« Pour ce qui est de [notre Constitution], son esprit procède, évidemment, de la nécessité où nous étions de procurer à nos pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité, la responsabilité dont ils étaient dépourvus sous la Troisième et sous la Quatrième République. (…) Quant aux circonstances, elles ont été, elles aussi, variables. Puisqu’elles ont comporté, notamment, des instants où la République s’est trouvée menacée par une grave subversion. Eh bien, l’épreuve des hommes et des circonstances a montré que l’instrument répond à son objet. Non pas seulement dans les moments de relative tranquillité, mais aussi dans les moments difficiles. (…) Il me semble qu’il y a (…) une réussite constitutionnelle, et j’en attribue, pour ma part, la raison, essentiellement, à ceci : que nos institutions répondent aux exigences de notre époque, qu’elles répondent aussi à la nature du peuple français, et à ce qu’il souhaite réellement. Alors, certains qui trouvent peut-être la mariée trop belle proposent certains changements mais qui seraient de nature à bouleverser le système de fond en comble. » (De Gaulle, conférence de presse du 31 janvier 1964 à l’Élysée).
Le Président Emmanuel Macron, silencieux depuis le 27 novembre 2018, va s’exprimer devant les Français ce lundi 10 décembre 2018 à 20 heures. Il devra annoncer des mesures fortes pour résoudre la grave crise qui secoue le pays.
Ce samedi 8 décembre 2018 a été la quatrième journée de manifestation des gilets jaunes dans toute la France. Depuis plusieurs samedis, on ne décompte plus le nombre de manifestants, qui est assez restreint (136 000 pour cette fois-ci), mais le nombre de personnes interpellées par la police (près de 2 000 dont 1 082 à Paris) et de personnes en garde-à-vue (plus de 1 700), ainsi que le nombre de blessés (264 dont 39 parmi les forces de l’ordre).
Heureusement, aucune nouvelle mort n’est à déplorer après les quatre précédents drames qui ont endeuillé la France (le 17 novembre 2018 à Pont-de-Beauvoisin, le 19 novembre 2018 dans la Drôme, le 2 décembre 2018 à Arles et à Marseille), et ces violences terribles auraient pu provoquer de nouveaux drames. Il faut en particulier saluer les forces de l’ordre pour leur sang-froid, leur énergie et leur courage face aux casseurs.
Mais les violences vont coûter très cher à tous les Français, et donc aussi aux gilets jaunes sincères, cher tant aux commerçants qu’aux pouvoir publics (communes, État), ce qui revient que la facture très salée sera payée de toute façon par les Français comme contribuables, assurés, ou même acteurs économiques (salariés, consommateurs ou employeurs, producteurs, vendeurs), car l’activité économique s’est effondré ce trimestre, ce qui n’augure rien de bon tant pour le taux de croissance que celui du chômage. Alors que le gouvernement avait une marge de manœuvre budgétaire très déjà restreinte, cette marge s’est encore réduite après ces trois dernières semaines.
Cette période trouble peut être justifiée par la colère sincère de ceux qui sont surchargés de taxes et d’impôts et ne peuvent plus assurer décemment les fins de mois. Elle a fait l’effet d’une douche froide et le pouvoir ne l’a compris que la semaine dernière lorsque le Premier Ministre Édouard Philippe a annoncé (timidement) l’annulation des nouvelles augmentations des carburants prévues à partir du 1er janvier 2019.
Dans tous les cas, le pouvoir va devoir revoir sa copie sur beaucoup de ses projets. Pas seulement sur ses futures réformes, mais sur toute la philosophie du quinquennat. Il faut un nouveau contrat social. C’est maintenant urgent.
Après tout, cette remise en question n’est pas en elle-même négative. Elle permettra de repenser la méthode de gouvernance. Il est intéressant d’entendre Alain Juppé, le maire de Bordeaux, ville durement touchée par les violences des casseurs, donner le 9 décembre 2018 quelques conseils de bonne gouvernance. Lui, au moins, a compris, un peu tard, qu’un Premier Ministre "droit dans ses bottes" ne pouvait pas durablement réussir la transformation du pays.
Depuis plusieurs semaines, on entend d’autres revendications que sur les aspects spécifiquement économiques (suppression des nouvelles taxes sur les carburants, augmentation du SMIC) et fiscaux (retour à l’ISF, remise en cause du CICE, etc.). Certaines revendications sont relativement communes pour des citoyens qui manifestent leur colère mais vont à l’encontre de l’État de droit.
La démisison d’Emmanuel Macron ?
Certains réclament la démission du Président Emmanuel Macron, démocratiquement élu le 7 mai 2017 par plus de 20,7 millions de Français. Soyons clairs, il faut arrêter avec la désinformation. Emmanuel Macron a été largement élu, très largement (66,1% des suffrages exprimés), et que ceux qui évoquent l’abstention révisent les résultats en reprenant tous les électeurs inscrits : 20,7 millions de Français ont voté pour Emmanuel Macron ; 12,1 millions d’autres Français se sont abstenus ; 10,6 millions d’autres ont voté pour Marine Le Pen ; enfin, moins de 4,1 millions ont préféré choisir un bulletin blanc ou nul. Même si l’abstention était candidate (aidée des votes blancs et des nuls), elle aurait largement perdu face à Emmanuel Macron (16,2 millions vs 20,7 millions). Il n’y a pas photo, demander la démission d’Emmanuel Macron, clamer qu’il est illégitime, est le fait de personnes qui n’ont aucun esprit démocratique, refusent le jeu démocratique, et veulent refaire le match de 2017. Leurs propositions pour les institutions me font donc peur, puisque le principe démocratique serait par essence une coquille vide.
La dissolution de l’Assemblée ?
Certains autres réclament la dissolution de l’Assemblée Nationale. Là aussi, la majorité LREM et MoDem a été largement élue, avec au premier tour (seul tour pour connaître l’état des rapports de forces en jeu), une nette avance. Pas seulement par l’effet majoritaire en sièges, mais en voix : 7,3 millions de suffrages pour LREM-MoDem ; 4,2 millions pour LR-UDI ; 3,0 millions pour le FN ; 2,5 millions pour FI ; 1,7 million pour le PS. Ces cinq "ensembles" sont des entités exclusives : aucune ne veut ou ne peut gouverner avec une autre. Les Français ont exprimé donc leur souhait d’une majorité LREM-MoDem relativement aux autres possibilités qui s’offraient à eux. Il faut l’accepter lorsqu’on croit en la démocratie.
Du reste, les sondages qui aujourd’hui accablent Emmanuel Macron et son gouvernement accablent encore plus les autres anciens candidats à l’élection présidentielle de 2017 et leur parti politique : aucun de ceux qui s’opposent aujourd’hui n’a autant de confiance des Français que le Président de la République lui-même.
La mariée est-elle trop belle ?
Mais d’autres gilets jaunes encore, moins nombreux mais plus bruyants, parfois (pas toujours) influencés par Jean-Luc Mélenchon qui voit dans la situation actuelle l’occasion en or pour casser notre République et instaurer un régime de type vénézuélien, souhaitent l’instauration d’une sixième république et l’élection d’une assemblée constituante.
Alors, par cet article, je veux mettre en garde les Français qui pourraient trouver ces idées intéressantes ainsi que ceux, au pouvoir, qui penseraient trouver dans une (nouvelle) réforme des institutions un règlement de la crise.
Je l’ai déjà écrit ici souvent et je le répète, je suis un défenseur acharné des institutions de la Cinquième République. Je considère que De Gaulle a su trouver l’indispensable équilibre pour faire de la France, d’un pays ingouvernable, une démocratie efficace. Une démocratie, évidemment, car il faut que le peuple puisse s’exprimer et il s’exprime "mieux" depuis 1962 avec l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Efficace aussi, parce qu’une démocratie paralysée par l’impossibilité de gouverner, comme ce fut le cas sous la Quatrième République, cela préfigure la dictature (la crise algérienne a failli provoquer un putsch qui a été évité de justesse grâce au sursaut salutaire du dernier Président de la Quatrième République).
La Cinquième République dans sa version 1962 a été démocratiquement approuvée par le peuple français à l’occasion de deux référendums, celui du 28 septembre 1958 (82,6% de "oui" avec 80,5% de participation) et celui du 28 octobre 1962 (62,3% de "oui" avec 77,0% de participation). Elles sont légitimes et comme l’a dit De Gaulle le 31 janvier 1964 : « Gardons donc celle-ci comme elle est. Tout en nous expliquant que ne s’en accommodent volontiers, ni ceux qui regrettent, tout haut vou tout bas, la confusion d’autrefois, ni cette entreprise qui vise au régime totalitaire et qui voudrait créer, chez nous, un trouble d’où sa dictature pourrait sortir. Mais le peuple, lui, a choisi, et pour ma part, je crois que c’est définitivement. ».
Nos institutions de la Cinquième République, quoi qu’en pensent les adeptes de la sixième république, ont fait leur preuve lors de nombreuses crises, en particulier celle de mai 1968, mais aussi les crises politiques (la réforme Savary en juin 1984, par exemple), enfin, celles provenant des attentats de Daech (2015-2016). Elles ont montré souplesse (cohabitation) et efficacité en ce sens que le pays a toujours pu être gouverné par une majorité capable de prendre des décisions.
Il n’y a rien de pire que de ne pas prendre de décisions. Il vaut mieux prendre une mauvaise décision que de ne pas en prendre du tout. C’est d’ailleurs pour cette raison que des entreprises meurent, parce qu’au début, tout peut bien aller et si les créateurs d’une entreprise se donnent la même part de décision, s’il y a 50%-50% à la réponse à une question, l’entreprise est paralysée et ne peut plus faire face à ses responsabilités. Tout le monde peut se tromper, les gouvernants comme ceux qui les ont élus, mais ne pas pouvoir gouverner, c’est la pire des choses. C’était la Quatrième République.
Je tiens aussi à rappeler que le problème, ce ne sont pas les institutions mais leurs acteurs. Quand on se comporte mal, non seulement sa propre image en pâtit, mais aussi celle qu’on symbolise. Les élus ont donc une grande responsabilité, et en particulier les parlementaires. Ceux qui, irresponsables, ont soufflé dans les braises de cette crise des gilets jaunes, ont montré leur véritable nature.
D’ailleurs, il est faux de dire que les Français boudent nos institutions. Le taux de participation de la dernière élection présidentielle le dément avec 77,8%. Bien des pays comparables seraient heureux d’avoir une telle participation.
Venons-en aux deux ou trois mesures proposées en récurrence dans les médias sans aller jusqu’au fond des choses. Dans tous les cas, elles ne répondraient jamais au besoin de "plus de démocratie" qu’elles seraient censées apporter, et dans tous les cas, elles renforceraient l’impuissance des gouvernants.
1. Le mode de scrutin : la proportionnelle
La belle affaire ! Comme si c’était la réponse au problème du pouvoir d’achat des ménages ! Oui, c’est vrai que le scrutin majoritaire uninominal à deux tours a un "effet levier", mais il faut tout de même reconnaître que cela n’a pas empêché des partis extrémistes, parfois nouveaux (ou très anciens), d’obtenir des sièges voire un groupe politique. Un nouveau parti créé de toutes pièces quatorze mois avant les élections législatives et opposé à tout le reste de la classe politique (à part le MoDem) a réussi à obtenir une majorité absolue des sièges. Cela montre que nos institutions, dont le mode de scrutin, ont permis une respiration démocratique en permettant de renverser le clivage droite/gauche et de procéder à un renouvellement que tout le monde a salué, y compris les vaincus.
Les élections législatives ont un objectif : élire des députés pour faire des lois et contrôler le gouvernement. La proportionnelle empêcherait ces objectifs parce qu’il n’y aurait plus de majorité stable. Enlisement, paralysie. Les citoyens en colère ne pourraient plus s’en prendre au pouvoir car il n’y aurait même plus de pouvoir identifiable.
La proportionnelle serait-elle plus démocratique ? C’est une véritable arnaque intellectuelle d’affirmer une telle chose. Il y a de nombreux exemples en Europe, dans des pays comparables à la France, qui disent le contraire.
En Allemagne, en Italie ou en Espagne, les gouvernements sont soutenus par une coalition qui n’a jamais été choisie par les électeurs. En Allemagne, le SPD a fait campagne en disant son opposition absolue contre la reconduction de la grande coalition avec la CDU. Résultat : grande coalition SPD-CDU. Les électeurs du SPD ont des raisons de se sentir trompés. Où est la démocratie ? En Italie, le M5 et la Ligue ont fait campagne en excluant absolument de gouverner ensemble. Résultat, un gouvernement de coalition M5-Ligue. Où est la démocratie ? En Espagne, c’est encore pire. Le PP de Mariano Rajoy a réussi à garder la direction d’un gouvernement minoritaire mais à cause d’un sujet particulier, ce gouvernement a été renversé au profit d’un autre gouvernement ultraminoritaire dirigé par le PSOE de Pedro Sanchez. Tout cela, sans jamais que les électeurs espagnols ne l’aient décidé. Où est la démocratie ?
Même le renversement du Chancelier Helmut Schmidt par Helmut Kohl dans l’Allemagne de 1982 a été décidé hors du peuple, en raison d’un groupe central (FDP) qui a changé de positionnment en cours de législature. Heureusement, Helmut Kohl, à l’esprit démocratique, a provoqué alors de nouvelles élections pour faire ratifier ce renversement par le peuple, mais il aurait pu formellement ne pas le faire. Où est la démocratie ? Même phénomène pour Theresa May, qui est arrivée au pouvoir grâce à une révolution de palais au sein du parti au pouvoir (consécutive au référendum sur le Brexit), en dehors de tout accord populaire et il a fallu attendre onze mois avant que le peuple britannique n’ait ratifié ce changement. Où est la démocratie ?
Avec la proportionelle, les électeurs, les derniers consultés après les négociations entre apparatchiks ? Bref, tout mode de scrutin qui n’est pas capable de donner une majorité absolue à une coalition clairement identifiable par les électeurs avant le scrutin est de nature à s’opposer à la démocratie car après le scrutin, pour la formation d’un nouveau gouvernement, il y aura la formation d’une coalition qui ne s’était pas présentée initialement devant les électeurs.
Certes, lorsqu’une coalition a une forte audience électorale, elle peut tout de même obtenir une majorité absolue. Ce fut le cas longtemps avec la CDU en Allemagne. Ce fut le cas en France le 16 mars 1986. La coalition UDF-RPR n’a eu qu’une majorité absolue à un ou deux sièges près, à cause de la proportionnelle imposée par François Mitterrand. Était-ce plus démocratique que la législature entre 1993 et 1997 ? Certainement pas. Justement parce que la majorité était à un siège, Jacques Chirac, comme Premier Ministre de la cohabitation entre 1986 et 1988, avait réussi à imposer avec succès une nettement plus forte discipline au sein des parlementaires de la majorité qu’Édouard Balladur entre 1993 et 1995 et Alain Juppé entre 1995 et 1997, qui bénéficiaient d’une majorité pléthorique suscitant des vocations de frondeur. Le taux de fronde n’est pas un élément vraiment plus démocratique que le taux d’allégeance, mais il permet un débat à l’intérieur de la majorité, ce qui est plus démocratique.
2. La suppression du Sénat
Une autre mesure très dangereuse, démagogique et antiparlementaire, c’est de proposer la suppression du Sénat. Écouter les nouveaux et jeunes sénateurs élus en 2017 empêcherait d’avoir des préjugés sur cette instance parlementaire absolument indispensable à l’exercice de la démocratie. Non, les sénateurs ne sont pas de vieux gros plein de soupe qui dorment dans une retraite dorée. Ce sont des bosseurs qui sont pleinement impliqués dans la vraie vie, sur le terrain, dans les territoires, dans la vie professionnelle, etc.
Ce sont ceux qui critiquent le plus le monolithisme de la majorité à l’Assemblée Nationale qui veulent supprimer le Sénat, ce qui, paradoxalement, renforcerait encore plus ce monolithisme.
Rappelons deux ou trois choses sur le Sénat et l’importance du bicamérisme dans une démocratie moderne. Deux chambres permettent une meilleure rédaction des lois qu’une seule chambre pour la simple raison que la procédure de plusieurs lectures permet automatiquement un perfectionnement constant du texte. Avec une seule chambre, aucune raison d’avoir plusieurs lectures. Donc, une seule lecture. Texte bâclé avec une majorité au garde-à-vous, loi bâclée et faite à la va-vite.
Reprenons quelques exemples. L’amendement sur l’analyse ADN pour les candidats à l’immigration dans le cadre du regroupement familial a été sagement supprimé par le Sénat, pourtant de même couleur politique que l’Assemblée Nationale, lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Beaucoup plus récemment… Justement, le projet de finance 2019. Le Sénat a voté en première lecture le texte en annulant les taxes sur les carburants. C’est le Sénat qui l’a décidé il y a plus de deux semaines. Contre l’avis du gouvernement. Il se trouve que justement, après les concessions d’Édouard Philippe de la semaine dernière, le texte voté par le Sénat sur ce sujet précis (le projet a beaucoup d’autres sujets) ne sera donc pas modifié par l’Assemblée Nationale en seconde lecture. Merci qui ?
L’autre fonction du Parlement, c’est le contrôle. Comparons l’action de l’Assemblée Nationale et celle du Sénat pour instruire leur enquête sur l’affaire Benalla. Pareil, il n’y a pas photo. Heureusement que le Sénat était là pour convoquer et interroger les collaborateurs de l’Élysée. Alors que la commission à l’Assemblée Nationale a refusé toute audience qui pouvait nuire à l’Exécutif.
Comme on le voit, les sénateurs ont un rôle modérateur face aux ardeurs d’une majorité à l’Assemblée Nationale qui est toujours très politisée et clivée. Les sénateurs agissent en dehors des consignes d’appareils. Toute l’histoire du Sénat le prouve. Ce n’est pas un hasard si, en 1968, le véritable opposant au Général De Gaulle, ce n’était ni François Mitterrand ni Pierre Mendès France, ni Daniel Cohn-Bendit (ni Jean-Luc Mélenchon !), mais Alain Poher, le Président du Sénat !
La représentativité du Sénat ? Les élections du 25 septembre 2011 ont montré que même le Sénat pouvait basculer à gauche (ce qui, d’ailleurs, signifie que François Hollande avait bien plus de pouvoirs que François Mitterrand puisque son parti était majoritaire dans les deux assemblées, et dans la grande majorité des conseils généraux et régionaux à l’époque).
Par ailleurs, parce qu’il ne dépend pas des vicissitudes de la vie politique quotidienne, le Sénat est capable de meilleures réflexions sur le long terme. C’est le Sénat qui a initié les premières lois sur la bioéthique il y a un quart de siècle. C’est le Sénat qui invite régulièrement en son sein les apprentis, les enseignants, les chercheurs, les créateurs d’entreprise pour les encourager, pour les comprendre, pour détecter certains blocages de la société. Tout ce travail en amont est indispensable dès lors que notre société est complexe, pour en comprendre le maximum de ressorts. Les députés, eux, n’ont pas le temps ni l’opportunité politique. Ils sont enrôlés de force par l’Exécutif, tant dans la majorité (appliquer le programme présidentiel) que dans l’opposition (s’y opposer).
L'un de ceux qui prônent avec le plus de véhémence la suppression du Sénat n'est pas à une contradiction près puisqu'il doit sa notoriété et même son patrimoine à son mandat de sénateur qu'il a perpétué pendant près d'un quart de siècle, sauf lorsqu'il était sous-ministre. Les belles leçons de morale avec le principe : faites ce que je dis, pas ce que je fais...
3. Le référendum d’initiative populaire
Je termine par cette troisième proposition qui, au contraire des deux précédentes, est la moins "tarte à la crème" des "sixième-républicistes". Le principe d’un référendum d’initiative populaire, c’est de pouvoir faire organiser un référendum sur un sujet précis à l’initiative de la base et pas du pouvoir politique. Sur le principe, c’est plutôt intéressant.
Ce concept fonctionne assez bien dans ces "petits" pays, comme la Suisse. C’est moins évident pour une communauté nationale de plusieurs dizaines de millions d’habitants. Pourquoi ?
Parce que la mise en œuvre de ce principe demande, au moins, deux éléments à préciser. Premièrement, quel type de sujet peut être soumis à référendum sans remettre l’ensemble de notre corpus constitutionnel ? Deuxièmement, quelles sont les conditions pour imposer un tel référendum ?
L’innovation politique de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (initiée par Nicolas Sarkozy) a été d’inclure dans la Constitution ce concept. Il existe donc déjà. La condition, c’est que 10% de l’électorat le demande par pétition. 10%, cela correspond à 4 millions d’électeurs environ. C’est beaucoup. Mais pas assez pour remporter à eux seuls un "oui". Il faut aussi reconnaître qu’organiser un référendum tous les dimanches, ce n’est pas possible. C’est coûteux, et surtout, cela renforcerait l’abstention. Il suffit déjà de voir la participation du référendum sur le quinquennat (30,2% le 24 septembre 2000) ou du référendum sur la Nouvelle-Calédonie (36,9% le 6 novembre 1988) pour comprendre que l’organisation de référendums dont ne seraient pas demandeurs un grand nombre de Français renforcerait leur distance avec les institutions.
La seule amélioration qu’on pourrait imaginer avec la législation actuelle, c’est que cette proposition de référendum soit imposée et pas proposée au Parlement et au gouvernement.
De même, le type de sujet susceptible d’être soumis à référendum doit être précisément encadré. Notre pays est une société complexe et les changements doivent être lents, mûrs et en accord avec l’ensemble des forces vives, des corps intermédiaires. C’est d’ailleurs assez étonnant de voir que ceux qui fustigent l’actuel pouvoir accusé de vouloir court-circuiter les corps intermédiaires veulent à tout prix des référendums sur tout et rien. Leur tradition politique s’était pourtant opposée à l’époque gaullienne de ces initiatives qu’elle jugeait alors plébiscitaires pour ne pas dire bonapartistes.
Mais plus généralement, en raison d’un changement (technologique) de société certainement positif qui rend les citoyens mieux informés et plus impatients, il est évidemment nécessaire d’imaginer, c’est là l’enjeu actuel et ’importance d’un réel débat, un cadre pour que la voix des citoyens puisse être audible entre deux élections, puisse remonter. Cela aurait permis d’éviter la crise actuelle des gilets jaunes.
C’était un peu le sens de l’intervention de Jean-Christophe Lagarde dans le débat sur cette crise le 5 décembre 2018 dans l’hémicycle : « Cette réforme devrait permettre au Parlement d’être la chambre d’écoute des Français, et plus seulement la chambre d’écho du gouvernement. Il faudra aussi inventer des mécanismes permettant au peuple de faire irruption dans les affaires entre deux élections, entre deux mandats. Je ne prendrai qu’un exemple : il existe des centaines d’agences, dénoncées par la Cour des Comptes, qui sont financées par nos taxes pour s’enquérir chaque jour de la vie quotidienne des Français. Et la plupart du temps, elles ne voient rien venir ! Ne croyez-vous pas, monsieur le Premier Ministre, chers collègues, qu’avec 100 ou 200 citoyens tirés au sort et consultés sur vos taxes sur les carburants, vous auriez gratuitement évité de faire une telle erreur ? C’est d’ailleurs une bizarrerie de notre démocratie que les citoyens participent à des jurys populaires pour condamner quelqu’un à la prison à perpétuité, mais qu’ils ne soient jamais consultés, ni en première intention, ni en appel, lorsqu’il s’agit de leur vie quotidienne. ».
Emmanuel Macron devant Français ce lundi 10 décembre 2018 à 20 heures
La réponse d’Emmanuel Macron aux gilets jaunes ne doit donc pas être d’ordre institutionnel mais d’ordre économique social. Le politologue Alain Duhamel lui a donné quelques conseils pour cette allocution le 8 décembre 2018 sur France 5. Selon lui, il y a trois conditions pour la réussir, c’est-à-dire la rendre efficace : d’abord, il faut qu’il reconnaisse qu’il s’est trompé et qu’il a appris ; ensuite, il faut qu’il s’exprime en langage clair et simple, facile à comprendre, c’est-à-dire sans le langage technocratique du Premier Ministre qui n’ose pas dire clairement les choses ("moratoire" au lieu de "suppression", etc.) ; enfin, il doit présenter des mesures concrètes sur le pouvoir d’achat, pas des engagements, pas des procédures de long terme (comme une grande consultation), mais des décisions précises et immédiates.
Il ne faut pas qu’il en profite pour faire une entourloupe constitutionnelle comme l’a fait François Mitterrand le 12 juillet 1984 qui, profitant d’éteindre la crise de l’école libre, a allumé un contre-feu avec un projet de référendum sur le référendum incompréhensible jusque parmi des constitutionnalistes et rapidement abandonné.
Nos institutions sont à peu près les seules choses qui fonctionnent correctement dans ce pays, c’est-à-dire, qui sont adaptées à la crise économique et sociale permanente que la France connaît depuis deux générations. Alors, je m’adresse aussi bien à Emmanuel Macron qu’à ses opposants : ne cassons pas nos institutions ! Elles constituent un bien très précieux que nous regretterions très amèrement si l’on écoutait tous ces démagogues de la sixième république…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (09 décembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Ne cassons pas nos institutions !
Vive la Cinquième République.
La réforme Macron des institutions.
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Gilets jaunes : angoisse versus raison.
Allocution du Premier Ministre Édouard Philippe le 4 décembre 2018 à Matignon (texte intégral).
Gilets jaunes : est-ce un soulèvement ?
La Révolution en deux ans.
Discours du Président Emmanuel Macron le 27 novembre 2018 à l’Élysée (texte intégral).
Gilets jaunes : Emmanuel Macron explique sa transition écologique.
Christophe Castaner, à l’épreuve du feu avec les "gilets jaunes".
L’irresponsabilité majeure des "gilets jaunes".
Gilets jaunes : démocratie des urnes et grognement des rues.
Les taxes sur les carburants compenseraient-elles la baisse de la taxe d'habitation ?
Le bilan humain très lourd de la journée des "gilets jaunes" du 17 novembre 2018.
Gilets jaunes, au moins un mort et plusieurs blessés : arrêtez le massacre !
Emmanuel Macron, futur "gilet jaune" ?
Le Mouvement du 17-novembre.
Emmanuel Macron.
Édouard Philippe.
La taxation du diesel.
L’écotaxe.
Une catastrophe écologique ?
Amoco Cadiz (16 mars 1978).
Tchernobyl (26 avril 1986).
AZF (21 septembre 2001).
Fukushima (11 mars 2011).
L’industrie de l’énergie en France.
La COP21.
GIEC : la fin du monde en direct, prochainement sur vos écrans !
Vibrez avec la NASA …ou sans !
Le scandale de Volkswagen.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181208-institutions.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/gilets-jaunes-ne-cassons-pas-nos-210510
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/12/09/36930633.html