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6 juin 2023 2 06 /06 /juin /2023 05:20

« Dans son livre "C'est ici le chemin" (1982), M. Pierre Mauroy, député-maire de Lille et ancien Premier Ministre, nous dit en substance où est le chemin (c'est ici). » (Pierre Desproges, "L'Almanach", juin 1988, éd. Rivages).



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L'ancien premier Premier Ministre socialiste de la Cinquième République Pierre Mauroy est mort il y a dix ans, le 7 juin 2013 des suites de sa maladie, à presque 85 ans (il est né le 5 juillet 1928). Cette date est marquée par quelques événements à Lille dont il fut le maire pendant vingt-huit ans (entre 1973 et 2001), une exposition photographique sur le parvis de l'hôtel de ville à partir du 7 juin 2023, ainsi qu'un hommage rendu au cimetière de l'Est (où il est inhumé) le 9 juin 2023 à 9 heures 30.

J'évoquais le centenaire de René Monory, figure historique du centre droit, et on peut concevoir que Pierre Mauroy jouissait d'une place assez équivalente à gauche, à savoir un homme d'action, une référence, un roc, toujours fidèle à ses convictions, mais, en même temps, pas un "hyper-leader", pas un présidentiable ambitieux qui ne pensait qu'à ça matin midi et soir depuis l'adolescence.

Ainsi, malgré toute son expérience, il n'a jamais été question d'un Pierre Mauroy candidat à l'élection présidentielle en 1995 (à 66 ans) alors qu'après les désastres électoraux du PS de 1993 et 19994, il n'y avait plus de candidat véritablement légitime (ni Michel Rocard, ni Laurent Fabius, ni Jacques Delors, d'où la candidature de Lionel Jospin). On pourrait aussi comparer Pierre Mauroy à Michel Debré, ce dernier le gardien du gaullisme originel, et Pierre Mauroy, le gardien du socialisme d'Épinay.


Dès l'adolescence, Pierre Mauroy n'était pas obsédé par l'élection présidentielle (qui n'était pas encore au suffrage universel direct) mais il était déjà ambitieux dans ses convictions socialistes. Enseignant et syndiqué à la FEN, il a pris rapidement des responsabilités au sein de ce syndicat enseignant mais aussi, à partir de 1952, au sein de la SFIO, le vieux parti socialiste dirigé par Guy Mollet (1905-1975), député-maire d'Arras. Par ailleurs, Pierre Mauroy a fondé et présidé à partir de 1950 la Fédération Léo-Lagrange pour promouvoir l'éducation populaire, du nom de l'ancien sous-ministre des sports et des loisirs du Front populaire, tué au combat en juin 1940.

En 1966, il était "arrivé" au poste de secrétaire général adjoint de la SFIO (c'est-à-dire numéro deux) de celui qui était alors son mentor, Guy Mollet ; son autre mentor était plus local, bien qu'ancien ministre, Augustin Laurent (1896-1990), député puis maire de Lille, président du conseil général du Nord.

Contrairement à ce qu'on dit souvent, la naissance du nouveau parti socialiste n'a pas eu lieu en 1971 (avec François Mitterrand) mais dès 1969. Guy Mollet, homme de la Quatrième République complètement dépassé par les nouvelles institutions et après une vingtaine d'années à la tête de ce parti, a voulu organiser sa succession ainsi que rénover la vieille SFIO. Le dauphin tout désigné était bien sûr Pierre Mauroy, plein d'avenir à près de 41 ans (ses deux mandats électifs était alors conseiller municipal de Cachan de 1965 à 1971 et conseiller général du Nord de 1967 à 1973 ; en 1971, Augustin Laurent l'a inclus sur sa liste à Lille et il fut élu premier adjoint de 1971 à 1973 avant de succéder au maire septuagénaire sans nouvelle élection populaire).

Le 4 mai 1969 s'est ainsi tenu le congrès extraordinaire d'Alfortville où la SFIO s'est transformée en parti socialiste (PS) avec l'arrivée de nombreux clubs politiques (ceux de Pierre Bérégovoy, Alain Savary, Robert Verdier, Jean Poperen, etc.). Ce parti a aussi désigné son candidat à l'élection présidentielle, Gaston Defferre. Il faut se souvenir du contexte politique particulièrement désastreux pour les socialistes : après la démission soudaine de De Gaulle une élection présidentielle fut organisée, et, au premier tour du 1er juin 1969, le candidat socialiste Gaston Defferre (après une campagne très médiocre ; il s'affichait avec Pierre Mendès France promis à Matignon, dans un contre-sens des institutions) a atteint à peine plus de 5%, largement devancé par le candidat communiste Jacques Duclos.

Pierre Mauroy est devenu secrétaire général par intérim dans l'attente de la désignation des nouvelles instances dirigeantes qui s'est décidée au congrès d'Issy-les-Moulineaux, du 11 au 13 juillet 1969. Il aurait alors dû être consacré premier secrétaire, alors que son ambition pour le parti était débordante.

Cependant, Guy Mollet finalement lui a retiré son soutien parce que Pierre Mauroy avait refusé de garder Ernest Cazelle en numéro deux, un apparatchik essentiel qui contrôlait toutes fédérations départementales et qui était resté fidèle à Guy Mollet (une manière pour lui de se retirer tout en gardant son influence). Pierre Mauroy a alors été battu par Alain Savary (le futur ministre de l'éducation nationale) à une voix près, celle de Guy Mollet justement, qui gardait encore un œil dans le parti.

On peut imaginer l'amertume sinon la rancœur de Pierre Mauroy qui a vu s'échapper le poste de ses rêves, pour une simple petite voix. Cela a évidemment son importance pour la suite. Car la suite, pour le coup, la "mémoire collective" la connaît : au congrès d'Épinay-sur-Seine du 11 au 13 juin 1971, François Mitterrand, qui avait mis en ballottage De Gaulle en 1965, est arrivé au PS en renfort avec sa petite Convention des institutions républicaines (CIR) et le CERES.

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Sans François Mitterrand et dans une optique purement interne, Pierre Mauroy était prêt à prendre sa revanche sur Alain Savary. Mais cela s'est passé autrement : grâce à Pierre Mauroy, patron de la puissante fédération du Nord (l'une qui a le plus de délégués au congrès), François Mitterrand a pu non seulement intégrer mais aussi conquérir le PS (alors que la veille, il n'était même pas adhérent !). C'est Pierre Mauroy, redevenu numéro deux du PS, qui lui a permis ce petit exploit politique, qui a façonné la vie politique à gauche... jusqu'en 2017. Et ensuite, l'union de la gauche s'est construite sur le rythme de je-t-aime-moi-non-plus, avec l'adoption du programme commun le 27 juin 1972, l'arrivée du PSU et de Michel Rocard en 1974 et la victoire de 1981.

En fait, c'était beaucoup moins linéaire que cela. D'une part, l'échec, de justesse, de François Mitterrand en 1974 face à Valéry Giscard d'Estaing remettait en cause son leadership et faisait douter de sa présidentiabilité : deux fois vaincu, il serait toujours le perdant (Jacques Chirac a aussi connu ces doutes après son échec de 1988) ; d'autre part, la vie interne du parti socialiste n'était pas un long fleuve tranquille : il fallait batailler pour se constituer des majorité aux instances dirigeantes et, après un nouvel échec aux élections législatives de mars 1978, le congrès de Metz du 6 au 8 avril 1979 fut symptomatique de ces querelles. À l'aide de Jean-Pierre Chevènement et Laurent Fabius, François Mitterrand a réussi de justesse à contrer une OPA de Michel Rocard ...aidé de Pierre Mauroy et Alain Savary. C'était l'époque de la seconde gauche face à la gauche archaïque.

Parallèlement, Pierre Mauroy s'est construit une belle trajectoire électorale : maire de Lille de 1973 à 2001, député de 1973 à 1992, puis sénateur de 1992 à 2011, et bien sûr, c'était là sa puissance politique, le patron de la fédération du PS du Nord, l'une des plus nombreuses de France.

La gauche archaïque a gagné en 1981 avec François Mitterrand qui s'est installé à l'Élysée pour deux septennats (le record de longévité toutes républiques confondues). Le choix de Pierre Mauroy à Matignon était alors une évidence, malgré la "trahison" de 1979.

Pierre Mauroy était pourtant un partisan d'une politique de gauche "réaliste" avec Michel Rocard et Jacques Delors. Dès l'investiture de François Mitterrand, le 21 mai 1981, dans la voiture présidentielle, avant même son nomination formelle, Pierre Mauroy demandait (en vain) à François Mitterrand une dévaluation du franc pour interrompre les spéculations sur le franc et la fuite des capitaux. Parmi les mesures qui coûtent encore très cher aux Français d'aujourd'hui, notamment aux contribuables français, la retraite à 60 ans (au lieu de 65 ans). Emmanuel Macron n'est pas revenu à avant 1981 puisque l'âge de départ à la retraite a été reculé à 64 ans (et pas 65 ans comme proposé dans son projet de 2022). Parmi les autres réformes, on peut citer l'abolition de la peine de mort, les nationalisations, l'impôt sur les grandes fortunes, la création d'une autorité de tutelle pour l'audiovisuel public, la semaine de 39 heures de travail, la cinquième semaine de congé payé, la décentralisation qui a fait élire de nouveaux chefs d'exécutif sur tout le territoire, etc. Pierre Mauroy a aussi négocié le "tournant de la rigueur" dès le 9 juin 1982, en raison d'une évidence simple : le gouvernement socialo-communiste dépensait beaucoup trop (il a même été institué une autorisation de déficit à 3% du PIB !).

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Après les élections municipales de mars 1983 qui furent un désastre pour les socialistes, Pierre Mauroy ne comptait pas être reconduit à Matignon et se préparait à un repli à Lille. Finalement, les hésitations de François Mitterrand sur son éventuel successeur l'ont conforté à Matignon mais son troisième gouvernement a été emporté le 17 juillet 1984 par la forte contestation populaire contre la réforme Savary imposant un système unique laïque de l'éducation. Par un étrange sursaut du destin, l'action d'Alain Savary, qu'il avait intégré dans son gouvernement pendant trois ans à l'Éducation nationale, a été la cause de sa chute.

Après la réélection de François Mitterrand, Pierre Mauroy s'est éloigné de ce dernier en recevant enfin son bâton de maréchal : après avoir manœuvré avec Lionel Jospin et Michel Rocard, il a conquis le poste de premier secrétaire du PS par 63 voix contre 54 à l'héritier présidentiel, Laurent Fabius, qui a eu le perchoir en lot de consolation. François Mitterrand aurait voulu Fabius au PS et Mauroy au perchoir, ce fut le contraire.

Pierre Mauroy a donc eu une vie après Matignon, celle de chef du PS du 14 mai 1988 au 9 janvier 1992 (avec l'épisode du congrès de Rennes du 15 au 18 mars 1990 qui a montré une totale implosion des socialistes), il fut également le président de l'Internationale socialiste, succédant le 17 septembre 1992 à Willy Brandt (mort le 8 octobre 1992), et redonnant ce titre le 10 novembre 1999 à l'actuel Secrétaire Général de l'ONU Antonio Guterres. Le 21 février 1992, il a en outre créé la Fondation Jean-Jaurès qu'il a présidé jusqu'à sa mort (ses successeurs furent Henri Nallet en 2013 puis Jean-Marc Ayrault en 2022).

Pour les élections présidentielles post-mitterrandiennes, Pierre Mauroy a soutenu Lionel Jospin en 1995 et 2002, Ségolène Royal en 2007 et Martine Aubry en 2011 pour la primaire socialiste avant de soutenir le candidat désigné François Hollande en 2012. Il a reçu de ce dernier une accolade très chaleureuse à la cérémonie d'investiture le 15 mai 2012, un an avant sa disparition. Pierre Mauroy était le mentor de Martine Aubry qui a reçu l'héritage de la mairie de Lille, et aussi de Michel Delebarre.

Après la mort de Pierre Mauroy, l'Institut Pierre-Mauroy a vu le jour et organise chaque année un colloque thématique sur l'action politique de Pierre Mauroy (le dernier s'est tenu le 20 octobre 2022 animé par Laurent Joffrin sur le thème du renouveau de la gauche de 1971 à 1981). La ville de Lille a honoré sa mémoire en baptisant son grand stade de son nom
.

La chaîne parlementaire (LCP) propose ce mercredi 7 juin 2023 à 20 heures 30 un documentaire de soixante minutes sur l'ancien Premier Ministre : "Pierre Mauroy, une vie pour le parti", produit en France en 2023
.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (03 juin 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La nostalgie des folles années.
Pierre Mauroy.
Roger-Gérard Schwartzenberg.
Georges Kiejman.
Robert Badinter.
Roland Dumas.
Laurence Rossignol.
Olivier Véran.

Sophie Binet.
Les congés menstruels au PS.
Comment peut-on encore être socialiste au XXIsiècle ?
Nuit d'épouvante au PS.
Le laborieux destin d'Olivier Faure.

PS : ça bouge encore !
Éléphants vs Nupes, la confusion totale.
Le leadershit du plus faure.
L'élection du croque-mort.
La mort du parti socialiste ?
Anne Hidalgo.
Le socialisme à Dunkerque.
Pierre Moscovici.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230607-mauroy.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/pierre-mauroy-le-militant-et-homme-248574

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/06/04/39930698.html
 








 

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5 juin 2023 1 05 /06 /juin /2023 05:26

« Visionnaire, [il] a incarné cette dualité si rare chez un homme politique, à la fois défenseur de l’ancrage local et de la diversité de nos territoires, mais aussi précurseur de la révolution des nouvelles technologies et de la société de demain. (…) René Monory a réalisé ce à quoi tout homme de bien aspire : pouvoir forcer son destin et celui des autres avec lui. C’est cette philosophie de la volonté qui doit guider celles et ceux qui s’engagent aujourd’hui à suivre ses traces. » (Claude Bertaud, président du conseil général de la Vienne de 2008 à 2015).




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L'ancien Président du Sénat René Monory est né il y a 100 ans, le 6 juin 1923. Ce centenaire, peu médiatisé, est célébré dans la ville dont il a été le maire pendant quarante ans, Loudun, sa ville natale, dans le nord du département de la Vienne, avec une exposition et des projections vidéos au 6 place Urbain-Gandier le samedi 10 juin 2023 de 10 heures à 20 heures.

Disparu il y a quatorze ans (le 11 avril 2009), René Monory était à la fois un dinosaure de la vie politique, avec les anciennes habitudes du cumul des mandats, en durée et en nombre, et aussi, et c'est cela qui faisait sa force, un extraordinaire visionnaire de la France technologique. Sa rencontre avec Bill Gates le 5 février 1997 n'est qu'un symbole de son extrême intérêt pour la haute technologie et surtout, pour les choses concrète, l'efficacité des projets. Il y a en effet un immense fossé entre l'image vieillissante et un peu sévère d'un sénateur aux allures de Michel Galabru avec des difficultés d'élocution et celle d'un entrepreneur, au contact facile, qui a anticipé les modes de vie à venir et qui a anticipé tout au long de son existence. J'ai déjà évoqué sa trajectoire, grandeur et décadence, et enfin, la réaction d'une classe politique unanime. Je la rappelle succinctement ici.

L'une de ses premières caractéristiques, sur le CV, c'est de ne pas avoir eu de diplôme, si ce n'est un brevet professionnel. Apprenti à 15 ans, il a eu la chance d'hériter du garage de son père dont il est devenu propriétaire dix ans plus tard. Il l'a transformé en entreprise prospère en vendant notamment des véhicules aux agriculteurs de sa région et aussi aux particuliers, des voitures d'une grande marque qu'il avait développée. Il avait l'habitude de dire qu'il n'avait pas d'éducation ni de complexes ! Peut-être était-ce cela, l'origine de son surnom "le shérif" ? Il se vantait aussi de ne jamais dîner en ville à Paris.

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Son itinéraire politique a été construit, là aussi, sur le terrain très concret : la mairie de Loudun, puis, comme suppléant de son mentor, Pierre Abelin, une grande figure du centrisme du Poitou, président du conseil général de la Vienne et ancien ministre sous la Quatrième et la Cinquième Républiques. Aux sénatoriales de 1968, il s'est présenté en dissidence contre les sortants et s'est fait élire et réélire sans discontinuer jusqu'en 2004, année qui a sonné son retrait total de la vie politique.

Membre de la commission des finances du Sénat, il s'est fait remarquer par un certain ministre des finances (entre 1969 et 1974), Valéry Giscard d'Estaing qui a pensé à lui le 30 mars 1977 lorsqu'il a fallu trouver un Ministre de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat. Entre-temps, René Monory était devenu au Sénat un rapporteur général du budget exigeant, et sa première expérience ministérielle à l'Industrie a tellement été réussie qu'il a été nommé, après les élections législatives de 1978, du 5 avril 1978 au 13 mai 1981, le Ministre de l'Économie du Premier Ministre "meilleur économiste de France" Raymond Barre !

Au même moment qu'à son entrée au gouvernement, en mars 1977, René Monory a pris la succession de Pierre Abelin, qui allait mourir soudainement quelques semaines plus tard, à la présidence du conseil général de la Vienne. C'est probablement avec ce mandat qu'il a donné le meilleur de lui-même (pendant vingt-sept ans), en créant ex nihilo le Futuroscope de Poitiers inauguré le 31 mai 1987 par Jacques Chirac, alors Premier Ministre ; l'idée était de redynamiser sa région par un grand pôle économique et scientifique... et de loisirs. En 1980, tant comme ministre que président du conseil général, il a aussi lancé l'implantation de la centrale nucléaire de Civaux, au sud de Poitiers, mise en service en 1997 (ceux qui s'y rendent pourront d'ailleurs y trouver depuis le 2 août 2008 un parc animalier avec une centaine de crocodiles, de caïmans et d'alligators, profitant du chauffage par l'eau de refroidissement de la centrale !).


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À partir de 1981 et de la victoire des socialistes, René Monory est devenu une valeur refuge de l'opposition, un poids lourd de la politique française. Centriste, il était en bons termes avec les grands leaders du centre droit. Ses relations avec Valéry Giscard d'Estaing et Raymond Barre étaient bonnes, bien sûr, mais aussi avec Jacques Chirac, ce qui était assez rare comme cumul à l'époque : en effet, entre 1977 et 1981, René Monory, contrevenant aux consignes de l'Élysée, a toujours veillé à ce que le département de la Corrèze ne perdît pas ses subventions, et Jacques Chirac lui en a toujours été reconnaissant (au point de lui remettre les insignes de chevalier de la Légion d'honneur le 14 mars 2005 à l'Élysée). Dans la Vienne des années 1980, René Monory a été le mentor de deux futurs ministres : Jean-Pierre Raffarin et Thierry Breton qu'il a recroisés à cette cérémonie.

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L'importance politique de René Monory était telle qu'il a été premier ministrable à deux reprises : en 1986 pour la cohabitation (il fut finalement Ministre de l'Éducation nationale, ce qui était assez cocasse pour un autodidacte, mais la contestation contre le projet de loi Devaquet a réduit toutes ses ambitions ministérielles sur ce terrain-là), et encore en 1993, pour l'autre cohabitation. Jacques Chirac avait évidemment sa préférence pour Édouard Balladur (qu'il allait vite regretter) mais l'hypothèse Monory n'était pas pour lui déplaire non plus (dans le cas où l'UDF aurait eu plus de députés que le RPR).

La consécration, ce fut bien sûr son élection à la Présidence du Sénat le 2 octobre 1992. Un bâton de maréchal, lui, le petit notable de Loudun. Il succédait alors à un autre centriste, Alain Poher, après vingt-quatre longues années et par contraste, René Monory faisait figure de jeune dynamique (de quatorze ans son cadet), présent dans les émissions politiques comme "L'heure de vérité" (sur Antenne 2), présent dans les débats publics, alors qu'Alain Poher n'intervenait presque jamais (sauf lors du référendum du 27 avril 1969 et de l'élection présidentielle qui l'a suivi).

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Deuxième personnage de l'État, la position de René Monory était d'autant plus cruciale que le Président de la République François Mitterrand était malade et même, pour certains, était agonisant (en automne 1994). René Monory s'était alors préparé à assurer l'intérim le cas échéant. Et Jacques Chirac, dont la candidature était largement dépassée dans les sondages par celle du Premier Ministre Édouard Balladur grâce au soutien de l'électorat UDF, défendait l'idée d'une candidature UDF à l'élection présidentielle de 1995, préférant quelqu'un de la jeune génération (comme François Léotard voire Alain Madelin ou même Charles Millon), et à défaut, celle de René Monory, dans le but d'éloigner cet électorat du candidat Balladur (Valéry Giscard d'Estaing était aussi dans cette optique afin de préserver son ascendant sur l'UDF).

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Ayant soutenu la candidature de Jacques Chirac en 1995 (comme Valéry Giscard d'Estaing et Raymond Barre !), René Monory était très critique sur la gouvernance du nouveau Premier Ministre Alain Juppé et en 1996 et 1997, il prônait le retour d'Édouard Balladur à Matignon. Il a ressenti la dissolution du 21 avril 1997 comme une belle occasion pour relancer la dynamique de la construction européenne, dont il était un fervent partisan, car il fallait concrétiser la monnaie unique selon le Traité de Maastricht (il a été élu Président du Sénat dix jours après le référendum et la position sur ce sujet était décisif chez les sénateurs), reprenant l'idée des concepteurs de cette dissolution : faire élire un gouvernement français fort et stable pendant les cinq prochaines années et ainsi capable de négocier avec force aux sommets européens.

Après l'échec de la majorité présidentielle en juin 1997 et l'avènement de l'un des gouvernements les plus longs de la Cinquième République, celui de Lionel Jospin, René Monory aussi a perdu de l'influence. Sollicitant un troisième mandat de trois ans à la Présidence du Sénat le 30 septembre 1998, il y a renoncé après avoir été devancé au premier tour par Christian Poncelet, dix-neuf sénateurs libéraux lui ayant préféré le candidat gaulliste.

Malgré cet échec, à ma connaissance, son unique échec personnel en quarante-neuf ans de carrière élective, René Monory est resté une véritable référence dans la vie politique, celui d'un sans-diplôme qui n'a dû son instruction, son activité professionnelle et sa carrière politique qu'à son propre mérite, et s'il a été longtemps membre du CDS (Centre des démocrates sociaux), il a toujours été jaloux de son indépendance en paroles et en actes (au risque d'agacer ses amis politiques), ce qui rendait ses soutiens d'autant plus forts. Avec lui, aucune langue de bois, pas d'éléments de langage, mais un parler crû, un parler clair, concret, efficace, rocailleux. C'est aussi par son exemple que la plupart des présidents de département et de région sont désormais choisis selon leur compétence de ...chef d'entreprise ou de manager.

René Monory est mort quelques mois après l'introduction dans les milieux politiques de l'actuel Président de la République Emmanuel Macron. Nul doute que les deux hommes se seraient bien appréciés, même si pour certains détracteurs, l'un agissait tandis que l'autre ne ferait que …parler ?


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (03 juin 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le Futuroscope de Poitiers.
Thierry Breton.
Jean-Pierre Raffarin.
Le bon sens au sommet.
René Monory.
René Pleven.
François Bayrou.
Simone Veil.
Jean-Louis Bourlanges.
Jean Faure.
Joseph Fontanet.
Marc Sangnier.
Bernard Stasi.
Jean-Louis Borloo.
Sylvie Goulard.
André Rossinot.
Laurent Hénart.
Hervé Morin.
Olivier Stirn.
Marielle de Sarnez.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230606-monory.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/rene-monory-president-de-la-start-248353

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21 mai 2023 7 21 /05 /mai /2023 05:55

« Roger-Gérard Schwartzenberg confirme qu'il prend place, par les bonheurs du style et la rigueur de la pensée, au premier rang de nos écrivains politiques. » (François Mitterrand, le 11 février 1981 dans "Le Monde").




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Un illustre futur Président de la République, encore simple candidat, a loué le talent intellectuel et la plume d'un spécialiste du droit constitutionnel qui allait devenir un de ses ministres quelques années plus tard et une valeur sûre de la politique française.

Un nom long qui ne s'est jamais transformé en sigle comme VGE, DSK, JJSS, NKM et même PMF. L'ancien ministre Roger-Gérard Schwartzenberg a fêté ses 80 ans le samedi 17 avril 2023. Si son cousin Léon Schwartzenberg était réputé comme médecin, cancérologue et homme très médiatique (qui s'est frotté très furtivement à la politique jusqu'à avoir été quelques jours ministre), Roger-Gérard Schwartzenberg est connu comme un professeur de droit public, spécialiste de sciences politiques et de droit constitutionnel, auteur de livres politiques qui ont fait références et homme politique à part entière. Il a aussi été membre du jury de thèse du futur Président de l'Assemblée Nationale Jean-Louis Debré.

Agrégé de droit à 25 ans en 1968, plus jeune professeur d'université de droit, d'abord à Orléans puis en 1969, à Paris-Assas ainsi qu'à l'IEP Paris, Roger-Gérard Schwartzenberg a allié à la fois l'observation et l'analyse politiques à l'action politique. Dans la théorie pendant les années 1970 (intervenant régulièrement dans "Le Monde" et "L'Express"), il mettait en avant les avantages d'un régime politique rationalisé et régulateur, en particulier par le quinquennat (ce n'était pas nouveau, Georges Pompidou y était déjà favorable), un statut de l'opposition au Parlement (qui fut mis en place par Nicolas Sarkozy en 2008), l'organisation de primaire ouverte dont le modèle allait être adopté par le parti socialiste en 2011, et aussi une limitation du cumul des mandats, un financement public des partis politiques et des campagnes électorales et un plafonnement de ces dernières. Dans la pratique, il s'est jeté dans l'action dans les années 1980 avec l'arrivée de la gauche au pouvoir.

Député européen sur la liste socialiste menée par François Mitterrand de 1979 à 1983 (colistier de Maurice Faure entre autres), Roger-Gérard Schwartzenberg a été élu président du MRG (Mouvement des radicaux de gauche) le 5 octobre 1981 pour remplacer Michel Crépeau, candidat radical de gauche à l'élection présidentielle de 1981, nommé par la suite Ministre du Commerce et de l'Artisanat par François Mitterrand (RGS était auparavant délégué général en 1976 puis vice-président du MRG en 1978).

Comme le voulait la tradition mitterrandienne, tout président du MRG devenait ministre et tout ministre devait quitter la direction d'un parti. Ainsi, Roger-Gérard Schwartzenberg a été nommé Secrétaire d'État à l'Éducation nationale du 24 mars 1983 au 20 mars 1986 dans les gouvernements de Pierre Mauroy et de Laurent Fabius, plus particulièrement chargé des Universités à partir du 23 juillet 1984.

À ce titre, il a démissionné de la présidence du MRG le 12 octobre 1983, présidence qu'il n'allait jamais retrouver, laissant les radicaux de gauche être dirigés par Jean-Michel Baylet (lui aussi futur ministre de François Mitterrand).

Passé dans l'opposition en 1986 où il s'est fait élire député du Val-de-Marne (à la proportionnelle), Roger-Gérard Schwartzenberg a commencé une longue carrière de député, de mars 1986 à juin 2007 et de juin 2012 à juin 2017 (il a échoué à l'élection de juin 2007, sinon, il a toujours été réélu au scrutin majoritaire). Très présent à l'Assemblée Nationale, il a créé un groupe politique rassemblant les radicaux de gauche, qu'il a présidé de juin 2012 à juin 2017, appelé groupe radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP), qui a soutenu très fidèlement les gouvernements nommés par François Hollande tandis que le président des radicaux de gauche (PRG, Parti radical de gauche alors) Jean-Michel Baylet souhaitait quitter la majorité pour éviter d'être entraîné dans le naufrage de la gauche en 2017. Auparavant, il a présidé de 1999 à 2000 le groupe radical, citoyen et vert (RCV) à l'époque de la "gauche plurielle".

Roger-Gérard Schwartzenberg n'est pas redevenu président des radicaux de gauche (il en est le président d'honneur depuis des décennies), mais cela ne l'a pas empêcher de revenir aux affaires dans le gouvernement de Lionel Jospin, nommé Ministre de la Recherche du 27 mars 2000 au 6 mai 2002, succédant à l'imposant géologue Claude Allègre. C'est à ce poste qu'il a sans doute montré le plus d'envergure ministérielle, en contribuant au lancement ou à la relance des programmes ITER, Galileo, Ariane 5+, du synchrotron SOLEIL (Source optimisée de lumière d'énergie intermédiaire du LURE) à Saclay, etc.

Après l'échec présidentiel de Lionel Jospin en 2002, il a transmis son ministère au président du radical valoisien François Loos le 6 mai 2002, puis à la spationaute Claudie Haigneré, nommée le 17 juin 2002 par le Président Jacques Chirac.

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Dans sa vie politique, Roger-Gérad Schwartzenberg a eu des positions assez classiques pour un membre du parti radical de gauche, à savoir la promotion de la construction européenne (en particulier du TCE en 2005), la défense de la laïcité (il s'est opposé en décembre 2013 au port du voile islamique par les parents qui accompagnent les élèves lors de sorties scolaires), l'aide au progrès scientifique au prix d'omissions sur l'éthique (jusqu'à soutenir le clonage thérapeutique en mai 2005 et l'expérimentation sur les embryons humains le 23 janvier 2013 : « Le rôle de l'État n'est pas d'entraver la science biomédicale par une législation inappropriée et obsolète. Il importe donc d'agir pour modifier cette législation, afin que la recherche cesse d'être la recherche du temps perdu. ») ; à la déchéance de nationalité contre les terroristes binationaux, il a proposé en janvier 2016 de lui préférer la déchéance des droits civiques. En avril 2006, il était par ailleurs en faveur d'un référendum sur le CPE (contrat premier emploi) après les fortes manifestations de protestation contre ce projet de Dominique de Villepin.

Roger-Gérard Schwartzenberg a proposé aussi de légiférer sur l'euthanasie le 26 septembre 2012 (proposition n°228) avec ce sophisme qui commençait l'exposé des motifs : « Choisir la mort devrait être la dernière liberté. » et en souhaitant « une assistance médicalisée permettant, par une aide active, une mort rapide et sans douleur », comme si la mort pouvait ne pas être douloureuse (tout en compensant la charge financière de l'État induite par de nouvelles taxes, comme l'indique l'article 7, le dernier, de cette très légère proposition de loi !).

Si en mai 2006, Roger-Gérard Schwartzenberg n'était pas opposé à une alliance avec l'UDF de François Bayrou (qui avait voté la censure du gouvernement de Dominique de Villepin), il s'est opposé en juillet 2007 aux premières tentatives de réunification des radicaux engagées par Jean-Michel Baylet, président du PRG, et Jean-Louis Borloo et André Rossinot, coprésidents du parti radical valoisien, considérant que Jean-Louis Borloo était un influent ministre d'État du gouvernement UMP alors que lui-même était dans l'opposition.

Après avoir été décoré chevalier de la Légion d'honneur le 3 avril 2009 par le Président Nicolas Sarkozy, Roger-Gérard Schwartzenberg a été promu officier de la Légion d'honneur le 31 décembre 2018 par le Président Emmanuel Macron.

Courir après les honneurs ? Cela ne lui ressemblait pas, mais pourtant, le 15 janvier 2004, l'ancien ministre, professeur de droit et député s'est présenté à l'Académie française au fauteuil du grand constitutionnaliste Georges Vedel, mort le 21 février 2002. Bien qu'arrivé en tête avec 10 voix, il n'a pas obtenu de majorité face à ses concurrents (dont l'astrophysicien Jean-Claude Pecker, professeur au Collège de France et membre de l'Académie des sciences, dont on fête le centenaire de la naissance le 10 mai 2023). L'élection a été dite blanche, c'est-à-dire sans avoir choisi de successeur. Après son retrait pour ce siège et quelques velléités pour le siège de l'ancien ministre et historien Alain Decaux (mort le 27 mars 2016), Roger-Gérard Schwartzenberg a finalement abandonné l'idée de devenir immortel.

Théoricien du droit constitutionnel, Roger-Gérard Schwartzenberg en est devenu un praticien comme homme politique à part entière, tant comme parlementaire que ministre et chef de parti. C'est surtout comme parlementaire qu'il a été très fertile en propositions de loi sur de nombreuses questions, institutionnelles ou pas.

Ainsi, le 12 septembre 2016 (proposition n°4030), il a proposé (plus dans un objectif de rationalité que de démagogie) de limiter le nombre de ministères dans un gouvernement à trente, vingt ministres dont une loi organique fixerait la dénomination et le périmètre, et dix ministres délégués ou secrétaires d'État. C'était typiquement une proposition d'un professeur de droit qui a du mal à comprendre l'action politique et s'il y a bien une grande liberté à laisser au Président de la République et au Premier Ministre, c'est bien la nomination du gouvernement, l'importance des ministres et des ministères et même leur dénomination, tout cela étant une décision éminemment politique (l'idée de nommer Jean-Louis Borloo Ministre d'État à l'Écologie n'était pas anodine, par exemple).

Le 12 septembre 2016 également (proposition n°4031), il a proposé l'obligation, lorsqu'un Premier Ministre vient d'être nommé et de prononcer un discours de politique générale, d'engager la responsabilité du gouvernement devant les députés. Ce simple petit mot, obligation, aurait pourtant été un changement de régime radical, absolument rejeté par De Gaulle et le père de la Constitution Michel Debré. En effet, cette obligation aurait ramené la France sous la Quatrième République dans le cas où aucune majorité absolue n'aurait été élue par les électeurs, ce qui était le cas de novembre 1958 à novembre 1962, de juin 1988 à mars 1993 et, surtout, depuis juin 2022 ; on imagine mal Élisabeth Borne, dans les conditions actuelles, confirmée par une majorité absolue de députés après son discours de politique générale le 6 juillet 2022. Le principe justement de la Cinquième République, c'est de permettre un renversement du gouvernement dans le seul cas où ce serait constructif, à savoir, qu'il existe une majorité de rechange et un Premier Ministre de rechange capable d'obtenir la confiance des députés. Ce qui n'est pas le cas depuis 2022.

Le 5 octobre 2016 (proposition n°4078), Roger-Gérard Schwartzenberg a aussi proposé que le Président de la République présente aux parlementaires à Versailles, chaque année en janvier, un message sur l'état de la Nation, un peu comme c'est le cas pour le Président des États-Unis (et également pour le Président de la Commission Européenne). Il l'avait proposé à une époque où la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur le sujet (le Président de la République peut s'exprimer une fois par an devant les parlementaires) avait été appliqué seulement deux fois en deux quinquennats, le 22 juin 2009 et le 16 novembre 2015. Là encore, c'était proposer un cadre rigide sur ce qui était déjà possible de faire : en effet, le Président Emmanuel Macron a utilisé deux fois cette possibilité le 3 juillet 2017 et le 9 juillet 2018, et comptait l'utiliser chaque année de son quinquennat pour présenter le bilan de l'année passée et l'agenda de l'année à venir. La crise des gilets jaunes, puis la crise sanitaire, enfin la guerre en Ukraine ont fait complètement disparaître cette résolution initiale.

Encore auparavant, faisant preuve toujours d'une forte productivité et créativité constitutionnelles, le 8 janvier 2013 (proposition n°576), Roger-Gérard Schwartzenberg a proposé un changement du statut des anciens Présidents de la République : ils ne seraient plus membres de droit du Conseil Constitutionnel, ce qui peut poser des questions sur l'impartialité du Conseil Constitutionnel, notamment sur ses décisions concernant les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), et à la place, ils seraient membres de droit du Sénat (donc à vie). Actuellement, ni Nicolas Sarkozy ni François Hollande, les deux seuls anciens Président de la République encore en vie, ne siègent au Conseil Constitutionnel (et ils ne reçoivent donc pas les indemnités associées).

Enfin, je termine sur la proposition n°229 du 26 septembre 2012 dans laquelle l'ancien ministre radical de gauche a proposé l'élection des députés européens à la proportionnelle à l'échelle nationale et pas dans le cadre des grandes circonscriptions comme entre 2004 et 2014, c'est-à-dire, en fin de compte, reprendre le mode de désignation des députés européens originel, celui entre 1979 et 1999. Même si cette proposition de loi n'a pas été adoptée à l'époque (en 2012), l'idée, sur le fond, a été reprise par la loi n°2018-509 du 25 juin 2018 relative à l'élection des représentants au Parlement Européen sous l'impulsion du Président Emmanuel Macron.

En ce sens, Roger-Gérard Schwartzenberg s'est révélé être une très dense boîte à idées institutionnelles, et les gouvernements ont pioché ce qui leur semblait le plus intéressant.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (17 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Roger-Gérard Schwartzenberg.
Christiane Taubira.
Pierre Mendès France.
Clemenceau.
Émile Combes.
Henri Queuille.
Bernard Tapie.
Jean-Louis Borloo.
Olivier Stirn.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230417-roger-gerard-schwartzenberg.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/roger-gerard-schwartzenberg-boite-247881

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17 mai 2023 3 17 /05 /mai /2023 05:16

« Son mari pataugeait encore dans la mare de la dissolution, Bernadette prenait des initiatives pour attirer les lumières vers elle, montrer de quoi elle était capable. Non, elle n'était pas une potiche. Elle avait invité son amie Hillary Clinton à venir voir la démocratie "en action" dans son fief de Corrèze. » (Catherine Nay, "Tu le sais bien, le temps passe", 2021, éd. Bouquins).




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Quelques semaines après Anne-Aymone Giscard d'Estaing, Bernadette Chirac fête à son tour son 90
e anniversaire ce jeudi 18 mai 2023. Les deux femmes ont pour point commun d'avoir été premières dames, épouses puis veuves d'ancien Président de la République, d'une génération (d'avant-guerre) où les couples étaient généralement stables (d'un point de vue officiel).

Bernadette Chodron de Courcel a connu Jacques Chirac alors qu'ils étaient tous les deux étudiants à Science Po Paris. Elle n'a pas achevé ses études pour se marier. Elle a obtenu une vingtaine d'années plus tard une maîtrise en archéologie. Très active dans les associations caritatives, elle s'est fait un prénom avec l'opération Pièces jaunes (qui finance les aménagements pour que les parents puissent accompagner leurs enfants hospitalisés). Elle a ainsi présidé la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France de 1994 à juin 2019 (Brigitte Macron lui a succédé), et elle a repris aussi la présidence de la Fondation Claude-Pompidou en septembre 2007, après la mort de la veuve du Président Pompidou (jusqu'en 2019 ; Alain Pompidou lui a succédé puis Claude Chirac en décembre 2022).

Très populaire par les Pièces jaunes, Bernadette Chirac l'est aussi pour être allé souvent rencontrer les gens en France. Après l'échec électoral de 1997, elle est devenue une véritable femme politique, au point d'être moquée dans les Guignols de l'Info (avec une forme injuste de fétichisme du sac à main), mais aussi de bien sentir le terrain et d'envisager le passage de Jean-Marie Le Pen au second tour : « Bernadette Chirac, qui faisait le tour de France avec ses signatures de livres, était à l'écoute du terrain, entendait le ras-le-bol des gens à propos de l'insécurité. Des communistes lui disaient qu'ils voteraient Le Pen à cause des trente-cinq heures. Ils en avaient marre des socialistes et de la droite. Elle avait prévenu son mari : "Vous allez voir, Le Pen peut arriver au second tour". Comme d'habitude, il l'avait envoyée sur les roses, il n'y croyait pas. » (Catherine Nay).

En observatrice chevronnée de la vie politique, Catherine Nay a ainsi décrit le jour de la réélection de Jacques Chirac : « Jacques et Bernadette Chirac s'étaient rendus place de la République (…). Le couple était monté sur scène l'air défait, paniqué presque. Je les revois, lui vêtu d'un manteau sombre, elle d'un tailleur noir, le visage sans maquillage. On aurait dit les Ceausescu le jour de leur arrestation. Dans la foule, des jeunes de banlieue en nombre agitaient des drapeaux bleu-blanc-rouge. On voyait aussi beaucoup de drapeaux algériens. "Je me demandais où j'étais", m'avouera plus tard Bernadette. ».

Bernadette Chirac se distingue des autres premières dames par deux caractéristiques importantes : la première, c'est qu'elle se plaisait au Palais de l'Élysée, c'était même la maîtresse de maison amoureuse du château qui s'occupait de tout, décoration intérieure, jardin, menus, etc., au point qu'elle était même en retard dans son déménagement lorsque Nicolas Sarkozy est arrivé. En général, les premières dames appréciaient très peu la fréquentation de l'Élysée, et cherchaient à l'éviter, habitant hors des murs. Elle, au contraire, a rayonné à l'Élysée entre le 17 mai 1995 et le 16 mai 2007.

La seconde caractéristique est plus intéressante : c'est sans doute la première dame qui a été la plus politique de toutes les premières dames de France ! Et cela de deux manières.

La première, c'est d'avoir été élue elle-même. En effet, elle a fait une très remarquable carrière d'élue locale en Corrèze, élue sept fois conseillère générale de la Corrèze de mars 1979 à mars 2015 (trente-six ans !), ainsi que conseillère municipale (voire adjointe au maire à partir de mars 1977) de Sarran, commune de Corrèze, de mars 1971 à mars 2020 (quarante-neuf ans). Le château de Bity, propriété des Chirac depuis 1969, est situé dans la commune de Sarran. Dans ses mandats locaux, Bernadette Chirac a été très active, menant de nombreuses réalisations et profitant de sa notoriété et de son assise nationale pour faire avancer plusieurs projets. Elle sillonnait les routes corréziennes au volant de sa Peugeot 205. Sa carrière corrézienne s'est terminée avec la suppression de son canton (en 2015, la réforme régionale de François Hollande a réduit de moitié le nombre de cantons pour favoriser la parité : chaque nouveau canton a désormais deux élus, une femme et un homme).

Les plus médisants racontent que c'est son mari Jacques Chirac qui l'a vivement encouragée à prendre des mandats locaux en Corrèze, se disant qu'elle occupée ainsi en province, il serait, lui, plus tranquille à Paris de temps en temps ! La seule autre première dame à avoir reçu un mandat des électeurs est Anne-Aymone Giscard d'Estaing, et encore, après le départ de son époux de l'Élysée ; elle a été pour deux mandats conseillère municipale de Chanonat de mars 1983 à juin 1995, ville dont son beau-père fut le maire avant la guerre. Les époux Giscard d'Estaing possédaient en outre le château de la Varvasse qu'ils ont revendu en 2008.

Fine politique, Bernadette Chirac a su faire passer le Tour de France à Sarran en 2001, l'étape s'arrêtant devant le Musée Chirac, à quelques mois de la prochaine élection présidentielle. Et la venue, le 12 mai 1998, de Hillary Clinton, l'épouse du Président américain, en pleine polémique de l'affaire Monica Lewinsky (qui fut une humiliation pour elle), à Sarran (arrivée par la ligne aérienne Washington-Limoges !), a été un coup politique très réussi de la part de Bernadette : « C'était la rencontre de deux femmes trompées, bafouées par leurs maris,ce qui créait entre elles une forme de sororité. » dixit Catherine Nay.

La seconde manière de faire de la politique, c'est d'influer sur le cours des événements. Il est impossible de ne pas avoir la tentation, sur certains sujets qui tiennent au cœur, d'influencer celui qui dirige le pays et dont on partage la vie. Cette part d'influence sera toujours sujette à caution et souvent mystérieuse. Une première dame n'a aucune qualité pour avoir un quelconque rôle au sein de l'État, si ce n'est, et c'est le lot de tous les conjoints (souvent conjointes) d'officiels dans les cérémonies protocolaires, un rôle de représentation. La proximité fait nécessairement qu'une épouse peut confier à l'oreille du chef de l'État quelques éléments de réflexion, oreille généralement peu atteignable pour un simple citoyen. Mais rien ne dit que ces réflexions sont efficaces pour construire une décision.

Avec Bernadette Chirac, on subodore qu'elle a dû avoir un peu d'influence politique sur son mari parce qu'elle a elle-même l'esprit très politique. On peut citer deux exemples qui sont assez bien connus des médias et qui ont été déterminants dans la carrière de Jacques Chirac.

Le premier exemple est en 1979 : à la suite de l'appel de Cochin, profondément anti-européen, obtenu à l'arraché sur son lit d'hôpital (blessé par un accident de voiture), Jacques Chirac a échoué aux premières élections européennes en juin 1979. Il a alors congédié l'inspiratrice de ce mauvais appel, Marie-France Garaud, la conseillère politique (avec Pierre Juillet) de Jacques Chirac depuis une dizaine d'années.

Bernadette Chirac n'a pas été inactive dans ce renvoi qui a été important puisqu'il a motivé la candidature à l'élection présidentielle de 1981 de Marie-France Garaud, prenant ainsi des voix gaullistes à Jacques Chirac (d'autant plus que Michel Debré était aussi candidat). Laissant sa jalousie d'épouse s'exprimer librement, Bernadette aurait dit à Jacques Chirac : c'est elle ou c'est moi ! Ce qui a fait dire à Jacques Chirac, dans "VSD" le 20 septembre 1979 : « Ma femme est devenue un homme politique ! ».

Après coup, Bernadette Chirac a confié à la journaliste politique Christine Clerc, pour "Elle" le 17 septembre 1979 : « [Marie-France Garaud], c'est une femme intelligente et pleine de charme, mais elle a beaucoup de mépris pour les gens. Elle les utilise, et puis elle les jette. Moi, elle me prenait pour une parfaite imbécile. ».

Dans ses "Cahiers secrets", la journaliste Michèle Cotta a confirmé la haine mutuelle entre les deux femmes en évoquant une conversation avec Michel Debré le 29 septembre 1979 : « Bien sûr, Michel Debré avait eu Marie-France Garaud et Pierre Juillet à l'appareil, la semaine dernière. Marie-France lui a parlé de l'interview de Bernadette Chirac dans "Elle", puisque c'est à ce journal féminin qu'elle a dit avoir demandé à son mari de choisir entre sa femme et sa conseillère. Elle en est apparemment affectée. Plus que cela, blessée. "Toute la France, a-t-elle dit à Debré, croit que j'ai été la favorite renvoyée par la reine mère !". ».

Et Michèle Cotta de compléter : « Affectée, peut-être, mais elle a toujours la dent dure, car, après tout, Bernadette a son âge ! La traiter de "reine mère" est particulièrement vachard. Pour quelqu'un qui, comme Marie-France, a une tendance instinctive à mépriser (intellectuellement du moins) les autres femmes, le coup a dû être rude : elle avait toujours pris cette femme pour une sotte, et voilà qu'elle se fait congédier par elle. Congédier, au demeurant, n'est pas le mot, puisqu'elle était déjà partie ! ».

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Le deuxième exemple, c'est la relation avec Nicolas Sarkozy. Entre 1993 et 1995, Bernadette Chirac a été aussi meurtri que son époux de la "trahison" de Nicolas Sarkozy au profit du Premier Ministre Édouard Balladur. Mais une fois élu, Jacques Chirac l'a laissé en disgrâce tandis que Bernadette était convaincue qu'il fallait renouer avec Nicolas Sarkozy et jeter la rancune à la rivière. Après sa réélection en 2002 et deux ans déjà de sarkozysme à outrance dans les médias, Jacques Chirac a tenté de réduire les ardeurs de son potentiel successeur le 14 juillet 2004 en assénant à la télévision : « Je décide, il exécute. ». Un recadrage brutal et humiliant.

Nicolas Sarkozy, hésitant à donner sa démission, a été rattrapé de justesse le lendemain par Bernadette : « "Nicolas, les Français veulent que vous travailliez avec mon mari", elle m'a réconforté ! ».

Beaucoup d'autres exemples ont montré qu'elle s'occupait beaucoup de politique intérieure, n'hésitant pas à exprimer son mépris pour Dominique de Villepin
(qu'elle appelait Néron, le grand stratège ou encore le poète du Président), ou encore pour Alain Juppé lorsque ce dernier était à Matignon, qui a foiré la dissolution, sympathisant même avec des ministres socialistes comme Claude Allègre.

Catherine Nay, dans le deuxième tome de ses mémoires, a retranscrit le témoignage de Pierre Moscovici, alors Ministre délégué aux Affaires européennes : « Parfois, Bernadette était du voyage. C'était toujours un grand moment. Le couple s'envoyait des vannes, j'étais au spectacle. Elle aussi cherchait à séduire. Lors d'un voyage à Saint-Pétersbourg, elle me disait admirer la "dream team" de Jospin. ».

Bernadette soutenait politiquement son époux quand les affaires ont commencé à sortir. Chez Michel Drucker, invitée à la télévision le 22 mai 2001, elle lâcha, majestueuse dans sa communication politique : « Je voudrais simplement dire que je partage la vie d'un homme qui a donné l'essentiel de son existence au service de l'État, au service des autres, avec une très grande générosité et beaucoup de rigueur. En ce moment, je suis animée d'un sentiment un peu de révolte. ».

La journaliste a évoqué aussi le successeur de Lionel Jospin à Matignon le 6 mai 2002, Jean-Pierre Raffarin : « Il plaisait à Bernadette. "J'ai trouvé votre homme !" lui avait-elle dit au retour d'une visite politico-hospitalière dans le Poitou. Sa proximité avec le terrain l'avait séduite. Raffarin plaisait aussi à Claude [Chirac], qui appréciait ses talents de communicant. (…) Bref, il arrivait à Matignon avec la bénédiction de la trinité chiraquienne : le père, la fille, le Saint-Esprit. ».

À la fin de la Présidence, "Le Figaro" a consacré un court article sur Bernadette Chirac (le 13 juillet 2007) : « Longtemps son rôle d'épouse sera tout entier dévolu à l'appétit de pouvoir de cet homme insatiable adepte du mouvement perpétuel. Elle avait décidé de lui être utile sans être ni trop exigeante ni trop regardante. En 1995, quand il accède enfin à l'Élysée, après deux échecs et autant de traversées du désert, Bernadette Chirac a, elle aussi, beaucoup appris de la politique, de ses mirages, de ses pièges et de ses coups bas. La campagne électorale s'est pratiquement déroulée sans elle. Sa fille Claude est devenue "la" conseillère du candidat. La First Lady devient presque une intruse dans le palais où elle réside. Son époux l'ignore, ses collaborateurs aussi. Elle souffre en silence. (…) Elle profite des cinq ans de cohabitation dominée par Lionel Jospin pour s'imposer aux côtés de son mari. Les militants RPR l'adorent. Ils l'acclament à chaque apparition. Soudain, la femme effacée laisse place à une battante qui a requinqué un chef de l'État laissé groggy par la défaite électorale. Sa popularité soudaine atteint des sommets (…). Le quinquennat lui fera oublier des années d'abnégation, pour ne pas dire d'humiliation. Après des décennies à avoir joué les utilités au service de l'ambition d'un homme, Bernadette Chirac a fini par s'imposer comme un premier rôle, voire la pièce maîtresse de la Présidence. ».

Dans ses mémoires, Catherine Nay a attribué à Bernadette un véritable brevet d'animal politique : « Longtemps après, je mesurais combien Bernadette n'avait cessé de conspirer à la réélection de son mari en 2002, convaincue qu'en politique, on ne subit pas l'avenir, on le façonne. Jamais rien d'improvisé avec elle. (…) Mine de rien, par petites touches successives, presque invisibles depuis Paris, elle engrangeait des soutiens pour lui par un travail en profondeur. Le seul à s'en rendre compte était Nicolas Sarkozy. (…) Tout le contraire de Dominique de Villepin qui tenait, lui, la première dame pour quantité négligeable, frôlant parfois l'insolence. Elle le détestait. (…) Parler aux gens, elle savait faire. Snob autant qu'il est possible d'être parfois, la première dame savait se montrer aussi à l'aise accoudée sur une toile cirée, dans une cuisine à la ferme qu'avec les ministres, les artistes, les têtes couronnées. (…) Sa popularité montait en flèche. Elle se donnait beaucoup de mal : "Vous savez que pour beaucoup de gens, Chirac est le mari de Madame Pièces Jaunes", ironisait-elle devant moi. Ça n'était pas qu'un trait d'humour. Traduction politique : ma popularité rejaillit sur mon mari, principe des vases communicants. ».

Après l'Élysée, Bernadette Chirac continua à assurer le service après-vente du chiraquisme en soutenant activement Nicolas Sarkozy en 2007 et surtout, en 2012 alors que son mari plaisantait vaguement en annonçant son vote pour François Hollande, corrézien. Elle a également soutenu Nicolas Sarkozy lors de la primaire LR de novembre 2016.

L'état de santé de Bernadette Chirac, ébranlée par la disparition de sa fille Laurence en avril 2016 et de son mari en septembre 2019, est faible selon ses proches. Sa fille Claude, elle, a pris la relève de ses parents en se faisant élire, en juin 2021, conseillère départementale du canton de Brive-la-Gaillarde dans le département de la Corrèze, dont le président du conseil général fut longtemps un certain Jacques Chirac (entre mars 1970 et mars 1979).

Elle-même un peu peau de vache, Catherine Nay a assuré sur la chaîne C8 le 19 janvier 2023 que Bernadette Chirac était parfois une "peau de vache effrayante et snobe" : « Bernadette Chirac, je la voyais chez le coiffeur, c'était une peau de vache effrayante et snobe ! Elle était très lunatique (…). Parfois, elle ne disait pas bonjour. On ne savait pas pourquoi ! (…) [Elle] pouvait dire des choses très drôles (…). Elle me disait toujours "il me trompe" et c'est vrai qu'il la trompait ! (...) Elle a souffert, elle n'a jamais voulu divorcer. Malgré tout, ils riaient ensemble ! Ils avaient des rapports qui n'appartenaient qu'à eux. ». Et depuis 2018, la famille Chirac s'est éloignée des journalistes.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (14 mai 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jacques Chirac.
Bernadette Chirac.
Brigitte Macron.
Anne-Aymone Giscard d'Estaing.
Carla Bruni.
Ségolène Royal.
Valérie Trierweiler.
"Merci pour le moment".
Julie Gayet.

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10 mai 2023 3 10 /05 /mai /2023 05:08

« Au-delà de la nécessaire lutte contre l'oubli, il peut paraître important de préserver la paix civile. Il y a d'autres moyens qu'un procès pour dénoncer la lâcheté du régime de Vichy. » (Georges Kiejman, le 19 octobre 1990).



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La réflexion de celui qui était ministre délégué à la Justice était grave : il ne voulait pas de procès pour René Bousquet, dont les amitiés avec François Mitterrand ont troublé jusqu'au sein de la Mitterrandie triomphante. L'avocat ultra-médiatique Georges Kiejman est mort ce mardi 9 mai 2023 à Paris à trois mois de son 91e anniversaire (il est né le 12 août 1932 à Paris).

Sa mort intervient le lendemain justement d'un hommage à la Résistance et à Jean Moulin rendu dans une atmosphère de gravité et d'humilité à la prison de Montluc à Lyon (où fut interné Jean Moulin). Le Président Emmanuel Macron a définitivement tourné la page des amitiés douteuses, cette page avait commencé à se tourner dès le début de la Présidence de Jacques Chirac.

Pour Georges Kiejman, à l'époque (il y a trente-deux ans), remettre au cœur du débat national les enjeux de la collaboration était un risque pour l'unité nationale, car des Français ont collaboré pas forcément en raison d'une collusion idéologique mais plus précisément par réalisme politique, un réalisme sans vision : pour eux, à l'instar de Pierre Laval, la France devait être bien installée dans ce qu'ils croyaient comme un acquis irréversible, une Europe dominée par l'Allemagne nazie.

Du reste, la biographie de René Bousquet proposée lors de son assassinat, rédigée par Éric Conan le 10 juin 1993 pour "L'Express", rapproche les deux préfets d'origine rad-soc : « Certains aiment faire le parallèle entre René Bousquet et Jean Moulin pour évoquer le mystère des destins personnels révélés pendant l'Occupation. Leur proximité de carrière est flagrante avant guerre. Issus tous deux de milieux radicaux du Sud-Ouest, très brillants, réellement courageux et très ambitieux : jeunes prodiges de la préfectorale, l'un détrônera même l'autre du titre de plus jeune préfet de France. La parenthèse de la guerre les opposera totalement. ».

Que le gouvernement, pour protéger François Mitterrand, ait tout fait pour retarder le cours de la justice dans l'instruction du procès Bousquet (par exemple, un seul traducteur franco-allemande pour mille pages du dossier en allemand), cela ne fait quasiment aucun doute, jusqu'au "divin" assassinat qui empêcha tout procès serein (et non expéditif) d'un dirigeant direct du régime de Vichy.

Mais on ne pouvait pas non plus taxer Georges Kiejman d'allié objectif du pétainisme et des collaborateurs : ses deux parents étaient des émigrés juifs polonais illettrés, arrivés en France en 1931, et son père a été assassiné à Auschwitz (sa sœur, qui a été aussi déportée, en est revenue). Lui a dû son salut à sa mère qui l'a amené dans le Cher. Ça marque de manière indélébile, ce qu'il a convenu dans son autobiographie : « La guerre bouleverse tout, les vies, les destins, les trajectoires, la géographie. Elle brise les famille, tord le temps, transforme les individus, fragmente les sociétés et façonne les âmes à jamais. » (2021).

C'est ce qu'il disait déjà en janvier 2012 sur France Culture dans la série de cinq interviews "À voix nue" : « Je fais partie des gens qui ont survécu, et comme beaucoup de ces gens j'en tire une forme de culpabilité : j'écrirai plus tard dans le livre d'or d'Auschwitz, en visite officielle alors que j'étais ministre, "Pardon d'avoir survécu". C'est un état d'esprit qui agite beaucoup de gens. ».

J'ai toujours trouvé que Georges Kiejman ressemblait à ce personnage du vilain candidat à être le maître du monde dans la bande dessinée pour la jeunesse "Les 4 As". Le docteur Hargnon, scientifique, est le représentant d'une pays joliment appelé la Paramécie, chargé de voler les belles inventions des gentils savants et de les utiliser à mauvais escient pour conquérir le monde (je parle bien sûr uniquement de la ressemblance physique).

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Connu pour ses activités d'avocat et aussi ses amitiés culturelles et politiques, Georges Kiejman n'a jamais laissé indifférent, agaçant ou fascinant. Qualifié par le journal de la gauche caviar "Libération" de « brillant dandy des prétoires » en guise de titre pour sa notice nécrologique (« l'avocat monument » pour le magazine "Elle"), Georges Kiejman aimait vivre et se faire aimer. Trois fois marié (en particulier avec l'actrice Marie-France Pisier dont il fut le premier mari), l'avocat était un proche de Pierre Mendès France (qu'il a aidé en campagne) et de Françoise Giroud, ainsi qu'un ami fidèle de François Mitterrand (il l'invitait dans sa résidence de vacances au bord de la mer).

Dès 1981, Robert Badinter, alors Ministre de la Justice (qui a aussi perdu un parent dans les camps), lui a confié la mission de participer à la rédaction du nouveau code pénal, une refonte qui s'apparentait à un travail de titan qui a abouti en 1994. Engagé à gauche, Georges Kiejman n'a jamais sollicité de mandat électif (au contraire de beaucoup d'avocats réputés) et François Mitterrand le fit entrer au gouvernement du 2 octobre 1990 au 28 mars 1993 comme ministre délégué de trois Premiers Ministres, Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy, d'abord auprès du Ministre de la Justice, puis, à partir du 15 mai 1991, chargé de la Communication, enfin, à partir du 2 avril 1992, auprès du Ministre des Affaires étrangères, chargé de la Coopération internationale et du Développement.

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Justice, culture et relations internationales, telles furent ainsi les trois portefeuilles ministériels qu'il a reçus, pas un ministre politique de première importance mais des sujets cruciaux dans une France en devenir. Lorsqu'il s'est exprimé sur le procès Bousquet, il était Ministre délégué à la Justice et ses propos étaient donc très écoutés. Il assumait par ailleurs sa vie parisienne, confiant (à l'hebdomadaire "Le Point" le 23 janvier 2021) : « Je préfère la gauche caviar à la gauche con-con ! ».

Georges Kiejman était donc un exemple, parmi de nombreux autres, d'un avocat redoutable qui a fait de la politique (en dilettante), en passant par la case ministérielle, au même titre que Robert Badinter, Roland Dumas (deux autres amis avocats de François Mitterrand), Éric Dupond-Moretti également bien plus tard. Il ne faut pas confondre cependant avec des personnalités politiques qui sont certes avocates mais après leurs responsabilités politiques (un ancien député a le droit d'être un avocat) ou alors qui ont déjà leur réputation politique avant d'être avocat (c'est le cas de Nicolas Sarkozy qui a fait des études de droit, tout comme celui de François Mitterrand). Il faut rappeler que dans la tradition républicaine depuis 1870, les parlementaires sont principalement des hauts fonctionnaires, des médecins, des avocats et de professeurs, professions qui permettent des aménagements de temps pour des engagements politiques (au contraire des chefs d'entreprises, ingénieurs, mais aussi des ouvriers, militaires, commerçants, etc.).

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La réputation et la consécration de Georges Kiejman étaient bien du domaine de son métier, avocat. Il était présent dans de nombreuses affaires ultra-médiatisées, en tant que spécialiste du droit public et du droit d'auteur.

On le retrouvait ainsi comme défenseur des éditions Gallimard (notamment Ionesco, Montherlant, Camus), des éditions du Seuil et de Guy Debord, également Élisabeth Roudinesco dans une affaire de diffamation. Il a défendu beaucoup de réalisateurs et d'acteurs (en particulier Jean-Luc Godard, François Truffaut, Louis Malle, Costa-Gavras, Maurice Pialat, Jacques Demy, Simone Signoret, Yves Montand, Jeanne Moreau, Sophie Marceau, etc.), également Roman Polanski (lors de son affaire en 2009), la famille de Marie Trintignant contre son compagnon et meurtrier. Il a assuré la défense du militant d'extrême gauche Pierre Goldman accusé du meurtre de deux pharmaciennes (il fut acquitté : c'est cette victoire qui le rendit célèbre), de l'auteur de l'enlèvement et de la séquestration du baron Édouard-Jean Empain.

Dans des affaires un peu plus politiques, Georges Kiejman était l'avocat du gouvernement des États-Unis dans le procès contre le terroriste Georges Ibrahim Abdallah, celui de la famille de Malik Oussékine, tué par des policiers lors d'une manifestation contre le projet de loi Devaquet, celui des enfants du général Mohamed Oufkir emprisonnés sans justification au Maroc, celui des héritiers de François Mitterrand contre la publication du témoignage du docteur Claude Gubler (pour violation du secret médical), celui des époux Lucie et Raymond Aubrac dans une affaire de diffamation, celui de Liliane Bettencourt dans une affaire l'opposant à sa fille Florence Bettencourt-Meyers (l'affaire fut conclue à l'amiable), celui de la famille de Ghislaine Marchal contre la révision du procès d'Omar Raddad, celui de Mohamed El Fayed dans l'affaire concernant l'accident tragique de Lady Diana.

Dans des affaires très politiques, il a défendu l'hebdomadaire satirique "Charlie Hebdo" dans l'affaire des caricatures de Mahomet en 2007 (il a gagné contre des organisations musulmanes), il a aussi supervisé le divorce de Nicolas et Cécilia Sarkozy, défendu l'ancien Président Jacques Chirac en 2011, etc.

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Dans le résumé de l'éditeur sur l'autobiographie de Georges Kiejman qu'il a coécrite avec la journaliste Vanessa Schneider (éd. Grasset), sortie le 17 novembre 2021, il est expliqué ceci : « Rapide, intelligent, cultivé, séducteur, mais aussi implacable et déterminé, il devient un avocat réputé dans les années 1960. (…) Au carrefour des arts, de la justice et de la politique, grand amoureux des femmes à qui il rend un hommage pudique, il lève le voile sur ce que cachent sa robe noire et son intelligence ironique : un homme qui voulait être aimé. ».

Dans ce livre, Georges Kiejamn disait adorer son métier d'avocat, ses excursions dans la vie politique, les arts et la culture (littérature, cinéma, etc.), mais avant tout, il adorait les femmes : « La séduction avec une femme, l'impression d'avoir percé un peu son mystère, l'idée folle qu'elle a besoin de vous, il n'y a rien de plus fort. Leur présence est comme un alcool chaud. Elles me mettent à l'aise. Je ne me suis jamais ennuyé avec une femme. Je ne peux pas le dire des hommes que j'ai rencontrés. ».

Amoureux des femmes et amoureux de la vie, qu'il a commencée dans un extrême dénuement et qui s'est transformée dans les années 1960, alors qu'il avait à peine 30 ans, en opulence grâce principalement à la chance, déjà celle d'aller vers le métier d'avocat. Le 16 janvier 2012, il précisait sur France Culture : « Des chances providentielles, j'en ai eu tout le temps ! ». Souhaitons-lui d'avoir la chance de trouver maintenant ce qu'il espérait trouver après cette ultime étape.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (09 mai 2023)
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Pour aller plus loin :
Georges Kiejman.
Robert Badinter.
Roland Dumas.
Éric Dupond-Moretti.
Patrick Devedjian.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.

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https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/georges-kiejman-le-roman-d-un-248252

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2 mai 2023 2 02 /05 /mai /2023 05:26

« Je pense que nous ne réalisons pas assez, nous Français, qu'il y a une guerre en Europe, aujourd'hui, à deux heures d'avion de Paris. » (Robert Badinter, le 26 avril 2023 sur France Inter).





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Lorsque j'ai évoqué la figure de Robert Badinter qui venait d'avoir 95 ans il y a un mois, j'expliquais pourquoi il était très écouté. Comme juriste, comme constitutionnaliste, comme politologue, comme pénaliste, comme historien, comme enseignant (professeur agrégé), et même comme sociologue et comme écrivain (voire dramaturge !), ses avis comptent d'autant plus dans une société française en perte de repères qu'ils sont rares et précieux.

L'ancien ministre est certes une icône un peu trop facilement affichée, haut bourgeois, sans problème d'argent, vivant dans les beaux quartiers, et il a l'humilité des très grands, qui lui a fait refuser des décorations comme la Légion d'honneur ou le Mérite.

Mais Robert Badinter est tout sauf un animal politique. S'il a eu de grandes fonctions politiques, elles n'étaient qu'octroyées par la grâce de son ami et client François Mitterrand. Il n'a jamais compris un congrès du parti socialiste (peu comprennent d'ailleurs), il n'a jamais su se rendre indispensable politiquement, il n'a jamais eu de chef, de courant, d'écurie, de lieutenants, de bras droits, de disciples... Il n'a jamais compris pourquoi la communication politique avait supplanté la politique elle-même, ni pourquoi les directeurs des instituts de sondage étaient désormais les politologues les plus interrogés.

En ce sens, il est très différent du Président actuel Emmanuel Macron, mais plus généralement de tous ceux qui recherchent le suffrage des électeurs : il ne peut pas comprendre le principe du selfie et encore moins de la personnalité politique en tant que star d'un jour, dans un lieu et un temps donnés. Il conçoit l'histoire d'abord comme une gravité.

Probablement que ce n'est pas le fait d'être avocat qui lui a donné cette distance peut-être nécessaire avec ses contemporains qui peuvent l'admirer mais qui ne le connaissent pas vraiment. J'avais remarqué que c'était aussi le cas de Simone Veil (dont il a préfacé un livre en 2016). Or, les deux ont eu une histoire pas si différente : leur chair a été meurtrie par la Shoah. Robert Badinter avait 14 ans en 1942. Il a failli être arrêté par la gestapo, tandis que son père, Juif d'origine moldave, a été déporté et assassiné par la folie nazie dans un camp d'extermination, son oncle également. Il porte en lui cette tragédie dont on ne peut jamais se remettre complètement. Après une telle adolescence, les futilités de la quotidienneté politicienne peuvent échapper à l'entendement.

J'ai fait cette longue introduction pour insister sur le fait que Robert Badinter ne parle jamais pour ne rien dire et que lorsqu'il ouvre la bouche, il est très écouté. C'est peut-être pour cette raison que certains aujourd'hui viennent l'accuser de tous les maux, lui reprochent son âge (alors qu'on aimerait voir comment eux-mêmes seront ou seraient au même âge), et plus généralement, lui reprochent d'être riche (jalousie) voire, mais sans le dire vraiment, Juif (selon une tradition antisémite encore très prégnante bien que délictuelle que les aspérités de l'histoire, malgré tout, n'ont pas réussi à totalement emporter).

Or, ces derniers jours, Robert Badinter s'est beaucoup répandu dans les médias, une offensive médiatique, dans les matinales, sur France Inter le mercredi 26 avril 2023, sur Radio Classique le vendredi 28 avril 2023, il était, le même jour, l'invité spécial successivement de LCI puis de BFM-TV.

La raison ? Il a coécrit un réquisitoire sans pitié contre le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine dont il a évoqué la pulsion : « On en a un exemple avec l'Ukraine, qui a résisté à une agression de sang-froid, préméditée, c'est pourquoi on parle de crime. Il avait médité et préparé ce coup-là, qui est la négation absolue de la paix et de la diplomatie. », a-t-il expliqué à Léa Salamé sur France Inter le 26 avril 2023.

Il veut que Vladimir Poutine soit jugé pour les crimes qu'il a commis : « C'est la multitude des crimes commis contre les civils, les bombardements d'hôpitaux, d'écoles, les viols collectifs... C'est ça, l'horreur de la guerre. Les Ukrainiens et la Cour pénale internationale récoltent les preuves. Pourquoi ? Parce qu'on s'est aperçu, au moment du conflit en ex-Yougoslavie, qu'après coup, c'était très difficile de réunir ces preuves, et qu'il fallait aussitôt le faire, de façon à ce que l'accusation soit prête. ».

On notera d'ailleurs que Robert Badinter n'a jamais oublié la guerre de l'ex-Yougoslavie, mais qui restait un conflit régional tandis que le conflit ukrainien met en jeu la Russie (fauteuse de guerre) et il pourrait dégénérer en conflit mondial : « On l'oublie. Moi j'ai connu la guerre, je sais ce qu'est la guerre, et elle existe, elle est là. J'imagine simplement, et ce n'est pas qu'une invention de l'esprit, ce qui se passerait si un drone égaré ou un hélicoptère touché s'abattait sur une région truffée littéralement d'usines atomiques. Ce serait Tchernobyl multiplié par quatre ! ».

Robert Badinter rappelle qu'il a connu la guerre et il ne reste plus grand-monde pour en dire autant. Kiev était une capitale aussi paisible que Paris, Londres, Berlin, Rome il y a seulement deux ans. Le pays est devenu la cible d'une lubie outrancière et meurtrière qui peut avoir ses similitudes avec la Seconde Guerre mondiale : « Chaque conflit a ses particularités, ses sources, mais quand je regarde l'agression commise, [Vladimir Poutine] disait que c'était pour empêcher le génocide des Russes par les Ukrainiens dans le Donbass. C'était au début ! Comme il n'y a pas la moindre preuve de ce génocide, il a laissé de côté cet argument. C'est le type même de la propagande totalitaire : il suffit de regarder les discours de Goebbels ou Hitler pour mesurer qu'il y a un constant mépris de la vérité et de l'interlocuteur. ».

Alors, bien sûr, on voudra maugréer le vieillard avisé quand il fait le lien entre la guerre en Ukraine et la réforme des retraites : « Au même moment où nous faisions passer la semaine de travail à 40 heures, Hitler faisait passer à 60 heures dans les usines allemandes tout ce qui concernait la défense nationale... Et tout concernait la défense nationale. Il y avait une espèce d'aveuglement, on ne voyait pas, ou bien on ne tirait pas les conséquences de ce qui se passait de l'autre côté du Rhin. Et là, je vois les défilés, justifiés, à propos de la question des retraites : mais la première question, c'est la paix et la guerre. Parce que ce ne sera pas l’allongement de l'âge de la retraite, ce sera la vie et la mort. C'est ça, la guerre ; c'est la vie et la mort. » (notez bien qu'il a qualifié les défilés de justifiés, ce n'est pas cela qu'il remettait en cause, même si lui-même ne connaît pas le mot retraite encore à 95 ans !).

Sur Radio Classique le 28 avril 2023, Robert Badinter est revenu sur le sujet : « Si on avait dit à Göring, le numéro 2 du Reich qu’il allait être jugé à Nuremberg par une juridiction pénale internationale, il aurait ricané. Le dictateur en exercice ne croit jamais qu’il peut se retrouver un jour devant une Cour pénale internationale. ». La grande nouveauté depuis la Seconde Guerre mondiale, c'est que les États se sont dotés d'une « justice pénale internationale dont le premier modèle a été Nuremberg ». Et l'expérience de la guerre civile en ex-Yougoslavie a montré qu'il fallait collecter les preuves des horreurs au moment même où étaient commises ces horreurs. Insistons !

Sur LCI le 28 avril 2023, Robert Badinter a mis cependant un préalable au possible procès : « L'avenir n’est pas écrit d’avance. Et s’agissant des dictateurs, il serait bon et juste qu’un jour, ils répondent de leurs crimes (…). Soyons réalistes : aussi longtemps que Poutine sera Président de la Russie, maître incontesté du pouvoir, je ne crois pas qu'on puisse espérer le traduire en justice (…). L’histoire nous enseigne que les dictateurs d'aujourd'hui font les accusés de demain (…). Évidemment, c’est l’histoire qui doit parler. Je veux dire par là que Poutine ne doit plus être Président de Russie ! ».

Ce réquisitoire est publié dans "Vladimir Poutine : l'accusation" (éd. Fayard), coécrit avec un ancien président de chambre à la Cour pénale internationale Bruno Cotte et un ancien président de la Commission du droit internationale des Nations Unies Alain Pellet.

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Sur BFM-TV, toujours le 28 avril 2023, Robert Badinter a abordé plus longuement la réforme des retraites et sa validation globale par le Conseil Constitutionnel : « Le Conseil Constitutionnel est toujours critiqué par ceux qui sont demandeurs de l'annulation (…). Dans la vie judiciaire, il est rare que celui qui a perdu son procès ne maudisse pas ses juges, le Conseil Constitutionnel n'échappe pas à cette loi commune. ». Parole avisée d'ancien Président du Conseil Constitutionnel. Que ceux qui le critiquent sur cette question de la constitutionnalité de la réforme aient montré autant de compétences que Robert Badinter dans le domaine juridique et constitutionnel !

Il ajoutait : « Quand je vois nos compatriotes se mobiliser, comme je le comprends, à propos de la retraite, on voit qu'ils n'ont pas vécu la guerre. ». Il a toutefois considéré qu'il n'y avait pas de crise démocratique : « Comme il sied dans une démocratie, le pays choisira. ». Ce qu'une majorité fait peut être défait par une autre majorité. C'est l'exercice de la démocratie. Histoire de dire que la bataille des retraites, elle ne se situe par le 1er mai 2023 sur le pavé parisien, mais elle a déjà eu lieu le 10 avril 2022 dans urnes.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (29 avril 2023)
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Pour aller plus loin :
Le procureur Badinter accuse le criminel Poutine !
L'anti-politique.
7 pistes de réflexion sur la peine de mort.
Une conscience nationale.
L’affaire Patrick Henry.
Robert Badinter et la burqa.
L’abolition de la peine de mort.
La peine de mort.
François Mitterrand.
François Mitterrand et l’Algérie.
Roland Dumas.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230428-robert-badinter.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-procureur-badinter-accuse-le-248100

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25 avril 2023 2 25 /04 /avril /2023 13:55

« Dans le monde sauvage des animaux politiques, il ne faut pas être sur le passage d'un prédateur. Je le sais, j'ai traversé imprudemment la savane. Chirac était un carnassier débonnaire. Avec lui, on était mort mais c'était sans rancune. Chacune de ses victimes, antilope déchiquetée et consentante, devenait digne d'une amitié nouvelle définitivement inoffensive. » (François Léotard, le 5 mars 2008 dans "Ça va mal finir", éd. Grasset).



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J'ai été très ému en apprenant la mort de François Léotard ce mardi 25 avril 2023 à l'âge de 81 ans qu'il venait d'atteindre il y a tout juste un mois. Chose curieuse, cette nouvelle a été rendue publique par le Président de la République lui-même, Emmanuel Macron ayant publié sur Twitter un court hommage. La dernière prise de position politique de François Léotard a été son soutien au candidat Président à sa réélection : « Je crois qu’il y a chez Macron une extraordinaire bonne volonté. (…) L’énergie et l’intelligence du Président Macron sont incontestables. Il a assumé avec dignité ses responsabilités à la fois nationales et européennes. » (5 mars 2022). Auparavant, il avait soutenu Nicolas Sarkozy en 2007 mais avait été très déçu du quinquennat de celui-ci.

François Léotard, c'était l'homme mais c'était aussi la génération, une génération sacrifiée par la forte longévité des Jacques Chirac, Valéry Giscard d'Estaing, Édouard Balladur et, à gauche, François Mitterrand, Pierre Mauroy, Lionel Jospin, Michel Rocard. En effet, les quadragénaires dynamiques et pleins d'espoir des années 1980, ceux de l'opposition en pleine victoire de la gauche archaïque, qui avaient talent, ambition, opportunité à devenir les premiers, n'ont été finalement qu'une génération sacrifiée.

La liste est longue des personnalités issues de l'UDF ou du RPR qui avaient un avenir prometteur au milieu des années 1980, et François Léotard fut sans doute parmi les premiers, aux côtés de Philippe Séguin, Dominique Baudis, Bernard Bosson, Alain Juppé, Alain Madelin, Gérard Longuet, j'ajouterais aussi Michel Noir, Charles Millon, Philippe de Villiers, etc. Aucun ne fut une personnalité de premier plan au sein de l'État, ni Premier Ministre, ni Président de la République, ni même candidat à la Présidence de la République (en capacité d'être élu, j'exclus donc la candidature de témoignage d'Alain Madelin et celles de Philippe de Villiers). Seul Alain Juppé fut Premier Ministre (j'exclus Jean-Pierre Raffarin qui n'était pas une "star" dans les années 1980). Du reste, c'était valable aussi à gauche pour les Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius (seul Premier Ministre de cette génération à gauche), Michel Delebarre, Paul Quilès, Michel Charasse, Élisabeth Guigou, etc.

C'est la génération suivante qui fut les véritables héritiers, ceux nés dans les années 1950, à l'instar de Nicolas Sarkozy, François Bayrou, François Hollande, Dominique de Villepin, François Fillon, Ségolène Royal, Jean-Louis Borloo, Bertrand Delanoë, Martine Aubry, Jean-Luc Mélenchon, etc. (de même, la génération de ceux nés dans les années 1960 est également sacrifiée, celle de François Baroin, Jean-François Copé, Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Vincent Peillon, Olivier Faure, etc.).

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Désigné en 1982 secrétaire général du Parti républicain (PR), le parti de Valéry Giscard d'Estaing, dans la longue tradition du courant républicain indépendant, composante majeure, avec le CDS, de l'UDF, la confédération centriste, François Léotard, énarque, député depuis quatre ans, maire de Fréjus depuis cinq ans, une revanche pour son père, se présentait à 40 ans comme l'improbable (et unique) renouvellement de la vie politique face aux dinosaures en place.

Ce qui fonctionnait bien avec lui, ce n'était pas seulement sa personnalité, sa jeunesse, son intelligence, mais aussi qu'il réussissait à renouveler le corps de doctrine d'une ancienne majorité qui n'avait pour programme que rester au pouvoir. Avec François Léotard, dans l'ère du temps avec Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux États-Unis, l'alliance UDF-RPR s'initiait au libéralisme, à la dérégulation et aux libertés plus généralement en s'opposant frontalement au programme passéiste du socialo-communisme victorieux (étatisation, nationalisation, suppression de la liberté de l'enseignement, endettement généralisé de l'État et clientélisme systématique, etc.).

Homme très médiatisé, je l'avais découvert dans ses doutes et ses origines : un homme politique capable de penser à la mort quand d'autres ne songeaient qu'à gagner du terrain pour assouvir leur ambition, un ancien séminariste, un homme cultivé et profond... mais paradoxalement, à l'époque, il m'agaçait car il se croyait une vedette médiatique alors qu'il n'avait encore rien fait. Une profondeur emballée de superficialité. Très haut dans les sondages, il croyait qu'il pouvait faire la pluie et le beau temps, mais, on le sait maintenant, être populaire dans l'opposition ne présage rien de bon pour la course présidentielle et pour un destin national (c'est pour cela que devrait se méfier des sondages Édouard Philippe).

En 1984, il se croyait l'irrésistible candidat à l'élection présidentielle de 1988... mais au cours de sa vie politique, il a raté de nombreux rendez-vous. Le premier aurait été sans doute de mener une liste pro-européenne aux élections européennes de 1984 mais Jacques Chirac, habile tacticien, a préféré faire une liste unique UDF-RPR (malgré les divergences du RPR sur le sujet !) menée par Simone Veil (ce qui fut une réussite électorale exceptionnelle).

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En 1986, nommé Ministre de la Culture alors qu'il voulait la Défense (refusée par François Mitterrand), François Léotard devait, pour exister, se désolidariser du RPR en évoquant les "moines soldats" du parti chiraquien... mais sans aller jusqu'au bout, c'est-à-dire, sans démissionner du gouvernement de la cohabitation et envisager sérieusement une candidature à l'élection présidentielle. C'est vrai que les places étaient déjà prises, si bien qu'il a soutenu très mollement Raymond Barre au premier tour tout en se faisant l'allié objectif d'un Jacques Chirac qui allait toujours se méfier de lui.

Le dernier rendez-vous manqué fut au printemps 1989, en refusant de rejoindre les Rénovateurs de l'opposition, pourtant la seule initiative qui aurait permis un véritable renouvellement de la vie politique. Accroché aux appareils des partis existants, François Léotard (au même titre qu'Alain Juppé et Nicolas Sarkozy) a préféré rester dans l'ordre établi des rapports de force. À son propre détriment.

Il avait alors raté ces occasions qui ne se présenteraient plus par la suite. Les années 1990 furent celles de la décrue dans les sondages, attaqué par la justice pour le financement du PR, calomnié même par un livre interdit par la justice qui l'accusait d'être un commanditaire de l'assassinat de Yann Piat, députée PR du Var et ex-FN, qui fouinait trop dans les affaires financières du Var (bien que député-maire de Fréjus, François Léotard ne s'est jamais vraiment mêlé de la gestion du département, principalement géré par le tout-puissant sénateur-maire de Toulon Maurice Arreckx), il ne s'en est jamais relevé malgré la présidence de l'UDF de 1996 à 1998 (il a succédé à VGE et il allait la laisser à François Bayrou avec qui il s'était allié contre Alain Madelin qui a finalement quitté l'UDF avec Démocratie libérale). La dissidence interne qu'il menait contre le gouvernement d'Alain Juppé ne lui profitait pas et l'ostracisait même, lui qui avait soutenu beaucoup trop tôt le balladurisme triomphant (Édouard Balladur avait finalement réussi à convaincre François Mitterrand de le nommer à la Défense en 1993, lors de la deuxième cohabitation).

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La mort de son frère Philippe Léotard acheva les dernières ambitions politiques de François Léotard qui a quitté progressivement tous ses mandats (et s'est fait nommer inspecteur général des finances pour terminer en beauté sa carrière de haut fonctionnaire) : « Plus que la disparition du corps, c’est celle de l’esprit qui me frappe. L’esprit et la culture d’un homme qui lisait Homère dans le texte. Un artiste ne part jamais seul. Il emporte avec lui tout ce qu’il a créé et ceux qui l’ont accompagné. » (26 juillet 2017). Depuis ce jour, son esprit est parti ailleurs.

Par une drôle de coïncidence, j'étais pas loin de lui, à quelques mètres, quand il a appris la mort de son frère. François Léotard, en tant que voisin, était venu à l'université d'été des jeunes de l'UDF à Ramatuelle à la fin du mois d'août 2001. Il avait un bras dans le plâtre mais plein de dynamisme. Je m'étonnais de cette vigueur à désormais aider la carrière politique de François Bayrou en renonçant à ses propres ambitions nationales. C'était alors une ambiance bon enfant. Quand j'ai vu sa réaction, c'est-à-dire son effondrement, j'ai compris que sa vie venait de se basculer définitivement. À partir de cette date, il a délaissé l'action politique pour l'écriture et la culture.

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Soutien de Nicolas Sarkozy en 2007, il a vite été déçu, ce qui lui a valu de publier en 2008 un essai politique assez caustique, "Ça va mal finir" (chez Grasset), de manière plutôt "gratuite" dans la mesure où il confiait à qui voulait l'entendre que plus jamais il ne reviendrait dans la vie politique, un théâtre de postures désormais trop hypocrites et trop vaines pour lui.

Sa disparition laisse aujourd'hui un goût d'amertume infini sur cette personnalité hors du commun : l'idée que, un peu comme Philippe Séguin, François Léotard, destiné aux plus hautes fonctions de l'État, n'a pas été "utilisé" au maximum de ses capacités par la République. Celle-ci lui rendra sans aucun doute un hommage appuyé et peut-être unanime. Mais lui s'en moquera : son rêve se réalise, il rejoint son frère. Au revoir.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (25 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La posture libérale en France.
Sous le soleil d'Emmanuel Macron.
Son frère.
François Léotard.
Valéry Giscard d’Estaing.
Claude Malhuret.
Michel Poniatowski.
Jean-Pierre Raffarin.
Philippe de Villiers.
Jean-Pierre Fourcade.
Jean de Broglie.
Christian Bonnet.
Gilles de Robien.
La France est-elle un pays libéral ?
Benjamin Constant.
Alain Madelin.
Les douze rénovateurs de 1989.
Michel d’Ornano.
Gérard Longuet.
Jacques Douffiagues.
Jean François-Poncet.
Claude Goasguen.
Jean-François Deniau.
René Haby.
Charles Millon.
Pascal Clément.
Pierre-Christian Taittinger.
Yann Piat.
Antoine Pinay.
Joseph Laniel.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230425-francois-leotard.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/francois-leotard-l-enfant-terrible-248037

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/04/25/39889475.html



 

 


 

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5 février 2023 7 05 /02 /février /2023 04:45

« Ce geste impardonnable n'est pas celui de la Corse, ce geste impardonnable n'est pas celui des Corses, c'est celui d'hommes perdus qui ont abandonné toute valeur si tant est qu'ils n'en aient jamais eu et qui sont l'inverse de ce qu'est la civilisation. La Corse ne doit pas oublier cet acte odieux, ne doit pas oublier le sang de ce grand républicain qui a été versé sur son sol. Le temps ne doit pas effacer, le temps ne doit pas minorer cet acte qui a été une insulte lancée au visage des Corses. » (Nicolas Sarkozy, le 6 février 2008 à Paris).



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Il y a vingt-cinq ans, le 6 février 1998, en début de soirée, le préfet de la région Corse Claude Érignac a été assassiné à Ajaccio, par des activistes indépendantistes corses, alors qu'il se rendait seul à pied au théâtre après y avoir déposé sa femme et garé la voiture. Il avait 60 ans et laissait dans le chagrin infini son épouse Dominique et ses deux enfants Marie-Christophine et Charles-Antoine (à l'époque 24 ans et 20 ans). C'était la première fois qu'en période de paix, un préfet était assassiné en France, et la première fois qu'un haut fonctionnaire de l'État était assassiné en Corse.

Lorsqu'il a appris sa promotion en janvier 1996 (il a pris ses fonctions le 5 février 1996), Claude Érignac avait écrit dans son journal, qui a été retrouvé par son fils et lu publiquement le 16 novembre 2007 devant la cour d'assise spéciale de Paris, sa réticence : « J'ai clairement conscience de partir vers une mission impossible, faite de contradictions éclatantes entre le discours public du gouvernement, les négociations plus ou moins secrètes, les intentions réelles des uns et des autres. (…) Je m'accroche à l'idée que cela peut être pour 18 mois seulement, moyenne approximative de mes prédécesseurs. ». Son objectif ? Très ambitieux : le retour à la légalité républicaine dans l'île dans les cinq à dix ans.

Préfet de la région Corse et de la Corse-du-Sud depuis déjà deux ans, Claude Érignac aurait voulu changer de fonction depuis plusieurs mois et quitter Ajaccio. Bien que pas énarque, Claude Érignac a été ce qu'on pourrait appeler un haut fonctionnaire modèle, avec une belle carrière préfectorale. Son père déjà, René Érignac (1909-2002), a été préfet (sous-préfet dans le Cantal, en Guadeloupe, dans la Meuse, en Saône-et-Loire, en Algérie et en Seine-et-Oise, puis préfet de la Guyane, de la Creuse, de la Haute-Saône et du Vaucluse).

Claude Érignac a été effectivement à la fois membre de cabinets ministériels et sous-préfet et préfet. Il a travaillé pour les ministres Jean Charbonnel (en 1966), Jean Chamant (de 1967 à 1969), Henri Rey (de 1969 à 1971), Olivier Stirn (de 1973 à 1974) et Jacques Pelletier (de 1988 à 1989). Il a été secrétaire général de la Martinique de 1971 à 1973 (où est née sa fille), de la Nouvelle-Calédonie de 1974 à 1978 (où est né son fils), puis sous-préfet d'Avesnes-sur-Helpe (Nord) de 1978 à 1981, puis de Roanne (Loire) de 1981 à 1984 (au moment où son maire, Jean Auroux, était Ministre du Travail et a fait adopter les fameuses lois Auroux), préfet du Gers de 1984 à 1986, de Meurthe-et-Moselle de 1989 à 1993, des Yvelines de 1993 à 1996, enfin préfet de région en Corse de 1996 à son assassinat.

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Claude Érignac était de la tradition des grands serviteurs de l'État. Il était certes proche du parti socialiste, ami de Lionel Jospin qui était son camarade de promotion à Science Po Paris (et aussi, bien que pas pratiquants, ils partageaient leur origine religieuse protestante), mais il avait servi avec efficacité sous les gouvernements de droite qui le respectaient beaucoup. Il personnifiait la neutralité de l'État. Du reste, ce fut le maire RPR du Havre Antoine Rufenacht, ancien et futur directeur de la campagne présidentielle de Jacques Chirac en 1995 et 2002, qui présida l'Association Claude-Érignac pendant ses dix premières années, de 2000 à 2010.

Quand j'ai appris l'assassinat du préfet Claude Érignac, en plus du choc légitime d'un citoyen qui apprenait l'assassinat d'un représentant de l'État, j'ai eu une double émotion. Claude Érignac était préfet de Meurthe-et-Moselle du 30 octobre 1989 au 1er juin 1993, et en tant qu'élu dans une commune de l'agglomération de Nancy, j'ai eu l'occasion de le rencontrer plusieurs fois. Il était très apprécié en Lorraine, même dans des communes bien ancrées à droite. L'émotion n'était pas seulement théorique mais incarnée : apprendre qu'un homme bien venait d'être assassiné donnait à cette émotion l'impression d'un acte dégueulasse et d'un immense gâchis.

L'autre émotion, c'était parce que me revenaient à l'esprit ces propos du député-maire d'Issy-les-Moulineaux André Santini. Ancien ministre, connu pour ses fréquentes petites phrases assassines et son sens de l'humour, il suit très précisément tout ce qui se passe en Corse dont sa famille était originaire, et je me souvenais que lors d'une réunion centriste, c'était peut-être dans le cadre du conseil national de Force démocrate le 22 juin 1996, en petit comité (quelques dizaines), il expliquait avec conviction, comme un prédicateur, que selon ses informations, selon ses "capteurs", malheureusement, il allait y avoir des attentats graves en Corse (et il disait que le gouvernement était bien sûr au courant).

Et effectivement, dès l'été 1996, probablement en réponse au volontarisme républicain du nouveau préfet, il y a eu une série d'attentats, dont celui du 20 août 1996 contre le domicile de l'ancien Ministre de l'Industrie José Rossi, par ailleurs président du conseil général de Corse-du-Sud (je me souviens avoir rencontré José Rossi, accueilli par Olivier Guichard à l'université d'été de l'UDF à La Baule au début de septembre 1996, considéré comme un miraculé). Un an et demi plus tard, l'assassinat d'un préfet me paraissait le sommet de cette violence politique en Corse.

Heureusement, la réaction des Français mais également, parmi eux, des Corses eux-mêmes était rassurante puisqu'ils étaient du côté de la famille et manifestaient contre cet horrible attentat. Le mouvement séparatiste avait alors pris du plomb dans l'aile. Les réactions politiques à l'époque étaient également unanimes, alors qu'on était en pleine cohabitation.

Le Président de la République Jacques Chirac s'est beaucoup investi à cette occasion. Réagissant à chaud le 6 février 1998, il a assuré : « Ce grand serviteur de l'État avait mis toute son énergie, sa compétence, et sa chaleur humaine au service de nos compatriotes corses. (…) Je donne au peuple français l'assurance que la police et la justice feront tout ce qui est nécessaire pour retrouver et punir les assassins de Claude Érignac. Je veillerai à ce que l'autorité de l'État soit respectée. ». Il l'a répété le lendemain, 7 février 1998 : « L'assassinat du représentant de l'État en Corse est un acte barbare, d'une extrême gravité et sans précédent dans notre histoire. (…) J'ai été en contact, à plusieurs reprises, avec le Premier Ministre qui doit se rendre dans l'île dès ce matin. Je souhaite que toute la lumière soit faite, le plus rapidement possible, par les services chargés de l'enquête et que la justice puisse punir les responsables de ce crime odieux. ».

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Puis, se rendant à Ajaccio, sur le lieu de l'assassinat, Jacques Chirac a rendu hommage au préfet : « C'est l'émotion et la tristesse qui nous rassemblent aujourd'hui. Mais c'est aussi l'indignation et le refus. Un homme est mort, vendredi soir, lâchement assassiné. Cet homme, le préfet Claude Érignac, nombreux ici sont celles et ceux qui l'ont connu, qui l'ont aimé. Personnellement, je lui portais la plus grande estime. Qui était-il ? D'abord, un homme de cœur et de conviction. Ensuite, un homme de contact, attentif à tout et à tous. Enfin et surtout un serviteur de l'État, auquel il a consacré toute sa vie. (…) Cévenol, grand sportif, homme de culture et curieux de toutes les cultures, Claude Érignac était un exemple. Il aurait sans doute dit qu'il n'avait fait que son devoir dans les différents postes qu'il avait occupés avec maîtrise et talent, et c'est vrai. Mais faire son devoir en étant toujours estimé, apprécié, obéi, c'est, tout simplement, accomplir un parcours exemplaire. C'est pourquoi l'émotion est si forte et la tristesse si lourde. (…) À travers Claude Érignac, c'est l'autorité de l'État et l'intégrité de la France que certains ont voulu attaquer et mettre en cause. La folie meurtrière, la politique du pire, la dérive mafieuse, ont armé le bras de quelques-uns contre ce que représentait le préfet Claude Érignac, c'est-à-dire l'État dont il était l'incarnation et le symbole. Nous ne le tolérerons pas. Et je l'affirme ici, en présence du chef du gouvernement, au nom de l'ensemble des pouvoirs publics et au nom de tous les Français, de Corse comme du continent. Non, nous ne le tolérerons pas. Les assassins seront punis car ce sont les assassins d'un homme mais aussi les ennemis de la République. C'est la France unanime, c'est la France debout, par delà les différences, par delà les clivages politiques, que nous représentons ici. ».

Le Premier Ministre Lionel Jospin était sous le choc, il venait de perdre un ami : « Cet acte inqualifiable et abject en frappant le représentant de l'État atteint la nation toute entière. ». Le Ministre de l'Intérieur aussi était très affecté : Jean-Pierre Chevènement suivait très minutieusement la situation en Corse dès son arrivée place Beauvau le 4 juin 1997 et c'est sur la "question corse" qu'il a démissionné le 29 août 2000 (refusant la notion de "peuple corse").

Plus tard, les successeurs de Jacques Chirac allaient se recueillir à l'occasion d'un anniversaire de cet assassinat. Ainsi, le Président Nicolas Sarkozy a rendu hommage le 6 février 2008 à Claude Érignac : « Comme son père, il avait choisi le corps préfectoral, ce corps qui assure la continuité de l'État. Avec cette tradition ancrée en lui, il était devenu l'un des meilleurs défenseurs de ces valeurs républicaines et avait su, par le dialogue et la confiance, instaurer entre la population, les élus et l'État une autre relation et ce, dans tous les départements où il a eu l'honneur de servir. En Corse, dont il était le préfet de la région, il avait mené une action inlassable pour soutenir l'économie locale, pour affirmer l'identité culturelle corse et pour lutter contre la violence. Il avait su nouer une relation particulière avec les Corses auxquels il vouait un profond attachement. Il remplissait avec abnégation cette mission difficile dans un contexte de tensions et de violences d'une minorité contre la grande majorité des femmes et des hommes de l'île. Au lendemain du 6 février 1998, la Corse et le continent se sont réveillés profondément choqués par ce drame. La population a dénoncé ce geste atroce, et a manifesté son dégoût pour la violence. La République avait le devoir de poursuivre et de trouver les coupables de ce lâche assassinat et de les déférer à la justice. ».

La détermination de Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l'Intérieur, à arrêter tous les auteurs de l'attentat, et en particulier Yvan Colonna, a prouvé qu'il se sentait très concerné par la Corse et ce drame. Pendant plusieurs années, Yvan Colonna était soutenu par les indépendantistes corses qui n'hésitaient pas à dissuader les autorités de le poursuivre. Le 3 août 2003, la plaque rendant hommage à Claude Érignac à Ajaccio a été détruite après des manifestations violentes. Nicolas Sarkozy est venu inaugurer une nouvelle plaque le 16 octobre 2003. Par ailleurs, une "Place du préfet Claude Érignac" a été inaugurée le 7 février 2004 par Pierre-Christian Taittinger (maire du seizième arrondissement), Bertrand Delanoë (maire de Paris) et Nicolas Sarkozy (Ministre de l'Intérieur).

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Plus généralement, des dizaines de lieux ont été nommés "Claude Érignac" en France, à l'instar de la "Rue Préfet Claude Érignac" en plein centre-ville de Nancy, en prolongement de la rue Maurice-Barrès, entre la place Stanislas et la rue Lyautey, le long de la préfecture de Meurthe-et-Moselle dont il fut le patron, inaugurée le 14 juillet 1999 par l'ancien ministre André Rossinot (maire de Nancy) et Dominique Érignac dont une citation du défunt mari est gravée sur une plaque : « La première des solidarités est celle qui lie les citoyens entre eux au travers de l'État. C'est la solidarité nationale. L'administration, qui la met en œuvre, est faite pour servir. ». Tous les 6 février y est honorée la mémoire de Claude Érignac par la ville de Nancy.

Plus tard, le 6 février 2018 pour le vingtième anniversaire, le Président Emmanuel Macron a baptisé aussi de son nom la place même où le préfet a été assassiné : « Le soir du 6 février 1998 alors qu’il se rendait au Théâtre Kalliste non loin d’ici à pied, sans protection selon son souhait, le préfet Claude Érignac était lâchement assassiné de trois balles dans la tête, tirées par derrière à bout portant. Ce fut le premier préfet à tomber en temps de paix, geste sans précédent, sans équivalent. On vit alors la nation se lever, faire bloc autour de cet homme, autour de cette figure de la République, autour de sa famille. (…) Le 11 février 1998, cinq jours après l'assassinat du préfet, partout en Corse, des dizaines de milliers d'hommes et de femmes ont exprimé leur effroi et leur indignation lors des plus grandes manifestations que l’île n’ait jamais connues. On compta jusqu'à 40 000 personnes bravant les intimidations, surmontant la peur qu'inspire toute barbarie. Ses compatriotes se sont levés pour dire leur colère, leur dégoût, sans banderole, sans discours, dans le silence d'un deuil profond. Certains d'entre vous, parmi les militants de l'identité corse, vous êtes révoltés devant le dévoiement d'une cause déshonorée par la lâcheté, le sang et la mort. (…) Je veux saluer ici la mobilisation engagée par Jean-Pierre Chevènement, des services d'enquête qui, sous la conduite des magistrats, ont permis, quelques années plus tard, lorsque Nicolas Sarkozy était Ministre de l'Intérieur, et je veux saluer ici sa détermination extrême d'arrêter, de mettre à disposition de la justice, et de faire condamner les auteurs et complices de cet assassinat. (…) Claude Érignac s'était vu confier en 1996 une triple mission : rétablir l'autorité de l'État, contribuer au dialogue républicain, et faire avancer les dossiers économiques, sociaux et culturels. Il s'était engagé dans la lutte contre la violence, la criminalité et le terrorisme avec courage et abnégation. Il œuvrait d'arrache-pied à soutenir l'économie insulaire et son agriculture, la cohésion sociale, l'affirmation de l'identité culturelle de l'île, originaire lui-même d'une terre rude, la Lozère où aujourd'hui il repose. Il avait trouvé avec la population, le chemin d'un dialogue sans artifice. Il avait gagné la confiance de tous et à tous il donnait l'exemple d'une République juste et attentive. Son assassinat a fait de Claude Érignac, un de ces martyrs laïcs, qui tombe parce qu'ils ont cru à leur mission, parce qu'ils ont été fidèles à leur vocation. Cette mort inacceptable a résonné si fort qu'elle a pris valeur de symbole, elle aura eu cet effet d'éloigner la tentation de la violence et du sang, elle aura ranimé l'exigence du droit et du dialogue démocratique. ». Emmanuel Macron venait d'avoir 20 ans quand Claude Érignac a été assassiné.

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Après bien des épisodes policiers et judiciaires, les auteurs de l'assassinat ont été jugés et condamnés. Ainsi neuf hommes ont été condamnés par la justice, dans deux affaires (Yvan Colonna a été jugé indépendamment à cause de sa fuite dans la clandestinité). Les trois principaux auteurs ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Alain Ferrandi et Pierre Alessandri ont été condamnés le 11 juillet 2003 par la cour d'assises spéciale de Paris à la réclusion criminelle à perpétuité avec dix-huit ans de sûreté.

Dénoncé par l'un des prévenus pour avoir tiré les trois coups de feu, Yvan Colonna a été mis en état d'arrestation à partir du 23 mai 1999 mais il a fui et a vécu dans la clandestinité jusqu'à son arrestation le 4 juillet 2003 (berger et militant indépendantiste corse, il était le fils d'un ancien député socialiste des Alpes-Maritimes Jean-Hugues Colonna qui a demandé pardon à la veuve Érignac le 28 mai 1999). La cour d'assises spéciale de Paris a condamné Yvan Colonna le 13 décembre 2007 à la réclusion criminelle à perpétuité, confirmée en appel le 22 mars 2009, puis, après cassation le 30 juin 2010, de nouveau condamné à la réclusion criminelle à perpétuité le 20 juin 2011, peine définitive avec le rejet du pourvoi en cassation le 11 juillet 2012 et le rejet d'une requête auprès de la Cour européenne des droits de l'homme le 15 novembre 2016.

Comme une sorte de retour de la violence du destin, Yvan Colanna a été lui-même assassiné dans sa prison à Arles. Alors qu'il était seul dans une salle de sports le 2 mars 2022, un détenu condamné pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme" qui avait été arrêté en Afghanistan comme djihadiste et particulièrement violent, a tenté de l'asphyxier. Dans le coma, l'assassin corse a été transféré à l'hôpital de Marseille où il est finalement mort le 21 mars 2022. Le rapport de l'inspection générale de la justice sur cet assassinat a été remis à la Première Ministre Élisabeth Borne le 28 juillet 2022 et a souligné la responsabilité de l'ancienne directrice et du surveillant qui n'ont pas su protéger leurs détenus.

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À la suite de l'assassinat d'Yvan Colonna, dans une mesure d'apaisement du Premier Ministre Jean Castex, les deux autres auteurs encore incarcérés pour l'assassinat de Claude Érignac, Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, détenus à Poissy, ont été transférés le 11 avril 2022 à la prison de Borgo comme le demandaient leurs familles. La prison de Borgo est pourtant, selon plusieurs rapports, un « établissement à la gestion pénitentiaire relâchée et aux normes sécuritaires très insuffisantes » qui n'a pas encore eu le temps d'être modernisé (notamment avec l'implantation des quatre cents caméras de surveillance).

Le lundi 13 février 2023, une semaine après ce sinistre vingt-cinquième anniversaire, Pierre Alessandri (64 ans) pourra quitter la prison, bénéficiant d'une « mesure de semi-liberté probatoire à une libération conditionnelle pour une durée d'une année » annoncée le 31 janvier 2023 par la cour d'appel de Paris, pouvant déboucher sur un « régime de libération conditionnelle pour une durée de dix années ». Bien que condamné à perpétuité, Pierre Alessandri est libérable depuis 2017 (dix-huit ans de sûreté) et avait déjà essuyé trois rejets de la cour d'appel en raison des « risques de troubles à l'ordre public » et de « l'atteinte grave à la nation ». Il bénéficie de cette mesure parce qu'il a un projet professionnel au sein d'une entreprise spécialisée dans l'aménagement de l'espace rural à Ponte-Novo, en Haute-Corse.

Quant à Alain Ferrandi (62 ans), qui compte se réinsérer dans une entreprise agricole, il sera fixé sur son sort le 23 février 2023, date du délibéré de la séance du 25 janvier 2023 au cours de laquelle le tribunal d'application des peines antiterroristes a examiné une nouvelle demande d'aménagement de peine, jugement qui pourra être confirmé ou infirmé une nouvelle fois en appel quelques semaines ou mois plus tard.

Les proches de Claude Érignac, eux, n'attendront aucun jugement ni aménagement de peine. Ils auront toujours cette peine infinie, cette douleur infinie, et leurs yeux pour pleurer...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (04 février 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Claude Érignac.
Yvan Colonna.
Manuel Valls et la Corse en 2012.
Napoléon Bonaparte.
Prison à Nancy.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230206-claude-erignac.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/l-assassinat-du-prefet-claude-246094

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/02/03/39801899.html







 

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30 janvier 2023 1 30 /01 /janvier /2023 04:38

« Elle n'est pas indulgente mais elle critique sans bassesse. » (Alain Duhamel, en décembre 1984, à propos du livre "Le Rouge et le Noir" de Catherine Nay).



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Ses mots sont comme des flèches, elle tire juste mais les flèches ne sont pas (trop) empoisonnées. L'éditorialiste politique Catherine Nay fête son 80e anniversaire en même temps que l'année, le 1er janvier 2023. J'apprécie beaucoup les avis de Catherine Nay qui a commencé sa vie professionnelle dans le journalisme politique au milieu des années 1960. Elle est maintenant devenue une mémoire dense de la vie politique sous la Cinquième République, par son observation minutieuse, plus particulièrement du côté du gaullisme triomphant puis de la droite républicaine.

"Haut perchée", la jeune fille qu'elle était n'était pas très à l'aise avec ses longues jambes. En revanche, elle impressionnait, et impression encore, non seulement physiquement mais aussi par son ton, ses remarques sur la vie politique, souvent bien vues mais vaches, corrosives quand il le faut. Sa réputation d'éditorialiste de droite a été confirmée avec la victoire de François Mitterrand, mais elle n'a été plus complaisante avec la droite qu'avec la gauche.

Sa vie affective n'était pas sans importance pour son métier : coup de foudre pour un (alors) ministre Albin Chalandon lors des assises (équivalent de congrès) de l'UNR (le parti gaulliste) du 24 au 26 novembre 1967 à Lille. À partir de 1968, Catherine Nay était la compagne d'Albin Chalandon jusqu'à la mort de celui-ci en été 2020 (ils ne se sont mariés qu'en 2016, après le décès de l'épouse officielle d'Albin Chalandon qui préférait ne pas divorcer malgré leur séparation). Cette intimité avec celui qui a été aussi bien ministre de De Gaulle que ministre de Jacques Chirac (à la première cohabitation), également chef d'une grande entreprise nationale (Elf Aquitaine), lui donnait une perspective complémentaire dans son analyse politique (et aussi dans les réflexions sur la Résistance).

Catherine Nay a démarré au service politique de "L'Express" qui fut une excellente école de journalisme avec Françoise Giroud et Jean-Jacques Servan-Schreiber. Elle y rencontra Michèle Cotta qui est devenue une grande amie, de quelques années son aînée. Michèle Cotta était plutôt affectée au parti socialiste tandis que Catherine Nay au parti gaulliste. (Pour JJSS, en recrutant des jeunes femmes, c'était aussi le moyen détourné d'approcher plus facilement des personnalités politiques plus attentionnées à la gent féminine). C'est en travaillant pour "L'Express" que Catherine Nay a acquis sa réputation et heureusement, elle en est partie en 1975, peu avant que JJSS ne se ruinât pour faire de la politique et ne revendît le magazine.

Le nouvel employeur de Catherine Nay était alors la station de radio Europe 1 où elle resta fidèle pendant plus d'une quarantaine d'années, malgré parfois des patrons difficiles (heureusement, elle était la protégée du propriétaire Jean-Luc Lagardère). En plus de ses chroniques radiophoniques, elle faisait régulièrement des interviews politiques pour "Jour de France" (à la demande de Marcel Dassault, fournisseur de l'État), et a travaillé aussi pour le "Journal du dimanche" et "Valeurs actuelles". Elle est encore parfois l'invitée de certains plateaux de télévision pour apporter son commentaire politique.

Petit témoignage sur la période de la fin des années 1970 (elle a refusé de retourner à "L'Express" et préférait rester à la radio) : « Je ne détestais qu'une chose : couvrir la sortie du conseil des ministres avec le Nagra sur l'épaule qui me meurtrissait le dos pour tendre le micro aux excellences qui descendaient le perron de l'Élysée. Vu ma taille, j'avais l'impression de leur donner la becquée. Pour ne plus avoir à subir cette corvée, j'aurais pu avoir l'ambition de diriger un service. Je me disais plutôt : "Si j'écris un livre et s'il marche, après, on me laissera tranquille". ».

Si effectivement elle n'a jamais eu ni voulu de responsabilités managériales (elle n'a jamais rien dirigé, aucune rédaction ni média), elle a en revanche beaucoup publié de livres (à l'instar de son collègue d'Europe 1, Alain Duhamel). Son premier essai fut pour la rivalité entre Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac ("La Double Méprise" sorti le 22 octobre 1980 chez Grasset).

Mais c'est son deuxième essai qui lui donna la reconnaissance générale avec un grand succès éditorial et commercial, "Le Noir et le Rouge" (sorti le 1er décembre 1984 chez Grasset), n'hésitant pas à pasticher le titre de Stendhal pour décrire l'ascension politique de François Mitterrand. Elle a mis plus d'un an après s'être retirée de la vie quotidienne de la radio, pour faire son enquête approfondie sur le nouveau Président de la République. Elle l'a interviewé une seule fois et après la parution de cet essai, Catherine Nay n'a plus jamais rencontré François Mitterrand, blessé par cet ouvrage (et son entourage à l'Élysée regrettait qu'elle ne fût plus invitée par le palais). Catherine Nay a écrit un autre essai sur François Mitterrand à la fin du premier septennat, "Les Sept Mitterrand ou les Métamorphoses d'un septennat" (sorti le 13 janvier 1988 chez Grasset).

C'est probablement la sortie de son livre "Le Noir et le Rouge" qui l'a placée définitivement parmi les éditorialistes de droite (alors qu'elle avait beaucoup ménagé le Président : elle s'était bien gardée de révéler l'existence de Mazarine et le financement de la famille cachée par les contribuables), mais cela ne l'a pas empêchée de tirer aussi sur des personnalités de droite avec une ironie très efficace. Elle a notamment beaucoup suivi aussi la carrière politique de Jacques Chirac, de 1968 à 2019, n'hésitant pas à décrire ses faiblesses comme ses forces.

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Fascinée par Nicolas Sarkozy, elle lui a consacré aussi deux essais, "Un pouvoir nommé désir" (sorti le 17 janvier 2007 chez Grasset) pour décrire celui qui n'était encore que candidat à l'élection présidentielle, puis, en bilan de son quinquennat, "L'impétueux : tourments, tourmentes, crises et tempêtes" (sorti le 7 mars 2012 chez Grasset), épatée par le volontarisme du Président en temps de crise.

Depuis quelques années, l'âge aidant, Catherine Nay est revenue sur ce qu'elle avait appris pendant toute sa carrière. Cela a pour l'instant donné deux livres de souvenirs, le premier tome "Souvenirs, souvenirs..." (sorti le 7 novembre 2019 chez Robert Laffont) et le deuxième tome "Tu le sais bien, le temps passe" (sorti le 25 novembre 2021 chez Bouquins).

Je les ai lus tous les deux et j'ai été un peu déçu par eux, car ils ne sont pas la même richesse documentaire que les "Cahiers secrets" de Michèle Cotta qui, quotidiennement, écrivait dans son journal personnel ce qu'elle ne pouvait pas dire publiquement à l'époque. Là, ce sont juste des souvenirs, c'est-à-dire des retours sur des événements anciens avec le regard d'aujourd'hui (et les failles de la mémoire), et si Catherine Nay est une incontestable littéraire (il suffit de lire les titres de ses livres), elle ne semble pas en harmonie avec les chiffres ou les dates, j'ai pu lire quelques dizaines d'erreurs (qui m'étonnent d'avoir échappé à la sagacité des éditeurs) qui n'ôtent rien à la saveur de ses écrits mais qui enlèvent ce qui aurait pu leur donner un caractère de référence. J'en reprendrai néanmoins certains éléments comme matériaux pour d'éventuels articles ultérieurs.

Dans son deuxième tome de souvenirs, elle évoque les mandats de trois Présidents de la République : Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Et elle a été très dure avec Alain Juppé, Premier Ministre du début de la période (entre 1995 et 1997), à qui elle aurait préféré Philippe Séguin.

Deux exemples parmi d'autres : François Baroin, son ancien collègue sur Europe 1, et le bouclier fiscal.

François Baroin a été viré du gouvernement en même temps que de nombreuses femmes ministres seulement six mois après leur nomination, craignant qu'en s'exprimant publiquement sur tous les sujets (il était porte-parole du gouvernement), il ne prît sa place de Premier Ministre. Rappel douloureux (et drôle) de Catherine Nay : « C'est peu dire qu'il était révolté contre Alain Juppé, car il lui infligeait une double peine. Non seulement il le virait du gouvernement, mais il l'empêchait de reprendre son siège de député. La démission du suppléant n'étant pas alors automatique, il fallait passer par une élection partielle. Alain Juppé craignait qu'il soit battu. Il y avait un risque, le climat politique était très incandescent. (…) Dans "Le Monde", Plantu avait caricaturé drôlement l'éviction des "Juppettes" et de François Baroin. Huit femmes se jetaient à l'eau depuis un bateau, accompagnées d'un bébé en barboteuse, avec cette légende : "Juppé : les femmes et les enfants d'abord !" ».

Quand il est arrivé à Matignon, Alain Juppé avait découvert que les finances publiques étaient loin d'avoir été assainies par le gouvernement précédent (dont il faisait partie) : « Une situation économique "calamiteuse", selon ses dires. Un tacle aux balladuriens qui l'avaient très mal pris. Le trou de la Sécurité sociale était abyssal : deux cent cinquante mille milliards de francs (soit quarante milliards d'euros). Une remise en ordre des finances s'imposait. » [Une erreur parmi d'autres, comme indiqué plus haut, pourtant pas à la première édition : il s'agit bien sûr de deux cent cinquante milliards de francs, pas deux cent cinquante mille milliards !].

Donc, des mesures pour réduire les déficits : « Pour redresser les comptes, Alain Juppé n'y était pas allé de main morte. Matignon devenait le quartier général de la rigueur. Les recettes fiscales étant décevantes, il fallait faire entrer de l'argent, cent milliards d'impôts nouveaux : réduction des dépenses militaires, augmentation de 2% de la TVA, réduction des aides aux entreprises, augmentation de l'impôt sur les sociétés et, pour faire bon poids, de l'impôt sur la fortune dit de solidarité. (…) Créé en 1981 par la gauche, avec un plafond à 85%, supprimé par Édouard Balladur en 1986, l'impôt sur la fortune avait été rétabli par Michel Rocard en 1988, avec un plafonnement à 70%. Ainsi, l'État ne pouvait pas prendre aux riches plus de 70% de leurs revenus. ».

Et le paragraphe qui tue (politiquement), en d'autres mots, Alain Juppé aura été plus calamiteux que les socialo-communistes pour garder les capitaux : « En 1981, des milliers de Français avaient quitté leur pays pour s'établir à Genève, Londres ou Bruxelles, où la fiscalité est plus clémente. Ils ne sont jamais revenus. Les Suisses, les Belges, les Anglais s'étaient réjouis de l'aubaine. Ces gens aisés faisaient marcher les commerces et créaient des emplois. Mal conseillé par Bercy, Alain Juppé allait faire encore plus fort que les socialistes en faisant sauter le plafonnement. Conséquence : des contribuables se voyaient taxer à plus de 200% de leurs revenus. Cela s'appelle de la spoliation. Vendre leur patrimoine, souvent dans les plus mauvaises conditions, ou partir ? Le dilemme avait été vite tranché, il n'y avait pas d'autre choix que l'exil fiscal, faisant ainsi la fortune de leurs conseillers financiers. ».

Au téléphone, depuis l'Élysée, Jacques Chirac s'inquiétait de cette politique auprès d'Alain Juppé en lui lisant une note, avec François Pinault à l'écouteur : « Chaque fois, en réponse, Alain Juppé émettait une sorte de grognement dubitatif pour conclure, à la fin de la lecture : "Des Pinault, il n'y en a pas plus de dix en France. Eh bien, ils partiront, tant pis !" La légende raconte qu'il aurait même dit : "Dix connards". On imagine la réaction de Pinault. Les dégâts n'allaient pas tarder à se faire sentir. Trois milliards de francs quittaient le territoire, plus qu'en 1981. Des centaines de millionnaires s'étaient fait la malle. Au même moment, l'Allemagne supprimait l'impôt sur le patrimoine avec l'accord de tous les grands partis. (…) "J'ai eu l'idée funeste de supprimer le plafonnement, c'était une bêtise", voudra bien reconnaître le maire de Bordeaux, candidat à la primaire de la droite à l'automne 2016... vingt ans plus tard. ».

Dans ce livre, Catherine Nay, à la suite de Philippe Alexandre, a fustigé aussi la gauche plurielle, celle de Lionel Jospin qui a fait les 35 heures : « Vingt ans plus tard, les économistes en sont (presque) arrivés à ce consensus : les trente-cinq heures n'ont pas créé d'emplois, ont accéléré la désindustrialisation de la France, les délocalisations, et surtout changé le rapport des Français au travail, en les incitant à travailler moins. Aucun pays n'a jamais songé à nous imiter. ». On pourrait en dire autant sur l'âge de la retraite.

Quel est le responsable politique des 35 heures ? À l'origine, ce serait Dominique Strauss-Kahn qui aurait écrit cette proposition sur la nappe en papier d'un restaurant en avril 1997, cherchant une mesure phare de gauche. Martine Aubry, qui connaissait les réalités économiques pour avoir travaillé dans une grande entreprise, l'aurait alors rejetée en estimant que cela ne pourrait jamais réduire le chômage. Mais Lionel Jospin l'a gardée car il voulait garder tout le mythe de la gauche : le politique primait sur l'économique (les chômeurs licenciés à cause des délocalisations le remercieront a posteriori). Mais finalement, Martine Aubry l'a instrumentalisée à son profit, se donnant une réputation à gauche au détriment de l'intérêt général.

L'éditorialiste a ainsi rappelé le jour du vote de confiance du gouvernement Jospin. Martine Aubry a appris que les 35 heures étaient au programme au moment où elle devait lire le discours de politique générale au Sénat : « Ce jour-là, Martine Aubry, numéro deux du gouvernement (elle avait beaucoup insisté pour l'être), devait lire le discours du Premier Ministre devant les sénateurs. (…) Ravalant sa rage, Martine Aubry fut bien obligée de faire bonne figure devant les sénateurs. Mais ce jour-là, elle n'était pas la seule à tenter de freiner. Juste avant le discours, Dominique Strauss-Kahn arrive à Matignon. Il vient fureter dans le secrétariat de Jean-Pierre Jouyet pour mettre la main sur le discours de Jospin. Il veut le lire, espérant que Jospin ne parle pas des trente-cinq heures. Hélas si. Après un silence, il lâche, dépité, devant Jouyet : "L'important sera d'arrêter la machine infernale". Quand il apparaîtra que cette machine roule inexorablement, DSK en fera porter l'entière responsabilité sur les épaules de Martine Aubry. (…) De son côté, Aubry ne cessait de proférer des jugements cruels sur DSK, qu'elle niait ensuite avoir tenus. ».

Mais la ministre socialiste a fini par y voir son intérêt : « Martine Aubry a en effet très vite tourné casaque sur les trente-cinq heures. Explication de Jean-Pierre Jouyet : "Grâce à cette mesure, elle a réalisé qu'elle était devenue une icône à gauche. Elle y a vu un levier pour servir son ambition politique. Être un jour candidate de la gauche à la présidentielle. Elle y a longtemps songé". Mais de là à imposer avec autant d'assurance, de culot, d'intransigeance, de violence aux patrons (85% y étaient hostiles) une réforme qu'elle savait inopérante pour créer des emplois et qui serait nocive pour le pays... Je m'interrogeais. Comment une fille élevée au biberon du respect des partenaires sociaux, par son père Jacques Delors, l'inventeur de la politique contractuelle, a-t-elle pu les piétiner à ce point ? Un cas d'école qui relevait presque de la psychanalyse. (…) Martine Aubry mettant en œuvre les trente-cinq heures qu'elle réprouve, je voyais dans ce paradoxe un parallèle étrange avec son père qui, lui aussi, m'avait beaucoup étonnée en 1981. À la grande surprise des socialistes, il acceptait de devenir ministre de l'Économie et des Finances de François Mitterrand. ».

Alain Juppé et Martine Aubry, deux présidentiables de haut niveau dans la politique française, victimes de ce qu'on pourrait appeler la "langue de vipère" de Catherine Nay. Bien entendu, ils ne furent pas les seules victimes, et Catherine Nay n'a jamais hésité à critiquer à droite si elle faisait n'importe quoi (l'exemple de la dissolution de 1997 est très instructif) et c'est finalement sa liberté de ton qui lui vaut cette belle réputation d'éditorialiste indépendante, d'autant plus qu'en plongeant dans ses souvenirs, les protagonistes ne risquent plus d'échouer dans leurs entreprises, parfois ils sont même déjà morts. Consécration éditoriale : quatre de ses ouvrages sont édités dans la fameuse collection Bouquins des éditions Robert Laffont. Catherine Nay ? C'est un classique pour les prochains étudiants en sciences politiques.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (31 décembre 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Daniel Schneidermann.
Catherine Nay.
Serge July.
La BBC fête son centenaire.
Philippe Alexandre.
Alain Duhamel.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230101-catherine-nay.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/catherine-nay-dans-les-coulisses-245618

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/12/12/39743905.html






 

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21 janvier 2023 6 21 /01 /janvier /2023 04:15

« Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi (…). La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n'est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d'y placer d'autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l'espace. On le voit bien avec l'interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général De Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu'on attend du Président de la République, c'est qu'il occupe cette fonction. Tout s'est construit sur ce malentendu. » (Emmanuel Macron, le 8 juillet 2015).




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Il y a 230 ans, le 21 janvier 1793 dans la matinée, le roi Louis XVI est mort guillotiné en public à l'âge de 38 ans, exécuté par les révolutionnaires. Une date qui fait partie de l'Histoire de France, pas la plus belle, mais qui, avec les autres nombreuses victimes de la Terreur, constitue une sorte de péché originel d'une République qui s'est bâtie sur du sang.

La réflexion de celui qui n'était pas encore Président de la République, Emmanuel Macron, sur cette figure du roi absente des institutions, n'est pas nouvelle et a été aussi très étudiée par De Gaulle face à un régime parlementaire très insatisfaisant. Il avait résolu le problème en proposant comme sacre du chef de l'État la consécration électorale du suffrage universel direct, seule légitimité populaire acceptable dans une démocratie républicaine.

On a souvent comparé les Présidents de la Cinquième République à des monarques républicains, ce qui est faux en ce sens que l'État de droit existe dans sa permanence et les contre-pouvoirs également (pour s'en convaincre, il suffit d'observer que deux anciens Présidents de la République ont été condamnés par la justice de leur pays). Mais l'imaginaire collectif est celui-là, celui d'un chef qui peut tout, qu'on élit puis qu'on conspue, au point, lors de la crise des gilets jaunes, que certains auraient voulu recommencer cette funeste journée du 21 janvier 1793.

Revenons à cet épisode de l'Histoire, dont le souvenir se poursuit chaque année par une messe à laquelle assiste ce qu'il reste de monarchistes en France.

Après la fuite du roi et son arrestation à Varennes le 21 juin 1791, la monarchie s'est discréditée. La Constitution du 3 septembre 1791 proposait une monarchie constitutionnelle. Le 13 septembre 1791, Louis XVI est passé de roi de France à roi des Français. Après les émeutes du 10 août 1792 (pendant lesquelles Louis XVI a gardé un incroyable sang-froid : « La force ne fera rien sur moi, je suis au-dessus de la terreur. »), la famille royale fut transférée le 13 août 1792 au prieuré du Temple, tandis que les émeutiers parisiens réclamaient la fin de la monarchie et la convocation d'une Convention nationale qui fut élue entre le 2 et 6 septembre 1792 dans un climat de massacres en France et de guerre avec les autres puissances européennes. La victoire décisive des révolutionnaires à Valmy le 20 septembre 1792 a galvanisé les députés de la Convention nationale qui s'est réunie pour la première fois le lendemain pour abolir la monarchie et proclamer l'An I de la République française. Louis XVI devenait Louis Capet et fut transféré le 29 septembre 1792 à la Tour du Temple.

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Dès le 1er octobre 1792, la Convention a débattu sur l'idée de juger le roi déchu et la manière de le faire. Saint-Just était contre un procès et souhaitait le 13 novembre 1792 son exécution sans procès puisqu'il était l'ennemi du peuple. Le 3 décembre 1792, Robespierre, qui avait pourtant été contre la peine de mort, voulait également la mort rapide du roi : « Louis doit mourir parce qu'il faut que la patrie vive. ». Le 6 décembre 1792 a été décidé la tenue d'un procès dont les débats seraient menés par les conventionnels eux-mêmes.

Présidé par Bertrand Barère, le Président de la Convention, le procès de Louis XVI a eu lieu du 11 au 26 décembre 1792 à la Salle du Manège, aux Tuileries, lieu habituel des débats parlementaires pendant la Révolution. Parmi les trente-trois chefs d'accusation, Louis XVI était accusé d'avoir conclu des alliances avec des puissances étrangères et d'avoir donné l'ordre de tirer sur le peuple. L'ancien roi, défendu par trois avocats, a répondu à chaque point en réfutant sa responsabilité dans les massacres. Toutefois, ce procès était faussé par l'idée de Saint-Just : ce n'était pas le roi que jugeaient les révolutionnaires, mais la monarchie.

Du 15 au 19 janvier 1793, les députés ont été amenés à répondre nominalement à quatre questions : d'abord une série de deux questions, sur la culpabilité de Louis XVI (est-il coupable de conspiration contre la liberté publique et d'attentats contre la sûreté de l'État ?) et sur la ratification du jugement par le peuple ; ensuite, sur la peine elle-même ; enfin, une quatrième question a été ajoutée sur un éventuel sursis de la peine (certains députés souhaitant voter pour la mort mais avec sursis).

Si les réponses sur la culpabilité ont été sans ambiguïté (oui, Louis Capet était coupable), les conséquences de cette culpabilité ont laissé les députés très partagés. La Convention était composée de 749 députés dont certains étaient absents pour diverses raisons.

À la première question sur la culpabilité, 673 sur 708 votants ont répondu oui. À la deuxième question sur la ratification du jugement par le peuple, 423 sur 709 votants ont répondu non et 286 ont voté oui. À la troisième question sur la peine à infliger au roi déchu, la question la plus importante, 361 sur 721 ont répondu la mort sans condition, 26 la mort avec l'idée de débattre sur un éventuel sursis, 44 la mort avec sursis, 290 d'autres peines, en général, la peine la plus grave après la peine de mort. 361 était le nombre minimal pour atteindre la majorité absolue, mais pour comptabiliser les députés qui ont voté la mort sans sursis, il faut aussi ajouter les 26 qui voulaient débattre de cette question du sursis sans pour autant être favorables au sursis, ce qui fait une un peu plus large majorité de 387 régicides sur 721. Parmi ceux, Philippe-Égalité, près du futur roi des Français Louis-Philippe. Enfin, à la quatrième question sur le sursis, 380 députés sur 692 ont répondu non et 310 ont répondu oui. Là encore, les conventionnels étaient très divisés sur la question.

Le vote des conventionnels sur la mort du roi sera un grand marqueur politique mais aussi historique de ces parlementaires, qu'ils auront dû assumer tout au long de leur existence et pour la postérité, tout comme le fut le vote des plein pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940.

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Le 20 janvier 1793, apprenant le résultat des votes de la Convention, Louis XVI a rédigé une demande pour avoir trois jours afin de se préparer à se présenter devant Dieu. Il ne les a pas obtenus. Le lundi 21 janvier 1793 à 10 heures 22, sa tête était tranchée par le bourreau Charles-Henri Sanson à ce qui est maintenant la Place de la Concorde à Paris, et fut montrée au peuple, puis les restent furent enterrés au cimetière de la Madeleine, puis transférés le 21 janvier 1815 par son frère Louis XVIII à la basilique Saint-Denis.

Quelques minutes avant son exécution, Louis XVI avait fait cette déclaration : « Citoyens, je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France ! ». Il n'a pas pu poursuivre à cause du bruit des tambours. Sa mort fut accueillie par la foule par des cris de joie : « Vice la Nation ! Vive la République ! Vive la liberté ! ».

S'il a fait preuve de beaucoup de courage personnel, Louis XVI n'était pas, à l'évidence, l'homme de la situation. Il a fait des concessions et n'était pas un autocrate sanguinaire. Mais il n'avait sans doute pas, dans ces circonstances historiques exceptionnelles, la personnalité taillée pour orienter le sens de l'histoire, pas plus que, bien après lui, Paul Reynaud n'était capable de diriger une Résistance qui l'aurait complètement dépassé psychologiquement. N'est pas Jeanne d'Arc qui veut.

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Madame de Staël a commenté les dernières heures de l'ancien roi dans un essai publié après sa mort en 1818 : « Cet homme qui manqua de la force nécessaire pour préserver son pouvoir, et fit douter de son courage tant qu’il en eut besoin pour repousser ses ennemis ; cet homme dont l’esprit naturellement timide ne sut ni croire à ses propres idées, ni même adopter celles d’un autre, s’est montré tout à fait capable de la plus étonnante des résolutions, celle de souffrir et de mourir. ».

Louis XVI a été en quelque sorte une victime collatérale des belles idées de la Révolution que furent la liberté, la démocratie, l'égalité, et surtout, l'État de droit. Il aurait pu les mettre en œuvre lui-même dans le cadre d'une régime de concorde tel que se définissait la Constitution du 3 septembre 1791. Il aura été plus simplement le symbole d'une monarchie capétienne millénaire qu'il fallait à tout prix renverser. Et selon le mot de Clemenceau, avec ses horreurs de la décapitation à outrance, l'Histoire a fait de cette Révolution un bloc, qu'il faut devoir prendre globalement. Napoléon Bonaparte, quelques années plus tard, par ses conquêtes, allait faire de ces concepts les valeurs universelles d'une Europe qui allait devoir encore guerroyer un siècle et demi avant de commencer enfin à s'unir.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (21 janvier 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Saint-Just.
Louis XVI.
Henri VI, comte de Paris, ou l’impossible retour du roi.
Henri VII : le roi de France est mort un 21 janvier.
Louis XIV.
François Ier.
Philippe V.
Colbert.
Lully.
Révocation de l'Édit de Nantes.
Napoléon Bonaparte.
Napoléon III.
Jeanne d’Arc.
Le coup de Jarnac.
Concini.
Congrès de Vienne.
Benoît XVI.
Guillaume II.
Siméon II de Bulgarie.
Nicolas II.
Otto de Habsbourg-Lorraine.
Michel Ier  de Roumanie.
Dynasty.
Élisabeth II.
Constantin II de Grèce.
Victoria, mamie Europa.
Maximilien Ier du Mexique.

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https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/l-execution-de-louis-xvi-le-peche-246167

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