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25 juillet 2018 3 25 /07 /juillet /2018 04:31

« Éloigner les députés des électeurs n’a visiblement rien produit de bon jusqu’à présent. Cette fois, la conséquence sera encore d’affaiblir les représentants du peuple et de les mettre un peu plus dans les mains des partis et, au bout du compte, rendre un peu plus puissante cette technostructure immuable, souvent pléthorique et presque systématiquement irresponsable qui, en réalité, gouverne derrière les ministres qui passent. Cette Constitution Macron donne un triste parfum de la victoire de la technostructure contre les représentants du peuple. » (Olivier Marleix, député LR, le 10 juillet 2018 dans l’Hémicycle).



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En tout en France, il n’y aurait plus que 6 députés communistes, 7 députés France insoumise, 19 députés socialistes, 2 députés UDI et 4 députés FN. C’est le résultat d’une simulation reprenant les résultats des élections législatives des 11 et 18 juin 2017 en appliquant la réforme des institutions voulue par le Président Emmanuel Macron et actuellement en examen. Un bon moyen de laminer les groupes politiques d’opposition et surtout, leur diversité sur l’échiquier politique. C’est d’ailleurs le seul but de cette réforme des institutions : affaiblir le Parlement et modifier le mode de scrutin pour détruire les oppositions. C’est sans précédent dans l’histoire constitutionnelle de la Ve République.

J’ai appris l’existence de ce mystérieux rapport parlementaire sur le scrutin proportionnel le mercredi 11 juillet 2018 par une déclaration du président du groupe LR à l’Assemblée Nationale Christian Jacob invité de "Politique Matin" sur LCP. Il a expliqué en effet que son collègue LR Olivier Marleix avait été chargé de faire des projections pour savoir quelle serait la composition de l’Assemblée Nationale élue les 11 et 18 juin 2017 si la réforme des institutions présentée par le gouvernement actuel avaient été appliquée. Olivier Marleix se serait fait aider du mathématicien Cédric Villani, député LREM de l’Essonne, pour la partie technique.

J’ai donc recherché ce rapport dans la base documentaire très fournie de l’Assemblée Nationale, mais je ne l’ai pas trouvé. J’ai compris pourquoi par la suite.

Christian Jacob a expliqué que ce rapport avait été censuré par la commission des lois de l’Assemblée Nationale parce que ses conclusions n’étaient pas conformes à ce qu’attendait la majorité : en effet, loin de renforcer la représentativité des petites formations, le projet d’instiller la proportionnelle au niveau national a au contraire réduit la présence des petits partis dans l’hémicycle. On comprend donc pourquoi ce rapport tarde à être publié.

On pouvait en savoir un peu plus sur ce mystérieux rapport lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle au cours de la séance publique du 18 juillet 2018. Deux députés, un de la majorité, Christophe Euzet (LREM), maître de conférences en droit public à Perpignan, un de l’opposition, Olivier Marleix (LR), nommés rapporteurs, ont été chargés par la commission des lois de l’Assemblée Nationale d’une "mission flash" en février 2018 pour faire des projections électorales sur le mode de scrutin, en s’aidant du concours de leur collègue Cédric Villani. Leurs travaux n’ont toujours pas été présentés. Ils auraient dû l’être en avril 2018 mais à chaque demande de date d’Olivier Marleix, il a été répondu de manière très vague.

Finalement, le 18 juillet 2018, la présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet (LREM), qui est également une des rapporteurs du projet de loi constitutionnelle, a annoncé que la présentation de ces travaux à la commission des lois aurait lieu le 12 septembre 2018 et a donné une première raison pour leur non publication : « Si ce rapport n’a pas été publié, c’est parce qu’il n’a pas encore été rédigé. Il n’existe pas. J’aurais donc bien du mal à le publier. ». Et d’affirmer : « Le bureau de la commission des lois, réuni aujourd’hui [18 juillet 2018] à 14 heures 30, a entériné cet ordre du jour pour la reprise de nos travaux en septembre. Une fois rédigé, ce rapport sera donc présenté à la commission le 12 septembre, laquelle autorisera ou non, je ne puis en juger à ce stade, puisque la réunion n’a pas encore eu lieu, sa publication. ».

Philippe Gosselin a répondu à Yaël Braun-Pivet : « La mission a été lancée par la commission au mois de février, et ses conclusions étaient attendues pour avril. Depuis le mois d’avril, en réunion de bureau comme au sein de la commission, notre collègue Olivier Marleix a demandé avec insistance à quel moment il pouvait présenter ces conclusions. De façon évasive, madame la présidente de la commission, vous avez toujours répondu que l’on verrait le moment venu, que vous n’aviez pas votre agenda sur vous, et autres arguments du genre. En réalité, tout a été fait pour que les conclusions de ce rapport ne soient pas révélées en plein jour, car elles dérangent. Oui, en effet, le scrutin proportionnel soulève de vraies difficultés. Olivier Marleix a même été obligé d’en faire état la semaine dernière, dans le cadre de la discussion générale, car vous refusiez de publier ce rapport et de le soumettre à notre examen. La publication est une chose, mais l’examen en commission en est une autre : on assiste de ce point de vue à des manœuvres dilatoires, et je ne puis vous laisser dire ce que vous avez dit. Vraiment, ce n’est pas très honnête. ».


Le mystérieux rapport dévoilé par Olivier Marleix dès le 10 juillet 2018

Comme l’a dit Philippe Gosselin, il faut en effet revenir sur la déclaration de son collègue Olivier Marleix dans la discussion générale du 10 juillet 2018 pour avoir quelques idées du contenu du mystérieux rapport que la majorité a refusé de publier avant l’examen du projet de loi constitutionnelle.

Voici ce qu’Olivier Marleix a dit dans l’hémicycle le 10 juillet 2018 : « Comme vous l’avez rappelé cet après-midi, monsieur le Premier Ministre, depuis 1958, toutes les révisions constitutionnelles qui ont touché à l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le Parlement l’ont toujours fait systématiquement dans un même sens : donner plus de pouvoir au Parlement. Votre texte est donc la première révision qui aille en sens inverse. C’est la première fois que l’on fait voter par une majorité soumise la réduction de ses droits et son propre affaiblissement. (…) Ainsi, pour m’en tenir à la seule affirmation selon laquelle le Parlement sera plus représentatif, c’est exactement l’inverse qui se produira. En réalité, monsieur le Premier Ministre, vous proposez deux mesures qui sont, techniquement, en parfaite contradiction : d’un côté, l’introduction d’une dose de 15% de proportionnelle, censée favoriser la représentation de la diversité et des petits partis et, de l’autre, une réduction de 30% du nombre de députés qui, si l’on tient compte de ceux qui seront élus à la proportionnelle, représente en réalité une réduction de 40% du nombre des circonscriptions, qui passera de 577 à 344, ce qui aura pour effet de doubler quasiment la taille de ces dernières, diluant ainsi et faisant disparaître les plus petites, les bastions électoraux qui permettent aujourd’hui aux petits groupes d’avoir des députés. ».

D’où : « Les conséquences de votre réforme sont donc de deux ordres. Ce sera d’abord un écrasement des minorités politiques et de la diversité. Les petites formations gagneront en réalité beaucoup moins avec les 15% de proportionnelle qu’elles ne perdront avec la réduction de 40% du nombre de circonscriptions. [Ensuite, la réforme] fait disparaître les circonscriptions les plus marquées électoralement dans un marais favorable aux majorités. ».

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Olivier Marleix a alors fourni publiquement les conclusions de sa mission flash : « Je vais vous donner des chiffres, issus d’une mission que m’avait confiée la présidente de la commission des lois et sur lesquels a du reste travaillé l’un de nos collègues de la majorité. Des simulations faites sur la base des résultats de 2017 donnent des résultats assez édifiants : avec les règles issues du paquet constitutionnel que vous nous présentez, il n’y aurait plus (…) que 6 députés communistes, 7 députés de la France insoumise, 19 pour le groupe de la Nouvelle gauche [socialistes], 2 pour l’UDI et 4 pour le FN. Ces chiffres seront évidemment communiqués le jour où, comme je l’espère, madame la présidente [de la commission des lois], ce rapport pourra être inscrit à l’ordre du jour de la commission des lois. On aura donc, monsieur le Premier Ministre, après votre réforme, une Assemblée Nationale moins représentative qu’auparavant. ».

Les conséquences de ce résultat, c’est un affaiblissement de l’opposition parlementaire : « La difficulté qui en résultera tient à l’exercice démocratique : même en abaissant à 10 députés le seuil permettant de former un groupe politique, trois des sept groupes qui forment actuellement notre Assemblée Nationale auraient vocation à disparaître et la possibilité concrète pour les députés, même avec un groupe de 10, de participer au débat parlementaire serait fortement remise en cause, car les députés n’ont pas le don d’ubiquité. (…) Par soucis de justice, je voudrais aussi rendre un vibrant hommage aux 130 députés de LREM et du MoDem, 130 au minium, toujours sur la base des résultats de 2017, qui acceptent de sortir d’ici comme ils y sont entrés : par la volonté d’Emmanuel Macron, sans qu’il soit tragiquement question de volonté du peuple ou de force des baïonnettes. Mes chers collègues, je ne connais pas les noms des personnes concernées, mais je vous donnerai les études faites par votre collègue du groupe LREM, ces chiffres sont à votre disposition. ».

Autre conséquence : « La deuxième conséquence de votre réforme est ce que le professeur Dominique Chagnollaud appelle la désertification démographique, c’est-à-dire la quasi-disparition des députés en milieu rural. Dans 21 départements, il n’y aura plus qu’un seul député et Paris et le Nord auront, à eux seuls, autant de députés que 21 départements français réunis. ».

Olivier Marleix a terminé son intervention du 10 juillet 2018 ainsi : « Moins de représentants du peuple, c’est mathématiquement moins de diversité, si l’on reste, comme nous, membres du groupe LR, attaché au scrutin majoritaire. Monsieur le Premier Ministre, éloigner les députés des électeurs n’a visiblement rien produit de bon jusqu’à présent. Cette fois, la conséquence sera encore d’affaiblir les représentants du peuple et de les mettre un peu plus dans les mains des partis et, au bout du compte, rendre un peu plus puissante cette technostructure immuable, souvent pléthorique et presque systématiquement irresponsable qui, en réalité, gouverne derrière les ministres qui passent. Cette Constitution Macron donne un triste parfum de la victoire de la technostructure contre les représentants du peuple. ».

Revenons maintenant à la discussion parlementaire du 18 juillet 2018.


Différentes interprétations du futur rapport Marleix-Euzet ?

Hervé Saulignac a alerté, lui aussi, sur l’effet pervers de la réforme du mode de scrutin : « La représentation nationale doit connaître la réalité des effets de la proportionnelle telle que vous l’avez prévue sur la représentation au sein de notre assemblée (…). Les effets sur le pluralisme ne seront pas ceux que vous nous promettez. ».

Très présent sur le terrain institutionnel (et par ailleurs corapporteur de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla), Guillaume Larrivé a enfoncé le clou : « La question posée par notre collègue (…) socialiste est essentielle. Que dit monsieur Saulignac ? Que le mode de scrutin proposé par le gouvernement réduira la diversité de la représentation des courants d’opinion. Le rapport de notre collègue Olivier Marleix, qui, à ce stade, a été censuré par la commission des lois, et la contribution de monsieur Villani à ce rapport démontrent avec a force de l’évidence mathématique que la conjonction de la diminution du nombre de parlementaires et de l’introduction d’un scrutin mixte aura pour effet de réduire la diversité de la représentation des courants d’opinion. ».

Olivier Becht n’a pas semblé non plus convaincu par la proportionnelle : « Je vous mets en garde contre l’idée que la proportionnelle assurerait davantage de pluralisme que le scrutin majoritaire. L’Assemblée Nationale élue en 1986 à la proportionnelle intégrale ne comprenait pas plus de groupes politiques que la nôtre, élue au scrutin majoritaire à deux tours. Sa composition était différente, ses groupes étaient différents, mais ceux-ci n’étaient pas moins nombreux qu’aujourd’hui. ».

Prenant la parole puisque son nom a été souvent cité à ce sujet, Cédric Villani a déclaré tout en nuances courtoises : « Je me réjouis que nos collègues suivent avec autant d’intérêt les travaux de la mission chargée d’apprécier les incidences d’une évolution du mode de scrutin des députés. À cette mission en cours, dont les rapporteurs sont Olivier Marleix et Christophe Euzet, j’ai pu contribuer au titre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Il est heureux qu’une réflexion technique puisse nourrir des débats politiques sans sombrer dans la technocratie. (…) Pour réaliser cette étude technique, j’ai demandé le concours d’experts bénévoles, qui ont travaillé en coordination avec nous. Ce travail rude a débouché sur des conclusions intéressantes. ».

Cédric Villani a critiqué le fait que ces conclusions fussent instrumentalisées par l’opposition : « Je vous fais remarquer que l’on ne peut pas séparer la question du nombre et de la représentativité des parlementaires, de celle du pourcentage de parlementaires élus à la proportionnelle. (…) Elles jouent en sens inverse. La réduction du nombre de députés favorise le fait majoritaire, mais la proportionnelle atténue ce fait majoritaire. Il faut considérer ces deux effets. ».

Le député mathématicien a donc insisté sur l’équilibre à trouver entre ces deux effets : « D’une part, monsieur Larrivé, vous avez dit (…) que vous n’êtes pas hostiles à une diminution du nombre de députés. Or, il est mathématique qu’une telle diminution accroît le fait majoritaire, donc tend à diminuer la représentation des partis minoritaires. D’autre part, pour compenser cette évolution, les constitutionnalistes et les experts en science du scrutin s’accordent à dire qu’il faut introduire, d’une manière ou d’une autre, une dose de proportionnelle. On peut discuter de la façon dont ce facteur sera pris en compte ; trente-six méthodes permettent de le faire. Mais cette discussion technique n’a pas sa place dans un débat constitutionnel. Nous aurons tout le loisir d’en reparler lors de l’examen du projet de loi ordinaire et du projet de loi organique. ».

Pourtant, le mode de scrutin pour élire les députés est intimement lié à la nature du régime politique et ce fut une grande erreur que celui-ci ne fût pas inscrit dans la Constitution afin d’éviter qu’une majorité puisse changer à elle seule la règle du jeu pour son propre intérêt.

Christophe Euzet, l’autre rapporteur de la mission en question, de la majorité, a tenu à rétablir un fait : « Je vous remercie (…) de m’associer à la mission d’information dont j’ai eu l’initiative avec monsieur Villani, et dans laquelle nous avons tenu à ce que les députés du groupe LR soient représentés, afin qu’elle ne soit pas taxée de partialité. ». Puis, très partisan, Christophe Euzet a rejeté les conclusions exprimées par Olivier Marleix : « Le 12 septembre, quand nous présenterons les conclusions de notre mission, j’invite tous ceux qui sont sensibles au sujet à venir nous écouter. Ils prendront la mesure du fait que, loin de détruire la démocratie (…), nous allons au contraire la dynamiser. Un scrutin populaire n’a-t-il pas révélé que le scrutin majoritaire que vous avez soutenu pendant des années a conduit à une crise de la représentation, celle-là même que vous dénoncez depuis trois jours, et que nous nous employons à résoudre ? ».

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Mais son argumentation ne fut pas très convaincante : « Venez écouter nos arguments. Peut-être serez-vous convaincus par l’idée que, sans chambouler le régime actuel, qui repose sur un scrutin majoritaire, on y peut introduire une part de proportionnelle qui fera entrer dans cette enceinte des partis politiques que vous vous êtes échinés pendant trente ans à maintenir à l’extérieur. ».

Car si les partis politiques qu’il a évoqués, c’étaient le Front national et le parti de Jean-Luc Mélenchon, justement, le scrutin des 11 et 18 juin 2017 a permis leur entrée au Palais-Bourbon et les simulations de la mission Marleix-Euzet ont démontré que ces deux partis s’effondreraient avec la réforme proposée.

Olivier Marleix a répondu à Cédric Villani et à Christophe Euzet de la manière suivante : « Monsieur Villani a entièrement raison lorsqu’il dit qu’il faut combiner les deux facteurs d’évolution : réduction du nombre de députés au scrutin majoritaire et introduction d’une dose de proportionnelle. Les travaux qu’il a fait réaliser et que vous découvrirez un jour montrent fort bien que les résultats auraient pu varier. Cependant, nous connaissons aujourd’hui les hypothèses que le gouvernement a retenues dans le projet de loi ordinaire. Il est incontestable que la réduction du nombre de circonscriptions, il y en aura 242 en moins !, aura un effet écrasant : les petits partis en perdront beaucoup plus au scrutin majoritaire qu’ils n’en gagneront grâce à la proportionnelle. Leurs gains se réduiront à quelques miettes. (…) Il n’est pas douteux qu’aux termes de l’hypothèse de travail que nous a fournie le gouvernement, la diversité, les petites formations, seront écrasées. Autant dire que l’intitulé du texte, qui nous promet une démocratie plus représentative, est pour le moins mensonger. ».

Marc Le Fur est intervenu pour donner une conséquence de la réforme des institutions sur la parité dans les assemblées : « L’une des hypocrisies qui entourent ce texte consiste à prétendre qu’il augmentera la proportionnelle, alors qu’il la réduira dans l’une des assemblées, en l’occurrence le Sénat, qui est déjà la moins féminisée, avec toutes les conséquences que cela aura pour les femmes. Je pense donc, mesdames, que vous devriez vous opposer comme nous à l’ensemble du texte ! ».

Cette étude, qui va être présentée le 12 septembre 2018 devant la commission des lois de l’Assemblée Nationale, pourrait donc remettre en cause l’objectif que s’était fixé le gouvernement dans cette réforme des institutions, à savoir vouloir une démocratie plus représentative. La réalité, c’est que si cette réforme était adoptée, la représentation nationale en souffrirait et le fossé entre les citoyens et leurs députés s’élargirait encore plus.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 juillet 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Élections législatives des 11 et 18 juin 2017.
Réforme Macron des institutions (6) : le mystérieux rapport sur le scrutin proportionnel.
Réforme Macron des institutions (5) : l’impossible principe de proportionnalité démographique de la représentation démocratique.
Exemplaire et inaltérable, la République ?
Réforme Macron des institutions (4) : la totalité du projet gouvernemental.
Réforme Macron des institutions (3) : réduire le Parlement ?
Réforme Macron des institutions (2) : le projet de loi constitutionnelle.
Réforme Macron des institutions (1) : les grandes lignes.
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Non à la suppression des professions de foi !
Protégeons la Ve République !

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180711-reforme-institutions-af.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/reforme-macron-des-institutions-6-206350

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/07/25/36584092.html


 

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24 juillet 2018 2 24 /07 /juillet /2018 05:05

« Je veux combattre cette idée complètement fausse, pour ne pas dire farfelue, selon laquelle réduire le nombre de parlementaires, c’est renforcer le pouvoir du Parlement. Pardon, mais c’est un mensonge car moins il y a de parlementaires, plus il est facile pour l’exécutif de les contrôler ! » (Jean-Christophe Lagarde, le 18 juillet 2018 dans l’Hémicycle).



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Je reprends ici mes chroniques sur la réforme des institutions. J’ai conscience que ce sujet n’est pas le plus "sexy" et passionne peu de monde, mais malheureusement, il est de l’enjeu national le plus important qui se noue en ce moment. Si l’on bouleverse l’équilibre des institutions, la France risque de basculer dans la situation institutionnelle de l’Allemagne, voire de l’Italie ou de l’Espagne, ce qui serait un coup dur porté à son avenir déjà assombri par les fractures nombreuses au sein de la société française.

Le député Arnaud Viala a d’ailleurs constaté en séance publique, le 18 juillet 2018, ce phénomène de désintérêt des Français pour ce sujet très important, en s’adressant au gouvernement : « Ce débat est non seulement fastidieux, pour ne pas dire autre chose, mais également insipide pour nos concitoyens. En venant en séance, j’ai croisé un journaliste qui me disait, l’air abattu, qu’il ne vendait pas ses papiers sur les débats de la réforme institutionnelle, malgré tous ses efforts d’en couvrir tous les aspects. Je crois néanmoins qu’il faut expliquer à nos concitoyens les conséquences de ce que vous voulez nous faire adopter. ».

Depuis le 10 juillet 2018, le projet de loi constitutionnelle (la réforme est composée de trois projets de loi, une constitutionnelle, une organique et une ordinaire) est examiné en séances publiques par les députés pour la première lecture. Cet examen a été suspendu sine die ce dimanche 22 juillet 2018 en raison de l’effervescence parlementaire provoquée par l’affaire Benalla. La discussion sur le sujet reprendra à la rentrée, après l’été.

Précisons qu’au contraire des affirmations peu crédibles du gouvernement, et en particulier de la Ministre de la Justice Nicole Belloubet qui défend ce projet de loi constitutionnelle au nom du gouvernement (elle est constitutionnaliste de métier), ce projet ne tend pas à donner plus de pouvoir au Parlement, comme cela avait été formalisé dans les précédentes révisions constitutionnelles, mais au contraire à les diminuer pour renforcer les pouvoirs de l’exécutif.

Comme je l’ai présentée, la réforme est composée de trois projets de loi, qui correspondent aux différentes strates des normes législatives. Or, parfois, la discussion peut se focaliser sur le type de norme dans laquelle une mesure doit être inscrite. Ce débat, peut-être un peu compliqué pour le grand public, est essentiel pour l’avenir du pays car les institutions constituent aujourd’hui le seul pôle de stabilité et d’efficacité de la démocratie française. Il est donc essentiel que leur esprit soit précieusement préservé, même si cela n’exclut pas quelques améliorations ponctuelles.

Pour cet article, je voudrais approfondir le concept de représentation parlementaire des territoires. Déjà, un mot, "territoire", qui semble avoir définitivement gagné sur le mot "région" pour parler de "province". Souvent employés au pluriel, les territoires désignent à la fois les provinces ("en région" pour les Parisiens), et toutes les collectivités territoriales (communes, syndicats de communes, métropoles, conseils départementaux, régionaux, etc.). C’est une notion à la fois vague et à la mode.

Le gouvernement, de manière à mon sens stupide, voudrait bouleverser la représentativité des députés. Aujourd’hui, il y a 577 députés élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours et si chaque député est élu par les électeurs de sa circonscription, et à ce titre, les représente dans les affaires locales, il représente aussi l’ensemble de la nation.

Cette représentation de la nation par chaque député, c’est l’argument de la Ministre Nicole Belloubet qui voudrait dédramatiser sur sa représentativité territoriale et démographique : en effet, moins il y a de circonscriptions, plus elles sont étendues, plus elles sont grandes en population et en superficie, et moins le député aura la possibilité de nouer un contact direct avec ses électeurs. La réponse à cet argument de représenter l’ensemble de la nation bien qu’élu par les électeurs de seulement une circonscription, c’est que cette représentation ne doit pas être théorique, hors-sol, mais bien s’incarner par le contact direct avec des électeurs, la connaissance de leurs problèmes, de leurs réussites, etc.

Le gouvernement souhaite réduire de presque de moitié le nombre de circonscriptions pour plusieurs raisons : d’une part, en réduisant le nombre des députés du tiers, d’autre part, en voulant faire élire le sixième des députés restants au scrutin proportionnel intégral à l’échelle nationale (des députés complètement hors-sol et totalement dépendants des appareils des partis), enfin, en voulant aussi faire élire les députés représentant les Français de l’étranger par un scrutin proportionnel complémentaire (ce qui n’aura aucun sens d’un point de vue représentation), sans compter qu’il faudrait bien réserver des circonscriptions complètes aux outre-mers, pour ne pas avoir des circonscriptions qui engloberaient à la fois la Nouvelle-Caldonie et Wallis-et-Futuna, par exemple ! (Ce qui est déjà le cas avec Saint-Martin et Saint-Bathélémy).

Le problème, c’est le principe de proportionnalité démographique en raison de certains territoires peu peuplés mais qui devraient quand même avoir une représentation parlementaire spécifique. Ce principe de proportionnalité démographique est constitutionnel et la jurisprudence du Conseil Constitutionnel a déjà montré que c’était un principe important pour découper les circonscriptions législatives.

Si l’on appliquait complètement ce principe, cela voudrait dire que certains départements comme la Lozère ou la Creuse n’auraient plus "son" député et ces départements seraient inclus dans des circonscriptions plus vastes comprenant des parties d’autres départements. C’est pourquoi tout le monde s’accorde sur le principe que dans tous les cas, les découpages doivent se faire avec cette règle : au moins un député et un sénateur par département.

Pour l’instant, il y a deux départements qui n’ont qu’un seul député, la Lozère et la Creuse, et c’est déjà très difficile pour ces députés d’assumer leur charge, de rester au contact de leurs électeurs, de faire les déplacements à l’intérieur de leur vaste circonscription. Avec la réforme du gouvernement, il faudrait compter au moins vingt-trois départements qui n’auraient plus qu’un seul député et un seul sénateur. Ce qui correspond à près du quart des départements. On voit déjà que le travail de ces parlementaires va être particulièrement difficile à assurer pour faire le lien entre la France réelle et le pouvoir.

Le gouvernement ne veut pas intégrer cette obligation d’un député et d’un sénateur au moins par département dans le projet de loi constitutionnelle, mais dans le projet de loi organique. Or, il paraît assez probable que le Conseil Constitutionnel pourrait s’autosaisir de ce sujet (il examine systématique la constitutionnalité des lois organiques) lorsqu’il s’apercevra que les contours de certaines circonscriptions violeront le principe de proportionnalité démographique.

Ce débat parlementaire s’est tenu le mercredi 18 juillet 2018 après-midi, juste avant que n’éclatât l’affaire Benalla dans la classe médiatico-politique.


Les opposants à la réforme du gouvernement

Voici les arguments pour constitutionnaliser le principe un député et un sénateur par département, principe qui ferait dérogation au principe de proportionnalité démographique (dans le cas où un département a nettement moins d’habitants que la moyenne des circonscriptions).

Guillaume Larrivé a craint la jurisprudence du Conseil Constitutionnel : « Dans le projet tel que le gouvernement le présente, la règle imposant un député et un sénateur par département est mise en œuvre au plan législatif, par un article du projet de loi ordinaire qui habiliterait le gouvernement à découper les circonscriptions en respectant ce principe. Voici la question que je veux poser par cet amendement : dans quelle mesure cette règle législative serait-elle conforme au principe constitutionnel d’égalité du suffrage et au principe selon lequel le découpage doit s’opérer sur des fondements essentiellement démographiques ? En effet, compte tenu de la très grande réduction du nombre de parlementaires que prévoit le projet de loi organique, la combinaison des trois textes signifie que vous confierez à la loi simple le soin de procéder au redécoupage, avec des écarts démographiques absolument considérables. L’écart entre le député unique d’un département faiblement peuplé et le député d’un département très peuplé serait extrêmement marqué, au point, selon nous, d’être contraire à l’exigence constitutionnelle actuelle d’égalité du suffrage et de découpage sur des fondements essentiellement démographiques. Voilà pourquoi (…) nous pensons nécessaire de poser dès maintenant dans la Constitution, par dérogation, au fond, au principe constitutionnel actuel de redécoupage sur les fondements essentiellement démographiques, ce verrou par lequel nous affirmerions que nous souhaitons un redécoupage assurant au moins un député et un sénateur par département. ».

Pierre Morel-À-L’Huissier (unique député de la Lozère) a apporté son témoignage d’élu rural d’un département très faiblement peuplé : « Je vais essayer de convaincre la représentation nationale (…). M. Larrivé a expliqué la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, que j’ai vécue. En 2009, après la révision constitutionnelle, il y avait deux députés en Lozère. Jean-Louis Debré, que j’avais rencontré préalablement, m’avait dit que la règle des deux députés était une tradition républicaine qui n’était inscrite dans aucun texte. Vous avez vécu cette réforme, madame la garde des sceaux ; vous savez donc de quoi je parle. Comment vous dire à quel point il est important que chaque département ait au moins un député et un sénateur, que c’est la représentation démographique minimale ? La Lozère s’étend sur 5 100 kilomètres carré. Le fait d’être le seul député du département, je le vis tous les jours, toutes les semaines, tous les mois je fais 7 000 kilomètres ! Toute la presse nationale a eu l’occasion de venir voir le zombie qu’est devenu le département de la Lozère. J’en appelle à toute la représentation nationale : préservez au moins un mandat de sénateur et un de député dans chaque département rural ! C’est une supplique : pour des raisons démographiques et démocratiques, cette règle doit être respectée pour préserver la représentation ! ».

Pierre Morel-À-L’Huissier a précisé son activité de parlementaire : « Pour rejoindre la Lozère, il faut passer soit par Clermont-Ferrand, soit par Le Puy-en-Velay, soit par Montpellier. Une présence permanente sur le terrain est nécessaire car nous sommes dans un milieu rural, où tout le monde veut nous voir, où, tous les samedis et tous les dimanches, de nombreuses manifestations ont lieu. Il faut ensuite aller à Paris, à plus de 500 kilomètres, et prendre l’avion. (…) Cette représentation minimale doit être inscrite dans la Constitution parce que je ne suis pas sûr de la jurisprudence à venir du Conseil Constitutionnel. ».

Pierre Morel-À-L’Huissier est revenu ensuite à la charge : « Madame la garde des sceaux, vous êtes d’accord avec nous sur le fond puisque vous renvoyez cette disposition à la loi organique. Qu’est-ce que cela vous coûterait d’accepter de l’inscrire dans la Constitution ? Nous sommes ici en assemblée constituante, je souligne, et vous invoquez, outre le Conseil d’État, le Conseil Constitutionnel, comme si c’était le deus ex machina. La loi organique lui sera soumise et, pour avoir vécu le précédent de 2009, je peux vous dire que c’est le Conseil Constitutionnel qui a décidé qu’en Lozère, il n’y aurait plus deux députés mais un seul, en se saisissant d’office. Il y a donc un risque évident. ».

Philippe Vigier s’est inquiété de la reconcentration des pouvoirs locaux par l’État : « Pourquoi souhaitons-nous au moins un député par département ? Il y a 80 000 habitants en Lozère. On pourrait donc très bien imaginer qu’à la suite d’un redécoupage établissant un ratio de 200 000 habitants par député, celui de la Lozère récupère le bout d’un autre département. Soyons logiques (…) ! Le département est une collectivité, dont chacun connaît l’ancienneté, qui a un rôle stratégique. Si encore vous supprimiez les départements, peut-être pourrions-nous comprendre qu’il y ait des débordements au-delà des frontières actuelles. Mais c’est une unité parfaitement reconnue, avec des organisations d’État. Si un département devait être privé de parlementaire, à l’heure de la reconcentration des pouvoirs, comment sera-t-il défendu, j’insiste sur le verbe, face à l’administration d’État ? Qui défendra la vision stratégique ? Il n’est pas indécent de dire que la stratégie de développement d’un département, dans chacun des domaines, économique, social ou environnemental, ne peut pas être uniquement laissée aux mains de l’appareil d’État. La présence d’un sénateur et d’un député est une garantie pour les habitants, au-delà des critères mêmes de proximité. ».

Plus tard, Philippe Vigier a apporté un autre argument sur l’équilibre des pouvoirs : « Un pouvoir équilibré, c’est un exécutif fort et un pouvoir législatif fort. (…) Ces mots ne sont pas des mots en l’air. Ce matin, nous étions en commission des finances avec plusieurs collègues. Au titre de cette commission, des pouvoirs nous ont été confiés, ainsi qu’au premier d’entre nous : Joël Giraud, le rapporteur général du budget. Il nous a expliqué que, dans le cadre de ses missions de contrôle, il était resté bloqué trente minutes à Bercy parce qu’il ne pouvait pas accomplir les missions prévues par la loi organique et disposer de la latitude d’exploration qu’il souhaitait. (…) Ce que je vous ai dit sur le pouvoir de contrôle qui nous est confié montre l’affaiblissement du Parlement. (…) Si le député de la Lozère est aussi celui de l’Hérault, puisqu’il y aura eu plus d’habitants de ce département que d’habitants de la Lozère à l’avoir élu, notre capacité d’investigation sera réduite à néant. ».

Jeanne Dubié a voulu sensibiliser les députés LREM de départements peu peuplés : « Je tenais seulement à vous dire que la Lozère ne sera pas la seule concernée. Il y aura aussi les Hautes-Pyrénées, par exemple, et bien d’autres départements de montagne et ruraux. Aujourd’hui, siègent parmi la majorité des députés qui connaissent cette réalité. Je les appelle à un peu de réflexion car cela fait un an qu’ils sont élus et se déplacent dans leur circonscription, qu’ils font des kilomètres et des kilomètres pour aller à la rencontre des élus locaux et de leurs concitoyens. ».


Le point de vue de la majorité

Voici les arguments contre la constitutionnalisation de ce principe de représentation (au moins un député et un sénateur par département).

Le député Sacha Houlié, porte-parole de LREM, a eu la mauvaise foi de dire à l’opposition que la réforme, au contraire, allait surreprésenter les territoires ruraux et peu peuplés : « Je rappelle (…) que le principe d’égalité réelle est appliqué au sein de chaque département, où une différence de plus ou moins 20% n’est pas tolérée, mais que celle-ci l’est entre les départements ! (…) Je suis bien placé pour savoir qu’il y aura indéniablement, demain, des différences entre les départements, mais elles répondent à un objectif que vous recherchez : une meilleure représentation des territoires. J’en veux pour preuve que, dans le département de la Creuse, il y aura toujours un député pour 120 000 habitants, dans le département de la Lozère, toujours un député pour 77 000 habitants, dans le département du Cantal, un pour 147 000 habitants, dans celui de l’Ariège, un pour 130 000 habitants. Ainsi, au final, les territoires ruraux seront mieux représentés que les territoires urbains au regard de leur nombre d’habitants, preuve s’il en est que nous tenons compte des territoires ! ».

Cette déclaration a enflammé l’hémicycle, beaucoup de députés se demandant comment Sacha Houlié pouvait savoir ces différences de représentation alors que la carte de découpage électoral n’a pas été transmis aux députés et beaucoup ont réclamé la convocation immédiate devant eux du Ministre de l’Intérieur (Gérard Collomb) pour savoir ce qu’il en était (Gérard Collomb fut sollicité encore plus le lendemain, quand l’affaire Benalla a éclaté).

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Auparavant, le rapporteur général de la réforme des institutions, par ailleurs président du pléthorique groupe LREM à l’Assemblée Nationale, l’ancien socialiste Richard Ferrand a pris les arguments de ses contradicteurs avec beaucoup de légèreté : « Je tiens tout de même à vous rappeler que l’article 6 du projet de loi qui vous sera soumis après la révision constitutionnelle (…) satisfait l’ensemble des amendements qui viennent d’être présentés, les uns après les autres. Je comprends bien que, par goût de l’anticipation, leurs auteurs voudraient que ce principe soit constitutionnalisé ; mais nous ne pensons pas que cela soit nécessaire. (…) Cela étant, je ne voudrais pas que nos compatriotes retiennent l’idée que seuls les auteurs de ces amendements se préoccuperaient de savoir s’il y aura bien et un député et un sénateur a minima par département ou par collectivité, puisque le projet de loi qui a été déposé et qui est en ligne le prévoit d’ores et déjà. C’est bien de le faire pour mémoire, mais c’est d’ores et déjà prévu. Nous ne souhaitons pas constitutionnaliser cette disposition car, d’un part, ce serait contraire à une forme de tradition républicaine et, d’autre part, je ne voudrais pas que les aspirants à l’alternance que j’entends sur tous les bancs se retrouvent, le moment venu, pieds et poings liés par des dispositions qu’ils pourraient regretter. ».

La Ministre de la Justice Nicole Belloubet a aussi répondu à ses contradicteurs : « Je répète que moins d’élus ne signifie pas moins de Parlement, mais au contraire, dans l’organisation que nous voulons mettre en place, un Parlement encore plus puissant et je vais vous expliquer pourquoi. ». À ce moment-là, le député Philippe Gosselin a lâché : « Arrêtez ! Il n’y a que vous qui y croyez ! ». Elle a poursuivi : « Moins d’élus, c’est un poids parlementaire affermi pour chacun des députés, qui représentera plus d’électeurs. ». Elle fut encore interrompue, cette fois-ci par la députée Valérie Boyer : « Madame, on souffre pour vous ! Vous n’en pensez pas un mot ! ». La ministre a repris avec mauvaise foi en prenant un mauvais argument puisqu’elle a mélangé sa réforme avec l’interdiction de cumul qui est déjà une réalité : « Moins d’élus, alors que vous ne pouvez plus cumuler les mandats, c’est également plus de temps consacré au débat en séance et en commission ainsi qu’à la circonscription, vous le savez. Moins d’élus, c’est également plus de moyens pour chaque parlementaire ».

Ce dernier argument montre que la réforme ne réduira en aucune manière le budget du Parlement, mais qu’elle remplacera des parlementaires élus par des technocrates, collaborateurs d’élus, qui ne seront ni élus ni légitimes à dialoguer avec les électeurs.

Nicole Belloubet a pris aussi la définition de la représentation nationale des députés : « Cela risque de vous fâcher, mais par honnêteté, tout en comprenant absolument la nécessité de préserver le lien entre un élu et les électeurs, je voudrais tout de même vous rappeler les termes de la Constitution, sur lesquels s’appuient cette jurisprudence du Conseil Constitutionnel : "Si [les] députés […] sont élus au suffrage universel, […] chacun d’eux représente au Parlement la nation toute entière et non la population de sa circonscription d’élection". ».

Ont suivi de vives réactions. Ainsi le député David Habib lui a lancé : « On voit que vous n’avez jamais été députée ! ». Elle lui a répliqué : « Non, je n’ai jamais été députée, mais, voyez-vous, monsieur Habib, l’histoire n’est pas définitivement écrite… ». Alors le député François Pupponi a traduit : « À la proportionnelle, vous avez vos chances ! ».

Ce à quoi a répondu le député Philippe Gosselin a répondu : « ’La tradition républicaine (…) consiste-t-elle à avoir des élus en lévitation, hors-sol, ignorants du quotidien de leurs concitoyens ? Oui, madame la garde des sceaux, nous représentons la nation, mais celle-ci n’est pas désincarnée : elle a besoin de députés qui vont sur le terrain à la rencontre de leurs concitoyens et des forces vives de la société, qui se tiennent aux côtés des bénévoles, de ceux qui travaillent chaque jour. Avec votre réforme, nous n’aurons plus cette proximité, ce lien avec les citoyens, alors que la distance entre les élus et les citoyens est déjà un vrai problème. C’est cette difficulté que nous voulons mettre en avant. Nombre d’entre nous, comme notre collègue Pierre Morel-À-L’Huissier, sont déjà contraints de passer des heures en voiture dans leur département. Si vous élargissez encore nos zones de chalandise, si j’ose dire, nos zones de travail et d’écoute, nous n’y arriverons pas. Il faut le dire. ».

Nicole Belloubet a aussi répondu à Guillaume Larrivé, cité plus haut : « Monsieur Larrivé, le Conseil d’État a dit, à propos de ce texte, que les dispositions du projet de loi relatives à la répartition ne faisaient pas obstacle au respect des exigences constitutionnelles, c’est-à-dire au principe d’égalité et à ses assouplissements lorsque ceux-ci s’avèrent nécessaires. ». Répondant plus tard à Christian Jacob et à Marc Le Fur, elle a répété la même réponse, plus précisément : « Le Conseil d’État, dans son avis du 17 mai 2018 sur les projets de loi ordinaire et organique, considère clairement que l’habilitation contenue dans l’article 6 du texte visé, laquelle prévoit le maintien d’un député et d’un sénateur par département, aboutit vraisemblablement à des décisions conformes à la Constitution. (…) Si le Conseil Constitutionnel n’est évidemment pas lié par les avis du Conseil d’État, il les examine toujours et, en général, en fait le plus grand cas. ». C’est bien sûr dans le "vraisemblablement" que tout va se jouer…

Les réponses au gouvernement

La députée Christine Pires Beaune ne fut pas satisfaite de la réponse du gouvernement : « J’avoue que les propos qui viennent d’être tenus ne sont pas de nature à nous rassurer car si rien ne s’oppose à ce que la disposition soit inscrite dans la Constitution, autant le faire ! Madame le garde des sceaux, je ne comprends pas votre argument selon lequel la diminution du nombre de parlementaires renforcerait le Parlement. Nous représentons certes la nation, mais la rencontre avec les citoyens nourrit notre travail d’élus. Je vais prendre un exemple car il est  très parlant : en 2015, j’ai tiré la sonnette d’alarme parce que la suppression de la demi-part des veuves allait avoir pour effet collatéral de faire entrer dans l’imposition locale des millions de Français et de Françaises. Cela, Bercy ne nous l’avait pas dit ; c’est parce que j’ai rencontré à ma permanence deux personnes qui sont tout de suite venues m’alerter que j’ai pu intervenir auprès du ministre pour corriger le tir. Demain, si nous sommes moins nombreux et que nous représentons deux fois plus de communes et d’habitants, nous ne pourrons plus faire ce travail sérieusement. Ce n’est pas un renforcement, mais un affaiblissement du Parlement qui se prépare ! Et quand vous dites que nous aurons plus de moyens, est-ce pour que nous ayons plus d’assistants parlementaires ? Mais ceux-ci ne sont pas élus par le peuple ! ».

Arnaud Viala en a remis une couche sur la représentation démocratique : « Ce qui fait nation en France, on vient de le constater avec l’événement heureux de la victoire de la coupe du monde, c’est ce qui fait que les citoyens se ressemblent tout comme ce qui fait qu’ils sont différents les uns des autres. L’identification territoriale, en particulier au niveau des départements, est avérée. Comment peut-on nier le besoin, pour les parlementaires, d’être des élus à la fois nationaux et présents sur le territoire ? Madame la garde des sceaux, à la question lancinante sur la meilleure représentation des Français avec moins d’élus, vous répondez que ceux-ci auront plus de moyens. Mais comment dire à nos concitoyens qu’en lieu et place du lien direct qu’ils ont avec leurs parlementaires, on va leur envoyer des assistants, aussi bien intentionnés et zélés soient-ils, pour les rencontrer et prendre en compte leurs aspirations ? C’est une ineptie si l’on souhaite une démocratie moderne et vivante. Donc, de grâce, écoutez-nous et entendez-nous avant de commettre une erreur que les Français vous reprocheront ! ».

Sébastien Jumel a cité un exemple du travail d’un député qui ne pourrait plus se faire efficacement après la réforme : « La loi sur l’accessibilité des bâtiments publics et des commerces aux personnes âgées est, en théorie, une bonne loi qui fait consensus. Dans la réalité, sur les territoires, les collectivités sont incapables de la mettre en œuvre faute de financement et les commerces doivent fermer lorsqu’ils sont contraints de l’appliquer. Lorsqu’il s’agit de contrôler la loi, cette expertise de proximité, cette connaissance du terrain est-elle ou non utile aux députés que nous sommes ? Vous n’avez aucun élément sérieux à nous opposer pour nous convaincre qu’avec moins de députés, ce travail serait mieux effectué. Enfin, au départ, votre majorité avait développé une sorte de petite musique populiste pour dire qu’il faudrait réduire le nombre de ces ronds-de-cuir de députés qui ne font pas grand-chose et qui coûtent cher. Mais aujourd’hui, vous dites que l’enveloppe budgétaire sera la même, qu’on remplacera les députés par des collaborateurs. Votre vision de la démocratie, c’est toujours plus de technostructures, toujours plus de technocratie. Un collègue a dit hier que demain, il y aurait plus de sous-préfets, de préfets et de directeurs d’administration centrale que de parlementaires. ». Et le député Philippe Gosselin a ajouté : « Alors qu’ils gagnent deux fois plus que nous ! ». Sébastien Jumel de terminer : « C’est une vision que nous ne partageons pas. J’attends de ce débat qui traîne en longueur des arguments sérieux que nous puissions exposer à nos concitoyens pour leur expliquer ce qui motive votre mauvaise réforme. Au fond, n’est-ce pas que vous souhaitez confisquer le pouvoir, éliminer l’opposition, gommer le pluralisme dans cette assemblée et priver les territoires de leur voix et de leur capacité à être représentés ? ».

Philippe Gosselin a insisté sur la jurisprudence du Conseil Constitutionnel : « Dans sa jurisprudence, le Conseil Constitutionnel a toujours exigé que des critères "essentiellement démographiques" président au découpage des circonscriptions. Quand il sera saisi de la loi ordinaire procédant au redécoupage de la carte électorale, il l’examinera à la lumière de cette jurisprudence. Si nous n’inscrivons pas aujourd’hui de critère territorial dans la Constitution, alors le Conseil Constitutionnel maintiendra sa jurisprudence et continuera d’exiger des critères "essentiellement démographiques". ».

Avec le sens de la formule, Bastien Lachaud, lui, a évoqué "1984" et la novlangue : « Dans un néoparler très pur, madame le garde des sceaux, vous nous expliquez à présent que moins de parlementaires, c’est plus de Parlement. Votre logique m’échappe : comment moins de députés pourront-ils faire plus, si ce n’est en donnant leurs pouvoirs à des assistants non élus ? Est-ce vraiment cela, votre conception de la démocratie ? (…) C’est aux parlementaires, élus par leurs concitoyens, qu’il revient, dans ce pays, de légiférer. (…) Il y a 70 000 habitants seulement en Lozère, et c’est une très bonne chose que ces citoyens aient leur député. Mais, en Seine-Saint-Denis, avec la réduction du nombre de parlementaires que vous souhaitez, il y aura plus de 200 000 habitants par député. La réduction du nombre de députés que vous souhaitez mettre en place aura donc pour conséquence d’instaurer une véritable inégalité entre les citoyens. Votre objectif est simple : éliminer l’opposition, concentrer les pouvoirs dans les mains de l’exécutif. Pour le dire en néoparler : "La République, c’est la monarchie !". ».

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Le député mosellan Fabien Di Filippo a démontré que l’augmentation des moyens ne serait pas suffisant pour compenser concrètement la réduction du nombre de députés : « Je suis élu dans une circonscription rurale de l’Est de la France, mais qui ne se situe pas dans un département rural. Sa superficie est égale à vingt-deux fois celle de la ville de Paris. Bientôt, quand la taille des circonscriptions aura doublé, elle sera peut-être trente-cinq ou quarante fois étendue comme la ville de Paris. Dans ces conditions, vous comprenez bien que l’exercice du mandat sera radicalement différent, en totale contradiction avec ce que vous avez essayé de démontrer à l’instant, madame la garde des sceaux. (…) Essayons d’en venir aux aspects concrets de cette réforme. Vous dites que les parlementaires auront davantage de moyens, puisque, contrairement à ce que pensent beaucoup de Français, la réduction du nombre de parlementaires n’entraînera aucune économie. Diviser l’enveloppe consacrée aux collaborateurs entre les députés qui resteront revient à la multiplier par 1,5 pour ces derniers. Moi qui emploie 2,5 collaborateurs, je pourrai en avoir 3,75. Mais, avec 3,75 collaborateurs, il ne sera pas possible de couvrir un territoire deux fois plus grand tout en assumant le travail parlementaire ! Votre réforme affaiblira donc le Parlement. Cette réforme affaiblira aussi la représentation des territoires, puisque les citoyens qui habitent loin des bourgs-centres auront plus difficilement accès à leur député. Le travail parlementaire sera aussi affaibli : non seulement il y aura moins de députés, mais encore ceux-ci devront passer plus de temps en circonscription. Enfin, cette réforme affaiblira le débat démocratique (…) : comment des groupes politiques réduits, qui ne compteront peut-être plus que dix députés, pourront-ils siéger dans différentes commissions et intervenir sur différents textes ? C’est une folie, ce que vous êtes en train de faire. Il faut dire la réalité de cette réforme ; c’est un affaiblissement du pouvoir législatif au profit de votre seul maître, Jupiter ! ».

Ugo Bernalicis a exprimé l’idée de faire de même avec les membres du gouvernement : « Si le raisonnement selon lequel moins de députés ferait des députés avec plus de pouvoirs et donc mécaniquement plus forts était aussi implacable, pourquoi ne pas l’expérimenter sur le gouvernement ? Réduisons le nombre de ministres encore davantage pour qu’ils soient plus efficaces ! De toute façon, ce type de raisonnement vaut à tous les niveaux : quatre ou cinq ministres seraient bien plus efficaces que des discussions interministérielles interminables. Mais c’est le raisonnement, somme toute assez classique, qu’on retrouve dans l’économie de marché : c’est la rareté qui fait la valeur ; si les députés étaient plus rares, ils en acquerraient davantage. Mais malheureusement, je crois que les députés ne sont pas des marchandises, ils ne sont pas à vendre. Ou alors, peut-être voulez-vous des assemblées de vendus à l’exécutif ? C’est peut-être votre projet. ».

Maina Sage, députée UDI de Polynésie française, a insisté sur les spécificités géographiques de certaines circonscriptions : « Au nom de mon groupe, je voudrais vous dire qu’il est difficile d’accepter l’idée que notre représentation n’est fondée que sur une équation démographique. Notre pays est unique : j’ai déposé des amendements un peu provocateurs pour vous rappeler que la France n’est pas que continentale, mais mondiale, archipélagique. Nous sommes présents sur tous les océans, que vous le voulez ou non. C’est donc, je crois, un non-sens que de vouloir réduire cette représentation. Songez que 67,2 millions d’habitants sont représentés par moins de 1 000 parlementaires, et l’on veut encore réduire le nombre de ces derniers. La force de nos territoires, la force de notre nation, c’est justement sa diversité ; c’est cela qui fait notre caractère unique, que l’on essaye à présent de lisser. (…) C’est pourquoi je suis opposée à la fois à la réduction du nombre de parlementaires et à l’introduction d’une dose de proportionnelle. (…) Pour terminer, je rappelle que le territoire de la Polynésie française est grand comme l’Europe. Je vous entends parler de la taille de vos circonscriptions en kilomètres : moi, j’en parle en heures d’avion ! Ma circonscription est grande comme un territoire qui regrouperait Paris, Oslo et Athènes : j’ai soixante îles à couvrir, et je ne les visiterai certainement pas toutes en un mandat, c’est impossible. Et vous nous parlez d’un seul député, d’un seul sénateur : là encore, le ratio est intenable. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement visant à reconnaître, dans la Constitution, le caractère géographique de ces circonscriptions. ».

Patrick Hetzel s’est lui aussi adressé à Nicole Belloubet sur la jurisprudence constitutionnelle : « Vous savez bien (…) que nous courons le risque d’une censure par le Conseil Constitutionnel de la loi ordinaire prévue pour habiliter le gouvernement à redécouper les circonscriptions. Éminente juriste comme vous l’êtes, j’en conclus que vous êtes en train de leurrer le Parlement ! Je trouve cela extrêmement grave. (…) Vous savez pertinemment qu’en utilisant l’argumentation qui est la vôtre, dormez tranquilles, lorsque viendra la censure du Conseil Constitutionnel, nous n’aurons plus que les yeux pour pleurer. (…) Si l’on ne sécurise pas le dispositif, vous êtes la première à savoir ce qu’il se passera. La seule manière de le sécuriser, c’est de l’inscrire dans la loi constitutionnelle. ».

Cécile Untermaier a elle aussi fustigé la réforme du gouvernement : « Défendre la représentativité en diminuant le nombre d’élus est une performance qui exige beaucoup de talent mais qui s’avère absolument impossible. (…) Nous sommes tous très inquiets de voir des territoires sans élus nationaux. À cet égard, c’est un principe de non-régression démocratique qui vous est ici proposé, et vous devriez vous en saisir. ».

Le patron des députés communistes André Chassaigne a souligné l’importance d’un contact réel avec les électeurs, qui n’a rien à voir avec l’utilisation d’Internet : « La dévalorisation des institutions parlementaires est un constat, et elle nourrit, dans le champ politique, une forme de rejet. Or, réduire le nombre de parlementaires, que ce soit des députés ou des sénateurs, n’aidera pas à régler le problème. J’en suis persuadé parce que, depuis ma première élection, en 2002, j’essaie de développer la participation représentative, autrement dit la démocratie participative, qui est une exigence actuelle et l’une de nos missions en tant que parlementaires. Mais c’est très compliqué parce que cela demande du temps, de la présence physique, cela demande de faire de la politique autrement dans ce partage du pouvoir avec les citoyens (…). Contrairement à ce qu’on dit, la démocratie électronique, si elle constitue un outil à utiliser, ne suffira pas à couvrir l’éloignement du parlementaire par rapport à son territoire et à la population. La présence de proximité est nécessaire. Je le dis avec une certaine passion parce que je suis persuadé que si l’on continue à s’éloigner, ce fossé entre les parlementaires et le peuple s’aggravera. ».

Je termine enfin sur deux interventions intéressantes de deux députés de l’opposition, Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI, et Claude Goasguen, député LR de Paris.


Jean-Christophe Lagarde

Je m’arrête en effet sur l’intervention de Jean-Christophe Lagarde qui a le mérite de reprendre les différents enjeux de ce point précis de représentativité de la réforme institutionnelle du gouvernement en les résumant clairement.

1. La représentation des territoires : « Madame la garde des sceaux, vous connaissez bien le Conseil Constitutionnel [elle en était même membre jusqu’en 2017] : il se saisit de chaque loi organique. Vous dites que vous ne voulez pas mettre la disposition dans la Constitution pour la placer dans la loi organique, comme prévu. Mais le Conseil Constitutionnel peut très bien décider demain que la représentation se fait sur une base essentiellement démographique, et donc écarter le critère géographique. Si nous souhaitons inscrire cette réserve dans la Constitution, c’est pour que ce ne soit pas au Conseil Constitutionnel mais à nous, parlementaires, représentants de la nation et du peuple, de décider ! ».

2. Contre la réduction du nombre de parlementaires : « Je veux combattre cette idée complètement fausse, pour ne pas dire farfelue, selon laquelle réduire le nombre de parlementaires, c’est renforcer le pouvoir du Parlement. Pardon, mais c’est un mensonge car moins il y a de parlementaires, plus il est facile pour l’exécutif de les contrôler ! À 404 parlementaires, il faut en maîtriser 203 ; à 577, il faut en maîtriser 289. C’est Guy Carcassonne, un de vos prédécesseurs dans la pensée constitutionnelle, qui l’a largement démontré. ».

3. L’égalité entre les députés : « Si nous souhaitons qu’il y ait un député et un sénateur par département, c’est aussi pour assurer l’égalité entre nous, parlementaires. En effet, dans les départements où, comme dans le mien, il y aura sept députés pour représenter 1,5 million d’habitants, l’accès du citoyen au député sera toujours facile car, s’il ne peut atteindre celui de sa circonscription, il pourra s’adresser à celui de la circonscription d’à côté. Mais là où le député sera amené à représenter un département et demi, voire deux départements, non seulement les citoyens auront moins accès à leur représentant, donc moins la capacité d’interpeller le gouvernement à travers nous, mais en plus, le député lui-même aura plus de difficulté à travailler. Je reprends l’exemple de Pierre-À-L’Huissier : parcourir des milliers de kilomètres chaque semaine, c’est être moins présent à l’Assemblée, avoir moins de temps pour préparer les débats et donc moins peser dans le processus législatif. Avec cette mesure, un citoyen aura donc moins la capacité d’interpeller le gouvernement, et moins de chances que son député puisse changer la loi. ».


Claude Goasguen

Je finis par l’intervention de Claude Goasguen car, contrairement à ses collègues LR, bien qu’opposé lui aussi à la réforme, il n’est pas partisan d’inscrire le principe d’au moins un député et un sénateur par département dans la Constitution : « Mon intervention ira à contre-courant de la position de mon groupe car je ne pense pas que ce critère puisse être inscrit dans la Constitution. Tout d’abord, cela ferait du département une institution constitutionnelle, ce qu’il n’est pas. Non, le département ne figure pas dans la Constitution. ».

Pourtant, Claude Goasguen s’est trompé sur ce point, alors qu’il est un universitaire du droit. En effet, l’article 72 de la Constitution est très clair à ce sujet : « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statuts particuliers et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74. ». Par conséquent, le département a bien une existence constitutionnelle et la suppression des départements nécessiterait par exemple une révision constitutionnelle de cet article 72.

Claude Goasguen a poursuivi : « Nous n’avons aucun intérêt à le solidifier. Pourquoi cela ? Les départements sont une vieille institution, qui date de 1789. On parle beaucoup de disparition d’un certain nombre de départements au profit des métropoles, ce qui serait une bonne solution. Cela étant, je vous souhaite beaucoup de plaisir, madame la garde des sceaux, avec la loi organique. Vous vous heurterez en effet au principe d’égalité. ».

Et d’expliquer : « Le gouvernement se heurtera au principe d’égalité, auquel le Conseil Constitutionnel ne dérogera pas. Garantir un député et un sénateur minimum par département, c’est très intéressant mais, compte tenu de la diminution du nombre de députés, vous devrez en quelque sorte réaliser une péréquation : les députés des circonscriptions départementales peu peuplées représenteront moins de citoyens que la moyenne, et le surplus sera réparti sur les circonscriptions des autres départements. C’est donc un facteur de profondes inégalités démographiques. Comment justifierez-vous, devant le Conseil Constitutionnel, que, pour garantir un député à un département de 70 000 habitants, les députés de grandes villes représenteront un nombre de citoyens très supérieur à la moyenne ? Vous n’y arriverez pas ! Les membres du Conseil Constitutionnel s’arracheront les cheveux pour trouver une raison valable de déroger au principe démographique, qui est intouchable. ».

Cette inégalité ne sera d’ailleurs pas que démographique : « Certains députés seront élus à la proportionnelle, d’autres, pour les Français de l’étranger, seront élus à la proportionnelle, mais sur un autre critère ; certains représenteront des départements qui sont bien en dessous du niveau démographique moyen, d’autres représenteront des circonscriptions bien plus peuplées, en raison de cette sorte de péréquation que j’ai dénoncée. Vous aurez du mal à démontrer que c’est conforme au principe d’égalité. ».

La seule issue valable : « Il est donc de votre intérêt de renoncer à cette réforme ridicule, qui ne tient pas debout. Si vous voulez éviter les ennuis, le plus sage serait de renoncer à la modification du mode de scrutin pour les élections législatives, et plus particulièrement, à l’introduction d’une dose de proportionnelle. Je ne parle même pas du Sénat, car on atteint là le ridicule absolu. Je vous rappelle en effet que les sénateurs feront eux aussi l’objet d’une péréquation. Le nombre de parlementaires sera réduit plus que proportionnellement dans les grandes villes. C’est une réforme absurde, qui ne correspond pas à notre régime. Maintenez donc le mode de scrutin actuel : c’est la meilleure des solutions. ».


Épilogue

Les amendements visant à introduire dans la Constitution l’obligation qu’il y ait au moins un député et un sénateur par département ont été rejetés en scrutin public. En particulier l’amendement n°1843 visant à compléter l’article 24 de la Constitution par l’alinéa suivant : « Chaque département, chaque collectivité à statut particulier, chaque collectivité d’outre-mer régie par les articles 73,84 et le titre XIII compte au moins un député et un sénateur. ». Cet amendement a recueilli seulement 89 votes favorables contre 128, sur 217 exprimés et 222 votants.

Ce refus de constitutionnalisation de ce principe laisse la possibilité d’une mise en place d’un scrutin proportionnel intégral à l’échelon national, ce qui serait une grave erreur…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 juillet 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Réforme Macron des institutions (5) : l’impossible principe de proportionnalité démographique de la représentation démocratique.
Exemplaire et inaltérable, la République ?
Réforme Macron des institutions (4) : la totalité du projet gouvernemental.
Réforme Macron des institutions (3) : réduire le Parlement ?
Réforme Macron des institutions (2) : le projet de loi constitutionnelle.
Réforme Macron des institutions (1) : les grandes lignes.
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Non à la suppression des professions de foi !
Protégeons la Ve République !

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180718-reforme-institutions-ae.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/reforme-macron-des-institutions-5-206330

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/07/24/36582474.html



 

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9 juillet 2018 1 09 /07 /juillet /2018 17:06

« Humble mais résolu (…), et je vais vous faire une confidence. Il y a une chose que tout Président de la République sait : il sait qu’il ne peut pas tout, qu’il ne réussira pas tout. Je vous le confirme, je sais que je ne peux pas tout, je sais que je ne réussis pas tout, mais mon devoir est de ne jamais m’y résoudre, et de mener inlassablement ce combat. Tout Président de la République connaît le doute, bien sûr, et je ne fais pas exception à la règle. Mais j’ai le devoir de ne pas laisser le doute détourner ma pensée et ma volonté. C’est une fonction qui, si l’on est réaliste, porte à l’humilité, ô combien ! mais à l’humilité pour soi, pas à l’humilité pour la France. Pour la France et pour sa mission, le Président de la République a le devoir de viser haut, et je n’ai pas l’intention de manquer à ce devoir. » (Emmanuel Macron, le 9 juillet 2018 à Versailles). Première partie.


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Par décret du Président de la République du 18 juin 2018 réunissant le Congrès par application du deuxième aliéna de l’article 18 de la Constitution, l’ensemble des députés et des sénateurs ont été convoqués à Versailles sous la Présidence du Président de l’Assemblée Nationale François de Rugy ce lundi 9 juillet 2018 à 15 heures. L’objet ? Écouter le Président Emmanuel Macron prononcer son (désormais traditionnel) discours annuel aux parlementaires, en présence du gouvernement (texte intégral ici).

Pensait-il que ce congrès aurait lieu la veille d’un match de football important pour la France ? Il y a donc peu de chance que les "gens" retiennent ce discours au-delà d’une journée…

Cependant, je reviendrai présenter les grandes lignes de fond de ce discours, mais je préfère m’attarder d’abord sur la forme qui pourrait profondément modifier l’équilibre institutionnel de la Cinquième République.

Certains députés LR et les députés FI ont refusé de participer à cette séance spéciale. Pour les deux, il y a un côté très cocasse que je vais expliquer ici.

Ce discours d’Emmanuel Macron, deuxième depuis le début de son quinquennat, le précédent a eu lieu le 3 juillet 2017, a duré près d’une heure trente et a été l’occasion pour le chef de l’État de faire un bilan de la première année de son quinquennat et d’exposer les perspectives d’action pour les années à venir.

C’est le mode de communication qu’Emmanuel Macron a adopté pour s’adresser aux Français. Au lieu de l’interview traditionnelle à l’occasion du 14 juillet, Emmanuel Macron préfère s’adresser aux institutionnels et surtout, éviter les questions des journalistes dont le niveau lui a toujours paru en deçà des enjeux de sa politique nationale. Après tout, cette idée de s’adresser aux parlementaires plutôt qu’à des journalistes de la télévision pourrait être un moyen de respecter la représentation nationale. Oui mais non. Enfin, pas tout à fait. Je m’explique.

La possibilité donnée au Président de la République de pouvoir s’adresser aux parlementaires a été acquise très récemment, par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 voulue par le Président Nicolas Sarkozy.

Pourquoi si récemment ? Parce qu’en 1873, les députés en avaient décidé ainsi. À l’époque, il n’y avait pas de Constitution. La République avait été proclamée le 4 septembre 1870 après l’effondrement du Second Empire, mais la majorité sortie des urnes en 1871 était largement monarchiste. Paradoxe. Les députés de la République étaient pour la restauration d’un royaume ! La dispute dynastique entre le petit-fils de Charles X (légitimiste) et le petit-fils de Louis-Philippe (orléaniste) et la polémique sur le drapeau ont finalement laissé la République progressivement s’installer dans les mentalités politiques et au fil des élections, partielles ou générales, la majorité s’est petit à petit déportée vers les républicains.

Ancien monarchiste favorable à une république conservatrice, Adolphe Thiers, devenu à la fois chef du gouvernement et chef de l’État, sous le titre de chef du pouvoir exécutif de la République française du 17 février 1871 au 31 août 1871, puis de Président de la République française du 31 août 1871 au 24 mai 1873, qui a assuré un traité de paix avec l’Allemagne le moins humiliant possible, a été un homme fort, pour ne pas dire "autoritaire". Il avait une forte influence sur les députés.

Mieux, présentant ses vues, Thiers était capable, par son talent oratoire, de retourner les opinions des parlementaires. Or, les députés voulaient préserver leur propre libre-arbitre et se satisfaisaient mal d’un chef de l’exécutif trop autoritaire. Encore majoritairement monarchistes, les députés ont alors renvoyé Thiers à ses études et choisi l’ectoplasme élégant, le maréchal Patrice de Mac-Mahon, brave militaire monarchiste qui n’avait aucun sens politique et qui a accepté d’occuper le poste en attendant un impossible accord entre légitimistes et orléanistes. On a alors fixé la duré de son mandat à sept ans, le temps, selon les députés, que la nature pourrait demander pour résoudre le problème dynastique (la mort du petit-fils de Charles X, sans descendance, supprimait purement et simplement le problème !).

Pour éviter d’être trop pressés par l’exécutif, les députés ont séparé les fonctions de chef de l’État (Président de la République) des fonctions de chef du gouvernement (Vice-Président du Conseil). Vice-Président du Conseil car c’était le Président de la République qui présidait, en principe, le conseil des ministres. Au fil du temps, c’est devenu Président du Conseil. Le Président du Conseil pouvait être renversé par les députés par une motion de censure, tandis que les députés avaient désormais interdit au Président de la République de venir s’exprimer devant les parlementaires pour éviter la "mauvaise" expérience de Thiers.

Résultat, pendant trois Républiques, la Troisième, la Quatrième et la Cinquième République, la Constitution a interdit au Président de la République de venir parler aux députés ou aux sénateurs. La seule possibilité pour s’adresser à eux était au moyen de messages écrits, lus simultanément par le Président de l’Assemblée Nationale et par le Président du Sénat respectivement aux députés et aux sénateurs. Et cette lecture ne donnait lieu à aucun débat. François Mitterrand a usé souvent de cette faculté.

C’était donc sur ces antécédents que Nicolas Sarkozy, en 2008, voulait réviser cette disposition "vieillotte" de la Constitution en lui permettant de s’adresser directement aux parlementaires. La vie moderne, surtout médiatique, rendait l’usage des messages écrits un tantinet anachronique. Évidemment, fidèle admirateur des institutions américaines, Nicolas Sarkozy avait en tête le fameux discours de l’état de l’Union que le Président des États-Unis prononce chaque année (aujourd’hui, le Président de la Commission Européenne est également soumis à cet exercice devant des députés européens à Strasbourg en septembre).

Malgré une majorité des trois cinquièmes favorable à sa politique, Nicolas Sarkozy a vu cependant son projet à la baisse. Les parlementaires ont en effet réduit les possibilités d’expression présidentielle auprès des parlementaires à un seul discours par an, uniquement dans le cadre très solennel d’un congrès réuni à Versailles. Ils ont ensuite interdit la présence du Président de la République après son discours, laissant les parlementaires intervenir et réagir hors de sa présence.

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Avant Emmanuel Macron, ses deux prédécesseurs ont utilisé cette possibilité seulement une fois, pour une occasion rare. Nicolas Sarkozy pour présenter son emprunt pour les projets d’avenir, le 22 juin 2009, et François Hollande le 16 novembre 2015, en réaction aux attentats du 13 novembre 2015. Emmanuel Macron veut en contraire en faire un instrument de communication présidentielle. Pas quelque chose d’exceptionnel mais au contraire, un discours annuel à la nation, donc, conforme aux vues premières de Nicolas Sarkozy.

Alors, il y a un côté cocasse dans le boycott de ce discours. Aux députés LR qui ont refusé leur participation, il faut rappeler que cette procédure a été explicitement prévue par la Constitution grâce à l’initiative du propre fondateur de leur parti politique. Mémoire trop courte ?

Aux députés FI, il faut aussi leur rappeler la mémoire. Jean-Luc Mélenchon, qui était encore sénateur socialiste en 2008, fut de ceux qui ont justement empêché le débat en présence du Président de la République. De plus, les députés FI évoquent sans arrêt "Versailles" qu’ils mettent en opposition avec la République, rappelant l’historie de la Commune de Paris et des troupes versaillaises.

C’est dommage que ces députés FI connaissent visiblement très mal l’histoire de la République française car ce congrès des parlementaires réunis à Versailles constitue une réelle tradition républicaine française : sous la Troisième République et la Quatrième République, les parlementaires élisaient systématiquement le Président de la République à Versailles. Et même sous la Cinquième République, les révisions constitutionnelles, pour la plupart (hors référendum), ont été adoptées à Versailles. Bref, les actes les plus républicains ont été réalisés à Versailles. Cette ville ne peut donc pas être l’opposé de l’esprit républicain. Au contraire.

Or, la seule mesure concrète et précise que le Président Emmanuel Macron a annoncée lors de son discours du 9 juillet 2018 à Versailles, c’est justement le défi lancé par les députés FI. Vous voulez un débat en ma présence ? Banco ! Je suis pour ! Il a donc annoncé qu’il proposerait de rajouter dans la révision constitutionnelle, dont la discussion commence ce mardi 10 juillet 2018 à 16 heures à l’Assemblée Nationale, un amendement permettant au Président de la République de rester lors des interventions des parlementaires et de leur répondre. Pourtant, le gouvernement avait rejeté en commission un amendement du groupe socialiste qui allait dans le même sens.

La première réaction du député Jean-Luc Mélenchon, pourtant absent du congrès mais n’hésitant pas à tweeter des dizaines de fois au cours du discours qu’il a dû suivre en direct à la télévision (dans ce cas, autant le suivre sur place !), ce fut de dire qu’il avait gagné une bataille, celui de permettre la confrontation entre parlementaires et Président de la République. Il y était pourtant très défavorable en 2008.

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Or, cette possibilité accentuerait de facto l’hyperprésidentialisation de la Cinquième République. Le dialogue entre l’exécutif et le législatif était jusqu’à maintenant de la responsabilité du Premier Ministre. En permettant un débat (sans conséquence : il n’est pas question ici que les parlementaires censurent le Président de la République), la disposition réduirait l’autorité du Premier Ministre et présidentialiserait encore plus le régime. C’est donc étrange que Jean-Luc Mélenchon, qui ne cesse de contester cette présidentialisation depuis trois quinquennat, puisse applaudir l’une des dispositions qui va hyperprésidentialiser encore plus, par la pratique, la République.

Il avait oublié qu’Emmanuel Macron n’est jamais aussi bon que dans la réactivité face à l’adversité. C’est pourquoi il avait voulu être confronté aux journalistes excessifs Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin sur BFM-TV le 15 avril 2018, parce qu’il n’est jamais aussi bon qu’en répondant aux attaques dont il est la cible. Par conséquent, il ne pouvait être que favorable, au contraire, à rester au congrès écouter ses contradicteurs et à leur répondre le cas échéant. Le risque est donc que le Président de la République perde sa hauteur de vue pour être ramené à un simple interlocuteur de députés de base un peu agités.

Lors du long débat de la révision de 2008, j’avais émis ma réticence le 29 avril 2008 à propos de cette mesure (§3.5) qui pouvait entrouvrir la boîte de Pandore, à savoir, dénaturer la Cinquième République, à l’équilibre savamment étudié entre parlementarisme et présidentialisme, en la transformant à l’Américaine, ce qui ne correspondrait pas du tout à l’esprit français.

Aux parlementaires de toute obédience de bien comprendre ce qu’un tel amendement signifierait pour l’avenir institutionnel du pays. Je ne doute pas de leur sagesse et de leurs réactions plus raisonnables qu’une simple pirouette dans une insipide polémique entre l’Élysée et la France insoumise…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 juillet 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Discours du Président Emmanuel Macron le 9 juillet 2018 au congrès de Versailles (texte intégral).
Vous avez dit hyperprésidentialisation ?
Le Président qui assume.
Emmanuel Macron au Congrès de Versailles le 3 juillet 2017.
François Hollande au Congrès de Versailles le 16 novembre 2015.
Nicolas Sarkozy au Congrès de Versailles le 22 juin 2009.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Réforme Macron des institutions (4) : la totalité du projet gouvernemental.
Réforme Macron des institutions (3) : réduire le Parlement ?
Réforme Macron des institutions (2) : le projet de loi constitutionnelle.
Réforme Macron des institutions (1) : les grandes lignes.
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Non à la suppression des professions de foi !
Protégeons la Ve République !

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180709-macron-congres.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/emmanuel-macron-au-congres-2018-1-205887

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/07/10/36549832.html




 

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26 mai 2018 6 26 /05 /mai /2018 03:07

« Nous connaissons tous l’affection de Gérard Collomb pour sa ville et la métropole lyonnaise. C’est une bonne nouvelle qu’il souhaite y consacrer du temps et de l’énergie. Le Président réorganisera l’équipe gouvernementale lorsqu’il le jugera nécessaire. » (L’Élysée à LCI, le 18 septembre 2018).



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La dernière phrase du communiqué de l’Élysée exprime assez explicitement l’agacement présidentiel. Mais quelle mouche a donc piqué le Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur ? Dans un entretien à l’hebdomadaire "L’Express", Gérard Collomb a annoncé le 18 septembre 2018 qu’il serait candidat aux élections municipales à Lyon en mars 2020, et qu’il comptait démissionner de son poste de la Place Beauvau en juin 2019, après les élections européennes.

Certes, ce n’est pas nouveau, une démission de ministre pour conquérir une mairie : sous le gouvernement de Lionel Jospin, la très importante Ministre des Affaires sociales Martine Aubry l’avait fait pour prendre la succession de Pierre Mauroy à la mairie de Lille, et, également ministre, l’écologiste Dominique Voynet l’avait fait aussi pour Dole. Mais ici, plusieurs interrogations. Depuis plusieurs mois, Gérard Collomb semblait ne plus être à la hauteur pour son "job" de numéro deux du gouvernement chargé de la lutte contre le terrorisme. Fatigue, absence, l’esprit ailleurs… assurément, son esprit est à Lyon et pas à Paris.

L’affaire Benalla n’a pas renforcé sa crédibilité politique ni son autorité de Ministre de l’Intérieur, faisant celui qui ne savait rien, faisant celui qui ne prévenait personne. D’ailleurs, la version du Ministre de l’Intérieur pouvait ne pas plaire à l’Élysée, dans la mesure où il renvoyait la balle rue du Faubourg Saint-Honoré, une rue à traverser, selon maintenant l’adage présidentiel.

Mais ce qui surprend, c’est sa grande maladresse politique. Depuis quand un ministre dit-il publiquement quand il quitterait son ministère ? En disant qu’il comptait le quitter en juin 2019, il s’est pris pour le Président de la République en s’assurant qu’il resterait à ce poste au moins jusqu’à cette date, et que c’était juste par sa volonté qu’il ne resterait pas plus longtemps. Pour l’un des derniers poids lourds du gouvernement, c’est une démarche qui doit fait sursauter le Président (le vrai Président) Emmanuel Macron. Il y a fort à parier que sa survie au Ministère de l’Intérieur n’est plus qu’une question de semaines sinon de jours… d’autant plus que l’opposition, c’est de bonne guerre, ne cesse de lui envoyer des scuds en réclamant sa démission immédiate afin d’avoir un Ministre de l’Intérieur à plein temps. Surtout après avoir pollué l'annonce de la réforme de la santé le jour même.

Ce n’était pas la première fois que Gérard Collomb se prenait pour le Président de la République. Interrogé en mai 2018 pour l’un des multiples documentaires politiques qui marquaient la première année de l’élection d’Emmanuel Macron, Gérard Collomb a confié qu’entre les deux tours de l’élection présidentielle, il avait participé à un "dîner de pas-c@ns", si je puis dire ainsi. Les convives étaient des fidèles d’Emmanuel Macron réunis autour du futur Président, en particulier Gérard Collomb, et ils avaient invité à venir dîner Édouard Philippe, encore à LR. Gérard Collomb a alors expliqué avec un petit sourire sournois que les convives avaient été convaincus et que cela avait été l’entretien de recrutement du futur Premier Ministre. Ainsi expliqué, alors que lui-même était encore ministre et Édouard Philippe encore Premier Ministre, comment imaginer qu’Édouard Philippe puisse avoir encore de l’autorité sur son Ministre de l’Intérieur ?

Il est vrai que, depuis le début de l’été 2018, Emmanuel Macron n’est plus beaucoup le "maître des horloges" et il s’est pris à l'étranger, sans être prévenu, la démission brutale de Nicolas Hulot. De son côté, Daniel Cohn-Bendit a même expliqué publiquement qu’il avait refusé un ministère qu’on ne lui avait pourtant pas proposé ! Notons aussi que la démission de François Bayrou dès juin 2017 avait déjà réduit la lisibilité politique de son gouvernement et que d’autres "politiques" du gouvernement s’apprêteraient à imiter Gérard Collomb, c’est-à-dire à quitter le navire gouvernemental pour aller à la bataille municipale, en particulier Benjamin Griveaux et probablement Gérald Darmanin. Sans compter qu'Emmanuel Macron doit recadrer sans cesse ses troupes (par exemple, Christophe Castaner qui voulait augmenter encore les droits de succession le 14 septembre 2018).

Place Beauvau, avec le titre de Ministre d’État, c’est pourtant le couronnement de la très longue carrière politique lyonnaise de Gérard Collomb, souvent appelé dans la région le "loser" et qui n’a jamais dû ses premières élections qu’à des circonstances exceptionnelles. C’était aussi son premier portefeuille ministériel. Il aurait voulu être ministre sous Lionel Jospin ou sous François Hollande, mais sans succès dans un monde de moins en moins cumulard (il ne voulait pas lâcher Lyon).

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Reprenons sa carrière politique, justement. Agrégé de lettres classiques, ce qui n’est pas sans penser à l’historien de culture classique Édouard Herriot, Gérard Collomb milita à la Convention des institutions républicaines (CIR) dès 1968, microparti de François Mitterrand qui lui a permis de rejoindre et de conquérir le Parti socialiste en 1971. Gérard Collomb se retrouva donc socialiste et l’une de ses principales antennes lyonnaises. Dès mars 1977, il fut élu conseiller municipal de Lyon, dans l’opposition, et c’est un mandat qu’il occupe encore aujourd’hui, bien que ministre (quarante et un ans de longévité pour le moment !).

Grâce à la vague rose de juin 1981, Gérard Collomb est élu député de Lyon à l’âge de 34 ans, battant un député sortant UDF. Il fut réélu sans trop de souci en mars 1986, grâce au scrutin proportionnel, sur la liste socialiste conduite par Charles Hernu (ancien Ministre de la Défense et ami très proche de François Mitterrand, par ailleurs maire de Villeurbanne). En revanche, il fut battu face à Bernadette Isaac-Sibille (UDF), une très proche de Raymond Barre, en juin 1988, et de nouveau battu en juin 1997 par la même adversaire (pour la petite histoire, le fils de cette dernière, Cyrille Isaac-Sibille, engagé dans la vie politique lyonnaise depuis le milieu des années 1990, a été élu député MoDem avec l’investiture LREM en juin 2017, devenu par conséquent l’allié et même le soutien parlementaire de l’ancien adversaire de sa mère).

Pour compenser la perte de son mandat parlementaire, Gérard Collomb a été nommé membre du Conseil Économique et Social entre 1994 et 1999. Il s’est fait aussi élire conseiller régional de Rhône-Alpes de mars 1992 à novembre 1999. En revanche, il a progressé aux élections municipales successives à Lyon (tête de liste du PS), jusqu’à gagner trois mairies d’arrondissement en juin 1995, dont "sa" mairie du 9e arrondissement, ce qui lui a permis de siéger à la Communauté urbaine du Grand Lyon (présidée par Raymond Barre, maire de Lyon entre 1995 et 2001).

C’est à cause de la profonde division à droite (entre Charles Millon et Jean-Michel Dubernard) que ce socialiste plus proche de la sociale-démocratie conservatrice (au point de refuser de célébrer les mariages homosexuels) que du bolchevisme agité, a réussi à convaincre une majorité relative des électeurs lyonnais en mars 2001. Gérard Collomb fut ainsi (enfin) maire de Lyon à partir du 25 mars 2001 et jusqu’au 17 juillet 2017, pour ne pas cumuler avec ses fonctions ministérielles.

Entre temps, il était parvenu à devenir sénateur du Rhône le 2 novembre 1999, grâce à la démission de Franck Sérusclat (il était le suivant de liste). Il fut réélu le 26 septembre 2004 et le 28 septembre 2014 et quitta le Palais du Luxembourg également pour ses fonctions de ministre. Sénateur-maire de Lyon, également président de la métropole de Lyon (qui a maintenant des attributions de conseil départemental), Gérard Collomb s’était fortement opposé aux lois limitant le cumul des mandats sous François Hollande, alors qu’il a été l’un des sénateurs les plus inexistants du Sénat (au point de voir son indemnité parlementaire réduite).

Politiquement, au sein du PS, Gérard Collomb a soutenu à fond la candidature de Ségolène Royal à l’élection présidentielle de 2007, puis, après une vaine tentative d’être lui-même candidat à la candidature en mars 2011, après un soutien à Dominique Strauss-Kahn puis François Hollande, il a été, dès juillet 2016, l’un des premiers parlementaires (socialistes), avec Richard Ferrand, à avoir soutenu la candidature d’Emmanuel Macron. Son soutien a été crucial pour Emmanuel Macron puisqu’il a permis d’utiliser ses réseaux politiques pour faire progresser la candidature du fondateur d’En Marche. C’est aussi grâce à la médiation de Gérard Collomb qu’Emmanuel Macron a pu recevoir le soutien crucial de François Bayrou en février 2017. Lors de l’investiture d’Emmanuel Macron à l’Élysée, Gérard Collomb fut aux premières loges, bénéficiant, très ému, d’une accolade très chaleureuse du nouveau Président.

Depuis le 17 mai 2017, il est désormais le Ministre de l’Intérieur, une responsabilité cruciale dans cette période troublée par les attentats. Voulant montrer de la fermeté pour les questions d’immigration, l’ancien socialiste Gérard Collomb fut même épinglé par l’ancien secrétaire général du RPR Jacques Toubon, devenu entre temps Défenseur des droits. Tout reste à front renversé. Mais c’est normal, car sa ligne de conduite, c’est de plaire à ses électeurs lyonnais, plutôt conservateurs.

À 71 ans, le voici prêt à se désinvestir de ses responsabilités nationales pour vouloir reprendre son mandat de maire en mars 2020, comme s’il était le seul capable de l’assumer. Comme un bon représentant de "l'ancien monde". Son macronisme précoce avait pourtant des visées lyonnaises : en été 2016, il ne croyait pas vraiment au succès électoral d’Emmanuel Macron, mais en revanche, il comptait sur lui pour en faire son dauphin à la mairie de Lyon. Comme quoi, l’histoire n’est jamais écrite…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Gérard Collomb.
Emmanuel Macron.
Édouard Philippe.
Richard Ferrand.
L’affaire Benalla.
Le premier gouvernement d’Édouard Philippe.
Le deuxième gouvernement d’Édouard Philippe.
La réforme des institutions, côté Place Beauvau.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180523-gerard-collomb.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/09/19/36717243.html



 

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24 mai 2018 4 24 /05 /mai /2018 03:08

« Ne touchons que d’une main tremblante à des institutions qui sont le socle de la République ! » (Pierre Mazeaud, alors Président du Conseil Constitutionnel, le 3 janvier 2006).



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Comme prévu, après l’adoption au conseil des ministres du 9 mai 2018 du projet de loi constitutionnelle sur la réforme des institutions, le conseil des ministres du 23 mai 2018 a adopté le second volet, à savoir les deux autres projets de loi complétant cette réforme, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire. Les parlementaires et les citoyens ont donc maintenant la connaissance précise de la totalité du projet gouvernemental de réforme des institutions.

Alors que le 9 mai 2018, ce furent le Premier Ministre Édouard Philippe et la Ministre de la Justice Nicole Belloubet qui ont présenté le projet de loi constitutionnelle, le 23 mai 2018, ce fut le Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur Gérard Collomb qui a présenté les deux autres projets de loi.

Il y a un petit côté surréaliste à ce que ce fût lui, précisément, qui les présenta, ces projets d’anti-professionnalisation politique, car il fut l’un de ces derniers dinosaures qui ont fait de la politique une profession.


Gérard Collomb

À bientôt 71 ans (dans moins d’un mois), Gérard Collomb a en effet multiplié cumuls et mandats électifs au cours de sa très longue carrière politique qui a débuté en 1968 (il avait alors 21 ans) lorsqu’il a adhéré à la Convention des institutions républicaines (CIR), un club politique dirigé par François Mitterrand avant que ce dernier ne conquît le Parti socialiste trois ans plus tard : conseiller municipal de Lyon à partir de mars 1977, jeune député du Rhône (il avait alors 34 ans) avec la vague rose de juin 1981 à juin 1988, secrétaire national du PS en 1986, conseiller régional de Rhône-Alpes de mars 1992 à novembre 1999, membre du Conseil économique et social de 1994 à 1999, maire du 9e arrondissement du Lyon de juin 1995 à mars 2001, sénateur de novembre 1999 à juin 2017, et enfin, grâce à la division de la droite, son bâton de maréchal, maire de Lyon du 25 mars 2001 au 17 juillet 2017, ainsi que président du Grand Lyon puis de la Métropole de Lyon du 20 avril 2001 au 10 juillet 2017. Il fut également président de l’Association des communautés urbaines de France de 2006 à 2007, président du réseau Eurocities regroupant les cent trente plus grandes villes d’Europe, de 2006 à 2008 et membre de très nombreux autres organismes annexes.

Enfin, alors qu’il n’avait fait partie d’aucun gouvernement jusque-là, il est Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur depuis le 17 mai 2017, l’indispensable "dent dure" du Président Emmanuel Macron. Il est en quelques sortes, pour le Président actuel, ce que Gaston Defferre fut pour François Mitterrand.

Parce qu’il a échoué à sa réélection aux élections législatives de juin 1988 et de mars 1993, il a pu trouver un poste confortable au Conseil économique et social, en attendant mieux (qu’une place se dégageât au Sénat). Lorsque le gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault a voulu limiter le cumul des mandats, Gérard Collomb y était opposé et on le comprend car selon "Libération" du 21 janvier 2014, il était, avec neuf mandats et fonctions, l’élu parmi les plus cumulards de France (le sixième plus cumulard de France !). Il a même refusé de voter cette loi au Sénat (en tant que sénateur-maire de Lyon). En 2016, sa trop grande absence au Sénat fut d’ailleurs sanctionnée par une réduction drastique de ses indemnités parlementaires. Cela fait quarante et un ans qu’il est (toujours) conseiller municipal de Lyon.

Ce 23 mai 2018, voici donc ce multi-récidiviste du cumul qui voudrait faire la leçon aux autres parlementaires !


Les trois promesses présidentielles

Parmi les principales mesures, je laisse de côté la réduction à 30% du nombre des parlementaires, déjà évoquée dans mon précédent article. J’indique seulement que le nombre de parlementaires proposé est de 404 pour l’Assemblée Nationale (au lieu de 577) et de 244 pour le Sénat (au lieu de 348). Je trouve particulièrement stupide de proposer un nombre pair. Dans une assemblée devant délibérer et prendre des décisions, il vaut mieux avoir un nombre impair pour pouvoir mieux départager et dégager une majorité absolue. J’espère donc que le nombre sera modifié au moins d’une unité.

Je laisse aussi de côté l’introduction de 15% élu au scrutin proportionnel, car j’ai déjà évoqué le danger de la proportionnelle (comme si les pays voisins n’avaient pas démontré la nocivité de l’ingouvernabilité du scrutin proportionnel, en particulier en Allemagne et en Italie, qui oblige à la constitution de majorités improbables qui n’ont jamais été voulues par le peuple). En fait, ce n’est pas 15% dont il s’agit, mais plus. Aux 61 sièges pourvus à la proportionnelle nationale (c’est-à-dire, totalement dépourvus de base territoriale et donc, hors-sol, seulement provenant des appareils des partis politiques, le pire de l’ancien monde), il faut en effet rajouter la dizaine de sièges des Français de l’étranger, ce qui veut dire que la dose est plutôt de 17% et pas 15%.

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La troisième mesure phare, déjà annoncée (comme les deux précédentes) le 4 avril 2018 et précisée ce 23 mai 2018, concerne l’interdiction du cumul dans le temps : pas plus de trois mêmes mandats successifs pour les députés, les sénateurs, les députés européens, les chefs d’un exécutif local (maires, présidents de conseil départemental, régional, d’intercommunalité) à l’exception des maires des communes de moins de 9 000 habitants et des structures correspondant à des territoires de moins de 25 000 habitants. Et l’application de cette mesure ne pouvant pas être rétroactive (pour éviter qu’elle soit invalidée par le Conseil Constitutionnel), cela s’appliquera seulement en comptant le mandat en cours comme premier mandat, ce qui signifie que pour les députés, cela ne s’appliquera pas avant juin 2032 !

L’argumentation pour limiter les mandats dans le temps est recevable : ne pas professionnaliser la vie politique (ce qui est peu intéressant ici : seuls les fonctionnaires, les professions libérales et les retraités peuvent faire de la politique, un salarié du privé ne peut se permettre de quitter son entreprise pour une vie politique qui ne pourrait jamais durer très longtemps financièrement) et renforcer le rajeunissement et la féminisation de la vie politique (on a vu qu’il n’y avait pas besoin de loi, la composition de l’Assemblée Nationale élue en juin 2017 montre que c’est la volonté politique des partis qui est déterminante).

Je reviendrai très spécifiquement sur cette mesure (au même titre que j’avais analysé précisément les deux précédentes mesures) mais je veux noter dès à présent plusieurs réflexions à ce sujet.

Cette mesure est une mesure d’affichage qui n’aura pas beaucoup de conséquence pour plusieurs raisons. Par exemple, si l’on reprend la carrière du multi-cumulard Gérard Collomb, eh bien… il n’a jamais exercé plus de trois mêmes mandats successifs, donc il n’aurait jamais été concerné par cette mesure (pour une raison simple, c’est qu’il a été un "loser" en politique, même s’il a finalement conquis et conservé la prestigieuse mairie de Lyon grâce aux divisions de ses adversaires).

L’autre raison que c’est une mesure d’affichage, c’est que si elle était appliquée aujourd’hui, elle concernerait seulement dix sénateurs ! Donc, elle n’a un effet qu’à la marge et ne révolutionnera rien, ne renouvellera qu’à peine plus que le renouvellement "naturel" de la vie politique.

Enfin, cette mesure ne sera pas appliquée aujourd’hui mais seulement dans trois mandats, c’est dire que, comme l’a fait judicieusement remarquer l’ancien ministre Claude Malhuret, président du groupe UDI-Agir au Sénat, le 23 mai 2018 sur Public-Sénat, d’ici à 2032, il y aurait encore l’occasion de plusieurs réformes des institutions par de nouvelles majorités, et donc, une majorité future pourrait toujours remettre en cause cette mesurette d’affichage.

C’est pour cette raison que les sénateurs LR et UDI, indispensables pour faire adopter dans son ensemble la réforme voulue par le gouvernement, ne font pas de cette limitation dans le temps un casus belli, car ils savent qu’elle a peu de conséquences à court et moyen termes.

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Ces trois mesures phares (réduction du nombre des parlementaires, introduction d’une dose de proportionnelle et limitation des mandats dans le temps), si elles sont maintenant officielles et formalisées, n’ont rien de surprenantes puisque déjà annoncées antérieurement.


Trois dispositions anecdotiques mais regrettables

Je souhaite terminer ici par trois autres mesures précisées par les deux nouveaux projets de loi.

1. Le projet de loi ordinaire veut habiliter le gouvernement à procéder au découpage des nouvelles circonscriptions législatives par ordonnances dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de cette loi. Même si cette méthode peut s’apparenter à un déni de démocratie, il faut admettre que les précédents découpages ont été réalisés de cette manière, tant en 1986 (sous la cohabitation) qu’en 2009. Ce n’est donc pas scandaleux que le gouvernement actuel veuille procéder de la sorte. Néanmoins, le risque est d’offrir une cartographie inédite en raison du grand contraste des territoires par rapport à leur population. Ainsi, si le projet précise bien qu’il y aura au moins un député et un sénateur par département, la réduction du nombre des parlementaires et la dose de proportionnelle aura pour conséquence qu’il y aura une trentaine de départements qui n’auront plus qu’un seul parlementaire de chaque assemblée, ce qui est  très faible par rapport à un territoire aussi vaste qu’un département (d’autant plus que les rares départements à faible superficie sont des départements très peuplés, comme en région parisienne, dans le Nord, dans le Rhône, etc.).

2. Le projet propose de renouveler intégralement le Sénat en septembre 2021 (« à titre exceptionnel »). Normalement, le Sénat est renouvelé par moitié tous les trois ans pour un mandat de six ans. Le principe du renouvellement partiel est volontaire, pour qu’il n’y ait pas de renversement brutal de majorité et pour préserver la continuité des institutions. Les derniers renouvellements ont eu lieu en septembre 2014 et en septembre 2017 et les prochaines auraient dû avoir lieu en septembre 2020 et en septembre 2023. Je ne vois pas ce qui impose un renouvellement intégral et je pense que ce ne serait pas vraiment conforme à la Constitution (le gouvernement ne peut pas dissoudre le Sénat). En renouvelant intégralement le Sénat, il ne serait plus possible de ré-organiser un renouvellement partiel, à moins de modifier la durée des mandats de chacune des deux séries de manière temporaire. Néanmoins, cette mesure ne fait pas partie d’une ligne rouge pour les sénateurs LR-UDI dans la mesure où elle n’est qu’une disposition transitoire.

3. Le projet propose qu’il y ait deux bulletins de vote lors des élections législatives, un bulletin pour élire le député de sa circonscription et un bulletin pour choisir la liste élue à la proportionnelle nationale. Ce qui est scandaleux, c’est qu’il précise qu’il n’y aura plus de profession de foi des candidats en papier envoyée au domicile de chaque électeur comme auparavant et que « les profession de foi des listes seront dématérialisées, mais resteront consultables en mairie par voie d’affichage ». Cela va pénaliser ceux qui n’ont pas accès à l’outil informatique ou qui sont éloignés de leur mairie. Il y a une différence entre faire la recherche sur un ordinateur des propositions des candidats et les recevoir passivement dans sa boîte aux lettres, passivement, certes, c’est-à-dire sans action volontaire, mais très utilement car avant de voter, beaucoup les lisent finalement, en cas d’hésitation. J’avais déjà alerté sur le sujet il y a un an et demi. La démocratie a un coût, il faut l’accepter si l’on veut appliquer l’un des principes fondateurs de notre République, l’égalité.

Maintenant que l’ensemble du projet de réforme des institutions a été finalisé, les parlementaires vont pouvoir débattre sur du concret, sur des textes, des mots, et pas de manière générale. Cette réforme n’obéit à aucune des ambitions affichées, elle n’est qu’un saupoudrage confus qui reste seulement conforme aux trois promesses faites pendant la campagne présidentielle. Elle ne révolutionnera rien (ce qui est heureux) mais risque de faire entrer des vers supplémentaires dans le fruit des institutions, en particulier la proportionnelle qui pourrait être fatale aux institutions à moyen terme (pas à court terme car la dose est faible mais rien n’empêchera une future majorité d’augmenter le "dosage" pour ses propres intérêts partisans). Au contraire de ce qui est affiché, c’est un mouvement vers le régime des partis.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 mai 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Réforme Macron des institutions (4) : la totalité du projet gouvernemental.
Réforme Macron des institutions (3) : réduire le Parlement ?
Réforme Macron des institutions (2) : le projet de loi constitutionnelle.
Réforme Macron des institutions (1) : les grandes lignes.
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Non à la suppression des professions de foi !
Protégeons la Ve République !

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180523-reforme-institutions-ad.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/reforme-macron-des-institutions-4-204612

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/05/24/36429710.html



 

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21 mai 2018 1 21 /05 /mai /2018 02:39

« L’amour de la démocratie est d’abord un état d’esprit. » (Pierre Mendès France, 1962).


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Le projet de réformes des institutions n’est pas encore totalement finalisé et présenté par le gouvernement. Seul, le projet de loi constitutionnelle a été adopté par le conseil des ministres du 9 mai 2018. Deux autres projets de loi, l’un de loi organique, l’autre de loi simple, seront présentés et adoptés probablement au conseil des ministres du 23 mai 2018. Notons (et répétons-le) qu’il ne me paraît pas sain de faire ces annonces lors des semaines de ponts, parfois triple pont (8 mai, Ascension, pour le premier projet loi, lundi de Pentecôte pour les deux derniers) parce que réformer notre loi fondamentale doit se faire avec gravité et respect des citoyens, et pas entre la poire et le fromage, subrepticement, pendant que tout le monde est parti se promener pour profiter du soleil.

Dans l’attente des deux autres projets présentés dans les prochains jours, je reviens sur une mesure pas encore explicitement publiée mais déjà annoncée dans les grandes lignes par l’allocution du Premier Ministre Édouard Philippe le 4 avril 2018 : la réduction du nombre des parlementaires d’un tiers, tant pour l’Assemblée Nationale que le Sénat.

Je suis opposé à une telle mesure pour plusieurs raisons, je vais y venir. Avant tout, inquiétons-nous de l’argumentation gouvernementale. Lors d’une séance spéciale de questions au gouvernement sur la réforme des institutions, organisée le 9 mai 2018 dans l’hémicycle, la Ministre de la Justice Nicole Belloubet a montré une certaine mauvaise foi que, je l’espère, elle va abandonner lorsque la discussion parlementaire sera réellement amorcée.


Nicole Belloubet, pas si apolitique que cela…

Est-elle si peu politique qu’on voudrait le dire ? Malgré son appartenance au Parti socialiste depuis 1983, puis sa nomination au Conseil Constitutionnel en 2013 par le socialiste Jean-Pierre Bel, Nicole Belloubet faisait partie des ministres "techniques" du gouvernement (la grande majorité des ministres), et elle a même remplacé à l’improviste un ministre très politique, peut-être le plus du premier gouvernement d’Édouard Philippe, à savoir François Bayrou.

Pourtant, elle a déjà derrière elle une longue expérience d’élue locale. Elle a été élue première adjointe au maire de Toulouse, chargée de la culture, de 2008 à 2010, et première vice-présidente du conseil régional de Midi-Pyrénées, chargée de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche, de 2010 à 2013.

Mais c’est sa compétence juridique que le Président Emmanuel Macron a tenu à saluer en la nommant garde des sceaux : docteure en droit à la Sorbonne en 1990, agrégée de droit public en 1992, professeure des universités, elle a été nommée rectrice de Limoges de 1997 à 2000 puis de Toulouse de 2000 à 2005. Personnalité forte, elle a même démissionné du rectorat en 2005 pour protester contre la politique du Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin. Son baptême de feu politique, elle l’a passé lors de la grande vague de grèves dans les prisons en janvier 2018, qu’elle a su arrêter par la négociation.


Une certaine mauvaise foi ?

Enseignante chercheure à partir de 2008 à l’IEP de Toulouse, notamment professeure de droit communautaire, elle a donc une véritable autorité intellectuelle sur le droit et plus particulièrement sur le droit constitutionnel en raison de son expérience au Conseil Constitutionnel pendant trois ans.

Elle a d’ailleurs rappelé qu’il y a une dizaine d’années, elle avait travaillé sur le sujet du nombre d’élus en Europe : « Pour m’être intéressée, quand j’étais professeure de droit, au nombre d’élus locaux dans les pays de l’Union Européenne, j’avais observé qu’ils étaient beaucoup moins nombreux qu’en France. (…) Il me semble qu’il faut considérer le système électif d’un pays dans sa globalité, mais ce que j’avais constaté il y a une dizaine d’années n’est peut-être plus vrai. ».

Avec cette fausse modestie et ses qualifications pour faire de ce qu’elle dit des arguments d’autorité, Nicole Belloubet, l’air de rien, s’est un peu moquée des députés qui l’avaient interrogée ce 9 mai 2018. Elle a utilisé plusieurs fois cet argument d’une surreprésentation globale des élus en France, en citant le nombre de 500 000 élus, ce qui est vrai, peut-être même est-ce supérieur.

Mais c’est complètement hors sujet pour ce qui concerne le nombre des parlementaires. Dans leur grande majorité, ces 500 000 élus évoqués ici sont des élus municipaux, et pour 98% d’entre eux, des conseillers municipaux qui ne reçoivent aucune indemnité, qui remplissent leurs fonctions bénévolement et souvent avec la foi du service aux autres parfois malmenée par justement cette démagogie anti-élus. Le grand nombre ne provient que d’un trop grand nombre de communes (36 000, ce qui correspond à peu près au nombre de communes dans tous les autres pays européens). Cela n’a rien à voir à une surreprésentation élective, mais à une "surnumération" des communes, si je puis m’exprimer ainsi.

Ainsi, Nicole Belloubet a utilisé cet argument, ce seul argument, de nombreuses fois : « Comme je l’ai dit précédemment, la France compte plus de 500 000 élus locaux ; on ne peut pas dire que les Français sont sous-représentés. ».

Elle préférait comparer le nombre d’élus nationaux des États-Unis au nombre d’élus locaux en France, ce qui est intellectuellement un peu bancal : « Je pourrais vous renvoyer au nombre de sénateurs américains, qui sont 100 pour une population plus importante que la nôtre. Il y a, certes, des niveaux différents de représentation. Il faut préciser que la France compte un nombre très élevé d’élus : plus de 500 000 élus locaux. ». Ce qui est assez malhonnête intellectuellement de sa part (elle qui connaît très bien les choses-là, par son métier) puisque les États-Unis, comme du reste l’Allemagne, est un pays à structure fédérale et donc les élus nationaux ont des prérogatives nettement moindres qu’un pays hypercentralisé comme la France.


La rouspétance des députés

Nicole Belloubet répondait ainsi à la député FI Clémentine Autain, très opposée à la mesure de réduction : « Un député représente aujourd’hui jusqu’à 116 000 habitants. Mais, si votre contre-réforme est adoptée, il en représenterait 195 000. La France deviendrait alors l’un des pays les moins pourvus en parlementaires en Europe, et cela affecterait évidemment le travail parlementaire : comment concilier présence en commission et en séance, y compris la nuit, travail parlementaire et travail de terrain, qui nous permet d’être au plus près de la population ? Cette équation est déjà difficile, et deviendra, demain, quasiment impossible. Le pouvoir sera donc donné à la technocratie et aux collaborateurs, et non à des élus devant rendre directement des comptes à la population. Une telle réforme devrait relever d’un grand débat public. Diminuer le nombre de parlementaires, c’est diminuer le nombre de personnes élues pour élaborer les lois. ».

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En évoquant « la défiance de l’exécutif à l’égard du Parlement », la députée radicale Sylvia Pinel (ancienne ministre) a rappelé les représentativités électives en Europe : « En comparant le nombre de nos députés à celui de nos amis européens, force est de constater qu’il n’est pas aussi choquant que vous le laissez croire. Le Danemark compte un député pour 31 000 habitants ; le Royaume-Uni comme l’Italie un député pour 95 000 habitants ; la France se situe au même niveau que l’Allemagne. ».

C’était aussi le sens de mes remarques quand j’ai présenté les résultats de certaines élections législatives en Europe, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni et en Italie.

Le député communiste Sébastien Jumel (ancien maire de Dieppe) a aussi contesté cette réforme : « La diminution du nombre des parlementaires correspond (…) à votre volonté de satisfaire une lubie présidentielle. Il s’agira d’une réduction sans fondement, sinon celui de distiller un sentiment de défiance à l’égard des parlementaires et de la démocratie représentative. Vous oubliez au passage de préciser que la France va être rétrogradée au regard des standards européens dans sa capacité à représenter le peuple dans de bonnes proportions dans ses institutions. (…) Vous allez remplacer les députés de circonscriptions XXL par des collaborateurs. Ce ne seront plus les représentants du peuple qui décideront, mais des technocrates, des collaborateurs salariés, d’autant plus que votre gouvernement envisage, ce que personne ne dit, d’externaliser l’expertise du Parlement et même de la privatiser, privant ainsi les assemblées de leur capacité à établir des diagnostics dans la neutralité. ».

Le député LR Sébastien Leclerc a apporté aussi un autre contre-argument, celui de l’étendue des territoires électoraux : « Après avoir mis le conseil départemental à 30 kilomètres de ses administrés [avec la fusion de deux cantons en un pour assurer la parité homme femme] et le président d’intercommunalité à parfois plus de 60 kilomètres, vous envisagez de mettre le député à 200 kilomètres. La réduction du nombre de circonscriptions, de 577 aujourd’hui à environ 340 demain, aura bien pour conséquence de rendre le territoire à représenter beaucoup plus vaste pour le député, au détriment de la proximité, si bien qu’il aura besoin de plus de temps pour répondre aux diverses sollicitations et aura moins de disponibilité pour légiférer et contrôler l’action du gouvernement. ».

Si j’ai mis ces quelques citations de parlementaires, c’était pour présenter la tournure des arguments employés à propos de cette question. Il apparaît ainsi que les arguments contre sont très nombreux et que les arguments pour sont quasiment inexistants.


Reprenons d’abord l’historique de cette proposition.

La réduction du nombre de parlementaires était dans le programme de campagne du candidat Emmanuel Macron et sa volonté de faire ce qu’il a dit lui donne évidemment d’autant plus de force qu’il a été élu. L’un des arguments en faveur de la mesure, un argument qui n’a rien à voir au fond, c’est qu’Emmanuel Macron n’était pas le seul à avoir soutenu une telle proposition. Ainsi, le candidat François Fillon, lui aussi, a promis la réduction du nombre de parlementaires pendant la campagne de 2017, et il se disait également que le Président François Hollande, s’il avait eu les coudées franches pour une réforme des institutions, l’aurait également soutenue.

Mais la mesure de date pas de la campagne présidentielle de 2017. Le premier responsable politique de poids à avoir soutenu une telle idée fut… François Bayrou, lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle, lors d’une présentation de ses vues institutionnelles à la Maison de la Chimie le 25 février 2012. Mais cette réduction du nombre de parlementaires (qu’il envisageait de faire approuver par référendum en début de quinquennat) s’accompagnait d’une réduction constitutionnelle du nombre de ministres ! L’exécutif à la même enseigne que le législatif, ce qui n’est pas du tout le cas de l’actuel projet.


Démagogie antiparlementaire

En fait, il faut bien l’avouer, cette mesure de la réduction du nombre de parlementaires est une mesure éminemment démagogique. Une tarte à la crème. Ceux qui y ont eu recours furent ceux qui voulaient se distinguer du lot, se différencier et faire un bon "coup" politique afin d’atteindre de nouveaux électeurs. Le populisme flirte toujours sur l’antiparlementarisme, en laissant croire que les parlementaires seraient inutiles et paresseux, toujours absents et jamais à l’écoute.

En fait, c’est tout le contraire. Les citoyens qui connaissent leur député peuvent comprendre leur emploi du temps dément. Il faut être en commission pour élaborer la loi, pour auditionner des ministres ou des responsables de forces vives, dans l’hémicycle pour débattre, proposer des amendements, voter un texte, et dans leur circonscription pour écouter les doléances de leurs électeurs, en général, logement et emploi, puis subvention pour leur association. Alors, oui, parfois, il y a des bancs vides, mais c’est rarement par paresse, c’est par impossibilité de se dédoubler (tout le monde n’a pas la possibilité de s’hologrammer).

D’ailleurs, l’une des raisons de l’absence du parlementaire a été supprimée à partir de 2017, à savoir l’interdiction du cumul des mandats. L’autre cause, pas supprimée, c’est lorsqu’on cumule avec la fonction de chef de parti. Ainsi, François Hollande a très rarement mis les pieds au Palais-Bourbon entre 1997 et 2008, trop occupé à régenter ou plutôt, synthétiser rue de Solferino, à la tête du PS.

À part ces cas très particuliers de chefs de parti (Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, Pierre Laurent, Olivier Faure, etc.), le parlementaire est désormais parlementaire à 100% de son temps. Cela ne leur empêche pas un agenda très chargé, car à côté de leur rôle de base, il y a aussi beaucoup de fonctions annexes dans de nombreux organismes qui sont représentés également par un ou plusieurs parlementaires dans leur conseil d’administration (entre autres, la CNIL).

Et quel intérêt y aurait-il à paresser ? À être absents de leur circonscription, ils ne seraient pas réélus à la fin de leur mandat. À être absents de Paris, ils n’auraient rien à dire à leurs électeurs, ni défense de leurs territoires, ni moyens de montrer leur utilité auprès d’eux.


Faire des économies ?

Si la mesure de réduction du nombre des parlementaires est à la fois populiste et populaire, c’est parce que les gens imaginent que cela leur coûtera moins, "leur" à prendre dans le sens des contribuables. Et c’est là, bien évidemment, qu’il y a un malentendu.

On a pu s’en apercevoir avec la réduction du nombre des régions. La principale raison de ce caprice présidentiel de 2014, c’était de faire des économies. En fait d’économies, il y a eu des coûts supplémentaires, celui des déplacements, des notes de frais, des aménagements de bâtiments trop exigus, etc. Il n’y a pas eu un seul budget des indemnités des élus régionaux qui a été réduit avec cette réforme ! Seule, la réforme de Nicolas Sarkozy (morte-née à cause du changement de majorité) aurait pu faire de substantielles économies, en faisant fusionner les fonctions de conseillers régionaux et de conseillers départementaux, et donc, en réduisant le nombre d’élus sans réduire le nombre de sièges (cette réforme présentait cependant quelques inconvénients institutionnels, mais ce n’est pas le sujet ici).

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Revenons aux parlementaires. Ce n’est même pas la peine de "supputer", la majorité et le gouvernement ont même clairement annoncé l’idée qu’il n’y aurait aucune réduction des frais des parlementaires avec la réforme prévue. Richard Ferrand, le président du groupe LREM à l’Assemblée Nationale, l’a énoncé ainsi le 9 mai 2018 : « Sont à venir trois engagements cardinaux, pris en 2017 devant notre peuple : la réduction de 30% du nombre des parlementaires, à moyens constants, pour plus d’efficacité de leur mission… ». "À moyens constants", donc, pas d’économies !

La Ministre de la Justice Nicole Belloubet a elle-même confirmé : « Si une diminution de parlementaires est bien prévue, celle-ci se fera à moyens constants. ». Donc, le contribuable ne gagnerait rien avec cette réforme. Elle n’aurait donc aucune raison d’être populaire.

Si l’on veut vraiment une mesure symbolique qui fera baisser le coût aux contribuables, supprimons le Conseil économique, social et environnemental (CESE) au lieu de vouloir le transformer en une nouvelle chambre tout aussi inutile que l’ancienne.


Une augmentation de la technocratie au détriment du peuple

Cette affirmation des "moyens constants" a une raison qui est très respectable : l’idée est que le député actuellement n’a pas assez de moyens pour pousser à fond son rôle de député, c’est-à-dire d’une part, d’élaborateur de la loi, d’autre part, de contrôleur du gouvernement.

Cette idée est peut-être intéressante et peu éloignée de la réalité même si les réalités, on l’a vu avec l’affaire Fillon, sont parfois très diversifiées (elles le sont désormais moins avec l’interdiction du cumul des mandats : un chef d’exécutif local avait déjà son personnel pour ses tâches de secrétariat, agenda, assistance, relations publiques, etc.), mais elle aurait eu vraiment un sens si elle se faisait à nombre de parlementaires constant. C’est-à-dire, à budget croissant pour augmenter les moyens des parlementaires.

Or, en réduisant parallèlement le nombre des parlementaires, on en arrive à ce que plusieurs députés ont déjà compris : on remplace purement et simplement un élu du peuple, sanctionnable à chaque renouvellement de mandat et donc responsable politiquement, par des collaborateurs parlementaires nommés de manière (heureusement) arbitraire, sans légitimité populaire. En clair, on remplace le peuple par la technocratie.

Si l’on veut vraiment prendre des mesures favorables au peuple, demandons-lui si, à budget constant (c’est-à-dire, sans incidence pour son porte-monnaie de contribuable), il préfère 300 députés et 2 500 collaborateurs de député ou 500 députés et 1 500 collaborateurs de député. Dans le premier cas, le peuple serait moins bien représenté que dans le second cas, puisque seulement 300 députés au lieu de 500 pour une population constante.

Cela aura deux conséquences.


La représentation de la population

Première conséquence, un député après une telle réduction représentera plus d’habitants qu’auparavant (environ 200 000 habitants au lieu de 110 000 grosso modo). Cela signifie que son temps de gestion de sa base électorale sera quasiment doublée (temps de permanence dans les communes de sa circonscription, nombre de sollicitations et d’interventions pour un emploi, un logement, etc.).

Or, ce temps-là, il faudra bien qu’il soit utilisé par les collaborateurs supplémentaires. Si bien que ce surplus de moyens ne servira donc pas le parlementaire pour augmenter son travail législatif et de contrôle. C’est un peu logique dans le cadre d’une conservation de moyens : rien ne se perd, ni ne se crée, tout se transforme. C’est le premier principe de thermodynamique. Il n’y a donc aucune raison pour que, globalement, le travail des parlementaires soit plus dense et plus massif qu’actuellement. Ce sera même pire.


La représentation des territoires

Seconde conséquence, un député après réforme voulue représentera un territoire beaucoup plus vaste qu’auparavant, et cela en raison de deux phénomènes voulus par la réforme des institutions : la réduction du nombre des parlementaires et l’introduction d’une dose de proportionnelle.

Je laisse de côté les députés élus par la proportionnelle nationale (c’est un autre sujet, voir ici), qui, eux, ne représenteront personne sinon l’appareil de leur propre parti, rien de démocratique à cela.

Les députés élus dans leur circonscription verront leur circonscription s’étendre énormément, jusqu’à doubler ou tripler de superficie. Or, un député doit forcément être présent sur le terrain, ce qui nécessitera de nombreux déplacements et beaucoup de temps supplémentaire qu’il ne pourra pas occuper à ses fonctions à Paris.

Cela aura pour conséquence une moindre présence des députés auprès de leurs électeurs, et donc, un accroissement de la distance entre élus et administrés alors que justement, l’objectif doit être de renforcer la proximité.


Réduire le rôle et le pouvoir des parlementaires

L’objectif du gouvernement serait de donner plus de pouvoir aux parlementaires. Pourtant, la réforme qu’il propose tendrait à faire le contraire, réduire leur pouvoir, et accroître le pouvoir de l’exécutif, d’autant plus que certaines mesures présentées pourraient remettre en cause partiellement le droit d’amendement.

Il est utile de reprendre l’historique du nombre de parlementaires. À l’origine, plus il y avait de parlementaires, plus le Parlement était fort face à l’exécutif et en particulier au roi. L’exécutif ne peut pas corrompre tout le monde, plus il y a de parlementaires, moins il est possible de corrompre tous les parlementaires.

La réforme, qui propose également d’empêcher l’existence de parlementaires chevronnés, c’est-à-dire, qui, au bout de nombreux mandats, connaissent excellemment bien la procédure parlementaire et savent affronter le gouvernement avec des armes relativement équivalentes, va forcément amoindrir le rôle du Parlement.

D’un côté, un pouvoir exécutif aidé d’une technostructure très organisée et très expérimentée (l’une des meilleures du monde), de l’autre côté, un Parlement avec peu de parlementaires, souvent sans expérience ou avec une faible expérience, sans moyens véritables pour contrôler l’action du gouvernement, cela ne peut pas aboutir, à l’évidence, à un renforcement du pouvoir législatif.


Méfions-nous des fausses bonnes idées

Les fausses bonnes idées sont comme les faux amis. On les connaît mais le réflexe veut qu’on tombe dans le piège. La proposition de réduction du nombre de parlementaires, sauf à revenir à la situation d’avant 1985 (François Mitterrand, grand manœuvrier, avait augmenté inutilement de 86 le nombre de députés), ne me paraît pas être en capacité à relever le défi ambitieux lancé par le gouvernement lui-même : redonner le pouvoir au peuple, lui redonner confiance en sa classe politique, en ses élus.

La comparaison facile avec nos voisins européens montrent qu’il n’y a aucune justification convaincante en faveur de cette proposition, si ce n’est une promesse de campagne, mais, en renonçant à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le Président Emmanuel Macron n’a-t-il pas déjà tourné le dos à certaines promesses quand l’intérêt national l’imposait ?

Aux parlementaires aussi de faire preuve de responsabilité pendant les débats parlementaires qui s’annoncent : il ne faut pas qu’ils se retrouvent dans la position de simples défenseurs du syndicat des élus, mais comme des représentants de l’intérêt du peuple. Or, l’intérêt du peuple, c’est d’avoir un Parlement fort capable d’équilibrer un pouvoir exécutif dont la force reste nécessaire pour rendre la France gouvernable. C’est ce subtil équilibre qui est tout l’enjeu de cette réforme des institutions.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 mai 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Réforme Macron des institutions (3) : réduire le Parlement ?
Réforme Macron des institutions (2) : le projet de loi constitutionnelle.
Réforme Macron des institutions (1) : les grandes lignes.
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Protégeons la Ve République !

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180517-reforme-institutions-ac.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/reforme-macron-des-institutions-3-204543

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/05/22/36423501.html



 

 

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11 mai 2018 5 11 /05 /mai /2018 04:25

« L’objectif de cette révision constitutionnelle (…) est de respecter les équilibres de notre démocratie et notre Ve République, que nous ne voulons pas transformer : il ne s’agit pas de revenir à la IVe République ni de construire une hypothétique VIe République, mais, à bien des égards, de revenir aux fondamentaux de la Ve République. [Exclamations sur les bancs du groupe LR] » (Édouard Philippe, lors de la séance aux questions au gouvernement, le 9 mai 2018 à l’Assemblée Nationale).


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Les exclamations du groupe LR (Les Républicains) paraissent bien légitimes : moi non, je ne vois pas en quoi la réforme des institutions proposée par le gouvernement va contribuer à « revenir aux fondamentaux de la Ve République ». Venons-en à une partie de son contenu.

Comme je l’avais évoqué le mois dernier, la réforme des institutions se poursuit, et elle se poursuit dans les pires conditions. Le projet de loi constitutionnelle sur la réforme des institutions a été présenté et adopté au conseil des ministres du mercredi 9 mai 2018, coincé entre deux jours fériés (le 8 mai et le jeudi de l’Ascension), dans une semaine à trois ponts. On voudrait faire plus discret qu’on n’y arriverait pas. Le gouvernement peut toujours répondre qu’il faut bien gouverner et que quelques jours fériés ne vont pas faire renoncer ni retarder, certes, mais réformer les institutions, à savoir la règle du jeu politique, la loi fondamentale qui unit tous les citoyens, aurait mérité un peu plus d’attention médiatique et un peu plus de considération à l’adresse des citoyens.


Méthodologie

Rappelons la procédure adoptée par le gouvernement. La réforme des institutions se fera en un "package" de trois textes : un projet de loi constitutionnelle pour réviser la Constitution, qui nécessite l’adoption par les deux assemblées en termes identiques et l’adoption par le Congrès (les deux assemblées) avec une majorité des trois cinquièmes ou éventuellement, par référendum (seulement après l’adoption après les deux assemblées), un projet de loi organique et un projet de loi simple, qui nécessitent l’adoption par la seule Assemblée Nationale (même en cas de désaccord du Sénat sauf, pour le projet de loi organique, les dispositions qui concernent le Sénat, à savoir le nombre de sénateurs et la limitation des mandats de sénateurs).

Cette triple procédure est nécessaire pour atteindre les objectifs fixés par le Président Emmanuel Macron. Néanmoins, l’ordre est important. Les deux autres textes seront présentés au conseil des ministres du 23 mai 2018, et il est confirmé que c’est le projet de loi constitutionnelle qui sera discuté au Parlement en priorité.

Pour que la révision constitutionnelle puisse aboutir à une adoption, le gouvernement LREM-MoDem aura nécessairement besoin de l’appui des sénateurs UDI et LR sans lesquels le Sénat rejetterait la réforme des institutions. Or, c’est le projet d’introduction du scrutin proportionnel qui est la première pierre d’achoppement entre LR et le gouvernement. Ce scrutin proportionnel pourrait être adopté sans l’appui du Sénat puisqu’il ne nécessite qu’une loi organique sans concerner le Sénat. Donc, il y a risque, si ce projet de loi sur le mode de scrutin est discuté après la révision constitutionnelle, qu’un accord éventuel sur l’ensemble des trois textes puisse être modifié en dernière phase par des "ultras" du scrutin proportionnel (par exemple, par les alliés du MoDem). Le projet de loi simple concerne le découpage des circonscriptions électorales qui serait rendu nécessaire en cas d’adoption de la réduction du nombre des députés et d’une dose de proportionnelle.

Le projet de loi organique concerne le mode de scrutin de l’élection des députés, la réduction du nombre des parlementaires et la limitation dans le temps des mandats parlementaires. Ce projet pose problème aux sénateurs LR et ces derniers ont les moyens de peser sur le gouvernement. C’est le principal levier de négociation de LR.

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Venons-en maintenant au projet de loi constitutionnelle adopté par le conseil des ministres du 9 mai 2018. Une séance spéciale de questions au gouvernement consacrée à cette réforme des institutions a eu lieu quelques heures plus tard, ce mercredi 9 mai 2018 à 16 heures, au Palais-Bourbon, en présence de la Ministre  de la Justice Nicole Belloubet.


1. Incompatibilité des ministres

Le projet propose d’interdire le cumul des fonctions de ministre avec d’autres fonctions exécutives ou de président d’assemblée délibérante dans les collectivités territoriales ainsi que dans les groupements ou personnes morales qui en dépendent. La dernière précision est importante puisque l’interdiction de cumul permettait à un ancien maire de rester quand même président de l’intercommunalité associée à la ville dont il était le maire. Ce ne sera plus possible.

Mon avis : Cela permet de constitutionnaliser la "jurisprudence Jospin" qui avait fait, dans la pratique, ce que le droit autorisait encore. Les successeurs ont appliqué aussi cette jurisprudence, mais plus ou moins rigoureusement, laissant par exemple Nicolas Sarkozy revenir au Ministère de l’Intérieur, en juin 2005, tout en gardant la présidence du conseil général des Hauts-de-Seine (tout comme il avait cumulé ainsi en devenant Ministre de l’Économie et des Finances en avril 2004). Un ministre doit être à plein temps à son ministère et ne pas s’occuper de ses affaires électorales. Cela paraît sage.


2. Procès des ministres

Le projet supprime la Cour de justice de la République (composée de parlementaires ; dans le cadre de la séparation des pouvoirs, seuls, des parlementaires peuvent juger des ministres) et donne à la cour d’appel de Paris (la cour la plus prestigieuse) le mandat de juger les ministres pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Avec cette précision qui pourrait avoir toute son importance : « La responsabilité pénale des ministres ne pourra être mise en cause en raison de leur inaction que lorsque celle-ci résulte d’un choix qui leur est directement et personnellement imputable. ».

Mon avis : Là encore, la mesure est sage car elle tend à rendre ordinaire le jugement des ministres, et éviter de faire penser qu’ils puissent être "couverts" par leurs pairs politiques. La dernière précision mériterait sans doute plus de développement pour imaginer ses conséquences. Par exemple, qu’en aurait-il été avec l’affaire du sang contaminé pour Laurent Fabius ?


3. Suppression des cavaliers

Le projet « prévoit que les amendements, parlementaires ou gouvernementaux, de nature réglementaire, non normatifs ou sans lien avec le texte discuté, les cavaliers, seront déclarés systématiquement irrecevables, sans attendre que le Conseil Constitutionnel les écarte in fine ».

Mon avis : Faut-il vraiment toucher au droit d’amendement en général, au risque d’inquiéter les parlementaires eux-mêmes ? Dans le passé, beaucoup de ministres ou de députés ont voulu faire passer une "petite" mesure qui leur tenait à cœur, qui pouvait d’ailleurs avoir des conséquences très importantes, de manière inaperçue au cours de la discussion d’un texte qui n’avait pas grand-chose à voir. Souvent, le Conseil Constitutionnel les invalidait, mais à condition qu’il fût saisi. L’objectif du gouvernement est que la suppression d’office de ce tour de passe-passe parlementaire permettra aux parlementaires de mieux s’investir dans la discussion des amendements qui sont recevables. L’opposition craint que son droit d’amendement soit ainsi réduit.


4. Accélération de la procédure

Le projet propose que « le gouvernement pourra mener plus rapidement les réformes qu’il juge prioritaires, dans les domaines économiques, sociaux ou environnementaux, sauf opposition des conférences des présidents des présidents des deux assemblées ».

Mon avis : Je me méfie toujours d’une nouvelle procédure accélérée pour construire la loi. La loi a besoin de mûrir dans la réflexion, de se rédiger de manière solide et pertinente et jamais d’être adoptée dans l’instant, dans l’émotion, sur un événement. L’argumentaire du gouvernement peut d’ailleurs inquiéter : « pour répondre aux attentes des citoyens ». Mais qui donc décide ce que sont les "attentes des citoyens" ? À part les sondages ? Et ces attentes sont versatiles. Je suis plutôt opposé à cette mesure, dans la mesure où le gouvernement actuel a prouvé qu’il était capable, avec la loi Travail, de faire rapidement des réformes. Il a suffisamment d’outils à sa disposition, les ordonnances et le 49 alinéa 3, plus la procédure accélérée déjà actuellement possible, pour ne pas avoir à en rajouter une nouvelle qui permettrait de faire des ordonnances sans le dire comme, dans le domaine de la sécurité, de faire l’état d’urgence sans le proclamer.


5. Calendrier parlementaire

Le projet propose de réduire la durée des discussions pour les lois de finances et de financement de la sécurité sociale en automne et de prolonger la durée des discussions consacrées au contrôle et à l’évaluation de l’exécution du budget, ce qu’il appelle le "printemps de l’évaluation".

Mon avis : La mesure est intéressante car la fonction "contrôle et évaluation" du Parlement français n’est pas assez consolidée. J’aurais aimé aussi que soit donnée à l’opposition la possibilité de créer des commissions d’enquête parlementaire, même si la majorité le refuse. C’est le meilleur moyen de renforcer le contrôle des parlementaires sur l’action du gouvernement.


6. Composition du Conseil Constitutionnel

Le projet supprime la disposition aux termes de laquelle les anciens Présidents de la République sont membres de droit du Conseil Constitutionnel.

Mon avis : Cette réforme, voulue notamment par Jean-Louis Debré, semblerait d’autant plus pertinente que les anciens Présidents sont (assez) "jeunes" et capables d’agir encore politiquement. Néanmoins, j’émets une certaine réserve dans la mesure où l’expérience institutionnelle des anciens Présidents de la République pouvait apporter une vision essentielle au cours des discussions au sein du Conseil.


7. Saisine du Conseil Constitutionnel

Dans la perspective d’une réduction de 30% du nombre des parlementaires, la saisine du Conseil Constitutionnel prévue par au moins 60 députés ou sénateurs (réforme de Valéry Giscard d’Estaing) passera par au moins 40 députés ou sénateurs.

Mon avis : Mesure qui est la conséquence d’un autre texte (pas encore présenté) mais cette mesure pourrait rester pertinente même en cas de non réduction du nombre des parlementaires, car cela donne plus de poids à l’opposition, ce qui est toujours utile dans une démocratie parlementaire.


8. Indépendance du parquet

Le projet propose que les membres du parquet soient nommés sur "avis conforme" et plus sur "avis simple" de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. Cela signifie que l’avis devient contraignant.

Mon avis : Je suis opposé à cette mesure, malgré sa popularité. Si les magistrats du siège doivent effectivement être totalement indépendants (notamment pour enquêter sur l’action des proches du pouvoir), je considère que les membres du parquet sont les acteurs de la politique du gouvernement et donc, que le gouvernement doit pouvoir garder un minimum de marge d’appréciation dans les nominations. Par ailleurs, la réalité de l’indépendance, telle que proposée, résidera dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature, qui a moins de légitimité que les représentants du peuple.


9. Action contre les changements climatiques

Le projet rajoute une matière à légiférer, sur les textes relatifs à l’action contre les changements climatiques.

Mon avis : Mesure sympathique et moderne qui a une valeur symbolique qui pourrait faire plaisir aux écologistes (s’ils existaient encore).


10. Transformation du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

Le projet prévoit de transformer cette (lourde et inutile) instance en "Chambre de la société civile".

Mon avis : Je suis opposé à cette mesure qui ne va pas assez loin. C’est aux deux assemblées du Parlement d’être ouvertes aux citoyens, ce qui est déjà le cas depuis quelques années en permettant au peuple de contribuer sur les textes législatifs. Le CESE nouvelle version sera aussi inutile que l’ancienne version, et tout porte à croire qu’on ferait de meilleures économies budgétaires en supprimant purement et simplement cette instance qu’en réduisant de manière très démagogique le nombre des parlementaires (mesure qui, elle, ne ferait pas plus d’économies que de réduire le nombre de régions).


11. Le pacte girondin

En évoquant le "pacte girondin" qui permettrait un « droit de différenciation entre collectivités territoriales », le projet tend à insérer dans la Constitution la spécificité de la Corse à l’article 72-5, en précisant quand même « dans le respect du principe de l’indivisibilité de la République ». Ainsi : « Il ouvre aussi les possibilités d’adaptation nouvelles des lois et règlements. Enfin, les départements et régions d’outre-mer pourront aussi bénéficier d’un propre régime de différenciation des normes, grâce à une procédure plus simple. ». Par "différenciation des normes", il faut penser "franchises locales".

Mon avis : Je suis plutôt opposé à cette mesure qui a une valeur symbolique très forte, qui va inutilement catalyser les polémiques et qui n’aura aucune conséquence politique sur les autonomistes corses. Le risque est d’aller dans un délitement de la République par le biais des "différenciations" dont la nature reste beaucoup trop floue dans l’état actuel du projet.


Étapes suivantes

Le Premier Ministre Édouard Philippe a déclaré le 9 mai 2018 au Palais-Bourbon : « L’objectif est que l’Assemblée Nationale ait pu discuter avant la pause estivale du dispositif de révision constitutionnelle tel qu’il a été présenté ce matin en conseil des ministres. ».

Le jeune député Maxime Minot (LR) a aussi déclaré le 9 mai 2018, à l’adresse du gouvernement : « Le temps parlementaire ne peut ni ne doit être le temps politique, et encore moins le temps médiatique. Alors que Nicolas Sarkozy, en 2008, avait mis en place dans la plus grande clarté le comité Balladur et pris le temps de la concertation, vous imposez un texte venu du ciel macronien sans en préciser ni le calendrier ni les modalités réelles, sacrifiant à un exercice de communication qui n’est pas à la hauteur des enjeux. ».

Ce qui fait défaut, dans ce projet constitutionnel, c’est une cohérence, un fil directeur sur des objectifs précis concernant le renforcement de la démocratie. Tout semble plutôt guider le gouvernement dans une voie pour renforcer le pouvoir exécutif au détriment des élus parlementaires. Je reviendrai bien sûr sur les autres mesures qui n’ont pas encore été précisées, comme la réduction du nombre des parlementaires.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 mai 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Réforme Macron des institutions (2) : le projet de loi constitutionnelle.
Réforme Macron des institutions (1) : les grandes lignes.
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Protégeons la Ve République !

_yartiVeRepublique08



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180509-reforme-institutions-ab.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/reforme-macron-des-institutions-2-204225

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/05/12/36395421.html




 

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5 avril 2018 4 05 /04 /avril /2018 03:48

« L’avenir, fantôme aux mains vides,
Qui promet tout et qui n’a rien. »
(Victor Hugo, 1837).



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Voici une nouvelle réforme amorcée. Elle a été annoncée un peu dans l’indifférence des chaînes d’information continue qui préféraient disserter sur la grève de la SNCF et le mécontentement des usagers. Le gouvernement ne craint pas l’overdose et aime combattre sur tous les fronts.

Dans une conférence de presse à Matignon, le Premier Ministre Édouard Philippe a présenté, ce mercredi 4 avril 2018 à 17 heures, les différents volets de la réforme des institutions voulue le 3 juillet 2017 par le Président de la République Emmanuel Macron. Comme je l’avais écrit il y a peu, chaque Président de la République, une fois élu, a l’irrésistible tentation de changer les règles du jeu institutionnel. On pourra lire le texte intégral de l’allocution ici.

Avant de poursuivre, je veux préciser ici mon mode d’emploi sur ce sujet. Comme lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 voulue par le Président Nicolas Sarkozy, j’interviendrai régulièrement pour donner l’évolution en cours de cette réforme des institutions. Je ne prétends pas à l’objectivité, mais seulement à la rigueur. J’espère pouvoir présenter le plus précisément et exactement possible ce dossier, mais je souhaite aussi y apporter mon grain de sel, mes remarques personnelles, mon opinion sur certaines mesures et je me donne même le droit d’y apporter mon aigreur ! Mon avis ne reste que mon avis, mais c’est le principe de la démocratie qui tient compte de l’avis de chacun au moment des élections. Mon avis n’est donc pas plus important qu’un autre, mais pas moins non plus. Et j’essaie de le formuler le plus argumenté possible.

Le vendredi 30 mars 2018, le Président de la République Emmanuel Macron avait reçu à l’Élysée le Président du Sénat Gérard Larcher et le Président de l’Assemblée Nationale François de Rugy en présence du Premier Ministre Édouard Philippe, pour tenter d’adopter une "stratégie" commune pour cette réforme : « Nous avons pu, ensemble, construire les bases d’un accord possible. ».  Auparavant, Emmanuel Macron avait reçu l’ensemble des groupes parlementaires à ce sujet. Pour autant, y aurait-il un deal entre Emmanuel Macron et Gérard Larcher ? Pas sûr, car Gérard Larcher a signé dès le soir du 4 avril 2018 une tribune pour s'opposer à cette réforme, insistant beaucoup sur la défense des territoires et de leur représentation.

D’après l’interview d’Édouard Philippe à la matinale de France Inter ce jeudi 5 avril 2018, il semblerait admis que le gouvernement ne court-circuiterait pas les parlementaires par référendum. On imagine les raisons politiques : la grève de la SNCF depuis le 3 avril 2018, bien suivie (environ 30 à 34%), et le ras-le-bol des usagers-citoyens-électeurs pourraient en rendre très incertains les résultats, voire  les rendre explosifs.

Mais de toute façon, le référendum était un plan B en cas de difficulté à réunir une majorité des trois cinquièmes des parlementaires en vue d’adopter la révision constitutionnelle, mais il n’exonère pas la condition constitutionnelle pour organiser un référendum sur une révision constitutionnelle : faire adopter le projet de loi par les deux assemblées en termes identiques, or, le gouvernement est loin d’avoir acquis la majorité sénatoriale sur ce sujet. Donc, le référendum ne permettrait pas de contourner le verrou du Sénat et il serait politiquement très risqué au moment où la bataille de l’opinion se cristallise sur la réforme de la SCNF.

Avant de préciser les mesures proposées par le gouvernement, parlons de la procédure et du calendrier proposés. Édouard Philippe a indiqué que trois projets de loi seraient soumis au conseil des ministres du mercredi 9 mai 2018 (en pleine semaine du "double pont" ! encore un moyen de faire des réformes en passant inaperçus) : un projet de loi constitutionnelle, un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire. Le projet de loi constitutionnelle serait soumis au Conseil d’État dès ce jeudi 5 avril 2018 et les deux autres projets la semaine prochaine. L’objectif du gouvernement est de faire une première lecture parlementaire avant la pause estivale de 2018 et de finaliser l’adoption définitive en 2019 (l’automne est plutôt réservé à la préparation de la loi de finances).

Une remarque d’ordre général : à part les mesures sur le nombre de parlementaires, le cumul dans le temps, et le mode de scrutin, les mesures proposées sont hétéroclites et ne permettent pas de comprendre l’objectif général de cette réforme. Édouard Philippe n’invoque que la très imprécise "ambition" : « Nous souhaitons aujourd’hui porter une nouvelle ambition. ». S’il reste rassurant qu’il veuille « bien entendu [préserver] » la « philosophie d’ensemble » de notre Constitution (« Car il ne s’agit ni de revenir à la IVe République, ni de passer à la VI e . »), je reste plutôt inquiet des risques majeurs de changer le mode de scrutin et du retour, justement, de la IVe République.

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Rappelons que le gouvernement, qui bénéficie d’une large majorité à l’Assemblée Nationale, a les moyens de faire adopter le projet de loi ordinaire (c'est-à-dire le nouveau mode de scrutin) sans négocier avec aucun autre groupe parlementaire. En revanche, il a besoin des sénateurs LR (majoritaires au Sénat) pour faire adopter son projet de loi constitutionnelle ainsi que son projet de loi organique (réduction du nombre de parlementaires, limitation des mandats dans le temps). Les lois organiques doivent être adoptées en termes identiques pour les deux assemblées.


1. Contenu du projet de loi constitutionnelle

1.1. Le Conseil supérieur de la magistrature

Il est prévu un « renforcement [de ses] pouvoirs » pour la nomination des magistrats du parquet et de son pouvoir disciplinaire.

Mon avis : autant je trouve pertinent de rendre indépendants les magistrats du siège (indépendants du gouvernement), autant je considère que les magistrats du parquet doivent appliquer la politique et les priorités du gouvernement, sans pour autant avoir des interactions avec la justice sur des affaires précises (cas où, par exemple, un ministre est mis en cause judiciairement, comme l’a été Jérôme Cahuzac). La solution consisterait à reprendre une proposition formulée par Raymond Barre lors de sa campagne présidentielle de 1988 : désigner un Garde des Sceaux, Ministre de la Justice qui soit "élu" par les députés pour la durée du gouvernement. Ainsi, il serait à la fois membre du gouvernement mais suffisamment autonome en termes de légitimité pour prendre des décisions qui s’imposeraient sans pression du gouvernement.


1.2. Exclusion des anciens Présidents de la République du Conseil Constitutionnel

Rappelons d’abord l’origine. De Gaulle avait surpris tout le monde lorsqu’il a décidé de se présenter à la Présidence de la République en décembre 1958. Tout le monde pensait qu’il resterait chef du gouvernement, le lieu habituel du pouvoir depuis 1873. Sa candidature a écarté le Président en exercice, René Coty (qui n’avait pas encore achevé son mandat). Pour éviter aux deux anciens Présidents de la République IVe République de l’époque, René Coty et Vincent Auriol, de se retrouver sans revenus, leur nomination de droit au Conseil Constitutionnel leur a permis d’assurer un minimum de niveau de vie et de ne plus avoir d’inquiétude matérielle.

Dans la pratique, De Gaulle, François Mitterrand et (probablement) François Hollande n’ont jamais participé à aucune séance de travail. Notons que les revenus comme membre de droit sont conditionnés par la participation réelle aux travaux du Conseil Constitutionnel. Les autres Présidents (hors Georges Pompidou décédé en cours de mandat) ont eu diverses situations avec des incompatibilités de deux ordres.

Le premier (surtout pour les "jeunes" anciens Présidents), c’est dans le cas où l’ancien Président voudrait poursuivre sa carrière politique, et dans ce cas, il ne peut pas être à la fois juge et partie. C’était le cas de Valéry Giscard d’Estaing qui n’est entré véritablement au Conseil Constitutionnel qu’en avril 2004 (à la fin de tous ses mandats). Je rappelle néanmoins que certains membres nommés dans les années 1970 et 1980 avaient pu cumuler cette responsabilité avec leur mandat de maire et même, de président de conseiller général (notamment Achille Peretti, maire de Neuilly-sur-Seine, et Léon Jozeau-Marigné, président du conseil général de la Manche).

La seconde incompatibilité, c’est lorsque le Conseil Constitutionnel juge la validité des comptes de campagne dudit membre de droit, ou encore lorsque le membre de droit est mis en cause par la justice. Jacques Chirac a participé aux séances de mai 2007 à mars 2011, puis a été obligé de ne plus y siéger par la suite. Nicolas Sarkozy également, membre actif entre mai 2012 et juillet 2013 (mis en cause pour le dépassement de ses frais de campagne 2012). Nicolas Sarkozy avait décidé par ailleurs de ne pas assister aux séances qui débattraient des questions prioritaires de constitutionnalité qui pouvaient remettre en cause des lois que lui-même avait promulguées (là encore, il faut séparer juge et partie).

Toutes ces expériences ont montré plus d’inconvénients que d’avantages à maintenir cette disposition constitutionnelle très vivement combattue par Jean-Louis Debré, ancien Président du Conseil Constitutionnel, qui a déjà eu à présider des séances en présence de deux des trois anciens Présidents de la République : Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy (jamais les trois ensemble). L’argument des revenus ne tient plus depuis longtemps, étant donné, d’une part, les nombreuses retraites en tant qu’ancien élu (souvent, l’Élysée est l’aboutissement d’une longue carrière élective), d’autre part, les retraites professionnelles (beaucoup, provenant de l’ENA, sont des hauts fonctionnaires avec leur traitement associé).

Mon avis : pas opposé donc à cette exclusion, mais néanmoins, il me semble que les anciens Présidents de la République ont une expérience institutionnelle inégalable et il faudrait donc laisser au Conseil Constitutionnel, pour certaines questions au contour à définir, la possibilité de consulter les anciens Présidents de la République, et cela à titre bien sûr bénévole.


1.3. La justiciabilité des ministres dans l’exercice de leurs fonctions

Rappelons d’abord la raison d’une justice d’exception pour les ministres : il s’agit de répondre à l’impératif de séparation des pouvoirs. Le projet propose de supprimer la Cour de Justice de la République (composée de parlementaires de la majorité et de l’opposition) pour la replacer par la Cour d’appel de Paris.

Mon avis : pourquoi pas ? La protection judiciaire des ministres se justifie moins dès lors que leur sont reprochés des faits de corruption ou d’abus de biens sociaux, etc. et leur jugement par leurs pairs pouvait faire naître de la suspicion pour l’ensemble de la classe politique. Dans la situation actuelle, je ne vois pas les inconvénients d’une telle suppression d’exception. D’autant plus que le gouvernement propose un filtre : « Un filtre sera toutefois conservé pour que la responsabilité des ministres ne soit engagée qu’à bon escient. ». La seule exception qu’il est proposé, c’est de faire juger ces ministres par les juges les plus expérimentés et gradés.


1.4. La transformation profonde du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE)

Le projet prévoit de réduire de moitié le nombre de ses membres et de le transformer en « une chambre de la société civile chargée (…) d’organiser les consultations des citoyens et des experts sur les projets d’avenir pour notre pays ».

Mon avis : je trouve le gouvernement bien timoré sur le sujet. Si on voulait vraiment faire des économies sans conséquences sur la démocratie, il faudrait carrément supprimer le CESE qui ne sert qu’à recaser des battus électoralement ou des amis du pouvoir en place. Les consultations des citoyens peuvent très bien être réalisées par les parlementaires eux-mêmes. La première consultation avait été organisée à l’Assemblée Nationale pour la préparation de la loi Claeys-Leonetti et cela avait été un succès (en quelques jours, près de 6 000 contributions, parfois très construites, avaient été recueillies sur le site Internet de l’Assemblée Nationale).


1.5. Limitation des amendements

Finalement, le gouvernement a renoncé à instituer un « contingentement des amendements » (limitation à un certain nombre d’amendements en fonction de la taille du groupe parlementaire qui les dépose). Insistons sur le fait que le droit d’amendements est une disposition essentielle dans une démocratie puisque, d’une part, il permet l’amélioration (éventuelle !) des projets du gouvernement (une rédaction collective de la loi est toujours plus sage qu’une rédaction unilatérale provenant des services de l’Élysée), d’autre part, c’est le seul droit dont disposent les minorités. Certes, ce droit a permis à l’opposition de faire éventuellement une obstruction pour retarder l’adoption de projets de loi contestés (ce fut le cas pour les nationalisations en 1982). Cela retarde, mais il y a suffisamment d’outils constitutionnels pour pouvoir contourner une telle obstruction (l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, ou encore les ordonnances).

Cependant, malgré ce renoncement, il propose la possibilité de « limiter les amendements sans portée normative, sans lien direct avec le texte ou qui ne seraient pas du domaine de la loi ». L’ancien ministre Roger Karoutchi, sénateur LR, a demandé au gouvernement, le 4 avril 2018 sur Public Sénat, que la disposition d’un tel "filtre" soit rédigée par les parlementaires eux-mêmes.

Mon avis : toucher au droit d’amendement serait une grave faute politique. L’élaboration de la loi ne doit pas se faire dans l’urgence ni de manière bâclée, mais de manière sage et réfléchie. Une bonne loi, c’est quand son texte a mis un certain temps à mûrir.


1.6. Contrôle gouvernemental du calendrier parlementaire

La révision du 23 juillet 2008 avait imposé un meilleur équilibre en faveur du Parlement dans la tenue de l’ordre du jour des deux assemblées : « une semaine de contrôle, une semaine d’initiative législative parlementaire et deux semaines d’initiative législative gouvernementale ». Le gouvernement veut remettre en cause ce progrès en permettant de bouleverser cet agenda équilibré : « Les projets de texte les plus importants ou urgents pourront bénéficier d’une inscription prioritaire à l’ordre du jour. ».

Mon avis : je suis foncièrement contre. Comme tous les textes seront (naturellement) "importants" et "urgents", cela reviendrait à la pratique antérieure où le gouvernement maîtrisait l’ensemble de l’ordre du jour. Malgré les intentions affichées, cela remettrait en cause le nouvel équilibre plus juste de 2008.


1.7. Procédure parlementaire

Plusieurs mesures annoncées sont tellement imprécises et floues que j’y reviendrai à partir du texte définitif. Trois annonces cependant me paraissent positives et constructives.

1.7.1. La première, c’est de renforcer le rôle de contrôle : « L’évaluation des lois sera plus systématique, et, pendant les semaines de contrôle, les parlementaires pourront procéder aux corrections ou aux simplifications des lois faisant l’objet de l’évaluation. ». Mon avis : je trouve cette mesure excellente. Que veut dire "plus systématique" ? soit c’est systématique ou ce ne l’est pas ! Il faudrait même aller plus loin. Toutes les lois principales devraient être sous obligation d’évaluation et surtout, car il faut en finir avec l’indigestion législative, aucune nouvelle loi traitant du même sujet ne devrait être abordée avant une première évaluation de la précédente loi. Avec des durées pour la première évaluation comprises entre un et cinq ans : un an pour le domaine économique et social, il faut bien sûr que lorsqu’il y a un changement de majorité, la nouvelle majorité puisse appliquer son programme, mais des lois comme celles dans le domaine de bioéthique ou de la fin de vie, ou encore sociétal (mariage pour tous, etc.), cinq ans d’évaluation me paraîtraient nécessaires avant de remodifier les règles.

1.7.2. La deuxième annonce, c’est d’accélérer à chaque automne l’adoption de la loi de finance (passage de 70 à 50 jours de discussions parlementaires) et de renforcer à chaque printemps le temps de l’évaluation des politiques publiques et du contrôle de l’exécution du budget par les ministres. Mon avis : pourquoi pas, si cela n’enlève aucun droit à l’opposition de s’opposer au projet de budget.

1.7.3. Enfin, la troisième annonce concerne l’article 34 de la Constitution, énumérant les sujets définissant le domaine de la loi. Il s’agira d’inscrire « l’impératif de la lutte contre le changement climatique » parmi les préoccupations des parlementaires, et, éventuellement, en cas de demande du Conseil d’État, d’inscrire un fondement constitutionnel pour le projet de service national universel « pour valoriser l’engagement des jeunes au service de la Nation ». Mon avis : excellente remise en modernité des textes pour s’adapter aux enjeux d’aujourd’hui et de demain.


1.8. Le pacte girondin

1.8.1. C’est une mesure encore très floue qui viserait à marquer la « confiance dans la capacité des collectivités locales de métropole et d’outre-mer d’adapter elles-mêmes les règles qui régissent leurs domaines de compétence à la réalité de leur territoire ». Ce pacte serait considéré comme « un gage d’efficacité et une façon de réformer sans céder à l’esprit de système ». Mon avis : à voir une fois le texte précis connu. Les conséquences d’un tel pacte restent encore bien incertaines.

1.8.2. Autre point déjà évoqué lors de la visite en Corse d’Emmanuel Macron les 6 et 7 février 2018 et qui pourrait cristalliser les oppositions : « La Corse trouvera sa place dans notre Constitution, ce qui permettra d’adapter les lois de la République aux spécificités insulaires, mais sous le contrôle du Parlement. ». Mon avis : là encore, il faudrait savoir quelle "place" trouvera la Corse ! Cela pourrait ouvrir la boîte de Pandore, avec la revendication de nombreux territoires qui se diraient "spécifiques", comme l’Alsace, la Bretagne, le Pays Basque, etc.


2. Contenu des projets de loi organique et ordinaire

Comme je l’ai signalé, le projet de loi ordinaire (mode de srutin) pourrait se passer éventuellement du soutien d’autres groupes que ceux de la majorité (LREM et MoDem), puisque l’Assemblée Nationale aura le dernier mot. Pour le projet de loi organique (réduction du nombre des parlementaires, limitation des mandats dans le temps), le soutien des sénateurs LR est indispensable.

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Ces deux projets concernent les trois mesures déjà annoncées au cours de la campagne présidentielle de 2017.


2.1. Nombre des parlementaires

La mesure est : « une réduction de 30% du nombre de députés et de sénateurs dans des conditions qui garantissent la représentation de tous les départements et territoires ». Cela signifierait concrètement une suppression de 173 députés sur 577, ce qui ferait 404 députés (ou 405). Cela me paraît très faible pour un grand pays comme la France qui a besoin de beaucoup de compétences pour remplir scrupuleusement ses missions de législateur et de contrôleur (Royaume Uni : 650 ; Allemagne : 709 ; Italie : 630). Cela signifierait aussi que beaucoup de départements à faible densité seraient représentés par un seul député. Quant aux sénateurs, cela signifierait la suppression de 104 sénateurs sur 348, ce qui ferait 244 en tout (ou 245). Là encore, ce serait très faible (2 sénateurs par département en moyenne, qui, à une certaine époque, était le seuil minimal de représentativité).

Mon avis : j’aurais préconisé une réduction, certes, mais pas d’une telle ampleur, juste pour revenir à la situation d’avant le 10 juillet 1985, à savoir 491 sièges à l’Assemblée Nationale, et une réduction  équivalente pour le Sénat, à savoir réduire à 295 sièges. Rappelons aussi qu’il vaut mieux maintenir un nombre impair dans une assemblée pour définir une majorité absolue dans un sens ou dans un autre. Je reviendrai certainement sur cette question.


2.2. Mode de scrutin de l’élection des députés

La mesure est : « l’introduction d’une dose de représentation proportionnelle aux élections législatives pour 15% des sièges de députés à pourvoir ». Prenons donc la calculatrice : cela signifierait 61 députés élus à la proportionnelle. Alors, dans quel cadre serait cette proportionnelle ? Forcément dans le cadre national, c’est-à-dire le pire qui va renforcer l’émiettement du paysage politique (c’est peut-être ce que recherche Emmanuel Macron ?).

Mon avis : comme je l’ai déjà expliqué, je suis résolument opposé au scrutin proportionnel. Les dernières expériences européennes montrent que, même dans un système mixte (majoritaire et proportionnel), c’est la catastrophe pour trouver une majorité et former un gouvernement stable.

Le seul avantage énoncé, c’est une meilleure représentation de la classe politique au Parlement, mais en fait, les élections législatives de juin 2017 ont montré que toutes les forces politiques étaient représentées à l’Assemblée Nationale avec le scrutin majoritaire, même les partis les plus extrémistes comme FN et FI. En revanche, l’éclatement du paysage politique rendrait plus incertaine la constitution de majorité à l’avenir, ce serait une faute historique majeure et irréversible.

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Un autre inconvénient important dans l’égalité des députés, c’est qu’il y aurait des députés de deux types, ceux élus sur leur seul nom au mérite, et les autres, à la proportionnelle, dont le seul mérite a été de se placer en haut de la liste de leur parti (notons que cette inégalité d’élection a déjà lieu pour les sénateurs).

Cette dose de proportionnelle, ce serait le retour au régime des partis, ou plutôt, son renforcement puisque depuis François Mitterrand, le régime des partis avait déjà repris belle place. L’ancien ministre Christian Jacob, président du groupe LR à l’Assemblée Nationale, a résumé sagement, le 4 avril 2018, la position de son groupe : « La bonne dose de proportionnelle, c’est 0% ! ».


2.3. Cumul des mandats dans le temps

La mesure est : « l’interdiction du cumul des mandats dans le temps, au-delà de trois mandats identiques, complets et consécutifs, sauf pour les maires des communes de moins de 9 000 habitants ». Pourquoi cette exception ? (Négociations avec Gérard Larcher ?). Pourquoi cette interdiction ? S’appliquerait-elle aux élus déjà sortants ou le premier mandat serait-il comptabilisé seulement à partir de l’application de cette réforme ? (A priori, cela ne s'appliqurait donc qu'à partir de 2030 et même au-delà). La mesure s’appliquerait-elle au mandat présidentiel, auquel cas cela permettrait de rallonger d’un mandat supplémentaire (quinze ans) par rapport à l’existant ? (A priori, non, même si le sénateur proche macroniste François Patriat avait plaisanté sur le sujet).

Mon avis : je suis opposé à la limitation du cumul dans le temps car c’est retirer une part de la liberté de vote des électeurs qui, en démocratie, devraient faire ce qu’ils veulent. Un pouvoir central préférera toujours avoir en face de lui des contre-pouvoirs, des élus d’opposition qui soient le moins expérimentés possible… Je reviendrai probablement sur cette mesure.


Absence de philosophie générale de la réforme

Les mesures proposées par cette réforme des institutions sont soit ultra-techniques et plutôt admissibles car ce sont des adaptations mineures à la vie politique d’aujourd’hui, soit un retour d’ascenseur au soutien conditionnel de François Bayrou le 22 février 2017 qui va engendrer un gros risque de renforcer le régime des partis et le discrédit qui pèse déjà aujourd’hui sur la classe politique.

En revanche, je ne vois pas en quoi cette réforme contribuerait, comme l’a conclu Édouard Philippe, « à rénover profondément la vie politique et parlementaire dans un triple souci de responsabilité, de représentativité et d’efficacité ». Il est malheureux que ce soit par un homme originairement gaulliste (issu du RPR) et doté d’une certaine sagesse, d’une réelle pondération et d’un esprit réfléchi que les institutions du Général De Gaulle poursuivraient leur délitement progressif…

Je reviendrai, bien entendu, sur l’évolution de la réforme dans les semaines ou mois qui viennent.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 avril 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Allocution du Premier Ministre Édouard Philippe le 4 avril 2018 à Matignon (à télécharger).
La réforme des institutions du Président Macron (1) : les grandes lignes.
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Protégeons la Ve République.
Le retour aux listes nationales aux élections européennes (2 décembre 2017).
Moraliser la vie politique ?
Suicide à la proportionnelle intégrale.
Cumul des mandats.
Réforme des modes de scrutins locaux.
Réforme territoriale.
Le serpent de mer.
Le vote électronique.
Le vote obligatoire.
Non aux campagnes participatives !
Le mode de scrutin des élections européennes (4 février 2013).
Le mode de scrutin des élections législatives.
Sommes-nous dans une dictature ?
Le 49 alinéa 3.
Redécoupage électoral en décembre 2009.
Faut-il supprimer l’élection présidentielle au suffrage universel direct ?
50 ans de Ve République (en 2008).
160 ans d’élection présidentielle (en 2008).
10 ans de quinquennat (en 2010).
La cohabitation.
La révision du 23 juillet 2008.
Les nominations présidentielles.
Quelques idées reçues sur le gaullisme.
Autorité et liberté.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180404-reforme-institutions-aa.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/reforme-macron-des-institutions-1-203080

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/04/06/36295068.html



 

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4 avril 2018 3 04 /04 /avril /2018 18:16

Le Premier Ministre Édouard Philippe a présenté les grandes lignes de la réforme des institutions le 4 avril 2018 à 17 heures à Matignon au cours d'une allocution à la presse dont le texte intégral est accessible à tous.

Cliquer sur le lien pour télécharger le discours (fichier .pdf) :
http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2018/04/discours_de_m._edouard_philippe_premier_ministre_-_reforme_des_institutions_-_mercredi_4_avril_2018.pdf

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180404-reforme-institutions-aa.html

SR (04 avril 2018)

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20180404-allocution-edouard-philippe-institutions.html



 

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3 avril 2018 2 03 /04 /avril /2018 03:17

« La représentation proportionnelle est un système évidemment raisonnable et évidemment juste ; seulement, partout où on l'a essayée, elle a produit des effets imprévus et tout à fait funestes, par la formation d'une poussière de partis, dont chacun est sans force pour gouverner, mais très puissant pour empêcher. C'est ainsi que la politique devint un jeu des politiques. » (Alain, "Propos", le 1er septembre 1934).


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Depuis une douzaine d’années, tous les nouveaux Présidents de la République veulent réformer les institutions. C’est une lubie présidentielle très française, le bon vouloir du prince : on aime changer les règles du jeu quand on est maître du jeu. C’est le pays aux neuf Constitutions au XIXe siècle ! Chacun veut ainsi y aller de son petit caprice. C’est une erreur de céder à cette tentation de vouloir modifier les institutions. Comme tout, elles ne sont pas parfaites et pourraient toujours être perfectibles. C’est une erreur surtout dans la situation de crise sociale et économique que connaissent de nombreux citoyens (précarité, chômage, etc.) pour qui 50 euros, c’est beaucoup.

Nicolas Sarkozy voulait américaniser les institutions (à la suite du rapport d’Édouard Balladur remis le 29 octobre 2007), et il est clair que ses prédécesseurs voudraient poursuivre. François Hollande n’a pas pu convaincre une majorité des trois cinquièmes des parlementaires et a finalement renoncé après avoir demandé le 16 juillet 2002 à Lionel Jospin de préparer une réforme (rapport remis le 9 novembre 2012). Emmanuel Macron, lui aussi, voudrait révolutionner les institutions avec cette idée qu’avant lui, c’était la nuit et qu’avec lui, le jour des nouvelles pratiques arriverait. Plus que de l’orgueil voire de la vanité, j’oserais dire que c’est plutôt de la naïveté qui s’est exprimée durant sa campagne présidentielle, celle de l’inexpérimenté qui redécouvre le monde.

Certaines rumeurs bruissent sur la volonté du Président d’organiser un référendum. En pleine panade sociale (SCNF, Air France, éboueurs, EDF, etc.), vouloir tout réformer en même temps engendre un grand risque politique. La boulimie entraîne souvent l’overdose. Principe des embouteillages parisiens (particulièrement nombreux ce matin du mardi 3 avril 2018). Le risque d’un référendum, c’est d’ailleurs que les électeurs ne répondent pas à la question posée, mais à un sondage de popularité de celui qui pose la question.

Il semblerait aussi que le 30 mars 2018, un accord aurait été conclu entre le Président de la République Emmanuel Macron, le Premier Ministre Édouard Philippe, le Président du Sénat Gérard Larcher et le Président de l’Assemblée Nationale François de Rugy. Ainsi, le projet du gouvernement va probablement être présenté cette première semaine d’avril 2018.

Rappelons que pour réviser la Constitution, il faut que chaque assemblée adopte le projet en termes identiques, puis que les deux assemblées constituant le Parlement réunion en Congrès, à Versailles, l’adopte à la majorité des trois cinquièmes. Le parti présidentiel LREM n’a pas cette majorité et a besoin d’un accord avec Les Républicains du Sénat (c’est-à-dire avec Gérard Larcher, et avec Laurent Wauquiez). L’autre méthode pour réviser la Constitution, ce serait d’éviter le Congrès pour soumettre le projet directement au peuple français (ce qui oblige cependant d’avoir quand même l’approbation des deux assemblées, sauf lorsqu’on s’appelle De Gaulle).

Trois mesures seraient proposées : l’introduction de la proportionnelle pour l’élection des députés, la réduction du nombre de parlementaires et la limitation de leurs mandats dans le temps.

Je ne suis pas convaincu que la réduction du nombre des parlementaires, sans forcément être en opposition frontale avec cette mesure, aurait pour effet une augmentation du pouvoir des parlementaires. J’aurais même tendance à penser le contraire. Car le rôle moderne des parlementaires que la France a du mal à encourager, c’est la fonction de contrôle, d’autant plus que sa fonction de législateur est souvent "préemptée" par le gouvernement. Il faudrait au contraire multiplier les rapports, les missions de contrôle sur l’action gouvernementale. Réduire le nombre de parlementaires forcément réduirait la capacité de contrôle du Parlement. C’est typiquement le genre de mesure démagogique qui renforce l’antiparlementarisme.

Quant à la limitation des mandats dans le temps, là encore, cela va réduire l’influence des parlementaires. C’est souvent les parlementaires les plus expérimentés, les plus chevronnés qui comprennent le mieux les rouages de l’État et ont une meilleure vision de la procédure législative et de l’écriture des textes législatifs. Empêcher ce niveau d’expertise parlementaire, c’est donner plus de pouvoir au gouvernement et à la machine administrative. Ce n’est sûrement pas moraliser la vie politique. D’autant plus qu’en démocratie, ce sont les électeurs qui doivent décider et s’ils veulent réélire leurs députés, par quel principe vaseux devrait-on les en empêcher ?

Cela dit, je reviendrai probablement à ce sujet lorsque le projet du gouvernement sera connu. Mon article ici concerne l’unique réforme du mode de scrutin pour l’élection des députés.

Précisons avant tout, sur le plan juridique, que le mode de scrutin ne nécessite (malheureusement) pas une révision constitutionnelle et une simple loi (organique) suffit : François Mitterrand avait réussi à faire adopter la "proportionnelle intégrale" par la loi organique n°85-688 du 10 juillet 1985 pour les élections législatives du 16 mars 1986 malgré l’opposition frontale du Sénat tenu majoritairement par le centre droit (ce qui avait valu le 4 avril 1985 la démission du Ministre de l'Agriculture Michel Rocard du gouvernement de Laurent Fabius). Rappelons d’ailleurs que François Mitterrand avait utilisé la procédure d’urgence pour faire adopter "d’urgence" cette réforme par les députés le 26 avril 1985, rejetée par les sénateurs le 31 mai 1985, adoptée de nouveau par les députés le 13 juin 1985, rejetée de nouveau par les sénateurs le 25 juin 1985 et finalement adoptée en troisième lecture par les députés le 26 juin 1985 sans le consentement des sénateurs.

Donc, avec sa majorité pléthorique au Palais-Bourbon, Emmanuel Macron est complètement libre de choisir le mode de scrutin des prochaines élections législatives prévues en juin 2022 (ou avant en cas de dissolution). Sans l’accord des sénateurs, et donc, sans l’accord de Les Républicains. On imagine donc le "deal" entre Emmanuel Macron et Gérard Larcher sur la révision des institutions : Les Républicains acceptant certaines mesures pour lesquelles ils étaient réticents pour influer sur le mode de scrutin des législatives (sur lequel, je le répète, ils n’ont aujourd’hui aucun levier d’influence). Il serait toujours étonnant que le Président s’ôte la faculté de bénéficier d’une majorité pléthorique à l’Assemblée Nationale, sauf dans le cas où la défaite serait certaine (ce qui fut le cas pour François Mitterrand en 1986).

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Ce n’est pas un secret que je suis contre tout scrutin proportionnel pour l’élection des députés, quelle que soit la "dose" qu’on voudrait y mettre (rien que parler de "dose" montre l’idée des combines et des manœuvres politiciennes). C’est l’objet de mon article, apporter des arguments pour rappeler les « effets funestes » du scrutin proportionnel.


1. À quoi servent les élections législatives : représentativité ou efficacité ?

C’est le premier point que je veux aborder. À quoi cela sert-il d’élire des députés ? À faire la loi. Et surtout, contrôler le gouvernement. Et donc, aussi, à soutenir un gouvernement et avant tout, une vision politique nationale si possible cohérente. La logique proportionnelle et la logique majoritaire sont donc issues de deux logiques de la démocratie représentative.

Le scrutin proportionnel est, comme le rappelle le philosophe Alain le 1er septembre 1934, un « système évidemment raisonnable et évidemment juste ». Il tente de reproduire dans l’hémicycle la diversité des opinions politiques de la population (en tout cas, de l’électorat qui s’exprime). Cela donne une photographie idéologique incomparable, mais qui, par ces temps difficiles où les tendances politiques sont éclatées dans une sorte de kaléidoscope compliqué, produit des effets inextricables. Une telle assemblée représentative n’aurait aucune capacité à trouver une majorité pour soutenir un gouvernement cohérent. Ce serait l’enlisement, ce qui a été largement prouvé en France par la IVe République.

Prenons néanmoins l’unique exemple sous la Ve République, voulu par le combinard en chef, François Mitterrand pour les élections législatives du 16 mars 1986. Son objectif était d’empêcher l’opposition UDF-RPR d’obtenir la majorité absolue des sièges en favorisant l’élection de députés FN. Résultat : effectivement, le FN a réussi à gagner 35 sièges, mais la défaite de la gauche fut telle (représentant 41,2% des voix) que l’objectif politique n’a pas été atteint, mais il a failli être atteint. La coalition UDF-RPR n’a obtenu en effet que 286 sièges sur 577 (trois de moins que la majorité absolue) mais quelques députés NI (non inscrits) ont apporté leur soutien au futur gouvernement de Jacques Chirac.

Il faut bien comprendre que dans cet exemple, l’époque bénéficiait d’un paysage politique beaucoup moins éclaté qu’aujourd’hui. Le score de la coalition UDF-RPR (dès le premier et seul tour) fut de 41,0% le 16 mars 1986. Même le parti La République En Marche, pourtant dopé par la (grande) victoire d’Emmanuel Macron (66,1%), a obtenu moins le 11 juin 2017 : seulement 28,2% (32,3% avec ses alliés du MoDem).

Le scrutin majoritaire a un objectif clair : on élit une Assemblée Nationale pour permettre au pays d’être gouverné. Il faut donc un système qui permette de dégager une majorité claire, forcément au détriment d’une représentation "juste". Il faut bien sûr que le système soit le moins "injuste" possible. C’est pour cela qu’il faut que chaque député puisse représenter à peu près le même nombre d’électeurs (notons que ce n’est pas du tout le cas aux États-Unis en raison de leur structure fédérale). Cela nécessite donc une remise en cause régulière du "découpage électoral" des circonscriptions (la dernière fois était en décembre 2009). Je préconise la constitutionnalisation du scrutin uninominal majoritaire à deux tours avec la mise en place d’une commission spéciale chargée des redécoupages en fonction de l’évolution de la population (afin d’éviter toute manœuvre électorale dans le redécoupage).

Néanmoins, il y a eu un contre-exemple sur l’équivalence scrutin majoritaire et majorité absolue à l’Assemblée Nationale. L’assemblée issue des élections législatives des 5 et 12 juin 1988 n’a pas donné de majorité absolue. Juste après la réélection de François Mitterrand qui a dissout l’Assemblée Nationale, ce dernier s’est retrouvé avec le seul PS (et alliés radicaux de gauche) comme parti de gouvernement, après l’éclatement en juillet 1984 de son alliance avec les communistes. Résultats, le gouvernement de Michel Rocard n’a bénéficié que d’une majorité relative de 275 députés socialistes sur 577 avec la bienveillance tantôt des 25 députés communistes (qui ont pu constituer un groupe grâce aux socialistes ; avant 1988, il fallait au moins 30 députés pour former un groupe parlementaire), tantôt des 41 députés centristes de l’UDC (prêts à aider Michel Rocard dans certaines réformes).

Cette absence de majorité absolue était surtout le résultat d’une décision politique (rupture d’une alliance gouvernementale PS-PCF) mais pas du scrutin majoritaire qui, au contraire, a apporté une majorité absolue PS-PCF (300 sièges sur 577). Au second tour, des candidats socialistes ont été soutenus par les communistes et des candidats communistes ont été soutenus par les socialistes, dans le cadre d’une "discipline républicaine" d’alliance électorale tacite. Cette majorité issue du levier majoritaire s’est donc bien traduit électoralement, mais pas sur le plan politique.

Pour résumer, il vaut mieux une majorité écrasante que pas de majorité du tout.


2. Les citoyens contre les partis

On comprend pourquoi beaucoup de partis politiques voudraient le retour du scrutin proportionnel : parce qu’ils maîtriseraient beaucoup plus la personnalité de leurs élus. En effet, avec un scrutin majoritaire, "n’importe qui" peut se faire élire dans sa circonscription si ses électeurs adhèrent à sa campagne, même les "dissidents" des partis, les électrons libres, les atypiques, etc. Avec la proportionnelle, ce serait impossible sans le consentement des chefs de parti. Les candidats élus auraient été désignés en tête de liste par leur parti respectif. Les électeurs n’auraient comme seul véritable pouvoir que de choisir ceux qui seraient élus en queue de liste. Les têtes de liste seraient nécessairement élues, si leur parti avait un minimum d’audience électorale. Tout serait alors déjà prédéterminé avant le scrutin, pas la tendance politique de fond, mais les premiers candidats élus. Cela donnerait un pouvoir immense aux partis politiques et à leurs combines. Le contraire d’une moralisation de la vie politique. Les candidats élus n’auraient aucune autonomie personnelle car ils sauraient que leur réélection dépendrait de leur fidélité à leur parti.

Au contraire, le scrutin majoritaire apporte une meilleure respiration démocratique. Ainsi, un responsable politique majeur peut être battu avec le scrutin majoritaire, jamais avec le scrutin proportionnel. Les exemples sont nombreux : Pierre Mendès France en novembre 1958, François Mitterrand en novembre 1958, Lionel Jospin en mars 1993, Michel Rocard en mars 1993, Alain Juppé en juin 2007, etc.

De plus, l’absence de "territoire de l’élu" (circonscription) renforce le fossé entre l’élu et ses électeurs, incapables même de connaître le nom et encore moins l’action de leurs élus. On le voit bien pour les élections européennes. Le scrutin majoritaire est, au contraire, un scrutin de proximité où les candidats doivent gagner chaque voix en allant à la rencontre de leurs électeurs.


3. Renouveler la vie politique ?

On donne aussi comme argument en faveur de la proportionnelle la possibilité d’un renouvellement des partis politiques. La réalité est le contraire. Les nouveaux partis ont du mal à se faire entendre au scrutin proportionnel. L’exception du FN, c’est au contraire que son caractère extrémiste empêche toute stratégie majoritaire d’alliance au second tour. Les élections régionales au scrutin "semi-majoritaire" de décembre 2015 l’ont montré : leur incapacité à réunir plus de 50% des voix au second tour (à cause d’un rejet de l’électorat plus fort que pour d’autre parti) l’a défavorisé dans ce genre de scrutin.

Néanmoins, le scrutin majoritaire n’a pas empêché l’élection de 8 députés FN le 18 juin 2017, au même titre qu’il n’a pas empêché l’élection de 17 députés FI qui ont pu former un groupe parlementaire (le seuil minimum étant de 15 députés depuis 2009, après la promesse faite par Nicolas Sarkozy au sénateur Jean-Michel Baylet pour que ce dernier votât sa révision constitutionnelle). FI était pourtant un parti à peine plus ancien que LREM.

Ce fut Emmanuel Macron qui a apporté la preuve éclatante de la grande pertinence démocratique tant des institutions de la Ve République que du mode de scrutin majoritaire des élections législatives. Il a prouvé le 18 juin 2017 qu’un parti politique inexistant dix-huit mois avant les élections, tant en structure formelle qu’en tradition philosophique, pouvait non seulement faire élire son candidat à la Présidence de la République mais également gagner la majorité absolue des sièges à l’Assemblée Nationale. Jamais un scrutin proportionnel n’aurait permis une telle possibilité de renouvellement à l’Assemblée Nationale.


4. Contradiction entre réduire le nombre de députés et introduire de la proportionnelle

L’objectif du scrutin proportionnel est d’avoir une meilleure représentativité des forces politiques en présence. Cette représentativité est donc d’autant plus fine, d’autant plus juste qu’il y a beaucoup de sièges à pourvoir. Avec 577 sièges, un siège représente, au niveau national, 0,17% (1/577). Plus il y a de sièges, plus cette représentation sera précise (par exemple 0,10% pour 1 000 sièges) et permettra une représentation encore plus exacte de la réalité politique (cela si l’on considère une proportionnelle intégrale sans seuil).

D’ailleurs, adepte des combines et des manœuvres, François Mitterrand avait ajouté 86 sièges aux 491 existant le 10 juillet 1985 lorsqu’il a imposé le scrutin proportionnel pour les élections législatives du 16 mars 1986. Étrangement, le gouvernement de Jacques Chirac a supprimé très rapidement le scrutin proportionnel par ordonnance et avec le 49 alinéa 3 (loi n°86-825 du 11 juillet 1986 relative à l’élection des députés et autorisant le gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales) mais pas le surnombre des sièges (correspondant  à 15% du nombre actuel des sièges : les supprimer serait donc sage, mais en supprimer beaucoup plus ?).

Le risque, pointé du doigt par Les Républicains, c’est que réduire énormément le nombre de députés élus au scrutin majoritaire aurait pour effet que leur circonscription serait bien trop étendue voire représenterait un ou même plus d’un département (si l’on voulait préserver l’équité entre citoyens, même nombre d’électeurs par circonscription).


5. La proportionnelle va à l’encontre de la moralisation de la vie politique

Moraliser la vie politique, c’est permettre des choix démocratiques clairs : un programme clairement défini, choisi par les électeurs et appliqué par leurs élus. Or, comme je l’ai écrit plus haut, le scrutin proportionnel dans un paysage éclaté empêcherait toute majorité absolue "naturelle", c’est-à-dire voulue par les électeurs.

Cela entraînerait deux options : l’option ingouvernabilité, ce qui serait une catastrophe quand tant de choses sont à transformer en France ; l’option combinaisons, dans le plus pur style délices et poisons de la IVe République, où des partis non alliés devant les électeurs se retrouveraient dans l’obligation de s’allier à l’Assemblée Nationale pour soutenir un gouvernement fade qui ne ferait pas grand chose puisque dépendant de forces antagonistes.

La proportionnelle représenterait donc plutôt la démoralisation de la vie politique.

Reprenons l’exemple du scrutin du 16 mars 1986. Les proches de François Mitterrand (cités par "Le Figaro" du 20 février 2012 à partir d’un documentaire télévisé) ont depuis longtemps avoué la manœuvre politicienne de l’ancien Président pour favoriser le parti de Jean-Marie Le Pen. Lionel Jospin (à l’époque premier secrétaire du PS) : « La droite allait l’emporter et la proportionnelle a été un scrutin fait pour freiner et empêcher la droite d’avoir une écrasante majorité à l’Assemblée Nationale. ». Roland Dumas (qui était Ministre des Affaires étrangères) a confirmé : « Est-ce que le Front national était dangereux ? Non. Il ne pouvait pas prétendre à autre chose qu’à un bavardage politique. ». Belle morale politique, ils avaient, ces socialistes !


6. Alliances contre-nature

Au-delà des combinaisons dont n’ont pas accès les électeurs qui pourraient se sentir floués sinon trahis, le scrutin proportionnel renforcerait le populisme et les surenchères démagogiques. On le voit dans certains pays, la plupart des partis gouvernementaux, qui sont modérés car basés sur le réalisme, doivent faire des alliances contre-nature avec des partis extrémistes pour avoir le soutien d’une majorité absolue de députés. Cela hystérise la vie politique.


7. Les leçons européennes et même d’au-delà

L’actualité récente permet de voir l’horreur politique du scrutin proportionnel, même lorsqu’il n’est que partiel puisqu’il s’agit pour les deux premiers exemples d’un scrutin mixte proportionnel/majoritaire.

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L’Allemagne vient seulement d’investir son nouveau gouvernement. Angela Merkel, Chancelière allemande depuis le 22 novembre 2005, a mis presque six mois pour négocier un accord de gouvernement (entre les élections fédérales le 24 septembre 2017 et son investiture le 14 mars 2018). Et cet accord s’est fait sur le dos des électeurs : le SPD de Martin Schulz avait fait campagne contre toute reconduction de la GroKo (la grande coalition CDU/SPD) et ses électeurs peuvent donc être mécontents que le SPD se retrouve encore maintenant dans la grande coalition. Par ailleurs, la proportionnelle (pourtant seulement partielle) a envoyé au Bundestag 94 députés de l’AfD dont la campagne était manifestement extrémiste. Notons que les Allemands ont élu 709 députés, ce qui est nettement plus que les Français.

Un autre pays a montré aussi les dangers du scrutin proportionnel (dans un paysage politique éclaté) : l’Italie dont les élections générales du 4 mars 2018 l’a rendue ingouvernable, là aussi avec plus de députés qu’en France (630). Comme en Allemagne et d’une complexité autre mais équivalente à celui en Allemagne, le scrutin est mixte majoritaire/proportionnel (loi n°165 du 3 novembre 2017, dite Rosatellum bis). Trois blocs ou alliances se sont retrouvés sans majorité absolue : le M5S mené par Luigi Di Maio avec 222 sièges sur 630, la coalition de droite (Forza Italia/Lega) menée par Matteo Salvini et Silvio Berlusconi avec 263 sièges sur 630 et le Parti démocrate mené par Matteo Renzi avec 122 sièges sur 630. Le 5 mars 2018, Matteo Renzi (qui lui-même a été battu dans sa circonscription et a démissionné de la présidence du parti démocrate) a annoncé que le Parti démocrate serait dans l’opposition dans tous les cas. Le 6 mars 2018, Matteo Salvini a déclaré que son parti (La Ligue du Nord) ne ferait jamais de coalition avec le M5S. Il y a donc peu de chance pour qu’une majorité puisse être formée dans cette configuration.

Ce ne sont pas les seuls pays du monde qui sont dans des positions difficiles de gouvernement à cause de leur scrutin proportionnel.

En Espagne, les élections générales du 26 juin 2016, qui ont été anticipées car les élections précédentes du 20 décembre 2015 n’avait permis de dégager aucune majorité gouvernementale, ont abouti, là encore, à une confusion importante. Le mode de scrutin est proportionnel intégral comme en Belgique et en Israël. Cela a abouti à une assemblée (le Congrès des députés, chambre basse des Cortes Générales) très éclatée : le Parti populaire de Mariano Rajoy, au pouvoir depuis les élections générale du 20 novembre 2011, a obtenu 137 sièges sur 350 (33,0% des voix), le PSOE (socialistes) de Pedro Sanchez 85 sièges (22,6% des voix), Unidos Podemos de Pablo Iglesias 71 sièges (21,2% des voix) et Ciudadanos (centristes) d’Albert Rivera 32 sièges (13,1%), les autres sièges étant répartis sur des listes régionalistes (principalement catalanes et basques). Il a fallu dix mois pour résoudre cette crise (à partir de décembre 2015) : Javier Fernandez, dirigeant provisoire du PSOE, a donné son accord le 23 octobre 2016 pour soutenir le nouveau gouvernement (après le refus du PSOE d’être dans une grande coalition). Mariano Rajoy a été reconduit Président du gouvernement le 31 octobre 2016 (il l’était depuis le 21 décembre 2011), investi le 29 octobre 2016 à la majorité relative (170 pour, 111 contre et 68 abstentions).

En Israël aussi, la situation électorale est généralement confuse à cause de la proportionnelle qui donne une influence politique disproportionnée aux petits partis religieux, généralement extrémistes. Ainsi, aux dernières élections législatives du 17 mars 2015, le Likoud mené par Benyamin Netanyahou a obtenu 30 sièges sur 120 (23,4% des voix), ce qui était très loin de la majorité absolue, les travaillistes et centristes (Union sioniste) ont obtenu 24 sièges (18,7% des voix), l’extrême gauche et minorité arabe (Liste unifiée) 13 sièges (10,6% des voix), le centre laïc (Yesh Atid) 11 sièges (8,8% des voix), le centre Koulanou 10 sièges (7,5% le des voix), la droite religieuse 8 sièges (6,7% des voix), les ultra-orthodoxes séfarades (Shas) 7 sièges (5,7% des voix), la droite populiste d’Avigdor Liberman 6 sièges (5,1% des voix), les ultra-orthodoxes ashkénazes 6 sièges (5,0% des voix) et la gauche pacifiste 5 sièges (3,9% des voix). Benyamin Netanyahou, Premier Ministre du 18 juin 1996 au 6 juillet 1999 et depuis le 31 mars 2009, a mis quarante jours pour constituer une majorité avec les ultra-orthodoxes, la droite religieuse et les centristes de Koulanou pour atteindre 61 sièges sur 120. Il a ainsi été reconduit le 14 mai 2015. Et le mode de scrutin a été légèrement modifié le 11 mars 2014 en surélevant le seuil électoral de 2,00% à 3,25% ; avant 2014, c’était donc "pire".


Ne pas bouleverser les équilibres institutionnels toujours fragiles

La France jouit d’institutions à la fois démocratiques et efficaces, et Emmanuel Macron aurait d’ailleurs l’intention de célébrer leur soixantième anniversaire le 4 octobre 2018 avec une certaine solennité. C’est peut-être les seuls bases qui fonctionnent bien en France : pouvoir avoir un gouvernement capable d’agir tout en étant issu du peuple. Il est donc essentiel que, dans la recherche toujours ténue d’une perfection institutionnelle qui n’existera jamais de toute façon, on modifie le moins possible les équilibres. Les véritables carences résident dans les pratiques et pas dans les institutions. Ce sont les acteurs qui doivent veiller à leur moralité.

J’avais expliqué que la proportionnelle me paraissait plutôt pertinente pour le scrutin des élections européennes parce que l’objectif de ce scrutin est justement plus dans la représentativité des peuples européens (avec deux clivages : politiques mais aussi nationaux) que dans la recherche d’une majorité absolue pour soutenir un éventuel gouvernement européen (je rappelle que chaque pays européen a gardé sa souveraineté nationale et qu’il est dirigé avant tout par son gouvernement national).

En revanche, l’adoption de la représentation proportionnelle, même partielle, appliquée à l’élections des députés me paraîtrait une véritable faute historique dans la situation actuelle où toute transformation institutionnelle peut mécaniquement devenir irréversible. J’avais été parmi les très rares Français à m’être opposé au principe du quinquennat (moins de 6,8% des inscrits ont voté contre le quinquennat au référendum du 24 septembre 2000 !). Pourtant, la réforme n’a pas seulement réduit la durée du mandat du Président de la République. Elle a renforcé (comme l’avait d’ailleurs souhaité le Président Georges Pompidou) le pouvoir politique du Président en renforçant le lien d’allégeance entre lui et les députés de la majorité élus désormais seulement dans l’élan de l’élection présidentielle. Or, personne ne pourrait politiquement revenir sur cette durée.

Comme disait Pierre Mazeaud, alors Président du Conseil Constitutionnel, le 3 janvier 2006 : « Ne touchons que d’une main tremblante à des institutions qui sont le socle de la République ! ». Tremblons avant d’être paralysés !…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 avril 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Protégeons la Ve République.
Le retour aux listes nationales aux élections européennes (2 décembre 2017).
Suicide à la proportionnelle intégrale.
Mode de scrutin des élections allemandes.
Mode de scrutin des élections britanniques.
Cumul des mandats.
Réforme des modes de scrutins locaux.
Réforme territoriale.
Le serpent de mer.
Le vote électronique.
Le vote obligatoire.
Non aux campagnes participatives !
Le mode de scrutin des élections européennes (4 février 2013).
Le mode de scrutin des élections législatives.
Élections législatives allemandes du 24 septembre 2017.
Élections législatives autrichiennes du 15 octobre 2017.
Élections législatives italiennes du 4 mars 2018.
Élections législatives israéliennes du 17 mars 2015.
Sommes-nous dans une dictature ?
Le 49 alinéa 3.
Redécoupage électoral en décembre 2009.
Faut-il supprimer l’élection présidentielle au suffrage universel direct ?
50 ans de Ve République (en 2008).
160 ans d’élection présidentielle (en 2008).
10 ans de quinquennat (en 2010).
La cohabitation.
La révision du 23 juillet 2008.
Les nominations présidentielles.
Quelques idées reçues sur le gaullisme.
Autorité et liberté.

_yartiProportionnelle2017A04



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180403-proportionnelle.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-effets-funestes-de-la-203008

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/04/04/36289068.html



 

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