« - Le Président de la République peut, après consultation du Premier Ministre et des Présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée Nationale.
- Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.
- L'Assemblée Nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours.
- Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections. »
(Article 12 de la Constitution).
Par l'observation continue des scrutins de la Cinquième République, je pressentais bien qu'il y aurait, comme dans tous les scrutins, une surprise. La surprise de ces européennes, c'est qu'en gros, les résultats sont cohérents avec ce que donnaient les derniers sondages, je les commenterai donc, mais plus tard, dans un autre article. La surprise et la sidération ne viennent pas de ces résultats finalement attendus, mais de la réaction très rapide, trop rapide ?, du Président, au cours d'une courte allocution télévisée à 21 heures, celle de dissoudre l'Assemblée Nationale et d'organiser de nouvelles élections législatives dès le 30 juin 2024 pour le premier tour et le 7 juillet 2024 pour le second tour.
Après avoir constaté la défaite de son camp et la victoire des populistes, Emmanuel Macron a déclaré en effet : « Pour moi, qui ai toujours considéré qu'une Europe unie, forte, indépendante est bonne pour la France, c'est une situation à laquelle je ne peux me résoudre. La montée des nationalistes, des démagogues, est un danger pour notre nation, mais aussi pour notre Europe, pour la place de la France en Europe et dans le monde. (…) Oui, l'extrême droite est à la fois l'appauvrissement des Français et le déclassement de notre pays. Je ne saurais donc, à l'issue de cette journée, faire comme si de rien n'était. À cette situation s'ajoute une fièvre qui s'est emparée ces dernières années du débat public et parlementaire dans notre pays, un désordre qui, je le sais, vous inquiète, parfois vous choque, et auquel je n'entends rien céder. Or, aujourd'hui, les défis qui se présentent à nous, qu'il s'agisse des dangers extérieurs, du dérèglement climatique et de ses conséquences, ou des menaces à notre propre cohésion, ces défis exigent la clarté dans nos débats, l'ambition pour le pays et le respect pour chaque Français. C'est pourquoi, après avoir procédé aux consultations prévues à l'article 12 de notre Constitution, j'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc ce soir l'Assemblée nationale. Je signerai dans quelques instants le décret de convocation des élections législatives qui se tiendront le 30 juin pour le premier tour et le 7 juillet pour le second. Cette décision est grave, lourde, mais c'est avant tout, un acte de confiance. ».
Comme je l'ai rappelé en début d'article, si l'agenda est serré (j'écrirais même dément pour les communes qui organiseront les deux scrutins !), il reste constitutionnel. L'article 12 de la Constitution dit entre vingt et quarante jours de la dissolution, et là, le Président a proposé vingt et un jours. Un record ! Évacuons quelques remarques préliminaires : comme dans le cas d'un référendum, le principe de retourner aux urnes est, en lui-même, un gage de démocratie, évidemment. Donner la parole au peuple est toujours un gaine de démocratie. Mais il est des décisions qui peuvent être désastreuses. Jouer avec le feu peut brûler.
Car la première image qui vient à l'esprit, c'est le Président qui offre sur un plateau d'argent le pouvoir au RN, pour deux à trois ans au moins. Comment a-t-il pu penser qu'en trois semaines, les Français changeraient radicalement de tendance électorale ? Au contraire, on a bien vu en 1981, 1988, 2002, 2007, 2012, 2017 et 2022 que les Français ont confirmé la tendance présidentielle aux législatives qui ont suivi, parfois en l'amplifiant, parfois en la freinant mais jamais en la désavouant. Or, on peut imaginer raisonnablement que la tendance ici, favorable au RN, serait amplifiée avec ces élections législatives anticipées. Il faut comprendre que le RN a infusé dans toutes les catégories de la population, âge, catégorie socioprofessionnelle, niveau d'études, etc. Et que son audience électorale remarquable provient d'un mouvement de fond, très profond, pas seulement des gilets jeunes, mais depuis quarante ans (septembre 1983 à Dreux) et, en outre, c'est un mouvement international qui touche pratiquement toute l'Europe (les élections britanniques du 4 juillet 2024 seront instructives) et même les États-Unis, l'Amérique du Sud, etc. (d'où la responsabilité d'Emmanuel Macron pas vraiment évidente).
Et le calendrier ! Quelle sottise ! Juste en fin d'année scolaire, quand les gens se préparent à leurs vacances (méritées). Juste avant les Jeux olympiques et paralympiques (bonjour la sécurité ! Sans compter que faire campagne dans un Paris à circulation impossible, cela pose quelques questions). Les week-ends de début d'été sont souvent très occupés pour les loisirs, seuls moments de détente après un printemps cette année particulièrement pluvieux. Manifestement, mais on le savait déjà, l'Élysée ne sent pas le pays.
Dès lors que la dissolution est considérée comme un coup politique, la colère n'en prendra que plus d'ampleur. Ceux qui ont contribué à cette décision auront, face à l'histoire, une bien grave responsabilité. Car imaginer que tout le monde, hors de l'extrême droite, va rejoindre la Macronie au nom d'un combat sur les valeurs morales, c'est perdu d'avance et on le savait depuis 2017. On ne combat pas l'extrême droite, d'autant plus que son emballage a l'air plaisant, avec des incantations moralisatrices dont les électeurs n'ont rien à faire. D'ailleurs, Éric Ciotti, le président de LR, a rapidement confirmé qu'il n'était pas question de faire alliance avec la majorité présidentielle. Quant au PS, il ne lorgne que vers les insoumis sur lesquels ils ont repris l'ascendant électoral (et montre au passage le visage qu'il a toujours eu depuis 2018). Eh puis, que penser d'un Président qui répond "chiche !" aux revendications de dissolution réclamées à grands cris par l'extrême droite ? Comment peut-on tomber dans un tel piège tout seul ? Suicide collective à la mode kamikaze ? C'est comme si on sautait dans le vide de peur d'y être poussé.
Cette dissolution du 9 juin 2024 a pour conséquence d'oublier encore un peu plus l'Europe, et le Parlement Européen, ce qui est franchement triste et décevant, surtout pour un Président si proche des partisans de la construction européenne. Elle a néanmoins quelques avantages non négligeables mais de court terme : interrompre l'examen du projet de loi sur l'euthanasie ; ne pas instaurer de proportionnelle aux législatives ; casser la concomitance présidentielle suivie des législatives depuis 2002 ; en finir avec cette Assemblée Nationale où régnait le désordre permanent (par le choc de deux extrêmes).
Quelles ont été les motivations réelles d'Emmanuel Macron ? Probablement que les historiens se pencheront dans quelques décennies sur cette question en séchant. S'il souhaitait lever l'hypothèque RN, il risquerait d'en avoir pour ses frais. Après tout, le Zentrum a bien cherché à lever l'hypothèque de la NSADP en 1933. Rappelons aussi qu'un parti à 30%, comme c'est le cas aujourd'hui avec le RN, c'est la capacité d'obtenir plus de 50% des députés... sauf véritable sursaut électoral.
Donner le pouvoir au RN pendant deux ou trois ans, sous contrôle présidentiel par une nouvelle cohabitation et éviter de perdre l'élection présidentielle. Maligne, Marie Le Pen s'est bien gardée de vouloir Matignon. Elle préfère laisser la responsabilité à Jordan Bardella dit Coquille vide, dont l'éventualité de l'échec n'impacterait pas sur l'avenir supposé présidentiel de Marine Le Pen. Mais qui dit qu'un gouvernement RN serait forcément impopulaire ? Le RN, astucieux, pourrait avoir tout le loisir, au contraire, de se rendre populaire en supprimant la limitation à 80 kilomètres par heure, le contrôle technique pour les motards, la fin des véhicules thermiques, et quelques autres mesures démagogiques et irresponsables qui soulageraient les Français inquiets par leurs libertés rognées de toute part.
Il ne faut pas non plus oublier que, comme en 1997, la dissolution oblige le Président de la République qui ne pourra pas dissoudre avant un an. Une configuration de cohabitation donnerait donc nécessairement un grand ascendant au RN s'il gagnait les législatives anticipées car ses députés seraient "indissolvables" pendant un an !
Cette dissolution du 9 juin 2024, qui restera dans les annales de la République, cela ne fait aucun doute, est la sixième depuis le début de la Cinquième République. Il est facile de se retourner en arrière pour imaginer l'avenir. Dans l'analyse, il faut éliminer les deux dissolutions prises juste après l'élection puis la réélection de François Mitterrand qui n'ont été que des confirmations sans surprise.
Sans doute que la première comparaison qui arrive à l'esprit est celle avec la dissolution du 21 avril 1997 faite par Jacques Chirac. Et le parallélisme est terrible. Des élections législatives devaient avoir lieu en mars 1998. Jacques Chirac bénéficiait d'une très large majorité depuis le début de son septennat, la plus large de tous les temps. Au début du printemps 1997, le principal parti d'opposition, le PS, avait désigné tous ses candidats aux législatives de l'année suivante, tandis que le RPR n'avait pas fait ce travail de fond. À la dissolution, le PS était prêt à se battre, le RPR était pris à l'improviste. En 2024, le RN est déjà prêt avec tous ses candidats dans les circonscriptions. La rapidité des élections fait que les négociations pour d'éventuelles alliances n'auront pas le temps d'aboutir. Et la majorité est-elle prête à concourir ? Pas sûr. On peut faire la comparaison jusqu'au conseiller hors sol qui a recommandé cette très incertaine décision (Dominique de Villepin en 1997).
On peut aussi imaginer qu'Emmanuel Macron pensait à la dissolution du 30 mai 1968 : le retournement de tendance a été spectaculaire aux législatives des 23 et 30 juin 1968. Mais retournement de quoi ? D'une "opinion publique" voyant d'un œil vaguement sympathique la révolte étudiante. Mais il n'y avait pas eu d'élections organisées le mois précédent.
Peut-être qu'Emmanuel Macron pensait plutôt à la première dissolution, celle 9 octobre 1962. Il faut rappeler le contexte : l'Assemblée élue les 23 et 30 novembre 1958 n'avait pas de majorité absolue pour les gaullistes et alliés, la majorité était relative. Quand De Gaulle a proposé le 20 septembre 1962 le référendum pour élire le Président de la République au suffrage universel direct, il s'est heurté à un front uni des partis politiques (autres que l'UNR) contre ce projet (tant sur le fond, l'élection directe du Président, que sur la forme, le référendum par l'article 11 au lieu d'une révision par l'article 89 de la Constitution). Dans la crise politique, une motion de censure a été alors adoptée le 4 octobre 1962, la seule motion de censure jusqu'à maintenant adoptée (depuis 1958), si bien que le 9 octobre 1962, De Gaulle a dissous l'Assemblée et organisé des élections législatives les 18 et 25 novembre 1962, peu après le référendum fixé au 28 octobre 1962 (on note d'ailleurs que la limite de quarante jours a été respectée exactement).
La quasi-unanimité de la classe politique contre les gaullistes ne laissaient guère de doute sur l'issue des scrutins. La lecture des notes d'Alain Peyrefitte permet de se faire une idée intéressante du climat psychologique. La plupart des ministres et députés gaullistes se considéraient en sursis, le régime des partis et les forces de la Quatrième République allaient gagner la partie contre eux et ils n'auraient qu'à rentrer chez eux après une expérience de quatre ans. La victoire du référendum (62,3% de oui avec 77,0% de participation) a engendré une grande victoire électorale aux législatives le mois suivant, apportant une large majorité absolue à l'UDR (ex-UNR) et ses alliés de 354 sièges sur 487 (avec 47,8% des voix au premier tour).
Mais tout le monde n'est pas De Gaulle. La dissolution du 9 juin 2024 relève surtout d'une sorte de coup de poker peu admissible car il met la France en danger. Y aura-t-il un sursaut des Français face aux énormes enjeux nationaux et internationaux du moment ? Je le souhaite. Cette initiative présidentielle ne pourra pas être jugée à sa propre valeur avant le 7 juillet 2024, mais ce qui est sûr, c'est que c'est casse-cou et cela heurte de nombreux Français... parmi les plus proches du Président. Le ça-passe-ou-ça-casse très gaullien ne fait plus partie des mœurs d'une république plus participative.
ALLOCUTION TÉLÉVISÉE D'EMMANUEL MACRON LE 9 JUIN 2024
9 juin 2024
Adresse aux Français
Françaises, Français. Vous avez eu ce jour à voter pour les élections européennes, en métropole, dans nos Outre-mer, comme à l'étranger. Le principal enseignement est clair : ce n'est pas un bon résultat pour les partis qui défendent l'Europe, dont celui de la majorité présidentielle.
Les partis d'extrême droite qui, ces dernières années, se sont opposés à tant d'avancées permises par notre Europe, qu'il s'agisse de la relance économique, de la protection commune de nos frontières, du soutien à nos agriculteurs, du soutien à l'Ukraine, ces partis progressent partout sur le continent. En France, leurs représentants atteignent près de 40 % des suffrages exprimés.
Pour moi, qui ai toujours considéré qu'une Europe unie, forte, indépendante est bonne pour la France, c'est une situation à laquelle je ne peux me résoudre. La montée des nationalistes, des démagogues, est un danger pour notre nation, mais aussi pour notre Europe, pour la place de la France en Europe et dans le monde. Et je le dis, alors même que nous venons de célébrer avec le monde entier le Débarquement en Normandie, et alors même que dans quelques semaines, nous aurons à accueillir le monde pour les Jeux olympiques et paralympiques. Oui, l'extrême droite est à la fois l'appauvrissement des Français et le déclassement de notre pays. Je ne saurais donc, à l'issue de cette journée, faire comme si de rien n'était.
À cette situation s'ajoute une fièvre qui s'est emparée ces dernières années du débat public et parlementaire dans notre pays, un désordre qui, je le sais, vous inquiète, parfois vous choque, et auquel je n'entends rien céder. Or, aujourd'hui, les défis qui se présentent à nous, qu'il s'agisse des dangers extérieurs, du dérèglement climatique et de ses conséquences, ou des menaces à notre propre cohésion, ces défis exigent la clarté dans nos débats, l'ambition pour le pays et le respect pour chaque Français.
C'est pourquoi, après avoir procédé aux consultations prévues à l'article 12 de notre Constitution, j'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc ce soir l'Assemblée nationale. Je signerai dans quelques instants le décret de convocation des élections législatives qui se tiendront le 30 juin pour le premier tour et le 7 juillet pour le second.
Cette décision est grave, lourde, mais c'est avant tout, un acte de confiance. Confiance en vous, mes chers compatriotes, en la capacité du peuple français à faire le choix le plus juste pour lui- même et pour les générations futures ; confiance en notre démocratie. Que la parole soit donnée au peuple souverain, rien n'est plus républicain. Cela vaut mieux que tous les arrangements, toutes les solutions précaires. C'est un temps de clarification indispensable. Confiance en la France qui, face à la rudesse des temps, sait toujours s'unir et résister pour dessiner l'avenir et non se replier ou céder à toutes les démagogies.
Dans les prochains jours, je dirai l'orientation que je crois juste pour la nation. J'ai entendu votre message, vos préoccupations, et je ne les laisserai pas sans réponse. Et vous me connaissez, le goût de l'avenir, celui du dépassement de la fédération continueront de nourrir ce projet. Mais en ce moment de vérité démocratique, et alors même que je suis le seul responsable politique à n'avoir aucune échéance électorale personnelle en 2027, soyez certains d'une chose : ma seule ambition est d'être utile à notre pays que j'aime tant, ma seule vocation est de vous servir.
Je sais pouvoir compter sur vous pour aller massivement voter les 30 juin et 7 juillet prochains. La France a besoin d'une majorité claire pour agir dans la sérénité et la concorde. Être Français est toujours se hisser à la hauteur des temps quand il l'exige, connaître le prix du vote et le goût de la liberté, agir quelles que soient les circonstances en responsabilité. C'est, au fond, choisir d'écrire l'histoire plutôt que de la subir. C'est maintenant.
« Des personnes qui sont nées en Nouvelle-Calédonie ou qui y résident depuis de nombreuses années, qui y ont leur vie personnelle et leurs activités professionnelles, qui y payent des impôts sont privées du droit de vote aux élections provinciales, c’est-à-dire à un scrutin local. Le dégel du corps électoral est donc un enjeu démocratique incontournable et demandé par le Conseil d’État. Il s’agit de permettre la tenue des prochaines élections provinciales et d’assurer la représentativité des élus, sans remettre en cause les équilibres fondamentaux de l’accord de Nouméa. » (Gabriel Attal, le 14 mai 2024 dans l'hémicycle de l'Assemblée Nationale).
Depuis lundi 13 mai 2024, la Nouvelle-Calédonie est en proie, à nouveau, hélas, à la violence quasi-insurrectionnelle. Le bilan en deux jours est très lourd puisqu'il y a eu quatre morts, dont un gendarme de 22 ans, Nicolas Molinari, affecté à Melun, et plus d'une cinquantaine de blessés parmi les forces de l'ordre qui ont réagi avec rigueur sans mettre en danger la vie d'un manifestant.
On se posera la question sérieuse de l'origine de ces émeutes, en particulier à Nouméa, qui ressemblent plus à du vandalisme de banlieue, comme en automne 2005 ou en été 2023, qu'à un acte de "résistance" politique des indépendantistes. S'en prendre aux personnes et aux biens, mettre le feu aux maisons, piller les commerces donne rarement un message politique mais indique surtout une colère floue et une volonté de détruire, de saccager.
Le déclenchement de ces émeute serait l'examen à l'Assemblée Nationale du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. J'évoquerai ce texte ci-après, et disons clairement que le texte a été déposé dès janvier 2024, et voté par le Sénat en avril, pourquoi donc ce regain de violence soudain ?
Il y a bien sûr des hypothèses, mais ce ne sont que des suppositions. Ce qui est sûr, c'est que la gauche, toute la gauche : socialistes, insoumis et communistes, sont vent debout contre cette réforme constitutionnelle ; ils ne croient plus en l'universalité du suffrage, c'est grave. D'autant plus qu'on prêterait aux insoumis d'être les porte-parole de puissances étrangères (Russie et Chine) qui seraient bien intéressées par la déstabilisation de la France en Nouvelle-Calédonie, en particulier, l'influence de la Chine dans le Pacifique est de plus en plus prégnante.
Dans la nuit du 14 au 15 mai 2024, Gérald Darmanin a regretté dans l'hémicycle le manque de soutien aux forces de l'ordre de la part de la gauche : « Nous regrettons que l’Assemblée Nationale n’ait pas unanimement condamné les actions conduites contre les policiers et gendarmes. On aurait pu croire que les pillages, les incendies, les menaces de mort, visaient à exercer une pression politique sur les représentants du peuple. ».
Le gouvernement a manifestement été surpris par cette forte flambée de violence alors que le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer s'est beaucoup investi pour trouver un accord tripartite (État, loyalistes, indépendantistes) pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Par exemple, il s'est rendu en Nouvelle-Calédonie cinq à sept fois en 2023. La réponse immédiate a été de réagir promptement : le Président Emmanuel Macron a convoqué un conseil de défense le mercredi 15 mai 2024 matin, repoussant le conseil des ministres dans l'après-midi. La principale décision a été de proclamer l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie à partir du 16 mai 2024 à 5 heures (heure locale), ainsi qu'un couvre-feu de 18 heures à 6 heures du matin, l'interdiction de rassemblement à Nouméa, et l'interdiction du transport et du port d'armes et d'alcool sur tout le territoire de Nouvelle-Calédonie.
Pourtant, on ne peut pas dire qu'Emmanuel Macron n'avait pas joué le jeu rigoureux des Accords de Matignon de 1988 puis de Nouméa de 1998. Il était question d'organiser jusqu'à trois référendums sur l'indépendance, qui ont eu lieu le 4 novembre 2018, le 4 octobre 2020 et le 12 décembre 2021. Emmanuel Macron est resté très étrangement neutre, refusant d'influencer les électeurs alors qu'il aurait été normal (cela lui a été reproché) que le gouvernement français fît campagne pour le maintien dans la République française, ce qui a finalement été le cas, mais au troisième référendum, les indépendantistes, se sentant minoritaires, ont refusé de participer au scrutin, faisant chuter la participation alors qu'elle était très élevée aux deux premiers. Néanmoins, tout le monde pouvait faire son choix, librement consenti, dans la sincérité et le secret des règles d'une démocratie mature.
C'est pour cela que depuis le début de l'année 2022, le gouvernement français est en négociation avec toutes les parties en Nouvelle-Calédonie pour construire les structures néo-calédoniennes définitives. Pour Emmanuel Macron, la question de l'indépendance a été définitivement tranchée le 12 décembre 2021 : « Les Calédoniennes et les Calédoniens ont choisi de rester Français. Ils l’ont décidé librement. Pour la Nation entière, ce choix est une fierté et une reconnaissance. Ce soir, la France est plus belle car la Nouvelle-Calédonie a décidé d’y rester. ». Encore faut-il se mettre d'accord pour cet avenir commun.
Parallèlement, il y avait une réforme à faire qui ne pouvait pas être négociable au nom des valeurs de la démocratie : la composition du corps électoral qui est gelée depuis trente ans ! Cela signifie qu'un habitant français né en Nouvelle-Calédonie et vivant en Nouvelle-Calédonie depuis vingt-cinq ans ne peut pas, actuellement, voter aux élections néo-calédoniennes. C'est l'objet de ce projet de loi constitutionnelle d'en finir avec cette exception antidémocratique néo-calédonienne.
Rappelons plus précisément le contenu de la loi constitutionnelle n°98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie qui crée un nouveau titre de la Constitution sur les dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie. En particulier, le dernier alinéa de l'article 77 de la Constitution dit (rajouté en 2007) : « Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l'accord mentionné à l'article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l'occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer. ». Cela signifie le gel pur et simple du corps électoral depuis vingt-cinq ans ! (Je précise bien que cet alinéa n'avait pas été inscrit en 1998 mais en 2007 : auparavant, le corps électoral était régi uniquement par la seule loi organique de 1999).
Que dit (entre autres) la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999 ? Son article 6 : « Il est institué une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie dont bénéficient les personnes de nationalité française qui remplissent les conditions fixées à l'article 188. ». Et son article 188 : « I. - Le congrès et les assemblées de province sont élus par un corps électoral composé des électeurs satisfaisant à l'une des conditions suivantes : a) Remplir les conditions pour être inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998 ; b) Être inscrits sur le tableau annexe et domiciliés depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection au congrès et aux assemblées de province ; c) Avoir atteint l'âge de la majorité après le 31 octobre 1998 et soit justifier de dix ans de domicile en Nouvelle-Calédonie en 1998, soit avoir eu un de leurs parents remplissant les conditions pour être électeur au scrutin du 8 novembre 1998, soit avoir un de leurs parents inscrit au tableau annexe et justifier d'une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection. II. - Les périodes passées en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour accomplir le service national, pour suivre des études ou une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles ou médicales ne sont pas, pour les personnes qui y étaient antérieurement domiciliées, interruptives du délai pris en considération pour apprécier la condition de domicile. ». Cette règle avait été d'ailleurs blâmée par le Conseil Constitutionnel le 15 mars 1999, si bien que le Président Jacques Chirac l'avait finalement inscrite directement dans la Constitution par la loi constitutionnelle n°2007-237 du 23 février 2007.
Concrètement, cela signifie qu'en 2023, 42 000 électeurs étaient exclus du corps électoral sur les 220 000, soit près de 20%, un électeur sur cinq interdit de vote ! Cette spécificité antidémocratique, cette exemption démocratique ne pouvait être tolérée par les "organes de contrôle" tels que le Conseil d'État et le Constitutionnel en France, mais aussi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) que sous réserve que ce fût transitoire. Or, ici, le transitoire dure depuis plus de vingt-cinq ans.
Dans le rapport du député Nicolas Metzdorf (le rapporteur du projet de loi constitutionnelle) déposé le 7 mai 2024, il est dit : « Le constituant doit tenir compte du droit international et européen : la supériorité de la Constitution dans l’ordre juridique interne n’épuise pas pour autant le débat juridique sur les dérogations aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage. ». Autrement dit, aujourd'hui, la CEDH nous observe sur la nécessaire évolution de la définition du corps électoral.
Il est quand même choquant que ceux qui, je pense particulièrement aux insoumis, militent depuis longtemps pour le droit de vote aux étrangers dans toute la France (ce qui serait une hérésie démocratique également), notamment pour les élections locales, refusent que des citoyens qui sont nés en Nouvelle-Calédonie et qui paient leurs impôts, Français, ne puissent pas voter chez eux à cause de ce gel des listes électorales. C'est même un scandale qui n'auraient jamais dû endosser les gouvernements de Michel Rocard et de Lionel Jospin. Une telle exception démocratique ne peut être maintenue aussi longtemps dans le temps : ce sont des générations de citoyens, ce qui y naissent et ceux qui s'y installent, qui sont privés scandaleusement de leur droit de vote ! C'est contraire à tous nos principes, toutes nos valeurs, tous nos standards !
C'est du reste incroyable que certains associent démocratie et colonisation, comme si la décolonisation ne pouvait aboutir qu'à une non-démocratie. Les Néo-calédoniens ont parlé en 2021 et le maintien dans la République est un choix démocratique, il faut le respecter et rétablir un corps électoral compatible avec une démocratie adulte. D'ailleurs, selon des études, il semblerait que le rétablissement du corps électoral ne profitera à aucun des deux camps, loyaliste et indépendantiste, ce qui n'en ferait donc pas un élément crucial de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
La règle de l'État de droit est l'égalité de tous les citoyens devant les urnes. Ce projet de loi constitutionnelle a été déposé au Sénat par le gouvernement de Gabriel Attal le 29 janvier 2024. Après examen en commission puis en séances publiques, le texte a été adopté le 2 avril 2024 par 233 voix pour, 99 voix contre sur 339 votants et 332 exprimés (scrutin n°168). À son tour, les députés de l'Assemblée Nationale l'ont examiné en commission puis en séance publique et l'ont adopté dans les mêmes termes le soir du mardi 14 mai 2024, peu après minuit, par 351 voix pour, 153 voix contre sur 507 votants et 504 exprimés. Pour être définitif en tant que révision de la Constitution, ce texte doit passer un troisième scrutin (selon l'article 89 de la Constitution), soit un référendum national, soit l'adoption par le Congrès (à Versailles, réunion des députés et des sénateurs) avec la majorité des trois cinquièmes, ce qui est largement possible étant donné les scrutins de chaque assemblée (cette majorité serait à environ 70% ; les trois cinquièmes, c'est 60%).
Que contient cette réforme constitutionnelle ? Il y a deux articles. Le premier article supprime le dernier alinéa de l'article 77 (cité plus haut) et le remplace par un article 77-1 ainsi rédigé : « Dans les conditions définies par une loi organique prise après avis du congrès de la Nouvelle Calédonie, le corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province est restreint aux électeurs qui, inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle Calédonie, y sont nés ou y sont domiciliés depuis au moins dix années. ».
Il précise également : « En cas d’accord portant sur l’évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle Calédonie en vue d’assurer à tous les citoyens de Nouvelle Calédonie un destin commun, négocié dans le cadre des discussions prévues par l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998, les critères d’admission au corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle Calédonie mentionnés à l’article 77 1 de la Constitution peuvent être modifiés par une loi organique. ». Ce point permet à cette réforme constitutionnelle de ne pas être un point final aux discussions mais au contraire d'en être un complément constitutionnel.
Le second article indique que l'article premier entre en vigueur le 1er juillet 2024... sauf « si les Présidents des deux assemblées du Parlement saisis à cette fin par le Premier Ministre constatent qu’un accord portant sur l’évolution politique et institutionnelle de la Nouvelle Calédonie en vue d’assurer à tous les citoyens de Nouvelle Calédonie un destin commun, négocié dans le cadre des discussions prévues par l’accord signé à Nouméa le 5 mai 1998, a été conclu au plus tard dix jours avant la date des élections pour le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle entre les partenaires de cet accord. Ils se prononcent dans un délai de huit jours à compter de leur saisine. Le gouvernement présente en conseil des ministres un projet de loi organique visant à reporter le premier renouvellement général du congrès et des assemblées de province postérieur à la publication de la présente loi constitutionnelle, afin de permettre l’adoption des mesures constitutionnelles, organiques et législatives nécessaires à la mise en œuvre dudit accord. L’adoption en conseil des ministres de ce projet de loi organique emporte, le cas échéant, report du décret de convocation des électeurs pour ledit scrutin. ».
L'impact de cette réforme constitutionnelle est de réintégrer dans le corps électoral 25 000 électeurs des 42 000 exclus (car il faut encore résider pendant au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie). C'est mieux mais encore très insuffisant pour les standards de la démocratie.
Avant le vote, lors de la séance au gouvernement du 14 mai 2024, le Premier Ministre Gabriel Attal a montré un signe d'apaisement en ne convoquant pas immédiatement le Congrès à Versailles comme il en aurait la possibilité, afin de se donner du temps pour un accord global : « Au-delà, notre unique volonté est de trouver, avec les indépendantistes et avec les non-indépendantistes, un accord politique global et le plus large possible qui permette d’aller de l’avant et d’écrire le futur de la Nouvelle-Calédonie. J’y insiste : cet accord passera par le dialogue avec toutes les parties prenantes. C’est pourquoi notre main est toujours tendue. C’est pourquoi le Président de la République, vous l’avez rappelé, a proposé d’ouvrir de nouvelles discussions entre les responsables politiques calédoniens et le gouvernement. C’est pourquoi le Congrès ne sera pas convoqué immédiatement à l’issue des débats à l’Assemblée Nationale. Dans l’intervalle, j’invite les responsables politiques calédoniens à saisir cette main tendue et à venir discuter à Paris dans les prochaines semaines. L’important, c’est l’apaisement. L’important, c’est le dialogue. L’important, c’est la construction d’une solution politique commune et globale. L’important, c’est de trouver les moyens de faire respecter le choix souverain de la Nouvelle-Calédonie de rester dans la République et de définir le bon équilibre pour l’avenir du Caillou et de la jeunesse calédonienne, tout en respectant le droit à l’autodétermination. ».
C'est peut-être le député LR Philippe Gosselin qui a expliqué le mieux la méthode de l'État dans ces négociations. Il l'a expliquée le 7 mai 2024 lors de l'examen en commission : « Certains collègues semblent s’étonner qu’un accord entre les parties puisse mettre un terme à la révision de la Constitution dont nous discutons. Or le processus est totalement dérogatoire au droit commun, depuis le début. C’est particulièrement le cas depuis la révision du titre XIII de la Constitution, mais cela l’était déjà avec les accords de Matignon et de Nouméa : au fond, le Parlement joue le rôle de greffier des accords locaux. Ce n’est pas un problème, et c’est même important, dans la mesure où les partis calédoniens sont directement concernés. ».
Par ailleurs, le gouvernement a reporté au 15 décembre 2024 la date des prochaines élections provinciales afin d'obtenir un accord global avant cette date. Mais le FLNKS a quitté la table des négociations le 28 février 2024. Sa responsabilité est très grande sur les événements actuels très graves à Nouméa. Il faut négocier, mais sans transiger sur les principes qui fondent notre démocratie, et en particulier les principes d'égalité et d'universalité du suffrage. La politique demande toujours du courage pour tracer une route claire.
« Aux armes citoyens, citoyennes ! Formons nos bataillons ! Marchons, et chantons cette loi pure dans la Constitution ! » (Catherine Ringer, le 8 mars 2024 à Paris).
Le Président de la République Emmanuel Macron a célébré ce vendredi 8 mars 2024, la Journée internationale de la femme, avec grandes pompes, la promulgation de la réforme visant à inscrire la liberté garantie à la femme de recourir à l'IVG dans la Constitution. Sur la place Vendôme à Paris, devant le Ministère de la Justice, pour le scellement de la révision de la Constitution par le garde des sceaux. C'est désormais une loi de la République, la loi constitutionnelle n°2024-200 du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse dont le texte est publiée au Journal Officiel de la République française du 9 mars 2024. D'hommages à rappels de la mémoire, Emmanuel Macron est un habitué de ces cérémonials qui honorent autant les personnalités du passé et la République que les personnalités du présent avec parfois d'évidentes arrière-pensées politiques. Des grandes messes qui peuvent lasser un certain nombre de concitoyens (personne n'est obligé d'y assister ou de les regarder à la télévision) mais qui s'avèrent souvent utiles sinon indispensables.
Tout ce faste pour l'IVG, on pourrait même y voir une certaine forme d'indécence. L'avortement est un acte grave, terrible, traumatisant, pas de quoi le glorifier. Quant à son inscription dans la Constitution, c'est un acte purement symbolique en France, à visée d'exemplarité internationale, qui, pour l'instant, ne change pas fondamentalement les choses. On pourrait dire que puisque c'est symbolique, il convient justement de l'honorer comme tel. Comme un symbole nouveau de la République.
Pourtant, Emmanuel Macron n'en était pas l'instigateur et, au départ, y était plutôt défavorable. Il a avant tout répondu à une demande sociétale, à une évolution pressante qui répondait aux nombreuses angoisses internationales après des remises en cause de la liberté de l'IVG dans certains pays, en particulier en Argentine, aux États-Unis mais aussi en Pologne et dans d'autres encore. Des remises en cause d'ailleurs peu prévisibles quelques années auparavant. Il a d'ailleurs été très honnête et consensuel : le Président de la République a cité tous les parlementaires présents qui ont contribué de près ou de loin à ce travail institutionnel, y compris Mathilde Panot qui s'en est trouvée fière même si elle va quand même avoir du mal à continuer encore à se comparer à Simone Veil dans ses affiches sans provoquer d'hilarité, d'ironie ou de moqueries justifiées.
Il y a eu beaucoup d'invités à cette cérémonie, j'écrirais plutôt, beaucoup d'invitées, au féminin, dont l'actrice Catherine Deneuve (entre autres). Il y avait aussi l'ancienne Première Ministre Élisabeth Borne qui a initié le projet de loi en décembre 2023, tout comme son successeur Gabriel Attal, et évidemment la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet, grande ordonnatrice du vote au Congrès lundi 4 mars 2024. On note d'ailleurs l'absence prévisible du Président de Sénat Gérard Larcher, bien obligé d'être présent à Versailles mais pas place Vendôme (il s'était abstenu au moment du vote). Accompagné de plusieurs ministres, dont Aurore Bergé, il y avait évidemment l'hôte des lieux, le garde des sceaux Éric Dupond-Moretti qui faisait tout le boulot !
Le sens de cette cérémonie n'a échappé à personne : il s'agit de la présenter comme une étape supplémentaire dans la longue histoire du combat des femmes pour plus de liberté et plus d'égalité. Des visages géants s'affichaient de femmes devant les murs du ministère, on reconnaissait notamment Simone Veil, aussi Françoise Giroud à sa droite. La vérité, c'est que dès lors que l'IVG est autorisée en France, il n'y avait aucun argument opposable pour empêcher son inscription dans la Constitution. Si cela peut réduire l'angoisse pour l'avenir de certaines femmes, ou pour leurs filles et petites-filles, tant mieux. En ce sens, cela n'a rien à voir avec le mariage pour tous : dans tous les cas, une fois qu'on est mariés, on le reste, quelle que soit l'évolution de la loi. Pour l'avortement, le risque d'un retour en arrière était toujours là.
Pourtant, d'une cérémonie prévue comme assez creuse et faite de spectacle, il en est venu un acte diplomatique fort. Emmanuel Macron a en effet annoncé qu'il allait proposer à nos partenaires européens d'inscrire l'IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne. Annonce suivie d'une très forte approbation de la foule. Rappelons qu'au-delà des invités et personnes qualifiées, la cérémonie était ouverte au grand public qui a approuvé le chef de l'État. De même, Emmanuel Macron a confirmé que la France défendrait ce droit partout où il est mis en cause ou mis en difficulté, reprenant ainsi le destin universaliste de la France des Lumières, au risque d'une certaine arrogance.
Mais le clou de la cérémonie n'a pas été le discours du Président de la République (qui a joui d'un extravagant ciel bleu et ensoleillé). Il l'a été lors de La Marseillaise chantée par la divine Catherine Ringer et c'est sans doute cette prestation qui restera dans les annales. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai tout de suite eu un doute : je ne la voyais pas du tout chanter « Qu'un sang impur abreuve nos sillons » qui me paraissait à la fois morbide, dérangeant et surtout inadéquat pour les femmes et l'IVG, imaginant les règles et les fausses couches.
Et ma pensée était vaguement prémonitoire quand j'ai entendu qu'elle avait rajouté, sans que cela ne choquât musicalement, un « citoyenne » après « Aux armes, citoyens ! ». Et effectivement, les paroles ont été revisitées (voir au début de l'article), j'ai trouvé cela à la fois amusant et plaisant, et je trouve stupide que de vieux grincheux viennent vomir leur bile sénile pour cela parce qu'un hymne national doit être vivant (surtout quand il est révolutionnaire) et les versions différentes, voire les parodies me semblent au contraire les bienvenues. Qui oserait aujourd'hui censurer la version des Beatles ou de Serge Gainsbourg (ou même de Claude Bolling) ?
Ce n'est pas manquer de respect à la République et à la patrie que de faire vivre nos valeurs et les attributs de notre patrie. Même si leur critique viennent d'une mauvaise interprétation, j'aime peu les paroles originelles de La Marseillaise mais je conviens qu'il ne faut pas les changer car ce serait ouvrir la boîte de Pandore et risquerait d'aboutir à des paroles qui ne seraient plus consensuelles et acceptées par tous les Français.
Ceux qui détestent Emmanuel Macron ou ceux qui ne supportent plus de le voir en peinture devraient pourtant réjouir de cette version de La Marseillaise de Catherine Ringer, car, comme je viens de l'écrire, c'est sans doute ce qu'on retiendra de cette journée de la femme exceptionnelle, volant la vedette à un Président qui était bien content de s'effacer derrière les femmes.
Quand Catherine Ringer est partie, seule, de la place Vendôme, elle a été ovationnée spontanément par le peuple de Paris venu pour l'occasion, bravo à elle et à son interprétation qui marquera les mémoires au même titre que l'interprétation de Jessye Norman le soir du 14 juillet 1989 qui m'avait fait vibrer (j'étais présent aux Champs-Élysées) ! Le 1er juillet 2018, lors du transfert de Simone Veil (et de son mari) au Panthéon, devant Emmanuel Macron, une autre chanteuse célébrissime, Barbara Hendricks avait, elle aussi, entonné La Marseillaise accompagnée du Chœur de l'armée française... mais dans son jus originel.
« Je salue les nombreux propos de haute tenue que j’ai entendus. Je les ai applaudis. » (François Patriat, le 4 mars 2024 à Versailles).
Lundi 4 mars 2024 à 18 heures 50, dans l'hémicycle du Parlement réuni en Congrès à Versailles, le sourire rayonnait au visage en permanence. Yaël Braun-Pivet, Présidente de l'Assemblée Nationale et présidente de la séance exceptionnelle réunissant les députés et les sénateurs français, a lu les résultats du vote pour l'adoption définitive de la révision constitutionnelle visant à inscrire dans la Constitution cette simple phrase dans son article 34 : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. ». 780 parlementaires ont voté pour (c'est-à-cire 92%), soit bien plus largement que les nécessaires trois cinquièmes.
Les parlementaires se sont levés et ont applaudi. Pendant deux minutes. Yaël Braun-Pivet s'est levée et a applaudi aussi, savourant non pas sa victoire, elle ne faisait que présider cette séance historique, ni la victoire du gouvernement, ni la victoire d'une ou l'autre des parlementaires pionnières de cette disposition, mais toute la classe politique. Elle incarnait alors ce quart d'heure de gloire de l'ensemble du Parlement et, au-delà, de la Nation tout entière.
Pour une fois, la concorde nationale se révélait, parmi deux assemblées parlementaires pourtant peu réputées pour leur calme, leur esprit de synthèse, leur sérénité ou leur consensus. J'aurais sans doute préféré que la motivation de cette concorde fût plus un soutien à l'Ukraine que l'inscription de l'IVG dans la Constitution, mais, dans tous les cas, il ne faut pas négliger ces petits moments de grâce, comme une trêve, forcément passagère, une éclaircie entre deux orages. Oui, les parlementaires français peuvent construire ensemble, dans le même sens, avec le même plan, l'avenir de leur pays. C'est rassurant.
Tous les groupes ont voté pour cette réforme, la plupart dans leur quasi-unanimité, et pour trois partis ou groupes, majoritairement quoique très partagé. Les députés RN ont ainsi voté pour à 46 sur 88 membres (11 ont voté contre dont Grégoire de Fournas et 20 se sont abstenus, dont Philippe Ballard). Les sénateurs centristes de l'Union centriste (UC) ont aussi voté majoritairement pour à 42 sur 56 membres (6 ont voté contre, dont Loïc Hervé et Hervé Marseille, leur président, et 8 se sont abstenus, dont Vincent Delahaye, Hervé Maurey, Catherine Morin-Desailly, Nathalie Goulet et Philippe Folliot). Quant aux parlementaires LR (194 membres répartis dans deux groupes, un dans chaque assemblée), une majorité aussi a voté pour, 122 sur 194 (50 ont voté contre, dont Thibault Bazin, Marie-Christine Dalloz, Philippe Gosselin, Xavier Breton, Patrick Hetzel, Marc Le Fur, Michèle Tabarot, Bruno Retailleau, Étienne Blanc, Laurence Garnier, Muriel Jourda, Alain Milon ; 18 se sont abstenus, dont Meyer Habib, Annie Genevard, Gérard Larcher, François-Noël Buffet, Alain Houpert, Michel Savin et Jean-Raymond Hugonet, et Valérie Boyer n'a pas participé au vote). Enfin, hors de ces groupes, signalons aussi que se sont abstenus, de la majorité, un député MoDem, deux sénateurs LIRT (dont Laure Darcos), et a voté contre un sénateur Renaissance (l'ancien ministre Jean-Baptiste Lemoyne). En outre, hors de la majorité, une députée LIOT a voté contre, ainsi que trois non-inscrits (dont Stéphane Ravier et Emmanuelle Ménard). Nicolas Dupont-Aignan n'a pas pris part au vote.
Si j'ai indiqué le nom de quelques parlementaires un peu connus qui n'ont pas voté la réforme, ce n'est pas pour les fustiger, au contraire, il leur a fallu un peu de résistance à l'ère du temps, et comme ce vote secoue la conscience, il vaut mieux que leur vote émane de leur personnalité réelle et pas d'une consigne artificielle d'un parti (rappelons que le mandat d'un parlementaire n'est surtout pas impératif, c'est même à la base constitutionnelle même de notre démocratie représentative), mais aussi pour dire que tous les autres parlementaires (les 92%) ont voté pour, même ceux qui pourraient pourtant s'opposer avec férocité aux propositions sociétales généralement de la gauche (comme Marine Le Pen, Éric Ciotti, pour ne donner que deux noms). Cela montre que la classe politique a pu se trouver dans cet esprit sympathique d'unité nationale tellement rare de nos jours.
Notons aussi que cet esprit a finalement un nom et un visage, ceux de Simone Veil, qui a reçu, à titre posthume, un grand hommage et surtout, une reconnaissance nationale, Yaël Braun-Pivet insistant sur les conditions de l'examen de sa loi en 1974 : « En remontant avec la solennité qui s’attache à ces lieux la galerie des Bustes, des bustes d’hommes exclusivement, avant d’ouvrir cette séance, j’ai pensé à Simone Veil qui, le 26 novembre 1974, dans l’hémicycle du Palais-Bourbon, s’excusait de partager sa conviction de femmes devant une assemblée presque exclusivement composée d’hommes. À son époque, en effet, on ne comptait que treize femmes parmi les députés, sept parmi les sénateurs. En contemplant aujourd’hui le Parlement réuni en Congrès, je constate avec vous que la place des femmes a changé, parce que la France a changé, même s’il reste beaucoup à faire pour atteindre la parité vraie. Oui, les temps ont changé ; l’égalité a progressé, la parole s’est libérée. Oui, hommes et femmes ici réunis, élus de la Nation, ensemble, nous nous apprêtons à faire franchir à notre pays un nouveau pas sur le chemin des droits des femmes. ». Simone Veil a reçu ensuite une longue ovation après un hommage du Premier Ministre dans son discours : « Cinquante ans plus tard, sous le regard de sa famille, que vos applaudissements en l’honneur de son combat et de sa cause tonnent plus fort encore que ces insultes et rendent définitivement justice à Simone Veil ! ».
La Présidente du Congrès a commencé son discours introductif par ce constat historique qui a provoqué une large ovation des parlementaires : « Monsieur le Président du Sénat, monsieur le Premier Ministre, mesdames et messieurs les membres du gouvernement, mesdames et messieurs les membres du Congrès, pour la première fois de notre histoire, le Congrès du Parlement est présidé par une femme. ».
Comme l'a dit un peu plus tard dans la séance le sénateur Renaissance François Patriat, les interventions des orateurs ont été d'une très haute tenue, dignes des lieux historiques et de l'instant particulier. De quoi renouer avec la classe politique qui est capable ainsi du meilleur, comme je l'ai indiqué dans mon précédent article. Je propose d'entrevoir un petit aperçu des interventions les plus marquantes. En tout, vingt orateurs sont intervenus dans ce débat pour expliquer leur vote, pendant près de deux heures et quart de séance.
La jubilation de Yaël Braun-Pivet était palpable : « Vous comprendrez que je sois fière de présider le Congrès du Parlement au château de Versailles, à cet instant précis où la liberté défendue par Simone Veil va être gravée dans le marbre de notre Constitution. Je suis fière de rendre hommage à toutes celles qui ont écrit, qui ont agi et à celles qui se battent encore au quotidien, près d’ici ou loin de nous, pour que nous escaladions, mètre par mètre, la paroi escarpée menant à l’égalité entre les femmes et les hommes. Car c’est bien une paroi qu’il nous faut gravir, paroi dont l’ascension reste longue, laborieuse et trop encore incertaine. Nous savons toutes et tous qu’il suffit d’un instant pour chuter, pour que tout ce que l’on croyait acquis ne le soit plus. Nous avons progressé, mais il reste tant à faire sur le terrain de l’égalité, et les violences faites aux femmes sont encore, hélas, une tragédie du quotidien. Cette nouvelle avancée, il suffisait d’écouter les femmes dans toute leur diversité, quelle que soit leur condition sociale, pour se convaincre de la nécessité de s’y atteler. Il suffisait de regarder le monde pour se convaincre de l’opportunité de s’y atteler. Les droits des femmes ne sont-ils pas les premiers à être menacés lorsque le populisme ou l’autoritarisme s’empare du pouvoir ou que les partisans de l’obscurantisme prétendent nous imposer un ordre moral toujours rétrograde ? Alors que le monde est secoué par tant de crises, notre pays s’attache à renforcer la garantie des droits. La France serait-elle à contre-courant ? Non ! Elle est à l’avant-garde ; elle est à sa place. C’est sa mission et elle est attendue. Aux femmes de France, nous disons que nous ne reculerons jamais ; aux femmes du monde, nous disons que nous les soutiendrons et que nous avancerons toujours à vos côtés. Je suis fière, et nous serons fiers demain, de ce Congrès qui permet de proclamer que la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse fait désormais partie de notre loi fondamentale. ».
C'est le Premier Ministre Gabriel Attal qui a donné l'avis du gouvernement qui a montré que le sujet était d'importance alors que le ministre en charge de ce dossier était Éric Dupond-Moretti : « Gisèle Halimi se tient face à une justice rendue par des hommes et à une loi écrite par des hommes ; elle défend la liberté de chaque femme. Nous sommes en 1972 : elle se sent encore bien seule dans ce prétoire lorsqu’elle plaide pour la liberté et pour le droit. Nous sommes aujourd’hui le 4 mars 2024, et Gisèle Halimi n’est plus seule. Un an après l’engagement pris par le Président de la République, le Parlement, et, avec lui, la Nation, s’est rangé à ses côtés et s’apprête, je l’espère, à inscrire dans la Constitution la liberté de chaque femme à recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Nous sommes en 2024, Gisèle Halimi n’est plus. Mais je salue sa famille présente dans cette salle du Congrès en ce jour historique. Mesdames et messieurs les parlementaires, nous étions en 1972, nous sommes en 2024 : qu’il est long le chemin de la liberté ! ».
Comme prévu, Gabriel Attal a placé cette réforme dans le cadre d'une avancée et d'un progrès : « Nous avons une dette morale envers toutes ces femmes qui ont souffert dans leur chair comme dans leur esprit, parfois jusqu’à y perdre la vie. Ces femmes mortes pour avoir voulu être libres nous hantent, tout comme les aiguilles des faiseuses d’anges et les échappées clandestines pour avorter à l’étranger, la peur au ventre. Nous sommes hantés par la souffrance et la mémoire de tant et tant de femmes qui, des décennies durant, ont souffert de ne pouvoir être libres, allant parfois jusqu’à payer de leur vie l’injustice que le législateur, exclusivement masculin, voulait continuer de faire peser sur elles. Aujourd’hui, nous pouvons changer le cours de l’histoire. Il est de notre devoir que les consciences qui s’éveillent à présent, et celles qui écloront demain, ne soient plus hantées par ces souvenirs macabres, mais plutôt habitées par la fierté que nous leur aurons léguée, celle d’appartenir à un peuple éminemment libre, conscient que le progrès est un but, que les droits sont son moyen, et que le corps des femmes n’est rien d’autre que l’empire de leur liberté et de leur libre arbitre, et non l’outil d’un projet qui ne serait pas le leur. C’est en pensant à ces siècles de souffrances et d’injustices que je prends la parole devant vous aujourd’hui, après des mois d’un travail parlementaire transpartisan qui a commencé bien avant ma nomination, et presque un an, jour pour jour, après l’engagement historique du Président de la République d’inscrire la liberté des femmes à disposer de leur corps dans notre Constitution. Ce vote est d’abord l’aboutissement d’un long combat, qui débuta avec la lutte pour le droit de vote et pour la citoyenneté. ».
Et de faire la liste des références historiques : « Entamée pendant la Révolution et incarnée par Olympe de Gouges, cette lutte a continué à être menée par tant de femmes que le silence étouffait, comme Louise Weiss, qui en réinventa les principes et pensa la femme nouvelle, ou Cécile Brunschvicg, militante infatigable du droit de vote et première femme à entrer au gouvernement, avec Irène Joliot-Curie et Suzanne Lacore, en 1936, à la faveur du Front populaire. Ce combat ne toucha au but qu’à la Libération. Pendant près d’un siècle, Marianne était une femme mais elle n’avait pas le droit de voter. Il fallut attendre 1944, il y a quatre-vingts ans, pour que l’injustice soit réparée, et pour qu’enfin, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les femmes soient vraiment citoyennes, qu’elles aient le droit d’être élues et de voter. Ce pas de géant, nous le devons à l’alliance des gaullistes, des communistes, des chrétiens-démocrates et des socialistes, rassemblés autour de l’égalité. Cela montre que les plus grands progrès sont le fruit de l’unité, une démonstration que nous pouvons à nouveau faire aujourd’hui. Toutefois, contrairement aux espoirs des réactionnaires, le combat était loin d’être terminé : les femmes avaient obtenu le droit de vote, mais toujours pas la liberté de disposer de leur corps. Il a alors fallu de la conviction, des combats et du temps, trop de temps. Les Trente Glorieuses sont des années d’accélération pendant lesquelles la France se reconstruit, se renouvelle et se modernise, oscillant entre insouciance et abondance. Pourtant, les droits des femmes n’avancent que lentement. Le corps des femmes reste un tabou. La loi scélérate de 1920, qui fait de l’avortement un crime passible de la cour d’assises, plane au-dessus de leur tête. Cependant des voix se lèvent, de plus en plus nombreuses. Nous sommes en 1967 quand la loi Neuwirth légalise la pilule contraceptive. Le mouvement s’accélère ; on ne peut plus l’arrêter. En 1971, 343 femmes brisent le tabou et le silence. Célèbres ou anonymes, toutes ont en commun une histoire, celle de l’avortement. Nous sommes en 1972. Les procès de Bobigny divisent l’opinion. Gisèle Halimi défend les accusés mais elle prend la parole pour toutes les femmes : avocate des prévenues, procureure contre un système qui prétend décider à la place des femmes. Le scandale est immense, à la hauteur de la chape de plomb qui pèse toujours sur leur corps. Rien, plus rien ne peut plus arrêter la marche du progrès. Nous sommes le 26 novembre 1974, il y a cinquante ans : à la suite de l’engagement de Valéry Giscard d’Estaing, Simone Veil monte à la tribune de l’Assemblée Nationale. Souvenons-nous des mots qui résonnent alors, de ces insultes qui fusent dans l’hémicycle à son endroit : "barbarie", "nazisme", "génocide", "four crématoire", et tant d’autres. Malgré ces injures et les menaces, Simone Veil ne cède pas ; elle ne plie pas. Aujourd’hui, le présent doit répondre à l’histoire. Cinquante ans plus tard, sous le regard de sa famille, que vos applaudissements en l’honneur de son combat et de sa cause tonnent plus fort encore que ces insultes et rendent définitivement justice à Simone Veil ! Si, peu après sa mort, des affiches et des portraits où était écrit "Merci Simone !" ont fleuri dans la rue, ce n’était pas un hasard. Le legs de Simone Veil est universel, son courage un modèle qui nous inspire encore collectivement. En ouvrant enfin la voie, la loi Veil marque un tournant, mais il restait encore bien des batailles à remporter. Nous sommes en 1982 quand Yvette Roudy instaure le remboursement de l’interruption volontaire de grossesse par la sécurité sociale. C’est la fin des inégalités sociales face à la liberté du corps. Toutes les femmes peuvent être protégées. Nous sommes en 2001 quand, grâce à Martine Aubry, il devient possible de recourir à l’interruption volontaire de grossesse jusqu’à la douzième semaine. Nous sommes en 2013 quand Marisol Touraine améliore l’accès à l’IVG sur tout le territoire et permet son remboursement total. Nous sommes en 2014 quand Najat Vallaud-Belkacem abolit la notion de détresse, requise jusque-là pour recourir à l’IVG. Nous sommes en 2016 quand Laurence Rossignol étend le délit d’entrave à l’IVG aux sites internet militants qui diffusent de fausses informations sur l’avortement. Nous sommes en 2022 quand, avec le soutien du Président de la République et du gouvernement, et grâce au travail de parlementaires de divers bords politiques, le délai pour recourir à l’IVG est allongé [à quatorze semaines] et certaines des entraves qui existaient encore sont enfin levées. Nous sommes en 2024. Grâce aux médecins, aux associations féministes, au Planning familial, aux éveilleurs de conscience, aux élus, notamment aux parlementaires, aux héritières et héritiers de ces combats passés mais jamais achevés, la marche du progrès a fait son office. ».
Notons que les deux mots que le Premier Ministre a utilisés pour caractériser les Trente Glorieuses (insouciance et abondance) font référence aux propos du Président Emmanuel Macron au conseil des ministres du 24 août 2022.
Pour lui, cette réforme se place comme une étape historique en faveur des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes : « La lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes ne doit jamais devenir la guerre des sexes. C’est un combat pour toute notre société, un combat universel, pour l’unité républicaine, que nous mènerons et gagnerons ensemble, femmes et hommes, hommes et femmes, côte à côte et rassemblés. Je le dis depuis la tribune de ce Congrès, le premier de notre histoire présidé par une femme, chère Yaël Braun-Pivet, et qui rassemble plus de femmes que jamais auparavant. Je le dis aussi en tant que chef d’un gouvernement paritaire et déterminé à agir pour la cause de l’égalité. Sous l’autorité du Président de la République, qui a décidé de s’engager sur cette voie, nous œuvrons pour faire rimer égalité avec réalité. Cette révision s’inscrit dans la lignée de sept années d’action continue et résolue pour les droits des femmes. Le Président de la République a mené ce combat dès 2017, alors que ce n’était pas encore une évidence dans le débat politique. Il l’a décliné dans tous les champs de la vie de la cité, politique, économique, social et sociétal. Il n’a rien cédé, et en a fait par deux fois la grande cause de ses quinquennats, parce que le féminisme est un universalisme. Depuis sept ans, aidés par beaucoup d’entre vous, nous avons avancé sur ce chemin pour offrir des droits nouveaux, notamment aux mères seules, je pense au versement automatique des pensions alimentaires. Nous avons avancé pour la santé des femmes : certains tabous ont été brisés, comme l’endométriose ou l’infertilité. Nous avons avancé pour l’égalité au travail, celle des carrières professionnelles et des salaires, alors qu’à fonction égale, une femme ne gagne encore que les trois quarts de ce que gagne un homme. Nous continuerons donc à agir pour responsabiliser les entreprises, et pour que les femmes puissent obtenir les mêmes responsabilités que les hommes. Nous créerons bientôt le congé de naissance. Nous agissons contre toutes les formes de violence, et pour la libération de la parole, en renforçant notre droit, en formant les forces de l’ordre et en protégeant davantage les victimes. Nous sommes loin d’être au bout du chemin mais, pas à pas, l’égalité se rapproche. Ce Congrès est une étape fondamentale que nous pouvons franchir ; une étape qui restera dans l’histoire ; une étape qui doit tout aux précédentes. ».
Gabriel Attal a souligné aussi ce moment d'unité, unité que n'avait pas réussi à obtenir François Hollande lors des attentats de novembre 2015 : « Je voudrais que nous songions un instant au moment que nous vivons. Combien de Congrès du Parlement firent naître une telle unité ? Combien de Congrès du Parlement suscitèrent une telle émotion ? Combien de Congrès du Parlement permirent l’inscription d’un droit essentiel pour les femmes ? Combien de Congrès du Parlement furent le théâtre, non de joutes politiques politiciennes, mais d’unité, de gratitude et de l’écriture d’un destin commun ? ».
Il a répondu aussi à ceux qui pensaient qu'il n'y avait aucun risque de remise en cause de l'IVG et donc, de l'inutilité de l'inscrire dans la Constitution : « Beaucoup semblent dire que l’IVG ne serait pas menacée, comme si, au fond, le sens de l’histoire était inévitable ; comme si le politique n’avait plus son mot à dire ; comme si ce qui était acquis l’était pour toujours. Je le réfute, clairement et formellement. Ce faisant, j’ose le dire : oui, la liberté d’avorter reste en danger, consubstantiellement menacée. Tout dans notre histoire le prouve : nos libertés sont par essence menacées, fragiles et à la merci de ceux qui en décident. Et lorsqu’on veut s’en prendre aux libertés d’un peuple, c’est toujours par celles des femmes qu’on commence. Simone de Beauvoir, encore une fois, avait raison. En une génération, en une année, en une semaine, on peut passer du tout au rien. De l’évidence à la lutte : parlez-en aux Américaines, qui doivent se battre pour le droit à l’IVG ; de l’insouciance à l’angoisse : parlez-en aux, Hongroises et aux Polonaises, européennes, pour lesquelles l’interruption volontaire de grossesse n’est plus une liberté consacrée ; de la liberté à l’oppression : en une génération, on a vu les Iraniennes passer du port de la jupe à celui du voile obligatoire, on a vu les Afghanes passer de la liberté d’aller à l’école à l’interdiction de s’instruire, on a vu tant et tant de femmes libres se faire tuer, oui, tuer !, parce qu’elles refusaient de se soumettre. N’oublions jamais. Depuis ces pays, les femmes nous adressent un message : ne jamais s’endormir, ne jamais baisser la garde, ne jamais subir. Gouverner, c’est faire obstacle au tragique de l’histoire ; c’est se dresser face au malheur du temps présent, mais aussi faire obstacle de toutes nos forces au tragique du temps à venir. La politique, c’est faire obstacle à la folie des hommes, à ceux dont on dit que jamais ils ne gouverneront et que jamais ils n’oseront s’en prendre aux femmes, à nos mères, à nos filles, à nos sœurs, mais qui, par le jeu de l’histoire, pourraient se retrouver à s’exprimer depuis cette tribune sans que personne n’ait jamais cru cela possible. Alors oui, ce texte est un rempart aux faiseurs de malheurs ; à ceux pour qui tout était mieux avant ; à ceux qui oublient de dire que, dans cet avant, la femme n’était pas libre ; à ceux qui sont nostalgiques d’un temps où la femme ne pouvait pas travailler ni ouvrir un compte en banque sans l’autorisation d’un homme, d’un temps où elle ne pouvait pas dépenser son argent comme elle l’entendait. D’un temps, enfin, où les femmes ne pouvaient pas avorter. Inscrire ce droit dans notre Constitution, c’est fermer la porte au tragique du passé et à son long cortège de souffrances et de douleurs ; c’est empêcher davantage les réactionnaires de s’en prendre aux femmes. Mais légiférer, c’est aussi préparer l’avenir, cet avenir que nous abordons souvent comme une marche en avant, en étant pétris de certitudes, celle notamment qui voudrait que le progrès soit un aller sans retour et que jamais nous ne répéterons les erreurs du passé. Mais n’oublions pas que le train de l’oppression peut repasser. En ce jour, agissons pour que cela n’advienne jamais. ».
Enfin, le chef du gouvernement a terminé son intervention en évoquant la Prix Nobel de Littérature Annie Ernaux : « Voilà soixante ans, la jeune Annie Ernaux connaissait son "événement". Combien de générations en ont connu, des "événements" ? L’Événement, c’était un matin froid, un regard goguenard, une réprimande paternaliste, la douleur d’une aiguille, l’argent collecté par tous les moyens, les séquelles, la honte, la clandestinité. Un nouvel événement se déroule aujourd’hui : celui qui doit clore une fois pour toutes le monde d’hier. Notre génération, une génération de femmes, de filles, de mères, aura dans son calendrier intime et politique, dans le décompte de ses années, une date marquée à jamais, qui ne sera pas leur événement de douleur, mais un événement de fierté. Cet événement, c’est ce vote du Congrès, aujourd’hui, et, je l’espère, le sceau du 8 mars 2024. ».
Le "sceau du 8 mars 2024", c'est la grande cérémonie qu'a proposée Emmanuel Macron place Vendôme, à Paris, pour célébrer cette révision constitutionnelle, car ce 4 mars 2024, le Président de la République n'était pas convié à cette célébration parlementaire.
Dans son explication de vote, la représentante du RN, la députée Hélène Laporte, a sans doute était la moins consensuelle même si une grande partie de son groupe allait voter la réforme. Elle a commencé par un étonnement : « Étonnante solennité que celle de cette journée du 4 mars 2024, où, dans une France par ailleurs en proie à des tensions d’une ampleur inouïe, les deux assemblées de la République se réunissent en Congrès afin de voter, quarante-neuf ans après la dépénalisation de l’avortement, l’inscription de ce droit dans notre Constitution. (…) Si (…) le cadre légal institué par la loi Veil fut réformé à de nombreuses reprises, ce fut toujours dans le sens d’un assouplissement des conditions d’accès à l’IVG : par l’extension du délai de 10 à 12 semaines en 2001, puis à 14 semaines en 2022 ; par la suppression de la condition de détresse en 2014 et par celle du délai de réflexion en 2016. Paradoxalement, c’est l’idée inverse qui s’est installée, selon laquelle le droit à l’IVG était en danger et qu’il était urgent de le constitutionnaliser pour le protéger d’une future majorité qui chercherait à le supprimer. Or aucune formation politique actuelle n’annonce un tel projet. ».
Elle a toutefois reconnu la sagesse du gouvernement : « À travers ce texte, le gouvernement a heureusement fait le choix de la prudence. (…) Ainsi, la lettre constitutionnelle laisse au législateur le soin de trancher la question, si lourde de conséquences, du délai. De plus, la notion de liberté garantie, à distinguer de celle de droit opposable, n’est pas de nature à remettre en question l’objection de conscience des praticiens,nécessaire corollaire de la singularité de cet acte médical, constamment reconnu par la loi depuis 1975, mais dont nous regrettons qu’elle ne soit pas mentionnée dans le projet de loi, qui y aurait gagné en clarté. Ainsi, si l’opportunité de cette réforme parlementaire mérite d’être questionnée, le travail parlementaire a, de toute évidence, abouti à un texte qui laisse peu de place à la créativité interprétative du Conseil Constitutionnel. Aussi, si les députés du Rassemblement national voteront chacun selon leurs légitimes convictions, nombre d’entre eux approuveront ce texte, rappelant clairement à qui, de bonne foi, craindrait le contraire qu’il ne serait pas envisageable de revenir sur cette liberté. ».
Ce qui ne l'a pas empêché de tacler tant le Président de la République que ses adversaires de la Nupes : « En consacrant en grande cérémonie un droit que personne ne menaçait, la majorité s’achète à peu de frais une image d’Épinal pour sa postérité, alors qu’elle était peu gênée, il y a encore deux ans, d’élire à la tête du Parlement européen une femme au positionnement résolument anti-IVG. De son côté, la NUPES s’offre celle d’un grand soir institutionnel, même si son féminisme flamboyant se change subitement en mutisme dès qu’il est question des menaces réelles qui pèsent sur les droits des femmes, à commencer par l’islamisme. » [Il s'agit de Roberta Metsola, élue Présidente du Parlement Européen le 18 janvier 2022].
Prenant place à la tribune juste après la députée RN, l'ancien ministre et actuelle sénatrice socialiste Laurence Rossignol s'est bien gardée de relever les pics du RN en goûtant sa joie profonde : « Quelle victoire ! Quel bonheur ! Quelle fierté ! N’ayons pas peur des mots, c’est bien une victoire dans le long combat que mènent les femmes pour leur liberté et contre l’obscurantisme. En France, les activistes anti-IVG n’ont jamais renoncé depuis 1975. Ils n’ont jamais cessé leur guérilla, mais aujourd’hui, nous leur disons : "C’est fini, arrêtez de vous agiter ! Les Français ont choisi, nous continuerons". Notre vote va également réparer des pages noires de l’histoire. Nous allons réhabiliter toutes les femmes poursuivies, condamnées et même guillotinées pour avoir réalisé ou subi des avortements. (…) Cette sécurisation de l’IVG dans la Constitution, nous la devons d’abord à la société civile, citoyenne et militante. Nous la devons aux Françaises et aux Français qui, sondage après sondage, ont toujours dit clairement qu’ils voulaient de cette réforme. Nous la devons aux féministes, ces dizaines de milliers de femmes, connues ou anonymes, qui ont maintenu sur le Parlement et l’exécutif une pression constante jusqu’à ce que le Président de la République prenne leur relais. Qu’allons-nous faire maintenant ? Les féministes vont-elles enfin partir en vacances ? Ne rêvez pas, nous allons continuer ! (…) Nous continuerons pour celles qui résistent à Trump, à Bolsonaro, à Orban, à Milei, à Poutine, à Giorgia Meloni. Sans oublier bien sûr celles qui résistent aux mollahs et aux dictateurs théocratiques. ».
Enthousiaste, la représentante des socialistes a terminé par cette envolée : « Enfin, avec notre vote, nous ferons du bien au pays et à nos concitoyens. Ils seront fiers, fiers d’eux et, je l’espère, de nous. Aujourd’hui, la France retrouve le fil de son histoire, l’histoire du pays des droits humains qui donne du courage partout, à toutes celles et ceux qui luttent. La France qui est présente au Congrès aujourd’hui, c’est la France qui rayonne, ce n’est pas celle qui s’enferme et se recroqueville. Notre vote est un formidable antidote au déclinisme. Il ravive les couleurs de notre devise, Liberté, Égalité, Fraternité ; vous m’autoriserez à y ajouter le mot sororité. ».
L'intervenante suivante est la présidente du groupe FI, Mathilde Panot, qui avait préparé son discours pour qu'il fût marquant et soit prise pour une nouvelle Simone Veil (qu'elle n'est pas, bien sûr !) : « Aujourd’hui, c’est la France qui, pour la première fois, consacrera le droit à l’avortement dans la Constitution. Aujourd’hui, notre vote est une promesse faite à l’avenir, une protection que nous devons à la moitié de l’humanité, pour laquelle la nuit n’a que trop duré. C’est avec émotion et fierté que je me tiens devant vous, alors que j’ai eu l’honneur d’être à l’initiative du premier texte voté par l’Assemblée visant à constitutionnaliser l’IVG. (…) Aujourd’hui, nous célébrons une victoire historique. Notre vote est une promesse faite à l’avenir : plus jamais nos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants n’auront à revivre les supplices infligés à leurs aînées. Notre vote est également une promesse pour toutes les femmes qui luttent partout dans le monde pour le droit à disposer de leur corps, en Argentine, aux États-Unis, en Andorre, en Italie, en Hongrie, en Pologne. Comme en écho, ce vote aujourd’hui leur dit : votre lutte est la nôtre, cette victoire est la vôtre. ».
Après elle, la sénatrice centriste Dominique Vérien, présidente de la délégation des femmes au Sénat, a regardé aussi le chemin parcouru : « Le 3 novembre 1793, Olympe de Gouges était guillotinée, place de la Concorde. Elle avait rédigé la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne dans laquelle est écrit : "La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune". Aujourd’hui, nous y sommes. La peine de mort est abolie, les femmes sont à la tribune, préside le Congrès, je vous salue, madame la présidente, et, ensemble, nous allons écrire l’histoire, en inscrivant le droit à l’avortement dans notre Constitution. Ici réunis, nous sommes les héritiers d’Olympe de Gouges, mais aussi de Simone Veil, de Gisèle Halimi, de Lucien Neuwirth, et de toutes celles et ceux qui ont compris que l’universalité se conjugue au masculin comme au féminin. Mesurons le chemin parcouru par notre société. Il y a cinquante ans, l’avortement était un crime pour la loi et une honte pour l’opinion. Aujourd’hui, les Français y sont farouchement attachés. Ce chemin, parcouru par des mouvements féministes et humanistes qui se sont succédé, c’est le nôtre aujourd’hui, parlementaires de tous bords. Rendons hommage en particulier aux deux rapporteurs, Guillaume Gouffier Valente, rapporteur de l’Assemblée Nationale, et Agnès Canayer, rapporteure du Sénat, artisans de cette réussite. ».
Et de mesurer l'utilité de cette réforme : « Alors oui, cette constitutionnalisation pourrait ne jamais être qu’un symbole, mais quel symbole ! Et comme j’aimerais donner raison à ceux qui le pensent. Comme j’aimerais me tromper. Comme j’aimerais que jamais cette révision constitutionnelle ne soit utile ou que, par sa seule existence, elle dissuade demain toute menace contre l’avortement. Alors, pour le symbole ou pour la protéger, offrons à cette liberté ce que notre République a de plus fort : notre Constitution. Écrivons dans notre Constitution que jamais la liberté des femmes à disposer de leur corps ne doit subir d’entrave. Nous allons écrire l’histoire et, lorsque nous nous séparerons et que la vie politique reprendra ses droits, je souhaite que cette journée ne soit pas une fin, mais une promesse, celle que nous faisons aux femmes de ce pays qui auront un jour à recourir à l’IVG : nous saurons vous accompagner, avec dignité. La promesse de nous montrer collectivement à la hauteur des aspirations profondes d’égalité et de liberté des Françaises. Faisons de la France un modèle car si voter ce texte est un aboutissement pour nous, pour les femmes du monde entier, c’est un espoir. ».
Le député LR Olivier Marleix, aux allures du jeune Alain Juppé époque 1995, a annoncé le soutien à cette réforme d'une grande majorité du groupe qu'il préside à l'Assemblée Nationale, mais pas sans quelques réticences : « L’IVG était-il aujourd’hui à ce point en danger qu’il faille l’inscrire dans la Constitution ? Nous pouvions en débattre. Depuis cinquante ans, aucun parlementaire n’a jamais pris la moindre initiative visant à restreindre l’accès à l’IVG. Quelles que soient ses convictions, aucun parlementaire n’aurait le projet fou de renvoyer l’IVG à sa clandestinité tragique d’avant 1975 qui coûta la vie à tant de femmes, j’en suis absolument convaincu. (…) Il est toutefois un autre risque, plus tangible, celui de défaire le si sage équilibre voulu par Simone Veil, en faisant désormais de l’IVG un droit absolu qui écraserait toutes les limites, toutes les mesures d’équilibre prévues par la loi de 1975. Ce risque existe. Pour certains, il s’agit d’un projet politique : permettre l’IVG sans condition de délai, soit jusqu’au neuvième mois. Ainsi l’Assemblée nationale a-t-elle été capable, en juillet 2020 (…), de voter un amendement au projet de loi relatif à la bioéthique permettant de procéder à une interruption de grossesse jusqu’au neuvième mois en cas de "détresse psychosociale" de la mère. Ce n’est pas une chimère ; c’est le vote de l’actuelle majorité. (…) Cette "liberté garantie", qui n’est rien d’autre qu’un droit, comme l’a rappelé le garde des sceaux, ne viendra-t-elle pas rompre l’équilibre et la tempérance recherchés par Simone Veil ? L’équilibre de la loi Veil repose sur la conciliation, essentielle, entre la liberté de la femme dans les premières semaines de sa grossesse et la protection, par la suite, de l’enfant à naître. À l’article 1er, Simone Veil avait en effet pris soin de préciser : "La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi". Que va devenir ce principe qui ne sera pas inscrit dans le texte constitutionnel ? (…) Au terme de nos débats, et grâce aux répétitions du garde des sceaux, l’intention du constituant est donc claire et manifeste : demain comme hier, le législateur continuera de concilier un droit et un principe qui ont tous deux une même valeur constitutionnelle, même si l’un est écrit et pas l’autre. Nous prenons acte, également, des garanties concernant le maintien de la clause de conscience des soignants. Le choix d’une rédaction moins ambiguë, comme celle proposée par notre collègue Philippe Bas au Sénat, aurait peut-être permis une adoption encore plus consensuelle et plus large. Quoi qu’il en soit, nous devons ce vote à la liberté des femmes. ».
De son côté, pour le groupe Les Indépendants, République et Territoires (LIRT) qu'il préside au Sénat, le docteur Claude Malhuret n'a pas voulu faire de droit constitutionnel mais partager son expérience de jeune médecin dans un pays du Sud avec ce témoignage très émouvant : « Un jour, après avoir entendu du remue-ménage dans le couloir, j’ai vu surgir dans mon bureau une jeune femme, âgée de 17, 18 ans peut-être, dont je me rappellerai toujours le visage. Les joues rondes d’une adolescente, toutes rouges et inondées de larmes. Essoufflée, elle affichait une expression mêlée de terreur et d’incompréhension dans le regard. Les cheveux décoiffés, les vêtements de travers, comme si elle venait de se débattre, les bras maintenus par deux gendarmes qui l’encadraient et la poussaient dans la pièce sans ménagement. Le matin même, un voisin, intrigué par le manège de chiens errants qui s’acharnaient à gratter la terre près de sa maison, s’était approché et avait découvert le cadavre d’un nouveau-né, à peine enfoui dans le sol. L’enquête n’avait pas été bien difficile, et l’on me demandait désormais d’examiner la suspecte pour savoir si elle venait, ou non, d’accoucher. J’étais pétrifié. Il s’agissait d’un infanticide, bien sûr, et la loi me commandait de m’exécuter. Mais je savais aussi parfaitement pourquoi cette jeune femme était là, dans un pays, comme tant d’autres, où être fille-mère, comme l’on disait à l’époque, signifiait le bannissement social et le déshonneur pour la famille ; un pays dans lequel l’avortement était interdit et sévèrement puni. D’ailleurs, comment cette quasi-enfant aurait-elle pu se confier à quiconque pour trouver une faiseuse d’ange ? J’imaginais sa vie au cours des derniers mois, engrossée par un séducteur de barrière, peut-être, comme souvent, par un parent, découvrant d’abord effrayée son retard de règles, puis voyant son ventre s’arrondir et masquant sa grossesse avec de plus en plus de mal, accouchant seule en se cachant, enterrant maladroitement l’enfant sur place, folle de douleur et de culpabilité, puis rentrant chez elle et lavant ses vêtements dans la terreur d’être découverte. Et puis les chiens, le voisin découvrant le cadavre, les gendarmes et, désormais, le médecin, moi. Je suis resté longtemps assis, le visage caché dans les mains, cherchant désespérément comment éviter l’inévitable. Seules la jeune femme et l’infirmière étaient restées près de moi, parlant ensemble dans leur langue, que je ne comprenais pas. Au bout d’un moment, sollicité par les gendarmes qui s’impatientaient, l’infirmier-major est entré dans la pièce, suivi par l’un d’eux. Surpris par la scène et pressé par le brigadier et n’ayant manifestement pas la même vision du monde que moi ni les mêmes scrupules, avant même que j’aie pu faire un geste, il s’est approché de la jeune femme, a abaissé son soutien-gorge et pressé son mamelon, duquel a giclé le lait qui confirmait le diagnostic et les soupçons. Je revois encore cette adolescente, redoublant de pleurs, ressortir accablée entre ses deux gardes. Je repense souvent à elle et à ses yeux d’animal traqué, moi me demandant cependant combien d’années de prison pour infanticide et, surtout, combien d’années de culpabilité, peut-être toute une vie, pour avoir tué son enfant. Des histoires comme celle-là, je pourrais vous en raconter d’autres, si nous en avions le temps. Des avortements clandestins qui se terminent mal, des condamnations, des stérilités définitives. (…) J’ai voulu, pour ma part, aborder un autre versant de ce débat et rappeler que 40% au moins des femmes dans le monde vivent dans des pays où les drames tels que celui que je viens de retracer continuent de se produire, parce que rien n’a changé. En étant le premier pays au monde à garantir cette liberté dans notre Constitution, nous susciterons, là où nous sommes encore sinon un exemple du moins une référence, des débats, des prises de position, des avancées, j’espère, qui rapprocheront le jour où, comme ici, les femmes seront libérées de la peur, de la culpabilité et de l’impuissance à maîtriser leur destin. ».
Je termine avec l'intervention de l'une des initiatrices de la constitutionnalisation de l'IVG, la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, elle aussi rayonnante de joie et d'enthousiasme : « Toutes les victoires féministes sont des combats qui semblaient perdus d’avance, menés par des femmes qui ont moins regardé comment elles pouvaient perdre que comment elles pouvaient gagner. Il y a un an et demi, quand j’ai proposé à mes collègues du Sénat de voter une proposition de loi transpartisane visant à introduire le droit à l’IVG dans la Constitution, beaucoup m’ont dit : "Oui, mais tu sais, n’est-ce pas, que c’est impossible ? Jamais, jamais le Sénat ne votera pour introduire le droit à l’IVG dans la Constitution". La semaine dernière encore, beaucoup pensaient que ce congrès était inaccessible, que le conservatisme serait plus fort. Pourtant, nous sommes là. C’est une magnifique leçon que nous nous donnons à nous-mêmes, nous, les féministes : nous sommes si fortes et si on ne lâche rien, à la fin, on gagne. Du 17 janvier 1975, l’histoire a retenu Simone Veil. Je voudrais ici formuler le vœu que, du 4 mars 2024, l’histoire ne retienne aucun nom. La démonstration que nous avons faite, avec Mathilde Panot, avec Aurore Bergé, avec Laurence Rossignol, avec Dominique Vérien, avec Laurence Cohen, avec Elsa Schalck, avec ces femmes qui ont choisi dans ce combat, comme en 1975, l’intérêt général par dessus toute autre considération, c’est que la victoire ne pouvait être que sorore et collective. Cette victoire revient à toutes celles et ceux qui se sont mobilisés, célèbres, connus ou anonymes ; celle des militantes et des associations féministes, qui n’ont jamais rien lâché, qui nous ont fait confiance, et qui ont mobilisé sans répit. Merci, et bravo ! ».
Avec un message aux extrémistes rétrogrades : « C’est un message pour toutes les Françaises et les Français, qui tiennent tant à ce droit, et qui réclamaient, massivement, son introduction dans la Constitution ; un message pour toutes celles qui ont connu le temps où le prix du choix pouvait être l’exclusion, la prison, ou la mort, qui ont connu l’humiliation de la clandestinité, la douleur des curetages sans anesthésie, les cintres et les aiguilles ; un message à celles qui ont pleuré, de joie, de soulagement, le 17 janvier 1975. Jamais vos filles, vos petites-filles, vos nièces ne connaîtront cela. Nous sommes à jamais libres. Vous avez définitivement gagné ! C’est aussi un message à tous les anti-choix et à tous les anti-droits. Vous n’avez cessé, depuis 1975, de rêver d’un jour où vous pourriez nous reprendre ce droit. Entendez, depuis le Parlement, la République entière vous dire, et vous dire sans trembler : cet horizon a disparu ; vous avez définitivement perdu. Plus jamais, nous ne reviendrons sur le droit à l’IVG ! (…) Ensemble, unies et solidaires, notre pouvoir est sans limite. Nous pouvons renvoyer le patriarcat, l’obscurantisme religieux, la domination masculine, dans le cimetière des idées réactionnaires. Nous sommes si fortes. Si le pire n’est jamais certain, le meilleur, lui, est toujours possible. ».
Toute cette après-midi à Versailles a semblé une sorte d'oasis de notre vie politique, un moment d'unité et de concorde qui mériterait d'être plus fréquent dans un pays si divisé et inquiet. Comme l'a dit Mélanie Vogel, le pire n'est jamais certain et même, le meilleur est possible. Ce fut le cas ce lundi 4 mars 2024, espérons que ce moment-là se renouvellera !
« Les moments d’unité en politique sont rares, ce moment, d’une haute importance, le rappelle. C’est donc avec fierté et beaucoup d’émotion que nous voterons nous aussi le texte qui inscrit le droit à l’IVG dans la Constitution. (…) La liberté de recourir à l'IVG est souvent prise pour cible. L'actualité internationale nous rappelle la fragilité inouïe de cette liberté fondamentale, alors même que le "contrôle de la procréation entre les mains des femmes elles-mêmes est, comme l'écrivait Françoise Héritier, la première marche vers l’égalité". » (François Patriat, le 4 mars 2024 à Versailles).
Ça y est, l'inscription de l'IVG a été actée dans la Constitution. Cette après-midi du lundi 4 mars 2024, les parlementaires ont été mobilisés à Versailles, réunis en Congrès sur convocation du Président de la République, pour voter définitivement la révision de la Constitution. À 18 heures 50, la Présidente du Congrès Yaël Braun-Pivet a lu les résultats des votes avec un majestueux sourire : 780 voix pour, 72 voix contre, et 50 abstentions sur 902 votants. La majorité des trois cinquièmes (60%) nécessaires a été largement dépassée : près de 92% des parlementaires ont voté la réforme ! Bien plus que toutes les prévisions dont les premières excluaient même la convocation au Congrès il y a encore quelques semaines.
Quasiment tout le monde, y compris le RN, a admis que cette journée était une journée de concorde nationale. J'y reviendrai. Et personne n'avait de raison très sérieuse, à part s'opposer à l'IVG elle-même, de ne pas voter la révision. Je voudrais exprimer sentiments et réflexions personnels à ce sujet.
D'abord, je dois dire que je suis mal à l'aise avec les déclarations habituellement entendues : on parle de droits des femmes, de liberté de disposer de leur corps. Soit. Mais le problème n'était pas là. Quand Simone Veil a fait adopter sa loi, il y a un peu plus de quarante-neuf ans (on remarquera au passage le bon timing de cette révision, à quatre jours de la journée internationale de la femme), ce n'était pas pour parler de la liberté des femmes mais pour parler de leur vie, de leur existence et de leur santé. Et en insistant toujours sur le fait qu'un avortement, c'est avant tout un drame, un traumatisme, qu'il soit autorisé ou interdit (plus traumatisant s'il est interdit, évidemment). L'abolition de la peine de mort, oui, on aurait pu se satisfaire de ce genre de discours triomphaliste à la limite de l'arrogance sur la France éclairant le monde de ses Lumières (mais comme la France l'a fait très tardivement, on s'en est gardé), alors que l'IVG, c'est autre chose. C'est d'abord une amputation.
Je suis aussi mal à l'aise car je ne sais pas ce que j'aurais voté si j'étais parlementaire. Sans doute j'aurais voté pour, après réflexion et sans pression, mais sans passion et sans enthousiasme, plus par raison que par incarnation. Je comprends ainsi que certains parlementaires aient voté contre, ou, moins courageux, se soient abstenus (je suis désolé de le dire car il y en a de grande valeur qui se sont abstenus). C'est la principale raison de la réticence à cette initiative : l'IVG avait été actée il y a un demi-siècle, l'affaire était classée, et certains parlementaires ne voulaient pas se retrouver dans la même situation que ceux de 1974-1975 à devoir faire un choix public, entre ce que leur dicterait leur conscience et que la société leur demanderait, car pour ce sujet, c'est l'évolution de la société que le législateur a dû suivre.
Ce n'est pas ma foi catholique qui me déterminerait mes choix politiques et je regrette que l'Église catholique ait voulu faire pression sur la société à ce sujet, même si elle reste dans son rôle de rappeler que la vie est sacrée et qu'il faut précieusement la protéger. Je suis croyant parce que j'ai une certaine idée de la vie (sacrée) plus que l'inverse. Au final, cela ne change pas grand-chose, mais le principe de l'IVG me heurte personnellement, en ce sens qu'après fécondation, je crois fortement que l'embryon est déjà une personne en devenir, c'est d'ailleurs pour cette raison que le statut de l'embryon est très défini et protégé (malheureusement, de moins en moins).
Mais ma morale personnelle ne doit pas intervenir dans la morale publique. Pour une société comme la France, la loi Veil était une nécessité et cela faisait plusieurs années que les ministres savaient qu'il fallait la faire. La loi Veil a sauvé de nombreuses vies. C'est cela qu'il faut retenir, au lieu d'imaginer tous ces embryons voire fœtus (car à partir de combien de semaines ce ne serait plus convenable ?) tués, il faut rappeler la très forte mortalité des femmes enceintes qui voulaient avorter dans la clandestinité. Donc, oui, et elles ont été souvent citées au cours de cette journée, Gisèle Halimi (qui a amorcé les prises de conscience), Simone Veil (avec sa loi très mesurée et équilibrée) et Yvette Roudy (qui a rendu gratuite l'IVG, gratuité sans laquelle il n'y a pas de liberté pour toutes).
Une petite parenthèse : la question n'est pas similaire à la question de l'euthanasie car je considère que la morale publique doit absolument s'opposer à l'euthanasie, pour de nombreuses raisons. Je me réjouis d'ailleurs que la plupart des parlementaires n'ont fait aucun parallèle avec ces deux graves sujets, préférant mettre l'inscription de l'IVG dans la Constitution comme un élément de victoire de la lutte des femmes voire comme une Lumière supplémentaire ajoutée à celles de la Révolution française ! Mais cela n'est pas le sujet ici.
Donc, le principe de réalité impose au législateur d'autoriser et d'encadrer dans un strict cadre médical l'avortement pour éviter l'hécatombe des femmes. Du reste, l'autorisation de l'avortement n'a pas fait augmenter le nombre d'avortements, qui se situe autour de 240 000, c'est resté stable depuis cinquante ans alors que la population français a progressé énormément. C'est sûr qu'avant l'avortement, la contraception, autorisée depuis le 29 décembre 1967 par la loi défendue par Lucien Neuwirth (lui aussi souvent cité pendant cette journée), permet souvent d'éviter ce drame.
À ceux qui ne sont pas convaincus par cet argument de santé publique, je leur recommande d'entendre le docteur Claude Malhuret, également sénateur, qui est intervenu au débat public. Son témoignage était émouvant et ni politique ni idéologique, juste une leçon de vie à faire frémir (j'y reviendrai comme je reviendrai à la plupart des interventions de la journée).
Les évolutions de la loi Veil n'ont pas été heureuses et visent à faire de l'avortement un acte banal alors qu'il ne l'est pas. En augmentant le nombre de semaines, de 10 à 12, puis de 12 à 14 semaines (jusqu'où ira-t-on ?) et en supprimant l'entretien préalable. Néanmoins, cela n'a pas semblé faire croître le nombre d'avortements et si je suis favorable à la clause de conscience des médecins, il faut aussi se préoccuper de la capacité concrète de se faire avorter, remise en cause dans certains territoires ce qui met au péril cette liberté de se faire avorter pour toutes.
La réaction de la ministre déléguée Aurore Bergé lors du vote, sur Twitter, m'a un peu gêné : « Pour toi, maman. Pour toi, ma fille. Pour toutes nos mères. Pour toutes nos filles. Pour toujours ! Liberté ! ». Parce que je me dis que l'avortement empêche la mère d'être mère, la fille d'être fille. Mais pour bien comprendre ce tweet, il fallait l'écouter le 24 janvier 2024 : « Je suis la fille d'une mère qui a risqué la prison et la mort pour avorter dans la clandestinité. Et la mère d'une fille que je souhaite voir grandir libre. Libre de disposer de son corps. Soyons à la hauteur de nos mères. À la hauteur de nos filles. ».
Évoquons maintenant cette révision constitutionnelle. L'inscription dans la Constitution, et tout le monde l'admet, ne fera aucun changement par rapport à l'existant. Les femmes auront toujours la liberté de se faire avorter, mais elles pourront toujours avoir des difficultés à le faire dans certains endroits de France, faute de médecins ou d'hôpitaux qui les accueillent le cas échéant.
On pourrait même suggérer que la loi Veil fasse déjà partie du Bloc de constitutionnalité reconnu par le Conseil Constitutionnel, comme c'est explicitement le cas pour la loi du 9 décembre 1905 sur la laïcité (qui n'est pourtant qu'une simple loi et qu'on a voulu constitutionnaliser mais c'était très compliqué car le statut de l'Alsace-Moselle reste soumis au Concordat dans le droit français), et donc, que cette liberté de l'IVG était déjà protégée comme faisant partie des libertés fondamentales. D'autant plus qu'on pourrait interpréter cette liberté du "bon côté", qui serait la liberté de faire ou pas des enfants, la liberté de ne pas faire d'enfant signifiant la possibilité de la contraception et de l'avortement.
Alors pourquoi la Constitution ? Pour sa valeur symbolique, pour des considérations de politique étrangère (la France est le premier pays au monde à constitutionnaliser la liberté de faire une IVG), et, bien sûr, pour des considérations de politique intérieure. Dans le monde, il y a certains pays qui ont remis en cause cette liberté, et cela a été souvent dit par les orateurs, notamment les États-Unis mais il y a l'inquiétude pour l'Argentine (bientôt remis en cause) et un peu moins d'angoisse pour la Pologne (c'était remis en cause mais la nouvelle majorité va revenir sur celle-ci).
Pour les considérations de politique intérieure, je laisse chacun libre de ses jugements avec ses propres opinions partisanes. Le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, peu suspect de macronisme, a expliqué dans "L'Obs" du 4 mars 2024 : « Peu importe qu’il ait récupéré une initiative amorcée par la gauche, notamment par les insoumis de l’Assemblée Nationale : l’histoire retiendra que c’est Emmanuel Macron qui a inscrit l’IVG dans la Constitution française. Or c’est précisément ce que la majorité sénatoriale souhaitait éviter. ». En effet, ni la sénatrice communiste Laurence Cohen, auteure de la première proposition de loi allant dans ce sens, ni (encore moins) la députée FI Mathilde Panot ou encore la sénatrice écologiste Mélanie Vogel (toutes les deux auteures de propositions de loi récentes allant dans ce sens) n'auraient cette "paternité" (si je puis dire pour des femmes) car c'est finalement le gouvernement qui a déposé le projet de loi qui a abouti à cette révision.
La raison était double et politiquement et institutionnellement très habile. D'une part, cela a évité un référendum qui n'aurait pas lieu d'être car le sujet ne clive pas la société française et aurait donc été inutile (le risque d'une abstention massive est dissuasif). Il faut rappeler que les propositions de loi constitutionnelle ne peuvent aboutir qu'après un référendum et la voie du Congrès n'est réservée qu'aux projets de loi constitutionnelle (donc initiés par le gouvernement). Cela a aussi l'intérêt préalable de pouvoir faire étudier le texte par le Conseil d'État. D'autre part, cela a permis cette grande victoire de 92% des parlementaires qui l'ont adopté, et là, ce n'était pas du tout gagné, notamment du côté des sénateurs.
En déposant un projet de loi constitutionnel lui-même, le gouvernement a pu maîtriser exactement les mots employés, et le débat était double. D'une part, entre "droit" (voulu par l'extrême gauche) et "liberté garantie" (introduite par les sénateurs). En adoptant le mot liberté au lieu de droit, le gouvernement a pu convertir une large majorité des élus LR et centristes à ce projet (et même RN !), ce qui était indispensable pour son adoption. D'autre part, il s'agissait pour le gouvernement de ne pas refaire le débat de l'IVG, et rouvrir la boîte de Pandore, mais seulement de l'inscrire dans le texte fondamental. Pour cela, il ne fallait parler d'aucune condition d'application de l'IVG qui restera dans le domaine de la simple loi (entre autres, sur la clause de conscience demandée par la droite sénatoriale, et sur la durée du délai pour l'IVG, la gauche aurait souhaité y mettre au moins un délai minimal). Tous ces éléments sont renvoyés à la simple loi, que le législateur pourrait éventuellement modifier (ou pas).
Dans sa formulation, cette révision constitutionnelle est donc bien celle du gouvernement et du Président Emmanuel Macron qui était pourtant au début plutôt hostile à cette idée. Jean-Philippe Durosier a donc raison quand il rend la paternité à Emmanuel Macron lui-même et ce n'est pas anodin que ce dernier veuille faire une grande cérémonie place Vendôme (siège du Ministère de la Justice) le vendredi 8 mars 2024 vers midi, car il était absent de cette journée purement parlementaire à Versailles, comme l'a imposé la Constitution.
Maintenant, évoquons la caractère émouvant de l'événement. À l'origine, le passage au Congrès ne laissant pas de doute sur son issue favorable, cela n'était qu'une journée de formalisme constitutionnel, de formalités avec pompes et protocole (et sceau !).
J'ai ressenti un drôle de trouble. Je suis désolé de parler de moi-même, mais l'analogie me paraît pertinente. Lorsque je me suis marié (événement relativement ordinaire dans notre société mais exceptionnel dans ma vie), nous avions choisi de séparer le mariage civil du mariage religieux. De deux semaines, parce que l'un se faisait dans une ville et l'autre à plus de trois cents kilomètres de là. Mais nous avions décidé que la véritable fête était le mariage religieux, celle qui avait le plus de sens pour nous, où toute notre famille et nos amis étaient invités et rassemblés. Pour le mariage civil, en très petit comité, nous avions fait on ne peut plus sobre, les quinze minutes (à peine) dans la salle (prestigieuse, il faut le reconnaître) de la mairie et ensuite, une petite réception chez mes beaux-parents l'après-midi. Nous pensions que ce n'était qu'un acte administratif, et que la grande fête était réservée deux semaines plus tard. Rentrés le soir tout seuls chez nous, cela nous faisait tout drôle : devant la République, nous étions déjà officiellement mariés, le livret de famille en main. Et une énorme émotion nous a submergés...
Eh bien, c'est ce type d'émotion que j'ai ressentie chez les parlementaires ce 4 mars 2024 à Versailles. Au départ, une lettre à la poste, et au fil des interventions des orateurs, la conscience aiguë que se jouait en direct un morceau d'histoire républicaine. Mais cette journée était-elle vraiment si historique que cela ?
La réponse est assurément oui, et pour plusieurs raisons.
La première raison a l'air de rien mais c'est essentiel. La personnalité qui préside le Congrès est celle qui préside l'Assemblée Nationale. Pour la première fois de l'histoire de la République, cette personne est une femme, Yaël Braun-Pivet, et elle a dû se préparer à cela car elle était dans un état d'esprit extraordinairement positif et déterminé. C'était elle la chef de toute la journée, du début à la fin. Aux côtés du Président du Sénat, Gérard Larcher, qui devait faire bonne figure, lui qui était opposé jusqu'à la tenue du Congrès (il s'est abstenu), mais aussi du Premier Ministre Gabriel Attal qui a fait le discours du gouvernement, et des trois ministres concernés Éric Dupond-Moretti (Justice), Aurore Bergé (Égalité entre les femmes et les hommes) et Marie Lebec (Relations avec le Parlement). Une majorité de femmes !
La deuxième raison est le principe même de la révision de la Constitution. On critique souvent le grand nombre de révisions constitutionnelles, mais la dernière (la vingt-quatrième) a eu lieu il y a près de seize ans déjà, le 23 juillet 2008. Depuis cette date, aucune révision n'a pu aboutir, et on peut même dire heureusement la plupart du temps ! L'idée que chaque Président de la République veuille ou puisse faire un toilettage complet de la Constitution au début de chaque mandat (comme en 2008) est insupportable. Désormais, des révisions constitutionnelles très ciblées auront plus de chance d'aboutir. C'est donc historique en ce sens qu'on révise de plus en plus difficilement la Constitution dans un paysage politique éclaté (il faut une majorité de trois cinquièmes ou un référendum). Emmanuel Macron a d'autres projets de révisions ciblées, en particulier les statuts de la Nouvelle-Calédonie, de la Corse et de Mayotte, mais il n'est pas sûr qu'il ait cette possibilité politique d'aller jusqu'au bout.
L'autre émotion, c'est le sceau à mettre sur la loi. Cette grosse machine mécanique qui était de même sorte que celle que De Gaulle et Michel Debré ont maniée pour promulguer la Constitution du 4 octobre 1958. Une image historique qui est restée dans les mémoires.
La troisième raison, c'est que, comme c'est proclamé par beaucoup de parlementaires, la France est le premier pays à avoir inscrit l'IVG dans sa Constitution. Du moins, avec cette formulation, comme l'a précisé Jean-Philippe Durosier : « La Constitution française devient la première Constitution démocratique au monde à reconnaître expressément l’interruption volontaire de grossesse. Ces dernières précisions sont importantes car d’autres Constitutions de régimes démocratiques ou non l’ont déjà indirectement évoquée, telle la Constitution de la Yougoslavie de Tito, en 1974, dont l’article 191 consacrait le droit humain de décider librement de son organisation familiale. Aujourd’hui, l’article 55 de la Constitution de Slovénie garantit que "chacun est libre de décider s’il souhaite avoir des enfants", en précisant que "l’État garantit les possibilités d'exercice de cette liberté et crée les conditions permettant aux parents de décider d'avoir des enfants". ». Nul doute que dans l'avenir, la France sera imitée. Il est aussi question d'inscrire l'IVG dans la Charte des valeurs de l'Union Européennes.
La quatrième raison, c'est la personnalité qui a défendu ce projet devant le Congrès : Gabriel Attal, le plus jeune Premier Ministre de l'histoire, dont la mère était trop jeune pour avoir participé aux combats pour les femmes. Il n'est pas une femme et il est d'une génération très éloignée de ces luttes féministes, mais il est aussi l'avenir, et sa présence comme premier défenseur de cette révision constitutionnelle peut faire prendre conscience auprès des jeunes générations de l'importance du sujet. En outre, il a affirmé le 29 juin 2021 être né d'une PMA, dans le même hôpital qu'Amandine, le premier bébé éprouvette français. C'est un représentant de la modernité sociétale dans sa propre chair.
Il y a un côté surréaliste d'entendre ce jeune homme né le 16 mars 1989 (il aura 35 ans dans la semaine prochaine) dire : « Mesdames et messieurs les parlementaires, nous étions en 1972, nous sommes en 2024 : qu’il est long le chemin de la liberté ! Alors que nous vous proposons de faire un pas de plus, c'est avec la plus grande humilité que je m’adresse à vous. Mesdames, et je dis bien mesdames, l'homme que je suis ne peut imaginer vraiment la détresse qu’ont pu connaître ces femmes, privées de la liberté de disposer de leur corps des décennies durant. L’homme que je suis ne peut imaginer vraiment la souffrance physique d'alors, quand l’avortement était synonyme de clandestinité honteuse, de douleurs innommables et de risques fatals. L’homme que je suis ne peut imaginer vraiment la souffrance morale, causée par une société pesante, qui préférait taire et condamner. Mais le frère, le fils, l'ami et le Premier Ministre que je suis retiendra toute sa vie la fierté d’avoir été présent à cette tribune en ce jour où, je l'espère, sera consacré le combat de femmes et d'hommes de tous bords et de toutes sensibilités confondus. Ils font honneur à la nation des droits qu'est la France en ayant rendu possible cet instant, ce jour où nous pouvons ensemble, unis et pleins d’émotion, modifier notre loi fondamentale pour enfin y inscrire la liberté des femmes. ». De plus, il y a un côté presque insolent qu'en moins de deux mois, il fasse adopter une révision constitutionnelle devenue si rare, avec un consensus si éclatant (92%) alors que sa prédécesseure Élisabeth Borne avait du mal à rassembler des majorités pour des lois importantes.
La cinquième raison, c'est en effet l'évident consensus qui transcende les querelles partisanes. Pour une fois, surtout depuis le début de cette législature au climat détestable, en particulier lors de l'examen de la réforme des retraites et celui de la loi Immigration, tous les parlementaires allaient dans le même sens, y compris le RN qui a certes émis quelques réticences mais a voté majoritairement pour cette inscription. Et au-delà du consensus, c'est bien de la grande joie qu'on pouvait ressentir chez certaines parlementaires, je mets ici au féminin. La joie de Yaël Braun-Pivet qui n'a pas quitté son grand sourire, on peut la comprendre en tant que grande ordonnatrice. La joie de l'ancienne ministre socialiste Laurence Rossignol qui a voulu savourer sa joie et la faire partager. Aussi celle de Mathilde Panot et de Mélanie Vogel. Remonter le temps pour retrouver un climat aussi positif parmi les parlementaires, j'ai des difficultés pour me souvenir d'une date, tant les débats parlementaires ont été ponctués d'invectives, de simplismes, de postures, d'hypocrisies, etc. Au risque de devenir bisounours, on a retrouvé une classe politique que je dirais responsable, c'est-à-dire qui a laissé au vestiaire ses intérêts partisans (et la question : est-ce que ça va me profiter ?) et qui construit ensemble le bien commun.
Du coup, la sixième raison, que je développerai dans un article suivant, c'est la très haute tenue des interventions des orateurs, comme l'a dit le sénateur macroniste François Patriat qui a commencé son intervention aussi en s'excusant des redites, car c'est le risque de ce genre de grande intervention, redire ce que le collègue venait de dire, d'où la prime à l'originalité : « Je salue les nombreux propos de haute tenue que j'ai entendus. Je les ai applaudis. Au risque de vous faire subir quelques répétitions, je souhaite, à mon tour, insister sur plusieurs points. ».
Eh oui, j'ai trouvé les orateurs très bons, leurs interventions intelligentes, pertinentes, venues du cœur, passionnées et passionnantes... même celle de Mathilde Panot qui, pourtant, ne brille pas par son esprit consensuel ni une finesse intellectuelle, mais là, elle a eu la lumière et elle voudrait même se comparer à Simone Veil (une affiche FI risible la montre aux côtés de la grande dame avec ce slogan : "On l'a fait !"). Oui, nous croyions avoir la classe politique la plus bête au monde, et voici que nous observons qu'elle est capable du meilleur, d'être au rendez-vous de l'histoire, et finalement, d'être au rendez-vous des Français. Bravo à elle ! Mais qu'elle persévère !
« Je me dis que si le pays qui semble à la tête des démocraties occidentales, c'est cela, nous sommes en grand danger. On ne peut pas on ne pas se poser la question de ce que nous ferions si ça arrivait chez nous. » (Élisabeth Badinter, le 25 juin 2022, sur la décision de la Cour Suprême des États-Unis en défaveur de l'IVG).
Pour Élisabeth Badinter, récemment veuve (son époux était un constitutionnaliste hors pair), l'inscription de l'IVG dans la Constitution devenait, depuis deux ans, une demande justifiée des féministes qui craignaient une remise en cause de la loi sur l'avortement. Le 24 juin 2022, en effet, une décision de la Cour Suprême des États-Unis permettait à certains États américains d'interdire l'avortement, ce qui a bouleversé le sens de l'histoire.
Ce rebondissement juridique serait très peu probable en France, d'autant qu'il y a un certain consensus politique sur le sujet (ceux des partis les plus enclins à s'opposer à l'avortement se retiennent de s'opposer par électoralisme et forte envie de gouverner), mais il inquiète sur la possibilité future d'une remise en cause et surtout, il encourage les plus progressistes en France à faire de leur pays un modèle pour la planète, avec cette évidente arrogance française qui nous caractérise depuis le Siècle des Lumières et surtout la Révolution française. Ce sera un signal fort à l'ensemble du monde, et cette particularité d'être le premier pays à l'avoir inscrit dans la Constitution. C'est ce que le législateur appelle la "diplomatie féministe".
Dans le rapport du député Guillaume Gouffier Valente le 17 janvier 2024, il est effectivement spécifié : « En l'absence de réelle protection constitutionnelle, européenne ou internationale, il revient au constituant de prendre ses responsabilités pour reconnaître cette liberté fondamentale, indissociable de l’état de droit au XXIe siècle et dont la conformité à la Constitution repose sur l’appréciation que porte le Conseil Constitutionnel sur l’équilibre entre la liberté de la femme et la sauvegarde de la dignité humaine. En reconnaissant et en inscrivant la liberté garantie à la femme de recourir à une interruption volontaire de grossesse parmi les droits et libertés fondamentales déjà reconnues dans sa Constitution, ce projet de loi constitutionnelle protégerait la France contre toute tentative de porter atteinte à cette liberté. Conformément à sa diplomatie féministe, elle enverrait également un message de soutien à celles et ceux qui luttent pour la protection des droits des femmes en Europe et à travers le monde. La France serait le premier pays au monde à inscrire cette liberté dans sa Constitution. La rédaction retenue, qui modifie l’article 34 de la Constitution définissant le domaine de la loi, préserve l’équilibre entre les différents principes constitutionnels dont le Conseil Constitutionnel continuera de garantir le respect, ainsi que la compétence du législateur pour encadrer cette liberté. Elle n’impose en outre aucune évolution du droit existant. ».
C'était un engagement d'Emmanuel Macron à l'élection présidentielle de 2022 et confirmé lors de la Journée de la femme le 8 mars 2023. Le Président de la République pourra ainsi dire l'année suivante, le 8 mars 2024, que son objectif-là est atteint, ce qui sera très probable. Il pourra aussi dire qu'il aura réussi une révision de la Constitution, et malgré les nombreuses révisions depuis une trentaine d'années, aucune n'avait pu aboutir depuis le 23 juillet 2008. Ce sera d'ailleurs un exploit institutionnel (et démocratique) alors qu'il ne bénéficie même pas d'une majorité absolue à l'Assemblée Nationale.
Porté par le Ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, ce projet de révision a été déposé au bureau de la Présidente de l'Assemblée Nationale le 12 décembre 2023. La commission des lois de l'Assemblée Nationale l'a examiné le 21 décembre 2023 et du 16 au 17 janvier 2024 avant sa discussion en séance publique les 24 et 30 janvier 2024.
L'Assemblée Nationale a adopté le texte par 493 voix pour, 30 voix contre, sur 546 votants (scrutin public n°3289). Précisons que dans le groupe RN, 46 ont voté pour (dont Marine Le Pen, Sébastien Chenu, Bruno Bilde, Edwige Diaz, José Gonzalez, Laurent Jacobelli, Julien Odoul, Thomas Ménagé et Jean-Philippe Tanguy), 12 ont voté contre (dont Grégoire de Fournas) et 14 se sont abstenus (sur 88 députés RN). De même, parmi le 62 députés LR, 40 ont voté pour (dont Éric Ciotti, Philippe Juvin, Aurélien Pradié et Michel Herbillon) et 15 ont voté contre (dont Philippe Gosselin, Thibault Bazin, Xavier Breton, Annie Genevard, Fabien Di Filippo, Patrick Hetzel et Marc Le Fur).
Pour donner un exemple du climat politique lors de l'examen à la commission des lois, voici une réplique agacée du député Erwan Balanant (MoDem), favorable au projet, au député Xavier Breton (LR) qui pinaillait sur les définitions des mots (femme, volontaire, etc.) : « Arrêtez de vous faire des nœuds au cerveau, la formulation actuelle, validée par le Conseil d'État [le 7 décembre 2023], est très claire. Ces débats sont plutôt révélateurs d'un certain nombre de réticences face au droit à l'IVG. ».
Le texte adopté est en effet très simple et ne fait qu'un article : « Après le dix-septième alinéa de l’article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : "La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse". ». Il était important de ne pas préciser "droit" (il n'y a donc pas plus de droits constitutionnels qu'auparavant) mais de préciser dans les compétences du législateur qu'il doit définir les conditions d'application de l'IVG. Concrètement, il n'y a donc rien qui change, et une majorité qui s'opposerait à l'IVG pourrait toujours voter des conditions telles que l'IVG ne serait plus possible en pratique (par exemple, définir un délai de seulement deux semaines, etc.). On pourrait juste imaginer qu'en examinant la conformité d'une telle loi après saisine, le Conseil Constitutionnel pourrait l'invalider pour contournement de l'esprit de ce nouvel alinéa de la Constitution (en tant que mesure disproportionnée, deux semaines étant à l'évidence trop court pour faire appliquer la loi).
Ce texte a été ensuite déposé au bureau du Président du Sénat le 31 janvier 2024, et a été adopté dans les mêmes termes par les sénateurs après son examen en séance publique le 28 février 2024, par 267 voix pour, 50 voix contre, sur 339 votants (scrutin n°136). Parmi les 132 sénateurs LR, 72 ont voté pour et 41 contre. Parmi les 56 sénateurs centristes, 41 ont voté pour et 7 contre. Parmi les 50 sénateurs qui ont voté contre, il y a : Étienne Blanc, Bruno Retailleau, Arnaud Bazin, Loïc Hervé, Jean-Baptiste Lemoyne, Valérie Boyer, Muriel Jourda, Hervé Marseille, Alain Milon et Stéphane Ravier. Parmi les 22 sénateurs qui se sont abstenus, il y a : François-Noël Buffet, Alain Houpert, Laure Darcos, Vincent Delahaye, Jean-Raymond Hugonet, Nathalie Goulet, Catherine Morin-Desailly, Hervé Maurey, Michel Savin et Philippe Folliot.
L'adoption du même texte par les deux assemblées a donc conduit le Président de la République à convoquer, par décret du 29 février 2024, le Parlement en Congrès le lundi 4 mars 2024 à Versailles.
Revenons à Élisabeth Badinter, agrégée de philosophie, historienne, professeure à Polytechnique et chercheuse en sciences sociales sur la femme et sur le Siècle des Lumières (ainsi que femme d'affaires). Elle est connue pour être l'une des intellectuelles les plus influentes du pays, proposant ses analyses sur la société, en particulier sur les sujets les plus sensibles, se revendiquant héritière de Simone de Beauvoir sans forcément revendiquer toutes les idées de celle-ci, militante féministe mais aussi prônant la laïcité avec parfois assez de courage et de détermination, et ses avis peuvent déplaire évidemment à certaines personnes, en particulier aux féministes elles-mêmes quand elle s'est déclarée opposée aux lois sur la parité.
Elle est favorable à une laïcité tout court, sans adjectif qualificatif comme positive ou inclusive, s'opposant au port du voile et rejetant le concept de féminisme islamique (droit aux femmes d'être voilées). Élisabeth Badinter a été à la pointe du débat sur le port du voile dès l'affaire du foulard de Creil (le 18 septembre 1989). Elle a en effet défendu l'idée qu'il fallait interdire le port du voile à l'école, au contraire du Ministre de l'Éducation nationale de l'époque (Lionel Jospin) et a publié en ce sens dans "Le Nouvel Observateur" du 2 novembre 1989 une tribune, cosignée aussi de Régis Debray, Alain Finkielkraut, Élisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler, où elle fustigeait le communautarisme de fait du gouvernement : « En autorisant de facto le foulard islamique, symbole de la soumission féminine, vous donnez un blanc-seing aux pères et aux frères, c’est-à-dire au patriarcat le plus dur de la planète. ». Bien plus tard, le 9 septembre 2009, auditionnée par les parlementaires qui préparaient un texte de loi contre la burqa, elle considérait avec horreur ces « femmes fantômes d’Afghanistan » comme des « femmes en laisse » promenées par leur homme, et elle a rappelé : « Si nous avions dit alors fermement à trois jeunes filles manipulées par des intégristes "nous n’accepterons jamais ça", tout se serait arrêté. (…) Mais, parce que nous avons été tétanisés à l’idée que nous risquions d’être intolérants, nous avons alors toléré l’intolérable ! ».
Par ailleurs, fille du fondateur de Publicis (Marcel Bleustein-Blanchet), elle fait partie des familles les plus riches de France (ce qui, a priori, est indépendant de ses travaux intellectuels, mais lui a valu certaines critiques notamment sur la représentation dégradante de la femme dans certaines publicités et sur ses liens avec les clients de Publicis, en particulier l'Arabie Saoudite). Selon "Forbes", sa fortune était évaluée en 2023 à 1,4 milliard d'euros.
Très présente dans les médias depuis plus d'une quarantaine d'années, elle est l'auteure d'une vingtaine d'ouvrages dont certains de référence comme "L'Amour en plus" sorti en 1980 (chez Flammarion), "L'Un est l'autre" sorti en 1986 (chez Odile Jacob), "XY, de l'identité masculine" sorti en 1992 (chez Hachette), "Les Passions intellectuelles" sorti en trois tomes, en 1999, 2002 et 2007 (chez Flammarion) et "Fausse route" sorti en 2003 (chez Hachette).
Si elle est favorable au mariage pour tous, à la PMA pour les couples lesbiens, etc., Élisabeth Badinter s'est cependant opposée au mouvement transgenre et a cosigné une tribune publiée dans "Le Point" le 16 avril 2023 où elle dénonçait les dérives du planning familial (repaire de militants trans) et prônait l'interdiction des formations sur l'éducation à la sexualité par ces militants auprès des enfants et adolescents.
Parlant de son mari Robert Badinter en 2016, elle disait : « Un homme qui est si heureux quand il arrive quelque chose d'heureux à sa femme, pour moi, c'est un féministe ! ». Si elle était heureuse pour sa famille, elle s'inquiétait en revanche de l'évolution de la société en 2008 : « J'ai la sensation que nous sommes, nous aussi les Françaises, proches du basculement, et cela me fait peur. Je crois également qu'on a abandonné le combat parce qu'on pensait que l'indépendance et la liberté des femmes étaient acquises. Pourtant c'est un discours que nous devons tenir à nos filles ! C'est comme l'avortement : on croit que c'est gagné, ça semble tellement évident pour des générations comme la mienne, ou même pour celle de ma fille, qui a 42 ans. Mais il faut dire aux jeunes à quel point il est essentiel qu'elles soient indépendantes économiquement. Je sais bien que la crise économique rend l'accès des jeunes femmes au travail très difficile, surtout si on n'a pas de piston, et que beaucoup ont un travail qui ne correspond pas à leurs compétences. Autant de facteurs qui les poussent à penser qu'en tant que mère au foyer, leur travail sera utile et qu'elles feront de leur enfant un chef-d'œuvre, un enfant parfait. C'est ce qui me fait dire que nous sommes sur le point de créer un nouveau modèle. À l'heure actuelle, notre histoire nous permet de résister, mais pour combien de temps ? (…) Une fille de 12 ans qui regarde la télévision le 8 mars serait horrifiée : on ne nous donne que les statistiques des femmes violées, battues, tuées. Il faut un contre discours : les femmes ne sont pas que ça ! Aujourd'hui on apprend aux nouvelles générations non pas à conquérir le monde mais à s'en protéger. C'est un mouvement de repli qui va à l'encontre du discours de l'indépendance, qu'on ne tient plus. Il faut faire de nos filles des femmes indépendantes et conquérantes. ».
« Notre système, précisément parce qu’il est bâtard, est peut-être plus souple qu’un système logique. Les "corniauds" sont souvent plus intelligents que les chiens de race. » (Georges Pompidou, "Le Nœud gordien", 1974).
Il est toujours instructif d'observer scrupuleusement les débuts d'un nouveau Premier Ministre. Il doit à la fois être loyal avec le Président de la République, lui être fidèle, ne pas lui faire de l'ombre, mais être suffisamment dynamique pour être entendu et marquer les esprits (sauf bien sûr en période de cohabitation), et je m'étonne de ne pas avoir entendu (à ma connaissance) de remarque à ce propos pour ce nouveau gouvernement de Gabriel Attal.
D'abord, la chronologie de son interminable nomination restera sans doute dans les annales d'histoire politique comme celui d'un accouchement très laborieux. Rien que le nom du nouveau Premier Ministre a mis un jour à être annoncé, le 9 janvier 2024, un jour après l'acceptation par l'Élysée de la démission de la Première Ministre, démission demandée pourtant par le Président de la République. Ce qui veut dire que le Président était le "maître des horloges" de cette "séquence" et il y a eu des retards dès le début.
La première vague de nominations des ministres a eu lieu deux jours plus tard, le 11 janvier 2024, ce qui était un délai raisonnable. Après la surprise de la nomination de Gabriel Attal à Matignon, l'autre surprise a été le débauchage de Rachida Dati à la Culture, débauchage tant vis-à-vis de LR que de la ville de Paris dans la perspective des prochaines élections municipales en 2026. Catherine Vautrin au Travail était une moindre surprise dans la mesure où elle avait déjà été pressentie à Matignon en mai 2022.
Moins raisonnable a été le délai pour nommer les autres ministres, ministres délégués et secrétaires d'État, puisqu'il a fallu pratiquement un mois pour cette seconde vague de nominations décidée seulement le 8 février 2024. Il y a sans doute plusieurs causes à ce retard à l'allumage, mais cela a coûté politiquement car beaucoup de sujets n'avaient plus de titulaire ministériel, en particulier pour les transports, l'énergie, le logement, la santé, etc., et même l'école, puisque Amélie Oudéa-Castéra n'a finalement pas réussi à franchir son mois au Ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse en raison de ses maladresses verbales (elle reste cependant au Sports et aux Jeux olympiques et paralympiques).
Énumérons tout de même les causes possibles de ce retard à la détente. Une première cause très basique : depuis quelques années, l'Élysée vérifie que le candidat pressenti ministre n'a pas casserole, notamment fiscale, sociale ou judiciaire (et encore, il y a eu des trous dans la raquette dans le passé). Une deuxième cause de retard serait cet accord implicite avec Éric Ciotti qui aurait négocié avec Gabriel Attal la fin du débauchage des élus LR en échange d'une attitude plus ouverte des parlementaires LR face aux projets du gouvernement. La troisième cause est sans doute la série de décisions judiciaires qui a ponctué les premières semaines de l'année, en particulier la relaxe en première instance de l'ancien Ministre du Travail Oliver Dussopt le 17 janvier 2024 et celle de François Bayrou le 5 février 2024. Mais Emmanuel Macron n'a toutefois pas attendu la confirmation de la relaxe de Gérald Darmanin par la Cour de Cassation (qui a été prononcée le 14 février 2024). Enfin, la quatrième cause est une conséquence de la troisième avec un poids lourd de la Macronie, François Bayrou, qui retrouvait sa capacité politique à diriger un ministère (même si le parquet de Paris a fait appel de sa relaxe en première instance). L'éventualité d'un retour de François Bayrou au gouvernement pouvait bouleverser considérablement la composition du gouvernement puisqu'il n'aurait pas été nommé ministre délégué mais plutôt à la tête d'un superministère. Pour une raison pas encore bien identifiable, le président du MoDem est finalement resté à quai.
Il n'y a pas eu que l'accouchement de ces nomination qui a été long (et douloureux). Le discours de politique générale a mis aussi très longtemps à se faire, puisque Gabriel Attal l'a prononcé devant l'Assemblée Nationale seulement le 30 janvier 2024, soit trois semaines après sa nomination. Ce n'est cependant pas exceptionnelle sous la Cinquième République, on peut rappeler ainsi que Lionel Jospin, nommé le 2 juin 1997 à Matignon après la victoire de son parti aux élections législatives, a mis, lui aussi, presque autant de jours pour présenter sa politique générale à sa majorité parlementaire, soit le 19 juin 1997.
Ce qui a changé, c'est que deux semaines auparavant, le Président Emmanuel Macron a tenu une grande conférence de presse le 16 janvier 2024, entre la nomination de son Premier Ministre et son discours de politique générale. Une conférence très protocolaire, et exceptionnelle puisque c'est seulement la seconde fois qu'il en a organisé une telle depuis le début de son premier mandat. Il est vrai que ses Premiers Ministres pouvaient y être habitués puisque son premier Premier Ministre Édouard Philippe a eu la désagréable surprise d'avoir été doublé par le Président qui a tenu un discours très solennel devant les membres du Parlement réunis en Congrès à Versailles la veille de son discours de politique générale, au début du mois de juillet 2017 !
Mais ce n'est pas vraiment cela qui m'a surpris dans cette (longue) "séquence" de démarrage du gouvernement Attal. Lors de l'annonce de la seconde vague de nominations, le 8 février 2024, ce qui m'a étonné a été que le prochain conseil des ministres qui allait rassembler tous les ministres et sous-ministres n'était annoncé que la semaine suivante, le 14 février 2024 (les sous-ministres ne seront présents aux conseils des ministres suivants que lorsque un sujet de l'ordre du jour concernera leurs attributions). Alors que généralement, il y a un conseil des ministres quasiment à la suite des passations de pouvoirs dans les ministères, c'est-à-dire généralement le lendemain du décret de nomination. C'était le cas pour la première vague, le nouveau gouvernement s'était réuni à l'Élysée sous la présidence du Président de la République le 12 janvier 2024.
Le plus troublant, c'est qu'avant ce premier conseil des ministres, Gabriel Attal a réuni l'ensemble de son gouvernement le samedi 10 février 2024. L'annonce publique a évoqué un "séminaire gouvernemental" et cette prise de marque n'était pas anodine puisque tous les ministres ont ensuite tweeté quasiment les mêmes éléments de langage, que le gouvernement est "déterminé", qu'il souhaite être le plus efficace possible, agir rapidement, concrètement, être à l'écoute des Français, etc. Une sorte de grand briefing à usage autant externe qu'interne, et évidemment en concertation avec le Président de la République. Ce séminaire gouvernemental prévu à la fin de la semaine précédente ou au début de cette semaine, avait été repoussé, pour donner le temps de terminer les nominations des sous-ministres.
Or, l'expression même de "séminaire gouvernemental" est étonnante dans ce type de cas. En effet, les "séminaires gouvernementaux", qui existent depuis au moins la Présidence de Nicolas Sarkozy (peut-être même de Jacques Chirac), sont généralement des réunions du gouvernement organisées par le Président de la République lui-même pour réfléchir à une stratégie d'ensemble de l'action publique.
Or, dans le cas du 10 février 2024, le Président de la République, a priori, n'était pas présent. Il s'agirait donc plutôt de ce qu'on a appelé un "conseil de cabinet". Le conseil de cabinet, c'est le chef du gouvernement qui réunit l'ensemble de son gouvernement à Matignon sans la présence du Président de la République. C'était fréquent sous la Troisième République et la Quatrième République, dans la mesure où le Président de la République n'avait pas de rôle autre que protocolaire, présidait les conseils des ministres de façon formelle, mais c'était le Président du Conseil qui initiait l'action du gouvernement.
C'est la raison pour laquelle Michel Debré, qui a dirigé le premier gouvernement de la Cinquième République, du 8 janvier 1959 au 14 avril 1962, a réuni son gouvernement en conseils de cabinet douze fois en trois ans. Ce qui n'était pas du tout du goût de De Gaulle qui considérait que le Président de la République devait être présent dans les instances décisionnelles. De Gaulle, lui-même, lorsqu'il était Président du Conseil du 1er juin 1958 au 8 janvier 1959, réunissait souvent son gouvernement en conseils de cabinet, tandis que les conseils des ministres, chambres d'enregistrement, ne duraient qu'une trentaine de minutes. De Gaulle et ses successeurs ont donc fait en sorte que les conseils de cabinet soient rares et exceptionnels. Sous la Présidence de Georges Pompidou, le Premier Ministre devait inviter les ministres à déjeuner pour pouvoir les réunir implicitement en conseil de cabinet.
Bien entendu, lors des trois cohabitations (1986 à 1988, 1993 à 1995 et 1997 et 2002), le Premier Ministre réunissait son gouvernement fréquemment en conseils de cabinet pour ne pas avoir à discuter des mesures à prendre au cours des conseils des ministres présidés par un Président d'un autre bord politique, et les conseils des ministres ne devenaient que des chambres d'enregistrement. Il y a certes eu des conseils de cabinet depuis 1962 hors de ces périodes de cohabitation, mais de manière rare et exceptionnelle. Par exemple, Manuel Valls a réuni un conseil de cabinet le 14 octobre 2015 pour faire un tour d'horizon des sujets économiques, sociaux et culturels pour l'outre-mer, dans la perspective de la préparation du projet de loi de finances de 2016. Là aussi, le nom retenu par Manuel Valls était "séminaire gouvernemental".
C'est pourquoi la réunion d'un "séminaire gouvernemental" par Gabriel Attal sans Emmanuel Macron le 10 février 2024 est un élément institutionnel notable qu'il convient de souligner. Il s'est fait en accord avec le Président de la République et il indique clairement qu'Emmanuel Macron veut laisser une certaine autonomie à son Premier Ministre, au contraire du temps de la Première Ministre Élisabeth Borne où les négociations sociales passaient souvent par l'Élysée. Cela traduit une grande confiance de la part du Président de la République envers son Premier Ministre, mais aussi une volonté évidente de se dégager des affaires du quotidien (même si, par correction, Emmanuel Macron a rencontré récemment les organisations d'agriculteurs), pour se consacrer avec plus d'intensité aux relations internationales dans une situation particulièrement tendue (il a rencontré le Président ukrainien Volodymyr Zelensky le 16 février 2024 au soir).
Il faudra donc suivre attentivement l'évolution de cette pratique institutionnel, voir si ces conseils de cabinet se multiplieront ou s'il ne s'agissait que d'un cadrage de démarrage. Et suivre aussi, mais c'est le cas pour tous les nouveaux Premiers Ministres, l'évolution des rapports entre le Premier Ministre et le Président de la République. Si Gabriel Attal a des vues élyséennes (ce qui, aujourd'hui, est bien trop tôt pour se poser la question), il devra nécessairement faire preuve d'indépendance par rapport à Emmanuel Macron, au risque d'écorner la susceptibilité de ce dernier, comme cela a été le cas pour tous les Premiers Ministres de la Cinquième République qui ont nourri des ambitions présidentielles (en dehors bien sûr des périodes de cohabitation) : Georges Pompidou (vis-à-vis de De Gaulle), Jacques Chaban-Delmas (vis-à-vis de Georges Pompidou), Jacques Chirac et Raymond Barre (vis-à-vis de Valéry Giscard d'Estaing), Laurent Fabius et Michel Rocard (vis-à-vis de François Mitterrand), François Fillon (vis-à-vis de Nicolas Sarkozy), Manuel Valls (vis-à-vis de François Hollande) et Édouard Philippe (vis-à-vis d'Emmanuel Macron). Le cas le plus rare (et unique) est Alain Juppé qui a toujours gardé une fidélité extrême à celui qui l'avait nommé à Matignon, Jacques Chirac, au point d'avoir gâché ses perspectives présidentielles pour avoir endossé les affaires judiciaires de son mentor.
En nommant Gabriel Attal à Matignon, sans doute Emmanuel Macron a voulu un Emmanuel Macron bis pour le suppléer dans ses tâches élyséennes. L'avenir dira s'il l'a nommé avec discernement.
« Le Président de la République réunira l’ensemble des membres du gouvernement pour un conseil des ministres qui se tiendra le mercredi 14 février 2024 à 10 heures. » (Communiqué de l'Élysée du 8 février 2024 dans la soirée).
Un premier conseil des ministres à la Saint-Valentin, ça promet ! Comme souvent dans les nominations de nouveaux gouvernements, on a tendance à dire : tout ça pour ça ?! La montagne accouche d'une souris, de plusieurs souris, dont la plus grande, Gabriel Attal était de service spécial sur France 2 dans la soirée de ce jeudi 8 février 2024.
Il a donc fallu quatre longues semaines pour compléter le gouvernement étriqué nommé le 11 janvier 2024. On soupçonne ce temps long par l'attente de quelques décisions judiciaires, concernant Olivier Dussopt (qui était pressenti à l'Outre-mer et qui finalement reste sur le quai) et concernant bien sûr François Bayrou. La lenteur viendrait-elle du président du MoDem ? Peut-être. On le saura plus tard, dans des confidences ultérieures.
Pour l'instant, il n'y a pas beaucoup de nouveauté, il y a beaucoup de continuité avec le gouvernement d'Élisabeth Borne. Par exemple, on a repêché en ministre plein Stanislas Guérini (à la Fonction publique ; les fonctionnaires soufflent). On a repêché aussi Amélie Oudéa-Castéra qui retrouve son ancien Ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, attributions déjà bien lourdes pour assurer un été olympique réussi en France.
Du coup, la grande surprise est donc le retour de l'ancienne Garde des Sceaux, Nicole Belloubet (68 ans), qui a l'avantage d'être une femme et d'origine socialiste, deux caractéristiques assez rares dans ce gouvernement (malgré la parité). Elle a été nommée Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, ce qui est doublement étonnant : pour ce ministère de réformes, il fallait un poids lourd politique (ce qu'aurait été François Bayrou), or, ce n'est pas du tout le CV ni l'ADN de la nouvelle ministre ; par ailleurs, elle ne semble pas considérer les mêmes urgences que Gabriel Attal, ne paraît pas très convaincue par l'uniforme à l'école, par exemple.
Certes, elle connaît la communauté éducative à plusieurs titre. Elle est docteure en droit à la Sorbonne (1990), agrégée de droit public (1992), professeure en droit constitutionnel, elle a été nommée sous la gauche rectrice de l'académie de Limoges (1997-2000) puis rectrice de l'académie de Toulouse (2000-2005). Ce qui lui a permis d'avoir une carrière politique locale non négligeable au sein du PS à Toulouse : première adjointe à Toulouse de 2008 à 2010, vice-présidente du Grand Toulouse de 2008 à 2013, première vice-présidente du conseil régional de Midi-Pyrénées de 2010 à 2013, avant d'être nommée membre du Conseil Constitutionnel de 2013 à 2017, date de son entrée au Ministère de la Justice.
Même s'ils ont parfois un rôle important, je doute que les autres "nominés" soient connus, même des journalistes. Je me réjouis de la reconduite au gouvernement des ministres délégués Roland Lescure (Industrie et Énergie), Olivia Grégoire (Entreprises, Tourisme et Consommation), Sarah El Haïry (Enfance, Jeunesse et Familles), Jean-Noël Barrot (Europe) et Hervé Berville (Secrétaire d'État, chargé de la Mer et de la Biodiversité). Ainsi que Fadila Khattabi, ancienne présidente de la commission des affaires sociales à l'Assemblée Nationale, qui est confirmée aux Personnes âgées et aux Personnes handicapées (nommée le 20 juillet 2023). Précisons que l'Énergie ne dépend plus de la Transition écologique, mais de l'Économie et des Finances (ce qui a déjà suscité quelques protestations de la part d'organisations écologistes).
Je me réjouis également de l'entrée de Frédéric Valletoux, ancien maire de Fontainebleau, député Horizons et surtout, ancien président de la Fédération des hôpitaux de France, qui était très attendu au Ministère de la Santé et de la Prévention. D'ailleurs, s'il fallait résumer cette seconde vague de nominations, on pourrait juste dire : Nicole Belloubet à l'Éducation nationale et à la Jeunesse, et Frédéric Valletoux à la Santé et à la Prévention.
Notons également qu'au gouvernement depuis octobre 2018, Agnès Pannier-Runacher est reconduite dans le gouvernement Attal, sans affectation précise en tant que ministre déléguée auprès de Marc Fesneau. Elle fait partie des rares anciens ministres pleins à avoir été rétrogradés en ministres délégués, comme Aurore Bergé, et, auparavant, Olivier Véran (qui quitte le gouvernement) et Franck Riester (qui y reste).
Pour le reste, il y a quelques mini-changements, comme Patrice Vergriete, ancien maire de Dunkerque, qui passe du Logement aux Transports, l'arrivée du président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée Nationale Guillaume Kasbarian, un proche de Gabriel Attal, au Logement, poste également crucial dans la situation de la France en pleine crise du logement. Marina Ferrari, députée MoDem de Savoie et élue d'Aix-les-Bains, est nommée Secrétaire d'État chargée du Numérique (elle succède à un autre MoDem, Jean-Noël Barrot).
On peut maintenant confirmer le limogeage du gouvernement notamment des ministres délégués et secrétaire d'État suivants : Olivier Véran, Clément Beaune (prévisible), Philippe Vigier, Carole Grandjean, Olivier Becht et Laurence Boone.
En tout, le gouvernement est composé de 35 membres, dont le Premier Ministre, 13 ministres, 16 ministres délégués et 5 secrétaires d'État. Comme prévu, le nombre a plus que doublé avec la nomination des ministres délégués. La parité est respectée avec 17 hommes et 18 femmes, même si peu de femmes occupent des postes essentiels. Sur le plan politique, il compte quatre membres issus du MoDem (François Bayrou en aurait voulu six), deux membres issus de Horizons, un membre issu du parti radical, et il faut ajouter deux ministres issues (et exclues) de LR. Le reste est pour Renaissance.
C'est clair que le changement de gouvernement n'a fait que mettre en avant un seul de ses membres, le Premier Ministre, Gabriel Attal, sur qui repose seul la relance de la politique présidentielle. Pour l'instant, par cette nomination aussi jeune, il a bondi en popularité, mais cela a des risques de ne pas durer. Dès sa nomination, il s'est montré comme un Premier Ministre de gestion de crises (inondations, agriculteurs, polémique sur l'enseignement privé, etc.). Au début, il sera d'une parfaite loyauté vis-à-vis du Président Emmanuel Macron. Changement de style ou changement de politique ? La réponse est déjà connue.
Composition du premier gouvernement de Gabriel Attal
nommé le jeudi 11 janvier 2024 et complété le jeudi 8 février 2024
Premier Ministre :
Gabriel Attal, Premier Ministre, chargé de la Planification écologique et énergétique
Ministres :
M. Bruno LE MAIRE, Ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et Numérique M. Gérald DARMANIN, Ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Mme Catherine VAUTRIN, Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités Mme Nicole BELLOUBET, Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse M. Marc FESNEAU, Ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Mme Rachida DATI, Ministre de la Culture M. Sébastien LECORNU, Ministre des Armées M. Éric DUPOND-MORETTI, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice M. Stéphane SÉJOURNÉ, Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères M. Christophe BÉCHU, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires M. Stanislas GUERINI, Ministre de la Transformation et de la Fonction publiques Mme Amélie OUDÉA-CASTÉRA, Ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques Mme Sylvie RETAILLEAU, Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
Ministres délégués :
Auprès du Premier Ministre :
Mme Prisca THEVENOT, chargée du Renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement Mme Marie LEBEC, chargée des Relations avec le Parlement Mme Aurore BERGÉ, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les Discriminations
Auprès du Ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et Numérique :
M. Roland LESCURE, chargé de l’Industrie et de l’Énergie Mme Olivia GRÉGOIRE, chargée des Entreprises, du Tourisme et de la Consommation ; M. Thomas CAZENAVE, chargé des Comptes publics
Auprès du Ministre de l’Intérieur et des Outre-mer
et du Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires :
Mme Dominique FAURE, chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité
Auprès du Ministre de l’Intérieur et des Outre-mer :
Mme Marie GUÉVENOUX, chargée des Outre-mer
Auprès de la Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités,
de la Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse
et du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice :
Mme Sarah EL HAÏRY, chargée de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles
Auprès de la Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités :
Mme Fadila KHATTABI, chargée des Personnes âgées et des Personnes handicapées ; M. Frédéric VALLETOUX, chargé de la Santé et de la Prévention
Auprès du Ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire :
Mme Agnès PANNIER-RUNACHER
Auprès du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères :
M. Franck RIESTER, chargé du Commerce extérieur, de l'Attractivité, de la Francophonie et des Français de l'étranger M. Jean-Noël BARROT, chargé de l’Europe
Auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires :
M. Patrice VERGRIETE, chargé des Transports M. Guillaume KASBARIAN, chargé du Logement
Secrétaires d’État :
Auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et Numérique :
Mme Marina FERRARI, chargée du Numérique
Auprès du Ministre de l’Intérieur et des Outre-mer
et du Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires :
Mme Sabrina AGRESTI-ROUBACHE, chargée de la Ville
Auprès du Ministre de l’Intérieur et des Outre-mer :
Mme Sabrina AGRESTI-ROUBACHE, chargée de la Citoyenneté
Auprès du Ministre des Armées :
Mme Patricia MIRALLÈS, chargée des Anciens combattants et de la Mémoire
Auprès du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères :
Mme Chrysoula ZACHAROPOULOU, chargée du Développement et des Partenariats internationaux
Auprès du Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires :
M. Hervé BERVILLE, chargé de la Mer et de la Biodiversité
Le gouvernement dans sa totalité se réunira le mercredi 14 février 2024 à 10 heures au Palais de l'Élysée.