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17 janvier 2017 2 17 /01 /janvier /2017 21:16

Après la fin du second mandat de trente mois de l'Allemand social-démocrate Martin Schulz, sept candidats étaient en lisse pour prendre sa succession le 17 janvier 2017. Voici les résultats de cette désignation.

(Les résultats seront indiqués ici lors de leur annonce officielle).


Guy Verhofstadt (ADLE) a retiré sa candidature avant le premier tour.

Premier tour :

Suffrages exprimés validement au premier tour: 683
Suffrages exprimés au total: 718

Antonio Tajani (PPE) : 274 voix
Gianni Pittella (S&D) : 183 voix
Helga Stevens (conservateurs) : 77 voix
Jean Lambert (Verts) : 56 voix.
Eleonora Forenza (Gauche radicale) : 50 voix.
Laurentiu Rebega (extrême droite) : 43 voix.

Besoin d'un deuxième tour.


Deuxième tour :

Suffrages exprimés validement au deuxième tour: 691
Suffrages exprimés au total: 725

Antonio Tajani (PPE) : 287 voix
Gianni Pittella (S&D) : 200 voix
Helga Stevens (conservateurs) : 66 voix
Jean Lambert (Verts) : 51 voix.
Laurentiu Rebega (extrême droite) : 45 voix.
Eleonora Forenza (Gauche radicale) : 42 voix.

Besoin d'un troisième tour.


Troisième tour :

Suffrages exprimés validement au troisième tour: 690
Suffrages exprimés au total: 719

Antonio Tajani (PPE) : 291 voix
Gianni Pittella (S&D) : 199 voix
Helga Stevens (conservateurs) : 58 voix
Jean Lambert (Verts) : 53 voix.
Eleonora Forenza (Gauche radicale) : 45 voix.
Laurentiu Rebega (extrême droite) : 44 voix.

Besoin d'un quatrième tour.


Quatrième et dernier tour :

Suffrages exprimés validement au quatrième tour: 633
Abstention : 80.
Suffrages exprimés au total: 713

Antonio Tajani (PPE) : 351 voix
Gianni Pittella (S&D) : 282 voix



A donc été déclaré élu Président du Parlement Européen à 21h16 : Antonio Tajani, PPE et Italien.

 



Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170117-parlement-europeen.html

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20170117-presidence-parlement-europeen.html

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17 janvier 2017 2 17 /01 /janvier /2017 04:13

« Aujourd’hui, la coopération entre la Commission et le Parlement est revenue au centre des politiques européennes. C’était mon rôle de renforcer les institutions communautaires en unifiant les activités. Nous souffrions chaque jour un peu plus de l’impact des États membres, imposant leurs intérêts nationaux très spécifiques. Les institutions ont de nouveau joué leur rôle, respectant les traités. Aujourd’hui, la Commission est bien plus forte qu’il y a deux ans et demi. Le Parlement, aussi, est plus visible, plus fort, plus audible. » (Martin Schulz, "Journal du dimanche", le 12 janvier 2017).


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Ce mardi 17 janvier 2017, à partir de 9 heures (heure de Paris), a lieu, à Strasbourg, l’élection du nouveau Président du Parlement Européen. Le Président sortant, le social-démocrate allemand Martin Schulz (61 ans), député européen depuis juin 1994, vient de terminer son second mandat de 30 mois. Le mandat du Président du Parlement Européen est en effet de deux ans et demi, la moitié d’un mandat de député européen. Quatorze vice-présidents sont également désignés ce mardi et cinq questeurs ce mercredi 18 janvier 2017 pour la même période (2017-2019).


Cuisine électorale

La brièveté de ce mandat permettait jusqu’à maintenant une véritable entourloupe antidémocratique : les deux plus grands groupes, pourtant politiquement opposés, le PPE (centre droit, qu’on retrouve avec la CDU en Allemagne et "Les Républicains" en France) et les S&D (sociaux-démocrates, qu’on retrouve avec le SPD en Allemagne et le PS en France), avaient l’habitude de préempter l’élection du Président du Parlement Européen en alternant, en cours de mandat, un Président S&D et un Président PPE.

Ce fut ainsi que, malgré la victoire du PPE aux élections européennes du 25 mai 2014, Martin Schulz, pourtant social-démocrate, fut élu Président du Parlement Européen le 1er juillet 2014 par 409 voix sur 723. C’était d’ailleurs une première, puisque c’était son second mandat. Il avait présidé le Parlement Européen déjà du 17 janvier 2012 au 1er juillet 2014, selon un accord d’alternance établi aux élections européennes précédentes (du 7 juin 2009) et l’élection de son prédécesseur PPE, l’ancien Premier Ministre polonais Jerzy Buzek (76 ans), le 14 juillet 2009 (Martin Schulz fut élu pour la première fois le 17 janvier 2012 par 387 voix sur 670).

En juillet 2009, Martin Schulz avait même été considéré comme un "traître" par les centristes (libéraux démocrates), les Verts de Daniel Cohn-Bendit et même certains élus sociaux-démocrates car il avait négocié sa future élection (en 2012) en échange également du soutien pour un second mandat du médiocre José Manuel Barroso (PPE) comme Président de la Commission Européenne.


Martin Schulz, figure marquante

L’autre nouveauté, en 2014, au-delà d’un second mandat, ce fut que Martin Schulz s’était présenté en 2014 pour devenir le prochain Président de la Commission Européenne dans le cas d’une victoire des sociaux-démocrates, face à Jean-Claude Juncker (PPE), Guy Verhofstadt (centristes), Alexis Tsipras (gauche radicale) et quelques autres candidats (relire notamment sur le débat entre ces candidats).

Martin Schulz n’était donc pas une figure consensuelle mais clivante, engagée dans le combat politique et électoral, mais qui a aussi su donner ses lettres de noblesse au Parlement Européen qui a gagné de plus en plus de pouvoirs grâce au Traité de Lisbonne (on le dit trop peu : le Traité de Lisbonne a accru la démocratisation des institutions européennes qui en avaient besoin).

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D’ailleurs, si Martin Schulz a annoncé le 24 novembre 2016 qu’il renonçait à poursuivre sa carrière au Parlement Européen (je pense qu’il n’avait de toute façon pas les moyens politiques de rester à la Présidence du Parlement Européen), c’est aussi parce qu’il a des ambitions nationales en Allemagne.

Là encore, c’est nouveau : généralement, le Parlement Européen est la chambre de retraite ou le placard de certaines personnalités politiques sur le déclin (c’est le cas de beaucoup de parlementaires français, mais aussi d’anciens chefs de gouvernement comme en Belgique, Luxembourg, Pologne, etc.).

Martin Schulz, au contraire, a pris le Parlement de Strasbourg comme un tremplin de carrière et pas comme une destination pour la retraite : son ambition serait de devenir Chancelier de l’Allemagne, rêvant d’affronter Angela Merkel aux élections législatives de l’automne 2017.

Mais apparemment, bien qu’il soit la personnalité du SPD la plus populaire, il ne serait pas le leader du SPD à ces élections. En effet, selon le journal "Bild" du 10 janvier 2017, Sigmar Gabriel, président du SPD depuis le 13 novembre 2009 et Vice-Chancelier chargé de l’Économie et de l’Énergie depuis le 17 décembre 2013 dans le cadre de la grande coalition CDU-SPD, aurait décidé de défier lui-même Angela Merkel en automne prochain et il l’annoncerait officiellement le 29 janvier 2017.

Martin Schulz se préparerait donc plutôt à occuper une fonction ministérielle éminente, celle de Ministre allemand des Affaires étrangères, dont l’actuel titulaire, Frank-Walter Steinmeier (SPD), a été désigné le 14 novembre 2016 par la CDU et le SPD pour être leur candidat à l’élection présidentielle du 12 février 2017. Frank-Walter Steinmeier est donc certain d’être élu pour succéder à l’actuel Président de la République Joaquim Gauck, qui ne souhaitait pas renouveler son mandat, et va donc laisser vacant son poste ministériel.


Pas d’accord PPE-S&D

Revenons à l’élection du successeur de Martin Schulz à Strasbourg. L’autre surprise, c’est que l’accord qui avait permis la reconduction de Martin Schulz en 2014 a éclaté en plein vol. Le SPD a en effet décidé de présenter un candidat face au candidat du PPE. Pour se justifier, le SPD a déclaré vouloir éviter un monopole institutionnel du PPE (déjà à la tête de la Commission Européenne et de la Présidence du Conseil Européen : pourtant, dans toutes les démocraties, c’est normal que le parti qui a gagné les élections législatives préside à la fois le gouvernement, l’assemblée et même l’État). C’est non seulement une surprise, mais une sorte de trahison puisque sans cet accord PPE-SPD en 2014, jamais Martin Schulz n’aurait pu être réélu.

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Malgré cette rupture de "contrat", le retour à une confrontation classique est néanmoins plus démocratique et plus rassurant pour la pérennité des institutions européennes et en particulier du Parlement Européen dont le poids politique sera appelé à continuer à croître.

Je rappelle ainsi que lors d’une élection précédente du Président du Parlement Européen, le 20 juillet 2004, pour présider le premier Parlement réunissant pour la première fois des députés provenant des pays de l’Europe centrale et orientale (la plupart ayant officiellement adhéré le 1er mai 2004), les centristes (libéraux démocrates) et les Verts avaient souhaité rompre ce monopole PPE-SD pour faire élire Borislaw Geremek, leader historique de la Pologne libre, et honorer ainsi symboliquement les nouveaux membres de l’Union Européenne. Cela n’aurait pas manqué de panache comme accueil dans la nouvelle histoire.

Borislaw  Geremek avait réussi à atteindre 208 voix, très largement au-delà de son "audience partisane", face au socialiste espagnol Josep Borrel, 388 voix (élu), et au communiste français Francis Wurtz, 51 voix. Sans cet accord d’appareils de "je te donne/tu me donnes la fois prochaine", Borislaw Geremek aurait très certainement été largement élu. Josep Borrel fut ensuite remplacé par le démocrate-chrétien allemand Hans-Gert Pöttering, élu le 16 janvier 2007 par 450 voix sur 689.


La procédure formelle

Quelques petites règles de procédure : pour être candidat, il faut être député européen, bien sûr, et avoir été désigné par un groupe politique (donc par au moins 38 députés européens, soit 5% des sièges). Le scrutin est à bulletin secret, et pour les trois premiers tours, c’est le candidat qui a rassemblé la majorité absolue des suffrages exprimés (50% plus une voix) qui est élu. En absence de majorité absolue, au quatrième tour, seuls les deux candidats ayant obtenu le plus de voix restent en lice et le Président est élu à la majorité absolue (par nécessité). En cas d’égalité des voix, c’est le candidat le plus âgé qui est proclamé élu.

Rappelons ici les forces respectives des groupes politiques au sein du Parlement Européen, puisque chaque candidat va devoir compter ses voix. Il y a 751 députés européens répartis ainsi : 217 au groupe PPE (démocrates-chrétiens), 189 au groupe S&D (sociaux-démocrates), 74 au groupe CRE (conservateurs principalement britanniques), 68 au groupe ADLE (libéraux démocrates, centristes), 52 du groupe GUE (communistes), 51 du groupe des Verts (écologistes), 42 du groupe ELD (eurosceptiques dont l’UKIP de Nigel Farage et le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo ; ce fut aussi le groupe de Philippe de Villiers lorsqu’il était député européen), 40 du groupe d’extrême droite (auquel appartiennent le FN de Marine Le Pen, le FPÖ autrichien, l’AFD allemande et le Vlaams Belang belge flamand) et 18 non-inscrits.

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Comme on peut le comprendre, le Brexit va profondément modifier la réalité de deux groupes politiques, les conservateurs (CRE) et les eurosceptiques (ELD) car les élus britanniques sont dominants dans ces deux groupes. Quant au départ des élus travaillistes britanniques, il ne fera que réduire l’influence du groupe S&D (social-démocrate) sans porter atteinte à sa propre existence.


Le candidat du PPE

Avant d’évoquer les sept candidats déclarés, appesantissons-nous sur deux groupes en particulier.

Le PPE d’abord, qui devrait en principe remporter le scrutin : même sans l’accord avec les sociaux-démocrates, le PPE peut au moins bénéficier de la majorité relative au sein du Parlement Européen. Son candidat est donc considéré comme le favori. Or, depuis juillet 2014, un député européen était prêt à endosser ce rôle, Alain Lamassoure. Trois autres candidats à la candidature PPE se sont également déclarés.

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Voici les quatre candidats à la candidature du PPE.

Le Français Alain Lamassoure (72 ans) était un élu UDF puis UMP. Député européen de juin 1989 à mars 1993 puis depuis juin 1999, il fut le président de la stratégique commission des budgets du 14 juillet 2009 au 1er juillet 2014, puis président de la délégation française du PPE du 1er juillet 2014 au 5 octobre 2016. Par ailleurs, au niveau national, il fut quatre ans ministre, aux Affaires européennes du 30 mars 1993 au 11 mai 1995 puis au Budget du 7 novembre 1995 au 2 juin 1997. Diplômé de l’ENA, à la Cour des Comptes, ancien collaborateur de Maurice Druon à la Culture puis de Valéry Giscard d’Estaing à l’Élysée, il fut également député des Pyrénées-Atlantiques de mars 1986 (succédant à Michèle Alliot-Marie devenue ministre) à mai 1993 et en automne 1995, et aussi maire d’Anglet pendant quelques années et conseiller régional d’Aquitaine.

Officier de l’armée de l’air et journaliste, l’Italien Antonio Tajani (63 ans) est un proche de l’ancien Premier Ministre italien Silvio Berlusconi, son ancien porte-parole et l’un des cofondateurs de Forza Italia au printemps 1994 (vice-président du PPE en 2002). Député européen de juin 1994 à mai 2008 et depuis mai 2014, il a été élu premier vice-président du Parlement Européen le 1er juillet 2014. Son expérience européenne marquante est qu’il a été Vice-Président de la Commission Européenne du 8 mai 2008 au 1er juillet 2014, auprès de José Manuel Barroso, d’abord chargé des Transports puis, à partir du 10 février 2010, chargé des Industries et de l’Entrepreneuriat. En 2002, il s’est présenté aux municipales à Rome, mais a été battu par Walter Veltroni.

L’Irlandaise Mairead MacGuinness (57 ans), membre du Fine Gael, est députée européenne depuis juin 2004 et vice-présidente du Parlement Européen depuis le 1er juillet 2014.

Le Slovène Alojz Peterle (68 ans) a été le premier Président du gouvernement de la Slovénie indépendante du 16 mai 1990 au 14 mai 1992. Il fut ensuite Ministre slovène des Affaires étrangères du 25 janvier 1993 au 31 octobre 1994 et du 7 juin 2000 au 30 novembre 2000, et député européen depuis mai 2004. Avec seulement 32,0% des voix, il fut largement battu au second tour de l’élection présidentielle slovène du 11 novembre 2007 par Danilo Turk (lui-même battu à l’élection suivante au second tour du 2 décembre 2012, avec seulement 32,6%), ce dernier par la suite candidat au poste de Secrétaire Général de l’ONU.

Ces quatre candidats ont été départagés au sein du groupe PPE lors d’un vote interne le 13 décembre 2016. Alain Lamassoure n’a été placé qu’en troisième position, avec 38 voix, devant Alojz Peterle 18 voix. Antonio Tajani a remporté la désignation sans trop de difficulté avec 98 voix, et en deuxième place, Mairead MacGuinness a recueilli 57 voix.


Le candidat centriste (ADLE)

Le Belge Guy Verhofstadt (63 ans), ancien Premier Ministre de Belgique du 12 juillet 1999 au 20 mars 2008 et député européen depuis juin 2009 (président du groupe ADLE depuis le 30 juin 2009), a cherché à renforcer son groupe (quatrième par ordre d’importance) pour être à la troisième place et devenir l’arbitre d’une élection qui ne pourrait pas trouver facilement de majorité absolue. Il aurait pu imaginer un désistement du candidat S&D en sa faveur après le premier tour pour battre le candidat du PPE. Il était donc parmi les favoris, avec le candidat du PPE.

Mais ses combinaisons politiciennes l’ont hautement discrédité. En effet, Guy Verhofstadt a proposé le 6 janvier 2017 aux 17 députés européens du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo de venir rejoindre le groupe ADLE (libéraux démocrates) qui aurait alors atteint 85 sièges. Une proposition parfaitement étonnante quand on sait que les libéraux démocrates sont favorables au renforcement de l’intégration européenne alors que le Mouvement 5 étoiles, au contraires, est eurosceptique.

Pour Beppe Grillo, qui a considéré l’appartenance à un groupe (politique) d’une façon seulement administrative (et pas politique), il y a, à moyen terme, un danger de marginalisation dans son alliance avec l’UKIP, à cause du Brexit et de la sortie programmée des élus britanniques. Le 9 janvier 2017, Beppe Grillo a donc organisé un référendum en ligne qui a approuvé l’adhésion du Mouvement 5 étoiles au groupe ADLE avec 78,5% de "oui" de la part des votants.

Selon France Info, Beppe Grillo avait deux autres objectifs que celui purement européen : le premier était de « se donner des allures plus fréquentables » alors que son parti voudrait gouverner l’Italie, crédité de 30% dans les sondages, et le second de « dresser un écran de fumée » devant un scandale politico-financier éclaboussant la jeune et nouvelle maire M5S de Rome, Virginia Raggi, élue le 19 juin 2016.

L’alliance n’a cependant pas pu se concrétiser car après une levée de boucliers des députés européens ADLE très majoritairement choqués et opposés à l’arrivée des élus du M5S, Guy Verhofstadt a finalement dû jeter l’éponge dans la soirée du 9 janvier 2017. Bras droit de François Bayrou, Marielle de Sarnez (MoDem), membre du groupe ADLE, a été scandalisée par cette manœuvre bassement politicienne : « Quel bénéfice espérait-il en tirer ? (…) Franchement, je ne comprends pas. Pour le groupe le plus européen du Parlement, s’allier avec des populistes au moment où l’Union va si mal, c’est impossible ! » (9 janvier 2017).


Les sept candidats déclarés

En plus d’Antonio Tajani et de Guy Verhofstadt, cinq autres députés européens se sont déclarés candidats à ce jour.

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La Belge flamande Helga Stevens (48 ans) est députée européenne CRE depuis mai 2014. Auparavant, elle fut députée du Parlement flamand de juin 2004 à mai 2014, et sénatrice du Parlement fédéral belge de juillet 2007 à mai 2014, vice-présidente du Sénat fédéral belge du 20 juillet 2010 au 11 octobre 2011. Après des études en Belgique et en Californie, elle est devenue avocate. Sa particularité n’est pas anodine : elle est sourde de naissance et malgré ce grand handicap, elle a pu suivre de brillantes études de droit, être avocate et être femme politique, ce qui donne une idée de son caractère volontaire et persévérant.

Fils d’un ancien sénateur socialiste et frère d’un président de région, l’Italien Gianni Pittella (58 ans), chirurgien, est député européen social-démocrate depuis juin 1999, après avoir été élu député national d’avril 1996 à juin 1999. Élu vice-président du Parlement Européen de juillet 2009 à juillet 2014 (premier vice-président de janvier 2012 à juillet 2014), il est l’actuel président du groupe social-démocrate au Parlement Européen et, à ce titre, est très proche de Martin Schulz (qui a occupé cette fonction de juillet 2004 à janvier 2012).

L’Italienne Eleonora Forenza (40 ans), benjamine des candidats, communiste, est députée européenne depuis mai 2014.

La Britannique Jean Lambert (66 ans), écologiste, est députée européenne depuis juin 1999.

Le Roumain Laurentiu Rebega (40 ans), ingénieur en zootechnie, est député européen depuis mai 2014. Ancien membre du Parti conservateur en alliance avec les sociaux-démocrates en Roumanie, il fut membre du groupe S&D (sociaux-démocrates) au Parlement Européen avant d’être débauché par Marine Le Pen pour constituer son groupe d’extrême droite le 16 juin 2015 (elle lui avait promis de renforcer l’image des Roumains en Europe, notamment en les différenciant des Tziganes).

L’Italien Piernicola Pedicini (47 ans), chercheur en physique médicale, membre du Mouvement 5 étoiles et député européen ELD depuis mai 2014, a finalement retiré sa candidature à la Présidence du Parlement Européen le 11 janvier 2017, mais rien n’empêche une nouvelle candidature juste avant chaque tour de scrutin.

Si Antonio Tajani a l’avantage d’être soutenu par le groupe politique le plus nombreux, rien n’assure qu’il pourra réunir une majorité absolue de voix en raison de sa proximité avec Silvio Berlusconi. Un candidat de compromis pourrait alors survenir après le premier tour. Il y a une réelle incertitude sur l’issue d’un scrutin généralement considéré comme une "formalité" jusqu’à maintenant…

Les résultats de cette élection (un ou plusieurs tours) seront indiqués, lorsqu’ils seront proclamés, à ce lien.

Ce même jour, la Premier Ministre britannique Theresa May a prévu de prononcer à Londres un discours très important pour donner sa vision du Brexit. Par ailleurs, le Président chinois Xi Jinping a prévu, de son côté, d’exposer la vision de la Chine sur la mondialisation économique au Forum économique mondial de Davos. L’élection du nouveau Président du Parlement Européen ne sera donc certainement pas l’actualité internationale la plus marquante de ce 17 janvier 2017.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 janvier 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L’élection du Président du Parlement Européen le 17 janvier 2017.
Résultats de l’élection du Président du Parlement Européen du 17 janvier 2017.
La "déclaration d'amour" de Barack Obama à l'Europe.
La "déclaration d'amour" de Jean Gain à l'Europe.
La "déclaration d'amour" de Winston Churchill à l’Europe.
Jean-Claude Juncker.
José Manuel Barroso.
Le Brexit.
Le souverainisme, c’est le déclinisme !
Peuple et populismes.
Le défi des réfugiés.
Les Français sont-ils vraiment eurosceptiques ?
Le Traité constitutionnel européen.
Victor Hugo l’Européen.
Jacques Delors.
La crise grecque.
Monde multipolaire.
Tournant historique pour l’euro.
La transition polonaise.
Le Traité de Maastricht.
La débarrosoïsation de l’Europe.
La libération d’une partie de l’Europe.
La parlementarisation des institutions européennes.
Donald Tusk.
Angela Merkel.
La France est-elle libérale ?
Le pape pour le renouveau de l’Europe.
Composition de la Commission Juncker (10 septembre 2014).
Les propositions européennes de VGE.
Effervescence à Bruxelles.
Résultats des élections européennes du 25 mai 2014.
Le Traité de Lisbonne et la démocratie.
Guy Verhofstadt.
La France des Bisounours à l’assaut de l’Europe.
Faut-il avoir peur du Traité transatlantique ?
Le monde ne nous attend pas !
Martin Schulz.
Jean-Luc Dehaene.
Alexis Tsipras.
Débat européen entre les (vrais) candidats.
Les centristes en liste.
Innovation européenne.
Michel Barnier.
Enrico Letta.
Matteo Renzi.
Silvio Berlusconi.
Herman Van Rompuy.
Daniel Cohn-Bendit.
Mario Draghi.
Le budget européen 2014-2020.
Euroscepticisme.
Le syndrome anti-européen.
Pas de nouveau mode de scrutin aux élections européennes, dommage.
Risque de shutdown européen.
L’Europe des Vingt-huit.
La révolte du Parlement Européen.
La construction européenne.
L’Union Européenne, c’est la paix.
L’écotaxe et l’Europe.

_yartiPresidencePE04


http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170117-parlement-europeen.html

http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/parlement-europeen-election-188623

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/01/17/34812277.html


 

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9 janvier 2017 1 09 /01 /janvier /2017 01:55

« Désormais, son cœur sera partout où règnent le savoir, la culture et les livres ; ce ne sont plus les frontières, les fleuves ou les mers, pas plus que la condition, la race ou le rang social, qui divisent le monde ; il ne connaît plus que deux catégories d’individus : en haut, l’aristocratie de la culture et de la pensée ; en bas, l’ignorance et la barbarie. Là où règnent le livre et la parole, eruditio et eloquentia, c’est là qu’est sa patrie. » (Stefan Zweig, 1935).


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Le théologien humaniste, moine et chanoine, Érasme serait né à Rotterdam il y a cinq cent cinquante ans, le 27 octobre 1469. J’ai écrit au conditionnel car certaines sources le font naître deux ou trois ans plus tôt. Il est mort le 12 juillet 1536 à Bâle. Il fut un philosophe essentiel dans la pensée européenne. D’une immense érudition, mécontent de la traduction de l’époque, il a même traduit le Nouveau Testament (publié en 1516), ce qui, aux yeux de l’Église catholique, le "rangea" du côté de Luther.

On lui doit une œuvre philosophique gigantesque, sur de très nombreux sujets, l’art, l’éducation, la religion, etc. (certains regroupés dans "Colloques" en 1522), avec un style vif et efficace. Il a laissé notamment des écrits majeurs comme "L’Éloge de la Folie" [Stultitiae laus] qu’on a pu aussi traduire par "La Louange de la sottise", publié en 1511 à Paris, et qui fut interdit en 1558 par la Contre-réforme. Il a eu beaucoup d’influence sur la culture européenne. Écrit en latin à partir d’un "premier jet" rédigé chez son ami Thomas More (1478-1535) dont il partageait l’humour et l’ironie, l’ouvrage très satirique a eu aussi pour titre en grec (que je retranscris en lettre latine) : "Môrias egkômion" qui pourrait vouloir dire "Éloge de More". Jeu de mots et jeu d’idées, Érasme en était très friand.

Le texte est rédigé comme si la Folie s’exprimait elle-même, et au-delà de l’originalité du ton narratif adopté, il y a un véritable humour qui transparaît dans l’écriture d’Érasme comme on peut le lire au chapitre XX (il y a 68 chapitres en tout) : « Que de divorces et d‘aventures pires que le divorce ne multiplierait pas la vie domestique de l’homme et de la femme, si elle n’avait pour aliments et pour soutiens : la complaisance, le badinage, la faiblesse, l’illusion, la dissimulation, enfin tous mes satellites ! Ah ! qu’il se conclurait peu de mariages, si l’époux s’informait prudemment des jeux dont la petite vierge, aux façons délicates et pudiques, s’est amusée fort avant les noces ! Et plus tard, quel contrat pourrait tenir, si la conduite des femmes ne se dérobait à l’insouciance et à la bêtise des maris ! Tout cela s’attribue à la Folie ; c’est par elle que la femme plaît à son mari, le mari à sa femme, que la maison est tranquille et que le lien conjugal ne se dénoue pas. On rit du cocu, du cornard ; comment ne l’appelle-t-on pas ! Mais lui sèche sous ses baisers les larmes de l’adultère. Heureuse illusion, n’est-ce pas ? et qui vaut mieux que se ronger de jalousie et prendre tout au tragique ! ». Ce texte d’une grande lucidité (publié en 1511 !) pourrait être celui d’un auteur d’il y a un siècle, voire un demi-siècle, tellement cette pensée d’Érasme est si universelle et si moderne, si humaine (on comprend par ailleurs pourquoi ses ouvrages ont été mis à l’index !).

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Érasme a également compilé des milliers de citations grecques et latines dans ses "Adages" publié en 1500 à Paris (sous le titre "Collectanea Adagiorum") qui furent tellement un succès qu’il en fit de nombreuses rééditions augmentées (jusqu’à 4 151 citations dans la seizième édition de 1536 à Bâle), considéré comme un best-seller jusqu’en 1559 car alors interdit par le Concile de Trente. Il a ainsi pu transmettre la culture "classique" gréco-latine de grands auteurs par leurs centaines de citations (qu’Érasme a commentées évidemment, c’était sa valeur ajoutée), notamment Aristote, Tite-Live, Horace, Plaute, Cicéron, Plutarque, Virgile, etc.

D’ailleurs (petite parenthèse mondaine), si vous voulez briller lors d’un dîner ou lors d’une réception, n’hésitez pas à vous procurer ce livre qui vous donne la version originale (latine ou grecque) de vieux adages pourtant très connus en français, comme "In regione caecorum, rex est luscus" [Au royaume des aveugles, les bornes sont rois], "Oderint, dum metuant" [Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent !], "In diem vivrer" [Vivre au jour le jour], "Alterum pedem in cymba Charontis habere" [Avoir un pied dans la tombe], "In eadem es navi" [Être dans le même bateau], etc.


D'Érasme à ERASMUS

Cependant, il est probable que si l’on interrogeait des jeunes Européens sur ce que leur dit la figure d’Érasme, la première chose qui viendrait à l’esprit serait …Erasmus, qui n’est autre que son nom réel (en latin), mais aussi et surtout, l’acronyme d’un programme européen très connu et très prisé des étudiants européens : European Region Action Scheme for the Mobility of University Students.

En fait, j’aurais dû écrire des jeunes Européens au sens très large de la jeunesse, c’est-à-dire, jusqu’aux quinquagénaires, puisque le programme Erasmus a été créé en 1987 (avec les étudiants de l’époque, donc !). La motivation, c’était surtout de donner un sens concret à la construction européenne. Il fut décidé au Conseil Européen réuni les 25 et 26 juin 1984 à Fontainebleau sous la Présidence de François Mitterrand.

L’idée est géniale et l’hommage, par son nom, rendu au philosophe européen Érasme n’est pas anodin car le programme est vraiment d’inspiration érasmienne (je ne sais pas si l’adjectif est correct). Il s’agit de permettre aux étudiants du continent européen (pas seulement l’Union Européenne puisque des possibilités avec d’autres pays sont données, notamment la Turquie, la Norvège, l’Islande, etc., en tout trente-quatre pays européens) de pouvoir étudier environ un semestre (entre deux et douze mois) dans un autre pays que le sien tout en poursuivant son cursus universitaire. Pour cela, évidemment, il a fallu une équivalence des diplômes universitaires (ce que l’Acte unique européen a permis ; parmi les améliorations à vnir, il y a les équivalences des notes, les systèmes étant parfois très différents et les administrations des universités ont parfois du mal à suivre).

Ainsi, les étudiants du programme Erasmus ont le double avantage d’avoir un double diplôme (celui de son pays d’origine et celui de son pays de séjour), ainsi et surtout de vivre avec d’autres étudiants étrangers dans une ambiance conviviale et culturelle irremplaçable, maillon fort de leur vie étudiante pour les années futures (et même engendrant de nombreux couples et familles, selon la Commission Européenne en 2014, un million de bébés seraient nés des couples Erasmus et un tiers des anciens étudiants Erasmus aurait un partenaire de vie d’une autre nationalité). Le Prix Princesse des Asturies de la coopération internationale a même récompensé le programme Erasmus en 2004 comme l’un des programmes d’échanges culturels les plus importants de l’histoire de l’humanité (rien que cela, mais c’est justifié).

En 1987, le premier budget pour deux années universitaires fut de 85 millions d’euros (ECU à l’époque). Il est actuellement de près de 15 milliards d’euros sur la période budgétaire 2014-2020, soit 1,5% du budget global de l’Union Européenne (dont 1,2 milliard d’euros rien que pour la France). Car bien sûr, faire des études à l’étranger coûte cher, pour trouver un logement, les transports, les frais d’inscription, etc. Et pour que ce soit accessible à tous les étudiants, sans conditions de ressources, il faut donc une subvention européenne (complétée parfois par des aides régionales). En 1995, le programme s’est élargi aux jeunes apprentis et en 2004, s’est élargi au monde entier, en fonction des conventions entre les différents pays voulant s’impliquer. En tous, 167 pays sont participants à travers le monde ! Le programme s’appelle Erasmus+ depuis 2014 et s’adresse non seulement aux étudiants et aux apprentis, mais aussi aux lycéens de bac professionnel, collégiens, écoliers du primaire, enseignants, bénévoles d’associations, demandeurs d’emploi, etc.

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En 1987, 3 244 étudiants furent les heureux premiers "élus" de ce programme, dès 1988, ils furent 9 914, en 1989, 19 456… en 2016, ils furent 303 880 étudiants (cent fois plus !) dont 40 910 Français. Entre 1987 et 2017, on a compté ainsi 9 millions de personnes (dont 4,4 millions d’étudiants) qui ont suivi cette expérience passionnante du programme Erasmus, dont on peut retrouver l’ambiance humaine dans l’excellent film de Cédric Klapisch "L’Auberge espagnole" (sorti le 19 juin 2002). Il faut savoir aussi que le programme Erasmus a permis la mobilité professionnelle des enseignants, près de 40 000 en 2013.

Le 9 janvier 2017, l’Union Européenne a fêté le trentième anniversaire du programme Erasmus, avec beaucoup d’événements partout en Europe, par exemple, à Paris à l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Pour cet anniversaire, le journal "Le Figaro" en a profité pour interroger des étudiants Erasmus, comme Déborah pour qui ce programme a été un « véritable accélérateur de maturité » : « En Erasmus, toutes les différences se gomment et on construit des amitiés qui n’auraient pas existé ailleurs. » (9 janvier 2017). "Le Parisien" a interrogé Laure Coudret-Laut, directrice de l’Agence Erasmus+ France : « C’est une ligne très positive sur le CV, les anciens Erasmus s’insèrent plus vite sur le marché du travail et, quand ils sont au chômage, ils y restent moins longtemps. (…) [Erasmus] change réellement les étudiants ! C’est un gain de compétences en langues étrangères, en autonomie, en relations interculturelles, en ouverture sur d’autres manières de penser et de travailler. » (9 janvier 2017).

En 2018, 85 409 personnes ont bénéficié du programme Erasmus en France, dont 49 355 étudiants et 18 000 apprentis. En 2019, 247 millions d’euros ont été alloués pour ce programme en France.

Le Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker a d’ailleurs proposé de doubler le budget du programme Erasmus pour la nouvelle période budgétaire 2021-2027, à hauteur de 30 milliards d’euros (mais c’est sa successeure Ursula von der Leyen qui le proposera). C’est l’un des projets concrets et efficaces qui donnent aux citoyens un réel sentiment d’appartenance à l’Europe et à ses valeurs : 83% des étudiants Erasmus ont déclaré se sentir plus Européens après leur séjour.

À l’époque du trentième anniversaire, d’ailleurs, face aux inquiétudes sur le programme Erasmus suscitées par les conséquences du Brexit, le Ministre britannique des Affaires étrangères avait voulu rassurer en disant son souhait que le Royaume-Uni reste partie prenante du programme après sa sortie de l’Union Européenne. Ce ministre était …Boris Johnson.

L’éditorialiste Laurent Marchand avait alors écrit une chronique dans "Ouest France" : « Si tant de jeunes en Europe, et au Royaume-Uni, ont été choqués par le Brexit l’an passé, c’est parce que c’est une rupture de ce cadre. Ils ne comprennent pas la renaissance de barrières au milieu d’une Europe devenue leur terrain de jeu naturel. Ceux qui le peuvent, outre-Manche, se ruent sur les passeports irlandais que leur autorise une ascendance. Erasmus a trente ans à peine. C’est un peu jeune pour s’enfermer. » (9 janvier 2017).

Près de 10 millions de personnes sont passées en trente-deux ans dans cette extraordinaire maison commune humaine d’échanges et de convivialité qu’est le programme Erasmus. Là est l’espoir : ceux qui sont pour le repli sur soi, en Europe ou ailleurs, sont souvent des personnes qui n’ont jamais voyagé, et plus sûrement des personnes d’un certain âge, qui semblent dépassées par le monde d’aujourd’hui qui bouge (malheureusement) très vite, trop vite pour que tout le monde puisse vraiment suivre.

Alors qu’il y a encore deux générations, changer de région était déjà une sorte de véritable exil familial, les jeunes trentenaires d’aujourd’hui, grâce à Internet, grâce aux transports aériens moins chers, grâce à un meilleur apprentissage des langues, pensent global, leur monde personnel, leur univers, n’est plus leur région ni leur pays, ni même l’Europe, mais le monde entier. Une amie à Berlin, un groupe d’amis au Caire, un couple à Vienne, un interlocuteur professionnel à Sidney, un stage à Montréal, des vacances en Californie, etc. Certes, il faut pouvoir se financer cette extraterritorialité, mais la plupart sont capables de se débrouiller tout seuls, sans papa maman, travaillent, trouvent des moyens pour financer leurs rêves, leurs projets, leurs relations amicales lointaines. Pour eux, la notion de "village planétaire" a vraiment un sens, mais aussi une exigence : les inégalités, la pauvreté, la détresse humaine, même à dix mille kilomètres de son chez-soi douillet, deviennent beaucoup plus scandaleuses, insupportables, et pour tout dire, inacceptables.

C’est par cette génération, qui sera aux commandes économiquement, politiquement, culturellement, dans une vingtaine d’années, qu’il y a nature à rester optimiste sur l’évolution du monde et de la pensée politique. Elle sera basée par le respect mutuel des identités, identités d’autant intéressantes (et donc à protéger) qu’elles seront partagées, échangées avec les autres. Et d’ailleurs, comment défendre efficacement l’identité de son pays, de sa culture, si l’on refuse que les Autres viennent chez soi et qu’on refuse d’aller les voir chez eux ? C’est au contraire comme cela qu’elles meurent. Quand il n’y a pas échanges, quand il n’y a pas confrontation, il y a forfait. Le programme Erasmus est ainsi un programme exceptionnel de préservation des cultures et de leur interconnexion dans un monde en pleine complexité et en pleine évolution.

Terminons par Érasme, qui a écrit dans son original "Éloge à la Folie" : « Trouvez-vous une différence entre ceux qui, dans la caverne de Platon, regardent les ombres et les images des objets, ne désirant rien de plus et s’y plaisant à merveille, et le sage qui est sorti de la caverne et qui voit les choses comme elles sont ? (…) Il n’y a donc pas de différence ou, s’il y en est une, c’est la condition des fous qu’il faut préférer. Leur bonheur coûte peu, puisqu’il suffit d’un grain de persuasion ; ensuite, beaucoup en jouissent ensemble. ». Alors, soyons tous fous !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 octobre 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Érasme.
30 ans d’Erasmus.
Sylvie Goulard et la démocratie européenne.
8 contresens sur le Brexit.
Union Européenne : la victoire inespérée du Président Macron.
Européennes 2019 (7) : panorama politique continental.
Européennes 2019 (6) : le paysage politique européen.
Européennes 2019 (5) : les six surprises françaises du scrutin du 26 mai 2019.
Les résultats officiels des élections européennes du 26 mai 2019 en France (Ministère de l'Intérieur).
Ce que propose l’UDI pour les élections européennes de 2019.
François-Xavier Bellamy.
Nathalie Loiseau.
Marine Le Pen.
Européennes 2019 (4) : les enjeux du scrutin du 26 mai 2019.
Européennes 2019 (3) : l’Union Européenne est-elle démocratique ?
À quoi pense Nathalie Loiseau ?
La Vaine Le Pen.
Européennes 2019 (2) : enfin, la campagne commence !
Programme de la liste Renaissance (LREM) pour les élections européennes de 2019 (à télécharger).
Programme de la liste Les Républicains pour les élections européennes de 2019 (à télécharger).
Programme de la liste UDI pour les élections européennes de 2019.
Michel Barnier, pas très loin de la Présidence de la Commission Européenne.
Le testament européen de Jean-Claude Juncker.
Européennes 2019 (1) : la France des Douze ?
Le retour aux listes nationales aux élections européennes (2 décembre 2017).
Jean Monnet.
Emmanuel Macron à la conquête des peuples européens.
Le programme du CNR.
Discours de Robert Schuman le 9 mai 1950 au Salon de l’Horloge à Paris (texte intégral).

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170109-erasmus.html

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20 décembre 2016 2 20 /12 /décembre /2016 05:37

« Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
Je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les Juifs,
Je n’ai pas protesté, je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
Je n’ai pas protesté, je n’étais pas catholique.
Puis ils sont venus me chercher,
Et il ne restait personne pour protester. »

(Martin Nielmöller, pasteur et théologien allemand déporté à Dachau)



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Nouvelle journée de désolation ce lundi 19 décembre 2016. J’écris "nouvelle" car, hélas, il n’y a pas une semaine sans attentat sanglant faisant beaucoup de victimes. Le 9 décembre 2016, 56 morts au NIgéria. Le 10 décembre 2016, au moins 44 morts dans un attentat à Istanbul. Le 11 décembre 2016, 25 morts dans un attentat au Caire, dans une église copte et au moins 20 morts à Mogadiscio. Le 17 décembre 2016, un autre attentat en Turquie. Le 18 décembre 2016, 10 morts dans un attentat en Jordanie, dans un site touristique…

La Turquie semble être plongée et se noyer dans le terrorisme, ou plutôt, dans les terrorismes (au pluriel), islamiste et kurde. Heureusement condamné par toute la communauté internationale, l’assassinat d’Andreï Karlov, l’ambassadeur de Russie en Turquie, le 19 décembre 2016 à Ankara, lors du vernissage d’une exposition de photographies sur la Russie vue par les Turcs (un terroriste a tiré sur lui alors qu’il prononçait son discours) semblerait avoir été motivé par ce qu’il se passe à Alep.

Mais une nouvelle tragédie a eu lieu le soir du 19 décembre 2016 à Berlin, en plein centre ville, sur une place du marché de Noël. Un camion a tué au moins 12 personnes, avec un mode opératoire assez proche de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016. Le camion serait polonais, aurait été volé à son chauffeur qui aurait été tué.

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Tout est lourd de signification dans ces symboles.

Marché : c’est l’économie de marché qui est visée, c’est-à-dire, disons-le clairement, la liberté. La liberté économique, politique. Pas de marché sans liberté. Le débat politique concerne le niveau de régulation nécessaire pour encadrer cette liberté et préserver la solidarité des plus fragiles, mais sans économie de marché, il ne peut pas y avoir de liberté. Cela peut entraîner aussi une société de consommation très poussée, qu’on peut ressentir très pensante à l’approche des fêtes de fin d’année.

Noël : ce sont aussi les pays chrétiens qui sont visés. On le voit bien, pas seulement : les pays musulmans sont également visés et paient un lourd tribut au terrorisme, mais le terrorisme islamiste est en guerre contre les pays chrétiens. Noël est l’incarnation la plus forte du christianisme. Même s’il faudrait rappeler aux candidats terroristes que cette terre européenne fut certes chrétienne mais est aujourd’hui majoritairement déchristianisée.

Berlin : c’est le symbole de la puissance allemande, certains diraient de la puissance européenne. La capitale politique de l’Allemagne, et aussi une des capitales culturelles de l’Europe. Qui a connu à la fois le nazisme et le communisme. Si les paroles de compassion et de solidarité convergent autant vers Angela Merkel, c’est aussi parce qu’elle a voulu donner un sens à la prospérité économique allemande.

Lorsque les premiers internautes avaient réagi aux attentats de "Charlie Hebdo" en affichant un solidaire "Je suis Charlie", ils n’avaient fait que reprendre le fameux "Ich bien ein Berliner" prononcé par le Président John Kennedy le 26 juin 1963 à Berlin : « Il y a deux mille ans, la plus grande marque d’orgueil était de dire "civis romanus sum" [je suis citoyen romain]. Aujourd’hui, dans le monde libre, la plus grande marque d’orgueil est de dire Ich bin ein Berliner ! ».

Ce slogan sur Charlie pouvait aussi reprendre : "Nous sommes tous des Juifs allemands" qui était une réplique pour défendre Daniel Cohn-Bendit attaqué à la fois par l’extrême droite (journal "Minute" du 2 mai 1968) et les communistes (journal "L’Humanité" du 3 mai 1968) qui mettaient en avant son origine juive et son origine allemande pour mieux le discréditer.

Étrangement, la tragédie contemporaine revient à Berlin dans un moment qui devrait être celui de la joie, de la fête, de la préparation aux retrouvailles, à la convivialité. Ce soir du 19 décembre 2016, moi aussi, je me sentais Berlinois… et j’aimerais bien proposer ce slogan pourtant évident : "Nous sommes tous humains" !

Solidarité au peuple allemand !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 décembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L’attentat de Berlin du 19 décembre 2016.
L’unité nationale.
L'assassinat du père Jacques Hamel.
Vous avez dit amalgame ?
L'attentat de Nice du 14 juillet 2016.
L'attentat d'Orlando du 12 juin 2016.
L'assassinat de Christina Grimmie.
Les valeurs républicaines.
Les attentats contre "Charlie-Hebdo".
Les attentats de Paris du 13 novembre 2015.
Les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016.
Daech.
La vie humaine.
La laïcité.
Le patriotisme.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161219-attentat-berlin.html

http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/le-marche-de-noel-a-berlin-187692

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/12/20/34708360.html



 

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15 décembre 2016 4 15 /12 /décembre /2016 06:58

« Personne, pas même quelqu’un muni d’une grande expérience, ne peut seul améliorer les choses en Allemagne, en Europe, dans le monde, et certainement pas le Chancelier de l’Allemagne. » (Essen, 6 décembre 2016).


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Incontestablement, s’il fallait ne garder qu’une seule forte personnalité parmi les dirigeants du monde depuis le début du XXIe siècle, on hésiterait seulement entre Vladimir Poutine, "chef" de la Russie ("chef" puisque depuis le 31 décembre 1999, il a été alternativement Président et Premier Ministre de la Fédération de Russie) et Angela Merkel, Chancelière de l’Allemagne réunifiée depuis le 22 novembre 2005, soit plus de onze ans. Les deux personnalités ont la soixantaine passée et ont forgé une autorité incontestable tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur pays respectif.

Pour cette physicienne de l’Allemagne de l’Est, sous-estimée mais quand même encouragée par Helmult Kohl, Angela Merkel, l’air de rien, a réussi à établir une sorte de synthèse institutionnelle qui correspond bien à la mentalité allemande. Si, au contraire de Vladimir Poutine, Angela Merkel n’a pas été au pouvoir dès 2000, elle est quand même présidente de la CDU (l’Union démocrate-chrétienne allemande) depuis le 10 avril 2000, soit à peu près aussi longtemps que Vladimir Poutine est au pouvoir en Russie.

Lorsque le 20 novembre 2016, Angela Merkel avait annoncé devant les dirigeants de la CDU qu’elle briguerait un quatrième mandat aux élections législatives prévues en octobre 2017, personne n’avait vraiment été étonné, tant la classe politique allemande a peu de personnalités capables de lui succéder avec la même grandeur (pour le SPD, le futur ancien Président du Parlement Européen Martin Schulz semble s’y préparer). Ce fut même un soulagement. Entre parenthèses, on est donc très loin de cette pitoyable allocution télévisée du Président français François Hollande disant le 1er décembre 2016 qu’il n’osait plus se représenter, tant il souffrait d’impopularité.

C’est donc tout à fait naturellement que la Chancelière allemande a demandé le renouvellement de son mandat à la tête de son parti, la CDU, lors du 29e congrès à Essen ("manger" en allemand !). Le 6 décembre 2016, elle a donc été réélue triomphalement présidente de la CDU avec 89,5% des délégués. Même le score de François Fillon est ridicule par rapport à ce résultat.

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Il faut noter que s’il elle ne dépassera probablement pas la longévité d’Helmut Kohl à la tête de la CDU (plus de vingt-cinq ans, du 12 juin 1973 au 7 novembre 1998), elle a déjà dépassé Konrad Adenauer (plus de 15 ans, du 21 octobre 1950 au 23 mars 1966).

Cette réélection n’était pas une surprise, là non plus, mais ce qui était intéressant, c’était le niveau d’approbation. Lors du précédent vote pour son précédent mandat de deux ans, Angela Merkel avait alors recueilli 96,7% des délégués le 9 décembre 2014 à Cologne, et le 4 décembre 2012 à Hanovre, elle avait même eu son record avec 97,9% ! Mais 2014 et 2012, c’était avant une sorte de rébellion contre sa décision d’accueillir un million de réfugiés syriens en Allemagne.

Lors du précédent congrès à Karlsruhe le 14 décembre 2015, Angela Merkel avait cependant réussi à retourner l’assemblée en sa faveur malgré ces contestations internes. Sa position lors de la crise des réfugiés lui avait d’ailleurs valu des résultats désastreux dans les récentes élections locales, tant le 13 mars 2016 que le 18 septembre 2016 où le parti d’extrême droite (AfD) a même fait son entrée dans les instances berlinoises et l’AfD atteint actuellement 10% dans les intentions de vote pour les prochaines élections législatives.

Sur ses trois gouvernements (en trois législatures), Angela Merkel a dirigé deux gouvernements de grande coalition, c’est-à-dire d’alliance entre les deux principaux partis de gouvernement généralement opposés, la CDU et le SPD, en raison de l’émiettement électoral qui empêche l’un de ces deux partis d’obtenir une majorité absolue de députés avec leurs alliés traditionnels (les Verts pour le SPD, les libéraux du FDP pour le CDU qui ont été laminés lors des dernières élections législatives du 22 septembre 2013).

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Si elle s’est montrée inflexible lors de la crise de l’euro pour que chaque pays de la zone euro respectât scrupuleusement le pacte de stabilité, Angela Merkel a surpris par sa position sur les réfugiés. En définitive, elle a montré deux perspectives ; les moyens, l’orthodoxie budgétaire, pour atteindre la prospérité économique, et la finalité, pas pour s’enrichir forcément mais pour, le cas échéant, être suffisamment fort pour secourir ceux qui en auraient besoin, reprenant en cela les valeurs profondes de l’Europe, les valeurs chrétiennes que beaucoup veulent mettre en devanture et dont bien peu veulent tirer les conséquences sur le plan politique concret.

En ce sens, Angela Merkel devrait être considérée comme bien plus "progressiste", "sociale" que des gouvernements qui se revendiquent "de gauche" comme ceux de François Hollande, quand on pense que la France ne s’est engagée que sur l’accueil d’une trentaine de milliers de réfugiés, soit moins d’un réfugié par commune, soit moins d’une famille pour un quart ou un cinquième des communes.

Favorable à l’interdiction du voile intégral (« là où c’est juridiquement possible »), elle a réaffirmé très fortement les valeurs de l’Europe et de l’Allemagne : « Le droit allemand prévaut sur la charia ! ».

Dans son discours à Essen le 6 décembre 2016, Angela Merkel a reconnu qu’il ne fallait pas renouveler l’arrivée massive de réfugiés de l’année 2015 (900 000 sont venus s’installer en Allemagne) : « Une situation comme celle de l’été 2015 ne peut et ne doit pas se répéter ! » mais elle a refusé de fixer un "plafond" de 200 000 nouveaux réfugiés chaque année.

Comment le Président de la République François Hollande a-t-il pu laisser se développer l’angoisse, réelle du reste parmi le peuple, d’une sorte d’invasion, de "grand remplacement" (une expression particulièrement minable et nauséabonde), alors que la France est un pays de 66 voire 67 millions de nationaux ?

C’est d’ailleurs sur cette peur que le Front national de Marine Le Pen a pu autant progresser ces dernières années, prenant pour fonds de commerce la peur de l’étranger (xénophobie) et la peur des musulmans (islamophobie), sachant qu’il existe non pas des "musulmans de France" (expression indigeste) mais des Français musulmans (tout simplement).

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Indiscutablement, et c’est cet argument qu’elle fera valoir pour justifier la poursuite de son combat électoral dans les mois à venir, Angela Merkel est un pôle de stabilité assez rassurant dans ce monde si mouvant et si incertain, alors que David Cameron, Matteo Renzi, bientôt Barack Obama et François Hollande ont quitté ou vont quitter le pouvoir, parfois pour laisser place à des personnalités particulièrement imprévisibles et anxiogènes, comme Donald Trump.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 décembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Angela Merkel, l’honneur de l’Europe de la solidarité.
Hans-Dietrich Genscher.
Dix infographies sur les dix années au pouvoir d’Angela Merkel.
Le décennat de la Bundeskanzlerin.
Vidéos sur Helmut Schmidt.
La Réunification de l’Allemagne.
L’amitié franco-allemande.
Helmut Schmidt.
Helmut Kohl.
Angela Merkel.
Joachim Glauck.
Angela Merkel et François Hollande à Strasbourg.
Les risques de la germanophobie.
Martin Schulz.
Jean-Claude Juncker.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161206-merkel.html

http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/angela-merkel-l-honneur-de-l-187504

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/12/15/34684780.html


 

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15 novembre 2016 2 15 /11 /novembre /2016 03:05

« Un homme pas plus mal qu’un autre !… Quand on a cette ambition-là, on ouvre un bazar, on ne gouverne pas une nation. Parce que c’est une s@loperie de venir au pouvoir sans avoir une conviction à y appliquer. » (Émile Beaufort dans la bouche de Jean Gabin).


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L’un des acteurs majeurs du cinéma français, Jean Gabin, est mort à l’hôpital américain de Neuilly-sur-Seine il y a quarante ans, le 15 novembre 1976, à l’âge de 72 ans d’une leucémie. Les grands films auxquels Jean Gabin a participé, aux côtés d’autres grands acteurs et de grands réalisateurs, furent nombreux durant sa carrière et ont comptabilisé entre 150 et 200 millions entrées en salle.

En période de précampagne présidentielle pour 2017, c’est l’occasion de revenir sur l’un des chefs-d’œuvre du cinéma français, selon moi, le film "Le Président" réalisé par Henri Verneuil, adaptation d’un roman de Georges Simenon. Le film est sorti dans les salles le 1er mars 1961. Les dialogues, très savoureux, ont été écrits par le célèbre dialoguiste Michel Audiard.

L’histoire retrace un événement politique "totalement" imaginaire qui se passe précisément dans la France de la IVe République, avec la valse des Présidents du Conseil dans un régime d’assemblée. Elle peut aussi se passer sous la IIIe République au début du XXe siècle avec les nombreux scandales financiers qui ont émaillé le régime (Panama, etc.).

D’un point de vue chronologique, cela se situe plutôt durant la IVe République puisqu’il est question de la Première Guerre mondiale : « Au moment de Verdun, Monsieur Chalamont avait 10 ans… Ce qui lui donne, par conséquent, le droit d’en parler. Étant présent sur le théâtre des opérations, je ne saurais prétendre à la même objectivité. On a, c’est bien connu, une mauvaise vue d’ensemble lorsqu’on voit les choses de trop près ! Monsieur Chalamont parle d’un million cinq cent mille morts, personnellement  je ne pourrais en citer qu’une poignée, tombés tout près de moi. ».

Certaines scènes, comme la pétanque dans les jardins de Matignon, sont cependant des scènes typiques des années 1930. Le livre de Georges Simenon a été fini d’écrire le 14 octobre 1957, donc bien avant le retour de De Gaulle et le début de la Ve République.

Tout le film est centré sur le personnage du Président Émile Beaufort, qui est excellemment joué par Jean Gabin, avec deux voire trois unités de temps. Le présent du film, il est à la retraite, dans les 70 ou 80 ans (Jean Gabin n’avait que 56 ans lorsqu’il a tourné), éloigné dans une propriété en province, mais comme il est en train de rédiger ses mémoires, il y a des flash-back, il revient sur ses années au pouvoir (il a été chef du gouvernement), une ou deux décennies auparavant. Le livre de Georges Simenon évoque un homme de 82 ans au moment de sa retraite et des événements qui ont eu lieu il y a  vingt ans.

Parmi les autres personnages, il faut surtout prendre en compte l’autre personnage clef de l’histoire, Philippe Chalamont, joué par le très crédible Bernard Blier, qui fut l’ancien directeur de cabinet d’Émile Beaufort, mais, "marié à une banque", s’est enrichi par un délit d’initié découvert par Émile Beaufort. Plus tard, Philippe Chalamont est devenu un député d’opposition à Émile Beaufort et l’histoire se passe au moment où Philippe Chalamont est sur le point d’être nommé Président du Conseil et va voir son ancien mentor dans sa retraite pour être sûr qu’il ne ressortira pas la vieille affaire le concernant.

Avec ses grosses moustaches, son ton assez péremptoire et définitif, son bagout, son aspect très intimidant, Émile Beaufort campe à l’évidence la figure histoire de Georges Clemenceau. C’est notamment le cas lorsqu’il répond au courrier d’un magazine féminin et qu’il parle de sa femme morte depuis longtemps (Clemenceau a été divorcé et est devenu assez misogyne, ce n’est pas tout à fait le cas d’Émile Beaufort, mais les deux ont en fait pour seule épouse… la France).

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On peut néanmoins surajouter de nombreuses autres figures historiques : Aristide Briand, non seulement pour les moustaches mais aussi son attachement à la construction européenne et l’unité de temps qui colle sans doute le mieux à l’histoire ; Pierre Mendès France qui a quitté le pouvoir après l’incompréhension des députés sur sa politique ; le Général De Gaulle, qui a rédigé ses mémoires et qui s’est retiré à Colombey-les-Deux-Églises ; Antoine Pinay qui a reçu beaucoup d’hommes politiques durant sa retraite, presque une visite obligatoire pour les candidats gouvernants ; Winston Churchill également, pour ses mémoires, l’aspect un peu bourru, l’amour des cigares et du whisky ; également Gaston Doumergue qui fut un Président célibataire (en fait, il aurait fréquenté Doumergue, puisqu’il dit à sa secrétaire : « Tenez, envoyez donc [la photo] où je suis au gala des Petits Lits Blancs, avec le Président Doumergue et les Dolly Sisters ! »).

L’élément intéressant de ce film est bien entendu la tirade d’Émile Beaufort sur la construction européenne. Il faut recadrer le contexte du film qui est tourné après le retour de De Gaulle (le livre a été écrit avant ce retour) mais surtout après l’échec de la Communauté européenne de défense (CED) qui fut l’un des projets politiques majeurs sous la IVe République.

Émile Beaufort est pacifiste, attentif aux préoccupations sociales du peuple. Il sait donc fustiger les "banquiers" comme on pourrait le faire encore aujourd’hui : « Monsieur Chalamont, lui, a passé une partie de sa vie dans une banque à y penser aussi… Nous ne parlons forcément pas de la même Europe. ». Quels "banquiers" aujourd’hui ? Tout le monde pense à Emmanuel Macron. Oui, en effet, mais il faut penser aussi …à Henri Emmanuelli, qui a débuté sa vie active chez Rothschild et ne s’en est pas gêné pour se faire une réputation à l’aile gauche du PS (Benoît Hamon est son dauphin depuis 2008).

Parlons justement d’Europe ! Émile Beaufort est brossé comme un ardent partisan de la construction européenne, et, à l’instar d’Aristide Briand et de Victor Hugo, il souhaite des États-Unis d’Europe, une Europe fédérale qui permettrait de contrecarrer l’Europe de la finance, celle qui n’a pas besoin d’institutions pour imposer aux peuples une dictature de l’argent et des profits.

C’est sans doute cela que les anti-européens d’aujourd’hui n’ont pas bien compris quand ils citent cette tirade pour conforter leur europhobie. Émile Beaufort (Jean Gabin) explique justement que sans construction européenne, sans fédéralisme européen, l’Europe sera aux mains des financiers et des profiteurs.

Ce n’est évidemment pas Jean Gabin qui parle, ni même Henri Verneuil ni Michel Audiard, puisque c’est une fiction, mais cette tirade est rudement belle, bien vue, bien relevée et, chose étrange alors le film a déjà cinquante-cinq ans, elle est toujours d’actualité !

Émile Beaufort commence par l’Europe de la paix, tant militaire que sociale : « Durant toutes ces années de folie collective et d’auto-destruction, je pense avoir vu tout ce qu’un homme peut voir : des populations jetées sur les routes, des enfants jetés dans la guerre, des vainqueurs et des vaincus finalement réconciliés dans les cimetières, que leur importance a élevés au rang de curiosité touristique ! La paix revenue, j’ai visité des mines. J’ai vu la police charger les grévistes, je l’ai vue aussi charger des chômeurs… J’ai vu la richesse de certaines contrées, et l’incroyable pauvreté de certaines autres. Eh bien, durant toutes ces années, je n’ai jamais cessé de penser à l’Europe ! ». Il évoque sans doute la Débâcle et les grèves très dures de 1947, ce qui placerait le film plus dans les années 1950 que dans les années 1930 (c’est une fiction qui se nourrit de toute l’histoire du XXe siècle).

Il décrit ce que sera le pays sans son projet de fédération européenne : « Pourquoi croyez-vous, Messieurs, que l’on demande à mon gouvernement de retirer le projet de l’Union Douanière qui constitue le premier pas vers une Fédération future ? Parce qu’il constitue une atteinte à la souveraineté nationale ? Non pas du tout ! Simplement parce qu’un autre projet est prêt… Un projet qui vous sera présenté par le prochain gouvernement. Ce projet, je peux d’avance vous en énoncer d’avance le principe ! La constitution de trusts verticaux et horizontaux et de groupes de pression qui maintiennent sous leur contrôle non seulement les produits du travail, mais les travailleurs eux-mêmes ! On ne vous demandera plus, Messieurs, de soutenir un ministère, mais d’appuyer un gigantesque conseil d’administration ! Si cette assemblée avait conscience de son rôle, elle repousserait cette Europe des maîtres de forges et des compagnies pétrolières. ».

Et de finir ainsi, juste avant de quitter définitivement la scène parlementaire : « Et maintenant, permettez-moi de conclure. Vous allez faire, avec les amis de monsieur Chalamont, l’Europe de la fortune contre celle du travail. L’Europe de l’industrie lourde contre celle de la paix. Eh bien, cette Europe-là, vous la ferez sans moi, je vous laisse ! Ce gouvernement maintient son projet. La majorité lui refusera la confiance et il se retirera. J’y étais préparé en rentrant ici… ».





En fait, dans cette histoire (fictive), il n’y avait aucun projet de rechange, justement, l’Europe des financiers n’a pas besoin d’institutions européennes régulatrices, au contraire, elle a peur d’une instance supranationale qui pourrait les freiner dans leur conquête de profits, elle a peur d’une harmonisation fiscale, elle ne peut plus spéculer quand la monnaie devient unique, elle ne peut plus se jouer d’État contre un autre.

L’Europe que dénonce Émile Beaufort, cela pourrait ressembler à l’Europe d’aujourd’hui, celle de José Manuel Barroso, celle de Goldman-Sachs. Mais l’Europe d’aujourd’hui est aussi celle du programme Erasmus, celle d’Airbus (JJSS avait appuyé ce type de collaboration européenne bien avant l’heure), celle de projets spatiaux réussis comme Rosetta. L’Europe d’aujourd’hui est une Europe au milieu du gué, forcément incohérente car elle est allée trop loin ou pas assez loin.

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Et justement, l’Europe que préconise Émile Beaufort, c’est une Europe qui va plus loin, une Europe fédérale, des États-Unis d’Europe. C’est donc un contre-sens de vouloir faire de la récupération de ces belles tirades de Michel Audiard pour cracher contre la construction européenne. Cet excellent film "Le Président" est au contraire un extraordinaire hymne à l’Europe, à la construction européenne, à l’Europe de la paix et l’Europe des projets solidaires. Pas au repli sur soi, pas aux nationalismes de tous poils, pas à la xénophobie ni à la fermeture des frontières…

C’est en ce sens que ce film, excellemment interprété du début jusqu'à la fin, est un petit bijou du cinéma français, qui n’a pas pris une ride et dont les principaux contributeurs furent Jean Gabin, Bernard Blier, Henri Verneuil, Georges Simenon, et bien sûr, le très reconnaissable Michel Audiard.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 novembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jean Gabin.
Bernard Blier.
Qui imitera Thierry Le Luron ?
Thierry Le Luron, persifleur numéro un.
Coluche.
Alice Sapritch.
Georges Brassens.
Léo Ferré.
Grace Kelly.
Pierre Dac.
Christina Grimmie.
Abd Al Malik.
Yves Montand.
Daniel Balavoine.
Édith Piaf.
Jean Cocteau.
Charles Trenet.
Michel Galabru.
Gérard Depardieu.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161115-jean-gabin.html

http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/jean-gabin-a-la-rescousse-de-l-186245

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/11/15/34528888.html


 

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4 novembre 2016 5 04 /11 /novembre /2016 02:53

« Aucune nouvelle à ce sujet ne devra filtrer à l’extérieur ; la presse spécialement ne doit pas être informée. C’est donc pour cette raison que nous examinons cette question ici, en séance à huis clos du congrès. Il y a des limites à tout. Nous ne devons pas fournir des munitions à l’ennemi ; nous ne devons pas laver notre linge sale devant ses yeux. » (Nikita Khrouchtchev le 24 février 1956 au XXe congrès du PCUS, à propos de son rapport sur la déstalinisation).


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Il y a exactement soixante ans, le 4 novembre 1956, le Politburo du Parti communiste d’Union Soviétique a décidé de réprimer dans le sang la tentative de libéralisation du régime communiste en Hongrie. Cela coûta des milliers de vies humaines, et provoqua un exode de plusieurs centaines de milliers de Hongrois qui ont pu trouver asile politique dans l’Europe occidentale bienveillante et accueillante. Un petit rappel de l’histoire d’un pays qui, aujourd’hui, refuse l’accueil de réfugiés alors qu’il en avait bénéficié il y a seulement deux générations.

À Moscou, Nikita Khrouchtchev a pris le pouvoir le 14 septembre 1953 comme premier secrétaire du Parti communiste de l’Union Soviétique, quelques mois après la mort de Staline et a commencé la déstalinisation qui allait avoir des échos dans toutes les républiques communistes de l’Europe centrale et orientale.

Ce mouvement de réformes a inquiété certains apparatchiks soviétiques. Nikita Khrouchtchev était initialement partisan de la temporisation en Hongrie, comme le maréchal Gueorgui Joukov, héros de la Seconde Guerre mondiale et Ministre soviétique de la Défense, du 9 février 1955 au 26 octobre 1957, alors que Viatcheslav Molotov, Vice-Président du Conseil des ministres de l’URSS depuis le 16 août 1942 (jusqu’à 29 juin 1957), et Ministre soviétique des Affaires étrangères du 5 mars 1953 au 1er juin 1956, était partisan d’une répression totale, car l’appartenance de la Hongrie au Pacte de Varsovie était selon lui un élément captal de stratégie face aux "impérialistes" du camp "occidental".

La vraie date que l’historie a retenue n’est pas le 4 novembre 1956 mais le 23 octobre 1956. Le 23 octobre est devenue, en 1989, le jour de la fête nationale en Hongrie. Ce fut le début de ce qu’on a appelé "l’insurrection de Budapest".

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La Hongrie était devenue un pays satellite de l’Union Soviétique avec la proclamation de la "République populaire de Hongrie" le 18 août 1949. Elle formait, avec d’autres pays de l’Europe centrale, comme la Tchécoslovaquie un rempart entre l’Europe occidentale et l’Union Soviétique. Elle faisait partie des forces du Pacte de Varsovie, un équivalent alors soviétique de l’OTAN occidentale.

L’homme fort de cette Hongrie collée aux caprices de Staline fut Matyas Rakosi, secrétaire général du parti communiste hongrois de 1945 au 18 juillet 1956, considéré comme "le meilleur disciple hongrois de Staline". Il dirigea lui-même le gouvernement hongrois du 14 août 1952 au 4 juillet 1953. Pendant cinq ans, il développa la terreur au sein de la population, grâce à sa police politique (AVH) parmi les plus cruelles du bloc soviétique. Entre 1948 et 1953, près d’un 1,5 million de personnes furent arrêtées, torturées et jugées, près de 700 000 furent condamnées, de l’amende à la peine de mort, pour une population de moins de 10 millions d’habitants ! Les religions furent réprimées, des dizaines de milliers d’habitants furent expropriés et déportés.

Après la mort de Staline qui était son protecteur, les difficultés économiques du pays ont amené Matyas Rakosi à démissionner du gouvernement. Imre Nagy, un réformateur, dirigea une première fois le gouvernement hongrois du 4 juillet 1953 au 18 avril 1955.

Mais Matyas Rakosi, ayant conservé le contrôle du parti communiste, a pu reprendre le contrôle de la situation. Un de ses proches, Andras Hegedüs a finalement repris la Présidence du Conseil des ministres. Des milliers d’opposants au régime communiste furent exécutés alors qu’à Moscou, Nikita Khrouchtchev dénonçait le culte de la personnalité de Staline.

Cette dénonciation, qui a eu lieu le 24 février 1956, a eu des conséquences sur les autres pays du bloc soviétique encore restés staliniens. Matyas Rakosi fut poussé à la démission le 18 juillet 1956 avec l’obligation d’exprimer son autocritique. Il est parvenu néanmoins à nommer son successeur, Ernö Gerö, tout aussi stalinien que lui, à la tête du parti communiste hongrois du 18 juillet 1956 au 25 octobre 1956.

Les changements intervenus à la tête de la Hongrie n’ont pas été suffisants pour les étudiants et les forces vives de la Hongrie qui réclamaient une réelle déstalinisation ("dérakosisation") de leur pays. Des événements extérieurs contribuèrent également à la contestation. L’insurrection de Budapest a commencé le 23 octobre 1956 après plusieurs jours de manifestations d’étudiants pour soutenir les grévistes polonais et pour réclamer la libéralisation du régime en Hongrie.

Des grèves très dures avaient eu lieu en Pologne en juin 1956 (qui firent plusieurs dizaines de morts tués par la police) et Wladyslaw Gomulka fut placé à la tête du parti communiste polonais le 21 octobre 1956 pour préserver le régime communiste (il y resta jusqu’au 20 décembre 1970). Le 24 octobre 1956 à Varsovie, Wladyslaw Gomulka fustigea le stalinisme et proposa la démocratisation de la Pologne. L’armée soviétique a failli intervenir en Pologne mais le gouvernement polonais certifia à Moscou qu’il demeurait fidèle à la ligne soviétique. Ce fut donc pour soutenir le vent de réformes en Pologne que les Hongrois ont voulu manifester.

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Le soir même du 23 octobre 1956, l’AVH a tiré sur les manifestants venus se rassembler devant Radio Budapest, ce qui a engendré les premiers morts. Certains policiers et militaires hongrois ont rejoint les manifestants et la situation fut assez confuse. Il y a eu des morts dans les deux camps. 350 morts en une journée. Edina Koszmovszky, une étudiante de l’époque dont le père fut condamné comme "ennemi du peuple" et qui fut prise en otage dans les bâtiments de Radio Budapest, a raconté cinquante ans plus tard : « De l’autre côté de la rue, la bataille fait rage. Il y a les tramways renversés, des pavés descellés. J’ai vu un camion arriver de l’usine de Csepel, rempli d’armes. Et un agent de l’AVH qui flambait, pendu à un balcon… » ("L’Express" du 23 octobre 2006).

Le journal soviétique "La Pravda", de Moscou, parla, le 25 octobre 1956, des manifestants hongrois comme des "hooligans fascistes". Le traitement des médias russes de la crise en Ukraine en 2014 ressemblait à ce traitement des événements à Budapest en 1956 !

Partisan d’une riposte ferme, Ernö Gerö appela l’aide des Soviétiques. Le lendemain, Anastase Mikoyan (favorable au retour au pouvoir d’Imre Nagy) et Mikhaïl Souslov, membres du Politburo du PCUS, se rendirent à Budapest pour accompagner une première intervention de l’armée soviétique, l’entrée dans la capitale de 650 chars soviétiques et de 6 000 militaires soviétiques.

Ernö Gerö appela Imre Nagy à la tête du gouvernement pour le compromettre, mais ce dernier refusa de signer une demande d’intervention soviétique. Détesté par le peuple, Ernö Gerö fut poussé le 25 octobre 1956 à la démission par les Soviétiques. Ernö Gerö et Andras Hegedüs s’exilèrent à Moscou.

Janos Kadar est devenu ensuite le nouvel homme fort de la Hongrie soutenu par l’URSS. Janos Kadar a été le chef de l’AVH et Ministre de l’Intérieur, appliquant à la lettre la politique stalinienne de Matyas Rakosi, au point d’accepter que ce dernier fît exécuter son ami Laszlo Rajk (ancien Ministre des Affaires étrangères et ancien Ministre de l’Intérieur, fondateur de l’AVH) le 15 octobre 1949 pour créer la terreur. Janos Kadar fut lui-même victime de la terreur stalinienne et fut arrêté. Ce fut Imre Nagy, Président du Conseil des ministres, qui le libéra en 1954.

Lorsqu’il est arrivé à la tête du parti communiste hongrois, le 25 octobre 1956, Janos Kadar a d’abord soutenu les insurgés. Imre Nagy, qui avait été exclu du parti communiste mais rappelé par Ernö Gerö, déclara aux insurgés le 24 octobre 1956 : « Peuple de Budapest, je vous informe que tous ceux qui déposeront les armes et cesseront le combat à 14 heures aujourd’hui ne feront l’objet d’aucune poursuite. En même temps, j’affirme que nous réaliserons aussi tôt que possible une démocratisation systématique du pays dans les domaines économique, politique, institutionnel. Tenez compte de notre appel ; cessez le combat et agissez pour la restauration de l’ordre et de la paix dans l’intérêt de l’avenir de notre patrie. ». Un cessez-le-feu a eu lieu le 28 octobre 1956 et les chars soviétiques quittèrent la capitale hongroise le 30 octobre 1956 sans avoir réellement combattu mais sans quitter la Hongrie.

Imre Nagy forma son nouveau gouvernement le 27 octobre 1956 en y incluant des non-communistes. Ferenc Münnich fut nommé Ministre de l’Intérieur. Imre Nagy commença à libéraliser le pays. Il a instauré le pluripartisme, a dissous l’AVH, a fait quitter la Hongrie des forces du Pacte de Varsovie le 31 octobre 1956 et a même proclamé la neutralité de son pays le 1er novembre 1956.

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De telles mesures, qui allaient à l’encontre des intérêts vitaux des Soviétiques, ne pouvaient pas passer sans difficulté, d’autant plus que le 29 octobre 1956, les troupes françaises et britanniques sont intervenues en Égypte, pour reprendre le contrôle du canal de Suez. L’URSS devait montrer sa puissance, tandis que le principal ennemi pendant la guerre froide, les États-Unis, étaient en pleine campagne présidentielle (pour la réélection de Dwight Eisenhower).

Moscou, toujours très hésitant, changea en deux jours sa position. Mao Tsé-Toung et Liu Shaoqi eurent une influence déterminante dans la décision finale de Nikita Khrouchtchev. Il y a eu beaucoup de duplicité et même des mensonges durant cette période. Imre Nagy fut abusé notamment par Janos Kadar et Youri Andropov, ambassadeur de l’URSS en Hongrie, futur chef suprême de l’URSS (et futur chef du KGB).

Janos Kadar retourna ainsi sa veste et prépara une reprise en main musclée avec l’armée soviétique en se rendant à Moscou. Youri Andropov dirigea la répression militaire et fit la coordination avec Nikita Khrouchtchev et Gueorgi Joukov. Le 31 octobre 1956, Ferenc Münnich se rendit à Moscou et en revint avec Janos Kadar qui le garda à l’Intérieur dans son propre gouvernement à partir du 4 novembre 1956. Il fut également Ministre de la Défense jusqu’au 1er mars 1957, puis Président du Conseil des ministres du 28 janvier 1958 au 13 septembre 1961.

L’opération a commencé le 4 novembre 1956 très tôt dans la matinée. Les centaines de chars soviétiques ont pris positions à Budapest et dans les grandes villes, et ils ensanglantèrent la Hongrie. L’intervention militaire a duré du 4 au 15 novembre 1956. Environ 3 000 citoyens hongrois furent massacrés à cette occasion, plus de 700 militaires soviétiques furent tués, des dizaines de milliers de citoyens hongrois furent arrêtés, condamnés et parfois exécutés. Les démocraties libres de l’Europe occidentale n’ont pas réagi sinon par le verbe. De nombreux communistes français quittèrent d’ailleurs leur parti pour cette raison.

Le gouvernement d’Imre Nagy fut dissous dès le 4 novembre 1956. Janos Kadar prit la Présidence du Conseil des ministres en la cumulant avec la tête du parti communiste hongrois. Il dirigea le gouvernement hongrois du 4 novembre 1956 au 28 janvier 1958 puis du 13 septembre 1961 au 30 juin 1965 mais resta le maître de la Hongrie, à la tête du parti communiste hongrois jusqu’au 27 mai 1988 (à l’approche de la chute du bloc soviétique) et il accepta par la suite, dans les années 1980, quelques mesures de libéralisation de l’économie hongroise.

De son côté, se considérant toujours le chef du gouvernement légitime, Nagy Imre tenta de résister aux forces communistes dans la partie occidentale de la Hongrie. Jusqu’au 21 novembre 1956, 200 000 citoyens hongrois ont pu quitter la Hongrie et ont demandé asile politique à l’Autriche et à d’autres pays limitrophes parce qu’ils étaient pourchassés par le régime communiste.

Coincé dans l’ambassade de Yougoslavie (Tito était un opposant notoire du stalinisme), Imre Nagy fut arrêté par le KGB le 22 novembre 1956. Après un procès bâclé et secret, il fut condamné à mort et fut exécuté le 16 juin 1958 à Budapest (par pendaison). Ce fut pour se souvenir de cette date que le 16 juin 1989, alors que le régime allait se libéraliser, le corps d’Imre Nagy, inhumé de manière anonyme, fut exhumé et enterré de nouveau avec des funérailles nationales. Il est devenu un héros national pour avoir cherché à démocratiser un régime impossible à amender.

Après la reprise en main par l’armée soviétique, il y a eu 26 000 personnes jugées, 22 000 furent condamnées, 13 000 à de la prison, 350 furent exécutées, plusieurs centaines furent déportées en URSS.

À l’extérieur, des personnalités communistes ouest-européennes comme Giorgio Napolitano ont soutenu l’intervention soviétique en Hongrie (Giorgio Napolitano fut élu Président de la République italienne du 15 mai 2006 au 14 janvier 2015). Au contraire, des proches du PCF en France, comme Emmanuel Le Roy Ladurie, ont quitté le parti à cause de son soutien à la répression, Albert Camus et Jean-Paul Sartre protestèrent contre le massacre. Le futur essayiste d’extrême droite Dominique Venner, alors étudiant, participa à une mise à sac du siège du PCF le 7 novembre 1957 pour son soutien à la répression en Hongrie (Dominique Venner s’est suicidé à Notre-Dame de Paris il y a trois ans).

La démission de Janos Kadar le 27 mai 1988 pour cause de maladie laissa place aux réformateurs, malgré la désignation d’un conservateur, Karoly Grosz à sa succession. Le réformateur Imre Pozsgay, promu au politburo du parti communiste hongrois, a prôné la libéralisation du régime et de l’économie, et le 28 janvier 1989, déclara que l’insurrection n’était pas une contre-révolution mais un soulèvement populaire. Janos Kadar est mort le 6 juillet 1989, le même jour que la réhabilitation, par la Cour suprême, d’Imre Nagy.

Ce fut le 23 octobre 1989, donc quelques jours avant la chute du mur de Berlin, que la "République populaire de Hongrie" fut dissoute. La date fut choisie en l’honneur de la courageuse insurrection de Budapest. Le Président de la Fédération de Russie, Boris Eltsine, est venu à Budapest en novembre 1992 présenter les excuses de l’ancienne Union Soviétique aux députés hongrois pour le massacre commis par l’Armée rouge en novembre 1956 et a apporté au Président Arpad Goncz un dossier d’archives soviétiques concernant le rôle des dirigeants de l’URSS dans cette tragédie.

Que cet épisode tragique de l’histoire hongroise laisse le souvenir que tout peuple peut, un jour, être touché par une catastrophe humanitaire, qu’elle soit politique ou, peut-être plus probablement dans l’avenir, climatique. Refuser l’accueil de ceux qui demandent à l’aide, c’est refuser son propre salut le jour où les temps deviendront plus difficiles. La solidarité humaine ne se compartimente pas…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 novembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L’insurrection de Budapest.
La Hongrie et la crise des réfugiés.
La Réunification allemande.
Tiananmen 1989.
Le référendum du 2 octobre 2016 en Hongrie.
La Hongrie de Viktor Orban.
La Hongrie d’Imre Pozsgay.
La Hongrie d’Arpad Goncz.
György Ligeti.
Angela Merkel.
Jean-Claude Juncker.
La crise des réfugiés.
Populismes.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161104-hongrie-budapest.html

 

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26 octobre 2016 3 26 /10 /octobre /2016 00:36

« L’an prochain, ce sera mon successeur qui vous exprimera ses vœux. Là où je serai, je l’écouterai le cœur plein de reconnaissance pour le peuple français qui m’aura si longtemps confié son destin, et plein d’espoir en vous. Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. » (Allocution télévisée du 31 décembre 1994).


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Il y a 100 ans, le 26 octobre 1916, François Mitterrand est né à Jarnac. Toute la Mitterrandie résiduelle honore ce centenaire par un grand colloque qui se tient ce mercredi 26 octobre 2016 au Louvre. Cela commence par la culture avec pour grand prêtre l’irremplaçable Jack Lang, et la journée se termine par une allocution de son meilleur imitateur, le Président de la République François Hollande.

La personnalité, le parcours politique, les ambiguïtés de François Mitterrand auront encore de quoi occuper les historiens et psychologues pour les décennies à venir. Je profite de cette petite fenêtre sur François Mitterrand pour évoquer trois points.


1. La politique politicienne

C’est sûrement un point commun que partage François Hollande (mais pas seulement lui !) : François Mitterrand raffolait de politique politicienne. Édouard Balladur, qui fut son dernier Premier Ministre, en pleine cohabitation, s’en est aperçu à ses dépens. Il croyait au soutien implicite du chef de l’État à sa candidature à l’élection présidentielle de 1995 et il s’est rendu compte que le vieux "monarque" lui préférait son grand rival, Jacques Chirac, juste pour montrer sa capacité de diviser, d’influencer, de nuire.

En février 2016, Édouard Balladur s’en est expliqué à Gérard Courtois, du journal "Le Monde" : « Lors de notre premier entretien, le soir même [après sa nomination à Matignon], Mitterrand (…) a été extraordinairement agréable, soulignant que nous étions l’un et l’autre des anciens élèves des pères maristes, au 104 rue de Vaugirard, que nous aurions pu être amis… (…) Je n’ai pas répondu. Ce jour-là, et souvent par la suite, j’ai trouvé ses procédés de séduction un peu voyants et ses compliments excessifs. Dès ce moment-là, je crois qu’il m’en a voulu de ma réserve. J’entendais marquer que je n’étais pas dupe. (…) À plusieurs reprises, il m’a remercié de faire en sorte, sans le dire, que la marche de l’État ne souffre pas de l’état de sa santé. ».

Puis, il a décrit amèrement le cynique : « Il s’est contenté de peser sur le cours des choses en favorisant quelque peu mon concurrent [Jacques Chirac]. J’imagine qu’il voulait démontrer qu’il détenait encore un pouvoir sur l’événement. En politique, il y a deux catégories d’hommes : ceux pour qui la conquête et l’exercice du pouvoir est en soi une jouissance et ceux pour lesquels il y a aussi autre chose. François Mitterrand adorait observer le comportement des hommes, le jeu des rivalités et des ambitions, ce que tel ou tel faisait, disait ou pensait, les manœuvres des uns et des autres… Cette passion inépuisable était chez lui évidente. » ("Le Monde", numéro hors-série sur le centenaire : "François Mitterrand, le pouvoir et la séduction").

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Un exemple de cuisine politicienne que François Mitterrand savait confectionner et savourer, raconté par le philosophe Jean-François Revel en 1997 : « Tel ou tel aspect d’un examen désintéressé du réel pouvait, un fugitif instant, attraper son attention, parce qu’il pensait en tirer (…) un projectile politique à jeter au visage de l’adversaire, dans une intrigue sournoise ou au grand jour d’une tribune. » ("Le Voleur dans la maison vide", éd. Plon).

Et Jean-François Revel de citer l’exemple édifiant d’une « impardonnable légèreté », les nationalisations : « Pour signer le "programme commun de gouvernement" avec les communistes, il avait accepté les exigences de ces derniers en matière de nationalisations des entreprises françaises. (…) Ces nationalisations en rafale, qui devaient blesser si grièvement la France au cours des premières années de sa Présidence, entre 1981 et 1984, Mitterrand considérait de toute évidence que j’étais bien futile d’en faire tout un plat. Pour lui, elles n’avaient par elles-mêmes aucune importance. Elles n’étaient qu’un moyen d’empocher les voix communistes, soit plus d’un cinquième de l’électorat français à l’époque, et de consolider le ralliement à sa personne des nouveaux socialistes, plus gauchisés, plus marxistes et moins sociaux-démocrates que leurs aînés. » (1997).

Le philosophe proposait ainsi une analogie assez parlante : « Pour lui, mes reproches valaient ceux d’un faiseur d’embarras, protecteur des animaux, qui lui aurait reproché de s’habiller en chasseur tout en se moquant de la chasse, pour se rendre à l’invitation cynégétique d’un châtelain, utile à rencontrer en vue de conclure un fructueux contrat. ».

Ce qui lui permettait de conclure comme un couperet de guillotine : « Au fond, les idées lui servent à percer les mobiles égoïstes de l’action, y compris chez lui, jamais à tenter d’adapter la conduite des affaires publiques à la compréhension de son époque. » (1997).

On notera que la taxation à 75% des hauts salaires proposée (malgré son anticonstitutionnalité) sur TF1 le 27 février 2012 par le candidat François Hollande répondait à cette même logique (prendre les voix de Jean-Luc Mélenchon).


2. La démocratie

Le 15 mai 1995, juste avant de quitter l’Élysée, François Mitterrand s’est entretenu avec l’historien François Bédarida. Leur intéressante conversation a été publiée le 29 août 1995 par "Le Monde".

Il est assez amusant de lire son introduction, qui pourrait être la même que celle de Nicolas Sarkozy, à cela près que le 15 septembre 2008 fut vraiment un choc de même ampleur que le 24 octobre 1929 : « Quand j’ai été porté à la Présidence de la République, manque de chance, la France, avec l’ensemble du monde occidental et industriel, s’est trouvée plongée dans la plus grave crise économique qu’elle ait connue depuis 1929. Et ça a duré jusqu’à la fin, elle s’achève juste maintenant. Dans ces conditions, il est très difficile de conduire la politique que l’on voudrait conduire. ».

Cette réécriture de l’histoire n’est même plus risible (les deux chocs pétroliers ont eu lieu le 17 octobre 1973 et le 27 mars 1979), plus personne n’est dupe de ce quatorzennat interminable de François Mitterrand. Cela ne l’a pas empêché pour autant de rappeler quelques évidences.

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Par exemple, que le combat pour la démocratie n’était jamais vain : « Quand j’avais vingt ans et jusqu’à ce que j’en aie quarante, j’ai entendu tous les commentateurs les plus connus, les éditorialistes des journaux, prétendre qu’il n’y avait rien à faire pour ces pauvres démocraties impuissantes contre le rouleau compresseur soviétique. Nous étions battus d’avance, nous étions le désordre, l’incapacité de commandement, l’impuissance, l’absence de continuité dans la doctrine de gouvernement. Et puis, c’est le contraire qui s’est passé. En Amérique latine, les dictatures, pour la plupart, se sont effondrées. Et en Europe, moi, quand j’avais vingt ans, c’était Hitler, Staline, Mussolini, Salazar, Franco, Antonescu… Tous ceux-là sont tombés au bénéfice de la démocratie. Il n’y a pas de combat désespéré. Je crois que la démocratie est l’axe de progrès indispensable des temps à venir, indispensable, sans quoi ce serait de nouveau le trouble général, l’abandon de l’indépendance de l’esprit, la domination des quelques-uns, c’est-à-dire un peu plus de barbarie. » ("Le Monde" du 29 août 1995).


3. L’indispensable construction européenne

Comme je l’avais exprimé dans le bilan que j’avais proposé il y a cinq ans, la politique européenne de François Mitterrand a sans doute été l’une de ses (très) rares œuvres positives durant ses deux mandats.

Il avait dans l’esprit une véritable vision de la France, de son indépendance, de sa souveraineté, de son avenir, mais qui nécessitait forcément une unité européenne. Pour lui, avec raison, parce qu’il l’avait connue, « le nationalisme, c’est la guerre ! » (affirmé au cours d’un ultime discours le 17 janvier 1995 au Parlement Européen de Strasbourg).

Dans les mêmes entretiens que précédemment, il a pressenti deux mouvements historiques.

Le premier tendant à l’unification, tant du continent européen (passage de Six à Vingt-huit, mais il n’a connu que les Quinze), que des autres continents, le continent américain, l’Organisation de l’unité africaine et le Sud-Est asiatique : « On va vers l’unité, on cherche à lier géographiquement en voisinage, en bon voisinage, les intérêts qui naguère étaient contradictoires. Cela pourrait nous conduire à une Europe plus ou moins fédérale, plus ou moins confédérale (…), dans laquelle il y aura une sorte d’unité de direction dans les deux sens du mot : de direction par la simplicité du commandement et aussi de direction dans le sens de la visée. ».

Il évoquait aussi l’autre mouvement, contradictoire : « celui qui pousse chaque minorité à s’affirmer en tant que telle et à prétendre à la souveraineté, à l’indépendance, à la séparation ». L’Écosse, la Catalogne, le Pays basque, etc. font partie de ces régions où le risque séparatiste n’est pas négligeable.

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Et de vouloir donner une clef du siècle qu’il n’aura pas connu : « C’est de ces deux mouvements qu’il faut, au XXIe siècle, faire la synthèse. Il faut aller vers de grands ensembles et que ces grands ensembles comportent des dispositifs de protection pour les minorités, pour que les minorités se sentent à l’aise et qu’elles s’affirment en tant que telles. C’est ça le problème à résoudre. Ce sera l’histoire du siècle prochain. » (15 mai 1995).

Dans sa dernière allocution télévisée pour exprimer ses vœux, le 31 décembre 1994, François Mitterrand a recommandé ainsi aux Français : « Ne séparez jamais la grandeur de la France et la construction de l’Europe. C’est notre nouvelle dimension, et notre ambition pour le siècle prochain ! » et de répéter : « Je vous le dis avec la même passion que naguère. N’en doutez pas ! L’avenir de la France passe par l’Europe. En servant l’une, nous servons l’autre. ».

Et il voyait deux objectifs qui n’ont pas toujours pas été atteints malgré un Traité de Lisbonne qui a su au moins éviter la paralysie institutionnelle : « Que d’énergie et d’enthousiasme seront indispensables, si l’on veut qu’aboutisse cette entreprise audacieuse ! Élargir l’Europe, oui, mais sans l’affaiblir. Vous le voyez, nous avons du travail devant nous. ».

C’est sans doute cette réflexion qui devra être à l’esprit de celui, ou celle, qui sera élu Président de la République le 7 mai 2017. Seule, la France ne représentera plus rien. Avec l’Europe, elle gardera son rang et restera une puissance mondiale. La recommandation de François Mitterrand, vingt et un ans plus tard, est toujours d’une éclatante actualité. Et d’une audacieuse lucidité.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Mitterrand et son testament politique.
François Mitterrand et le nationalisme.
François Mitterrand et la science.
François Mitterrand et la cohabitation.
François Mitterrand et l'Algérie.
François Mitterrand, l’homme du 10 mai 1981.
François Mitterrand et la peine de mort.
François Mitterrand et le Traité de Maastricht.
François Mitterrand et l’extrême droite.
François Mitterrand et l’audiovisuel public.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161026-mitterrand.html



 

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10 octobre 2016 1 10 /10 /octobre /2016 06:04

« L’élite politique redoute le référendum. C’est un instrument imprévisible de gouvernement, qui transfère le pouvoir de décision des partis vers le peuple, dépersonnalise les débats et laisse s’exprimer les clivages de l’opinion. (…) C’est sous couvert de sa légitimité, reçue par la sanction populaire, que le gouvernement élu prétend gouverner au nom du peuple. Le référendum, en ce sens, conteste cette légitimité. Il procède de l’idée que les gouvernements représentent imparfaitement l’opinion publique. (…) La méfiance à l’égard du référendum tient aussi à la crainte qu’il ne suscite des excès de populisme, on envisage mal que des foules peu instruites de l’enjeu du débat, influencées par des groupes factieux, tranchent des questions complexes. » (Marc Chevrier, politologue canadien).


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Le 2 octobre 2016 ont eu lieu deux référendums où le "non" l’a emporté, sur des sujets très différents. En Colombie, il était question de l’accord de paix avec les FARC. En Hongrie, c’était l’accueil des réfugiés qui était le sujet central.

Dans sa volonté de protester contre la politique des "quotas" de migrants que l’Union Européenne voudrait imposer à la Hongrie, soutenu par une population de plus en plus portée sur le repli identitaire, le Premier Ministre hongrois Viktor Orban a organisé dans son pays un référendum le 2 octobre 2016 en posant cette question au peuple : "Voulez-vous que l’Union Européenne puisse prescrire l’installation obligatoire en Hongrie de citoyens non hongrois sans l’approbation de l’Assemblée Nationale ?".

Cette question ne donne donc pas explicitement l’occasion de dire si l’on est pour ou contre l’installation des réfugiés, mais sur la méthode qui viserait à l’imposer à la Hongrie sans son approbation parlementaire. Tous les traités européens doivent être ratifiés par les parlements de chaque État membre, si bien que les parlementaires hongrois ont ratifié le Traité de Lisbonne qui prévoie justement une majorité qualifiée pour ce type de sujet.

La Cour suprême hongroise (l’équivalent de la cour de cassation) a cependant validé le 5 mai 2016 le principe de ce référendum, considérant que cette décision européenne touchait à la souveraineté nationale du pays. Le Ministre hongrois de la Justice (depuis le 6 juin 2014), Laszlo Trocsanyi, spécialiste en droit constitutionnel et en droit européen (ancien ambassadeur de Hongrie en France de 2010 à 2014), a considéré que l’Union Européenne n’avait pas de mandat pour relocaliser des personnes.

Quel est le sujet ? La relocalisation des réfugiés arrivés en Grèce et en Italie pour demander l’asile politique en Europe, fuyant la guerre civile en Syrie, en Irak et en Afghanistan. Le 22 septembre 2015, le Conseil Européen a décidé, à la majorité qualifiée, de relocaliser 120 000 demandeurs d’asile selon une clef de répartition (appelé improprement "quotas") qui a pris en compte la taille du pays selon plusieurs critères (un peu plus tard, il fut question de relocaliser 160 000 personnes). Cette décision a entraîné une demande à la Hongrie d’accueillir 1 294 réfugiés, ce qui est très faible par rapport à sa population totale de 10 millions d’habitants (soit 0,01% !).

Pour justifier le référendum annoncé le 24 février 2016 au cours d’une conférence de presse, Viktor Orban a expliqué que cette politique de relocalisation « redessinerait l’aspect culturel et ethnique de la Hongrie ». L’argument aurait été valable avec une forte proportion de réfugiés, mais il faudrait être bien fragile avec son identité culturelle et même ethnique (que vient faire "l’aspect ethnique" ?) pour croire qu’un réfugié pour 10 000 citoyens hongrois irait remettre en cause la longue histoire de la Hongrie.

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Même si le référendum ne portait pas explicitement sur l’accord ou le désaccord concernant cette politique de relocalisation (comme je l’ai indiqué plus haut), Viktor Orban n’a pas caché ses arrière-pensées puisqu’il s’agissait pour lui de s’opposer à l’Union Européenne par ce moyen-là : « Ce n’est pas un secret que le gouvernement refuse les "quotas" obligatoires. ».

Cette nouvelle provocation, car c’en est une, a évidemment des visées de politique intérieure et ce qui est assez pitoyable, c’est que les dirigeants européens semblent tomber dans son piège. Pourquoi ? Parce que Viktor Orban est plus un opportuniste qu’un militant d’une droite dure identitaire (qui est aussi fustigé dans son pays par le "vrai" parti d’extrême droite, Jobbick).

Pour preuve, son premier gouvernement qui était d’essence libérale et pas conservatrice. Viktor Orban serait plutôt à comparer à un Nicolas Sarkozy hongrois qui veut montrer ses muscles, sa fermeté souverainiste pour des raisons très électoralistes. Il avait même proposé récemment de rouvrir le débat sur le rétablissement de la peine de mort en Hongrie, que les traités internationaux avaient pourtant abolie définitivement.

C’est certes irresponsable de souffler sur des braises alors que le sujet de l’identité est très sensible en Europe (on le voit aussi en Allemagne, en France et même au Royaume-Uni), mais cela peut se comprendre, d’autant plus que pas un dirigeant d’un État membre ne prend ses décisions indépendamment de ses propres préoccupations de politique intérieure.

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Par conséquent, la volonté de vouloir mettre à l’index Viktor Orban, et même, pourquoi pas ? son pays tout entier, la Hongrie, est non seulement contreproductive (les Hongrois ont alors raison de montrer leur indépendance) mais c’est inconséquent car cela ne fait que remettre de l’huile sur le feu dans les relations entre la Hongrie et ses partenaires européens.

La palme de la stupidité revient probablement au Luxembourg, qui, par la voie de son Ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn, dans une interview au quotidien allemand "Die Welt" le 13 septembre 2016, a fait fort en demandant carrément l’exclusion de la Hongrie de l’Union Européenne !

Il faut dire que le ministre luxembourgeois avait réagi contre la barrière que la Hongrie a fait construire entre le 6 juillet 2015 (date de l’approbation par les députés hongrois) et le 15 octobre 2015 à ses frontières avec la Serbie et la Croatie, composée de rouleaux de fil barbelé coupant. Pour un responsable qui a introduit les racines chrétiennes dans sa Loi fondamentale, ce n’est pas très …chrétien.

Cette barrière contrevient à la réglementation internationale concernant le droit d’asile. C’est d’autant plus curieux que la plupart des réfugiés ne franchissent la frontière hongroise que pour en ressortir, car leur lieu de destination est plutôt l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, pas dans un pays qui a montré très clairement qu’il ne voulait pas les accueillir. Notons que Donald Trump propose un mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique pour empêcher l’immigration mexicaine. Les vieilles ficelles populistes se déclinent selon les pays.

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Lorsque le Président français François Hollande explique qu’il faudrait envisager de poser la question de la présence de la Hongrie au sein de l’Union Européenne, il n’est pas plus responsable que le ministre luxembourgeois et va à l’encontre des intérêts de l’Europe renforçant le sentiment national des Hongrois. La polarisation entre les États et l’Union Européenne est de plus en plus accentuée par diverses provocations d’un côté comme de l’autre.

Jean-Claude Juncker a déclaré fort malhabilement l’été dernier : « Si des référendums sont organisés sur chaque décision des ministres et du Parlement Européen, l’autorité de la loi est en danger. ». Le Commissaire européen chargé des migrations, le Grec Dimitris Avramopoulos, a déclaré bien avant le scrutin que ce référendum n’avait aucune valeur juridique : « Les États membres ont la responsabilité légale d’appliquer les décisions prises. ».

Si ce constat (aucune valeur juridique) est vrai, le dire accrédite l’idée que les peuples européens n’auraient pas droit à la parole concernant les affaires européennes, et cette idée ne va pas le sens d’un renforcement de la construction européenne. Au contraire, ce sont des paroles qui hystérise et qui font fuir le sentiment européen. C’est un vieux débat entre doxa et vérité qu’avait initié …Socrate, au prix de sa propre vie (lire dans quelques jours ici).

Car ce n’est pas parce qu’un référendum n’a pas de valeur juridique (le droit européen l’emportant sur le droit national, c’est la base du droit international), qu’il n’a pas de valeur politique, et c’est ce pari qu’a fait Viktor Orban avec ce référendum du 2 octobre 2016.

Cependant, les résultats n’ont pas été à la hauteur de ses attentes. Il était convenu que le peuple hongrois était majoritairement défavorable au plan de relocalisation des réfugiés.

Comment un national peut-il accepter qu’une instance internationale puisse imposer une mesure à sa nation sans que celle-ci ne l’approuve ? La question du référendum était donc posée pour que la réponse soit donc très largement majoritaire pour le "non".

Toutefois, l’opposition à Viktor Orban, au lieu de tomber dans le piège et de faire campagne pour le "oui" qui lui aurait donné une connotation particulièrement antipatriotique, a habilement fait campagne pour l’abstention ou le vote nul. L’ancien député UMP Christian Vanneste a constaté effectivement : « Beaucoup de socialistes allant aux urnes auraient sans doute voté "non" comme la majorité des électeurs. En s’abstenant, ils ont contré Viktor Orban sans voter pour l’accueil des migrants imposés par l’UE. » (4 octobre 2016).

En Hongrie, pour qu’un référendum soit (juridiquement !) validé (au sens de l’article 8 de la Constitution du 1er janvier 2012), il faut que l’ensemble des suffrages exprimés représente au moins 50% des électeurs inscrits. Or, seulement 40,7% des électeurs inscrits se sont exprimés avec un vote valide, c’est-à-dire qui ne soit pas nul ni blanc.

Mais le juridique est une chose et le politique une autre. Car dans les suffrages exprimés, c’est une immense majorité (sans surprise) qui a voté "non", 3 309 706 suffrages sur les 8 272 :625 électeurs inscrits, soit 98,3% des suffrages exprimés et 40,0% des électeurs inscrits. Quant au vote "non", il ne représente qu’une infime minorité, 55 961 votes, soit 1,7% des suffrages exprimés.

Évidemment, la double lecture permet des conclusions différentes.

La lecture juridique permet à l’opposition hongroise d’annoncer la défaite de Viktor Orban qui a provoqué un référendum boomerang. Ainsi, le journal d’opposition "Nepszava" a parlé d’un échec à 48,7 millions d’euros, le coût colossal de la campagne référendaire du gouvernement Viktor Orban qui a affiché plusieurs mensonges odieux et scandaleux pour les victimes des attentats en France en 2015 et 2016.

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Dans les rues de Szeged, une ville hongroise de 165 000 habitants du sud-est, près de la frontière serbe et de la frontière roumaine, on peut lire, par exemple, en août 2016, ces deux affiches. La première : « Le saviez-vous ? Depuis le début de la crise migratoire, il y a eu en Europe plus de 300 morts dans des attentats terroristes. ». La seconde : « Les attentats de Paris ont été commis par des immigrants. ». On peut comprendre pourquoi la France et la Belgique sont en colère contre le ton de cette campagne référendaire.

L’historien Paul Gradvohl a fait remarquer : « Le résultat constitue un grave échec pour Viktor Orban (…). Une grande partie des électeurs du Fidesz [le parti présidé par Viktor Orban] ne sont pas allés voter. Ce sont en grande majorité des électeurs d’extrême droite qui se sont déplacés (…). Dans les grandes villes, comme Budapest, le nombre de bulletins invalides a atteint 11%. À l’échelle nationale, le pourcentage atteint 6,27%. En 2003 [le 12 avril 2003], lorsque les citoyens avaient validé leur entrée dans l’Union Européenne, le nombre de bulletins invalides étaient seulement de 0,49%. » ("Le Monde" du 3 octobre 2016).

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Pourtant, la lecture politique permet au contraire à Viktor Orban de dire à l’Europe que tout son peuple est derrière lui sur la question de l’accueil des réfugiés (je précise que la question ne porte cependant pas sur l’accueil mais sur la manière de les accueillir). Ainsi Viktor Orban s’est permis de parader : « Bruxelles ou Budapest, telle était la question, et nous avons dit Budapest. (…) [L’Europe] ne pourra pas imposer sa volonté à la Hongrie. ».

Il a même décidé le 4 octobre 2016 d’engager une révision constitutionnelle pour mettre les questions migratoires dans les prérogatives des parlementaires hongrois, considérant qu’une personne non européenne ne pourrait pas être accueillie en Hongrie sans sa propre demande qui devra être « examinée individuellement par les autorités hongroises et sur décision légale prise selon la procédure définie par une loi instaurée par l’Assemblée Nationale ».

L’échec de Viktor Orban est donc très relatif. Il a mobilisé quand même plus de 3 millions de voix, ce qui est à peu près le total des voix du Fidesz (2 264 780 voix) et du parti d’extrême droite Jobbik (1 020 476 voix) lors des élections législatives du 6 avril 2014 où le parti de Viktor Orban avait obtenu 133 sièges de députés sur 199, soit 66,8%, au-delà des deux tiers qui permettent les révisions constitutionnelles sans négociations avec d’autres partis. La perspective des élections du printemps de 2018 ne fera qu’exacerber pendant ces prochains dix-huit mois le discours de Viktor Orban dans les relations entre la Hongrie et l’Union Européenne.

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Car l’autre grand perdant de ce référendum, c’est bien sûr l’Union Européenne qui, après le Brexit, doit faire face à des protestations sur son fonctionnement et sa gouvernance provenant des pays d’Europe centrale et orientale, et les résultats de ce référendum ne font que confirmer cette situation plus générale.

Dans tous les cas, il est insensé de vouloir imposer aux peuples, de l’extérieur, l’installation de réfugiés si ces peuples n’en veulent pas, car cela ne pourrait créer que des graves troubles de part et d’autre. La Hongrie n’est en effet pas la seule à refuser cette politique de relocalisation. La Slovaquie, la République tchèque et la Roumanie avaient aussi voté contre ce projet, lors du Conseil Européen du 22 septembre 2015, et la Finlande s’est abstenue, tandis que la France a relocalisé 1 952 réfugiés sur les quelque 27 000 prévus par le plan (sur les 160 000 qu’il est censé relocaliser dans toute l’Europe).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 octobre 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le référendum du 2 octobre 2016 en Hongrie.
La Hongrie de Viktor Orban.
La Hongrie d’Imre Pozsgay.
La Hongrie d’Arpad Goncz.
György Ligeti.
Angela Merkel.
Jean-Claude Juncker.
La crise des réfugiés.
Populismes.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161002-hongrie-orban.html

http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/referendum-hongrois-sur-les-185308

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/10/10/34421932.html




 

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29 septembre 2016 4 29 /09 /septembre /2016 06:29

« Il n’y a personne sur la scène mondiale qui puisse prétendre se mesurer à moi. Mon habileté, mes qualités humaines, mon passé sont hors de discussion. Tous en rêvent et c’est à eux de démontrer qu’ils sont meilleurs que moi et non l’inverse. » (Silvio Berlusconi, mars 2001).


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Le milliardaire milanais Silvio Berlusconi, l’un des hommes les plus riches d’Italie, fête ses 80 ans ce jeudi 29 septembre 2016. S’il est en retraite de la vie politique, il n’est pas encore en retraite judiciaire.

En effet, l’homme d’affaires qui a jonglé avec ses affaires, ses médias et ses activités politiques a été impliqué dans un nombre considérable de scandales politico-financiers mais n’a été condamné définitivement que dans une seule affaire, celle de Mediaset, le groupe télévision de sa holding Fininvest, pour "faux en bilan, fraude fiscale et abus de bien sociaux". Condamné en première instance le 26 octobre 2012 par le tribunal de Milan à quatre ans de prison ferme, condamnation confirmée en appel le 8 mai 2013, il a été définitivement condamné le 1er août 2013 par la cour de cassation à un an de prison ferme et cinq ans d’interdiction d’exercer un mandat public. Jusqu’à cette date, il avait toujours réussi à éviter la condamnation définitive, virevoltant d’acquittement en non-lieu.

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Silvio Berlusconi était un grand ami de Bettino Craxi, chef du Parti socialiste italien, du 16 juillet 1976 au 14 février 1993, qui fut Président du Conseil du 4 août 1983 au 17 avril 1987. Bettino Craxi, lui, fut de très nombreuses fois mis en cause dans la vaste opération Mani pulite (Mains propres) qui décima la classe politique italienne au début des années 1990. Bettino Craxi fut condamné à vingt-sept ans et demi de prison ferme, s’est enfui courageusement en 1994 en Tunisie, comme un vulgaire escroc, pour ne pas être incarcéré et y est mort le 19 janvier 2000 à 65 ans.

Bettino Craxi avait activement aidé Silvio Berlusconi à bâtir son groupe de finances (banques, etc.) et de médias (trois chaînes de télévision, maisons d’édition) dans les années 1980 et fut à la fois son témoin de mariage et le parrain d’un de ses enfants, ce qui montrait les liens très intimes qu’entretenaient les deux hommes. À l’origine, la richesse de Berlusconi provenait d’investissements immobiliers réalisés à Milan dans les années 1960.


Berlusconi et la France

Les Français, eux, n’ont vraiment découvert l’existence de Silvio Berlusconi qu’en été 1985 …grâce à François Mitterrand, par l’entremise du socialiste Craxi. Michèle Cotta a noté dans ses "Cahiers secrets" le 30 juillet 1985 : « Il paraît que Berlusconi amuse beaucoup Mitterrand, avec son bagout à l’italienne. ». On l’imagine assez bien, vu qu’il s’est entiché également, un peu plus tard, de Bernard Tapie, au bagout marseillais.

Quel rapport entre Berlusconi et Mitterrand ? Juste avant les élections législatives du 16 mars 1986 qui promettaient un désastre aux socialistes, François Mitterrand a souhaité "offrir" une chaîne de télévision privée aux Français. Plus franchement, le PS, convaincu de retourner dans l’opposition, souhaitait bénéficier d’une chaîne de télévision privée (indépendante du pouvoir) qui lui fût proche.

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Au lieu d’imaginer une chaîne culturelle, comme la future Sept (puis Arte), l’Élysée a préféré la concéder à Berlusconi qui était déjà très connu en Italie avec sa télé à paillettes. Le contrat fut signé le 20 novembre 1985 et a donné à Silvio Berlusconi le titre de numéro deux (il le fut jusqu’en 1992). L’intérêt de Berlusconi, c’était qu’il pouvait revendre (très cher) à La Cinq ses programmes de télévision déjà acquis en Italie (il a fait doubler plusieurs séries américaines qui n’avaient encore jamais été diffusées en France).

La Cinq a diffusé ses premières émissions en France le 20 février 1986 (à moins d’un mois des élections) mais après deux changements (arrivée de Robert Hersant puis de Hachette) et une dette abyssale, a déposé son bilan le 31 décembre 1991 et a arrêté d’émettre le 12 avril 1992 après une dernière tentative de Silvio Berlusconi le 16 janvier 1992 (découragé par le gouvernement de nouveau socialiste le 24 mars 1992) et sa liquidation judiciaire le 3 avril 1992. La nouvelle chaîne Arte a diffusé alors ses émissions sur le même canal à partir du 28 septembre 1992.

Voyons ce qu’en disait Michèle Cotta, à l’époque Présidente de la Haute Autorité de l’Audiovisuel, futur CSA : « Ce qui m’amuse, là-dedans, c’est qu’on a parlé toute l’année, le Président, surtout, dans [sa conférence de presse du 16 janvier 1985], de construction audiovisuelle originale, faite de chaînes verticales regroupant des réseaux de dimension nationale et chapeautant des stations locales, c’est qu’on a demandé un rapport à l’avocat Jean-Denis Bredin [remis le 20 mai 1985] sur l’organisation des télés privées, et que tout cela débouche sur une chaîne à l’italienne avec paillettes et feuilletons américains ! (…) Je ne comprends pas la frénésie avec laquelle le gouvernement et le Président se jettent dans cette distribution internationale de nouvelles licences de télévision. (…) Berlusconi, ça non, je n’aurais jamais osé ! » (30 juillet 1985).

À noter que Frédérique Bredin, qui aura 60 ans le 2 novembre prochain, fille de l’avocat en question, énarque de la fameuse promotion Voltaire, brillante inspectrice des finances, fut conseillère à l’Élysée à partir de 1986 puis jeune ministre de François Mitterrand, à la Jeunesse et aux Sports du 16 mai 1991 au 30 mars 1993 et préside depuis le 26 juin 2013 le Centre national du cinéma et de l’image (CNC), nommée par François Hollande (son ancien condisciple de l’ENA).

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François Mitterrand a affirmé à Michèle Cotta le 9 avril 1986 : « Moi, vous savez, je n’ai vu Berlusconi qu’une seule fois, une demi-heure, chez Craxi. Il n’y avait pas d’autre opérateur, voilà tout, à partir du moment où le gouvernement ne voulait pas de la CLT ! ». Mais Michèle Cotta a quand même noté : « Bien d’autres versions sont à retenir sur les rencontres d’alors à l’Élysée où Berlusconi, à son aise comme toujours, aurait chanté "La Marseillaise"… ».


Berlusconi et la politique

Je limiterai ici l’évocation de Silvio Berlusconi à sa seule trajectoire politique et de façon très succincte. En France, on essayerait d’imaginer son équivalent français, mais il n’y en aurait pas vraiment, même si on pouvait penser à un Bernard Tapie. En fait, il n’y a pas (encore !) de Donald Trump ni de Silvio Berlusconi en France. Ceux qui ont réussi à s’enrichir à un très haut niveau sont généralement aussi discrets que leur fortune est élevée. On les imaginerait mal se lançant dans la politique. On peut certes citer Serge Dassault (ou son père Marcel Dassault) mais ils n’ont jamais fait de politique à un niveau national en vue de conquérir l’Élysée.

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Son groupe était criblé de dettes (environ 2 milliards d’euros) et son protecteur politique Bettino Craxi était en fuite. L’opération Manu pulite venait de faire le vide dans le paysage politique. De nouvelles opportunités se présentaient à l’homme d’affaires. Tout a donc commencé le 26 janvier 1994, quelques semaines avant les élections législatives par une déclaration fracassante à la télévision : « J’ai choisi de descendre sur le terrain et de m’occuper de la chose publique. (…) Je ne veux pas vivre dans un pays non libéral, gouverné par des forces immatures et des hommes liés à un passé politiquement et économiquement désastreux. ». Il s’est justifié plus tard, très narcissique : « Je me suis regardé dans le miroir et je me suis dit que je ne pouvais laisser le pays à ces gens-là. ».

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Concrètement, il a créé ex nihilo un nouveau parti politique, Forza Italia, qui n’avait aucune racine, aucune tradition politique mais qui souhaitait clairement investir le terrain laissé par la Démocratie chrétienne (dans son positionnement). Dans ses recommandations aux candidats-employés qui se réclamaient de lui, il proposait : « Attention à votre haleine. Soignez votre apparence. Jetez aux ordures les chaussettes courtes. Choisissez de préférence des couleurs sombres. Soyez toujours souriants. Ne serrez pas trop fort la main, et surtout, n’ayez jamais les mains moites. ». Au règne de l’apparence, rien n’est détail.

La campagne fut excessivement démagogique (il a promis des millions d’emplois) et a su faire des alliances habiles avec la Ligue du Nord d’Umberto Bossi (un parti séparatiste) et l’Alliance nationale de Giovanni Fini (issu du MSI). Contre toute attente, la coalition remporta la majorité absolue dans les deux chambres lors des élections (anticipées) du 27 mars 1994 : 366 sièges sur 630 (42,8%) face à l’ancien secrétaire général du Parti communiste italien Achille Occhetto, 213 sièges (34,3%).

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Silvio Berlusconi fut alors désigné Président du Conseil du 10 mai 1994 au 17 janvier 1995. La coalition n’a pas tenu longtemps. Le traitant de "Berluskaiser", Umberto Bossi a rompu avec Berlusconi le 22 décembre 1994, ce qui provoqua la chute de son gouvernement.

Se moulant dans son personnage politique, Silvio Berlusconi a dominé par sa personnalité particulière une quinzaine d’années de la vie politique italienne, parallèlement à une très intense actualité judiciaire (mêlé à de nombreuses affaires dès 1994).


"Berluskaiser"

Après sa première (courte) expérience du pouvoir, et malgré les scandales financiers et aussi sexuels (Rubygate), Silvio Berlusconi retrouva deux autres fois la Présidence du Conseil des ministres, du 11 juin 2001 au 17 juin 2006 puis du 8 mai 2008 au 16 novembre 2011. Cette longévité, assez rare en Italie, l’a placé parmi les trois chefs de gouvernement italien ayant eu la plus grande longévité depuis la Réunification italienne en 1861, et le premier depuis la dernière guerre !

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Du 1er juillet 2003 au 31 décembre 2003, il fut même le Président du Conseil Européen, selon la règle des présidences tournantes. Perdant de nouveau la majorité absolue à cause de la défection de son principal allié Umberto Bossi, Silvio Berlusconi remit sa démission le 12 novembre 2011.

Président de Forza Italia (ou Peuple de la Liberté) depuis le 18 janvier 1994, il fut élu député européen du 20 juillet 1999 au 10 juin 2001, député du 15 avril 1994 au 14 mars 2013 et sénateur du 15 mars 2013 au 27 novembre 2013, démis de son mandat par sa condamnation définitive.

Parce qu’il a plus de 70 ans, Silvio Berlusconi n’ira jamais en prison. Il a acquis une expérience politique que très peu de personnalités politiques "professionnelles" italiennes voire internationales pourraient revendiquer… Dans quelques semaines, aux États-Unis, Donald Trump voudrait tenter la même aventure que Berlusconi. Il a 70 ans. En septembre 2011, alors qu’il était encore chef du gouvernement, "il Cavaliera" avait déjà… 75 ans !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 septembre 2016)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Carlo Ciampi.
Silvio Berlusconi.
Umberto Eco.
Virginia Raggi.
La révolution institutionnelle italienne.
Renzusconi franchit le Rubicon.
Enrico Letta, un nouveau visage en Europe.
Habemus Lettam (29 avril 2013).
Discours d’Enrico Letta du 26 octobre 2013 à Paris.
Giorgio Napolitano.
Le compromis historique.
Aldo Moro.
Erasmus.
L’Europe, c’est la paix.
L’Europe des Vingt-huit.
Mario Draghi.
Tournant historique pour l’euro.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160929-silvio-berlusconi.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/berlusconi-le-pre-trump-italien-185007

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/09/29/34352528.html




 

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