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29 mars 2021 1 29 /03 /mars /2021 03:02

« Madagascar, c’est le pays des promesses non tenues (…). C’est le pays des richesses dilapidées, du pétrole inexploitable, de l’or qui s’évapore… (…) Chaque redémarrage économique est brisé par une crise politique, et chaque soulèvement populaire marque le début d’un nouveau despotisme. Notre pays, c’est le pays des promesses non tenues… » (Alexis Villain, "Le vieux mangeur de temps", éd. No comment éditions, février 2012).



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Hospitalisé depuis le 22 mars 2021 pour un "contrôle de routine dû à une petite grippe", l’ancien Président de la République de Madagascar Didier Ratsiraka est mort d’un arrêt cardiaque à Tananarive le matin du dimanche 28 mars 2021, à l’âge de 84 ans (il est né à Vatomandry, à 200 kilomètres au sud de Tamatave, le 4 novembre 1936). Le 29 mars 2021 fut déclaré jour de deuil national avec les honneurs militaires. Avec lui disparaît un énorme pan de l’histoire de Madagascar, histoire plus triste qu’heureuse, et néanmoins contrastée d’un jeune militaire qui a pris le pouvoir par les armes et qui a dû le rendre à la suite d’un soulèvement populaire. L’histoire est partagée car il est parvenu à revenir au pouvoir par la voie démocratique mais a été balayé par un autre soulèvement après son refus de prendre en compte le résultat d’un nouveau scrutin.

Il y a quelques mois, lors de la fête nationale (le jour de l’indépendance), ravi d’assister, le 26 juin 2020, à la cérémonie du 60e anniversaire de l’indépendance, avenue de l’Indépendance, Didier Ratsiraka lâchait, prophétique : « Il ne devrait plus y avoir de coup d’État. ». Il était pourtant coutumier du fait…

Le cheminement de Didier Ratsiraka est bien décrit par la citation mise en tête d’article du journaliste Alexis Villain dans son petit recueil de nouvelles où une jeune femme s’épanche sur son pays auprès d’un chauffeur de taxi, et elle poursuit ainsi : « Vous croyez que partout dans le monde, il y a  tous ces intellectuels qui se changent en affairistes véreux, ces médecins qui deviennent épiciers, ces théologiens qui partent faire fortune à Ilakaka et y crèvent de misère, ou ces policiers changés en mendiants à chaque coin de rue ? Ce ne sont que des destins manqués. (…) On dirait que l’échec s’acharne sur ce pays, que c’est presque une seconde nature. ». Ilakaka est une ville minière du Parc national de l’Isalo, sur la route nationale 7, entre Fianarantsoa et Tuléar (à 220 kilomètres à l’est de Tuléar, à 25 kilomètres de Ranohira). En 1998, on y a découvert le plus gros gisement au monde de saphir et beaucoup de Malgaches sont venus s’y installer dans l’espoir (vain) de s’enrichir.

En fait, le peuple malgache y est-il vraiment pour quelque chose ou est-ce de la responsabilité de la classe politique particulièrement affligeante où les clans essaient de conquérir le pouvoir pour le bien clanique et pas l’intérêt général ?

Madagascar, l’un des pays les plus pauvres du monde, et pourtant, l’un des plus riches en diversité de la nature, de la faune, de la flore, en minerais, en ressources. Une instruction particulièrement à la traîne pendant les années rouges, qu’on peut encore comprendre lorsqu’on va à Madagascar : la génération des 50-60 ans connaît beaucoup moins bien le français que les 10-25 ans. Malgré la richesse du pays, la gestion ubuesque des terres à amener à importer des produits agricoles et maintenant, les terres sont vendues à des intérêts chinois (qui sont présents dans la Grande Île depuis déjà plusieurs générations). Les infrastructures ont rarement été entretenues (les routes surtout) et, comme dans les pays les plus pauvres, l’eau courante et l’électricité courante manquent encore, mettant notamment en danger la sécurité sanitaire des habitants.

Le premier responsable politique de cet état désastreux, c’est Didier Ratsiraka, dictateur communiste après un putsch militaire.

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Issu d’une famille déjà engagée politiquement dans le socialisme, Didier Ratsiraka a fait de brillantes études, d’abord à Tamatave et Tananarive, puis en France, le baccalauréat à Montgeron, puis préparation au prestigieux lycée Henri-IV à Paris et admis en 1960 à l’École navale à Brest (deuxième de sa promo), une des six grandes écoles militaires d’ingénieurs. Après son école, prenant le commandement d’un patrouilleur après l’indépendance, il le fait échouer à cause de fausses manœuvres, un peu en préfiguration de ce qu’il a fait pour son pays. Il fut écarté du champ opérationnel et se replia comme attaché d’ambassade à Paris.

Après les révoltes étudiantes en 1971-1972, en particulier la journée du 13 mai 1972 (la date du "13 mai" a été donnée par la suite à la principale place de la capitale), le pouvoir issu de l’indépendance fut balayé. Le Président Philibert Tsiranana, marquant une période de stabilité et de prospérité, a dû céder le pouvoir au général Gabriel Ramanantsoa, Premier Ministre le 18 mai 1972 puis Président le 11 octobre 1972 pour un période de transition et de réconciliation (déjà) jusqu’au 5 février 1975. Cette période de transition, avec suspension de l’Assemblée Nationale, a été approuvée par le référendum du 8 octobre 1972 avec des scores impossibles dans des démocraties sincères, 96,4% de "oui" avec 84% de participation, renversant ainsi le Président Philibert Tsiranana, le père de l’Indépendance, élu, lui aussi, avec des scores de dictature soviétique (réélu le 30 mars 1965 par 97,8% des voix avec 97,6% de participation et le 30 janvier 1972 par 99,7% des voix).

Dans le gouvernement du général Gabriel Ramanantsoa, Didier Ratsiraka fut nommé Ministre des Affaires étrangères, l’un des plus jeunes ministres du gouvernement (il n’avait que 35 ans et était capitaine de corvette). À ce poste, il a renégocié les accords de coopération avec la France en 1973 et a obtenu le départ des derniers militaires français de Diego-Suarez. Parmi ses collègues, un "jeune" chirurgien de 45 ans, le docteur Albert Zafy, Ministre de la Santé et des Affaires sociales, allait, vingt ans plus tard, avoir un rôle déterminant.

Didier Ratsiraka et le colonel Richard Ratsimandrava, Ministre de l’Intérieur, furent les deux personnalités fortes du gouvernement Ramanantsoa. Après l’échec de Gabriel Ramanantsoa, Richard Ratsimandrava fut désigné Président en cumulant avec la responsabilité de la Défense, mais il fut assassiné six jours plus tard, le 11 février 1975. On n’a jamais réussi à comprendre qui l’a assassiné (on parlait à l’époque du clan de Tsiranana) mais on sait en tout cas qui a profité politiquement de cet assassinat.

En effet, une junte militaire s’est mise en place sous la présidence du général Gilles Andriamahazo (le numéro deux du gouvernement Ramanantsoa), Président du Comité national militaire qui laissa place à Didier Ratsiraka le 15 juin 1975. Jusqu’au 27 mars 1993, Didier Ratsiraka dirigea Madagascar d’une main de fer, prônant la révolution socialiste avec un parti quasi-unique, son parti, l’AREMA (Avant-garde pour une révolution malgache), où le pluralisme s’est réduit à la seule autorisation de petits partis alliés (comme dans les autres dictatures communistes).

Formellement, Didier Ratsiraka fut Président du Conseil suprême de la Révolution du 15 juin 1975 au 4 janvier 1976, puis, fondant la Deuxième République, il fut Président de la République du 4 janvier 1976 au 27 mars 1993. Pour asseoir son pouvoir, Didier Ratsiraka, dont la volonté de fonder la révolution socialiste fut martelée, a fait ratifier la nouvelle Constitution par le référendum du 21 décembre 1975, 95,6% de "oui" avec 92% de participation, base légale de son premier mandat présidentiel. Didier Ratsiraka fut ensuite réélu avec les mêmes scores soviétiques que Philibert Tsiranana, le 7 novembre 1982 par 80,2% des voix avec 86,8% de participation et le 12 mars 1989 par 62,7% des voix avec 81,0% de participation (toujours, bien entendu, au premier tour).

On peut remarquer toutefois que les scores, bien que très élevés dans une démocratie, chutaient au fur et à mesure que les mandats passaient. Cette dégringolade n’était pas anodine puisque la gestion de Didier Ratsiraka fut calamiteuse, tant du point de vue des libertés que de son économie, de son éducation (on a parlé de génération sacrifiée, en particulier dans un rejet de la langue française qui fut catastrophique, alors que c’était parfois une langue commune face aux dix-huit "peuples" que composent la population malgache). Le processus était hélas prévisible : nationalisation du secteur économique, parti unique, défrancisation de la société, etc. ont découragé les investisseurs étrangers (en particulier français) et ont accéléré la faillite du pays entraînant des mouvements sociaux provenant de la paupérisation de la population. Des émeutes sociales ont eu lieu en 1984 et 1985 à Tananarive qui ont été très sévèrement réprimées.

Le vrai problème, valable dans toute "démocratie autoritaire", c’est la capacité de l’opposition à s’organiser et surtout, à se rassembler et à proposer au peuple un projet alternatif, avec aussi une personnalité unitaire susceptible de l’incarner. Cette opposition a réussi à se structurer avec la création d’une coordination des mouvements d’opposition, Forces Vives dirigée par Albert Zafy depuis 1990, à la suite d’un desserrage de l’étau politique : sous la pression de la rue, Didier Ratsiraka a en effet autorisé le multipartisme.

On se retrouvait alors exactement dans le même paradigme que les dictatures communistes européennes, Russie comprise : Didier Ratsiraka ne souhaitait qu’un changement modéré du régime socialiste qu’il avait institué alors que les Forces Vives réclamaient l’abrogation de ce régime et la mise en place d’une Troisième République.

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À partir de mai 1991, de fortes manifestations ont eu lieu. Le 16 juillet 1991, les Forces Vives ont proclamé Albert Zafy Premier Ministre de transition. Ce dernier fut arrêté et emprisonné une semaine (jusqu’au 31 juillet 1991). Le sommet fut en août 1991 avec la marche d’environ un million de manifestants (plusieurs centaines de milliers selon d’autres) à Tananarive, capitale qui n’avait qu’un million et demi d’habitants à l’époque. Il fallait bien se rendre compte qu’au moment où quelques dizaines de milliers de manifestants russes (courageux) avaient réussi à déjouer le putsch à Moscou, en août 1991, c’était la moitié de la capitale malgache qui était dans la rue pour renverser le dictateur amiral. Le mot d’ordre fut de faire tomber les murs de Jéricho.

Sans faire de généralités et sans oublier les nombreuses victimes des potentats malgaches qui ont ruiné leur pays depuis plusieurs décennies, on peut cependant dire que le peuple malgache est un peuple pacifique et l’on imagine mal à Madagascar des événements de type du Rwanda au printemps 1994. Le revers de la médaille, c’est qu’il est aussi un peuple bavard, et les discussions politiciennes sont nombreuses, souvent stériles, improductives et, dans tous les cas, longues. Cela explique pourquoi l’histoire de Madagascar indépendant est une suite de régimes plutôt "stables", alternés de révoltes populaires, puis de périodes de transition plutôt pacifiques, débouchant sur d’autres périodes plus "stables", mais souvent, c’est au moment de nouvelles élections que la crise politique survient à nouveau et remet tout en cause, toute la stabilité économique dont le pays a besoin.

Les pourparlers ont abouti à un accord, la convention de l’hôtel Panorama, signé le 31 octobre 1991 par les Forces Vives et le Premier Ministre en exercice Guy Razanamasy (maire de Tananarive), qui a mis en place une période de transition de deux ans pour rédiger une nouvelle Constitution. Le 1er novembre 1991, Albert Zafy fut alors nommé Président de la Haute Autorité de l’État, lieu réel du pouvoir, tout en maintenant de manière honorifique Didier Ratsiraka Président de la République, et il faut ajouter le renforcement de la Haute Cour Constitutionnelle, institution devenue cruciale pour garantir les libertés publiques et l’État de droit. En ce sens, Madagascar a suivi le mouvement historique de la libéralisation des pays sous régime communiste en Europe.

La nouvelle Constitution a été approuvée par le référendum du 19 août 1992 par 72,7% des voix avec 65% de participation (la valeur beaucoup plus faible de la participation donne une idée plus sincère du scrutin). C’était le premier scrutin réellement libre et sincère depuis l’indépendance. Le nouveau régime fut semi-présidentiel avec cependant un vice majeur dans les relations entre le Président de la République et le Premier Ministre, qui a rendu le régime incertain et instable. Ce point a d’ailleurs été modifié par le référendum du 17 septembre 1995 qui a approuvé l’amendement visant à laisser l’entière liberté du Président de la République à choisir et renvoyer le Premier Ministre, à la place de l’Assemblée Nationale, par 63,6% des voix avec 65% de participation.

La première élection présidentielle libre fut organisée quelques mois après l’adoption de la nouvelle Constitution. Didier Ratsiraka entendait bien reconquérir le pouvoir, mais par les urnes cette fois-ci et pas par les armes, tandis que l’opposition a su se rassembler derrière le candidat de l’Union nationale pour la démocratie et le développement, l’un des mouvements de Forces Vives, créé en 1988 par Albert Zafy.

Pour la première fois, deux tours d’élection furent nécessaires, ce qui était normal dans une démocratie sincère. Albert Zafy fut en tête lors du premier tour du 25 novembre 1992, soutenu par 45,9% des voix avec 74,4% de participation, face à Didier Ratsiraka 27,6%. Albert Zafy fut élu au second tour le 10 février 1993 par 66,7% des voix face à 33,3% à Didier Ratsiraka, avec 68,5% de participation.

Albert Zafy a voulu instituer une démocratie libérale. Le mandat présidentiel d’Albert Zafy fut cependant écourté malgré sa durée en principe de cinq ans. En effet, l’exercice du pouvoir n’était pas forcément facile et on a reproché à Albert Zafy un certain autoritarisme qui a renforcé une opposition entre lui et les députés. Malgré la révision constitutionnelle de 1995 le confortant dans la désignation du Premier Ministre (voir plus haut), la lutte entre exécutif et législatif a fait chuter la popularité d’Albert Zafy et l’affaire s’est terminée par la destitution d’Albert Zafy par l’Assemblée Nationale le 5 septembre 1996 (motion d’empêchement).

Une nouvelle élection président fut organisée quelques semaines plus tard. Didier Ratsiraka, de nouveau candidat, s’est retrouvé à la tête du premier tour, le 3 novembre 1996, préféré par 36,91% des voix à Albert Zafy, 23,4% des voix, avec 58,4% de participation. Le Premier Ministre et Président par intérim Norbert Ratsirahonana a obtenu 10,1% des voix et a soutenu Albert Zafy au second tour, tandis que l’ancien ministre (et fondateur de "L’Express de Madagascar") Herizo Razafimahaleo, 15,1%, s’est rallié à Didier Ratsiraka.pour le second tour. Ce soutien a été essentiel dans la victoire très serrée au second tour, le 29 décembre 1996, de l’ancien Président Didier Ratsiraka, élu par 50,7% des voix face à Albert Zafy, 49,3%, avec 49,7% de participation. Albert Zafy a protesté contre l’irrégularité du scrutin le 6 janvier 1997, mais la Haute Cour Constitutionnelle a confirmé la victoire de Didier Ratsiraka le 31 janvier 1997 avec moins de 50 000 voix d’avance.

Comme une sorte de revanche sur son échec de 1993, Didier Ratisaka fut ainsi à nouveau Président de la République du 9 février 1997 au 5 juillet 2002 (ou 22 février 2002), et cela de manière démocratique. Herizo Razafimahaleo fut son Ministre des Affaires étrangères du 27 février 1997 au 31 juillet 1998, avec le statut de Vice-Premier Ministre. Finie la dictature communiste et place à "l’humanisme" écologiste de Didier Ratsiraka. C’est la mode que d’anciens dirigeants communistes se transmutent en zélateurs écolos (c’est le cas par exemple de Mikhaïl Gorbatchev, aussi de Pierre Juquin, etc.). AREMA est devenu Avant-garde pour la rénovation de Madagascar (au lieu de révolution). Son objectif était de favoriser le développement durable de Madagascar.

Voulant reprendre le contrôle du pouvoir, Didier Ratsiraka a fait une révision constitutionnelle qui fut approuvée de justesse par le référendum du 25 mars 1998, approbation par 51,0% de "oui" contre 49,0% de "non", avec 70,3% de participation. Cette réforme a donné la possibilité du Président de la République de dissoudre l’Assemblée Nationale et a divisé le pays en six provinces très autonomes.

La sincérité des aspirations démocratiques de Didier Ratsiraka s’est fracassée contre le mur de l’élection présidentielle suivante. Il s’est présenté à sa réélection au premier tour le 16 décembre 2001. En face de lui, le principal opposant fut le maire de Tananarive (depuis le 14 novembre 1999), chef d’une entreprise d’agro-alimentaire, Marc Ravalomanana. Cette élection fut le début d’une nouvelle crise politique qui a déstabilisé complètement l’économie du pays.

L’opposition a eu lieu sur la nature des résultats du premier tour. Les résultats officiels, soutenus par Didier Ratsiraka, ont reconnu que son adversaire était arrivé devant lui, avec 46,4% des voix, suivi de Didier Ratsiraka 40,6%. Albert Zafy s’est retrouvé en troisième position, très loin derrière, 5,3% et Herizo Razafimahaleo 4,3%, avec 66,9% de participation. Didier Ratsiraka voulait donc organiser un second tour qui aurait été celui de sa dernière chance.

Mais Marc Ravalomanana refusait tout second tour et affirmait qu’il avait été élu dès le premier tour (avec 53% des voix) et qu’on voulait lui voler la victoire. Pendant plus de six mois, le pays fut économiquement paralysé par une réelle guerre politique entre les deux camps. Marc Ravalomanana s’est proclamé Président de la République le 22 février 2002, soutenu par la province de Tananarive. La Haute Cour Constitutionnelle confirma en avril 2002 la victoire dès le premier tour de Marc Ravalomanana avec 51,5% des voix face à Didier Ratsiraka 35,9% des voix, avec 67,9% de participation (Albert Zafy 5,1% et Herizo Razafimahaleo 4,0%). Ces derniers résultats (après recomptage) furent les résultats officiels.

Cependant, Didier Ratsiraka, soutenu par sa province de Tamatave mais aussi les quatre autres provinces, resta à guerroyer jusqu’au 5 juillet 2002 avant de reconnaître sa défaite et de se réfugier en France. Pendant ce temps, l’économie du pays s’est effondrée car Tamatave est le principal port commercial de Madagascar. Le conflit fut très dur, au-delà du clivage des deux clans (Ravalomanana/Ratsiraka), il y avait d’autres clivages : capitale/provinces côtières, protestant/catholique, influence américaine/influence française, entrepreneur/militaire, etc. Les tentatives de médiation à Dakar furent un échec. En revanche, Marc Ravalomanana a obtenu l’avantage militaire et fut reconnu en juin 2002 par les États-Unis.

L’entêtement de Didier Ratsiraka a coûté très cher au pays et au peuple malgache. L’ancien amiral fut condamné par contumace le 6 août 2003 à dix ans de travaux forcés, mais fut amnistié ultérieurement. Il est revenu d’exil le 24 novembre 2011. Il n’a pas pu participer à l’élection présidentielle du 3 décembre 2006 qui vit la réélection de Marc Ravalomanana (son neveu Roland Ratsiraka, maire de Tamatave, fut candidat et a obtenu 10,1% des voix avec 61,9% de participation) et a voulu (sans l’avoir pu) se présenter à l’élection présidentielle de 2013.

Entre-temps, après une période de stabilité et de reconstruction des infrastructures, un autre maire de Tananarive (depuis le 12 décembre 2007), Andry Rajoelina, a fait le 17 mars 2009 un putsch et a enfoncé le pays dans l’immobilisme, d’autant plus grave socialement qu’il a perdu toutes les aides financières internationales. Pendant cette nouvelle et longue transition (17 mars 2009 au 25 janvier 2014), Didier Ratsiraka a fait partie des anciens Présidents de la République avec Albert Zafy et Marc Ravalomanana et, avec Andry Rajoelina, ils furent les personnalités clefs pour sortir de la crise et établir un climat de réconciliation (avec à la clef, une nouvelle Constitution, approuvée par le référendum du 17 novembre 2010 par 74,2% des voix avec 52,6% de participation).

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À plusieurs occasions, ces quatre personnalités, voire cinq avec le Président élu le 20 décembre 2013, Hery Rajaonarimampianina, se sont rencontrées la main dans la main, d’une manière particulièrement consensuelle, malgré leurs rivalités historiques. Si l’on compare avec la vie politique française, en France, d’un côté, on respecte mieux le verdict des urnes (c’est d’autant plus méritoire qu’en dehors des périodes de cohabitation pendant lesquelles le Président de la République est dans l’opposition, aucun Président n’a été réélu au suffrage universel direct en France) et on ne se fait pas la guerre, chacun dans son fief électoral, pour prétendre avoir gagné un scrutin, mais d’un autre côté, on voit mal des rivaux historiques marchaient main dans la main !

Au-delà de toutes ces vicissitudes, le vieil amiral n’a pas déclaré forfait et s’est porté candidat à la dernière élection présidentielle, à l’âge de 82 ans. Ce fut alors un soufflet magistral qu’a reçu Didier Ratsiraka le 7 novembre 2018, en n’obtenant que 0,4% des voix (22 222 voix) avec 54,0% de participation, classé désespérément à la dix-neuvième position, juste avant son neveu, avec près de 800 voix d’avance. Ce fut la dernière tentative électorale de l’ancien dictateur et apprenti démocrate que fut Didier Ratsiraka.

Parmi ses plus récentes déclarations (au-delà de celle de l’indépendance), Didier Ratsiraka a annoncé le 9 avril 2020 à la télévision qu’il offrait sa pension d’ancien Président du mois de mars 2020 (3,6 millions d’ariarys, soit un peu moins de 1 000 euros) aux organismes chargés d’aider la population malgache dans la grave crise sanitaire provoquée par la pandémie de covid-19 (l’État refuse la vaccination massive et en reste à des poudres de perlin pinpin). Une manière de vouloir laisser une image raisonnable et sympathique d’une vie politique décidément très contrastée : « Médecins, infirmiers et militaires sont à pied d’œuvre pour mener les actions dans cette lutte. Ils font tout leur possible pour servir la Nation. J’apprécie très profondément leurs efforts. Si les militaires ont accompli leur mission, ils méritent une décoration. Pourquoi pas en cette période délicate ? Je n’ai pas de décoration à décerner. Je les remercie de tout mon cœur pour leurs actions pour nous protéger. ».

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Il faudra sans doute quelques années voire quelques décennies d’études d’historiens pour pouvoir faire la part des choses, loin de toutes passions politiques, pour savoir si Didier Ratsiraka a vraiment apporté autre chose que la ruine et la désolation dans un pays décidément peu rancunier avec ses chefs d’État apprentis sorciers.

Au fait, celui qui a gagné l’élection du 19 décembre 2018, c’était l’ancien putschiste, et désormais élu démocratiquement Andry Rajoelina. Dans une allocution le soir de la disparition de son prédécesseur, Andry Rajoelina a déclaré : « C’était un leader brillant de la vie politique. (…) Qu’importe les partis politiques et les divergences d’opinions, tout le monde est d’accord pour dire qu’il a fait beaucoup pour le pays. ». À Madagascar, il y a toujours cette impression d’avoir déjà entendu une petite musique qui tourne en boucle depuis une cinquantaine d’années…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 mars 2021)
http://www.rakotoarison.eu



Pour aller plus loin :
Didier Ratsiraka.
Madagascar : la potion amère du docteur Andry Rajoelina contre le covid-19.
Madagascar : Andry Rajoelina, dix ans plus tard.
Hery Rajaonarimampianina a 60 ans.
Didier Ratsiraka a 82 ans.
Andry Rajoelina a 45 ans.
Résultats définitifs officiels du second tour de l’élection présidentielle malgache du 19 décembre 2018 (communiqué de la HCC).
Madagascar : Andry Rajoelina, élu peu contestable.
Résultats définitifs officiels du premier tour de l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (communiqués par la HCC).
Madagascar : retour vers le futur, en 2013 avant HR.
L’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018.
La liste officielle des 36 candidats à l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (publiée le 22 août 2018).
Albert Zafy.
Le massacre de 1947.
Le pire n’est jamais sûr (28 janvier 2014).
Le gouvernement de Roger Kolo (18 avril 2014).
Discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina du 25 janvier 2014 (texte intégral).
Vidéo du discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina.
L'angoisse de la page blanche.
Résultats de la CENIT (3 janvier 2014).
Nuages noirs sur le processus électoral.
Le second tour de la présidentielle.
Duel Robinson vs Rajaonarimampianina.
Les résultats officiels du 1er tour de la présidentielle malgache (à télécharger).
Victoire du processus électoral malgache.
Jour J de la démocratie malgache : présentation des candidats.
L’élection présidentielle du 24 juillet 2013 aura-t-elle lieu ?
La feuille de route adoptée.
Un putsch en bonne et due forme.
Le prix du sang.
Et si cela s’était passé en France ?
La nouvelle Constitution malgache.
Le gouvernement malgache pour appliquer la feuille de route.
Liste de mai 2013 des candidats à l’élection présidentielle.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210328-didier-ratsiraka.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/didier-ratsiraka-l-amiral-rouge-de-231928

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/03/28/38890984.html





 

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19 mai 2020 2 19 /05 /mai /2020 08:38

« Aujourd’hui, j’annonce officiellement ici la réussite et les bons résultats des essais de notre remède, on peut dire qu’il a donné un résultat concluant sur les malades du covid-19 à Madagascar et qu’il peut limiter et atténuer ses effets sur le corps humain. » (Andry Rajoelina, le 20 avril 2020).



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Lorsque la pandémie du covid-19 a commencé à dévaster le monde, d’abord la Chine, puis l’Iran, puis l’Europe, ensuite les États-Unis, maintenant d’autres pays imposants (comme le Brésil, le Mexique, la Russie, etc.), on s’est inquiété à juste titre du continent africain et de sa capacité à lutter contre le covid-19. L’état de pauvreté de l’Afrique, ses systèmes de santé défaillants notamment par le manque d’eau potable courante et d’électricité, faisait craindre le pire, en effet. À ce jour, lundi 18 mai 2020, la pandémie a coûté la vie à au moins 320 000 personnes, et près de 5 millions de personnes ont été infectées au coronavirus SARS-CoV-2.

Pour l’Afrique, les chiffres sont heureusement nettement plus faibles qu’en Europe, Asie ou Amérique, à savoir moins de 3 000 personnes décédées (2 849) et plus de 90 000 personnes (90 074) infectées (dont plus du tiers, 34 876, sont guéries). Six pays ont les plus grandes contaminations africaines : l’Afrique du Sud (au moins 16 433 cas), l’Égypte (au moins 12 764 cas), l’Algérie, le Maroc, le Nigeria et le Ghana. En nombre de décès, sept pays ont franchi le seuil des 100 décès , l’Égypte (645), l’Algérie (555), l’Afrique du Sud (286), le Maroc (192), le Nigeria (191), le Cameroun (140) et le Soudan (105).

Doit-on en conclure que l’Afrique va passer à côté de la catastrophe sanitaire annoncée ? Ce serait une bonne nouvelle, mais pas certaine. Il est certain que plus le pays a des relations commerciales, plus il a des échanges économiques, plus le risque de désastre sanitaire est élevé, ce fut le cas de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Mais il n’est pas certain que le virus ne circule pas également dans les pays les moins riches en échanges internationaux, l’épidémie peut être là, mais avec du retard.

C’est pourquoi, par solidarité, le Ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a annoncé le 8 avril 2020 devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale que la France allait consacrer près de 1,2 milliard d’euros pour aider à lutter contre la propagation du covid-19 en Afrique (fonds qui sont en fait une réaffectation de l’aide au développement). Le même jour, l’Union Européenne a également annoncé une aide de près de 20 milliards d’euros aux pays les plus vulnérables en Afrique pour lutter contre la pandémie.

Je souhaite ici évoquer la situation de Madagascar face à la pandémie du covid-19. Madagascar est l’un des pays les plus pauvres du monde. Il compte près de 28 millions d’habitants et a eu très souvent de gros problèmes sanitaires, notamment en raison de manque d’eau potable et plus généralement, de manque d’hygiène, ce qui fait réapparaître régulièrement la peste (en 2017, environ un millier de cas, environ une centaine de morts par la peste, comme en 2015).

Malgré ces craintes initiales et son extrême pauvreté, Madagascar a quelques atouts. Le premier, c’est sa caractéristique insulaire. En étant une île, Madagascar peut réduire les échanges humains avec l’extérieur plus facilement. Le gouvernement malgache a en effet fermé les ports et les aéroports, mais avec un peu de retard (5 500 personnes sont quand même venues de l’étranger depuis le début de la pandémie). D’ailleurs, la caractéristique insulaire n’a pas profité par exemple au Royaume-Uni (mais c’est vrai que pour un Britannique, l’île, c’est l’Europe continentale). De toute façon, les deux pays ne sont pas comparables (population, densité, vie économique, vie culturelle, etc.).

L’autre atout important de la Grande Île, c’est la grande diversité des plantes endémiques à vocation médicinale, et une expertise en biologie, avec la présence du prestigieux Institut Pasteur de Madagascar (institut qui a été créé le 17 mars 1898 et qui a contribué à ce que Madagascar soit le premier pays à avoir éradiqué la variole).

Un autre centre de recherche important, l’Institut malgache de recherches appliquées (IMRA), a été créé à Tananarive en 1973 par le professeur Albert Rakoto-Ratsimamanga (1907-2001), sa femme biochimiste Suzanne (1928-2016) et le botaniste français Pierre Boiteau (1911-1980). Cette équipe a mis au point, dans les années 1950, avec la collaboration de Judith Polonsky, le Madécassol, médicament qui facilite la cicatrisation, à base d’une plante présente à Madagascar, le Centella asiatica (à l’origine pour traiter la lèpre). Médecin de renom en France, chercheur de l’Institut Pasteur (de Paris), directeur de recherches au CNRS (et l’un des refondateurs du CNRS après la guerre), Albert Rakoto-Ratsimamanga fut également un diplomate malgache, plusieurs fois ambassadeur après l’indépendance (à Paris, Bonn, Freetown, Moscou, Séoul). Son portrait était affiché derrière la tribune le 20 avril 2020, lorsque le Président malgache a fait la publicité de la décoction miracle.

Dans une allocution télévisée le 20 mars 2020, Andry Rajoelina a annoncé lui-même la détection des trois premiers cas de covid-19 à Madagascar, trois jeunes femmes malgaches, dépistées positives le jour même, deux revenant d’un voyage en France (les 17 et 19 mars 2020), et l’autre revenant de Maurice (le 18 mars 2020). Les passagers des trois vols ont fait l’objet d’un dépistage pour identifier les personnes contacts. La découverte de ces premiers cas a incité le gouvernement à réagir immédiatement en interdisant tous les rassemblements publics et les événements culturels et sportifs, en fermant les écoles et universités, ainsi que les parcs et zones de loisirs. Des premières mesures avaient été prises dès le 17 mars 2020 avec la suspension des vols régionaux et internationaux à partir du 20 mars 2020.

Beaucoup de mesures difficiles ont été prises au-delà de la fermeture des ports et aéroports. Ainsi, le gouvernement a fait dépister le 31 mars 2020 tous les voyageurs issus des vols qui ont atterri à Tananarive entre le 11 et le 18 mars 2020. Des cas contacts ont été identifiés (63 en début mai) pour circonscrire l’épidémie.

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Comme la plupart des pays du monde, la principale mesure, annoncée lors de l’allocution présidentielle du 22 mars 2020, fut le confinement (en même temps que l’état d’urgence sanitaire décrété). Les trois principales villes malgaches Tananarive, Fianarantsoa et Tamatave ont été confinées du 23 mars au 22 avril 2020, et, annoncé lors d’une allocution présidentielle le 19 avril 2020, un déconfinement partiel a été décidé à partir du 22 avril 2020 avec port du masque obligatoire sur la voie publique (avec verbalisation), interdiction de sortir de la ville, et ouverture des restaurants à midi. Le problème du confinement dans un pays pauvre, c’est qu’il est beaucoup plus difficile de survivre car il faut aller chercher de l’eau à l’extérieur, et l’arrêt du travail signifie l’arrêt des revenus. Le gouvernement a cherché alors à aider les plus défavorisés en organisation des distributions pendant le confinement.

Dans son très instructif article publié le 4 mai 2020 dans "The Conversation" ("Madagascar face au coronavirus : les possibilités d’une île"), Christian Bouquet, professeur de géographie politique de l’Université de Bordeaux et chercheur à l’IEP Bordeaux, expliquait que la société malgache jouissait aussi d’un autre atout, social, celui-ci : « Le gouvernement malgache (…) a bénéficié (…) notamment d’un maillage sociopolitique des quartiers, hérité à la fois de la tradition et de sa réactivation pendant la période "communiste" de Ratsiraka : les fokontany et les fokonolona. (…) Ainsi les chefs fokontany et les représentants de fokonolona ont-il été (…) chargés de superviser et de fluidifier les distributions, tout en veillant à l’application la moins laxiste possible du confinement. ».

Et d’ajouter : « Ce mode de contrôle des populations n’a sans doute pas été aussi efficace qu’en Chine, et il a inévitablement prêté le flanc à la critique car son fonctionnement n’a pas été exempt de corruption et de copinage, mais les autorités ont pu s’appuyer sur des relais encore relativement respectés. ».

Jusqu’au début du mois de mai 2020, Madagascar a été souvent cité comme le "bon élève" du monde pour le covid-19. L’épidémie s’est en effet limitée à quelques dizaines de cas dépistés et zéro décès. Hélas, parmi les trois personnes hospitalisées en état grave, l’une d’elles est décédée le samedi 16 mai 2020. Un quinquagénaire qui aurait eu aussi du diabète et de l’hypertension. Il a été appelé le "premier mort" de Madagascar mais espérons qu’il restera le seul.

En fait, la situation commence à être inquiétante et il y a toujours une part de fanfaronnade ou d’arrogance de la part des dirigeants à croire que leur pays est "meilleur" que d’autres en matière de gestion d’épidémie (l’herbe est pourtant toujours plus verte chez le voisin). Rappelons-nous les appréciations de certains spécialistes mondiaux en France (un en particulier) en janvier 2020 sur le fait qu’une maladie en Chine ne pouvait pas concerner l’Europe, puis, même à l’intérieur de celle-ci, rappelons-nous comment en France, on a dit qu’on était différent des Italiens (alors que notre système de santé est équivalent, du moins dans l’Italie du Nord), puis comment les Américains n’imaginaient pas devenir le prochain foyer de la pandémie (avec une situation à New York particulièrement effrayante), et la Russie qui était satisfaite d’avoir rapidement fermé ses 4 000 kilomètres de frontières avec la Chine, etc.

Au-delà de ce premier décès, Madagascar évolue très mal. Depuis une semaine, on a triplé le nombre de cas détectés, allant jusqu’à 322 personnes infectées au coronavirus au 18 mai 2020, dont 119 qui sont guéries. Ces chiffres peuvent paraître encore faibles, mais tous les pays ont commencé hélas comme cela, l’évolution est toujours exponentielle. Par ailleurs, certains restent assez dubitatifs sur la réalité de la situation : soit sur l’information donnée, soit sur la pertinence de la réalité donnée, à savoir qu’il y a eu très peu de tests virologiques qui ont été réalisés (mois de 6 000 en tout pour tout le pays depuis le début, pour une population de près de 30 millions de personnes).

Par ailleurs, les consignes du confinement ont parfois été mal respectées et le déconfinement se fait avec moins de rigueur que ce que la situation sanitaire exigerait. L’annonce d’une potion magique n’a pas encouragé cette rigueur dans les gestes barrières et distanciation physique.

Parallèlement aux préoccupations sanitaires, il y a les interactions politiques et économiques.

Je ne reviens pas sur la situation politique. Andry Rajoelina est devenu Président de la République le 18 janvier 2019, démocratiquement élu le 19 décembre 2018 (au second tour), mais après une période d’autocratie plus ou moins assumée du 17 mars 2009 au 25 janvier 2014 (il était à l’origine d’un coup d’État le 7 février 2009 qui a fait des dizaines de morts et a renversé le Président légitime Marc Ravalomanana, qui fut son concurrent de second tour à l’élection présidentielle du 19 décembre 2018). Cette rivalité reste encore très prégnante dans les esprits, un an et demi après l’élection, mais l’aspect positif est que cette situation a été admise par toutes les parties, Marc Ravalomanana ayant reconnu sa défaite, ce qui est nouveau et donne un espoir dans la maturité démocratique (on en est cependant encore assez loin).

Andry Rajoelina a un avantage sur ses rivaux, c’est qu’il est un beau parleur. En ce sens, il a voulu montrer qu’il prenait à bras le corps la pandémie. Il est devenu tout à la fois : épidémiologiste, virologue, médecin, et même porte-parole de l’hôpital de Tamatave qui a dû annoncer le premier décès. En clair, il est sur tous les fronts, médiatiques comme médicaux. Si je voulais faire quelques comparaisons un peu douteuses, je dirais qu’Andry Rajoelina est un mélage de Didier Raoult, de Donald Trump …et même de Xi Jinping, car il a quand même fait emprisonner le 4 avril 2020 une journaliste indépendante du pouvoir qui avait critiqué la gestion de la crise, il s’agit d’Arphine Rahelisoa, directrice de publication du journal "Valisoa", proche de Marc Ravalomanana.

Pourquoi Donald Trump ? Parce qu’il émet des raisonnements particulièrement simplistes, et parfois mégalomaniaque. Ainsi, il a affirmé le 20 avril 2020 : « On peut changer l’histoire du monde entier ! ». Il a le même "toupet" (pour ne pas dire plus), n’hésitant pas à faire des déclarations contre l’Académie de médecine de Madagascar, contre l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et contre toutes les institutions savantes pour promouvoir …sa solution !

Andry Rajoelina a même remis en cause l’Institut Pasteur de Madagascar (chargé de faire les tests de dépistage) et veut créer un nouvel institut de dépistage du covid-19… dépendant directement du gouvernement malgache, dont la communication sera très contrôlée pour décrire la situation épidémiologique de Madagascar.

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Revenons à cette solution contre le covid-19. La comparaison d’Andry Rajoelina avec le professeur Didier Raoult ne tient pas longtemps car Didier Raoult n’est pas un charlatan, lui, au moins. Le microbiologiste marseillais est reconnu mondialement comme un chercheur de haut niveau et personne ne remet en cause ses compétences scientifiques. La seule comparaison qui peut se mesurer, c’est de vouloir absolument promouvoir une solution qui n’a jamais prouvé son efficacité contre le covid-19. Précipitation, ou mauvaise foi, ou stratégie diplomatique, politique et commerciale en même temps ?

En effet, l’IMRA, l’institut d’Albert Rakoto-Ratsimamanga, a mis au point une tisane appelée Covid-Organics (CVO) qui aurait pour effet de lutter contre le covid-19, effet qui peut être également préventif. Le CVO est composé de deux plantes. L’une est le ravintsara (Cinnamomum camphora), déjà beaucoup utilisé à Madagascar, et l’autre est l’Artemisia annua, employée généralement pour lutter contre le paludisme, avec une efficacité qui serait plus élevée que la chloroquine.

Le directeur général de l’IMRA, Charles Andrianjara, a expliqué à Laure Verneau, correspondante du journal "Le Monde" à Tananarive : « C’est un mélange de plantes endémiques et introduites qu’on utilise dans la prévention de la grippe et qui sont sur le marché depuis trente ans. On les a associées à un nouveau mélange de plantes pour renforcer l’immunité vis-à-vis du covid-19. » (1er avril 2020). En fait, l’Artemisia annua n’est pas une plante endémique à Madagascar, elle est plutôt originaire de Chine mais Madagascar en cultive beaucoup. Chacun peut en cultiver dans son jardin, même en France, d’où un avantage, celui de ne pas être coûteux.

C’est une orthodontiste française qui a suggéré à l’IMRA l’idée d’utiliser cette plante, car depuis sept ans, elle s’est reconvertie dans la promotion de cette plante et a créé la Maison de l’Artemisia. Lucile Cornet-Vernet a expliqué le 23 avril 2020 à David Opoczynski du journal "Le Parisien" : « On a écrit à tous les ministres de la santé, à tous les Présidents dont on avait les coordonnées. Certains nous ont rappelés, comme Madagascar, en disant : oui, ça nous intéresse, comment peut-on faire ? On a donné la bibliographie à leurs instituts de recherche comme l’IMRA. Après, ce qu’ils en font, et comment ils le font, je n’ai aucune main là-dessus. On est simplement pourvoyeurs d’informations et de documents, sachant que peu de personnes travaillent sur cette question car il n’y a pas d’argent à se faire. Cette Artemisia est un bien commun ! Qui peut pousser n’importe où. ».

Dans son allocution du 26 mars 2020, fier du "made in Madagascar", Andry Rajoelina a fait la promotion du CVO. Pourtant, cette tisane n’a jamais été confirmée comme la solution au covid-19. Cela n’a pas empêché le professeur Luc Montagnier, Prix Nobel de Médecine 2008, membre de l’Académie des sciences et de médecine de France, ancien chercheur de l’Institut Pasteur, de soutenir cette initiative en faveur de ce remède. Il faut dire que depuis 2009, Luc Montagnier, grand virologue reconnu, a sans cesse pris des positions l’éloignant de plus en plus de la communauté scientifique, en imaginant la téléportation de l’ADN, assez proche de la mémoire de l’eau de Jacques Benveniste, et en rejetant le principe des vaccins.

L’OMS a mis en garde, le 7 mai 2020, contre « l’adoption d’un produit qui n’a pas été soumis à des tests pour en vérifier l’efficacité ». Mais dans une interview accordée le 11 mai 2020 à la chaîne françasie France 24 et la radio RFI, le Président Andry Rajoelina a rejeté cette argument en disant que beaucoup de médicaments en Europe avaient montré leur nocivité (citant l’exemple du Médiator), et il est tombé dans la victimisation, projetant une sorte de racisme scientifique (ce qui est complètement stupide), mêlant paranoïa et mégalomanie : « Si ce n’était pas Madagascar mais un pays européen qui avait découvert ce remède, est-ce qu’il y aurait autant de doutes ? Je ne pense pas (…). Le problème, c’est que cela vient d’Afrique. Et on ne peut pas accepter qu’un pays comme Madagascar, qui est le 163e pays le plus pauvre du monde, ait mis en place cette formule pour sauver le monde. ».

Dans cette explication, c’est regrettable à dire, il y a un cumul de stupidités. Je passe sur le populisme africain voire le nationalisme malgache (n’oublions pas que la situation politique malgache reste toujours explosive), et j’en viens au fond. Vu l’exceptionnelle gravité de cette pandémie (tant dans son aspect sanitaire que dans ses conséquences économiques et sociales mondiales), s’il y avait un remède miracle dont l’efficacité contre le covid-19 serait avérée, il n’y aurait aucun doute pour que celui-ci soit adopté immédiatement par tous les gouvernements. Faire du panafricanisme me paraît d’autant plus absurde que s’esquisse une véritable diplomatie malgache de la pandémie, puisque le gouvernement malgache a déjà exporté (gratuitement) sa potion magique à plusieurs pays (une vingtaine dont la Tanzanie, le Niger, le Tchad, la République démocratique du Congo, etc.).

Quant à l’origine africaine ou malgache du CVO, qui serait un critère de rejet des instances internationales, Andry Rajoelina ne sait visiblement pas ce qu’il s’est passé avec l’hydroxychloroquine du professeur Didier Raoult. Certes, l’argument géographique avait aussi été mis en avant (OM contre PSG, les Marseillais contre les Parisiens), ce qui n’avait pas de sens dans la mesure où la science a toujours été internationale, avec des collaborations multiples, et le recherche sur le covid-19 est sans doute le sujet de recherche qui a suscité le plus de collaborations internationales en aussi peu de temps. Par la nécessité de l’urgence.

Écoutons également Andry Rajoelina sur l’efficacité du Covid-Organics : « Le Covid-Organics est un remède préventif et curatif contre le covid-19 qui fonctionne très bien (…). À Madagascar, nous avons eu 171 cas, dont 105 guéris. » (Les personnes guéries auraient pris majoritairement ce remède). On voit le biais de cet éminent scientifique : les autres ne sont pas encore guéris (ce qui est normal), et à l’époque, il n’y avait eu encore aucun décès.

L’argumentation est cependant très faible : « Une nette amélioration de l’état de santé des patients ayant reçu ce remède a été observée en 24 heures seulement après la première prise. La guérison a été constatée après sept jours, voire dix jours. Ce remède est naturel, non toxique et non invasif. ». La dernière phrase est une affirmation purement spéculative et gratuite, rien n’a été prouvé (ce mélange n’existant pas avant la pandémie).

Plus généralement, les phrases sont floues, creuses, aux termes indéfinis, de l’à-peu-près, jamais chiffré, non quantitatif. Et c’est normal, car Madagascar, jusqu’à il y a une semaine, n’avait même pas deux cents personnes infectées au covid-19, ce qui est beaucoup trop faible, même en faisant des essais sur toutes ces personnes, pour avoir une démonstration statistique (sauf bien sûr si l’on prend le fameux théorème shadok du professeur Raoult : moins on teste de patients, plus c’est significatif statistiquement !).

On a déjà connu le problème avec Lyssenko, mais il doit certainement y avoir des exemples bien plus anciens : la science se combine mal avec les préoccupations politiques. Faisant la promotion publique du CVO le 20 avril 2020, Andry Rajoelina a demandé la foi là où il faudrait la raison (relire "Fides et Ratio" !). Dans un communiqué de la Présidence malgache le même jour, l’argumentation était encore plus terrifiante pour la survie de l’honnêteté intellectuelle : « Des essais cliniques ont été lancés et l’efficacité du remède a été prouvée grâce à la réduction et l’élimination des symptômes par les patients. ». Affirmation très vite pondérée par Charles Andrianjara (le directeur général de l’IMRA), qui a nuancé : « Ce sont plutôt des observations cliniques. Des malades se sont portés volontaires pour tester la tisane, et deux ont vu une nette amélioration des symptômes. Cela nous donne une tendance. ». Ce qu’avait proclamé Andry Rajoelina : « On a fait des tests, deux personnes sont maintenant guéries par ce traitement. ». Deux personnes pour déterminer une tendance ! Alors qu’il faudrait (j’insiste) un millier de patients, ce qui est impossible à trouver dans un pays qui ne compte que deux cents cas actifs (ce qui est heureux d’ailleurs).

Ce même 20 avril 2020, Andry Rajoelina avait annoncé que l’absorption du CVO serait obligatoire pour les élèves du primaire et du secondaire lors du déconfinement partiel prévu deux jours plus tard, ce qui a engendré une polémique avec l’Académie de médecine de Madagascar qui a insisté le 21 avril 2020 sur l’absence de preuve : « Il s’agit de médicaments dont les preuves scientifiques ne sont pas encore élucidées et qui risquent de porter préjudice à la santé de la population, en particulier à celle des enfants. ». Chef de l’opposition, l’ancien Président Marc Ravalomanana était lui aussi sur la même longueur d’onde : « Ce remède n’a pas été avalisé par l’Organisation Mondiale de la Santé, et ce sont les enfants qui vont le prendre ? ». Ce qui a fait rectifier la décision présidentielle, d’obligation, c’est devenu forte recommandation : « Chaque parent reste libre de ne pas autoriser son enfant à prendre [la tisane]. ».

Paradoxalement, cette polémique pourrait porter préjudice à la plante dans sa capacité (reconnue) à traiter la malaria. Dans "Le Monde" du 22 avril 2020, le chimiste luxembourgeois Pierre Lutgen s’en inquiétait : « Il est impossible de monter en quinze jours ou un mois un essai clinique digne de ce nom sur les vertus de l’Artemisia dans le champ du covid-19. Il ne faut pas créer d’espoir. Je crains que cela ne décrédibilise les vertus de la plante sur les maladies tropicales, où par ailleurs elle a fait ses preuves. ».

Pourquoi rien n’est encore prouvé sur le Covic-Organics ? Pour la même raison que l’hydroxychloroquine. La population de Madagascar est très jeune, et en 2018, seulement 3,4% des Malgaches avaient plus de 65 ans. Les effets du CVO pourraient être ceux d’un placebo puisque pour la plupart des personnes non vulnérables, le covid-19 se guérit sans traitement.

Une des plus de 1 500 réactions à la page Youtube de la vidéo de l’interview présidentielle sur France 24, un internaute notait avec beaucoup de pertinence le 14 mai 2020 (j’ai corrigé les fautes) : « La répartition très jeune de la population fait qu’il n’y aura pas ou peu de mort à Madagascar, les jeunes guérissant naturellement. Alors, pourquoi cette interview ? Il ne peut pas être stupide au point de ne pas avoir compris cela. Il fait donc de la propagande politicienne. Mais la ficelle est grossière avec un placebo. J’en conclus qu’il prend son peuple pour des idiots. Et ça me désole. Mais Trump a commencé pareil avec la chloroquine, avant que ses conseillers ne le ravisent… ».

Dans sa dernière allocution le 17 mai 2020, Andry Rajoelina a évoqué la "première" personne décédée et a précisé que celle-ci n’avait pas absorbé la tisane magique en raison de ses comorbidités. Portant la casquette du médecin : « Quand son taux de glycémie avait augmenté, on l’avait hospitalisé. Quelques jours plus tard, il avait montré des symptômes de la maladie virale avec une toux persistante et une forte température. Puis, confirmé positif au covid-19 après un test virologique, il avait été traité en conséquence. Son état avait rapidement empiré et les médecins l’avaient mis sous oxygène. Il avait reçu tous les protocoles de traitements adaptés, mais à cause de son diabète et son hypertension artérielle, la tisane Covid-Organics n’avait pas pu lui être administrée. ». Cette information laisse donc entendre que le Covid-Organics ne fonctionne que si les personnes ne sont pas vulnérables, puisqu’il est contre-indiqué d’en donner à ceux qui, justement, risqueraient de mourir du covid-19. Une entourloupe très raoultienne… même si pour beaucoup de Malgaches, l’hydroxychloroquine est plus un remède rival qu’un remède ami.

Comme on le voit, les polémiques sur les nouveaux traitements, leur efficacité, et plus généralement, sur la manière de gérer la crise sanitaire par les gouvernants, ne sont pas réservées à la France, on le voit pour Madagascar et plus généralement, c’est valable dans quasiment tous les pays, ou, du moins, ceux où les notes dissonantes peuvent être entendues, à défaut d’être autorisées.

L’augmentation récente du nombre de cas de covid-19 à Madagascar fait craindre le pire, alors que le déconfinement était nécessaire pour éviter l’accroissement de la pauvreté dans un pays qui n’a pas tout le confort social que peut offrir la France à ses travailleurs en chômage partiel. Il me semble que la clef du problème sanitaire réside dans l’un des principes souvent exprimés dans les médias français par les médecins et scientifiques du sujet : l’esprit politicien doit rester au vestiaire, et l’humilité doit prédominer. Une valeur qui semble inconnue chez Andry Rajoelina…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 mai 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Madagascar : Andry Rajoelina, dix ans plus tard.
Madagascar : la potion amère du docteur Andry Rajoelina contre le covid-19.
Rapport de Jean Castex sur le plan de déconfinement le 6 mai 2020 (à télécharger).
Les attestations nécessaires pour les transports après le 11 mai 2020 (à télécharger).
Tout savoir sur le déconfinement à partir du 11 mai 2020.
Protection rapprochée.
Discours de Claude Malhuret le 4 mai 2020 au Sénat (texte intégral).
Covid-19 : les trois inepties du docteur Claude Malhuret.
11 mai 2020 : Stop au covid-19 ! (et traçage ?).
Discours du Premier Ministre Édouard Philippe le jeudi 7 mai 2020 à Matignon sur le déconfinement (texte intégral).
Professeur mégalo (vidéo).
Covid-19 : où est l’Europe de la Santé ?
Michel Houellebecq écrit à France Inter sur le virus sans qualités.
Unitaid.
Déconfinement : les départements verts et les départements rouges, la confusion des médias…
Didier Raoult, médecin ou gourou ?
Le déconfinement selon Édouard Philippe.
Covid-19 : le confinement a sauvé plus de 60 000 vies en France.
Du coronavirus dans les eaux usées ?
Le covid-19 n’est pas une "simple grippe"…

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200516-madagascar-covid-19.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/madagascar-la-potion-amere-du-224526

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/04/30/38247326.html





 

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30 mai 2019 4 30 /05 /mai /2019 02:08

« Je mesure l’ampleur des défis que Madagascar devra relever ces prochaines années pour assurer son développement économique et éradiquer la pauvreté. Je tiens à vous assurer du soutien de la France, partenaire historique, voisin et ami de Madagascar, dans les réformes que vous entreprendre pour atteindre ces objectifs. Soyez certain de ma détermination à densifier nos relations politiques, mais aussi économiques et culturelles, qui reposent sur des liens historiques et humains forts. » (Lettre d’Emmanuel Macron à Andry Rajoelina, le 14 janvier 2019).



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Quelques jours après les élections législatives malgaches, le Président malgache Andry Rajoelina fête ses 45 ans ce jeudi de l'Ascension, 30 mai 2019.

La République de Madagascar va-t-elle enfin sortir de ses crises politiques et institutionnelles incessantes pour enfin entrer dans l’ère de l’efficacité et de la reconstruction ? Il y a tout juste dix ans, le pays était tombé dans une grande confusion. La légalité constitutionnelle en prenait un mauvais coup avec ce qu’il fallait bien appeler le coup d’État du 17 mars 2009.

Après deux mois de manifestations contre le pouvoir en place, tenu démocratiquement par le Président Marc Ravalomanana, l’armée malgache l’a contraint à donner sa démission et à remettre la réalité du pouvoir à Andry Rajoelina, élu le 12 décembre 2007 maire de Tananarive et principal leader de la protestation populaire.

Si ce n’avait été qu’une simple révolution de palais, cela n’aurait été qu’une péripétie de plus dans l’incapacité récurrente de la classe politique malgache à avoir une gouvernance tournée vers l’intérêt général, mais les manifestations du 7 février 2009 se sont soldé par 28 personnes tuées et 212 blessées par l’armée qui a tiré sur la foule qui marchait vers le palais présidentiel. Andry Rajoelina s’était autoproclamé "en charge de la République" le 31 janvier 2009, mais ne fut pas suivi par les manifestants et fut destitué de ses fonctions de maire de Tananarive le 3 février 2009.

De la répression sanglante du 7 février 2009, on ne connaîtra probablement jamais les vrais coupables, la volonté (irresponsable et effrayée) du pouvoir en place de se maintenir malgré la foule ou la provocation des insurgés voulant prendre le pouvoir et montrer qu’ils étaient victimes d’un pouvoir tyrannique ? Il faut bien se rappeler, sans faire toutefois des généralités, que les Malgaches constituent un peuple très majoritairement pacifique et s’ils sont souvent en désaccord entre eux, c’est plus par la discussion que par la violence qu’ils l’expriment.

Les morts du 7 février 2009 pourraient paraître d’un nombre limité, un peu le même que lors du coup d’État du futur Napoléon III le 2 décembre 1851. Ils n’ont rien à voir avec les révolutions sanglantes qu’on a pu hélas observer dans de nombreux pays du monde, mais ces 28 morts ont beaucoup bouleversé l’ensemble des Malgaches à l’époque, si bien que l’abdication, le mot est un peu caricatural, disons plutôt la démission rapide de Marc Ravalomanana le 17 mars 2009, désavoué par l’armée, avait surtout pour but de ne plus faire encore couler du sang.

Dès le 17 mars 2009, Andry Rajoelina s’est autoproclamé chef de l’État, et fut le Président de la Haute Transition jusqu’au 25 janvier 2014, sans autre base juridique légale que le soutien des forces de l’ordre. Après avoir dissous le 19 mars 2009 tant l’Assemblée nationale que le Sénat, Andry Rajoelina avait alors tout fait pour rester le plus longtemps possible au pouvoir, sans aucune légitimité électorale et en perdant tous les soutiens financiers internationaux dans un pays plongé dans un véritable chaos social, alimentaire et sanitaire (avec la recrudescence de certaines maladies qu’on croyait disparues dont la peste). La suppression des aides internationales a d’ailleurs fait accélérer l’arrivée des investisseurs chinois à Madagascar.

Il est difficile cependant de dire qu’Andry Rajoelina était un dictateur entre 2009 et 2014 parce qu’il a nommé des gouvernements composés souvent de nombreuses forces politiques. La preuve, c’est qu’une cour électorale spéciale a interdit en 2013 la candidature des deux protagonistes de la crise de 2009, Marc Ravalomanana mais aussi Andry Rajoelina, ce qui a n’a fait que retarder de cinq ans la résolution politique du problème.

Après un long processus de médiation internationale (initié par l’organisation des pays d’Afrique australe, la SADC), la mise en place d’une nouvelle Constitution, adoptée par le référendum du 17 novembre 2010 (74,2% de "oui" avec 52,6% de participation) et promulguée le 11 décembre 2010, a permis de remettre Madagascar dans un certain cadre institutionnel mais il a fallu encore attendre trois ans avant l’organisation de nouvelles élections.

Ce fut ce retour au légalisme qui a encouragé le Président de la République française Nicolas Sarkozy à recevoir Andry Rajoelina à l’Élysée le 7 décembre 2011, lui apportant quelques aides financières françaises, même si les sanctions internationales n’ont été levées qu’après le déroulement de l’élection présidentielle des 25 octobre 2013 (premier tour) et 20 décembre 2013 (second tour).

Dix années plus tard, en 2019, la situation est radicalement changée. L’ancien Ministre des Finances d’Andry Rajoelina, Hery Rajaonarinamampianina, soutenu par Andry Rajoelina, fut élu Président de la République le 20 décembre 2013 et prit ses fonctions le 25 janvier 2014.

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Néanmoins, si le légalisme constitutionnel fut complètement rétabli, la gouvernance manqua d’efficacité et il y a eu plutôt cinq années d’immobilisme économique et diplomatique, avec les mêmes problèmes institutionnels que depuis l’élection (démocratique) du Président Albert Zafy, à savoir une opposition récurrente de l’Assemblée nationale face au Président, même lorsque ce dernier jouissait d’une majorité (c’est l’opposition permanente entre régime présidentiel et régime parlementaire qui n’a toujours pas été tranchée malgré les différentes constitutions). Hery Rajaonarinamampianina fut ainsi contesté par les députés très rapidement (critiqué pour autocratisme) et une instance juridictionnelle l’obligea à démissionner le 7 septembre 2018 pour pouvoir se présenter à sa réélection.

Hery Rajaonarinamampianina n’a obtenu que 8,8% des voix au premier tour du 7 novembre 2018, placé en troisième position. Cela pourrait être considéré comme un énorme désaveu électoral pour un Président sortant, mais il faut replacer dans le contexte et il s’en est finalement sorti assez honorablement, car toute l’élection (aux très nombreuses candidatures, trente-six !) avait pour véritable enjeu le clivage du début 2009, à savoir le duel tant attendu entre Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina. Seule une élection pouvait enfin départager les deux hommes. Sauf que dix ans plus tard, ils avaient vieilli de dix ans et changé. Marc Ravalomanana (69 ans) se présentait bien moins dynamique que Andry Rajoelina (44 ans). Ce dernier a atteint la première place au premier tour (avec 39,2% des voix) et fut élu le 19 décembre 2018 au second tour par 55,7% des voix. Les deux candidats du second tour avaient notamment débattu à la télévision le 10 décembre 2018 de manière courtoise.

_yartiRajoelina2019B02

Tout l’enjeu de cette élection présidentielle de 2018 fut le consensus sur le nom du vainqueur, quel que soit le vainqueur. En ce sens, il fallait probablement que le plus responsable des deux fût le perdant pour installer une réelle démocratie. Andry Rajoelina fut proclamé élu Président de la République par la Haute Cour Constitutionnelle le 8 janvier 2019 (arrêt n°01-HCC/AR).

Ce qui a été historique, ce fut que, pour la première fois qu’il y a des élections présidentielles qui se veulent démocratiques (depuis 1993), le candidat qui a perdu au second tour a reconnu sa défaite. Marc Ravalomanana l’a reconnu dès le 9 janvier 2019, mais il ne pouvait pas faire autrement avec un si grand écart de voix (plus de 500 000 voix), même si les deux candidats, préventivement, avaient, tous les deux, contesté certains points dans l’organisation de l’élection (notamment la composition de la liste électorale) pour pouvoir la contester ulltérieurement.

_yartiRajoelina2019B04

Andry Rajoelina a pris officiellement ses fonctions de Président de la République le 18 janvier 2019, en présence de son successeur direct, Rivo Rakotovao, Président de la République par intérim en tant que Président du Sénat (depuis le 12 novembre 2017), mais aussi en présence du Président élu sortant Hery Rajaonarimamapianina. Le lendemain, le samedi 19 janvier 2019, son investiture fut célébré par une grande cérémonie au grand stade de Mahamasina en présence des anciens Présidents. Cette cérémonie, qu’on pourrait assimiler à un "sacre", était nouvelle en ce sens qu’elle a été universellement partagée à Madagascar, au contraire des précédentes fois.

Sa situation est donc aujourd’hui très différente que celle entre 2009 et 2014. Andry Rajoelina bénéficie maintenant de l’onction du suffrage universel, sincère et libre. Il est le second Président malgache à avoir été un Président démocratiquement illégitime, puis à avoir reçu, par la suite, après avoir quitté le pouvoir, la légitimité démocratique.

Avant lui, l’amiral Didier Ratsiraka, dictateur communiste du 15 juin 1975 au 22 mars 1993, systématiquement élu et réélu par des élections peu démocratiques (de façade), fut élu, cette fois-ci démocratiquement, lors de l’élection présidentielle des 3 novembre 1996 (premier tour) et 29 décembre 1996 (second tour) avec 50,7% des voix (au second tour) face à Albert Zafy (le Président sortant destitué par les députés). Mais Didier Ratsiraka fut finalement battu à l’élection suivante du 16 décembre 2001 débouchant sur une période de plus de six mois de très grave crise politique et économique car lui et son camp n’avaient pas voulu reconnaître leur défaite face à Marc Ravalomanana, à l’époque maire de Tananarive (Marc Ravalomanana s’était proclamé Président le 22 février 2002 et Didier Ratsiraka avait reconnu sa défaite seulement le 5 juillet 2002).

Christian Ntsay, Premier Ministre de consensus nommé le 4 juin 2018 à l’issue d’une énième crise politique, a été confirmé à son poste par Andry Rajoelina et a formé son nouveau gouvernement le 24 janvier 2019 (décret n°2019-026 portant nomination des membres du gouvernement).

En deux mois de Présidence, Andry Rajoelina a su redéployer la diplomatie malgache et notamment, vis-à-vis de ses partenaires africains (intervention au 32e Sommet de l’Union Africaine, visite d’État à l’Île Maurice, etc.) et de la France dont les liens noués sont historiquement particuliers et importants.

Ainsi, Andry Rajoelina a pu rencontrer (pour la première fois depuis son élection) le Président de la République française Emmanuel Macron le 14 mars 2019 à Nairobi, en marge du 3e One Planet Summit dont Emmanuel Macron était le coprésident. La courte discussion (une vingtaine de minutes) avait pour sujet la coopération globale, la sécurité, la protection des côtes malgaches, la reforestation et l’agriculture (le sujet des Îles Éparses n’aurait pas été abordé).

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Pour une fois, Andry Rajoelina s’est trouvé en face d’un homologue plus jeune que lui (Emmanuel Macron a 41 ans). Andry Rajoelina a tweeté le 14 mars 2019 : « Un excellent échange avec le Président Emmanuel Macron dont je salue le leadership sur le climat. À Nairobi, nous avons réaffirmé les liens solides et constructifs entre nos deux pays et posé les fondations d’un partenariat renouvelé. Vive l’amitié ! ». Emmanuel Macron n’avait pas pu venir à la cérémonie d’investiture à Tananarive le 19 janvier 2019 et s’était fait représenter par Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d’État aux Affaires étrangères, qui était accompagné pour l’occasion par l’ancien Président Nicolas Sarkozy.

À la tribune de ce sommet de Nairobi, Andry Rajoelina a déclaré : « Nous voulons faire de la biodiversité un moteur de croissance et ainsi répondre à la complexe question de l’industrialisation verte et du développement durable. La volonté politique est plus que jamais présente et l’optimisme est là : Madagascar est prête à s’engager dans le virage de la croissance verte ! ».

Sur le plan intérieur, Andry Rajoelina a prononcé un important discours devant le gouvernement, à Tananarive le 20 février 2019, contre la corruption : « Lutter activement pour faire reculer la corruption voire l’éradiquer constitue une priorité de l’État afin de promouvoir l’intégrité, la redevabilité et la transparence (…). Au regard de l’ampleur, de l’étendue et de l’enracinement de ce fléau dans notre société et notamment dans l’administration, il est important d’instaurer une politique de zéro tolérance et d’exemplarité de la sanction en la matière. Comme dans tout État de droit, cette politique s’applique à tous sans exception. ».

Pour l’anecdote, même le statut de la première dame (Mialy Rajoelina) a été codifié par la Présidence de la République de Madagascar qui a communiqué le 6 février 2019 quelques règles qui prévaudront comme : « La première dame s’abstient d’effectuer toute intervention sur une autorité ou sur l’administration publique en général. ». Sur les conditions matérielles de son action : « La première dame ne perçoit aucune rémunération et ne bénéficie ni d’un cabinet ni d’un budget alloué au titre de son rôle de femme du chef de l’État. Toutefois, elle peut disposer d’une assistante pour gérer son agenda et l’accompagner dans ses déplacements. ».

La prochaine étape démocratique cruciale pour Madagascar sera la tenue des prochaines élections législatives qui auront lieu le 27 mai 2019 (la date a été fixée le 2 février 2019). Le dépôt des candidatures a été clos en principe le 12 mars 2019 et fait apparaître 376 dossiers de candidatures pour les 151 sièges à pourvoir, selon Fano Rakotondrazaka, rapporteur général de la CENI (Commission électorale nationale indépendante).

219 candidatures proviennent de personnalités indépendantes et pas d’organisation politique. L’alliance soutenant le Président (le MAPAR) a présenté des candidats dans toutes les 119 circonscriptions électorales. Le nombre de candidats reste très faible par rapport aux élections législatives du 20 décembre 2013 où 1 180 candidats avaient tenté leur chance. Le mode de scrutin est double : 87 sièges sont pourvus au scrutin majoritaire uninominal à un tour et 64 autres au scrutin proportionnel plurinominal à liste bloquée (sans panachage ni vote préférentiel).

Certaines circonscriptions n’ont reçu qu’une seule candidature, mais des intempéries ont également rendu difficiles certains dépôts de candidature. Du coup, la CENI a prolongé de deux jours le délai de candidature. La liste officielle des candidatures validées sera publiée le 19 mars 2019. Tout porte à croire qu’Andry Rajoelina obtiendrait une majorité dans la future Assemblée, mais il ne faudrait pas qu’elle le soit par défaut de candidature d’opposants.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 mars 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Madagascar : Andry Rajoelina, dix ans plus tard.
Résultats définitifs officiels du second tour de l’élection présidentielle malgache du 19 décembre 2018 (communiqué de la HCC).
Madagascar : Andry Rajoelina, élu peu contestable.
Résultats définitifs officiels du premier tour de l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (communiqués par la HCC).
Madagascar : retour vers le futur, en 2013 avant HR.
L’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018.
La liste officielle des 36 candidats à l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (publiée le 22 août 2018).
Albert Zafy.
Le massacre de 1947.
Le pire n’est jamais sûr (28 janvier 2014).
Le gouvernement de Roger Kolo (18 avril 2014).
Discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina du 25 janvier 2014 (texte intégral).
Vidéo du discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina.
L'angoisse de la page blanche.
Résultats de la CENIT (3 janvier 2014).
Nuages noirs sur le processus électoral.
Le second tour de la présidentielle.
Duel Robinson vs Rajaonarimampianina.
Les résultats officiels du 1er tour de la présidentielle malgache (à télécharger).
Victoire du processus électoral malgache.
Jour J de la démocratie malgache : présentation des candidats.
L’élection présidentielle du 24 juillet 2013 aura-t-elle lieu ?
La feuille de route adoptée.
Un putsch en bonne et due forme.
Le prix du sang.
Et si cela s’était passé en France ?
La nouvelle Constitution malgache.
Le gouvernement malgache pour appliquer la feuille de route.
Liste de mai 2013 des candidats à l’élection présidentielle.

_yartiRajoelina2019B01


http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190530-rajoelina.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/05/27/37385170.html

 

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17 mars 2019 7 17 /03 /mars /2019 03:29

« Je mesure l’ampleur des défis que Madagascar devra relever ces prochaines années pour assurer son développement économique et éradiquer la pauvreté. Je tiens à vous assurer du soutien de la France, partenaire historique, voisin et ami de Madagascar, dans les réformes que vous entreprendre pour atteindre ces objectifs. Soyez certain de ma détermination à densifier nos relations politiques, mais aussi économiques et culturelles, qui reposent sur des liens historiques et humains forts. » (Lettre d’Emmanuel Macron à Andry Rajoelina, le 14 janvier 2019).



_yartiRajoelina2019B01

La République de Madagascar va-t-elle enfin sortir de ses crises politiques et institutionnelles incessantes pour enfin entrer dans l’ère de l’efficacité et de la reconstruction ? Il y a tout juste dix ans, le pays était tombé dans une grande confusion. La légalité constitutionnelle en prenait un mauvais coup avec ce qu’il fallait bien appeler le coup d’État du 17 mars 2009.

Après deux mois de manifestations contre le pouvoir en place, tenu démocratiquement par le Président Marc Ravalomanana, l’armée malgache l’a contraint à donner sa démission et à remettre la réalité du pouvoir à Andry Rajoelina, élu le 12 décembre 2007 maire de Tananarive et principal leader de la protestation populaire.

Si ce n’avait été qu’une simple révolution de palais, cela n’aurait été qu’une péripétie de plus dans l’incapacité récurrente de la classe politique malgache à avoir une gouvernance tournée vers l’intérêt général, mais les manifestations du 7 février 2009 se sont soldé par 28 personnes tuées et 212 blessées par l’armée qui a tiré sur la foule qui marchait vers le palais présidentiel. Andry Rajoelina s’était autoproclamé "en charge de la République" le 31 janvier 2009, mais ne fut pas suivi par les manifestants et fut destitué de ses fonctions de maire de Tananarive le 3 février 2009.

De la répression sanglante du 7 février 2009, on ne connaîtra probablement jamais les vrais coupables, la volonté (irresponsable et effrayée) du pouvoir en place de se maintenir malgré la foule ou la provocation des insurgés voulant prendre le pouvoir et montrer qu’ils étaient victimes d’un pouvoir tyrannique ? Il faut bien se rappeler, sans faire toutefois des généralités, que les Malgaches constituent un peuple très majoritairement pacifique et s’ils sont souvent en désaccord entre eux, c’est plus par la discussion que par la violence qu’ils l’expriment.

Les morts du 7 février 2009 pourraient paraître d’un nombre limité, un peu le même que lors du coup d’État du futur Napoléon III le 2 décembre 1851. Ils n’ont rien à voir avec les révolutions sanglantes qu’on a pu hélas observer dans de nombreux pays du monde, mais ces 28 morts ont beaucoup bouleversé l’ensemble des Malgaches à l’époque, si bien que l’abdication, le mot est un peu caricatural, disons plutôt la démission rapide de Marc Ravalomanana le 17 mars 2009, désavoué par l’armée, avait surtout pour but de ne plus faire encore couler du sang.

Dès le 17 mars 2009, Andry Rajoelina s’est autoproclamé chef de l’État, et fut le Président de la Haute Transition jusqu’au 25 janvier 2014, sans autre base juridique légale que le soutien des forces de l’ordre. Après avoir dissous le 19 mars 2009 tant l’Assemblée nationale que le Sénat, Andry Rajoelina avait alors tout fait pour rester le plus longtemps possible au pouvoir, sans aucune légitimité électorale et en perdant tous les soutiens financiers internationaux dans un pays plongé dans un véritable chaos social, alimentaire et sanitaire (avec la recrudescence de certaines maladies qu’on croyait disparues dont la peste). La suppression des aides internationales a d’ailleurs fait accélérer l’arrivée des investisseurs chinois à Madagascar.

Il est difficile cependant de dire qu’Andry Rajoelina était un dictateur entre 2009 et 2014 parce qu’il a nommé des gouvernements composés souvent de nombreuses forces politiques. La preuve, c’est qu’une cour électorale spéciale a interdit en 2013 la candidature des deux protagonistes de la crise de 2009, Marc Ravalomanana mais aussi Andry Rajoelina, ce qui a n’a fait que retarder de cinq ans la résolution politique du problème.

Après un long processus de médiation internationale (initié par l’organisation des pays d’Afrique australe, la SADC), la mise en place d’une nouvelle Constitution, adoptée par le référendum du 17 novembre 2010 (74,2% de "oui" avec 52,6% de participation) et promulguée le 11 décembre 2010, a permis de remettre Madagascar dans un certain cadre institutionnel mais il a fallu encore attendre trois ans avant l’organisation de nouvelles élections.

Ce fut ce retour au légalisme qui a encouragé le Président de la République française Nicolas Sarkozy à recevoir Andry Rajoelina à l’Élysée le 7 décembre 2011, lui apportant quelques aides financières françaises, même si les sanctions internationales n’ont été levées qu’après le déroulement de l’élection présidentielle des 25 octobre 2013 (premier tour) et 20 décembre 2013 (second tour).

Dix années plus tard, en 2019, la situation est radicalement changée. L’ancien Ministre des Finances d’Andry Rajoelina, Hery Rajaonarinamampianina, soutenu par Andry Rajoelina, fut élu Président de la République le 20 décembre 2013 et prit ses fonctions le 25 janvier 2014.

_yartiRajoelina2019B03

Néanmoins, si le légalisme constitutionnel fut complètement rétabli, la gouvernance manqua d’efficacité et il y a eu plutôt cinq années d’immobilisme économique et diplomatique, avec les mêmes problèmes institutionnels que depuis l’élection (démocratique) du Président Albert Zafy, à savoir une opposition récurrente de l’Assemblée nationale face au Président, même lorsque ce dernier jouissait d’une majorité (c’est l’opposition permanente entre régime présidentiel et régime parlementaire qui n’a toujours pas été tranchée malgré les différentes constitutions). Hery Rajaonarinamampianina fut ainsi contesté par les députés très rapidement (critiqué pour autocratisme) et une instance juridictionnelle l’obligea à démissionner le 7 septembre 2018 pour pouvoir se présenter à sa réélection.

Hery Rajaonarinamampianina n’a obtenu que 8,8% des voix au premier tour du 7 novembre 2018, placé en troisième position. Cela pourrait être considéré comme un énorme désaveu électoral pour un Président sortant, mais il faut replacer dans le contexte et il s’en est finalement sorti assez honorablement, car toute l’élection (aux très nombreuses candidatures, trente-six !) avait pour véritable enjeu le clivage du début 2009, à savoir le duel tant attendu entre Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina. Seule une élection pouvait enfin départager les deux hommes. Sauf que dix ans plus tard, ils avaient vieilli de dix ans et changé. Marc Ravalomanana (69 ans) se présentait bien moins dynamique que Andry Rajoelina (44 ans). Ce dernier a atteint la première place au premier tour (avec 39,2% des voix) et fut élu le 19 décembre 2018 au second tour par 55,7% des voix. Les deux candidats du second tour avaient notamment débattu à la télévision le 10 décembre 2018 de manière courtoise.

_yartiRajoelina2019B02

Tout l’enjeu de cette élection présidentielle de 2018 fut le consensus sur le nom du vainqueur, quel que soit le vainqueur. En ce sens, il fallait probablement que le plus responsable des deux fût le perdant pour installer une réelle démocratie. Andry Rajoelina fut proclamé élu Président de la République par la Haute Cour Constitutionnelle le 8 janvier 2019 (arrêt n°01-HCC/AR).

Ce qui a été historique, ce fut que, pour la première fois qu’il y a des élections présidentielles qui se veulent démocratiques (depuis 1993), le candidat qui a perdu au second tour a reconnu sa défaite. Marc Ravalomanana l’a reconnu dès le 9 janvier 2019, mais il ne pouvait pas faire autrement avec un si grand écart de voix (plus de 500 000 voix), même si les deux candidats, préventivement, avaient, tous les deux, contesté certains points dans l’organisation de l’élection (notamment la composition de la liste électorale) pour pouvoir la contester ulltérieurement.

_yartiRajoelina2019B04

Andry Rajoelina a pris officiellement ses fonctions de Président de la République le 18 janvier 2019, en présence de son successeur direct, Rivo Rakotovao, Président de la République par intérim en tant que Président du Sénat (depuis le 12 novembre 2017), mais aussi en présence du Président élu sortant Hery Rajaonarimamapianina. Le lendemain, le samedi 19 janvier 2019, son investiture fut célébré par une grande cérémonie au grand stade de Mahamasina en présence des anciens Présidents. Cette cérémonie, qu’on pourrait assimiler à un "sacre", était nouvelle en ce sens qu’elle a été universellement partagée à Madagascar, au contraire des précédentes fois.

Sa situation est donc aujourd’hui très différente que celle entre 2009 et 2014. Andry Rajoelina bénéficie maintenant de l’onction du suffrage universel, sincère et libre. Il est le second Président malgache à avoir été un Président démocratiquement illégitime, puis à avoir reçu, par la suite, après avoir quitté le pouvoir, la légitimité démocratique.

Avant lui, l’amiral Didier Ratsiraka, dictateur communiste du 15 juin 1975 au 22 mars 1993, systématiquement élu et réélu par des élections peu démocratiques (de façade), fut élu, cette fois-ci démocratiquement, lors de l’élection présidentielle des 3 novembre 1996 (premier tour) et 29 décembre 1996 (second tour) avec 50,7% des voix (au second tour) face à Albert Zafy (le Président sortant destitué par les députés). Mais Didier Ratsiraka fut finalement battu à l’élection suivante du 16 décembre 2001 débouchant sur une période de plus de six mois de très grave crise politique et économique car lui et son camp n’avaient pas voulu reconnaître leur défaite face à Marc Ravalomanana, à l’époque maire de Tananarive (Marc Ravalomanana s’était proclamé Président le 22 février 2002 et Didier Ratsiraka avait reconnu sa défaite seulement le 5 juillet 2002).

Christian Ntsay, Premier Ministre de consensus nommé le 4 juin 2018 à l’issue d’une énième crise politique, a été confirmé à son poste par Andry Rajoelina et a formé son nouveau gouvernement le 24 janvier 2019 (décret n°2019-026 portant nomination des membres du gouvernement).

En deux mois de Présidence, Andry Rajoelina a su redéployer la diplomatie malgache et notamment, vis-à-vis de ses partenaires africains (intervention au 32e Sommet de l’Union Africaine, visite d’État à l’Île Maurice, etc.) et de la France dont les liens noués sont historiquement particuliers et importants.

Ainsi, Andry Rajoelina a pu rencontrer (pour la première fois depuis son élection) le Président de la République française Emmanuel Macron le 14 mars 2019 à Nairobi, en marge du 3e One Planet Summit dont Emmanuel Macron était le coprésident. La courte discussion (une vingtaine de minutes) avait pour sujet la coopération globale, la sécurité, la protection des côtes malgaches, la reforestation et l’agriculture (le sujet des Îles Éparses n’aurait pas été abordé).

_yartiRajoelina2019B06

Pour une fois, Andry Rajoelina s’est trouvé en face d’un homologue plus jeune que lui (Emmanuel Macron a 41 ans). Andry Rajoelina a tweeté le 14 mars 2019 : « Un excellent échange avec le Président Emmanuel Macron dont je salue le leadership sur le climat. À Nairobi, nous avons réaffirmé les liens solides et constructifs entre nos deux pays et posé les fondations d’un partenariat renouvelé. Vive l’amitié ! ». Emmanuel Macron n’avait pas pu venir à la cérémonie d’investiture à Tananarive le 19 janvier 2019 et s’était fait représenter par Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d’État aux Affaires étrangères, qui était accompagné pour l’occasion par l’ancien Président Nicolas Sarkozy.

À la tribune de ce sommet de Nairobi, Andry Rajoelina a déclaré : « Nous voulons faire de la biodiversité un moteur de croissance et ainsi répondre à la complexe question de l’industrialisation verte et du développement durable. La volonté politique est plus que jamais présente et l’optimisme est là : Madagascar est prête à s’engager dans le virage de la croissance verte ! ».

Sur le plan intérieur, Andry Rajoelina a prononcé un important discours devant le gouvernement, à Tananarive le 20 février 2019, contre la corruption : « Lutter activement pour faire reculer la corruption voire l’éradiquer constitue une priorité de l’État afin de promouvoir l’intégrité, la redevabilité et la transparence (…). Au regard de l’ampleur, de l’étendue et de l’enracinement de ce fléau dans notre société et notamment dans l’administration, il est important d’instaurer une politique de zéro tolérance et d’exemplarité de la sanction en la matière. Comme dans tout État de droit, cette politique s’applique à tous sans exception. ».

Pour l’anecdote, même le statut de la première dame (Mialy Rajoelina) a été codifié par la Présidence de la République de Madagascar qui a communiqué le 6 février 2019 quelques règles qui prévaudront comme : « La première dame s’abstient d’effectuer toute intervention sur une autorité ou sur l’administration publique en général. ». Sur les conditions matérielles de son action : « La première dame ne perçoit aucune rémunération et ne bénéficie ni d’un cabinet ni d’un budget alloué au titre de son rôle de femme du chef de l’État. Toutefois, elle peut disposer d’une assistante pour gérer son agenda et l’accompagner dans ses déplacements. ».

La prochaine étape démocratique cruciale pour Madagascar sera la tenue des prochaines élections législatives qui auront lieu le 27 mai 2019 (la date a été fixée le 2 février 2019). Le dépôt des candidatures a été clos en principe le 12 mars 2019 et fait apparaître 376 dossiers de candidatures pour les 151 sièges à pourvoir, selon Fano Rakotondrazaka, rapporteur général de la CENI (Commission électorale nationale indépendante).

219 candidatures proviennent de personnalités indépendantes et pas d’organisation politique. L’alliance soutenant le Président (le MAPAR) a présenté des candidats dans toutes les 119 circonscriptions électorales. Le nombre de candidats reste très faible par rapport aux élections législatives du 20 décembre 2013 où 1 180 candidats avaient tenté leur chance. Le mode de scrutin est double : 87 sièges sont pourvus au scrutin majoritaire uninominal à un tour et 64 autres au scrutin proportionnel plurinominal à liste bloquée (sans panachage ni vote préférentiel).

Certaines circonscriptions n’ont reçu qu’une seule candidature, mais des intempéries ont également rendu difficiles certains dépôts de candidature. Du coup, la CENI a prolongé de deux jours le délai de candidature. La liste officielle des candidatures validées sera publiée le 19 mars 2019. Tout porte à croire qu’Andry Rajoelina obtiendrait une majorité dans la future Assemblée, mais il ne faudrait pas qu’elle le soit par défaut de candidature d’opposants.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 mars 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Madagascar : Andry Rajoelina, dix ans plus tard.
Résultats définitifs officiels du second tour de l’élection présidentielle malgache du 19 décembre 2018 (communiqué de la HCC).
Madagascar : Andry Rajoelina, élu peu contestable.
Résultats définitifs officiels du premier tour de l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (communiqués par la HCC).
Madagascar : retour vers le futur, en 2013 avant HR.
L’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018.
La liste officielle des 36 candidats à l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (publiée le 22 août 2018).
Albert Zafy.
Le massacre de 1947.
Le pire n’est jamais sûr (28 janvier 2014).
Le gouvernement de Roger Kolo (18 avril 2014).
Discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina du 25 janvier 2014 (texte intégral).
Vidéo du discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina.
L'angoisse de la page blanche.
Résultats de la CENIT (3 janvier 2014).
Nuages noirs sur le processus électoral.
Le second tour de la présidentielle.
Duel Robinson vs Rajaonarimampianina.
Les résultats officiels du 1er tour de la présidentielle malgache (à télécharger).
Victoire du processus électoral malgache.
Jour J de la démocratie malgache : présentation des candidats.
L’élection présidentielle du 24 juillet 2013 aura-t-elle lieu ?
La feuille de route adoptée.
Un putsch en bonne et due forme.
Le prix du sang.
Et si cela s’était passé en France ?
La nouvelle Constitution malgache.
Le gouvernement malgache pour appliquer la feuille de route.
Liste de mai 2013 des candidats à l’élection présidentielle.

_yartiRajoelina2019B05



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190317-andry-rajoelina.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/madagascar-andry-rajoelina-dix-ans-213542

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/03/10/37165733.html



 

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9 janvier 2019 3 09 /01 /janvier /2019 03:48

« Monsieur Andry Nirina Rajoelina est proclamé Président de la République. Il prendra ses fonctions à partir de la prestation de serment en audience solennelle de la Haute Cour Constitutionnelle. Conformément à l’article 48 de la Constitution, la passation officielle du pouvoir se fera entre le Président sortant et le Président nouvellement élu en présence du Chef de l’État par intérim. » (Article 32 de l’arrêt n°01-HCC/AR du 8 janvier 2019 portant proclamation des résultats officiels du second tour de l’élection présidentielle du 19 décembre 2018).


_yartiRajoelina2019A01

Dès les premiers résultats provisoires communiqués le 20 décembre 2018 par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) chargée de dépouiller le second tour de l’élection présidentielle malgache du 19 décembre 2018, portant sur seulement 5,48% des bureaux de votes, la tendance était connue. Elle a été semi-officialisée lors de la publication, le 27 décembre 2018, par la CENI des résultats provisoires et enfin formellement confirmée ce mardi 8 janvier 2019 à 15 heures (heure malgache) par la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) chargée de proclamer les résultats : Andry Rajoelina a été élu Président de la République de Madagascar.

Les résultats définitifs proclamés le 8 janvier 2019 par la HCC sont quasiment identiques aux résultats provisoires annoncés le 27 décembre 2018 par la CENI, à quelques votes près (tous les résultats détaillés, géographiquement, ainsi que les réponses aux contestations sont lisibles ici). De toute façon, l’écart est tel qu’il devient peu sincère de contester la conclusion proclamée de l’élection.

Andry Rajoelina a obtenu 2 586 938 voix, soit 55,66% des suffrages, battant largement son concurrent Marc Ravalomanana qui n’a recueilli que 2 060 847 voix, soit 44,34%. Ce "combat de coqs" n’a cependant intéressé que 48,09% des 9 913 599 électeurs inscrits qui se sont déplacés pour participer au scrutin, ce qui est faible (moins de la moitié du corps électoral), et 119 557 ont laissé un bulletin blanc ou nul dans l’urne. Le taux de participation du premier tour le 7 novembre 2018 était déjà assez faible (54,23%, soit 7,5 points de moins que l’élection précédente).

_yartiRajoelina2019A05

Les plus de 520 000 voix de différence entre les deux candidats paraissent trop nombreux pour que des irrégularités plus ou moins oubliées dans le décret final puissent inverser le résultat. Avant le scrutin, les deux candidats avaient d’ailleurs protesté sur la manière d’établir la liste électorale du second tour mettant en doute plusieurs centaines de milliers d’inscriptions.

Certes, cette élection malgache ne s’est pas déroulée dans les meilleures conditions de démocratie, comparées à nos standards européens. Néanmoins, elle est probablement la plus démocratique de toute l’histoire du pays, notamment dans le processus de dépouillement, transparent et ouvert, qui a été finalement assez rapide (plus rapide que les délais prévus par la loi électorale). Et certainement plus "démocratique" que l’élection présidentielle en République Démocratique du Congo qui s’est déroulée le 30 décembre 2018 avec l’interdiction des médias étrangers.

À titre personnel, je regrette ce résultat car c’est probablement le triomphe de la démagogie. Il aurait évidemment fallu un combat basé sur les idées, sur les options politiques, sur les projets concrets pour redresser (enfin) l’économie de Madagascar, l’un des pays les plus pauvres du monde alors qu’il est aussi l’un des plus riches en ressources naturelles et aussi humaines. Trois fois, depuis le 27 décembre 2018, les partisans du candidat battu, Marc Ravalomanana, ont manifesté sur la place du 13-mai, malgré l’interdiction du gouvernement actuel (a priori neutre). Des manifestations interdites, on en connaît aussi en France.

L’idéal aurait été de tourner réellement la page du passé pour avoir un pouvoir qui ne soit ni "immobile" ni "corrompu" et qui ne pense qu’à l’intérêt du pays et de son peuple au lieu de celui de son seul clan.

_yartiRajoelina2019A02

Marc Ravalomanana (69 ans), Président de la République de Madagascar du 22 février 2002 au 17 mars 2009, avait commencé à reconstruire le pays, notamment en remettant en état les principales routes de la grande île qui sont des axes essentiels dans le développement économique mais aussi social. Il a été chassé du pouvoir par un putsch mené par Andry Rajoelina (44 ans) qui fut autoproclamé Président de la Haute Autorité de  transition de Madagascar du 17 mars 2009 au 25 janvier 2014.

En se faisant élire Président (pour la première fois), Andry Rajoelina semble répéter l’exploit du vieil amiral Didier Ratsiraka (82 ans), dictateur crypto-communiste du 15 juin 1975 au 27 mars 1993, arrivé au pouvoir par une révolution de palais (et perpétué par des élections fantoches, le 21 décembre 1975, le 7 novembre 1982 et le 12 mars 1989), et réapparu démocratiquement quelques années plus tard, élu démocratiquement le 29 novembre 1996, devenu Président de la République du 9 février 1997 au 5 juillet 2002. Il avait refusé de quitter le pouvoir en 2002, refusant d’admettre sa défaite dès le premier tour à l’élection présidentielle du 16 décembre 2001, face à Marc Ravalomanana.

De décembre 2001 à juillet 2002, ce fut carrément la "guerre civile" entre les partisans de Didier Ratsiraka (côtiers, Tamatave) et les partisans de Marc Ravalomanana (hauts plateaux, Tananarive). Le pays fut paralysé pendant plus de six mois. De janvier 2009 à janvier 2014, il fut de nouveau paralysé économiquement à cause du putsch et de la "transition" interminable d’Andry Rajoelina, alors qu’il commençait timidement à se reconstruire.

L’absence d’électricité partout, l’absence d’eau courante, la persistance de maladies terribles pourtant faciles et peu coûteuses à soigner et éradiquer (la peste, la lèpre), font que l’enjeu de cette élection présidentielle est essentiel : contrairement aux précédentes, il faut que cette élection débouche enfin sur des actions concrètes, aidés par la communauté internationale, en faveur du peuple malgache et pas la perpétuation des luttes entre clans.

Le risque, aujourd’hui, ce serait si les partisans de Marc Ravalomanana refusaient de reconnaître leur défaite et refusaient de reconnaître la légitimité d’Andry Rajoelina. Or, l’important est plus dans cette reconnaissance par l’opposition de son échec électoral que dans l’identité effective du gagnant. Tant qu’il n’y a pas ce partage de légitimation, le pays ne pourra jamais progresser. C’est donc aujourd’hui urgent que Marc Ravalomanana reconnaisse sa défaite. C’est le prix de la maturité démocratique.

_yartiRajoelina2019A03

Les deux candidats ont eu le combat qu’ils attendaient depuis plus de neuf ans. Au cours de la campagne des deux tours, il y a eu plusieurs débats qui les ont opposés, dont celui du 10 décembre 2018, quelques jours avant le scrutin du second tour. Marc Ravalomanana était probablement le plus réaliste et le plus basé sur la situation réelle de Madagascar, Andry Rajoelina, au contraire, n’a pas hésité à faire dans le populisme pour consolider son avance du premier tour (il a même publié un livre sorti le 9 octobre 2018 au titre particulièrement passe-partout : "Par amour de la patrie", éd. Michel Lafon). Les deux n’ont même pas convaincu la moitié du corps électoral qu’il fallait les départager.

L’investiture d’Andry Rajoelina devrait intervenir avant le 25 janvier 2019. La date du 19 janvier 2019 semble être la plus probable. Le Président sortant Hery Rajaonarimampianina lui cédera alors les clefs du pouvoir devant le Président par intérim Rivo Rakotova. Quant aux élections législatives prévues dans la foulée, programmées pour le 20 mars 2019 afin de renouveler les 151 députés, elles risquent de subir la démobilisation d’une grande partie de l’électorat déçu par la tournure de l’élection présidentielle. À Andry Rajoelina de réussir enfin là où tous ses prédécesseurs ont échoué, à savoir redonner un véritable avenir collectif à Madagascar en insufflant l’esprit de réconciliation et de concorde. Il est permis d‘en douter.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 janvier 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Résultats définitifs officiels du second tour de l’élection présidentielle malgache du 19 décembre 2018 (communiqué de la HCC).
Madagascar : Andry Rajoelina, élu peu contestable.
Résultats définitifs officiels du premier tour de l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (communiqués par la HCC).
Madagascar : retour vers le futur, en 2013 avant HR.
L’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018.
La liste officielle des 36 candidats à l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (publiée le 22 août 2018).
Albert Zafy.
Le massacre de 1947.
Le pire n’est jamais sûr (28 janvier 2014).
Le gouvernement de Roger Kolo (18 avril 2014).
Discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina du 25 janvier 2014 (texte intégral).
Vidéo du discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina.
L'angoisse de la page blanche.
Résultats de la CENIT (3 janvier 2014).
Nuages noirs sur le processus électoral.
Le second tour de la présidentielle.
Duel Robinson vs Rajaonarimampianina.
Les résultats officiels du 1er tour de la présidentielle malgache (à télécharger).
Victoire du processus électoral malgache.
Jour J de la démocratie malgache : présentation des candidats.
L’élection présidentielle du 24 juillet 2013 aura-t-elle lieu ?
La feuille de route adoptée.
Un putsch en bonne et due forme.
Le prix du sang.
Et si cela s’était passé en France ?
La nouvelle Constitution malgache.
Le gouvernement malgache pour appliquer la feuille de route.
Liste de mai 2013 des candidats à l’élection présidentielle.

_yartiRajoelina2019A04



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190108-rajoelina.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/madagascar-andry-rajoelina-elu-peu-211467

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/01/08/37001743.html



 

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8 janvier 2019 2 08 /01 /janvier /2019 14:56

Après la publication des résultats provisoires le 27 décembre 2018 par la CENI, la Haute Cour Constitutionnelle de Madagascar a publié le 8 janvier 2019 les résultats définitifs du second tour de l'élection présidentielle du 19 décembre 2018 et a proclamé Andry Rajoelina élu.

Cliquer sur les liens pour télécharger les documents correspondants (pour les deux premiers, fichiers .pdf).

Résultats globaux :
http://www.hcc.gov.mg/wp-content/Recap/National.pdf

Détails de chaque bureau de vote (fichier de 60 Mo) :
http://www.hcc.gov.mg/wp-content/District/Details/BVs.pdf

Justification juridique de la proclamation des résultats :
http://www.hcc.gov.mg/non-classe/arret-n01-hcc-ar-du-8-janvier-2019-portant-proclamation-des-resultats-officiels-du-second-tour-de-lelection-presidentielle-du-19-decembre-2018/

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190108-rajoelina.html

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20190108-resultats-second-tour-presidentielle-madagascar.html


 

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28 novembre 2018 3 28 /11 /novembre /2018 09:41

« La séduction suprême n’est pas d’exprimer ses sentiments ; c’est de les faire soupçonner. » (Jules Barbey d’Aurevilly, 1889).



_yartiMada2018B01

Près de 10 millions de citoyens malgaches (précisément 9 949 083 [9 913 599]) étaient convoqués le mercredi 7 novembre 2018 pour élire leur nouveau Président de la République. Trente-six candidats étaient présents dans la compétition du premier tour, dont quatre anciens Présidents de la République. J’ai déjà écrit sur les enjeux du premier tour.

Contrairement à la France où les résultats électoraux arrivent officieusement dès la minute qui suit la fermeture du dernier bureau de vote (en général, à 20 heures, sauf pour les élections européennes), et où les résultats officiels sont communiqués un ou deux jours plus tard, les phases de dépouillement puis d’annonce des résultats sont toujours politiquement sensibles et tendues. Cela a valu la plongée du pays dans six mois d’arrêt économique et de crise politique majeure en 2001-2002.

Après la publication des résultats provisoires le samedi 16 novembre 2018 par la CENI (Commission électorale nationale indépendante), la Haut Cour Constitutionnelle (HCC) vient de publier ce mercredi 28 novembre 2018 les résultats définitifs de ce premier tour de l’élection présidentielle du 7 novembre 2018 (ces résultats officiels sont consultables ici).

Entre ces deux dates, la HCC a eu à instruire les éventuelles contestations des candidats. Beaucoup d’irrégularités ont été annoncées mais finalement, la différence entre les deux publications (CENI et HCC) est relativement faible. J’ai mis entre crochets les résultats provisoires annoncés par la CENI (la HCC a annoncé un nombre d’électeurs inscrits supérieur à celui annoncé de la CENI, ce qui peut être troublant puisque, a priori, ce nombre devrait être connu avant même la tenue du scrutin).

Il y a eu un taux de participation de 53,95% [54,23%], ce qui est assez faible et montre un véritable désenchantement sur la confiance populaire dans le processus démocratique et surtout, sur la pauvreté de l’offre politique (la classe politique malgache est régulièrement critiquée pour son incapacité à relever le pays). Par ailleurs, il y a eu 386 946 bulletins blancs ou nuls [392 835].

Comme c’était à la fois à prévoir et à craindre, les deux candidats arrivés en tête sont les frères ennemis et anciens Présidents Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana. Le premier a obtenu 1 954 023 voix soit 39,23% des suffrages exprimés [39,19%] et le second 1 760 837 voix soit 35,35% des suffrages exprimés [35,29%].

Quant au Président sortant Hery Rajaonarimampianina (HR dans mon titre), qui a dû démissionner le 7 septembre 2018 pour participer à ce scrutin, il n’est arrivé qu’en troisième position et s’est effondré à 439 070 voix soit 8,82% des suffrages exprimés [8,84%]. Les autres candidats ont obtenu moins de 1,3%, en particulier l’ancien Président Didier Ratsiraka, ancien dictateur communiste de 1975 à 1992 et ancien Président démocratiquement élu de 1997 à 2002, qui n’a recueilli que 22 222 voix soit 0,45% des suffrages exprimés [0,45%].

_yartiMada2018B04

Le comportement des deux premiers candidats après le premier tour a été le suivant. Les deux ont protesté contre des irrégularités qui leur seraient défavorables. Marc Ravalomanana a cependant retiré toutes ses réclamations, considérant comme acquise l’existence du second tour prévu le mercredi 19 décembre 2018 qui l’opposera à Andry Rajoelina. Le 27 novembre 2018, Marc Ravalomanana a même annoncé avoir pris des contacts avec des proches du Président sortant Hery Rajaonarimampianina. Quant à Andry Rajoelina, il a voulu adopter le comportement de son rival lors de la crise de 2001-2002, à savoir, s’autoproclamer élu dès le premier tour et ne pas reconnaître les résultats provisoires du 16 novembre 2018. Pour l’instant, rien n’indique qu’il ne reconnaîtrait pas les résultats définitifs du 28 novembre 2018. S’il ne les reconnaissait pas, il se mettrait en dehors du processus démocratique, comme il l’avait fait du reste en faisant le putsch du 17 mars 2009.

C’était donc très inutile d’avoir rendu impossible la candidature de Marc Ravalomanana et d’Andry Rajoelina en 2013. Cinq ans ont ainsi été perdus, car si de nouveaux candidats au second tour de 2018 auraient été salutaires pour la respiration démocratique malgache, il était évident qu’il fallait auparavant crever l’abcès du putsch et de la transition, et le seul moyen, c’était un combat démocratique à la loyale entre le "déposé" et le "déposeur". En clair, il fallait que le peuple réglât ce différend d’une manière ou d’une autre.

Il faut imaginer ce qu’il s’est passé à Madagascar entre janvier 2009 et janvier 2014 : de nombreuses manifestations dans la capitale pour contester l’autorité du Président de la République Marc Ravalomanana, puis, finalement, au bout de deux mois, avec l’appui de l’armée, le Président démocratiquement élu fut déposé et Andry Rajoelina a pris le pouvoir pendant presque cinq ans, sans n’avoir eu aucune légitimité démocratique. Cela a conduit le pays dans une impasse financière terrible car la "communauté internationale" a réagi en interrompant ses aides financières (la santé, la faim, la scolarisation des enfants, etc. ont été gravement touchées par cette si longue "transition"). C’est peut-être ce scénario que les "gilets jaunes" voudraient en France en voulant marcher sur l’Élysée et en réclamant la démission du Président Emmanuel Macron démocratiquement élu

Revenons à Madagascar en 2018. Moins de 200 000 voix séparent donc les deux finalistes du second tour du 19 décembre 2018. La bataille restera donc rude et les résultats du second tour promettent d’être serrés, ce qui pourrait donc laisser la possibilité de contestation et de non reconnaissance de la défaite pour le candidat qui ne serait pas proclamé officiellement élu.

_yartiMada2018B02

Néanmoins, je voudrais terminer par une note positive et optimiste. Certes, le retour de l’un ou l’autre des anciens Présidents de la République fera que le pays aura du mal à tourner une nouvelle page. Mais il aura au moins vidé l’abcès et pourra repartir sur de nouvelles bases politiques plus saines à condition que les deux candidats reconnaissent les résultats du second tour.

Le positif, c’est que les résultats du premier tour sont clairs et peu contestables. Je ne sais pas quelle va être la réaction d’Andry Rajoelina, mais il semble peu en mesure de contester l’existence d’un second tour avec plus de 10% de retard sur une élection qu’il aurait voulue dès le premier tour. En effet, selon les résultats définitifs de la HCC, il lui manque 536 380 voix pour prétendre gagner dès le premier tour : personne ne pourrait affirmer que la prise en compte d’éventuelles irrégularités qui n’auraient pas été prises en compte par la HCC serait en mesure de redresser les résultats d’une si grande amplitude.

Du reste, les résultats du premier tour sont extrêmement clairs malgré la confusion initiale des trente-six candidatures : seuls, trois candidats sont sortis du lot dans l’esprit des électeurs. Le Président sortant, Hery Rajaonarimampianina, qui comptait sur la rivalité Ravalomanana/Rajoelina pour passer entre les comptes du discrédit généralisé des électeurs, ne peut prétendre à rien, en dessous de 10%. Quant aux deux finalistes, entre 35% et 40% des voix, ils sont suffisamment faibles pour devoir accepter un second tour et suffisamment forts pour que leur présence au second tour ne soit pas contestable par les autres candidats. La seule incertitude réelle, c’est la réalité de l’ordre d’arrivée, mais c’est très secondaire et anecdotique puisque l’importance sera surtout pour l’ordre d’arrivée au second tour et pas au premier tour.

Autre réflexion : aucun candidat extrémiste ou populiste n’a réussi à se présenter et à émerger électoralement en alimentant son fonds de commerce de la contestation contre la classe politique actuelle, au contraire de nombreux pays européens (Hongrie, Pologne, Autriche, Allemagne, France, Italie, Pays-Bas, etc.), mais aussi du reste du monde (États-Unis, Brésil, Philippines, etc.). C’est là un atout décisif du peuple malgache. Indépendamment des querelles intestines qui l’empêchent d’avancer, il ne s’en remet pas pour autant à un trumpisme populo-simplificateur… même si l’on pourrait affirmer que les représentants de la classe politique actuelle pourraient en faire partie.

_yartiMada2018B03

En quelques sortes, ces résultats du premier tour de l’élection présidentielle malgache de 2018 auraient pour équivalent français un second tour présidentiel en 2022 entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, avec un Emmanuel Macron loin derrière en troisième position au premier tour. En d’autres termes, c’est bien une remontée dans le temps que les électeurs malgaches ont souhaitée en favorisant ceux qui, des candidats, à grand renfort de budget électoral, veulent revenir au pouvoir.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 novembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Résultats définitifs officiels du premier tour de l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (communiqués par la HCC).
Madagascar : retour vers le futur, en 2013 avant HR.
L’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018.
La liste officielle des 36 candidats à l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (publiée le 22 août 2018).
Albert Zafy.
Le massacre de 1947.
Le pire n’est jamais sûr (28 janvier 2014).
Le gouvernement de Roger Kolo (18 avril 2014).
Discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina du 25 janvier 2014 (texte intégral).
Vidéo du discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina.
L'angoisse de la page blanche.
Résultats de la CENIT (3 janvier 2014).
Nuages noirs sur le processus électoral.
Le second tour de la présidentielle.
Duel Robinson vs Rajaonarimampianina.
Les résultats officiels du 1er tour de la présidentielle malgache (à télécharger).
Victoire du processus électoral malgache.
Jour J de la démocratie malgache : présentation des candidats.
L’élection présidentielle du 24 juillet 2013 aura-t-elle lieu ?
La feuille de route adoptée.
Un putsch en bonne et due forme.
Le prix du sang.
Et si cela s’était passé en France ?
La nouvelle Constitution malgache.
Le gouvernement malgache pour appliquer la feuille de route.
Liste de mai 2013 des candidats à l’élection présidentielle.

_yartiMada2018B05



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181128-presidentielle-madagascar.html

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28 novembre 2018 3 28 /11 /novembre /2018 04:39

La Haute Cour Constitutionnelle de Madagascar a publié les résultats définitifs du premier tour de l'élection présidentielle du 7 novembre 2018.

Cliquer sur le lien pour télécharger les résultats (fichier .pdf) :
http://www.hcc.gov.mg/wp-content/uploads/2018/11/EtatNational.pdf

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181128-presidentielle-madagascar.html

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20181128-resultats-premier-tour-presidentielle-madagascar.html

 

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6 novembre 2018 2 06 /11 /novembre /2018 01:23

« La résolution d’une crise au niveau d’un pays appartient toujours à ce pays. Mais néanmoins, nous sommes ouverts à toutes les mains tendues. Ces crises sont d’ordre politique, mais il y a aussi des aspects économiques : la pauvreté en soi est déjà une crise, donc la contribution de la France au niveau économique sera, à mon avis, une contribution pour résoudre cette crise. » (Hery Rajaonarimampianina, le 29 juin 2017 sur RFI).


_yartiMada2018A01

Encore Président de la République, Hery Rajaonarimampianina a prononcé ces mots alors qu’il venait de rencontrer à l’Élysée, le 28 juin 2017, le nouveau Président de la République française Emmanuel Macron. Les crises, Madagascar en connaît ces dernières décennies, et même, des crises majeures provoquées souvent par des contestations sur les résultats des élections présidentielles.

Hery Rajaonarinamampianina expliquait également que le besoin en financement de Madagascar l’avait conduit à se tourner vers les capitaux asiatiques et particulièrement chinois : « Aujourd’hui, pour la reconstitution du pays, Madagascar a besoin de beaucoup plus de moyens, qui pourraient venir de partout. Nous travaillons avec les bailleurs de fonds internationaux depuis très longtemps par exemple, mais j’ai toujours préconisé qu’on puisse approfondir les relations avec les investisseurs privés. (…) L’intérêt de Madagascar pousse son Président à trouver les moyens qu’il faut, il n’y a pas d’exclusion, ni d’exclusivité. (…) Demandez à un des grands pays comme les États-Unis par exemple, qui sont les grands investisseurs chez eux. Ce sont les Asiatiques. Pourquoi des pays comme Madagascar ne pourraient pas avoir cette opportunité ? Les capitaux sont partout. Pourquoi ne pas ouvrir la porte à tout le monde ? ».

Les besoins pour Madagascar sont gigantesques car le pays fait partie des plus pauvres du monde, malgré la très grande richesse de la faune et de la flore, ainsi que les ressources en minerais (quartz, diamant, etc.).

D’après une note du Ministère malgache des Finances et du Budget publiée en mars 2016, 48% des 23,2 millions d’habitants que comptaient Madagascar en 2014 vivaient dans l’extrême pauvreté et 87,7% vivaient sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire à moins de 1,25 dollars par jour. La plupart des facteurs de développement sont au rouge : faim et malnutrition, manque d’eau courante, d’électricité, de routes et d’autres infrastructures économiques, mauvaise santé publique, hôpitaux, etc. Le taux de scolarisation s’est effondré ces dernières années, 600 000 enfants ne sont plus scolarisés.

La réapparition de la peste a provoqué 202 morts en 2017 sur les 2 384 cas recensés, principalement de peste pulmonaire, la plus rapidement mortelle, et a nécessité la fermeture de dizaines d’écoles et d’universités pour les désinfecter. Plusieurs dizaines de nouveaux cas ont encore été recensés depuis août 2018 (avec au moins deux morts). À cet égard, le rite très célèbre du "retournement des morts" ("famadihana" : exhumation des dépouilles et réinhumation) n’est pas vraiment approprié du point de vue de l’hygiène pour lutter efficacement contre la peste et éviter sa persistance dans le pays. Ni la déforestation qui incite les rongeurs à rejoindre les villes. Ni évidemment le manque d’infrastructures sanitaires. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a confié en janvier 2018 : « Madagascar peut faire disparaître à tout jamais les épidémies de peste grâce à des investissements stratégiques dans son système de santé. » (cité par l’AFP).

L’une des raisons majeures de cette pauvreté, alors que les ressources naturelles sont riches dans le pays, c’est l’incapacité du système politique malgache à stabiliser ses institutions, ce qui signifie qu’environ tous les dix ans, depuis une trentaine d’années, il y a une crise politique majeure qui réduit à néant les éventuels efforts économiques et politiques réalisés pendant la période précédente.

Ces prochains jours, Madagascar va vivre un nouveau cycle. Pour l’instant, rien ne peut dire si ce sera celui de la renaissance et de la prospérité ou celui, récurrent, de la crise politique et de la ruine économique. En effet, ce mercredi 7 novembre 2018 aura lieu le premier tour d’une nouvelle élection présidentielle et la campagne a montré que les inquiétudes et les angoisses étaient justifiées. Mon introduction montre à quels points les enjeux nationaux sont cruciaux, et pourtant, la classe politique se débat dans des querelles politiciennes à courte vue.

Parmi les très nombreux candidats (trente-six !), se trouvent les quatre anciens Président de la République parmi les cinq depuis 1975. Et encore ! Le cinquième n’est pas candidat parce qu’il est mort l’année dernière, Albert Zafy. Dans ce jeu où les individus font office de politique (chaque personnalité a son parti), il est rarement question de l’intérêt national mais plus sûrement de revanche, d’égocentrisme, de népotisme, de corruption, etc.

_yartiMada2018A04

Retraçons très succinctement la vie politique des dernières années. Marc Ravalomanana, maire de Tananarive et patron d’un grand groupe agroalimentaire, a gagné l’élection présidentielle de 2001-2002 face au Président sortant Didier Ratsiraka, élu démocratiquement en 1997 mais qui n’était autre que le dictateur archéocommuniste (surnommé l’Amiral rouge) arrivé au pouvoir par un putsch en 1975 et renvoyé du pouvoir par une série de manifestations géantes en 1991-1993.

Marc Ravalomanana a commencé à appliquer la politique d’un véritable chef d’entreprise pour développer économiquement le pays après une année (2002) particulièrement chaotique sur le plan politique et économique. Un critère qui ne trompe pas, l’état des routes dans ce pays très étendu. Beaucoup de routes ont été refaites entre 2002 et 2008.

Néanmoins, chaque Président, aussi démocrate qu’il pourrait se revendiquer et aussi démocratiquement élu qu’il pourrait être, pêche souvent dans une sorte de dérive autoritaire récurrente à Madagascar. Albert Zafy, le premier Président librement élu, a ainsi été destitué en 1996 parce qu’il ne voulait pas se conformer aux volontés des parlementaires.

Autre maire de Tananarive et également chef d’entreprise, Andry Rajoelina a plongé le pays dans un chaos institutionnel terrifiant pendant près de cinq années. Prenant le pouvoir après un putsch en mars 2009, il a assumé la tête de ce qu’on a appelé la "Transition" en retardant le plus longtemps possible l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle. Une nouvelle Constitution a été approuvée par référendum en 2010, particulièrement contraignante pour garantir un processus électoral correct.

Les anciens Présidents (ou leur épouse) furent interdits de concourir à la précédente élection présidentielle du 25 octobre 2013, par la décision de la Cour électorale le 17 août 2013, si bien que la bataille électorale s’est tenue par "délégation". Didier Ratsiraka était "représenté" par son neveu Roland Ratsiraka, (ancien) maire de Tamatave, candidat aussi le 20 août 2018, et Andry Rajoelina par le candidat qui, finalement, a été élu au second tour le 20 décembre 2013 avec 53,5% : Hery Rajaonarimampianina, face à un candidat soutenu par Marc Ravalomanana, à savoir Jean-Louis Robinson.

En 2018, la situation est différente. Tous ces protagonistes ont pu juridiquement se présenter, si bien que 2018 est la véritable bataille politique pour régler le …putsch de mars 2009 ! Il est donc probable que l’enjeu perçu par les électeurs tourne autour de la rivalité entre Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina.

Hery Rajaonarimampianina est, lui aussi, un ancien Président car il a dû démissionner de la Présidence de la République, deux mois avant le scrutin pour y participer, à savoir le 7 septembre 2018 (le Président du Sénat Rivo Rakotovao assure actuellement l’intérim).

Hery Rajaonarimampianina, lui aussi, fut contesté dans sa gouvernance. Proclamé élu le 17 janvier 2014 et investi le 25 janvier 2014, il a mis trois mois à nommer un nouveau Premier Ministre, immédiatement confronté à son ancien soutien Andry Rajoelina. Le docteur Roger Kolo, nommé Premier Ministre le 16 avril 2014 (succédant à Jean Omer Beriziky), fut amené à démissionner le 16 janvier 2015. Le pays s’est alors engouffré dans une nouvelle crise politique. Des députés de l’opposition sont parvenus à se coaliser et à devenir majoritaires avec 80 sièges sur 151 et ont cherché à imposer un nouveau Premier Ministre au Président qui résista vaillamment (c’était déjà le problème d’Albert Zafy, vingt ans auparavant). Finalement, le Président a imposé le général Jean Ravelonarivo comme Premier Ministre nommé le 17 janvier 2015, confirmé par la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) le 12 février 2015, mais cela a provoqué une réaction vive des députés.

En effet, le 26 mai 2015, en vertu de l’article 131 de la Constitution, les députés ont voté carrément la destitution de Hery Rajaonarimampianina, par 121 voix pour et 4 voix contre, soit largement plus que la majorité nécessaire des deux tiers (101), mais cette destitution fut rejetée par la HCC le 13 juin 2015.

Une nouvelle demande de destitution a été faite par l’opposition le 26 avril 2018 auprès de la Cour suprême pour protester contre la volonté, selon l’opposition, d’empêcher cette opposition de se présenter à l’élection présidentielle (dont la date n’était pas encore fixée). Finalement, la Cour suprême a décidé de lancer un ultimatum au Président le 25 mai 2018, exigeant de lui la nomination d’un gouvernement d’union nationale qui organiserait l’élection présidentielle et sa démission en cas de candidature deux mois avant le scrutin.

Le Premier Ministre d’alors, Olivier Mahafaly Solonandrasana, qui avait remplacé Jean Ravelonarivo le 10 avril 2016, a démissionné le 6 juin 2018 pour laisser place à un gouvernement d’union nationale dirigé par Christian Ntsay qui a annoncé le 29 juin 2018 la date de l’élection présidentielle fixée au 7 novembre 2018 pour le premier tour et au 19 décembre 2018 pour le second tour éventuel.

Parmi les trente-six candidats retenus le 22 août 2018 par la HCC (quarante-six avaient voulu se présenter, on peut lire la liste complète ici), outre les quatre anciens Présidents, Didier Ratsiraka (qui vient d’avoir 82 ans ce 4 novembre 2018), candidat le 21 août 2018, Marc Ravalomanana (68 ans), candidat le 18 août 2018, Andry Rajoelina (44 ans), candidat le 1er août 2018, et Hery Rajaonarimampianina (qui a 60 ans ce 6 novembre 2018), candidat le 17 août 2018, deux anciens Premiers Ministres se présentent, Jean Omer Beriziky (68 ans), candidat le 15 août 2018, et Jean Ravelonarivo (59 ans), candidat le 3 août 2018, ainsi qu’un ancien ministre de Marc Ravalomanana, Benjamin Radavidson, qui avait été limogé du gouvernement le 2 mai 2008 et qui s’était déjà présenté à l’élection présidentielle du 25 octobre 2013 (il avait obtenu 2,2% des voix).

Comme je l’ai écrit plus haut, la probabilité et en même temps le risque sont que cette élection se polarise autour de la rivalité entre Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina qui pourraient donc être les deux candidats du second tour, à moins que les électeurs cherchent à promouvoir des candidats moins marqués par l’histoire récente, ou encore, moins marqués par la vie politique, comme le chanteur de musique folk Dama, de son vrai nom Zafimahaleo Rasolofondraosolo (64 ans), candidat le 10 août 2018, qui fut quand même élu député en 1992…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 novembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La liste officielle des 36 candidats à l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (publiée le 22 août 2018).
L’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018.
Albert Zafy.
Le massacre de 1947.
Le pire n’est jamais sûr (28 janvier 2014).
Le gouvernement de Roger Kolo (18 avril 2014).
Discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina du 25 janvier 2014 (texte intégral).
Vidéo du discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina.
L'angoisse de la page blanche.
Résultats de la CENIT (3 janvier 2014).
Nuages noirs sur le processus électoral.
Le second tour de la présidentielle.
Duel Robinson vs Rajaonarimampianina.
Les résultats officiels du 1er tour de la présidentielle malgache (à télécharger).
Victoire du processus électoral malgache.
Jour J de la démocratie malgache : présentation des candidats.
L’élection présidentielle du 24 juillet 2013 aura-t-elle lieu ?
La feuille de route adoptée.
Un putsch en bonne et due forme.
Le prix du sang.
Et si cela s’était passé en France ?
La nouvelle Constitution malgache.
Le gouvernement malgache pour appliquer la feuille de route.
Liste de mai 2013 des candidats à l’élection présidentielle.

_yartiMada2018A03




http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20181106-hery-rajaonarimampianina.html

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5 novembre 2018 1 05 /11 /novembre /2018 04:37

« La résolution d’une crise au niveau d’un pays appartient toujours à ce pays. Mais néanmoins, nous sommes ouverts à toutes les mains tendues. Ces crises sont d’ordre politique, mais il y a aussi des aspects économiques : la pauvreté en soi est déjà une crise, donc la contribution de la France au niveau économique sera, à mon avis, une contribution pour résoudre cette crise. » (Hery Rajaonarimampianina, le 29 juin 2017 sur RFI).


_yartiMada2018A03

Encore Président de la République, Hery Rajaonarimampianina a prononcé ces mots alors qu’il venait de rencontrer à l’Élysée, le 28 juin 2017, le nouveau Président de la République française Emmanuel Macron. Les crises, Madagascar en connaît ces dernières décennies, et même, des crises majeures provoquées souvent par des contestations sur les résultats des élections présidentielles.

Hery Rajaonarinamampianina expliquait également que le besoin en financement de Madagascar l’avait conduit à se tourner vers les capitaux asiatiques et particulièrement chinois : « Aujourd’hui, pour la reconstitution du pays, Madagascar a besoin de beaucoup plus de moyens, qui pourraient venir de partout. Nous travaillons avec les bailleurs de fonds internationaux depuis très longtemps par exemple, mais j’ai toujours préconisé qu’on puisse approfondir les relations avec les investisseurs privés. (…) L’intérêt de Madagascar pousse son Président à trouver les moyens qu’il faut, il n’y a pas d’exclusion, ni d’exclusivité. (…) Demandez à un des grands pays comme les États-Unis par exemple, qui sont les grands investisseurs chez eux. Ce sont les Asiatiques. Pourquoi des pays comme Madagascar ne pourraient pas avoir cette opportunité ? Les capitaux sont partout. Pourquoi ne pas ouvrir la porte à tout le monde ? ».

Les besoins pour Madagascar sont gigantesques car le pays fait partie des plus pauvres du monde, malgré la très grande richesse de la faune et de la flore, ainsi que les ressources en minerais (quartz, diamant, etc.).

D’après une note du Ministère malgache des Finances et du Budget publiée en mars 2016, 48% des 23,2 millions d’habitants que comptaient Madagascar en 2014 vivaient dans l’extrême pauvreté et 87,7% vivaient sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire à moins de 1,25 dollars par jour. La plupart des facteurs de développement sont au rouge : faim et malnutrition, manque d’eau courante, d’électricité, de routes et d’autres infrastructures économiques, mauvaise santé publique, hôpitaux, etc. Le taux de scolarisation s’est effondré ces dernières années, 600 000 enfants ne sont plus scolarisés.

La réapparition de la peste a provoqué 202 morts en 2017 sur les 2 384 cas recensés, principalement de peste pulmonaire, la plus rapidement mortelle, et a nécessité la fermeture de dizaines d’écoles et d’universités pour les désinfecter. Plusieurs dizaines de nouveaux cas ont encore été recensés depuis août 2018 (avec au moins deux morts). À cet égard, le rite très célèbre du "retournement des morts" ("famadihana" : exhumation des dépouilles et réinhumation) n’est pas vraiment approprié du point de vue de l’hygiène pour lutter efficacement contre la peste et éviter sa persistance dans le pays. Ni la déforestation qui incite les rongeurs à rejoindre les villes. Ni évidemment le manque d’infrastructures sanitaires. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a confié en janvier 2018 : « Madagascar peut faire disparaître à tout jamais les épidémies de peste grâce à des investissements stratégiques dans son système de santé. » (cité par l’AFP).

L’une des raisons majeures de cette pauvreté, alors que les ressources naturelles sont riches dans le pays, c’est l’incapacité du système politique malgache à stabiliser ses institutions, ce qui signifie qu’environ tous les dix ans, depuis une trentaine d’années, il y a une crise politique majeure qui réduit à néant les éventuels efforts économiques et politiques réalisés pendant la période précédente.

Ces prochains jours, Madagascar va vivre un nouveau cycle. Pour l’instant, rien ne peut dire si ce sera celui de la renaissance et de la prospérité ou celui, récurrent, de la crise politique et de la ruine économique. En effet, ce mercredi 7 novembre 2018 aura lieu le premier tour d’une nouvelle élection présidentielle et la campagne a montré que les inquiétudes et les angoisses étaient justifiées. Mon introduction montre à quels points les enjeux nationaux sont cruciaux, et pourtant, la classe politique se débat dans des querelles politiciennes à courte vue.

Parmi les très nombreux candidats (trente-six !), se trouvent les quatre anciens Président de la République parmi les cinq depuis 1975. Et encore ! Le cinquième n’est pas candidat parce qu’il est mort l’année dernière, Albert Zafy. Dans ce jeu où les individus font office de politique (chaque personnalité a son parti), il est rarement question de l’intérêt national mais plus sûrement de revanche, d’égocentrisme, de népotisme, de corruption, etc.

_yartiMada2018A04

Retraçons très succinctement la vie politique des dernières années. Marc Ravalomanana, maire de Tananarive et patron d’un grand groupe agroalimentaire, a gagné l’élection présidentielle de 2001-2002 face au Président sortant Didier Ratsiraka, élu démocratiquement en 1997 mais qui n’était autre que le dictateur archéocommuniste (surnommé l’Amiral rouge) arrivé au pouvoir par un putsch en 1975 et renvoyé du pouvoir par une série de manifestations géantes en 1991-1993.

Marc Ravalomanana a commencé à appliquer la politique d’un véritable chef d’entreprise pour développer économiquement le pays après une année (2002) particulièrement chaotique sur le plan politique et économique. Un critère qui ne trompe pas, l’état des routes dans ce pays très étendu. Beaucoup de routes ont été refaites entre 2002 et 2008.

Néanmoins, chaque Président, aussi démocrate qu’il pourrait se revendiquer et aussi démocratiquement élu qu’il pourrait être, pêche souvent dans une sorte de dérive autoritaire récurrente à Madagascar. Albert Zafy, le premier Président librement élu, a ainsi été destitué en 1996 parce qu’il ne voulait pas se conformer aux volontés des parlementaires.

Autre maire de Tananarive et également chef d’entreprise, Andry Rajoelina a plongé le pays dans un chaos institutionnel terrifiant pendant près de cinq années. Prenant le pouvoir après un putsch en mars 2009, il a assumé la tête de ce qu’on a appelé la "Transition" en retardant le plus longtemps possible l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle. Une nouvelle Constitution a été approuvée par référendum en 2010, particulièrement contraignante pour garantir un processus électoral correct.

Les anciens Présidents (ou leur épouse) furent interdits de concourir à la précédente élection présidentielle du 25 octobre 2013, par la décision de la Cour électorale le 17 août 2013, si bien que la bataille électorale s’est tenue par "délégation". Didier Ratsiraka était "représenté" par son neveu Roland Ratsiraka, (ancien) maire de Tamatave, candidat aussi le 20 août 2018, et Andry Rajoelina par le candidat qui, finalement, a été élu au second tour le 20 décembre 2013 avec 53,5% : Hery Rajaonarimampianina, face à un candidat soutenu par Marc Ravalomanana, à savoir Jean-Louis Robinson.

En 2018, la situation est différente. Tous ces protagonistes ont pu juridiquement se présenter, si bien que 2018 est la véritable bataille politique pour régler le …putsch de mars 2009 ! Il est donc probable que l’enjeu perçu par les électeurs tourne autour de la rivalité entre Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina.

Hery Rajaonarimampianina est, lui aussi, un ancien Président car il a dû démissionner de la Présidence de la République, deux mois avant le scrutin pour y participer, à savoir le 7 septembre 2018 (le Président du Sénat Rivo Rakotovao assure actuellement l’intérim).

Hery Rajaonarimampianina, lui aussi, fut contesté dans sa gouvernance. Proclamé élu le 17 janvier 2014 et investi le 25 janvier 2014, il a mis trois mois à nommer un nouveau Premier Ministre, immédiatement confronté à son ancien soutien Andry Rajoelina. Le docteur Roger Kolo, nommé Premier Ministre le 16 avril 2014 (succédant à Jean Omer Beriziky), fut amené à démissionner le 16 janvier 2015. Le pays s’est alors engouffré dans une nouvelle crise politique. Des députés de l’opposition sont parvenus à se coaliser et à devenir majoritaires avec 80 sièges sur 151 et ont cherché à imposer un nouveau Premier Ministre au Président qui résista vaillamment (c’était déjà le problème d’Albert Zafy, vingt ans auparavant). Finalement, le Président a imposé le général Jean Ravelonarivo comme Premier Ministre nommé le 17 janvier 2015, confirmé par la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) le 12 février 2015, mais cela a provoqué une réaction vive des députés.

En effet, le 26 mai 2015, en vertu de l’article 131 de la Constitution, les députés ont voté carrément la destitution de Hery Rajaonarimampianina, par 121 voix pour et 4 voix contre, soit largement plus que la majorité nécessaire des deux tiers (101), mais cette destitution fut rejetée par la HCC le 13 juin 2015.

Une nouvelle demande de destitution a été faite par l’opposition le 26 avril 2018 auprès de la Cour suprême pour protester contre la volonté, selon l’opposition, d’empêcher cette opposition de se présenter à l’élection présidentielle (dont la date n’était pas encore fixée). Finalement, la Cour suprême a décidé de lancer un ultimatum au Président le 25 mai 2018, exigeant de lui la nomination d’un gouvernement d’union nationale qui organiserait l’élection présidentielle et sa démission en cas de candidature deux mois avant le scrutin.

Le Premier Ministre d’alors, Olivier Mahafaly Solonandrasana, qui avait remplacé Jean Ravelonarivo le 10 avril 2016, a démissionné le 6 juin 2018 pour laisser place à un gouvernement d’union nationale dirigé par Christian Ntsay qui a annoncé le 29 juin 2018 la date de l’élection présidentielle fixée au 7 novembre 2018 pour le premier tour et au 19 décembre 2018 pour le second tour éventuel.

Parmi les trente-six candidats retenus le 22 août 2018 par la HCC (quarante-six avaient voulu se présenter, on peut lire la liste complète ici), outre les quatre anciens Présidents, Didier Ratsiraka (qui vient d’avoir 82 ans ce 4 novembre 2018), candidat le 21 août 2018, Marc Ravalomanana (68 ans), candidat le 18 août 2018, Andry Rajoelina (44 ans), candidat le 1er août 2018, et Hery Rajaonarimampianina (qui a 60 ans ce 6 novembre 2018), candidat le 17 août 2018, deux anciens Premiers Ministres se présentent, Jean Omer Beriziky (68 ans), candidat le 15 août 2018, et Jean Ravelonarivo (59 ans), candidat le 3 août 2018, ainsi qu’un ancien ministre de Marc Ravalomanana, Benjamin Radavidson, qui avait été limogé du gouvernement le 2 mai 2008 et qui s’était déjà présenté à l’élection présidentielle du 25 octobre 2013 (il avait obtenu 2,2% des voix).

Comme je l’ai écrit plus haut, la probabilité et en même temps le risque sont que cette élection se polarise autour de la rivalité entre Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina qui pourraient donc être les deux candidats du second tour, à moins que les électeurs cherchent à promouvoir des candidats moins marqués par l’histoire récente, ou encore, moins marqués par la vie politique, comme le chanteur de musique folk Dama, de son vrai nom Zafimahaleo Rasolofondraosolo (64 ans), candidat le 10 août 2018, qui fut quand même élu député en 1992…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 novembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La liste officielle des 36 candidats à l’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018 (publiée le 22 août 2018).
L’élection présidentielle malgache du 7 novembre 2018.
Albert Zafy.
Le massacre de 1947.
Le pire n’est jamais sûr (28 janvier 2014).
Le gouvernement de Roger Kolo (18 avril 2014).
Discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina du 25 janvier 2014 (texte intégral).
Vidéo du discours d'investiture de Hery Rajaonarimampianina.
L'angoisse de la page blanche.
Résultats de la CENIT (3 janvier 2014).
Nuages noirs sur le processus électoral.
Le second tour de la présidentielle.
Duel Robinson vs Rajaonarimampianina.
Les résultats officiels du 1er tour de la présidentielle malgache (à télécharger).
Victoire du processus électoral malgache.
Jour J de la démocratie malgache : présentation des candidats.
L’élection présidentielle du 24 juillet 2013 aura-t-elle lieu ?
La feuille de route adoptée.
Un putsch en bonne et due forme.
Le prix du sang.
Et si cela s’était passé en France ?
La nouvelle Constitution malgache.
Le gouvernement malgache pour appliquer la feuille de route.
Liste de mai 2013 des candidats à l’élection présidentielle.

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