur parti (et pas à leurs ambitions), des centristes et le parti Les Républicains.
Le RMI (revenu minimum d'insertion) a été créé par le gouvernement de Michel Rocard par une loi votée à la quasi-unanimité des députés (loi n°88-1088 du 1er décembre 1988 instituant le RMI). Michel Rocard a été un innovateur social puisqu'il a aussi inventé la CSG (contribution sociale généralisée) qui a le goût très amer d'être une cotisation sociale sur laquelle le salarié contribuable paie (en partie) l'impôt sur le revenu ! La génie français dans son œuvre.
L'idée du RMI n'était cependant pas kafkaïenne (au contraire de la CSG), elle répondait à un véritable besoin dès lors que nous étions entrés dans une société à très forte proportion de chômage (depuis les premiers chocs pétroliers). Elle avait été testée notamment par le centriste Pierre Méhaignerie qui l'avait appliquée dans son département lorsqu'il était président du conseil général d'Ille-et-Vilaine. Du reste, le RSA est géré par les départements, ce qui est l'une de leurs principales missions.
Ce revenu permet de dépanner lorsqu'une personne est dans le pétrin social et économique et il n'est pas voué à se pérenniser pour cette personne. Tant le RMI que le RSA, le mot clef est "insertion" ou "activité", pas "revenu". Hélas, depuis plus de trente-quatre ans, cette idée a surtout été comprise comme une allocation, nécessaire, mais pas suffisante pour sortir de la précarité et se réinsérer, et surtout, pas suffisante pour vivre. Aujourd'hui, le RSA pour une personne seule sans enfant à charge est de 607,75 euros par mois.
C'est pourquoi les Présidents volontaristes, ceux qui ne voulaient pas se satisfaire d'un chômage de masse, à savoir Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron (les autres se sont montrés particulièrement fatalistes face au chômage), ont toujours voulu réformer le RMI/RSA pour en faire un véritable outil d'insertion. D'où la réforme de Nicolas Sarkozy qui l'a réalisée en plusieurs temps, un temps d'expérimentation géographique (permise par la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat) puis sa généralisation en 2009 (loi déjà citée).
L'idée était d'obliger les allocataires de ce revenu à suivre une formation et à faire des heures d'activité afin de retrouver leur "employabilité" (le mot est laid mais c'est bien ce que cela veut dire : se lever le matin, se confronter au transport, avoir une vie sociale sur le lieu de travail, avec un chef et des supposés collègues, etc.). À l'époque, d'où la citation du mensuel "CQFD", certains opposants craignaient même que le nombre d'allocataires chutât de 1 million à 100 000 (il n'en a rien été).
Dans la réforme de 2008, l'attribution du RSA se faisait en compensation de plusieurs obligations, la principale étant de déclarer ses revenus tous les trimestres (puisque son attribution dépend du niveau de ressources de l'allocataire), mais aussi d'être à la recherche d'une activité professionnelle ou d'entreprendre les démarches pour un projet professionnel. Malheureusement, le RSA a surtout comblé des besoins alimentaires mais n'est toujours pas assez efficace en termes d'insertion professionnelle.
Près de 1,9 million de personnes bénéficiaient en 2022 du RSA. Son coût est de l'ordre de 12 milliards d'euros (en 2020), dont environ 15% correspondant aux coûts d'encadrement et de réinsertion (et le reste l'allocation elle-même). Son financement s'est fait par un nouvel impôt sur les revenus du capital. En 2012, le dispositif était excédentaire car 35% des personnes pouvant bénéficier du RSA ne l'ont pas demandé (je n'ai pas trouvé de données plus récentes mais il suffit de lire le formulaire pour comprendre pourquoi certains ne demandent pas le RSA et pourquoi les missions locales ne sont pas au chômage).
L'objectif du gouvernement actuel n'est donc pas très éloigné de celui de Nicolas Sarkozy au début du quinquennat de celui-ci. Et les réponses apportées peu différentes de ce qui a déjà été mis en œuvre. Lors de la remise du rapport de préparation à la création de France Travail, le 19 avril 2023 (dont l'auteur est Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l'emploi), le Ministre du Travail Olivier Dussopt (ancien député socialiste en 2017) a annoncé souhaiter rendre obligatoire 15 à 20 heures d'activité d'insertion par semaine (ce qui correspond à un mi-temps, alors que la recherche d'emploi prend un temps complet) qui seraient rétribuées selon les dispositions du code du travail.
Thibaut Guilluy a expliqué sur franceinfo le jour même : « Nous, ce qu'on propose, c'est un choc de l'insertion, c'est de faire en sorte qu'il y ait un coach, un conseiller, qui ait vraiment du temps pour pouvoir les accompagner dans leur parcours de retour à l'emploi. » en précisant que ces heures seraient « des immersions d'entreprises, des stages, de la formation pour pouvoir se former à un métier ou pour passer le permis de conduire ». Avec quelques exceptions : « Chacun a un parcours singulier. Il y a des personnes qui ont des difficultés sociales, très profondes, des problèmes de santé, donc il faut pouvoir s'adapter. ».
L'autre obligation, ce serait de s'inscrire à France Travail (ex-Pôle Emploi), alors qu'actuellement, seuls 40% sont inscrits. Le risque est d'avoir une remontée des statistiques avec de nouvelles inscriptions, bien sûr, mais l'idée est d'avoir un meilleur accompagnement. Mais là encore, il n'y a rien de révolutionnaire et on sait très bien que cela ne fonctionne pas vraiment. Aujourd'hui, un conseiller de Pôle Emploi "gère" (le verbe gérer est plus juste que suivre) en moyenne 450 demandeurs d'emploi, ce qui est déjà beaucoup trop pour faire un suivi individualisé. Si les moyens humains ne sont pas apportés parallèlement à cette réforme, elle sera aussi inefficace que les précédentes.
En déplacement à La Réunion, la Première Ministre Élisabeth Borne a confirmé ce samedi 13 mai 2023 à l'agence Pôle Emploi de Saint-Leu-les-Trois-Bassins que les obligations seraient suivies de sanctions si elles n'étaient pas tenues : « On doit continuer à viser les leviers pour permettre à chacun de revenir vers un emploi. C'est d'autant plus important dans un contexte où on sait qu'il y a beaucoup d'entreprises qui cherchent à recruter et qui disent qu'elles n'y arrivent pas (…). En effet, je vous confirme que dans le projet de loi, il y aura bien la possibilité de suspendre, sur une durée courte peut-être pour démarrer, en tout cas, il y aura aussi un dispositif de sanctions dès lors qu'on aura accompli, de notre côté, notre part de responsabilité, c'est-à-dire qu'on aura mis la personne bénéficiaire du RSA en situation de suivre le parcours qu'on lui a proposé. ». Mais il n'y aura pas de sanction avant de résoudre d'autres « freins périphériques », comme le problème de la garde d'enfant.
Outre le fait que la possibilité de suspendre partiellement le RSA existe déjà, la Première Ministre considère qu'être au RSA est volontaire de la part des bénéficiaires et qu'il suffirait qu'ils se disent qu'ils veuillent un emploi pour avoir un emploi. Si des entreprises cherchent à recruter, c'est de l'ordre de un à plusieurs de centaines de milliers d'emplois, à comparer aux trois millions de demandeurs d'emploi que compte encore le pays. Un bon ajustement entre les formations et les besoins du marché est donc nécessaire, certes, mais ne résoudra pas, en lui-même, le problème du chômage de masse (même s'il s'est beaucoup amélioré depuis 2017 avec la création de 1,7 million d'emplois dont 90 000 emplois industriels).
Plus globalement, lorsqu'on lit à la loupe les déclarations gouvernementales, il n'y aura rien de véritablement nouveau depuis la réforme Sarkozy de 2008. Mais on communique. La politique est probablement le comble de l'action du verbe.
Pourquoi donc insister sur les sanctions pour les bénéficiaires du RSA ? Sans doute pour des raisons politiques pour ne pas dire politiciennes. Le gouvernement souhaiterait une alliance avec Les Républicains. Mais la majorité présidentielle se trompe si elle souhaite engager une coalition sur des mesures ressenties comme plutôt antisociales car, justement, l'incapacité à trouver une majorité à l'Assemblée Nationale sur la réforme des retraites provient d'une partie non négligeable des députés LR (de l'ordre du tiers) qui sont, au contraire, partisans d'une politique plus sociale que celle du gouvernement. Donc, stigmatiser les bénéficiaires du RSA n'aidera pas le gouvernement à compléter sa majorité dans l'hémicycle. Et ne les aidera pas à retrouver du travail.
« Qu’a besoin de faire notre pays ? De continuer d’être compétitif sur le capital, le travail, l’innovation, de continuer d’être fiable et clair sur sa stratégie et d’augmenter la quantité de travail. C’est dans cette stratégie que s’inscrit la réforme des retraites, je le dis en l’assumant de manière très claire et très tranquille. Si la France s’est désindustrialisée et a une faiblesse par rapport aux voisins, et les 10 points de PIB d’écart avec l’Allemagne, c’est que nous travaillons moins que nos voisins dans le cycle de vie. » (Emmanuel Macron, le 11 mai 2023 à l'Élysée).
Ce vendredi 12 mai 2023, le Président de la République Emmanuel Macron visite à Dunkerque une future usine qui va fabriquer des batteries. C'est la mise en pratique de la veille. En effet, le jeudi 11 mai 2023, en présence notamment du commissaire européen Thierry Breton, des ministres Bruno Le Maire, Christophe Béchu et Roland Lescure, ainsi que du Haut commissaire au Plan François Bayrou, il a réuni tous les acteurs de l'industrie française (dirigeants, élus locaux, associatifs) à l'Élysée pour un grand colloque sur Accélérer notre réindustrialisation.
Il faut dire ce qu'il est : Emmanuel Macron est le plus à l'aise sur ces thèmes qui lui sont chers de reconquérir le tissu industriel français et européen. On le verrait bien en Napoléon sur son cheval tendant d'un bras ferme l'épée pour conquérir de nouveaux territoires. Avec Emmanuel Macron, heureusement, il ne s'agit pas de territoires au sens propre mais au sens figuré, des territoires économiques, c'est-à-dire pas seulement des marchés, c'est-à-dire des sites de consommation, mais aussi des sites de production. Et son patriotisme n'est pas seulement français mais aussi européen à une époque où tout se passerait volontiers hors du continent.
Ses maîtres mots, ce sont l'indépendance et la souveraineté de la France, plus encore depuis la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, et cette indépendance se conquiert avant tout par le retour de l'industrie en France et en Europe. Sa politique volontariste depuis 2017 a déjà porté ses fruits, en particulier sur le front de l'emploi. Jamais le chômage n'a été aussi bas depuis des décennies, et jamais on a créé autant d'emplois : plus de 1,7 million d'emplois dont 90 000 emplois industriels. Près de 300 nouvelles usines ont été implantées depuis six ans sur l'ensemble du territoire français, et cela est très nouveau après trente ans de forte désindustrialisation. Dans quelques années, on reviendra à la situation des usines d'avant la crise financière.
Cette journée du 11 mai 2023 visait donc explorer les pistes pour accélérer cette reconquête de l'industrie française afin de préparer la France de demain. Ce sont des grands mots, parfois grandiloquents, mais cette volonté industrielle n'a jamais connu une telle force depuis les années De Gaulle. Elle a pour objet de mettre la France sur les rails d'un horizon 2030 voire 2050 en voulant consolider le modèle social (qui est loin d'être celui de l'Asie), atteindre le plein emploi, investir massivement dans l'innovation, en particulier pour décarboner l'industrie qui doit être verte (les mots "décarboner" et "vert" appliqués à l'industrie me paraissent un peu extrapolés mais tout le monde comprend et cela fait joli, comme, avant, il y a vingt ans, "développement durable").
Pour réussir cette reconquête industrielle, il faut des fonds et c'est pour cela qu'Emmanuel Macron souhaite renforcer l'attractivité économique de la France pour y implanter les industries du futur (voilà encore une jolie expression, connue depuis au moins cinquante ans, mais c'est moi qui l'utilise, elle n'a pas été utilisée durant ce discours). Il faut aussi anticiper les mutations, et ce n'est pas facile sur les territoires qui sont des ruines industrielles et qu'il s'agit de réadapter pour en faire de nouvelles industries. La politique de zéro artificialisation nette doit s'accompagner d'un mécanisme de solidarité entre les territoires : « Si on s'organise, qu'on planifie et qu'on prend la contrainte. On a environ besoin de 20 à 30 000 hectares nouveaux si on veut vraiment réindustrialiser massivement. Il se trouve que nous avons dans notre pays entre 90 000 et 150 000 hectares de friches industrielles. Il faut savoir les utiliser comme il faut. ».
La fin de ce colloque a donné lieu à un discours très long du Président de la République (plus d'une heure) qui a présenté sa politique en la matière. Personne ne peut vraiment s'opposer aux objectifs de cette politique industrielle, si ce n'est un élément qui a tout de suite fâché les écologistes. Et c'est probablement ceci qui va rester politiquement du discours présidentiel.
Emmanuel Macron a en effet souhaité une pause de la réglementation européenne sur la lutte contre le réchauffement climatique, et s'il l'a dit très poliment et prudemment, la traduction serait, à l'instar de Pompidou : arrêtez d'emmerder les Européens avec l'écologie !
Sa justification est logique. On ne peut pas sans arrêt appliquer des normes de plus en plus dures. Déjà pour les logements, cela va poser un grave problème dans les mois et années à venir avec une réduction de logements mis sur le marché pour raison de passoires thermiques. Les rénovations urbaines sont confrontées à des normes qui ne sont pas les mêmes à la fin des travaux par rapport au début des travaux.
Voici les mots assez forts d'Emmanuel Macron : « J'appelle à la pause réglementaire européenne. Maintenant, il faut qu'on exécute. Il ne faut pas qu'on fasse de nouveaux changements de règles parce qu'on va perdre tous les acteurs. Donc on a besoin de stabilité. Maintenant, il faut accélérer sur les déploiements parce que sinon, le risque qu’on court, c'est au fond d'être les mieux disant en termes de réglementation et les moins disant en termes de financement. Donc là, on est en train de compenser cela. Mais c'était le décalage qu'on avait post IRA américain. Donc premier point de resynchronisation et de cohérence au niveau européen. On va se battre pour ça. On met en œuvre ce qu'on a décidé, mais on arrête d'en rajouter chaque jour. Et on accélère les financements européens parce qu'on a besoin. Et je soutiendrai le fonds souveraineté proposé par la Commission dans les mois à venir. Il faut être très clair, on ne peut pas réussir la souveraineté technologique, la transition pour le climat et la biodiversité, pour nos industriels et pour accompagner les ménages, si on n'investit pas massivement au niveau européen. La priorité doit être là et donc on doit assumer une cohérence. On fait ce changement, on l'accompagne, il faut une vraie politique d'investissements massifs. À côté de ça, on doit avoir une politique cohérente et mettre le consommateur en situation de choisir. (…) Nous avons commencé à le faire avec le Score Carbone qui est prévu par la loi climat et résilience. Il faut avoir un instrument d'étiquetage carbone et dans l'idéal, il faudrait l’avoir au niveau européen. En franco-français, on aura dès l'année prochaine, on commencera sur les textiles. On va ensuite généraliser cela à l'alimentation. Mais ce Score Carbone, l'affichage environnemental, c'est une très bonne chose parce que pour le consommateur, le citoyen, c'est un levier de changement et c'est ce qui permet aussi de valoriser des industriels et des producteurs français et européens qui font l'effort et de permettre aux consommateurs de dire "Oui, le Score Carbone ou l'affichage environnemental est très mauvais parce que c'est un produit qui, certes est là, mais vient du bout du monde". On doit avoir cette politique européenne, il faut l'étiquetage carbone et environnemental au niveau européen. On doit mener cette bataille, elle est clé pour être cohérents. ».
Petite explication. L'IRA américain, c'est l'Inflation Reduction Act, une loi américaine promulguée le 16 août 2022 qui propose un certain nombre de mesure dont l'injection par le gouvernement des États-Unis d'environ 370 milliards de dollars dans l'industrie verte américaine. Emmanuel Macron veut absolument répondre à cette loi protectionniste qui est en train d'handicaper beaucoup les Européens en termes de concurrence. C'était le principal sujet de discussion avec Joe Biden lors de sa visite d'État aux États-Unis en décembre 2022.
Emmanuel Macron a retracé cette politique industrielle dans le cadre plus global de l'économie mondiale qui est fortement impactée par ce qu'il a appelé trois "accélérations" : l'accélération écologique (changement climatique et protection de la biodiversité), l'accélération technologique (une véritable révolution dans tous les domaines avec la physique quantique et l'intelligence artificielle, mais aussi sur le plan médical et sanitaire), enfin l'accélération géopolitique (montée des conflits, retour de la guerre en Europe, crise de l'énergie, etc.).
Si on reprend l'analogie napoléonienne, Emmanuel Macron veut mener cette bataille pour l'industrialisation la fleur au fusil : « Je suis convaincu que cette bataille, on peut la gagner. On peut la gagner parce que d’abord on a des atouts objectifs : nous sommes un pays qui a des très bonnes infrastructures, qui a une structure de services publics qui est extrêmement résistante, ce qui est une force, et on a une bonne école, un bon système d’éducation et de formation. On a des tas de choses à améliorer, j’y reviendrai, mais quand on regarde les voisins on a une structure solide, on a des très bonnes infrastructures de transport, d’aménagement. On continue à investir, on veut le faire, mais elles sont là. On a un très bon mix énergétique parce qu’on produit d’ores et déjà de l’énergie très décarbonée. Et ça, ce sont les choix qui ont été faits par nos prédécesseurs, mais la base installée nucléaire est une chance pour l’industrie et le climat et ça, c'est une réalité qu'il ne faut pas négliger. ».
La stratégie pour gagner cette bataille (contre qui ?) repose sur quatre piliers qu'il convient de renforcer sans cesse. Ceux-ci sont importants à rappeler car cela redonne du sens à toute la politique économique et sociale d'Emmanuel Macron depuis 2017, ce qu'avait été incapable d'exposer son prédécesseur direct : une cohérence politique.
Le premier pilier est la compétitivité : « Bien souvent, il y avait une forme d'incohérence dans le débat public français, il faut être honnête. C'est-à-dire qu’on défendait tous l'industrie, mais on était contre les réformes qui le permettaient. C'est-à-dire qu’on était pour l'industrie, mais pour taxer beaucoup plus le capital. Qu’on était pour l'industrie, mais pour complexifier le droit du travail. L'expérience a été faite, ça ne marche pas. Si vous avez un droit du travail plus compliqué que les voisins, si vous taxez plus le travail et le capital, vous créez moins d'emplois parce que les industriels vont s'installer ailleurs. Pardon de le dire en des termes aussi crus, mais c'est un peu la base du constat qu'on a fait. Et donc, on ne peut pas continuer de déplorer les conséquences dont on chérit les causes. Donc on s'est attaqué aux causes, c'est-à-dire une vraie politique de compétitivité. On a baissé le coût du travail et du capital et on a baissé de 52 milliards les impôts. 52 milliards, moitié sur les ménages, moitié sur les entreprises ; sur les ménages, en le concentrant sur les classes moyennes qui travaillent et sur celles et ceux qui investissent dans notre économie (…). Ça, c'est le premier pilier, c'est une politique de compétitivité. On améliore la qualité, on baisse les coûts, on investit sur les facteurs de production. ».
Il a rappelé d'ailleurs la grande réussite de sa politique de l'emploi : « J'en veux pour preuve, et c'est la meilleure expérience en terme politique, c'est quand on ne parle plus d'un sujet. Quand on vous parle beaucoup d'un sujet, c'est un problème. On vous disait merci de l'avoir réglé, mais ça veut dire qu'on n'en parle plus. Je constate avec bonheur qu'il n'y a pas de manifestations relatives au chômage. Plus personne ne parle de chômage. On n'a pas totalement réglé le sujet. Mais dans une période compliquée où plusieurs de nos voisins ont ré-augmenté leur chômage, nous l'avons baissé de manière continue et il continue de baisser, de plus de deux points. Et ça, c'est le fruit de ces réformes et de votre engagement à tous. ».
Le deuxième pilier est l'investissement : « On a assumé d'investir massivement dans plusieurs plans dès 2018 sur les batteries, sur l'électronique, sur les industries pharmaceutiques, sur l'intelligence artificielle, sur le quantique qui sont à chaque fois plusieurs milliards d'euros qui ont été mis avec les acteurs des différents secteurs pour justement développer des verticaux avec, à chaque fois, évidemment des centres clés (…). Ce sont plus de 800 projets de localisation ou de relocalisation qui ont été financés. Et puis, France 2030 a été construit pour justement poursuivre l'effort sur différents segments. La plupart de ceux que je viens de citer, mais je compléterai avec l'agroalimentaire, avec les industries culturelles et créatives et évidemment la pharma, le spatial et plusieurs autres que je n'ai pas cités. ».
Le troisième pilier est l'Europe, la politique industrielle européenne : « Je vais être très clair, c'est une petite révolution doctrinale qu'on a conduit ces dernières années. Jusqu'alors, l'Europe ne parlait qu’aux consommateurs. L'Europe avait une politique de concurrence et une politique commerciale et elle se pensait comme un marché ouvert. C'est ça la réalité. Et elle, elle faisait de facto le choix de renoncer à de la base industrielle si ça permettait de faire baisser les prix et d'ouvrir l'économie. (…). Mais ce n'est pas soutenable et surtout, cette approche, elle n'est pas soutenable avec une stratégie climat et biodiversité et une stratégie de souveraineté. Et donc, cette approche souveraineté européenne annoncée dès le discours de la Sorbonne, nous l’avons déclinée (…). C'est quand même 50 milliards d'euros de financements publics et privés qu’on a massifié sur des premières priorités. (…) On a réinjecté de la souveraineté et du climat dans une politique qui était essentiellement pour le consommateur et l'ouverture. ».
Enfin, le quatrième pilier est la stratégie territoriale d'implantation économique : « Le programme [Territoires d'industrie] a associé 149 territoires d'industrie, 550 intercommunalités. C'est une démarche qui a donné carte blanche aux élus et industriels pour construire leur plan d'action. Et on a ainsi bâti 2 000 actions qui ont été identifiées dans le cadre du programme, 2 milliards d'euros mobilisés, environ 50 000 emplois qui sont en cours de création. Et ceci, c'est branché sur tout ce qu'on a pu faire à travers France Relance et la mission France 2030, et évidemment nos “coqs bleus” de la French Fab comme nos start-up qui sont venues irriguer tous ces territoires. ».
Après avoir rappelé le tissu national de 25 000 start-up, Emmanuel Macron a évoqué la politique du plein emploi qui ne pourrait pas réussir sans adéquation de l'enseignement avec les besoins économiques (la réforme du lycée professionnel va dans ce sens-là). Parmi les nombreuses mesures que le Président a annoncées ce jour-là, il y a sans doute la principale : « On va mettre en place un crédit d’impôt industries vertes. Pour soutenir les technologies vertes, en soutenant fiscalement la décarbonation, on va mettre en place un crédit d’impôt industries vertes pour les technologies identifiées dans les textes européens, c'est-à-dire les batteries, c'est-à-dire les pompes à chaleur, c'est-à-dire les éoliennes, les panneaux solaires. L’analyse qui est faite par le Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle, c’est que ça permettra de déclencher 20 milliards d’investissement sur le territoire national d’ici [à] 2030. ».
Sur la forme, Emmanuel Macron a fait un discours d'annonces beaucoup trop long, trop dense, avec trop de choses. Certes, les acteurs directs de la réindustrialisation ont évidemment bien compris cette stratégie et sa cohérence, mais le Président serait bien inspiré s'il parvenait à y mener l'ensemble du peuple. Il ne faut pas en effet qu'une partie de la France, cette France périphérique, celle des gilets jaunes, qui est à mille lieues de ces problématiques d'innovation, de compétitivité, d'approche climatique, etc., qui veut juste pouvoir vivre de son travail, puisse décrocher. Ou plutôt, car cette France-là a déjà décroché depuis longtemps, il faut l'arrimer à nouveau aux autres cordées de la France. C'est à cause de ce décrochage que les extrêmes ont pris une si grande importance électorale dans certaines régions.
Sur le plan économique, Emmanuel Macron est en passe de réussir son pari qu'il s'était lancé en 2017 : le chômage est effectivement en train de décroître et la qualité des emplois créés semble durable. C'est ce qu'il sait le mieux faire. Mais s'il est indifférent ou s'il délaisse le volet politique, qu'on peut résumer à vouloir réconcilier les Français, sa réussite économique ne sera jamais reconnue. C'est donc bien à la fois une meilleure pédagogie mais surtout une meilleure écoute des attentes des Français qui redonneront le lien entre le peuple et lui. De tous les Présidents de la Cinquième République, y compris De Gaulle, c'est sans doute lui, Emmanuel Macron, qui a le plus d'atouts pour réussir dans cette entreprise périlleuse, d'autant plus d'atouts qu'il a encore quatre ans pour convaincre et entraîner. Aller souvent sur le terrain à la rencontre des Français paraît donc un bon préalable.
COLLOQUE À L'ÉLYSÉE SUR LA RÉINDUSTRALISATION LE 11 MAI 2023
DISCOURS DU PRÉSIDENT EMMANUEL MACRON LE 11 MAI 2023 SUR LA RÉINDUSTRIALISATION
11 mai 2023
Discours du Président de la République à l’occasion de la réception Accélérer notre reconquête industrielle
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Commissaire Européen, Cher Thierry,
Monsieur Le Haut-Commissaire au Plan, Cher François,
Monsieur le Secrétaire Général pour l'investissement,
Monsieur le Directeur Général de la Caisse des Dépôts et Consignations,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Madame le Maire en particulier, merci pour par simplement ce témpoignage, mais cette ode à l'industrie,
Mesdames et Messieurs les industriels et entrepreneurs, responsables syndicaux, patronaux,
Mesdames et Messieurs.
Beaucoup de choses ont été dites à travers ces témoignages de manière extrêmement claire sur les enjeux. Mais je voudrais commencer au fond par deux constats qui sont sans appel et je pense sur lesquels on doit s'appuyer pour essayer d'accélérer et de construire une action utile.
D'abord, la France s'est davantage désindustrialisée que les autres pays en Europe. Il y a eu une crise et une désindustrialisation qui a frappé beaucoup d'économies, mais nous avons subi une désindustrialisation plus importante. Parfois, on l'a laissé faire. Il y a eu un choix presque idéologique de dire finalement l'industrie, ce ne sont pas des bons emplois. Il vaut mieux être un pays de services et de tourisme. Parfois, ça a été aussi subi. Et vous le voyez, on a perdu 12 points de la part de la part de l'industrie dans le PIB français en un peu plus de 40 avec les pertes d'emplois industriels qui vont avec. Donc cette désindustrialisation est le fait que depuis la fin 2000 jusqu'à l'été 2017, nous avons perdu chaque trimestre des emplois industriels et qu'il y a eu au fond près d'un million d'emplois industriels en moins durant cette période. Ce que nous avons découvert à notre dépens, c'est que ça entraîne toute l'économie vers la décrue parce que quand l'industrie s'en va, les services qui y sont attachés s'en vont et les administrations qui restent pour tenir un territoire partent avec.
Donc l'industrie a un rôle structurant économiquement et territorialement. Ce sont plutôt des bons emplois, des emplois mieux payés que d'autres. Et donc ça tire, si je puis dire, le reste de l'économie vers des bons emplois. Donc quand on désindustrialise, on en souffre encore davantage. Les chiffres sont là pour montrer la grande difficulté. Donc dans la fin de cette période où la part s'est quasiment stabilisée, post crise financière, on perd environ 600 usines. Donc il y a une phase de désindustrialisation, si je puis dire progressive. Il y en a une quand d'autres pays font les réformes au début des années 2000, qu'on ne fait pas et post crise financière, on désindustrialise encore plus vite que les voisins. Donc il y a eu un aspect procyclique.
Oui, nous avons plus désindustrialisé que les autres, ce qui nous place dans une situation d'impasse. D'abord parce que cela veut dire qu'on crée des dépendances quand on désindustrialise, qu'on le veuille ou non. On l’a vécu parfois plus que d'autres dans la période Covid ou ailleurs. La deuxième chose, c'est qu'on ne peut pas avoir un modèle social fort en désindustrialisant. Et c'est l'impasse dans laquelle nous nous sommes mis parce qu'on peut le faire jusqu'à un certain niveau. C'est celui qui a été testé, c'est-à-dire on monte les impôts, on est malgré nos baisses, encore très hauts, on fait du déficit, on en a accumulé beaucoup. Mais il y a un moment donné, il faut produire plus de richesse et on a créé un énorme différentiel. Si je prends le PIB par habitant, on a un différentiel de 10 points par rapport à nos voisins allemands, 12 points par rapport à nos voisins néerlandais. L'explication de ça, c'est la désindustrialisation. Ce n'est pas soutenable par rapport à notre modèle social, par rapport à nos finances publiques et ce n'est pas soutenable en termes de commerce extérieur.
Quand on regarde notre commerce extérieur on exporte note agriculture, notre agroalimentaire, nos services. Après l’énergie, c'est l'industrie notre problème. Sans industrie on ne peut pas réussir notre transition écologique. On ne peut pas réussir la bataille pour le climat et la biodiversité par une stratégie de désindustrialisation. Pourquoi ? Parce qu'en fait, on importe des produits qu'on ne choisit pas et donc on importe de modèles qui sont peut-être moins disant que nous sur le plan climatique et qui sont plus attentatoires à la biodiversité. Ce n’est pas non plus une bonne solution. Ça, c’est la situation, premier constat.
On vit ces dernières années une accélération très forte : pas la nôtre, celle du monde. On a une accélération très forte d’un défi jumeau qu’on lie très profondément dans notre stratégie : le changement climatique et la protection de la biodiversité. Ce défi qui est le nôtre, qui a été documenté par l’IPES, le GIEC font que nous avons une transformation à faire de notre tissu industriel et productif si on veut le relever. Et si l'on veut le relever de manière cohérente nous devons avoir un mode de production dans notre industrie, notre agriculture, notre industrie agroalimentaire qui permette de réduire nos émissions et d'être plus respectueux de la biodiversité. Tout en étant cohérent dans notre stratégie d'importation pour ne pas créer des dépendances nouvelles qui vont encourager la déforestation à l'autre bout du monde ou la destruction de biodiversité, ou des pratiques qui sont l'exact contraire de ce qu'on demande chez nous. Ça, c'est la première accélération qui justifie d'avoir une stratégie cohérente d'industrialisation décarbonée, en tout cas respectueuse de l'objectif climatique et biodiversité.
Deuxième accélération, c'est l'accélération technologique qui transforme l'industrie au carré. C'est le quantique, l'intelligence artificielle entre autres et qu'on voit se déployer dans absolument tous les segments industriels et qui révolutionnent les méthodes de production, voire les produits industriels eux-mêmes. On a très clairement sur ce sujet une accélération technologique qui fait qu'on le voit bien, la clé est de savoir décider très vite, d'investir massivement pour être au sommet de la vague. Et si je puis dire, on l'a vécu sur d'autres segments comme le médicament. Plusieurs d'entre vous, dont je reconnais les visages sont plutôt dans l'industrie pharmaceutique ou les dispositifs médicaux. On l'a vécu en période Covid. On a eu une alerte générale dans le monde. Les pays qui avaient un bon système d'innovation et qui ont mis beaucoup de capital ont su faire en moins d'un an ce qu'on pensait impossible. On n’avait jamais, en moins d'un an, inventé un vaccin et on n'avait jamais stabilisé un vaccin à ARN messager. Ça a été fait parce qu'il y a eu de la concentration des moyens et de l'innovation technologique. Donc il y a eu une accélération de l'innovation technologique et en particulier d'éléments de rupture.
Puis la troisième accélération, elle est géopolitique. Il y a une accélération de la montée des conflits, évidemment, le retour de la guerre en Europe avec l'Ukraine et des conséquences qui touchent directement notre industrie et notre capacité à produire parce que pour l’Europe. Ce n’est pas simplement un choc géopolitique, mais c'est un choc énergétique assez asymétrique parce qu'on est beaucoup plus touchés que les autres. Et si je nous compare aux Américains, nous ne sommes pas producteurs de gaz et de pétrole et donc nous avons essentiellement subi un renchérissement de nos coûts sans être producteurs, en devant mener une diversification accélérée. Évidemment, il y a l'accélération de la tension géopolitique entre la Chine et les États-Unis, avec deux modèles de production, deux choix très polaires. Évidemment, je ne nous mets à équidistance. Les Américains sont nos alliés, nous partageons les mêmes valeurs. Mais dans cette bataille, nous n'avons pas envie de dépendre. Nous n'avons pas vocation à devenir les consommateurs de l'industrie américaine. Donc très clairement, dans ce jeu, on voit bien qu'on a une Chine qui investit massivement avec un modèle très stato-centré et un rapport aux libertés publiques qui n'est pas le nôtre. Et on a un choix américain qui a été fait et qui est en rupture avec les 20 dernières années, qui est plutôt America First, et qui est de dire on ne va pas tant se battre pour que les Chinois respectent les règles du commerce international — ce qui était ce qu'on faisait jusque-là. En fait, on va faire comme eux, on va sur-subventionner les parties de l'industrie qu'on veut garder parce qu'au fond, on veut défendre notre sécurité économique nationale et produire chez nous ce qui nous semble critique en matière numérique ou en matière de cleantech, et donc des industries qui sont stratégiques.
Cette accélération géopolitique, elle implique une accélération de nos décisions et très clairement pas simplement un réveil — parce que, comme l'a dit le commissaire BRETON, on n'avait pas attendu — mais des choix critiques pour nous. La réindustrialisation de la France et de l'Europe, c'est un enjeu clé de souveraineté. Si nous ne le faisons pas, nous dépendrons des autres. Il y a à un moment donné une immense tension géopolitique ou des crises comme on l’a vécu ou une nouvelle pandémie de Covid, nous pouvons être en rupture. Je vous laisse imaginer ce que ça voudra dire. Donc, c'est un élément de souveraineté. C'est clé pour le climat et la biodiversité pour les raisons que j'évoquais tout à l'heure. C'est clé pour nos territoires et la cohésion du pays. Réindustrialiser est le seul moyen de redonner des projets et des emplois partout dans le pays. C'est clé pour créer des bons emplois et donc donner des perspectives aux classes moyennes, parce que c'est ce qui permettra le progrès pour ces générations et leurs enfants. Et c’est clé évidemment pour plus de productivité et l’amélioration du commerce extérieur. Donc c’est une bataille économique, politique, territoriale et géopolitique. La bataille pour l’industrialisation, et sur laquelle nous devons intensifier les efforts pour toutes les raisons que j’évoquais.
Alors deuxième élément, nous avons beaucoup fait et moi je suis convaincu que cette bataille, on peut la gagner. On peut la gagner parce que d’abord on a des atouts objectifs : nous sommes un pays qui a des très bonnes infrastructures, qui a une structure de services publics qui est extrêmement résistante, ce qui est une force, et on a une bonne école, un bon système d’éducation et de formation. On a des tas de choses à améliorer, j’y reviendrai, mais quand on regarde les voisins on a une structure solide, on a des très bonnes infrastructures de transport, d’aménagement.
On continue à investir, on veut le faire, mais elles sont là. On a un très bon mix énergétique parce qu’on produit d’ores et déjà de l’énergie très décarbonée. Et ça, ce sont les choix qui ont été faits par nos prédécesseurs, mais la base installée nucléaire est une chance pour l’industrie et le climat et ça, c'est une réalité qu'il ne faut pas négliger. Et puis, nous avons engagé une politique résolue autour de quatre piliers. Je pense que cette pente qu’on a commencé à infléchir, on doit maintenant l'intensifier.
Le premier pilier, c'est une politique macroéconomique de compétitivité. Bien souvent, il y avait une forme d'incohérence dans le débat public français, il faut être honnête. C'est-à-dire qu’on défendait tous l'industrie, mais on était contre les réformes qui le permettaient. C'est-à-dire qu’on était pour l'industrie, mais pour taxer beaucoup plus le capital. Qu’on était pour l'industrie, mais pour complexifier le droit du travail. L'expérience a été faite, ça ne marche pas. Si vous avez un droit du travail plus compliqué que les voisins, si vous taxez plus le travail et le capital, vous créez moins d'emplois parce que les industriels vont s'installer ailleurs. Pardon de le dire en des termes aussi crus, mais c'est un peu la base du constat qu'on a fait.
Et donc, on ne peut pas continuer de déplorer les conséquences dont on chérit les causes. Donc on s'est attaqué aux causes, c'est-à-dire une vraie politique de compétitivité. On a baissé le coût du travail et du capital et on a baissé de 52 milliards les impôts. 52 milliards, moitié sur les ménages, moitié sur les entreprises ; sur les ménages, en le concentrant sur les classes moyennes qui travaillent et sur celles et ceux qui investissent dans notre économie avec la flat tax ; et sur les entreprises, à travers en particulier la baisse de l'impôt sur les sociétés qui nous a remis dans le champ européen.
La flat tax, la baisse de l’IS, la baisse de l'impôt sur le revenu, la baisse des cotisations travail qui va se poursuivre maintenant avec la baisse de la CVAE qui est l’un de nos impôts de production, nous ont permis de revenir dans le jeu européen en termes de taxation du capital et du travail. Les ordonnances travail prises il y a six ans ont permis de nettement simplifier les choses. J'en veux pour preuve, et c'est la meilleure expérience en terme politique, c'est quand on ne parle plus d'un sujet. Quand on vous parle beaucoup d'un sujet, c'est un problème. On vous disait merci de l'avoir réglé, mais ça veut dire qu'on n'en parle plus. Je constate avec bonheur qu'il n'y a pas de manifestations relatives au chômage. Plus personne ne parle de chômage. On n'a pas totalement réglé le sujet. Mais dans une période compliquée où plusieurs de nos voisins ont ré-augmenté leur chômage, nous l'avons baissé de manière continue et il continue de baisser, de plus de deux points. Et ça, c'est le fruit de ces réformes et de votre engagement à tous.
Ensuite, on a investi sur la formation et la qualité du travail. Les réformes sur l'école, mais aussi et surtout la réforme de l'apprentissage qui a été, je crois, l’un des grands acquis de la période récente et qui a un impact industriel très clair. On est passé d'environ 250 000 par an à maintenant environ 850 000 par an et on atteindra le million d'apprentis par an. L'investissement dans les compétences à travers le plan d'investissement en compétences. Le travail qui a été fait avec nos régions et nos collectivités territoriales en la matière. On a réinvesti dans la recherche, ce qui est clé et l'innovation avec une loi pluriannuelle 25 milliards d'euros d'investissement. Pour simplifier, en mettre plus sur certaines verticales de recherche et réaméliorer l'attractivité des métiers de chercheurs et d'enseignants chercheurs.
Et puis, nous avons investi sur l'énergie avec des mesures d'urgence pendant la crise qu'il faut totalement assumer parce que ce sont des mesures qui ont permis de résister. Pendant la crise Covid et pendant l'inflation énergétique, en sortie de Covid puis pendant la période de guerre. Et c’est clé parce que ce sont des mesures de résistance qui évitent de détruire du capital productif. Et puis en assumant de porter une stratégie énergétique qui est la seule compatible avec une réindustrialisation décarbonée. C'est la stratégie dite de Belfort : sobriété, efficacité énergétique, développement massif des énergies renouvelables, développement massif du nucléaire. Parce que grâce au travail qui a été fait par RTE, l’AIE, tous les experts, on a vu qu'il n'y avait pas une stratégie unique qui fonctionnait, mais qu'on avait besoin de ces trois leviers et ce qui nous permet aujourd'hui et demain d'avoir une production d'énergie sûre, l'une des plus décarbonées d'Europe et de jouer sur nos acquis en accélérant sur ce qu'on doit justement améliorer qui est le développement du renouvelable. Cette stratégie est, je crois, la bonne. Ça, c'est le premier pilier, c'est une politique de compétitivité. On améliore la qualité, on baisse les coûts, on investit sur les facteurs de production.
Le deuxième levier, c'est l'investissement, parce qu’en même temps qu'on fait ces réformes, on a assumé d'investir massivement dans plusieurs plans dès 2018 sur les batteries, sur l'électronique, sur les industries pharmaceutiques, sur l'intelligence artificielle, sur le quantique qui sont à chaque fois plusieurs milliards d'euros qui ont été mis avec les acteurs des différents secteurs pour justement développer des verticaux avec, à chaque fois, évidemment des centres clés, je n’y reviendrai pas ici, j'aurai l'occasion d'y revenir dans les semaines qui viennent pour certains d'entre eux. D'avoir une stratégie, si je puis dire, microéconomique, avec des axes très forts qu'on a ensuite cherché, j'y reviendrai, à européaniser.
Ensuite avec les Territoires d'Industrie et France Relance, on a irrigué cela en développant nos filières stratégiques et en réduisant nos dépendances. Ce sont plus de 800 projets de localisation ou de relocalisation qui ont été financés. Et puis, France 2030 a été construit pour justement poursuivre l'effort sur différents segments. La plupart de ceux que je viens de citer, mais je compléterai avec l'agroalimentaire, avec les industries culturelles et créatives et évidemment la pharma, le spatial et plusieurs autres que je n'ai pas cités, j'aurai l'occasion, là aussi, de revenir sur France 2030.
Le troisième pilier de cette approche, c'est l'Europe et une politique industrielle européenne. Et là, je vais être très clair, c'est une petite révolution doctrinale qu'on a conduit ces dernières années. Jusqu'alors, l'Europe ne parlait qu’aux consommateurs. L'Europe avait une politique de concurrence et une politique commerciale et elle se pensait comme un marché ouvert. C'est ça la réalité. Et elle, elle faisait de facto le choix de renoncer à de la base industrielle si ça permettait de faire baisser les prix et d'ouvrir l'économie. Alors certains pays qui avaient beaucoup joué sur leur propre compétitivité s'en sortaient bien ou qui avaient beaucoup intensifié leurs choix, s'en sortaient bien. Mais ce n'est pas soutenable et surtout, cette approche, elle n'est pas soutenable avec une stratégie climat et biodiversité et une stratégie de souveraineté.
Et donc, cette approche souveraineté européenne annoncée dès le discours de la Sorbonne, nous l’avons déclinée et le Commissaire européen a tout à fait raison de dire « très tôt et avant les crises ». On a commencé à avoir une stratégie d'industries de défense dès 2018 densifiée. On a créé ces fameux PIIEC, ces plans d'investissements européens. C'est quand même 50 milliards d'euros de financements publics et privés qu’on a massifié sur des premières priorités. Ensuite, il y a eu une accélération de cette phase durant la période Covid où là, sous l'impulsion de la Commission européenne, on a inventé une politique qui n'existait pas et je dirais quasi sans mandat mais de structuration de notre industrie de santé pour recréer de la chaîne de valeur, sécuriser des parts de notre chaîne de valeur, et développer là aussi de l'investissement.
Je l'ai souvent dit, sans l'Europe et cette politique, nous n'aurions pas pu vacciner comme on a vacciné en France. Il y a eu une accélération par ce qu'on appelle l'agenda de Versailles, qui est ce qu'en mars 2022, nous avons bâti ensemble qui, à la lumière des premières semaines de guerre, nous a conduit à dire qu’on voit bien qu'il nous faut accélérer sur notre autonomie stratégique et qu'il nous faut, en matière de technologie, en matière de semi-conducteurs, en matière d'énergie, en matière aussi évidemment, de santé, d'agroalimentaire et autres, accélérer notre souveraineté et notre autonomie. Ce réveil est salutaire et je pense qu'il a vraiment permis de bâtir, de soutenir l'innovation, la reconstruction de chaînes de valeur. En microélectronique sur des batteries, sur l'hydrogène, on a développé des projets très importants avec une vraie alliance franco-allemande, mais un vrai portage européen.
Et nous avons pu, se faisant bâtir en parallèle, l'une des politiques climatiques les plus ambitieuses au monde avec Neutralité carbone 2050, des objectifs 2030 déclinés, l'arrêt des véhicules thermiques 2035, un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et un fonds social climat pour accompagner. Tout ça, c'est une politique de remise en cohérence. On a réinjecté de la souveraineté et du climat dans une politique qui était essentiellement pour le consommateur et l'ouverture. À cela s'ajoute une phase d'accélération ces derniers mois qui a été en effet la réaction à l’IRA américain où là, nous avons, un, négocié d'avoir des mécanismes d'exemption comme les Canadiens et les Mexicains, ou ensuite nous avons bâti des règles similaires et le commissaire a eu raison d'insister sur deux choses.
On a défini les secteurs sur lesquels on va mettre plus d'investissements et d’accélération, ceux qui sont les technologies qui permettront d’aller vers la neutralité carbone et on a adapté nos règles d’aide d’État en créant de la souplesse et en se disant, au fond, c’est une urgence donc on doit adapter le cadre pour faire face à tous ces défis et permettre de décarboner, d’investir, de porter cette transition et d’avoir une politique industrielle pleinement adaptée. C’est ce que nous avons défendu dès le mois de décembre lors de la visite d’État aux États-Unis. C’est d’avoir cette accélération en quelque sorte pour nous mettre en situation de faire la même chose.
Le quatrième pilier de notre stratégie, jusqu’ici, c’est une stratégie territoriale, Mme la maire l’a rappelée. Le programme Territoires d’industrie, c’est une alliance avec tous les territoires qui avaient cette histoire, ce désir, cette volonté de faire. Le programme a associé 149 territoires d'industrie, 550 intercommunalités. C'est une démarche qui a donné carte blanche aux élus et industriels pour construire leur plan d'action. Et on a ainsi bâti 2 000 actions qui ont été identifiées dans le cadre du programme, 2 milliards d'euros mobilisés, environ 50 000 emplois qui sont en cours de création. Et ceci, c'est branché sur tout ce qu'on a pu faire à travers France Relance et la mission France 2030, et évidemment nos “coqs bleus” de la French Fab comme nos startups qui sont venues irriguer tous ces territoires.
La territorialisation de cette politique, elle est absolument clé. Et c'est ce qui fait d'ailleurs que l'essentiel de ces emplois sont hors Paris. Ils sont parfois souvent dans des villes de province qui sont des sous-préfectures ou des villes qui avaient été touchées de plein fouet par la désindustrialisation, et sur quelques grands sites industriels qui concentrent les défis énergétiques. On a ainsi aussi sur Fos, Le Havre, Dunkerque, des vrais pôles d'attraction pluri-entreprises. Le bilan de tout ça, ce sont des résultats très clairs sur lesquels je veux insister sur le plan macro et microéconomique.
Et au fond, j'évoquais quelques territoires, mais quand on regarde Chalampé dans le Haut-Rhin, Fos, Le Havre ou même Denain, on a des vraies transformations industrielles qui sont en train d'arriver. Dunkerque, où je me rendrai demain, c'est simple : nous avions perdu 6 000 emplois industriels en 20 ans. Grâce à ce qui est déjà signé, il y aura 16 000 créations d'emplois d'ici à 2030. Sur certains sites, ce n'est pas simplement qu'on répare, on est même en train de dépasser.
Néanmoins, au niveau macroéconomique, nous avons des résultats : un chômage qui recule, je le disais, d'un peu plus de 2 points ; une croissance qui reste solide, 1,7 million d’emplois qui ont été créés, et surtout, on recrée de manière nette des usines : 200 créations nettes d’usines en 2021-2022 et 300 depuis 2017, ce qui veut dire qu'on a réparé la moitié des destructions d'usines faites depuis la crise financière, et environ 90 000 emplois industriels créés depuis 2017. Cela signifie que si l’on poursuit ces efforts, au fond, on aura réparé les conséquences de la crise financière et du décrochage post-crise financière à horizon 2027.
Ma conviction, c'est que compte tenu de l'accélération que j'évoquais, on peut et on doit aller beaucoup plus loin sur de nombreux territoires à horizon 2030. On a aussi de vrais résultats en matière d'attractivité. Le fruit de cette politique, c'est ce qu'on voit à travers Choose France et ce qu'on verra avec les ministres lundi lors du sommet. Pour la quatrième année consécutive, nous sommes le pays le plus attractif d'Europe en termes d'investissements et je pense qu'on dépassera lundi les records d'investissements. 75 % de ces investissements, et leurs conséquences en termes d'emplois sont dans des villes moyennes de province et dans tous les territoires. C’est donc des vies qu'on change un peu partout sur notre sol.
Ensuite, sur le plan sectoriel, là aussi, nous avons de vrais résultats. Sur les semi-conducteurs, on avait une base installée grâce à notre tradition et en particulier à la force du site grenoblois. On a su utiliser, en volant un peu le départ, le Chips Act européen. Nous allons doubler la production de semi-conducteurs en France, en particulier à Grenoble. Pour les médicaments, je remercie tous les acteurs du secteur, on va accélérer l'accès au marché des traitements innovants avec l'accès précoce et l'accès direct et donc notre plan innovation santé, sur à la fois les médicaments, l'innovation, les dispositifs médicaux. On a simplifié les procédures, accéléré, investi, on va donc réussir les traitements innovants et leurs accès. On va avoir aussi la relocalisation d'autres médicaments stratégiques que nous annoncerons, dès le mois de juin et je serai sur le terrain pour le faire avec les ministres compétents. Cela est clé pour faire face aux tensions qu'on a pu connaître encore ces dernières semaines sur certains médicaments qui sont le fruit de nos dépendances et de goulots d'étranglement sur certaines parties de la fabrication. Sur les métaux critiques, là aussi, avec un fonds métaux qui va se déployer dans les prochaines années, une mine du recyclage de lithium dans l'Allier et donc des vrais résultats sectoriels très concrets, avec des projets de décarbonation des transports et des industries. Pour prendre la tête de la course aux véhicules électriques, on a trois projets de très grandes usines, les gigafactories, dans le Nord : l'usine ACC qui ouvrira en mai avec une autonomie de production à horizon 2027 et une capacité à exporter à horizon 2030 en termes de batteries électriques.
Maintenant le combat va être de revenir sur l'amont pour sécuriser les éléments de la production, en amont de la batterie, sur notre sol en matière d'hydrogène, là aussi, avec des gigafactories d'électrolyseurs, de la production d'équipements pour la mobilité et deux premiers projets de production d'hydrogène décarboné. Nous avons par exemple les projets de Plastic Omnium, qui est le plus grand d'Europe en termes d'industrie automobile basée sur l'hydrogène, jusqu'à des projets comme GENVIA à Béziers, qui sont clés en termes d'innovation entre le CEA et Schlumberger, qui vont nous permettre de sécuriser l'amont et la production d'électrolyseurs. On est en train de sécuriser toute la chaîne et de tirer les leçons du passé, c’est-à-dire que nous ne développons pas simplement des solutions décarbonées, mais nous nous mettons en situation de produire les solutions industrielles, et de réduire nos dépendances sur toute la chaîne. C'est la même chose qu'on est en train de faire et qu'on veut accélérer avec la filière bois qui est absolument clé pour la décarbonation, à la fois en sécurisant l'aval et l'utilisation avec les changements réglementaires, la RE2020 et les nouvelles normes qui vont valoriser le bois dans la construction. C’est là aussi absolument clé pour notre décarbonation et avec toute une stratégie allant vers l'amont pour améliorer, baisser le coût de la production en continuant d'améliorer la qualité et permettre de mieux utiliser la forêt française. Cela suppose une structuration de l'amont, on le sait, des investissements qu'on est en train de faire et un accompagnement de tous les acteurs. Sans l'accompagnement constant de tous, et je veux vraiment tous vous remercier parce qu'à chaque fois, ce sont des logiques de territoires et de filières, c'est ça la matrice, ce sont les acteurs industriels, ce sont leurs salariés, ce sont les organisations syndicales, ce sont les organisations de branche et de filière, les élus de terrain et les services de l'État. Je veux vraiment remercier les ministres ici présents, leurs administrations et leurs équipes, pas simplement pour l'événement d'aujourd'hui, mais pour tout le travail qui est fait derrière et qui permet d'avoir ces résultats.
Au plan de l'innovation, nous avons aussi des résultats très convaincants. La France est devenue un pays entrepreneurial avec 25 000 startups et créations d'entreprises au plus haut. On est donc toujours dans les 2 ou 3 de tête en termes de nombre de création de start-ups, mais maintenant aussi en termes de nombre de tickets et de levées, de taille de ces tickets et de ces levées, on a consolidé notre tissu entrepreneurial, qui était déjà une force réelle depuis quasiment 10 ans. Les faiblesses qu'on avait en termes de consolidation et de croissance en Europe de nos start-ups, on y a répondu en approfondissant, en améliorant l'intégration du marché européen et en construisant des solutions de financement plus innovantes, avec en particulier le fonds Tibi et avec là plusieurs fonds sectoriels qui ont permis d'avoir des levées beaucoup plus importantes, en matière de santé, par exemple, mais également d'intelligence artificielle, de quantique, d'énergie et d'hydrogène. On a des start-ups qui montent et des start-ups industrielles qui irriguent le territoire avec nos fameuses Deep tech. Ces start-ups qui deviennent de plus en plus industrielles et contribuent aux objectifs que nous avons fixés, c'est Verkor qui va nous aider sur la production de véhicules électriques, Rosi Solar sur le recyclage, Pasqal sur le quantique et là aussi avec des résultats tout à fait clairs aux côtés de nos collectivités. C'est cette dynamique que j'évoquais qui rassemble l'ensemble de celles et ceux que je mentionnais, plus nos opérateurs, BPI France, Business France, l'ADEME, mais également la CRE et la Caisse des Dépôts et plusieurs autres, ici présents.
Alors, maintenant, qu’on a fait tout ça, on a irrigué le territoire, on a ces premiers résultats, on a montré qu'il n'y avait pas de fatalité, on a une vraie cohérence d'approche, il nous faut aller plus loin. C'est sur ce point que je voulais terminer mon propos en m’appuyant sur le travail qui a été mené — je les en remercie, par Bruno LE MAIRE et Roland LESCURE — les consultations très larges avec plusieurs parlementaires ici présents, qui ont travaillé à leurs côtés et élus et entreprises, entrepreneurs, salariés et syndicats pour bâtir le projet de loi industrie verte. Je veux ici le redire, l'industrie française de 2030, elle devra être décarbonée, respectueuse de la biodiversité, numérisée et transformée. C'est ce défi, au fond que nous voulons relever, que nous allons relever. C'est développer une filière bois dans ce sens ; une filière ciment qui doit se décarboner et plus globalement toute la filière construction hors site qui va se déployer ; une filière chimie, ça a été très bien dit, qui doit se transformer mais dont on ne peut pas se passer ; une filière électronique qui doit elle aussi se renforcer ; une filière hydrogène, batteries, capture de carbone qui doit émerger, et en même temps tout ce qu’on a su faire sur la filière santé. Pour ce faire et pour accélérer, on va concentrer notre effort d’abord en accélérant ce qui a marché et en tenant la ligne de la compétitivité. Je le dis ici avec beaucoup de clarté, j’entends les gens qui disent “il faudrait un tournant, un ceci, un cela”, ce qui marche le mieux, c’est de ne pas le casser. Je vous le dis en toute sincérité, j’aurai une politique de constance sur le plan macroéconomique.
Qu’a besoin de faire notre pays ? De continuer d’être compétitif sur le capital, le travail, l’innovation, de continuer d’être fiable et clair sur sa stratégie et d’augmenter la quantité de travail. C’est dans cette stratégie que s’inscrit la réforme des retraites, je le dis en l’assumant de manière très claire et très tranquille. Si la France s’est désindustrialisée et a une faiblesse par rapport aux voisins, et les 10 points de PIB d’écart avec l’Allemagne, c’est que nous travaillons moins que nos voisins dans le cycle de vie, c’est qu’il y a moins de jeunes qui sont dans l’emploi, c'est qu'on travaille moins dans les âges clés, et c'est qu'on travaille moins longtemps. Et ce n'est pas vrai qu'on réindustrialisera si on ne fait pas ça et ce n'est pas vrai qu'on aura le modèle social le plus ambitieux d'Europe si on dit “c'est formidable et ça va vivre de toute éternité.” Non. Donc on doit aussi réussir la bataille pour aller vers le plein emploi et plus d'emplois. Mais on doit aussi avoir une industrie compétitive. Nous allons donc tenir la ligne des baisses d'impôts, confirmer la baisse de la CVAE, offrir de la visibilité aux industriels pour qu'ils bénéficient d'une électricité décarbonée à des prix compétitifs. Cela s'appuie sur des politiques ciblées d'aide, quand il y a des envolées à très court terme, ce qu’on a assumé, une politique de réforme du marché européen qui est indispensable parce qu'elle va permettre d'éviter la volatilité parce que, compte tenu de notre structure de production et de nos coûts de production, il n'y a aucune raison qu'on ait de la volatilité, nous, en France, et donc la réforme du marché de l'électricité européen nous permettra de réduire la volatilité des prix et de les rapprocher des coûts de production et de notre mix électrique. Il faut simplement faire le pont jusqu'au début d'année prochaine quand elle entrera en vigueur. C'est le déploiement de notre stratégie propre qui est de continuer d'avoir de la production souveraine, décarbonée, nucléaire et renouvelable, avec deux textes majeurs qui ont été passés ces derniers mois avec des majorités ad hoc, et j’en félicite la ministre, mais qui ont permis d'accélérer les projets sur le renouvelable et de déployer une stratégie sur le nucléaire.
Le deuxième levier d'accélération de notre stratégie, c'est de continuer à amener les Français vers l'emploi et vers l'industrie. Nous allons en effet poursuivre nos efforts pour amener chacun vers l'emploi et au fond, répondre aux besoins et en même temps à la chance pour le pays.
C'est qu'on va avoir des offres d'emploi, vous l'avez parfaitement décrit, dans énormément de métiers et donc il faut à la fois casser les représentations qu'on se fait parfois, réussir à mieux orienter nos jeunes, à adapter nos formations et à investir au bon endroit. C'est ça la meilleure des batailles, et c'est celle que nous allons conduire. L'Industrie a besoin de compétences et si on veut gagner cette bataille d'accélération, c'est une formidable nouvelle, je vous donne les chiffres, 60 000 emplois sont non pourvus aujourd'hui dans l'industrie.
Et encore, ce n’est que la face émergée, on a 100.000 emplois, pour ne prendre qu'un exemple, dans le nucléaire pour les prochaines années. Donc on aura des centaines de milliers d'emplois qui vont apparaître dans la réindustrialisation du pays. Et donc nous devons tout faire pour former plus d'ingénieurs chaque année, de techniciens, d'opérateurs, de collaborateurs dans tous les domaines et à tous les niveaux de qualification. Pour cela, que va-t-on faire ?
Un, on doit améliorer l'orientation. Si on veut changer les représentations, il faut informer les jeunes et leurs familles dès la cinquième. C'est la journée à venir de l’apprentissage. J'ai besoin de vous. On a vécu dans un dogme jusqu'ici qui était en quelque sorte de fermer l'école au reste du monde. Je tiens, je crois, très profondément au modèle du collège unique et à la nécessité de former tous nos jeunes à l'apprentissage des connaissances, l'esprit critique jusqu'à la troisième au moins. Mais il faut leur donner la possibilité de s'orienter dans ce monde et de connaître des métiers. Le stage de troisième ne suffit pas. Et donc le travail d'orientation doit être fait par les acteurs du monde économique. Et donc faire rentrer pour expliquer, donner le goût, montrer où sont les opportunités, c'est ce dont on a besoin dans chaque territoire, avec les collectivités locales, les acteurs de l'industrie, de l'orientation.
Nous allons nous aussi mieux faire le lien entre le lycée et le collège pour améliorer celui-ci. Ensuite, c'est la réforme fondamentale du lycée professionnel. Elle est fondamentale parce que c'est un tiers de nos lycéens, 600.000 lycéens chaque année. Et c’est une des plus grandes injustices du pays. C’est 600 000 lycéens chaque année parce qu’on n’a pas suffisamment adapté la carte des formations. Il y en a un tiers d’entre eux qui vont décrocher et pour ceux qui iront jusqu’au bac ou qui auront un diplôme du supérieur, seuls 40 % auront un emploi. Si on avait ces chiffres sur le reste de notre système éducatif, il y a bien longtemps qu'on s'y serait attaqué. Simplement, c'est là que se concentrent les enfants des familles les plus modestes. Et donc on a pensé que parce qu'on avait 80 % de bacheliers, on pouvait ne pas réformer. On doit s'y attaquer.
Et la réindustrialisation est une opportunité formidable pour nos lycées pros. Et donc, qu'est-ce qu'on va faire ? On va d'abord changer la carte des formations, au plus près des territoires avec les régions, les villes, l'ensemble des acteurs du terrain pour se dire quels sont nos besoins aujourd'hui, quels sont nos besoins prospectifs et que donne chaque filière professionnelle ? Et quand une filière ne donne ni accès à un emploi, ni accès à un diplôme, il faut accepter de la fermer. Et donc il faut fermer les filières sans débouchés et il faut ouvrir les filières où il y a des besoins. On va mener ce travail ardemment dans les prochains mois pour changer la carte d'ici à la fin de l'année et réinvestir évidemment massivement dans les formations où il y a de la demande.
Le deuxième point : on va investir sur le zéro décrochage, ce qui veut dire avoir des classes de plus petit nombre, et investir sur les compétences pour qu'il n’y ait plus de décrochage en lycée pro et aller vers 100 % d’insertion, ce qui va permettre d'adapter la maquette pédagogique, le lien avec les entreprises, adapter la durée des stages et améliorer ce lien. Ceci, on le fait en s'appuyant sur le succès de l'apprentissage qu'on va évidemment consolider. Je le disais, on a triplé le nombre d'apprentis, on va aller au million. Mais à côté de ça, on va mener cette réforme du lycée pro. Et puis, on va continuer de rapprocher l'école et l'université des acteurs économiques.
Et à cet égard, nous allons poursuivre la réforme des filières courtes dans l'enseignement supérieur, du rapprochement entre nos universités et le monde de l'entreprise, ce qui est un élément décisif. À côté de ça, on va accélérer massivement sur la formation aux métiers d'avenir de l'industrie en s’en donnant les moyens. Avec les moyens de France 2030, plus de 15 000 nouvelles places de formation aux métiers de l'industrie seront ouvertes dès la rentrée 2023. Ça, c'est un travail avec les CFA, les écoles d'ingénieurs, les universités. Et c'est là aussi la déclinaison pour le supérieur de ce que je viens de dire pour le lycée professionnel. Mais ce sont des formations adaptées aux besoins, au plus près du terrain et qui permettent aussi de conjurer une autre forme d’inégalité. C’est que pour beaucoup de familles, envoyer les enfants se former à la Métropole, c’est un coût, en termes de logement, parfois de transport. Et donc, développer de la formation parfois plus courte, adaptée, supérieure, au plus près de l’endroit où on habite, parfois dans des villes, dans des sous-préfectures ou des petites préfectures, c’est beaucoup moins coûteux et c'est ce qui permet là aussi d'accéder à ces formations. On va accélérer cet effort, en particulier sur les métiers aujourd'hui en tension dans l'industrie, sur ceux de demain qui seront la clé. 700 millions d'euros seront aussi engagés dès les prochains jours et dans l'année à venir pour faire évoluer la carte des formations à tous les niveaux de diplôme et au fond, systématiser ce que je viens de dire dans le lycée professionnel jusqu'au master et au doctorat, mais aussi aux métiers de technicien et d'ingénieur, en passant par la requalification des salariés aux nouvelles technologies.
On a besoin, comme je le disais pour les jeunes qui sont en lycée professionnel, pour les jeunes qui entrent dans les premiers cycles universitaires, nos salariés qui se requalifient, les chômeurs de longue durée qui ont besoin de se requalifier, d'avoir à l'échelle de chaque territoire une carte des besoins et à côté de ça, des formations adaptées. Et c'est cet investissement qu'on va accélérer. C'est exactement ce qu'on a commencé à faire avec, par exemple, l'académie de la batterie dans le Nord, le projet de filière hydrogène en Occitanie, les écoles de production ou les campus des métiers qu'on a développé ces dernières années. Je pense qu'il y a aussi évidemment le rôle de nos écoles d'ingénieurs et de nos différents cycles universitaires. Pour ça, nous aurons besoin de vous, pour bâtir des parcours de formation adaptés et surtout pour les rendre attractifs.
Le troisième levier, c'est d’accélérer la dynamique de France 2030. Donc la compétitivité, la formation, les compétences et la dynamique de France 2030. On va continuer d'accélérer le déploiement avec l'ensemble des acteurs industriels. Sur France 2030, 13 milliards d'euros ont déjà été engagés pour 2 800 projets qui ont été soutenus et nous aurons engagé plus de 20 milliards d'euros avant la fin de l'année, avec des projets portés par des start-up industrielles comme des ETI ou des grands groupes, dans le domaine du spatial, du nucléaire, du médicament, de l'agroalimentaire, de la culture, avec aussi des premières usines. On a déjà une trentaine de projets annoncés et 13 nouveaux projets seront révélés aujourd'hui de deep tech et donc de startups industrielles.
Vous avez au sein de cette carte la représentation de l’ensemble des projets industriels, avec 13 nouveaux projets qui sont aujourd’hui révélés qui vont ainsi irriguer le territoire. Et là aussi, c’est dans la France entière. Et donc France 2030, c’est aussi, au-delà de cette politique d’accélération sur tous les territoires, un levier majeur de décarbonation sur les 50 sites les plus émetteurs. Je vous le rappelle, on l’a lancé il y a quelques mois. L’industrie, c’est 20% des émissions de CO2, et la moitié de cela, c’est sur 50 sites. On a donc concentré l’effort pour dire à ces sites “On fait un pacte, on vous aide et vous baissez les émissions.” Et on va accélérer cette démarche dans le cadre de la planification écologique, filière par filière et site par site.
Le quatrième levier d’accélération, c’est de réenclencher la dynamique des territoires et de démultiplier ce qui a marché et que j’évoquais. Et donc là aussi, le programme Territoires d’industrie va être relancé en faisant évoluer la carte des 149 territoires qui ont marché. Nous allons investir 100 millions d’euros dès cette année en appuyant des projets de réindustrialisation à fort impact territorial et en allant chercher, si je puis dire, des territoires qui sont encore plus en difficulté ou plus loin de l’emploi. Au fond, on a les modèles qui marchent très bien, sur lesquels on est déjà en train de réussir, type Dunkerque, parce qu'on avait du potentiel industriel existant mais la désindustrialisation avait mordu. On a déjà réparé les 10 dernières années et on va largement dépasser parce que c'est au cœur de la décarbonation et des filières d'avenir.
Dans la même région, on a des territoires très en déprime (Béthune, Denain) et là on va mettre le paquet avec Territoires d'industrie, deuxième génération, pour aller les chercher plus avant et rouvrir — on a commencé ces derniers mois à accélérer —des sites industriels et accélérer cette stratégie de réindustrialisation dans ces territoires. On va réenclencher une phase avec des élus, qui pour beaucoup sont là, pour avoir de la simplification, des projets qui sont portés au fond à l'échelle, de chaque sous-préfecture pour aller chercher les projets dont on a besoin et qui vont permettre de redonner des perspectives.
Et puis pour réussir cette accélération, on a besoin aussi d'ouvrir un nouveau chapitre et, au fond, de rentrer dans une logique nouvelle compte tenu de cette accélération du monde. Et c'est au fond le dernier point de cette accélération. C'est le sens même du nouveau cadre européen que j'évoquais. Qu'est-ce qu'on a fait au niveau européen ces derniers mois ? On a dit : on met en place, on adapte toutes les règles, on définit des objectifs de politique industrielle et on adapte nos règles d’aides d’État. On lève en quelque sorte nos contraintes pour répondre à un besoin de vitesse. C’est la même chose qu’on doit faire au niveau français et on doit le décliner. Et donc, si on veut ouvrir un nouveau chapitre et une nouvelle méthode, on doit s’appuyer sur ce qu’on a réussi ces dernières années mais en quelque sorte en le stressant, en le poussant à ses limites compte tenu de l'accélération des défis auxquels nous sommes confrontés.
Pour ce faire, on doit d'abord accélérer les implantations industrielles. Vous l'avez très bien dit. C'est une question de rythme. Et moi, ce qui me frappe, c'est que la force du plan américain, ce n'est pas seulement ses montants, c'est que c'est très clair et cela va très vite. Au fond, on peut proposer beaucoup de milliards à des industriels. Si on met trois ou quatre ans à les déployer, on est déjà en retard. La Chine va beaucoup plus vite. Les Américains sont en train d'aller beaucoup plus vite. Donc il est clair que nous, nous devons changer nos approches. Alors un très gros travail a été fait ces dernières années, en particulier la loi dite ASAP. Beaucoup de leviers de simplification. Le député KASBARIAN est là, qui en particulier porte ces sujets avec beaucoup de courage. Mais si on regarde les choses, les délais réels sur les projets industriels, aujourd'hui, c'est 17-18 mois. On les a déjà beaucoup réduits pour certains. Avant, c'était plutôt deux ou trois ans. Aujourd'hui, en réalité, c'est 17 ou 18 mois. Ce qu'on doit faire, c'est les amener en neuf mois garantis. Et donc, dans le projet de loi industrie verte, nous allons mettre en place un dispositif, qui va permettre de garantir à 9 mois, entre le moment où on dit on a l'ensemble des autorisations et le début des travaux peut se faire au maximum 9 mois après. C'est un élément clé de compétitivité et de réduction des délais et donc du coût pour un investisseur. Ça c'est possible.
Madame le maire l'a très bien dit en mettant en parallèle toutes les procédures. J'essaie de le dire de manière un peu concrète, mais vous l'avez sans doute tous vécu. On a des procédures qui sont complexes, mais qui sont le fruit aussi de demandes sociales, d'objectifs qu'on s'est donné. On ne va pas dire on va réindustrialiser en n'ayant plus aucune contrainte environnementale, de biodiversité ou autre, sinon je ne tiendrais pas la promesse que j'évoquais. Ce qui n'est pas cohérent, c'est que nos procédures se font bout à bout ; on a la procédure environnementale puis on a des procédures d'urbanisme, puis on a la procédure. C'est ça qui ne va pas. Là, en quelque sorte, on dit que toutes ces contraintes, c'est l'administration qui doit les prendre.
Vous avez un projet. On met une équipe projet, on prend la contrainte pour nous et tout le monde va faire son travail en parallèle et on vous garantit que dans 9 mois, les sujets environnementaux, administratifs, d’urbanismes, de phyto etc., sont traités. On vous le garantit et on sait le faire parce qu'en fait, on ne prend pas plus que ça aujourd'hui.
Deuxième chose, c'est que ça évite le recours abusif. Il y a du recours légitime, mais on sait très bien aujourd'hui que dans beaucoup de nos projets, on a du recours abusif qui s'installe sur coup à l'inefficacité de nos procédures. Et ça, ça crée du découragement. Quand des territoires n'ont plus la possibilité de faire un projet. Ce n'est pas vrai qu'au bout de 3 ans, les gens découvrent quelque chose de nouveau quand les études sont bien faites. Donc on va tous gagner en professionnalisation. On fait tout ça en parallèle et on garantit en 9 mois, élément clé. Ça veut dire, en fond, vous l'avez compris, diviser par deux les délais d'obtention des permis. Et tout ça, ça doit se faire, vous l'avez très bien dit, en consultant mieux les publics et donc en optimisant nos procédures, l'association des scientifiques, des experts, des publics dans la matière.
Et puis, pour des projets majeurs d'intérêt national, nous allons prévoir une procédure exceptionnelle pour éviter qu'ils ne partent vers des économies concurrentes. Et là, sur certains projets d'intérêt national, on doit se donner les moyens d'aller encore plus vite. Tout ça nous permettra, je le disais, d'aller vers de la réduction des délais de contentieux. Premier point sur la vitesse.
Si on veut aller encore plus loin et j'entends ce qui se dit parfois, je me déplace sur les territoires, on a au fond un autre défi. On veut lutter contre l'artificialisation de nos sols pour la biodiversité, c'est tout à fait légitime. Et donc les gens nous disent « vous avez mis plein de contraintes, avec la zéro artificialisation nette et vous voulez nous faire des projets industriels ? Ça ne va jamais marcher ». Si. Si on s'organise, qu'on planifie et qu'on prend la contrainte. On a environ besoin de 20 à 30 000 hectares nouveaux si on veut vraiment réindustrialiser massivement. Il se trouve que nous avons dans notre pays entre 90 000 et 150 000 hectares de friches industrielles. Il faut savoir les utiliser comme il faut.
Aujourd'hui, la grande difficulté, c'est qu'on laisse des communes qui n'ont parfois pas les moyens de faire cette conversion. On n'a pas de bon système d'indemnisation, c'est extrêmement cher de reconvertir ces sites, c'est trop long, trop lent. Et là, de la même manière, à l'heure de la sobriété foncière, on va s'attaquer à ces sites et à ces friches en planifiant nos implantations. Je crois qu'on peut faire du « en même temps » très concret sur ce sujet, pour citer les grands auteurs, qui est de la réindustrialisation et de la non-artificialisation et de l'hyper accélération.
En faisant quoi ? En dépolluant les friches et en mettant à disposition des sites pré-aménagés et prêts à l'emploi. En fait, il ne faut pas attendre d'avoir un projet pour réaménager ces friches. On doit dès maintenant s'y attaquer et c'est ce qu'on va faire. Et donc, on va bâtir une stratégie pour construire ce qu'on va appeler des sites France 2030. Avec les collectivités, on va identifier ces sites et donc c’est un travail avec les régions, les métropoles, les communes, etc, les intercommunalités. On va identifier ces friches où les acteurs locaux sont prêts à dire : on y va ; où il y a un consensus. On investit tout de suite. On n'attend pas que le projet soit sur la table, on les reviabilise, on met en place tout ce qu'on peut mettre en place avant d'avoir un projet. Et comme ça, on sait, le jour où il y a un projet, on a déjà fait les trois quarts du boulot, on les a reviabilisés. 1 milliard d'euros seront investis par la Banque des territoires pour ces projets industriels dans la transition et notamment sur ces sites en choisissant un terrain attractif pour les industriels et en préparant au maximum de l'aménagement. Et là, il faudra être très concret.
Il y a des terrains, on sait très bien, qui ne sont pas adaptés à certaines industries. Il y en a qui ont besoin de proximité, de connexions. Il y en a d'autres, pas forcément. Donc il faudra qu'on soit très pragmatique, réaliste, mais on va faire d'ores et déjà ce travail d'anticipation, de pré-aménagement, de pré-équipement. Et donc on mobilise 1 milliard d'euros avec la Banque des territoires, on mobilise les associations avec tous les élus qui y sont prêts et on accélère pour justement dégager du foncier industriel disponible en exploitant mieux les friches.
Pour mettre tout ça en musique, je souhaite que nous travaillions collectivement à une stratégie nationale dédiée à la question du foncier industriel, avec les collectivités évidemment, qui seront associées à ces travaux. Mais c'est également un énorme enjeu pour tous les acteurs de la filière du recyclage et de l'économie circulaire. Parce que derrière, il y a énormément de travail pour cette filière qu'on veut développer, qui est créatrice d'emplois. Quand on reviabilise un site, c'est énormément de potentiel d'activité pour des acteurs de l'économie circulaire et du recyclage. Donc ça, c'est une vraie stratégie d'accélération. Vous l'avez compris, dans le changement de paradigme et de nouveau chapitre, on accélère les implantations industrielles à travers ces nouveaux leviers.
Ensuite, on va aller plus loin en matière de financement. C'est au cœur du projet de loi que le ministre a préparé et qui sera présenté au prochain Conseil des ministres. Avec, au fond, on est les premiers en Europe à décliner ce que les textes européens nous permettent de faire. Je vous le disais, les Américains, leur IRA est bon parce qu’ils vont vite sur les procédures - c’est ce qu’on va faire avec ce que je viens de vous dire - et ils mettent en place des choses simples, du crédit d’impôt. On va mettre en place un crédit d’impôt industries vertes.
Pour soutenir les technologies vertes, en soutenant fiscalement la décarbonation, on va mettre en place un crédit d’impôt industries vertes pour les technologies identifiées dans les textes européens, c'est-à-dire les batteries, c'est-à-dire les pompes à chaleur, c'est-à-dire les éoliennes, les panneaux solaires. L’analyse qui est faite par le ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle, c’est que ça permettra de déclencher 20 milliards d’investissement sur le territoire national d’ici 2030.
Pourquoi ? Parce que ce sont des mécanismes très simples, très visibles pour l’industriel et immédiats, qui d’ailleurs vient compléter des aides qu’on peut faire, des mécanismes de PIIEC européens. C’est tout de suite, c’est visible.
Après, on verra si on les pérennise en fonction de ce que font nos concurrents, mais c’est ce qui nous permettra aussi de diminuer massivement des importations d’équipements ou de composants stratégiques venant d’autres pays, qui en bénéficient. Parce que ce faisant, on se réaligne avec la Chine et les États-Unis.
Deuxième élément, pour accompagner toutes les 20 000 PME et ETI industrielles qui veulent décarboner, nos fameux coqs bleus, on va rendre plus lisibles toutes ces aides, avec les outils Bpifrance et ADEME et leurs dispositifs, prêts verts 1 milliard d'euros, des garanties vertes, 1 milliard d'euros qui sont portés par le texte, avec une subvention verte pour les TPE et PME et avec aussi de l'accompagnement en appui d’ailleurs avec les réseaux CDMA et CCI. Et donc c'est un dispositif de simplification des aides pour les acteurs qui sont les plus petits, si je puis dire, et de mise en synergie des réseaux de l'État, des collectivités locales et de tous les acteurs du territoire.
À côté de ces innovations et de ce travail, c'est la mobilisation de l'épargne privée. Le ministre aura l'occasion d'y revenir et de déployer, mais on va développer du capital investissement dans l'assurance-vie et le PER pour le flécher vers les industries vertes en développant des produits nouveaux et en permettant de démultiplier. Des produits nouveaux d'une part et de faire pour les industries vertes ce que nous avons fait sur les startups, et qu'on va d'ailleurs porter à la deuxième génération. J'aurai l'occasion d'y revenir lors de Viva Tech à mi-juin, ce sont les fameux fonds Tibi, c'est-à-dire mobiliser les financeurs institutionnels pour soulever plus d'argent et financer en fond propre des acteurs du secteur. Et puis, une labellisation industrie verte pour flécher les investissements vers les projets les plus vertueux pour le développement industriel en France, ce qui est là aussi absolument clé. Au total, avec France 2030, ce cadre de financement doit nous permettre de rivaliser avec l’IRA américain et nous serons un des premiers pays européens à être aussi attractifs en déployant l'ensemble des instruments que permet le texte proposé par la Commission. Tout cela sera précisé dans les prochaines heures et les prochains jours par les ministres. Ce sera présenté au Conseil des ministres de la semaine prochaine et arrivera au Parlement dans les prochaines semaines pour pouvoir être voté au plus vite. Et donc ce sont des choses qui vont se déployer dès cette année.
Et puis le dernier point pour compléter cette stratégie, vous l'avez compris, c'est intensifier ce qu'on a déjà fait. Ouvrir une nouvelle logique d’accélération, de nouveaux projets, qui est plus de financement en utilisant les textes européens, changer de logique de soutien, et au fond, assumer une nouvelle doctrine de sécurité économique européenne et de cohérence économique. Et je finirai sur ce point de doctrine que j'ai eu l'occasion d'évoquer chez certains de nos voisins européens, en particulier aux Pays-Bas, mais qui me tient à cœur. Au fond, je pense que ce que nous sommes en train de faire et que nous devons intensifier, c'est d'assumer le fait qu’on ne veut pas simplement être un marché vert, mais produire vert sur notre sol. Et donc on a déjà passé beaucoup de réglementations en européen, plus que tous les voisins. On est devant, en termes réglementaires, les Américains, les Chinois ou toute autre puissance au monde. On s'est donné les objectifs 2050 2030 pour décarboner, réduire les phytos, etc.
J'appelle à la pause réglementaire européenne. Maintenant, il faut qu'on exécute. Il ne faut pas qu'on fasse de nouveaux changements de règles parce qu'on va perdre tous les acteurs. Donc on a besoin de stabilité. Maintenant, il faut accélérer sur les déploiements parce que sinon, le risque qu’on court, c'est au fond d'être les mieux disant en termes de réglementation et les moins disant en termes de financement. Donc là, on est en train de compenser cela. Mais c'était le décalage qu'on avait post IRA américain. Donc premier point de resynchronisation et de cohérence au niveau européen. On va se battre pour ça. On met en œuvre ce qu'on a décidé, mais on arrête d'en rajouter chaque jour. Et on accélère les financements européens parce qu'on a besoin. Et je soutiendrai le fonds souveraineté proposé par la Commission dans les mois à venir. Il faut être très clair, on ne peut pas réussir la souveraineté technologique, la transition pour le climat et la biodiversité, pour nos industriels et pour accompagner les ménages, si on n'investit pas massivement au niveau européen. La priorité doit être là et donc on doit assumer une cohérence. On fait ce changement, on l'accompagne, il faut une vraie politique d'investissements massifs. À côté de ça, on doit avoir une politique cohérente et mettre le consommateur en situation de choisir. Plusieurs d'entre vous l’ont plaidé, c'est d'ailleurs un des vrais apports de la convention climat dans notre pays. Nous avons commencé à le faire avec le Score Carbone qui est prévu par la loi climat et résilience. Il faut avoir un instrument d'étiquetage carbone et dans l'idéal, il faudrait l’avoir au niveau européen. En franco-français, on aura dès l'année prochaine, on commencera sur les textiles. On va ensuite généraliser cela à l'alimentation. Mais ce Score Carbone, l'affichage environnemental, c'est une très bonne chose parce que pour le consommateur, le citoyen, c'est un levier de changement et c'est ce qui permet aussi de valoriser des industriels et des producteurs français et européens qui font l'effort et de permettre aux consommateurs de dire « Oui, le Score Carbone ou l'affichage environnemental est très mauvais parce que c'est un produit qui, certes est là, mais vient du bout du monde ». On doit avoir cette politique européenne, il faut l'étiquetage carbone et environnemental au niveau européen. On doit mener cette bataille, elle est clé pour être cohérents.
Troisième levier, une doctrine de cohérence et de sécurité économique. C'est qu'on doit accepter de cibler nos aides et nos politiques d'achat sur ce qui est bon pour le climat et ce qui est bon pour l'Europe. Et je le dis très clairement, nous ne devons pas répliquer les erreurs que nous avons faites sur, par exemple, le photovoltaïque. On a déployé massivement du photovoltaïque en Europe et on a, au même moment, massivement détruit notre industrie photovoltaïque. Et donc on a construit une dépendance à l'égard de la Chine et on a fait réussir l'industrie chinoise. Et je ne veux pas qu'on le réplique sur, en particulier la question de la batterie. C'est pourquoi, nous serons aussi le premier pays européen à réformer les critères d'attribution du bonus automobile dès le projet de loi, pour mieux prendre en compte l'empreinte carbone de la production du véhicule et pour que le soutien public soit ciblé sur ces objectifs. En somme, on va soutenir les batteries et les véhicules qui sont produits en Europe parce que leur empreinte carbone est bonne. Et on ne va pas mettre ces bonus, ça ne veut pas dire qu'on fait du protectionnisme, on ne va pas fermer le marché. Mais on ne va pas utiliser l’argent du contribuable français pour accélérer l’industrialisation non-européenne. Cela relève je crois d'un solide bon sens. Mais en fait, on va faire maintenant ce qu'on ne faisait pas jusqu'alors. Et donc, d'ici à la fin de l'année, nous allons flécher cela. C'est une petite révolution et c'est celle que nous voulons aussi mener au niveau européen. Quand je vois les discussions sur les règlements batteries, je le dis très clairement, je ne veux pas que l'Europe puisse aider dans le règlement de batteries des batteries qui ne sont pas faites en Europe parce qu'il se trouve que ni les Américains ni les Chinois n'aident les batteries qui sont faites en Europe. Pourquoi on serait le seul espace au monde qui aime ce qui est fait chez les concurrents ? On ne leur ferme pas la porte, mais alors même qu'ils ont des politiques non coopératives, on ne va pas en plus ajouter nos aides. Ça va mieux en le disant. C'est un changement très fort de notre politique, c'est une cohérence de la politique industrielle et de décarbonation, c'est de récompenser les entreprises vertueuses et c'est ce qu'on va faire. Et donc ce fléchage du bonus automobile dès le projet de loi industries vertes, le combat qu'on va ensuite mener en Europe et la récompense aux industries les plus vertueuses avec la mise en place du nouveau label Triple E pour certifier cette démarche, est clé.
C'est la même chose que nous allons faire au niveau de la commande publique. Et là-dessus, on va exactement faire la même chose. C'est une cohérence de doctrine et donc on en tire les conséquences. Nous allons privilégier une commande publique responsable, en particulier sur les marchés les plus critiques : panneaux solaires, éoliens, pompes à chaleur et autres. Nous allons accélérer de deux ans, c'est-à-dire dès juillet 24 au lieu d’août 26, la mise en œuvre obligatoire de critères environnementaux dans les marchés publics pour les produits clés de la décarbonation, par exemple ceux identifiés par le règlement européen sur l'industrie Net zéro. Sur les panneaux solaires et éoliens terrestres, les énergies renouvelables, maritimes, la géothermie, les pompes à chaleur. Ce qui veut dire qu'on va pouvoir très clairement dans nos commandes publiques favoriser la production européenne. Ça n’enlèvera pas de la concurrence intra européenne. Ça, c'est le crédit d'impôt qui répondra à ce que vous disiez et l'accélération de nos procédures. Mais cela veut surtout dire qu’on va arrêter de financer des non-européens avec nos marchés publics et donc ça, on le fera dès juillet 2024.
Plus largement, j'appelle tous les acheteurs publics de l'État, des collectivités, des hôpitaux, du secteur privé à nous suivre dans cette démarche. Les règles sont là, elles existent. Il faut que les acheteurs publics et privés s'en saisissent. Et ça, c'est une discipline collective. Et puis enfin, je crois pour ma part à un agenda de réciprocité. Nous allons continuer de défendre au niveau européen, évidemment, la taxe carbone aux frontières qui est un mécanisme de réciprocité, des réglementations sectorielles mais partout ce que nous appelons la clause miroir. Et c’est un point clé de cette stratégie industrielle et d’une doctrine de sécurité économique cohérente. Qu’est-ce que cela veut dire ? Ça veut dire que quand on impose à un industriel européen ou à un agriculteur européen une norme, on l’impose à son concurrent non-européen quand on importe le produit. Parce que sinon, ce qu’on fait ne sert à rien pour notre finalité. Parce qu’on réduit l’empreinte sur notre sol, mais si on continue à consommer des produits qui ne sont pas respectueux du climat et de la biodiversité simplement on les important, on ne les produisant plus, c’est la double perte. Je vous le dis, c'est ce qu'on fait aujourd'hui. Donc je ne suis pas pour les accords commerciaux faits avec des pays qui n'ont pas les mêmes contraintes et qui ne signent pas ces clauses miroirs. C'est pourquoi on va continuer de se battre pour dire que les accords commerciaux ne peuvent exister qu'avec des gens qui ont les mêmes normes sur le climat, la biodiversité, et les mêmes contraintes sanitaires que celles qu'on impose à nos industriels, à nos agriculteurs, etc. Parce que c'est le seul moyen d'avoir un vrai agenda de réindustrialisation et pro-climat et pro-biodiversité.
Voilà les quelques points sur lesquels je voulais ici revenir aujourd'hui, en vous remerciant pas simplement pour votre présence et votre attention, mais pour votre mobilisation. Vous l'avez compris, la bataille pour la réindustrialisation est clé sur le plan économique, est clé sur le plan géopolitique, est clé sur le plan politique et sur l'unité de la nation. Ces dernières années, nous avons beaucoup fait tous ensemble. Vous avez beaucoup fait pour réussir un vrai retournement collectif. On a conjuré des décennies de désindustrialisation, on a mis fin à cette période. Maintenant, on doit accélérer, aller beaucoup plus loin. Et donc le projet de loi que nous allons annoncer lundi, mais toute la stratégie qu'on va accélérer, nationale et européenne, est une accélération de cette réindustrialisation qui est absolument clé. Il nous faut plus de travail, plus de capital, plus de progrès technique, avec une finalité derrière tout ça : avoir une vraie réponse au climat et à la biodiversité, plus de bons emplois pour nos compatriotes et plus d’indépendance pour notre nation dans un monde géopolitique incertain. Ce cap est possible si nous avons de la constance, de l’ambition et de la mobilisation collective. C’est cela sur quoi je compte et donc c’est votre mobilisation à toutes et tous sur le cap que je viens de dresser et autour des quelques instruments que je viens d’évoquer pour les mois et les années qui viennent.
Vive la République et vive la France !
Emmanuel Macron, le jeudi 11 mai 2023 au Palais de l'Élysée à Paris.
« Il n'y a pas d'autre sortie de crise que le retrait de la réforme (…). On ne peut pas parler d'autres sujets tant qu'on ne retire pas cette réforme, le gouvernement doit le comprendre (…). D'une façon ou d'une autre, elle ne s'appliquera pas. » (Sophie Binet, le 3 avril 2023 sur France Inter).
La succession de Philippe Martinez à la tête de la CGT (Confédération générale du Travail), annoncée depuis un an, n'a pas été un long fleuve tranquille. Sur fond de surenchères du mouvement social contre la réforme des retraites du gouvernement, le 53e congrès qui s'est tenu à Clermont-Ferrand du 27 au 31 mars 2023 fut particulièrement chaotique. La désignation de Sophie Binet (41 ans) comme secrétaire générale de la CGT le matin du 31 mars 2023 a donc été une surprise même si son nom faisait partie des possibles.
Surprise car Sophie Binet n'était pas du tout candidate à ce poste. À l'origine, Marie Buisson (54 ans), enseignante et secrétaire générale de la fédération de l'éducation, de la recherche et de la culture de la CGT depuis 2017 (petite fédération) était proposée dès mai 2022 par Philippe Martinez pour être sa successeure. Mais elle a été vite contestée par les plus radicalisés.
Il y a d'abord eu le 28 mars 2023 le refus du congrès d'approuver le bilan de Philippe Martinez, mis ainsi en minorité. Il y a eu ensuite cette impossibilité de trancher entre trois candidats déclarés : Marie Buisson, donc, à qui on a mis en face une sympathisante mélenchoniste, Céline Verzeletti (54 ans), gardienne de prison et secrétaire générale de la CGT pénitentiaire, puis, secrétaire générale de l'Union fédérale des syndicats de l'État depuis 2021, mais elle n'a pas pu faire non plus le consensus.
Autre candidat également, Olivier Mateu (49 ans), membre du PCF, opposé à la fermeture des centrales nucléaires et des centrales au charbon, forestier sapeur et secrétaire de la fédération des Bouches-du-Rhône de la CGT depuis 2016, très médiatisé depuis l'été 2022, notamment par ses déclarations publiques contre Emmanuel Macron (le seul département où l'État n'a pas réquisitionné pour faire cesser la grève des raffineries), a aussi vu sa candidature être rejetée par le congrès.
Ce fut finalement Sophie Binet qui a été élue secrétaire générale de la CGT le 31 mars 2023, avec 82% des voix ; elle a fait le consensus après des discussions interminables sur fond de divisions pendant toute la nuit du 30 au 31. Il y a clairement deux axes au moins, des réformistes et des radicalisés.
Qui est Sophie Binet ?
Les médias l'ont donc présentée comme la première secrétaire générale de la CGT, et cela depuis sa création en 1895. Il faut saluer cela, même s'il y avait une forte probabilité qu'une femme allât succéder à Philippe Martinez dans tous les cas. Elle n'est cependant pas la première femme secrétaire générale d'un grand syndicat en France puisque la première femme est Nicole Notat qui a été secrétaire générale de la CFDT d'octobre 1992 à mai 2002. Du reste, Sophie Binet est également féministe et un tantinet écolo.
L'autre singularité est qu'elle émane des cadres et ingénieurs, ce qui est rare et nouveau. Déjà Philippe Martinez était technicien et pas ouvrier. Un cadre à la tête du syndicat supposé être le plus ouvrier est donc aussi une première. En effet, Sophie Binet est conseillère principale d'éducation (CPE), autrement dit, ce qu'était avant le surveillant général, ce qui est un cadre A de la fonction publique nécessitant un master. Elle a exercé son métier pendant neuf ans dans des lycées professionnels, d'abord à Marseille (dans les quartiers nord) puis au Blanc-Mesnil (en Seine-Saint-Denis). Son objectif personnel était d'aider les lycéens dans des quartiers difficiles pour qu'il s'en sortent et se retrouvent avec un vrai métier et une vraie situation.
Permanente de la CGT à partir de 2013, elle a été élue secrétaire générale adjointe, en 2014, puis secrétaire générale de l'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT depuis mars 2018 et a acquis une bonne connaissance de l'industrie à ce poste, selon le magazine professionnel "L'Usine nouvelle".
Pourtant, plus que femme, plus que cadre, j'insisterais plutôt sur une troisième singularité qui me paraît de taille : Sophie Binet a eu d'autres engagements, et le plus singulier est qu'elle ne s'est pas engagée au sein du parti communiste, mais du parti socialiste dont elle a été militante de 2008 à 2012. Au congrès de Reims, elle a en effet soutenu Benoît Hamon, puis à la primaire socialiste de 2011, la candidature de Martine Aubry. Après l'élection de François Hollande en 2012, elle a soutenu la motion majoritaire au congrès du PS à Toulouse, mais s'est éloignée du PS avec la loi Travail défendue par le gouvernement de Manuel Valls.
Plus exactement, on aurait du mal à ranger Sophie Binet dans une case. Ainsi, dans sa jeunesse, elle a d'abord milité à la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) à Nantes avant de rejoindre le syndicat étudiant UNEF dont elle fut par la suite membre du bureau fédéral. L'ancien secrétaire général de Force ouvrière Jean-Claude Mailly l'a rencontrée dès début 2006 à l'époque des manifestations contre le CPE (contrat première embauche, pas conseiller principal d'éducation), alors qu'elle avait 23 ans.
Au contraire des militants CGT habituels qui sont plutôt favorables à la filière nucléaire (car pourvoyeuse de beaucoup d'emplois), Sophie Binet a plutôt des convictions écologistes. En 2016, elle s'est engagée dans le combat contre la loi Travail. En 2022, elle s'est lancée aussi dans un combat contre les violences sexistes et sexuelles dans le monde du travail (elle est par ailleurs membre du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes de 2022 à 2025).
Plus généralement, Sophie Binet a toujours été une militante particulièrement efficace dans ses prises de parole. La CGT, qui a perdu la première place au profit de la CFDT sous son prédécesseur Philippe Martinez, tente ainsi un grand coup de renouvellement, plus jeune, féminin, pour relancer la centrale. Toutefois, lorsqu'on lit les réactions des nombreux internautes dans différents endroits du Web (articles de journaux, vidéo Youtube, etc.), on trouve très majoritairement, sinon exclusivement, des réactions scandalisées qui crient à la magouille et qui regrettent qu'Olivier Mateu ne fût pas désigné (avec lui, "on" aurait été défendus et renforcés dans le mouvement contre la réforme des retraites, selon eux).
Pour l'heure, il n'est pas question de ramollissement. L'élection de Sophie Binet a mis un coup d'arrêt aux divisions internes à la CGT, confortant l'unité de l'intersyndicale en annonçant dès le 31 mars 2023 sa participation à l'invitation de la Première Ministre Élisabeth Borne à venir discuter avec elle le 5 avril 2023 à Matignon tant sur le travail que sur la réforme des retraites. À la fin du congrès de la CGT, elle a chanté des paroles en menaçant Emmanuel Macron de coupures d'électricité.
Invitée de la matinale de France Inter le lundi 3 avril 2023, Sophie Binet a justifié la surprise du chef du congrès : « C'est le propre des organisations démocratiques de réserver des surprises et donc c'est ce que la CGT a fait (…). Ce sont des débats qui durent depuis longtemps et je pense que c'est d'abord ce que l'on appelle à la CGT notre culture des débats, notre capacité à dialoguer ensemble et à trouver des solutions plutôt que de s'enfermer dans des logiques de blocs qui ne correspondent pas du tout à l'identité et au mode de fonctionnement de la CGT. ».
Elle s'est aussi exprimée sur la valeur symbolique d'une femme à la tête de la CGT : « Je sais que cela représente un message très fort pour les syndiquées, les travailleuses et c'est aussi une responsabilité importante (…). Mais pour moi, il y a une chose importante, c'est que je ne serai pas l'arbre qui cache la forêt et donc d'avoir une impulsion à tous les niveaux dans la CGT et au-delà pour permettre qu'il y ait des femmes qui arrivent à tous les niveaux de responsabilités. L'émancipation des femmes se fait par les femmes elles-mêmes. ».
Secrétaire générale de compromis, elle laissera certainement exprimer pleinement sa personnalité dans ses nouvelles fonctions. En plein combat contre la réforme des retraites, Sophie Binet est donc immédiatement mise à l'épreuve dans ce mouvement social finalement très traditionnel. Sa référence, c'est le CPE, qui a été retiré il y a dix-sept ans par Jacques Chirac malgré son adoption au Parlement et sa future promulgation. La différence avec aujourd'hui, c'est que la contestation du CPE s'était propagée jusque dans les rangs de la majorité, avec un Nicolas Sarkozy préférant jouer le rôle d'un médiateur dont la prudente neutralité n'égalait que son désir de mettre des bâtons dans les roues de son possible rival Dominique de Villepin...
« Comme vous le savez, le gouvernement n'intervient pas dans l'organisation des débats au Sénat. Mesdames, messieurs les sénateurs, le temps de la concertation a eu lieu. Le débat au Parlement doit se tenir, dans le respect des uns et des autres, sans blocage et avec une volonté de discussion sincère. C'est le fondement de notre démocratie. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas opposer la légitimité de la rue à celle de nos institutions. Depuis quelques jours et jusqu'à la fin de la semaine, la discussion va se poursuivre au Sénat. Plus de cent heures de débats sont prévues au total. Vous avez les cartes en main pour agir, pour enrichir le texte, pour donner à tous les Français le débat démocratique qu'ils réclament. » (Élisabeth Borne, le 7 mars 2023 au Sénat).
Répondant à une question du président du groupe socialiste au Sénat Patrick Kanner (ancien ministre) le 7 mars 2023 sur la réforme des retraites, la Première Ministre Élisabeth Borne s'est tenue à la continuité institutionnelle des débats.
Elle avait peu auparavant condamné les actions de blocages de certains syndicalistes jusqu'au-boutistes : « Je condamne les coupures d'électricité dans certains tribunaux, dans certaines universités, dans certains quartiers et dans certaines permanences parlementaires. Le droit de grève, ce n'est pas le droit au blocage ou la volonté de mettre notre économie à genoux. ».
Et de rappeler la volonté de dialogue du gouvernement : « Hier soir, l'intersyndicale a demandé à être reçue. Le gouvernement est toujours prêt et ouvert au dialogue, comme il l'a montré ces derniers mois. Si les organisations syndicales souhaitent évoquer certains points particuliers, la porte du Ministre du Travail, Olivier Dussopt, reste toujours ouverte. Car, je le rappelle, c'est bien dans la concertation et le dialogue que ce texte a été construit. C'est après trois mois de concertation avec les organisations syndicales et patronales, ainsi qu'avec les groupes parlementaires, que nous avons décidé de décaler progressivement l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, et non pas à 65 ans, comme prévu initialement. Je rappelle aussi que c'est grâce au dialogue que nous avons décidé de revaloriser les plus petites pensions des retraités actuels. Je vous rappelle encore que c'est grâce au dialogue que nous avons amélioré le texte sur la pénibilité. (…) Je le répète, nous sommes prêts à faire évoluer, à améliorer et à enrichir ce texte dans le respect des équilibres que nous avons définis. Mais, pour y parvenir, nous devons pouvoir débattre loyalement, ouvertement et franchement. ».
Malgré l'évolution inquiétantes des débats au Sénat, où les trois groupes de gauche (PS, PCF et EELV) ont voulu paralyser les votes par une obstruction, le gouvernement a atteint son objectif ce samedi 11 mars 2023 vers minuit : l'ensemble du texte du projet de réforme des retraites a été adopté en première lecture par le Sénat, ce qu'il n'avait pas réussi à obtenir de l'Assemblée Nationale complètement hystérisée par les excès des députés mélenchonistes.
En effet, sur 344 votants, 195 sénateurs ont voté pour la réforme, 112 contre (scrutin n°249). Si on analyse plus précisément le scrutin, on retrouve globalement les groupes qui avaient voté pour l'article 7 (le passage à 64 ans).
Parmi les sénateurs qui ont approuvé la réforme : 120 LR (Les Républicains) sur 145 (6 LR ont voté contre, dont Alain Houpert ; 18 LR se sont abstenus, dont Alain Cadec et Jean-Raymond Hugonet ; Gérard Larcher, Président du Sénat, n'a pas pris part au vote) ; 37 UC (Union centriste) sur 57 (6 UC ont voté contre, dont Arnaud de Belenet et Nathalie Goulet ; 14 se sont abstenus dont François Bonneau, Philippe Folliot, Loïc Hervé, Valérie Létard, Hervé Maurey, Catherine Morin-Desailly et Jean-Marie Vanlerenberghe) ; 23 LREM (groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants) sur 24 ; 12 du groupe Les Indépendants – République et Territoires sur 14.
Le groupe RDSE (Rassemblement démocratique et social européen, ancienne Gauche démocratique) qui, habituellement, se situait au milieu de la frontière entre gauche et droite (et qui rassemblait à une époque tant les radicaux valoisiens que les radicaux de gauche) est extrêmement divisé sur la réforme des retraites puisque 8 RDSE ont voté contre, 3 RDSE ont voté pour (dont Véronique Guillotin) et 3 RDSE se sont abstenus (dont Nathalie Delattre et l'ancien président socialiste du conseil général des Bouches-du-Rhône Jean-Noël Guérini).
Comme prévu, aucune voix de l'opposition de gauche n'a manqué au vote s'opposant à la réforme (64 PS sur 64, 15 PCF sur 15 et 12 EELV sur 12). Quant aux trois sénateurs non-inscrits, 1 a voté contre et l'ancien UMP Jean-Louis Masson ainsi que l'ancien RN Stéphane Ravier se sont abstenus.
Le principal apport des sénateurs, au-delà d'avoir adopté ce projet de loi dans les délais requis, cela a été d'imposer au gouvernement l'ajout d'un "article 2 bis A" sur un "CDI senior", autrement dit un "contrat de fin de carrière" réservé aux salariés d'au moins 60 ans et qui entrerait en vigueur le 1er septembre 2023.
Les conditions sont précisées ainsi : « Le contrat est conclu pour une durée indéterminée. Par dérogation à l’article L. 1237-5, l’employeur peut mettre à la retraite le salarié qui remplit les conditions pour bénéficier d’une pension de retraite au taux plein mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 351-1 du code de la sécurité sociale. Le contrat est établi par écrit. Les activités concernées, les mesures d’information du salarié sur la nature de son contrat et les contreparties en termes de rémunération et d’indemnité de mise à la retraite accordées au salarié sont fixées par une convention de branche ou un accord de branche étendu. À défaut d’accord, ces modalités sont fixées par décret. ».
Ce contrat donnerait ainsi la possibilité à l'employeur de mettre à la retraite dès que le salarié signataire remplit les condition d'une retraite à taux plein, alors que jusqu'à maintenant, le date de la mise en retraite est décidée par le seul salarié (sauf en cas de licenciement).
Pour ce type de contrat, les rémunérations bénéficieraient d'allègement de cotisations : « Les rémunérations versées au salarié employé dans le cadre du contrat prévu à l’article L. 1223-10 du code du travail sont exonérées des cotisations dues au titre du 1° de l’article L. 241-6 du présent code. ».
Par ailleurs, l'article 20 du projet de loi précise : « Pour l’année 2023, les objectifs de dépenses de la branche Vieillesse sont fixés à 273,7 milliards d’euros pour l’ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale. ».
La première lecture étant achevée et comme l'Assemblée Nationale n'a pas adopté de texte (et que le texte considéré comme adopté est différent de celui qui a été adopté par le Sénat), la formation d'une commission mixte paritaire est nécessaire pour négocier un texte commun aux deux assemblées qui soit susceptible d'être adopté par l'Assemblée Nationale.
L'idée du gouvernement est, d'une part, de maintenir la pression sur tous les députés de la majorité (Renaissance, MoDem et Horizons) pour ne perdre aucune voix favorable, et d'autre part, d'amener le groupe LR à voter favorablement dans sa grande majorité (le groupe LR de l'Assemblée Nationale est particulièrement divisé sur la question des retraites, entre la position d'Aurélien Pradié opposée au texte et celle d'Éric Ciotti favorable).
Pour l'heure, le gouvernement répète qu'il ne souhaite pas utiliser l'article 49 alinéa 3 de la Constitution pour le vote en seconde lecture à l'Assemblée Nationale, même s'il ne se l'interdit pas. Tout dépendra du choix des députés LR, hésitant entre la démagogie à deux balles et la cohérence politique de leur projet présidentiel depuis une dizaine d'années qui prônait la retraite à 65 ans. En d'autres termes, leur choix sera entre facilité et responsabilité. Leur avenir politique, à mon sens, dépendra de ce vote.
« Tout professionnel qui contacte par téléphone une personne en vue de la réalisation d'une étude ou d'un sondage respecte des règles déontologiques, rendues publiques, élaborées par les professionnels opérant dans ce secteur. Ces règles précisent notamment les jours et horaires ainsi que la fréquence auxquels les appels téléphoniques aux fins de réalisation d'études ou sondages sont autorisés. » (article 3 de la loi n°2020-901 du 24 juillet 2020).
Et suit juste après : « Les jours et horaires ainsi que la fréquence auxquels peuvent être passés ces appels sont, en tant que de besoin, précisés par décret. ». Ce décret a mis deux ans à être rédigé et publié. À partir du 1er mars 2023, le démarchage téléphonique est en effet encadré de manière plus rigoureuse.
Prévu par la loi n°2020-901 du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, le décret n°2022-1313 du 13 octobre 2022 relatif à l’encadrement des jours, horaires et fréquence des appels téléphoniques à des fins de prospection commerciale non-sollicitée, signé par la Première Ministre Élisabeth Borne, le Ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique Bruno Le Maire et la Ministre déléguée chargée des PME, du commerce, de l'Artisanat et du Tourisme Olivia Grégoire, entre en vigueur ce mercredi.
Le décret limite les horaires accessibles à la prospection téléphonique : « Le démarchage téléphonique des consommateurs est autorisé du lundi au vendredi, de 10 heures à 13 heures et de 14 heures à 20 heures. Il est, en revanche, interdit le samedi, le dimanche et les jours fériés. ».
Par ailleurs : « Un consommateur ne peut pas être sollicité par voie téléphonique à des fins de prospection commerciale plus de quatre fois par mois par le même professionnel ou par une personne agissant pour son compte. Enfin, lorsque le consommateur refuse ce démarchage lors de la conversation, le professionnel s'abstient de le contacter ou de tenter de le contacter avant l'expiration d'une période de soixante jours calendaires révolus à compter de ce refus. ».
Enfin, il prévoit des sanctions (sévères) en cas d'infraction : « La violation de ces règles est sanctionnée de l'amende administrative prévue à l'article L. 242-16 du code de la consommation (75 000 euros d'amende pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale). ».
Ce n'est pas la première fois que l'État tente de réguler plus strictement le démarchage téléphonique qui a souvent entraîné des ventes quasi-forcées et presque toujours une atteinte à la vie privée. Tout le monde a eu dans son entourage plus ou moins proche le cas d'une personne âgée dont on découvre, quand elle ne peut plus s'occuper de ses affaires personnelles, qu'elle était abonnée au câble ou à une chaîne cryptée alors qu'elle ne savait même pas que ça existait, et cela depuis vingt ans ! Avec la libéralisation de la fourniture de l'électricité, du gaz, etc., ce type de procédé, qui peut s'apparenter à un abus de faiblesse, a pu se multiplier.
Les efforts des gouvernements ont été pourtant permanents pour tenter de réduire les abus sans pour autant attenter à la liberté d'entreprendre. La loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (loi Hamon) a mis en place une liste d'opposition aux démarches téléphoniques appelée Bloctel qui a été mise en application le 1er juin 2016. Les entreprises de télémarketing doivent depuis lors vérifier que les numéros qu'elles démarchent ne sont pas présents dans cette liste. Elle prévoyait déjà les mêmes sanctions lourdes pour les contrevenants : 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.
Mais le concept de Bloctel est resté inefficace. Une nouvelle loi a donc été votée : la loi n°2020-901 du 24 juillet 2020, entrée en vigueur le 26 juillet 2020, a renforcé la lutte contre les abus et les fraudes, en particulier en interdisant le démarchage téléphonique dans le secteur de la rénovation énergétique. Un décret a donné plus de contraintes à partir du 1er avril 2022, en particulier l'impossibilité de signer un contrat avant 24 heures après l'appel.
Cependant, en 2022, Matthieu Robin, chargé d’étude à l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, déplorait sur franceinfo : « Bloctel est un échec patent car il y a de plus en plus de consommateurs qui sont sollicités par le démarchage en général, et les litiges n’ont pas cessé d’augmenter les dernières années. ». En 2022, il y a eu environ 240 000 litiges contre des démarchages abusifs, c'est-à-dire des "appels téléphoniques commerciaux non désirés", signalés sur la plate-forme SignalConso. C'est considérable.
Toute la législation et réglementation s'est révélée souvent inefficace, car les démarcheurs ont de nombreux autres moyens pour tromper les consommateurs (et contourner la loi), en se présentant sous une fausse vitrine (connue, comme la Sécurité sociale ou une mutuelle connue), ou en cas d'identification, les sociétés fautives déposent leur bilan et se recréent sous une autre identité pour éviter les sanctions.
Le démarchage téléphonique est donc une véritable plaie et certains parlementaires, dans la législature précédente, avaient demandé l'interdiction pure et simple du démarchage téléphonique sauf si le prospect a clairement indiqué accepter d'être appelé pour une prospection commerciale (c'était le cas du député LR Pierre Cordier dont la proposition de loi a été rejetée le 21 juin 2018). Le gouvernement de l'époque avait rejeté l'idée en considérant qu'elle mettait en péril les centres d'appels en France qui respectent la réglementation (et d'ailleurs, rien n'empêche un prospecteur de s'installer à l'étranger).
Effectivement, Delphine Gény-Stephann, la Secrétaire d’État auprès du Ministre de l’Économie et des Finances de l'époque, qui avait montré son accord pour améliorer le dispositif, a déclaré à l'Assemblée Nationale le 21 juin 2018 : « Le gouvernement est plus réservé quant aux mesures qui, sans apporter une réponse efficace à la fraude, pénaliseraient le démarchage respectueux de la réglementation. Cela pourrait être le cas de la mesure consistant à présumer que le consommateur est opposé à tout démarchage quel qu’il soit, et à rendre illégal tout démarchage qui n’a pas été explicitement demandé. Elle pourrait méconnaître le fait que le démarchage peut faire jouer la concurrence pour proposer de nouveaux produits et services aux consommateurs. ».
Le journal "Ouest France" a proposé quatre moyens pour se débarrasser des prospecteurs abusifs : s'inscrire sur les listes rouges (dont Bloctel) mais c'est rarement efficace ; mentir au démarcheur et lui dire n'importe quoi mais il faut avoir le temps pour cela ; acheter un téléphone spécial qui demande à l'appelant, avant de sonner, un code que seul le propriétaire de la ligne aura donné à ses interlocuteurs potentiels, solution qui paraît très efficace depuis 2021 mais qui coûte cher au consommateur et utilisable seulement pour un téléphone fixe ; utiliser une appli de blocage pour les téléphones mobiles (plus ou moins efficace).
En fait, il y a peu de solutions vraiment satisfaisantes et durables et les consommateurs en sont réduits souvent à jouer au chat et à la souris avec les démarcheurs abusifs. Le risque d'une solution du type : seules les personnes autorisées peuvent m'appeler, c'est l'impossibilité de l'imprévu, des rencontres nouvelles, des croisement d'idées, c'est ce qui se passe déjà dans les réseaux sociaux où les idées se mordent la queue, tournent en boucle, se répétant et s'auto-confirmant, sans chercher à l'extérieur d'idées autres, nouvelles, différentes.
Et la liberté, favorable à l'innovation (et au mouvement), se couple mal avec l'encadrement et la sécurité qui fige une situation donnée dans la durée. C'est l'histoire des digicodes en bas des immeubles, la sécurité empêche le contact direct. Ce qui est sûr, c'est qu'aucune solution durable ne peut être envisagée sans une harmonisation internationale, au moins européenne, minimale.
« Il y a une forme de déception puisque l'Assemblée Nationale a passé trois jours à débattre de plus de 2 000 amendements sur un index des seniors (…). Ceux qui nous disent "vous ne faites pas assez pour les seniors" suppriment l'index. » (Olivier Dussopt, le 15 février 2023 sur France Inter).
L'article 2 du texte, prévoyant l'institution d'un "index des seniors", a été rejeté par les députés ce mardi 14 février 2023 (scrutin n°972), par 256 voix contre 203 députés favorables à l'article, sur 467 votants (parmi les votes pour, seulement 140 députés Renaissance sur 170, 39 MoDem sur 51 et 24 Horizons sur 29). Le groupe Les Républicains a été l'arbitre de ces votes en rejetant l'index seniors par 38 députés LR sur 61 (6 se sont abstenus, les autres, dont Éric Ciotti, n'ont pas participé au vote). Les députés LR ont trouvé que l'index était trop contraignant, ceux de la Nupes et du RN qu'il n'était pas assez contraignant. C'est évidemment un camouflet pour le gouvernement, et ce n'était pas faute d'une meilleure mobilisation de la majorité. En effet, si tous les députés de la majorité avaient voté (à l'exception de la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet qui ne participe jamais aux votes), seulement 46 voix seraient venus en renfort de la majorité et cela aurait été insuffisant pour rattraper les 53 voix de retard.
Adopté au conseil des ministres et déposé sur le bureau de l'Assemblée Nationale le 23 janvier 2023 ("projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, n°760"), le projet de réforme des retraites présenté par le gouvernement est examiné par l'Assemblée Nationale en séances publiques depuis le lundi 6 février 2023. En plus d'une semaine, on mesure à quel point le débat démocratique a du mal à s'installer même au cœur de la démocratie parlementaire, l'hémicycle du Palais-Bourbon.
En n'ayant qu'une majorité relative, le gouvernement savait que ces débats parlementaires seraient difficiles, mais n'imaginait sans doute pas à quel niveau les députés du groupe FI seraient tombés dans l'invective, l'insulte, les mensonges, l'obstruction. En déposant plus de 18 000 amendements, l'opposition populiste de gauche avait un objectif : dénaturer les débats parlementaires et donner à la rue le rôle principal. Sauf qu'en démocratie, ce ne sont pas les pavés qui gouvernent mais les urnes.
Il est vrai que les quatre journées de manifestations ont été plutôt une réussite malgré le froid hivernal : 1,1 million de manifestants le 19 janvier, 1,27 million de manifestants le 31 janvier, 757 000 manifestants le 7 février et 963 000 manifestants le 11 février (j'ai repris les statistiques du Ministère de l'Intérieur bien plus proches de la réalité que celle des syndicats, si l'on les compare avec le décompte neutre d'Occurrence ; la CGT a donné, de son côté, l'estimation de 2,5 millions tant pour le 31 janvier que pour le 11 février). La prochaine journée a lieu ce jeudi 16 février 2023 et les syndicats promettent un blocage complet du pays à partir du 7 mars 2023.
Mais cette protestation, aussi respectable soit-elle, ne peut remplacer la parole sacrée de l'ensemble des électeurs (et le candidat Emmanuel Macron avait clairement annoncé cette réforme avant le premier tour de l'élection présidentielle de 2022). Alors que le monde se trouve dans une crise stratégique majeure avec l'agression par la Russie de l'Ukraine et ses risques d'embrasement mondial, qu'il est en train de sortir d'une longue crise sanitaire d'une gravité inédite depuis un siècle et que se profilent les menaces du bouleversement climatique en cours, la France risque de se retrouver paralysée dans un bras de fer d'un autre temps.
Au cours du débat parlementaire, les députés FI ont multiplié les incidents afin de retarder le processus parlementaire. Leur objectif, celui de la "bordélisation" de l'Assemblée, c'est de ne pas avoir le temps d'arriver au vote de l'article 7 de la réforme (il y a 18 articles dans le projet !) qui institue l'âge légal de la retraite à 64 ans. Pourtant, ce serait le meilleur moyen de faire prendre leurs responsabilités aux députés, savoir qui vote quoi.
Je citerai juste deux gros incidents, le premier a eu lieu le 10 février 2023 avec le député FI Thomas Portes qui a refusé de présenter ses excuses après avoir publié la veille une photo qui pouvait être considérée comme un appel au meurtre d'Olivier Dussopt, le Ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion. Il a été immédiatement sanctionné d'exclusion de l'Assemblée Nationale pendant quinze jours de séances, la plus sévère des sanctions (qu'un député du RN avait également eue le 4 novembre 2022). Après cet incident, l'Assemblée n'a repris ses travaux que le lundi à 16 heures. Le 13 février 2023, rebelote, si j'ose écrire, avec un autre député FI (qui ne mérite pas qu'on cite son nom) qui a traité Olivier Dussopt d'imposteur et d'assassin. La séance a été interrompue mais, au contraire de Thomas Portes, il a fait amende honorable, a présenté ses (strictes) excuses (Olivier Dussopt le 15 février 2023 : « Il y a des mots qui ne se pardonnent pas : moi ce que je sais, c'est que j'ai beaucoup de mémoire. »).
Ce climat d'extrême violence verbale n'est pas à la mesure des enjeux politiques et socio-économiques et ne redonnera certainement pas l'envie aux nombreux abstentionnistes des élections législatives de juin 2022 de reprendre le chemin de l'isoloir pour élire la prochaine Assemblée.
Dans ces discussions, le RN se pose en modérateur. Sous la présidence de Sébastien Chenu, vice-président de l'Assemblée, le 13 février 2023, il montrait un désir d'ordre dans les débats qui donnait au RN toute l'illusion d'être un jour responsable et en capacité de gouverner, même si, très temporairement, Marine Le Pen a chuté dans les sondages au profit de Jean-Luc Mélenchon parce qu'elle refuse de se prêter au jeu de rôle des manifestations. Les Insoumis devraient se méfier de leurs comportements particulièrement contre-productifs, leurs électeurs commencent à se dire qu'ils ont élus des voyous, et je pense surtout que ce sont des députés immatures, souvent élus par surprise ou de justesse et qui ne s'y attendaient pas.
Je propose de reprendre succinctement l'historique des débats pour comprendre où les députés en sont.
Tout d'abord, l'opposition a déposé, comme l'y autorise le règlement intérieur de l'Assemblée, trois demandes pour empêcher le débat dès le départ.
La première est une motion de rejet préalable déposée par la présidente du groupe FI Mathilde Panot, qui a été rejetée le 6 février 2023 (scrutin n°908) par 292 députés contre 243 sur 538 votants (parmi ceux qui ont voté pour cette motion, on retrouve 85 députés RN sur les 88 au total, la totalité des 74 députés FI, 26 députés PS sur 31, la totalité des 22 députés EELV et 18 députés PCF sur 22). Sans état d'âme, les députés de la Nupes ont joint leur suffrages à ceux du groupe RN pour tenter de rejeter immédiatement le projet de loi. Il faut insister sur le fait qu'il y a plus de députés RN qui ont voté cette motion de rejet préalable que de députés FI qui en étaient pourtant les initiateurs (ce qui est logique vu que le groupe RN est plus nombreux).
La deuxième demande est la motion référendaire avec une polémique sur laquelle devait être présentée aux votes. Je rappelle juste, pour faire simple, que le règlement de l'Assemblée ne prévoie le vote que d'une seule motion référendaire par texte en examen. Or deux motions référendaires ont été déposées, une émanant du groupe RN et une autre des groupes de la Nupes. La Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivert a résolu cette difficulté de procédure en procédant à un tirage au sort qui a bénéficié au groupe RN. Au dernier moment, Charles de Courson, du petit groupe technique LIOT, a déposé une troisième motion référendaire qui n'a pas été prise en compte (car trop tardive), tandis que les députés de la Nupes voulaient en profiter pour faire un nouveau tirage au sort. Par ailleurs, le règlement impose que la totalité des signataires de la motion référendaire soit présents en séance pour qu'on puisse procéder au vote. 60 députés RN avaient présentés cette motion et parmi eux, certains députés ont reçu de faux appels téléphoniques qui leur annonçaient qu'une personne proche était à l'hôpital et qu'il fallait aller auprès d'elle, dans le but de les éloigner de l'hémicycle (j'espère qu'une enquête permettra d'en déterminer l'origine).
Cette motion référendaire, qui vise à soumettre le texte examiné au vote populaire, présentée par Marine Le Pen et 59 députés RN, a été rejetée le 6 février 2023 (scrutin n°909) par 272 députés contre 101 sur 381 votants (parmi ceux qui ont voté pour cette motion, on retrouve 86 députés RN et 2 non-inscrits, Emmanuelle Ménard et Nicolas Dupont-Aignan, mais aucun député de la Nupes qui ne voulait pas mélanger ses voix avec le RN).
Enfin, la troisième demande est la "demande de constitution d'une commission spéciale pour l'examen de la proposition de loi pour une retraite universellement juste" présentée par André Chassaigne, le président du groupe communiste, là encore, comme le permet le règlement de l'Assemblée. J'y reviendrai plus loin.
Il a fallu attendre le 10 février 2023 pour l'adoption de l'article 1er du texte, qui concerne la suppression des régimes spéciaux de retraite (scrutin n°947). Ce premier article a été adopté par 181 députés contre 163 sur 346 votants. Parmi les votes pour, il y avait 117 députés Renaissance, 14 LR, 31 MoDem, 18 Horizons ; parmi les votes contre, 61 RN, 59 FI, 19 PS, 12 PCF et10 EELV. Comme on voit, il y a eu beaucoup de députés absents.
Dans les débats publics, tant dans l'hémicycle (examen du texte et questions au gouvernement) que dans les médias, l'opposition s'est focalisée sur la mesure sociale du relèvement de la pension minimale (qui n'a rien à voir avec le minimum vieillesse). En effet, selon un économiste (Michaël Zemmour), la mesure des 1 200 euros de pension mensuelle ne concernerait pas tous les retraités. Mais à cela, rien de surprenant : le gouvernement a toujours communiqué que ces 1 200 euros étaient dans le cas d'une carrière complète en temps plein avec un salaire au moins au SMIC. Le contraire serait croire au Père Noël. Donc, au fil des interpellations, l'opposition a changé son fusil d'épaule et a réclamé le nombre de bénéficiaires pour lesquelles cette mesure s'appliquerait, dans le but de dire que cela ne concernerait que très peu de monde. C'était encore le sujet des questions au gouvernement lors de la séance du 14 février 2023.
Invité de la matinale de ce mercredi 15 février 2023 sur France Inter, Olivier Dussopt a donné des indications chiffrées. Elles ne sont pas forcément simples à comprendre parce que le système des retraites est compliqué en lui-même, chaque situation personnelle était un cas différent.
Voici sa réponse qui montre que la mesure du gouvernement n'est pas aussi négligeable que fustigée par l'opposition : « L'engagement d'une retraite à 85% du SMIC a toujours été pris pour une carrière complète à temps plein. C'est cet engagement que nous allons tenir (…). Grâce à cette réforme, 1,8 million de retraités actuels vont voir leur pension revalorisée. Parmi eux, 900 000 auront une revalorisation comprise entre 70 et 100 euros. Comme ce sont les retraités actuels, et que nous connaissons mieux leurs situations, vous en avez 125 000 qui vont aller jusqu'au maximum des 100 euros de revalorisation. Cela peut paraître peu et en fait, c'est énorme. Cela signifie que nous avons 250 000 retraités supplémentaires qui vont franchir le cap des 85% du SMIC. Lorsqu'on regarde les 800 000 nouveaux retraités, 200 000 auront une pension revalorisée. Parmi eux, un tiers aura une revalorisation supérieure à 70 euros. 40 000 personnes de plus chaque année passeront le cap des 85% du SMIC [parmi les nouveaux retraités] grâce à cette seule réforme. (…) Pourquoi 40 000 sur 200 000 ? Parce que ceux qui resteront en-dessous [de ce seuil] sont ceux qui ont des carrières incomplètes. Sur les 17 millions de retraités, on en a plus de 5 millions qui ont une retraite inférieure à 1 000 euros brut. Et derrière ces 1 000 euros brut, ce sont des carrières très incomplètes. Notre système de retraite renvoie les parcours de vie et les inégalités de vie. ».
Olivier Dussopt a, par ailleurs, confirmé l'information de la veille d'un amendement qui serait déposé par le gouvernement sur l'article 8 du projet de loi sur les carrières longues, une concession pour le groupe LR qui s'est dit satisfait de la décision : « Un amendement du gouvernement va permettre de le mettre en œuvre. On va faire quatre dispositifs : un pour ceux qui ont commencé à travailler avant 16 ans, ils sont très peu nombreux, ils continueront à partir à 58 ans. Nous créerons un dispositif pour ceux qui ont commencé à travailler entre 16 et 18 ans. À 60 ans, si vous avez 43 annuités, vous pouvez partir. Il y a un dispositif pour ceux qui ont commencé à travailler entre 18 et 20 ans. À 62 ans, vous pouvez partir si vous avez vos 43 annuités. Enfin il y a un nouveau dispositif si vous avez commencé entre 20 et 21 ans, si, lors de vos 63 ans, vous avez vos 43 annuités, vous partez. ».
Autre sujet très important, la capacité, pour ceux qui ont un métier pénible, de se reconvertir en cours de carrière ou de quitter en douceur leur emploi avec du temps partiel : « La question forte, c'est la capacité que nous avons à trouver du sens et du plaisir dans le travail. (…) Cela renvoie aux questions de pénibilité et de reconversion. (…) Dans le cadre de la modernisation du compte professionnel de prévention pour les métiers les plus pénibles. Nous créons la possibilité d'un congé de reconversion pour vraiment pouvoir changer de métier et se réorienter. Je pense que cette possibilité doit être ouverte plus largement. Changer de métier, avoir un autre avenir, permet de durer plus longtemps (…). Nous allons très largement faciliter pour le secteur privé, et ouvrir le droit dans le secteur public, à la retraite progressive. C'est une façon de lever le pied, décélérer en passant au temps partiel payé par l'employeur et le reste du temps payé par la caisse de retraites tout en continuant à valider des trimestres. C'est aussi une façon d'accompagner la fin de carrière. ».
Le ministre a aussi confirmé que l'article 49 alinéa 3 de la Constitution n'était pas à l'ordre du jour car, avec le groupe LR, il existe une majorité à l'Assemblée en faveur de la réforme : « Nous considérons que nous avons une majorité sur ce texte-là, mais pour avoir une majorité, il faut aller au vote et pour aller au vote, il faut en finir avec l'obstruction. ».
Je termine en revenant à la séance du 7 février 2023 et sur la demande d'une commission spéciale. De la part de l'opposition, tout est bon pour éviter le débat de fond. C'est la raison pour laquelle cette commission spéciale a été demandée alors que l'opposition a bloqué les travaux de la commission des affaires sociales en déposant une vingtaine de milliers d'amendements. La présidente du groupe Renaissance, Aurore Bergé, a pris la parole pour s'opposer, avec beaucoup de combativité, à la constitution d'une telle commission spéciale.
Voici son intervention complète : « Chers collègues du groupe GDR [communiste], pourquoi donc vous jetez-vous ainsi dans les bras de la Nupes et de toutes les manœuvres de vos alliés LFI ? Vous qui aimez tant le Parlement et la vie parlementaire, vous voilà alliés de leurs méthodes, de leurs 18 000 amendements, de leur obstruction systématique et de leurs incohérences. Hier, vous qui en appeliez au peuple, vous avez préféré déserter pendant le vote d’une motion référendaire. Pourtant, quand il s’agit de vos motions de rejet, joindre vos voix à celles du Rassemblement national ne vous gêne absolument pas. Si vous ne voulez pas entretenir la confusion entre vous et l’extrême droite, alors cessez d’employer leurs méthodes ! À défaut de pouvoir couper court à nos débats, vous avez désormais recours à un nouveau stratagème reposant sur l’article 31 de notre règlement. Libre à vous, chers collègues, de faire usage de votre droit d’initiative parlementaire, mais comment comprendre que vous souhaitiez débattre des retraites au sein d’une commission spéciale, alors que vous refusez de le faire ici, dans l’hémicycle ? Puisque vous nous invitez au débat, nous y sommes évidemment prêts. Parlons donc, en quelques mots, de votre projet : avec la Nupes, c’est l’obstruction et la taxation ; 18 000 amendements et 130 milliards d’euros d’impôts supplémentaires. Un ouvrier dans l’automobile, qui gagne 2 000 euros par mois et travaille une heure supplémentaire par semaine, perdra 150 euros de salaire net sur l’année, parce que la Nupes veut rétablir les charges que nous avons supprimées sur les heures supplémentaires. C’est la vérité, la triste vérité de votre politique. Un fleuriste paiera 700 euros de charges supplémentaires par mois pour un salarié au SMIC, parce que la Nupes veut supprimer les allégements de cotisations patronales que nous avons votés sur les bas salaires. Parlons aussi des fausses informations, celles qui circulent sur les réseaux sociaux, celles que vous relayez dans les manifestations et, matin, midi et soir, dans les médias. L’une d’entre elles est particulièrement indécente, celle selon laquelle 25% des Français les plus pauvres seraient déjà morts au moment où ils prennent leur retraite. Heureusement, c’est faux, vous le savez pertinemment, mais vous continuez à diffuser cette fausse information. Vous continuez à faire peur et à inquiéter sur un projet qui doit nous rassembler. Parlons enfin de ce contre quoi vous voterez en rejetant demain ce texte. Vous voterez contre le fait de garantir une retraite décente à tous les Français qui ont une carrière complète. Vous voterez contre le fait de percevoir enfin une pension égale à 85% du SMIC net, ce qui est tout simplement de la justice sociale, et ce que nous voulons au sein de la majorité. Vous voterez contre le fait que des Français qui veulent travailler et ne peuvent trouver un emploi en raison de leur âge aient demain la garantie d’en trouver un. Vous voterez contre un index seniors qui permettra de mesurer les inégalités et, surtout, de les corriger, car c’est évidemment ce que nous devons faire. Vous voterez contre l’amélioration de la situation des femmes, dont vous avez tant parlé. Assumons ce débat. Assumons que, demain, avec la réforme, les femmes partiront plus tôt que les hommes. Assumons qu’elles bénéficieront de la revalorisation de la retraite minimale, puisque 60% de ceux qui la touchent actuellement sont des femmes. Assumons que nous allons créer des trimestres supplémentaires pour les aidants familiaux, qui sont principalement des femmes. Oui, le débat a lieu ici et maintenant, pas demain ou après-demain. C’est aujourd’hui que cette réforme doit se mener, et c’est aujourd’hui que nous la mènerons. Car il y va de l’avenir des Français, de l’avenir des plus vulnérables, dont le seul capital est la solidarité nationale et la solidarité intergénérationnelle, autrement dit notre régime par répartition. Vos alliés et vous répétez à l’envi que vos 18 000 amendements visent à enrichir nos débats et non à les obstruer. Faites en donc la démonstration ! Débattons ici et maintenant, et non demain au sein d’une commission spéciale. C’est maintenant que nous devons débattre et voter. C’est pourquoi nous rejetterons votre demande de constitution d’une commission spéciale. ».
Finalement, la demande de commission spéciale a été rejetée le jour même (scrutin n°912) par 260 députés contre 127 sur 413 votants. Parmi ceux qui étaient favorables à cette commission spéciale, 3 RN, 59 FI, 22 PS, 17 EELV et 18 PCF. Et également un non-inscrit, le député Adrien Quatennens, qui a fait dans la soirée du 7 février 2023 sa première intervention depuis l'été et son "affaire", sous les huées de certains députés de la majorité, choqués qu'il ne restât pas discret pendant sa peine de quatre mois de prison avec sursis.
« Face à ce sentiment qu’ont les femmes d’une société pas encore prête à accepter sans préjugés le congé menstruel, l’instauration d’une telle mesure doit à l’évidence s’accompagner d’une libération de la parole visant à briser le tabou des règles et d’une phase de pédagogie auprès de l’ensemble des salarié(e)s et de leurs dirigeants. » (Louise Jussian, chargé d'études de l'IFOP, septembre 2022).
Le communiqué ne précise pas si ce jour de congé est donné chaque mois ou pour une année (a priori, c'est chaque mois). Il précise par ailleurs que des protections hygiéniques sont accessibles gratuitement dans les locaux pour leurs salariées. La décision du PS est très osée financièrement puisque, à la suite des catastrophes électorales (qui s'apparentent à des catastrophes industrielles si on considère un parti comme une entreprise) depuis 2017, ce parti vit avec très peu de moyens, au point d'avoir dû quitter le siège "historique" du 10, rue de Solférino (ancienne résidence particulière du duc Albert de Broglie, achetée en 1980 par le PS) pour emménager le 12 octobre 2018 dans un sordide bâtiment industriel au 99, rue Molière à Ivry-sur-Seine.
Dans le monde politique, on a déjà vu une femme enceinte ne prendre que quinze jours de congé pendant toute sa grossesse et travailler presque normalement (une ministre très médiatisée). À l'opposé, la possibilité de congés menstruels réguliers, sans justification des douleurs (c'est-à-dire sans avis médical), peut être considérée comme une avancée en faveur des femmes et de leur bien-être dans leur milieu professionnel, au risque de certaines en profitent plus que d'autres.
La réflexion sur les congés menstruels est intéressante car elle touche un sujet très important des femmes. Je suis mal placé pour en parler (pour des raisons évidentes) et le sujet peut être évoqué, du moins en France, avec des petits sourires en coin qui ne devraient pas avoir lieu d'être, sourires typiquement machistes sinon graveleux. Il reste encore des révolutions sociales à faire.
D'ailleurs, une salariée sur cinq en France a déjà admis avoir été moquée à propos de ses règles, et le sujet a souvent été traitée par de l'humour (voir la chronique de Guillaume Meurice le 5 septembre 2017 sur France Inter, dans la vidéo à la fin de l'article). Ce qui nuit à la prise en compte du sérieux et parfois de la gravité de certaines situations.
Pourtant, c'est un sujet important qui pourrit régulièrement la vie de nombreuses femmes au travail (et pas seulement au travail). Dans un sondage réalisé par l'IFOP pour EVE AND CO du 12 au 15 septembre 2022 sur un échantillon de 993 femmes salariées âgées de 15 ans et plus, 53% des salariées sondées déclarent avoir des règles douloureuses, 35% considèrent que cela impacte négativement leur travail (un tiers, c'est beaucoup !), 65% ont été confrontées à des difficultés liées à leurs règles au travail (deux tiers !), 66% sont favorables aux congés menstruels en entreprises (les plus jeunes étant plus favorables que les plus âgées), mais 82% craignent que les congés menstruels soient un frein nouveau à l'embauche des femmes ou à l'évolution de leur carrière.
Le sujet n'est pas nouveau puisqu'une entreprise japonaise a adopté la mesure dès le début des années 1930 à la suite de revendications ouvrières. La mesure a été généralisée à toutes les entreprises au Japon en 1947 par loi (mais sans sanction pour les entreprises qui ne la respectent pas ; pour un tiers seulement, ce congé est payé), en Indonésie en 1948, en Corée du Sud en 2001, à Taïwan en 2013. En Zambie (en Afrique), cette possibilité est aussi offerte aux salariées, après une forte polémique dans le pays.
Dans plusieurs pays asiatiques, cette mesure a été adoptée, mais néanmoins, peu de femmes y ont aujourd'hui recours (au Japon, plus d'un quart des Japonaises y avaient recours en 1965, elle étaient moins de 0,1% en 2016) et certains pays attribuent même des primes de présence aux femmes qui n'y ont pas recours (en Corée du Sud par exemple).
En Europe, certains pays commencent à en parler. En Espagne, la loi a instituée les congés menstruels, elle est considérée comme une victoire des féministes (la loi a été adoptée par 190 députés contre 154 le 15 décembre 2022, proposant jusqu'à trois jours de congés par mois). En France, aucune disposition législative n'existe, mais certaines entreprises (ou associations) le permettent, à l'instar de la start-up Louis design depuis le 8 mars 2022, société qui propose du mobilier de bureau écoresponsable.
En fait, il y a deux problèmes en proposant des congés menstruels (un à trois jours par mois) : d'une part, ils risquent de réduire la productivité des femmes et donc, leur chance à l'embauche (malgré les lois contre les discriminations qui existent déjà, comme les discriminations contre les femmes en devenir de maternité) ; d'autre part, ils confortent la stigmatisation des femmes alors que les courants féministes veulent au contraire l'égalité (salariale notamment).
Le risque est même de renforcer la caricature de la femme qui a ses règles et qui ne serait pas capable de prendre les bonnes décisions en raison de ses humeurs (ce qu'estimait Colette malgré sa modernité, mais c'était il y a un siècle). Caricature qui ne peut évidemment pas cibler certains hommes caractériels ou colériques, entêtés, etc. qui sont aussi insupportables que certaines femmes (mais eux, en permanence !).
À mon sens, le congé menstruel ne devrait pas être institué par la loi pour la raison simple que c'est un problème de santé et que le sujet a déjà été traité par la Sécurité sociale. Si les périodes de menstruation pour certaines femmes sont douloureuses et impactent leur vie professionnelle, elles devraient avant tout consulter un médecin et que celui-ci leur prescrive un arrêt-maladie.
Cette solution permettrait, d'une part, de vérifier que les règles douloureuses ne cachent pas un problème plus grave (40% des femmes qui souffrent de douleurs pendant leurs règles sont atteintes de pathologie comme l'endométriose, maladie chronique souvent mal diagnostiquée chez la femme). Le fait d'avoir mal pendant ses règles n'est pas normal (et jamais anodin) et se soigner paraît meilleur que rester seulement chez soi. D'autre part, le secret médical étant là, le congé maladie même récurrent d'une femme au travail n'a pas à être justifié auprès de ses collègues ou supérieurs, tandis qu'un congé menstruel pris en tant que tel donne clairement le calendrier intime de la personne qui le prend.
Nul doute que les parlementaires français, dans leur niche propre à chaque groupe, s'empareront bientôt du sujet puisqu'il fait partie des sujets sociétaux par excellence, celui noble d'améliorer sincèrement, comme Françoise Giroud en fut la première ministre, la condition féminine.
« Ce n’est pas du tout de l’argent que j’ai sur mon compte. C’est la valeur des actions du groupe. Si les actions montent, ça monte, si les actions baissent, ça baisse. » (Bernard Arnault, "Le Monde" du 26 novembre 2019).
Un titre qui est fait pour attirer tant l'argent attire, dans un sens ou dans un autre. S'il est vrai, il est incomplet : Bernard Arnault (73 ans), patron du groupe de luxe français LMVH, a été l'homme le plus riche du monde pendant quelques heures ce mercredi 7 décembre 2022. C'est plus précis.
En effet, si lui et sa famille sont généralement au deuxième rang mondial dans le classement de la revue Forbes chaque année des grandes fortunes de la planète, cette année derrière Elon Musk, il existe aussi un classement en temps réel qui évalue les fluctuations des fortunes.
On pourra d'ailleurs toujours critiquer la méthode pour estimer la fortune d'une personne, puisque sa plus grande part reste très virtuelle, c'est le nombre d'actions multiplié par la valeur de l'action au temps t. Comme cette valeur fluctue tous les jours, les fortunes fluctuent aussi. Et si le classement change souvent au fil des années, et surtout, si les estimations grossissent énormément au fil des années, c'est avant tout grâce à la forte valorisation des entreprises dont les milliardaires sont propriétaires.
C'est donc une richesse qui est sur le papier, qui est réelle, bien sûr, car si le propriétaire de ces actions les vendait toutes, il recevrait cet équivalent sonnant et trébuchant, mais cela ne signifie pas qu'il est comme oncl' Picsou, sur une montagne d'or.
Cette explication permet de comprendre que le classement est, lui aussi, très virtuel, puisqu'en fonction du cours des actions, certains seront plus ou moins avantagés. Ce fut le cas de Bernard Arnault, qui a atteint la première place mondiale des milliardaires, avec une estimation de 184,7 milliards de dollars. Il a détrôné ce jour le premier du classement, Elon Musk, patron de Tesla, SpaceX et maintenant de Twitter, en raison d'un recul de l'action de Tesla.
Cependant, à 18 heures 30, Elon Musk est repassé devant Bernard Arnault (on est comme aux petits chevaux), avec une fortune de 184,9 milliards de dollars, tous les deux loin devant Gautam Adani (développeur portuaire et producteur d'électricité en Inde), avec 134,8 milliards de dollars, et Jeff Bezos, le patron d'Amazon, avec 111,3 milliards de dollars. Bill Gates (Microsoft) n'est qu'à la sixième place autour de 105 milliards de dollars et la famille Bettencourt (L'Oréal) à la quatorzième place avec environ 75 milliards de dollars (ces deux dernières estimations sont reprise du classement Forbes de 2022 et sont probablement "périmées"). Dans cette cour des très grands, Xavier Niel (Free), par exemple, est un "petit joueur" (!) avec une fortune de "seulement" 10 milliards d'euros (Il serait à la 230e place mondiale, selon Forbes, avec 5% de la fortune de la famille Arnault !).
Bernard Arnault s'était déjà hissé à la première place mondiale le lundi 24 mai 2021 pendant quelques heures, de 9 heures à 14 heures 30, en détrônant cette fois-ci Jeff Bezos, le premier de l'époque, de 300 millions de dollars, mais le patron de LVMH a dû rendre la première place à l'ouverture de la bourse à New York. La valeur patrimoniale de l'industrie de luxe est en hausse très largement ces dernières années, ce qui explique ces performances (les actifs de la famille Arnault ne valaient que 76 milliards de dollars en 2020). Moët Hennessy Louis Vuitton possède un portefeuille de plus de soixante-quinze marques de luxe qui sont très courues, comme Christian Dior, Givenchy, etc. La croissance du groupe est exceptionnelle, malgré la crise du covid-19 (Bernard Arnault, qui jouissait d'un salaire d'environ 8 millions d'euros par an comme patron en 2016, ne s'était pas payé en avril et mai 2020 au cause de la crise sanitaire).
Une petite remarque en passant : pourquoi vouloir être le premier ? C'est un peu ce qu'on a pu comprendre quand on a découvert les malversations supposées de l'ancien président de Renault, Carlos Ghosn. Quand on a 100 millions, pourquoi vouloir tripatouiller pour en avoir 110 ? Simplement parce qu'entre grands patrons, la valeur de la fortune et de la rémunération est le signe qu'ils sont les meilleurs. Il y a donc une course qui n'est même plus pécuniaire mais surtout égotique. L'existence de ce type de classement comme celui de Forbes, qui doit cependant être incomplet, certaines fortunes préférant vivre très cachées sous des sociétés très anonymes dans des paradis fiscaux, renforce ce type de compétition complètement délirante.
Une fois écrit cela, toujours avec la réserve que la majeure partie de la fortune est virtuelle et peut monter ou descendre selon les fluctuations de la bourse, on peut comprendre que ce sont des fortunes colossales et, pour bien dire, absolument impossible à appréhender. On peut encore imaginer ce que signifie 1 million de dollars, 10 millions, 100 millions... mais au-delà ? Une fois qu'on s'est acheté toutes les maisons voulues, voitures, assurer l'alimentaire pour quatre générations, être généreux avec ses amis et toutes les mouches qui gravitent autour de soi, payer son obole pour la reconstruction de Notre-Dame-de-Paris... ? C'est assez inimaginable.
Aux États-Unis, une telle information ferait chanter les citoyens d'un cocorico (gaulois), une fierté d'avoir su monter à la première place. Fierté du succès qui se calcule en sonnant et trébuchant, et sentiment d'être utile à la société, à son pays, au monde, en faisant travailler des centaines de milliers de personnes dans des activités économiquement pérennes.
Mais en France, un vieux reste catholique sans doute (pas le meilleur), on a l'argent honteux. On est supposé toujours trop mal payé mais on cherche à montrer qu'on a la meilleure voiture, la meilleure école pour ses enfants, etc. On recherche l'argent mais on dit rarement quand ça marche, quand ça prospère, on n'est pas des vantards imprudents comme Bernard Tapie, on est plutôt des discrets Bernard Arnault ou François Pinault, pas question de dire que ça roule au niveau des finances.
Alors, quand la fortune d'un Français est étalée en plein jour, au lieu du sentiment national de fierté, on a simplement un sentiment de jalousie. On va critiquer, on va vouloir même, pour les extrémistes, lui couper la tête, histoire de refaire la Révolution à l'endroit. En oubliant que la fortune de Bernard Arnault, il la doit à lui-même, à ses prises de risque il y a longtemps, à des fortes intuitions, à un travail acharné, à une stratégie pertinente, et bien sûr, à beaucoup de chances (et de relations).
Le marronnier nupo-mélenchoniste qui consiste à faire payer les riches pour se payer les services de l'État montre vite ses limites justement. Prenons Bernard Arnault, il est le plus riche des Européens et le deuxième plus riche au monde, donc, et il pèse 185 milliards de dollars, arrondissons à 200 milliards d'euros. C'est juste le déficit d'une année ou son double, selon les années. La dette publique en France, c'est 3 000 milliards d'euros. 200 milliards d'euros, non seulement ce n'est pas suffisant en confisquant tout, mais c'est en une seule fois, ce n'est pas tous les ans. On croit qu'en taxant les riches, cela apportera plus aux pauvres, mais on ne vaincra pas la pauvreté en éliminant les richesses. C'est le contraire qu'il faut faire.
Une certaine gauche prend toujours les problèmes à l'envers. Oui, il faut redistribuer les richesses ; oui, il faut de la justice sociale et surtout, de la solidarité nationale, car tout le monde ne part pas avec les mêmes chances, mais avant de redistribuer les richesses, il faut les produire, et c'est souvent ce qui manque à gauche dans le raisonnement. De la même manière, non, l'existence de milliardaires ne me gênerait pas si tout le monde avait de quoi se nourrir, se vêtir, se loger, se soigner, s'éduquer, se cultiver, etc. Mais ce n'est pas en éliminant les riches qu'on éliminera la pauvreté. Ce n'est pas le même ordre de grandeur malgré les nombres astronomiques des milliardaires. Ceux des déficits de l'État sont encore plus monstrueux.
Le dogme de l'égalitarisme freine sinon empêche les initiatives économiques en prenant des risques. Les réussites de jeunes entreprises (on le voit avec Amazon, Microsoft, Tesla, Google, Apple, etc.), jeunes par rapport à la grande industrie traditionnelle (comme Renault, Michelin, etc.), donnent des valorisations astronomiques. Mais pour une start-up de réussie, combien de fermées ?
Au fond, c'est comparable aux chanteurs, aux acteurs, aux écrivains... beaucoup ne percent pas, vivent chichement, et puis, parfois, un jour, c'est le jackpot, ça marche du tonnerre et leur rémunération est scandaleusement élevée... tout simplement parce que le marché le souhaite, en quelque sorte, parce que les consommateurs le veulent. Il y a donc une sorte de schizophrénie à reprocher à Bernard Arnault d'être ultrariche et, en même temps, à acheter soi-même un parfum ou du champagne de LVMH, ou encore à jalouser la fortune de Jeff Bezos tout en faisant systématiquement ses courses chez Amazon, etc.
Alors, face à cette information furtive très anecdotique (Bernard Arnault n'est pas resté longtemps en haut du podium), j'en reste simplement au sentiment patriotique en disant bravo les génies français de l'économie mondiale d'être capables d'égaler les plus grandes fortunes à l'étranger. Cela n'enlève rien à l'impérieuse nécessité de solidarité nationale, bien sûr, mais c'est du ressort de l'État de favoriser l'activité pour réduire le chômage, la précarité et la pauvreté. La jalousie et la haine n'ont jamais rien construit.