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16 mai 2023 2 16 /05 /mai /2023 05:11

« Les personnes de tendance homosexuelle sont des enfants de Dieu, Dieu les aime, Dieu les accompagne. (…) Condamner une telle personne est un péché, criminaliser les personnes de tendance homosexuelle est une injustice. » (le pape François, le 5 février 2023).




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Ce mercredi 17 mai 2023 marque le dixième anniversaire de la promulgation de la loi n°2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. En d'autres termes, le mariage pour tous était né. Le Président François Hollande a promulgué cette loi le jour même de sa validation par le Conseil Constitutionnel, le 17 mai 2013 (comme quoi, c'est très courant de promulguer une loi le même jour que sa validation constitutionnelle, j'écris cela à propos de la réforme des retraites dont la promulgation rapide a été ressentie comme une provocation par certains opposants ignorant les procédures constitutionnelles).

Entre 2013 et 2023, près de 70 000 mariages de personnes du même sexe ont été célébrés en France, soit environ 7 000 par an en moyenne (beaucoup plus en 2014, beaucoup moins en 2020), soit 3% du total des mariages célébrés.

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À Paris, ils représentent un peu plus de 9% des mariages célébrés à Paris, dont les trois quarts pour des couples d'hommes et le quart restant pour des couples de femmes. La ville de Paris organise un bal populaire le mercredi 17 mai 2023 sur la place de l'Hôtel de Ville pour fêter ces dix ans.

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Inutile de dire que si l'objet de cette loi continue à nourrir des oppositions, ces dernières sont de plus en plus faibles et aujourd'hui, aucun parti en capacité de gouverner la France (seul ou avec des alliances) ne propose sa remise en cause. De toute façon, qu'on fût pour, contre ou sans opinion (comme certains députés à l'époque), il était certain qu'une fois adoptée, cette loi ne pouvait plus être abrogée, ne serait-ce qu'en raison du principe sacro-saint de l'égalité entre les citoyens. En effet, comment interdire à l'avenir deux personnes de même sexe de s'unir par le mariage alors que d'autres, précédemment, l'ont déjà été ? Et que vaudraient les mariages déjà acquis ? Remis en cause (la rétroactivité des lois est une interdiction constitutionnelle formelle) ? Acceptés et dans ce cas, inégalité des citoyens.

Moi-même, j'étais mollement réticent à l'époque. Je ne considérais pas qu'il fallait y puiser toute son énergie pour s'y opposer, comme ce fut le cas de la Manif pour tous, car j'estimais (et estime toujours) qu'il y a des combats bien plus importants, celui par exemple pour s'opposer à l'euthanasie, mais aussi, même si c'est trop tard, s'opposer aux lois qui permettent désormais l'expérimentation sur des embryons humains (il faut reconnaître que cette question est très technique).

Je considérais simplement que le mariage était une institution sociale, la dernière qui fasse sens après l'effondrement de tant d'autres comme liant social (l'Église, l'armée, l'école, l'entreprise, etc.), et qu'elle représentait la famille, c'est-à-dire, dans le schéma traditionnel, une femme, un homme et, le cas échéant, des enfants, et que ce schéma avait ce nom de mariage. Je n'étais évidemment pas opposé à ce que les couples de personnes de même sexe fussent reconnus formellement ni qu'ils puissent avoir les même garanties tant fiscales que financières (succession, reprise de bail, etc.), et il est vrai qu'en cas de décès, le survivant n'était, avant le PACS, rien du tout face à la société, à l'État et surtout à la famille du disparu.

En revanche, je n'ai jamais eu de réticence sur l'adoption d'enfants par un couple de personnes de même sexe. Il existe mille situations familiales différentes et l'éducation et l'amour qu'on porte à un enfant ne dépendent, à mon sens, ni de son orientation sexuelle ni de son statut civil. Du reste, des personnes seules pouvaient déjà adopter un enfant, ce dernier n'avait donc pas de modèle d'une personne du sexe différent de l'adoptant, ce qui reste le cas désormais dans un couple homosexuel. De même, un enfant peut être malheureux dans le cadre très traditionnel d'une famille que j'oserais encore dire normale, c'est-à-dire un homme, une femme, des enfants, sans recomposition ni décomposition par les séparations et unions diverses et variées. Pour moi, ce qui compte le plus est d'une part, l'amour qu'on porte à l'enfant (et tout le monde peut aimer), d'autre part, dans tous les cas, y compris la GPA, la vérité à dire le plus tôt possible à l'enfant, dire son origine. Aimer et respecter.

Bien entendu, je suis opposé à la GPA parce qu'elle entraîne d'autres problèmes éthiques majeurs (la marchandisation du corps humain, l'exploitation des femmes les plus pauvres devenues mères porteuses et la séparation des bébés qui me paraît aller à l'encontre de l'intérêt de ces bébés), et pour la PMA, je reste mitigé : je n'y suis pas opposé dès lors que l'enfant est dans la possibilité de connaître son origine biologique, ce qui est désormais le cas (c'est la même loi qui autorisait l'expérimentation sans autorisation sur les embryons humains).

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Sur le mariage pour tous, cela fait longtemps que je n'ai plus de réticence, déjà en raison de la loi (on est légaliste ou on ne l'est pas), ensuite parce que finalement, il n'induit pas une révolution sociale générale (au contraire de ce que prédisaient certaines alarmistes), c'est seulement la possibilité d'une formalisation d'un nombre très restreint de couples (quelques milliers par an). L'institution du mariage a résisté beaucoup plus difficilement aux assauts des lois sur le divorce, par exemple (que je ne remets toutefois pas en cause non plus).

Pour l'anecdote, on a souvent cité le mariage le 5 juin 2004 à Bègles par Noël Mamère (son député-maire) du premier couple homosexuel, mais il ne compte pas puisqu'il a été annulé le 27 juillet 2004 par le tribunal de grande instance de Bordeaux (définitivement le 13 mars 2007). En fait, le premier mariage homosexuel, paradoxalement, a été célébré bien avant la date de promulgation de la loi sur le mariage pour tous, le 4 juin 2011 à la mairie (prestigieuse) de Nancy, en Lorraine. En effet, Élise et Stéphanie se sont mariées et personne n'a eu rien à redire, pas même les juges ni l'État. D'ailleurs, l'adjoint au maire qui l'a célébré s'est bien gardé de prendre un seul risque en demandant préalablement l'autorisation du procureur de la République qui la lui a donnée. Stéphanie était alors une femme transsexuelle qui n'avait pas encore été reconnue par l'État comme une femme et selon l'état-civil, elle était un homme, ce qui ne posait pas de problème pour ce mariage qui n'avait rien d'une provocation.

Le dixième anniversaire du mariage pour tous est l'occasion aussi de se pencher non seulement sur les actes d'homophobie mais aussi de LGBTIphobie. SOS Homophobie publie chaque année (depuis 1996) un rapport (en horrible écriture inclusive) sur ces actes d'agression, mais basé principalement sur les témoignages (1 506 en 2022) que cette association recueille régulièrement de différentes manières (2013 avait été l'année record avec 3 517 témoignages, probablement en rapport avec la haine suscitée par le débat public sur la loi sur le mariage pour tous).

Le rapport est une chronique de la haine ordinaire. Il serait instructif de connaître d'ailleurs la part des agressions (petites ou grandes) homophobes et transphobes, j'aurais tendance à imaginer une diminution de l'homophobie au profit de la transphobie (les personnes transgenres sont plus visibles qu'auparavant), ce serait plutôt rassurant, car cela signifie une plus grande tolérance pour l'homosexualité mais moins pour les orientations ou identités sexuelles plus "particulières".

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Ce rapport commence en fustigeant l'ancienne ministre Caroline Cayeux qui a eu un mot malheureux en parlant des personnes homosexuelles (« ces gens-là ») ainsi que le gouvernement en général, un peu excessivement en surinterprétant une simple maladresse de langage : « Qui aurait pu penser qu’en 2022, les personnes LGBTI seraient méprisées par une ministre en poste et une partie du gouvernement en place ? Caroline Cayeux a bien été poussée à démissionner, mais ce n’est cependant pas à cause de ses propos tenus sur Public Sénat, celle-ci disant avoir "beaucoup d’amis parmi ces gens-là". Ce n’est pas non plus à la suite d’une réaction du reste du gouvernement d’Élisabeth Borne, dont certains membres n’évoquaient là qu’une "erreur" après laquelle il aurait fallu "passer à autre chose". Passer à autre chose ? Impensable. Car lorsque la parole LGBTIphobe s’exprime librement et sans la moindre conséquence au plus haut niveau de l’État, elle légitime les comportements violents dans tout le reste de la société. "Ces gens-là" sont aujourd’hui toujours victimes d’agressions en raison de leur orientation sexuelle et amoureuse et/ou de leur identité de genre. ».

Plus justement, le rapport est dédié « à Lucas, qui a mis fin à ses jours en janvier 2023, après avoir été victime de haine LGBTIphobe et de harcèlement scolaire ». La haine tue alors qu'on peut croire que ces agressions quotidiennes sont des petits actes, certes lâches mais sans conséquences. Les nombreux témoignages du rapport sont édifiants et montrent qu'il y a encore du chemin à parcourir dans la tolérance : chacun a le droit de vivre comme il le pense, tant qu'il respecte les lois de la République.

Au cours d'une conférence de presse le 5 février 2023, lors de son vol vers le Soudan du Sud où il se rendait, le pape François a précisé sa "position" sur l'homosexualité ; aucune personne ne doit être rejetée. Il a expliqué : « Je me suis exprimé sur cette question lors de deux voyages : d’abord, en revenant du Brésil : si une personne de tendance homosexuelle est croyante et cherche Dieu, qui suis-je pour la juger ? C'est ce que j'ai dit lors de ce voyage. Ensuite, en revenant d'Irlande (…), j'ai dit là clairement aux parents : les enfants qui ont cette orientation ont le droit de rester à la maison, vous ne pouvez pas les chasser de la maison, ils ont le droit à cela. (…) La criminalisation de l'homosexualité est une question qu'il ne faut pas laisser passer. Le calcul est, plus ou moins, que cinquante pays, d'une manière ou d'une autre, conduit à cette criminalisation. Certains disent qu’il y en a plus, disons au moins cinquante. Et certains d'entre eux, je pense qu'ils sont dix, prévoient également la peine de mort, ouverte ou cachée, mais la peine de mort. Ce n'est pas juste, les personnes de tendance homosexuelle sont des enfants de Dieu, Dieu les aime, Dieu les accompagne. ». Ceux qui revendiquent leur foi chrétienne pour rejeter les personnes homosexuelles n'ont rien compris à l'Évangile et devraient revenir aux fondamentaux du christianisme : aime ton prochain comme toi-même !


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (14 mai 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le mariage pour tous, 10 ans plus tard.
Rapport 2023 de SOS Homophobie (à télécharger).
Six ans plus tard.
Mariage lesbien à Nancy.
Mariage posthume, mariage "nécrophile" ? et pourquoi pas entre homosexuels ?
Mariage annulé : le scandaleux jugement en faveur de la virginité des jeunes mariées.
Ciel gris sur les mariages.

Les 20 ans du PACS.
Ces gens-là.
L’homosexualité, une maladie occidentale ?
Le coming out d’une star de la culture.
Transgenres adolescentes en Suède : la génération sacrifiée.
PMA : la levée de l’anonymat du donneur.
La PMA pour toutes les femmes.
L’avortement, hier et aujourd’hui.
Le fœtus est-il une personne à part entière ?

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230517-mariage-pour-tous.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/le-mariage-pour-tous-10-ans-plus-248212

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/05/16/39910347.html








 

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8 mai 2023 1 08 /05 /mai /2023 19:14

« Quand c'était "sans bagages", on savait que cela voulait dire qu'on allait quitter la prison et être fusillé dans la journée. » (Claude Bloch, le 8 mai 2023 à Lyon).



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L'une des erreurs du Président Valéry Giscard d'Estaing a été de retirer le 8 mai de la liste des jours fériés. Son successeur François Mitterrand, qui venait de nommer un Ministre du Temps libre (sic !), l'a rétabli dès son arrivée à l'Élysée.

Dans l'esprit de bien des Français, la fête du 8 Mai reste avant tout le prétexte à un pont, juste une semaine après le premier mai, et cette année, pour les Franciliens notamment, cela tombe avec la seconde semaine des vacances de Pâques : six jours de congé pour le prix de quatre. Comme le jour de Noël (25 décembre), les lundis de Pâques et de Pentecôte ainsi que le jeudi de l'Ascension, la Toussaint (1er novembre), le 11 Novembre et le jour de l'Assomption (le 15 août), on se soucie peu de ce qu'on fête (civilement ou religieusement), pourvu qu'on profite bien du jour férié (du reste, ces ponts engendrent malheureusement des pics de la mortalité routière).

Je suis trop négatif et heureusement, il existe encore des citoyens qui célèbrent le 8 mai : tous les élus, en particulier les élus locaux, sont censés célébrer nos morts pour la France (chaque maire ou représentant doit lire un message du Ministre des Armées à cette occasion), devant ces nombreux monuments destinés au Souvenir érigés au lendemain de la Première Guerre mondiale ; toutes les communes, même les plus petites, ont cette tragédie gravée dans leur mémoire locale. Quelques citoyens accompagnent ces élus dans le même élan du souvenir, de l'hommage et de la leçon pour le futur.

Trop peu à mon avis, mais il ne faut pas trop en demander ; il suffit qu'il en reste quelques-uns, même soixante-dix-huit ans plus tard, pour garder cette mémoire indispensable aux générations futures. Et c'est là que le négatif devient espoir : souvent, les communes associent les enfants, les plus jeunes, dans ce travail de mémoire. D'une manière ou d'une autre, souvent dans le cadre du conseil municipal des enfants, les enfants déposent une gerbe au même titre que les adultes et que les anciens combattants, ils lisent parfois un message à leurs contemporains, qui parfois n'a rien à envier au message du ministre. Cette France vivante, jeune, à l'heure des réseaux sociaux, des comportements narcissiques égocentrés, des jeux vidéos et des réalités alternatives sinon virtuelles, est rassurante. C'est soulageant même : le flambeau passera encore de générations en générations.

Dans une telle cérémonie, la minute de silence m'émeut profondément. Une émotion intense me remonte dans les yeux et je vois les images terribles des ossuaires des forts de Verdun ou des camps d'extermination. En 1918, on disait : plus jamais ça. Il n'a même pas fallu une génération pour remettre ça, et avec encore plus d'horreurs, plus de terreurs.

Il faut être clair et il faut être humble : on n'apprend jamais de l'histoire. Parce que la guerre est plus facile que la paix. La guerre, il suffit d'un seul sur les deux cents États que compte la planète pour la provoquer. C'est bien joli d'être un pacifiste, mais si en face, on te fait la guerre, il faut bien que tu te défendes. Si tu veux encore exister, bien sûr. Pour obtenir la paix, il faut l'unanimité, c'est beaucoup plus difficile. Le 8 mai 2022 était particulièrement émouvant pour deux raisons : déjà parce que la fin de la crise sanitaire permettait de rendre la cérémonie publique (cela faisait trois ans qu'elle était faite à huis-clos), enfin parce que quelques semaines auparavant, la Russie déclarait la guerre à l'Ukraine d'une manière brutale, injuste et injustifiée, sinon par un nationalisme mégalomaniaque qui déjà a meurtri plusieurs fois sle monde en deux siècles.

En 1900, la nation la plus cultivée, la plus civilisée, la plus sophistiquée, la plus humaniste, là où on trouvait les meilleurs musiciens, les plus grands poètes, les meilleurs artistes, c'était l'Allemagne. Cela n'a pas empêché Hitler et Auschwitz. Les horreurs de la guerre civile de l'ex-Yougoslavie il y a seulement trente ans, comme celles qui se déroulent sous nos yeux en Ukraine aujourd'hui nous montrent qu'elles peuvent resurgir dans un futur proche n'importe où, il n'y a pas des nations à horreurs et des nations à pas horreurs ; l'humain est ce qu'il est, capable du meilleur comme du pire. Avec une différence aujourd'hui : il serait impossible d'être clandestin de nos jours, avec l'informatique, avec les contrôles numériques de toute part, les caméras, la géolocalisation, les traçages informatiques, les résidus d'empreintes génétiques, la technologie est beaucoup trop sophistiquée aujourd'hui pour vouloir tromper un État autoritaire, et la Chine est en train de nous en faire la démonstration.

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Le 8 mai est la convergence de trois faits qu'il s'agit de commémorer : la fin de la Seconde Guerre mondiale (en Europe) et comme la fin de toute guerre, c'est la joie parce que c'est l'espoir d'un monde meilleur et de paix ; la Résistance, et heureusement en France que nous ayons eu De Gaulle, mais ils étaient rares, ces résistants devenus nos héros des temps modernes ; enfin, et c'est sans doute le plus singulier dans l'histoire de l'humanité, l'extermination industrielle des Juifs mais aussi d'autres catégories de l'humanité (personnes handicapées, tziganes, etc.) dans des camps construits à cet effet. On rend hommage alors aux trois, aux héros de guerre, aux résistants et aux rescapés des camps. Pour les (encore) vivants, car pour le reste, on rend surtout hommage aux morts pour la France, pour notre liberté, pour ma liberté de m'exprimer, de vivre en paix, de râler pour des choses parfois dérisoires.

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Le Président de la République Emmanuel Macron a choisi, ce lundi 8 mai 2023, après la cérémonie place de l'Étoile, d'aller à Lyon, à la prison de Montluc, et de rendre hommage à la Résistance en général et à Jean Moulin en particulier, où il fut interné et torturé, par Klaus Barbie, avant d'être envoyé en Allemagne et de mourir entre-temps. C'est, à ma connaissance, la première fois qu'un Président de la République vient à la prison de Montluc, ancienne prison bien sûr puisqu'elle est devenue un monument historique (depuis le 25 juin 2009) et une sorte de musée. Y fut aussi interné l'historien et résistant Marc Bloch qui enseigna l'histoire à ses codétenus (il fut torturé puis fusillé par les nazis). Le résistant Raymond Aubrac y a aussi été interné. Ainsi que les quarante-quatre enfants et sept accompagnateurs d'Izieu qui ont été raflés le 6 avril 1944 avant d'être déportés à Drancy puis assassinés dans les camps d'extermination.

Entre le 17 février 1943 et le 24 août 1944, près de 10 000 personnes furent internées à la prison de Montluc dans des conditions terribles (huit par cellule de trois mètres carrés), seules 3 000 en sont revenues vivantes (mais dans quel état ?). Lors des appels, chaque matin, si on appelait la personne en disant
"sans bagages", cela signifiait qu'elle serait fusillée dans la journée ; sinon, "avec", elle était déportée vers le sinistre camp de Drancy, point de départ des camps de la mort en France. Si la prison de Montluc a été libérée le 24 août 1944, elle a continué à garder sa sinistre réputation après la guerre car elle a interné des prisonniers politiques de la guerre d'Indochine puis d'Algérie, et onze personnes y furent exécutées entre le 26 septembre 1959 et le 31 janvier 1961 (cent douze peines de mort y ont été prononcées pour actes terroristes et assassinats politiques). D'autres exécutions ont eu lieu, de droit commun, jusqu'au 22 mars 1966.

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Après les honneurs militaires, la Marseillaise et le Chant des Partisans, le chef de l'État, accompagné discrètement de deux ministres, Pap Ndiaye (Éducation nationale) et Éric Dupond-Moretti (Justice), a salué les officiels qui l'ont accompagné, en particulier les élus de la ville de Lyon, dont le maire écologiste Grégory Doucet. Tous admettaient que malgré les oppositions politiques, ce moment était d'unité nationale, et c'est heureux que certains élus pourtant fermement adversaires sachent faire la part des choses entre les combats politiques et la communion des valeurs républicaines.

Les trois premières personnes qu'Emmanuel Macron a saluées étaient, d'une part, les époux Klarsfeld (Beate et Serge), appelés fameusement les chasseurs de nazis, et d'autre part, Claude Bloch (94 ans) qui est l'un des dernières survivants des internés de la prison de Montluc pendant la guerre (ils sont encore trois ou quatre), également l'un des derniers rescapés des camps d'Auschwitz et du Stuttof (sa mère est morte gazée à Auschwitz). Malgré sa béquille, Claude Bloch était très dynamique et expliquait beaucoup de choses, témoignait auprès du Président de la République comme il le fait depuis des décennies auprès des plus jeunes, scolaires, qui lui posent généralement beaucoup de questions (une heure de témoignage, une heure de réponse aux questions, expliquait-il joyeusement).

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Puis, Emmanuel Macron a visité la prison de Montluc, guidé par la directrice de l'établissement avec la contribution de collégiens et lycéens de Saint-Genis-Laval qui expliquèrent au Président la rafle des enfants d'Izieu (Zoé et William), la vie de Jean Moulin (une élève de Troisième) ou l'arrestation de Klaus Barbie (Ambre et Côme). Pour ces jeunes (qui ont bravé leur timidité), qui faisaient en quelque sorte des exposés, c'était un projet sur lequel ils bossaient depuis le début de l'année scolaire. Là aussi, c'est rassurant de savoir que la mémoire est dans de bonnes mains, celles de jeunes qui, plus tard, sauront la transmettre à leurs propres enfants malgré la disparition des témoins directs.

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L'idée de rendre hommage à Jean Moulin un 8 mai est assez curieuse mais bienvenue pour rappeler le temps de l'unité nationale. C'est bientôt le quatre-vingtième anniversaire de son arrestation (21 juin 1943) et de sa mort (8 juillet 1943). Dans son discours devant un public très restreint, Emmanuel Macron a évoqué en effet les deux missions que De Gaulle avait données à Jean Moulin : créer l'armée secrète et unifier la Résistance intérieure.

Et une autre mission éminemment politique : créer le Conseil National de la Résistance (CNR) en rassemblant des représentants de tous les anciens partis politiques de la Troisième République (SFIO, PCF, radicaux, Alliance démocratique, PDP, etc.), de tous les syndicats (la CGT et la CTFC y étaient représentées) et des représentants de tous les mouvements de résistance. Un historien a d'ailleurs noté une erreur du chef de l'État qui, dans son discours, a parlé du droit de vote des femmes, mais cette mesure n'a pas fait partie du programme du CNR ; au contraire, les membres du CNR se sont bien gardés d'en discuter car ils recherchaient le consensus. Le droit de vote des femmes était une initiative purement gaullienne.

L'intervention présidentielle s'est achevée par une phrase de Georges Courteline (légèrement modifiée) citée par le film
"L'Armée des ombres" de Jean-Pierre Melville d'après Joseph Kessel (sorti le 12 septembre 1969) : « Mauvais souvenirs ! Soyez pourtant les bienvenus, vous êtes notre jeunesse lointaine ! ».

Le message que voulait faire passer Emmanuel Macron était pourtant clair : en dépassant les frontières partisanes, De Gaulle a su fédérer toutes les résistances au service de la seule Nation. Aujourd'hui, dans un pays divisé politiquement mais aussi socialement, Emmanuel Macron, dont le dépassement des frontières partisanes a été le fonds de commerce dès 2016, est bel et bien dans ce paradigme, mais en forme de point d'interrogation : comment retrouver la concorde nationale autour des grandes valeurs ?



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 mai 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le 8 mai, l'émotion et la politique.
Hommage à Jean Moulin.
Programme du Conseil National de la Résistance.

Jean Moulin.
Daniel Cordier.
Pierre Simonet.
Edgard Tupët-Thomé.
Hubert Germain.
Robert Hébras.
Noëlla Rouget.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.
La Libération de Paris.
Les 75 ans de la Victoire sur le nazisme.
La Fête de l'Europe.
Le syndrome de Hiroshima.
Carnage de Maillé (1).
Carnage de Maillé (2).
Mauschwitz.
Emmanuel Macron à Pithiviers.
Jacques Attali et Emmanuel Macron : pourquoi la fresque d’Avignon était antisémite.
Discours du Président Emmanuel Macron le 17 juillet 2022 à Pithiviers (vidéo et texte intégral).
La rafle du Vel d’Hiv, 80 ans plus tard : les heures sombres de notre histoire...
Les 75 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.
Sarah Halimi, assassinée car Juive.
La tragique expérience de Simone Veil à Auschwitz.
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
François Hollande et le Vel d’Hiv (22 juillet 2012).
Discours d’Emmanuel Macron du 16 juillet 2017 (texte intégral).
Discours de François Hollande du 22 juillet 2012 (texte intégral).
Discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 (texte intégral).
La Seconde Guerre mondiale.
La République de Weimar.
Le Pacte germano-soviétique.
Le Débarquement en Normandie.
Les Accords de Munich.
Le Pacte Briand-Kellogg.
Le Traité de Versailles.
L’Europe, c’est la Paix.
La Première Guerre mondiale.
Témoignage : mon 11 novembre, le songe de l’histoire.
Lazare Ponticelli, le dernier Poilu.
Chasseur alpin, courageux jusqu’au bout de la vie.
Les joyeux drilles de l’escadrille.
La Grande Guerre, cent ans plus tard.
Fête nationale : cinq ans plus tard…

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230508-huit-mai.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/le-8-mai-l-emotion-et-la-politique-248240

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/05/08/39903090.html

 

 





 

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8 mai 2023 1 08 /05 /mai /2023 18:14

(verbatim et vidéos)



Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230508-huit-mai.html



CÉRÉMONIE DU 8 MAI 2023 PLACE DE L'ÉTOILE À PARIS







HOMMAGE À JEAN MOULIN ET À LA RÉSISTANCE
À LA PRISON DE MONTLUC À LYON LE 8 MAI 2023








Discours du Président Emmanuel Macron le 8 mai 2023 à Lyon



DISCOURS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE POUR L’HOMMAGE À JEAN MOULIN,
À LA RÉSISTANCE FRANÇAISE ET AUX VICTIMES DE LA BARBARIE NAZIE



Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Madame la Préfète,
Madame et Messieurs les Maires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Recteur,
Mon Général,
Monsieur Claude Bloch,
Madame Béate Klarsfeld,
Monsieur Serge Klarsfeld,
Mesdames et Messieurs les descendants des rescapés de la prison de Montluc,
Mesdames et Messieurs les membres des associations mémorielles,
Mesdames et Messieurs,

Ici, en cette prison de Montluc, sont passés, à un an d’écart, deux hommes qui, pour le dire avec les mots de Joseph Kessel, avaient choisi de « faire quelque chose de difficile ».
Coupables tous deux de ce qui était un crime aux yeux de l’occupant nazi et de l’État collaborateur de Vichy : résister.

Le 21 juin 1943, Jean Moulin et 6 de ses compagnons étaient arrêtés et incarcérés à Montluc.
Une semaine durant, la porte de la prison s’ouvrit chaque jour sur les allers et retours des fourgons allemands qui les amenaient au siège de la Gestapo. Et chaque jour les séances de torture infligées par Klaus Barbie se faisaient plus violentes, exaspérées par un mutisme chaque jour plus héroïque.

Le 8 mars 1944, par ce même porche, une silhouette était évacuée d’un véhicule et traînée jusqu’à l’infirmerie : sous les hématomes, c’était le visage méconnaissable de Marc Bloch, l’historien des Annales, le héros de deux guerres, le résistant enfin, que les nazis venaient de soumettre à la torture. Il fut fusillé trois mois après avec 29 détenus, et tomba en criant : « Vive la France ! ».

L’histoire a rapproché, dans la même prison, ces deux hommes qui se battaient pour la même cause. Pour la même République. Pour la même France. Tombés tous deux pour elle.

Le premier, au fond de la débâcle du courage, avait mis sur pied l’organisation qui allait relever la France. Renouant avec l’essence de la République trahie par une partie de ses élites.

Le second, trois ans auparavant, au lendemain du désastre de juin 40, avait livré le réquisitoire implacable de ceux qui en portaient la responsabilité : L’Étrange défaite.

À Marc Bloch, l’acte de décès. À Jean Moulin, l’acte de renaissance.

L’un fait écho à l’autre. L’un n’est pas complet sans l’autre.
Le Conseil National de la Résistance que fonda le second fut le remède au diagnostic posé par le premier.

Moulin et Bloch nous disent que la République française n’est, par définition, ni mauvaise, ni néfaste : elle est nécessaire. Vitale.  Juste.
Elle l’était en 1792. En 1848. En 1870. En 1946. En 1958.
Elle l’est encore aujourd’hui. Fidélité véritable à l’aspiration profonde de notre Nation : l’indépendance et l’humanisme.
Oui, nous vivons dans le pays où on ne peut jamais séparer impunément l’idée de république et celle de progrès humain.

La France républicaine est indissociable, depuis les Lumières et la Grande révolution, des valeurs de justice et de liberté.
Et chaque fois qu’elle est menacée, chaque fois qu’elle est abandonnée ou trahie, se dressent des Français, ou des amoureux de la France, fidèles à l’esprit de résistance qui caractérise profondément notre peuple.

Ces murs sont encore habités par le souvenir de ceux qui y passèrent.

Des Résistants de l’intérieur ou des Français libres, comme Béatrix de Toulouse-Lautrec, qui cachait bien serré au creux de sa paume le document qu’elle ne devait pas trahir, et qui fêta ses vingt ans au camp de Ravensbrück.

Des Français parmi d’autres Français, tenant de leurs parents le simple amour de la patrie.

Des Français vieux comme des Français jeunes, comme Albert Bulka, du haut de ses 4 ans, qui arriva le 6 avril 1944 à Montluc, avec 43 autres enfants qui avaient pour seul tort d’être nés juif.
Comme les enfants d’Izieu passant une nuit à Montluc, leur dernière nuit avant Drancy, puis Auschwitz.
Des étrangers parmi les Français, ayant fait le choix du cœur et du sang versé, amis de la France universelle, celle qui a toujours quelque chose à dire au monde dès qu'il s'agit de la liberté du genre humain.
Comme Alcide Beauregard, le lieutenant canadien parachuté qui émettait des émissions radio clandestines depuis une maison du 8e arrondissement lyonnais, et qui ne revit jamais son pays.
Tous sont là, qui peuplent ces lieux et nos mémoires.

L’histoire de ce lieu n’a pas commencé avec l'occupation et Vichy et ne s’est pas terminée à la Libération.

L’écho d’autres drames y résonne, la guerre d'Algérie, d'Indochine.
Mais l'expression de la barbarie nazie a déchaîné ici son effroyable singularité.

Entre le 17 février 1943 et le 24 août 1944, ils furent près de 10 000 à entrer à Montluc par cette porte.
10 000 à passer par cette cour sous la menace des armes allemandes, à être poussés le long des couloirs, jetés dans ces cellules de 4 m2, où huit personnes dormaient à même le sol, d’un sommeil haché par la promiscuité, les bruits de bottes des geôliers et l’incertitude du lendemain.

Parce qu’ils avaient choisi de résister. Parce qu'ils étaient juifs.

10 000, dont il n’y eut que 3 000 survivants.

Quelques-uns d’entre eux sont toujours parmi nous : Jean NALLIT, Andrée GAILLARD et Claude BLOCH, qui nous fait l’amitié de sa présence.

Oui, durant toutes ces années, il s'est trouvé, sur le sol français et ailleurs, des Français qui entendirent résister.
Qui sentirent sourdre en eux cette sève de liberté, lente, invincible, qui gonflait les cœurs, qui serrait les poings et relevait les fronts.

Nous étions alors en 1943.

En 1943, déjà, les alliés débarquaient en Sicile, où les forces libres se battaient en Afrique, en Italie puis bientôt en Corse, tandis que dans les caves et les maquis se levait en silence la masse énorme des défenseurs de la République française.

Déjà, Marc Bloch avait rejoint les Francs-Tireurs, avec, dans sa besace, le cahier sur lequel il griffonnait ses Cahiers politiques clandestins.

Déjà le général de Lattre, condamné à dix ans de prison pour avoir refusé de baisser les armes face à l’invasion allemande, parvenait à s’échapper et à rejoindre Londres.

Ici même, à Montluc, André Dévigny, puis Raymond Aubrac, grâce aux risques fous pris par sa femme Lucie, s’étaient évadés.  

En 1943 naissait le CNR.
Et en 1943 mourait Jean Moulin, assassiné.

Si tant est qu’on puisse mourir, quand on a fait sienne une cause qui nous dépasse, et qui nous survit.

Jean Moulin était l’arrière-petit-fils d’un soldat de la Révolution, petit-fils d’un insurgé de 1851, fils d’un hussard noir de la IIIe République.
Dans ses veines coulait cet amour des Lumières, réchauffé au grand soleil de son Languedoc natal.

Jean Moulin était enfant de la République.
Serviteur de l’État, au point d’être nommé plus jeune préfet de France à 37 ans, à Rodez, puis à Chartres.
Soldat de la France, au point de demander à être relevé de ses fonctions de préfet pour pouvoir aller se battre.
Cela ne lui fut pas permis, et c’est face aux nazis que le préfet de Chartres mit à l’épreuve son propre courage, refusant, lors de la débâcle de 1940, de signer un texte mensonger accusant à tort des tirailleurs sénégalais de l’armée française de massacres sur les civils du hameau de La Taye, en Eure-et-Loir.
Arrêté, emprisonné, torturé, il tenta d’échapper à l’étau des nazis en se tranchant la gorge avec un tesson de verre.
Libéré par ceux qui n’avaient pu le briser, révoqué par le régime du maréchal Pétain, il rejoignit alors à Londres le général de Gaulle.
C'est de sa main qu’il reçut, en décembre 1941, la mission de constituer l’armée secrète, d’accomplir le rassemblement de tous les éléments qui résistaient à l'ennemi.

D’unir les droites et les gauches, les gaullistes et les socialistes, les communistes et les radicaux, les francs-maçons et les catholiques, les protestants et les libres penseurs, les civils et les militaires, les chefs de réseaux et les politiques de la IIIe République.

Alors Jean Moulin se mit à la tâche.

Parachuté en Provence, dans la nuit du 2 janvier 1942, il commença à sillonner la France en tous sens, à multiplier les rencontres secrètes où se déployaient ses talents de diplomate.

Ses compagnons de route, qui l'épaulaient sans relâche, se nommaient Daniel Cordier, Colette Pons, Pierre Meunier, Robert Chambeiron, et tant d’autres.

À force de pourparlers, de négociation, de persuasion, défiant la menace de la police de Vichy, les chefs des trois principaux mouvements de la zone dite alors « libre », Combat, Libération et Franc-Tireur, Henri Frenay, Emmanuel d’Astier de la Vigerie et Jean-Pierre Levy s'assemblèrent en janvier 1943 au sein des Mouvements unis de Résistance.

Voici Jean Moulin dans le bureau londonien du général de Gaulle, ce 14 février 1943, pour lui rendre compte de ce premier succès.

Et le voici dans la nuit du 20 février, grave, méditant les paroles du général qui lui a confié la tâche d’aller plus loin encore et de fédérer toutes les autres forces résistantes.

Et le voici, infatigable, parlementant avec chacune d’elles.

Le voici enfin, le 27 mai 1943, présidant dans un appartement de la rue du Four, à Paris, la réunion fondatrice du Conseil National de la Résistance.

Le Parti communiste est là, avec André Mercier, le Parti radical, avec Marc Rucart, la SFIO, avec André Le Troquer. L'alliance démocratique, la Fédération républicaine, avec Joseph Laniel et Jacques Debru-Rydel. Le parti démocrate populaire est là, avec Georges Bidault.
Jean Moulin est l’homme de Londres, et pourtant les résistants de l’intérieur sont là, tout comme les deux grands syndicats de la France républicaine : la CGT et la CFTC.
Sont ainsi présentes toutes les forces du renouveau, forces du travail, forces de la jeunesse, assemblées enfin au sein de la même organisation, et qui toutes désignent Jean Moulin président du CNR.

Le dépassement, voulu par de Gaulle, était accompli.

Ainsi Jean Moulin répondait à Marc Bloch : il existait encore en France une catégorie de Français qui vibrait au souvenir du Sacre de Reims et lisait avec émotion le récit de la Fête de la Fédération.

Le CNR, dès sa naissance, portait l’ambition prophétique d’une quatrième République qui instaurerait un vrai suffrage universel, ouvert aux femmes, nationaliserait l’énergie, fonderait la sécurité sociale, libérerait la presse des forces de l’argent.
Tout cela germa en mars 1944.
C’est grâce à ce qu’il avait semé que de Gaulle put imposer son gouvernement provisoire aux Américains qui entendaient mettre la France sous tutelle lors de la Libération, et que notre pays pu recueillir, le 8 mai 1945, la capitulation de l’Allemagne nazie.

Et si Jean Moulin n’a jamais vu la publication de ce programme qui porte son empreinte, moins encore sa concrétisation, il n’a jamais douté de l’issue du combat.
La tristesse de ceux qui n’ont pas d’espérance n’avait pas prise sur lui.
Car il avait la certitude intime, indéracinable, que la France en laquelle il croyait serait victorieuse ; que d’autres, si ce n’est lui, en cueilleraient les fruits ; et que la justice triompherait.

Mais il ne pouvait imaginer à quel point ce serait vrai dans les lieux-même de son agonie, et que ces murs où nous nous tenons en seraient le prétoire.

En 1983, 40 ans après sa mort, alors que Montluc n’était plus, depuis longtemps, une prison nazie, la grande porte de la geôle s’est ouverte de nouveau sur son passé.
Un fantôme de son histoire est revenu hanter ses murs.
Blanchi, vieilli, émacié : Klaus Barbie.
Mais cette fois-là, il n’était pas vêtu de son uniforme.
La porte se ferma sur son destin, qui l’avait tant de fois refermée sur d’autres.
Car après trente ans de cavale, d’espionnage et de trafic en Amérique du Sud, grâce à l’acharnement d’hommes et de femmes de courage et de mémoire. Beate et Serge Klarsfeld – une fois encore que je remercie et admire - Ladislas de Hoyos, Régis Debray. Le tortionnaire de Jean Moulin venait d’être extradé pour être jugé à Lyon, au cours du procès qui allait faire retentir pour la première fois dans les assises françaises le terme de « crime contre l’humanité. »

Le garde des sceaux Robert Badinter avait obtenu que la première incarcération du bourreau fût sur le lieu même de ses crimes.

Dans la nuit de Montluc, le boucher de Lyon s’est trouvé face à l’histoire.
Et cette nuit avait dix mille regards.

Si Klaus Barbie et ses pairs espéraient éteindre à coup de poing les regards qui les bravaient, s’ils croyaient étouffer sous leurs semelles le cri de la révolte et murer vive la liberté, alors ils ont échoué.

Ils ont buté sur quelque chose, quelque chose qui couvait silencieux dans les poitrines, muselé parfois, souvent, par la lâcheté et la compromission, et que parfois, souvent, est venu réveiller l’exemple formidable d’hommes et des femmes qui mettaient la survie de la France au-dessus de la leur.
Cet impalpable et pourtant si organique, cet indéfinissable et pourtant si manifeste, ce fragile et éternel, esprit de Résistance.

Mais il ne suffit pas, pour que justice soit faite, qu’une porte se verrouille, que le dernier bourreau passe derrière les barreaux.

C’est alors, au contraire, que commence notre tâche.

Cet endroit où les murs parlent, ce symbole de l’échec des nazis et de leurs complices de l’État français de Vichy, s’est mué en haut lieu de la mémoire nationale, grâce à l’engagement de beaucoup d’entre vous, passeurs d’histoire. A vous, qui acceptez de continuer de témoigner, infatigables, dans les écoles, auprès des plus jeunes comme des moins jeunes, aux enseignants qui poursuivent ce travail d’histoire et de mémoire, à nos associations, à l’ONAC, et à nos ambassadrices et nos ambassadeurs qui nous ont accompagné durant ce chemin.
Ce lieu devient pour nous tous un « Mémorial de la Résistance, de la déportation, et des crimes de guerre nazis », sur lequel veillera désormais la présidence de la République.

Ainsi Jean Moulin, Marc Bloch, les enfants d’Izieu, et tous les autres, accèderont à la reconnaissance éternelle de la République, et leur souvenir conservera intacte la vitalité des leçons qu’il porte.

Faire vivre la mémoire de ceux qui sont passés ici est un devoir chargé de souffrance et de joie.
Car leur héritage nous grandit et nous éclaire, comme il éclairera la génération après nous, qui le lèguera encore à la génération suivante, jusqu’à la fin des temps.

Ayons confiance en nous, et en ceux qui nous suivront.

Et redisons ici, pour aujourd’hui et pour demain, ces mots qui figurent en exergue de l’Armée des Ombres : « Mauvais souvenirs soyez pourtant les bienvenus… Vous êtes notre jeunesse lointaine ».

Vive la République !
Vive la France !

Emmanuel Macron, Président de la République, le lundi 8 mai 2023 à Lyon.


Source : www.elysee.fr

https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20230508-hommage-jean-moulin.html

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18 avril 2023 2 18 /04 /avril /2023 05:55

« Et je le dis clairement, cette expression de la convention porte en elle une exigence et une attente, c'est celle d'un modèle français de la fin de vie. Nous y répondrons. (…) Dans ce modèle français de la fin de vie, vous avez fixé des bornes, en deçà desquelles vous estimez que nous ferions fausse route. (…) Ainsi, ces quelques lignes rouges me paraissent utilement encadrer l'hypothèse d'un modèle français de la fin de vie, et constitue notre point de départ. (…) Nous pourrons ainsi, à travers cette maturation, permettre, je le souhaite, je le crois, de tracer un nouveau jalon vers ce modèle français de la fin de vie. (…) Nous avancerons vers un modèle français de la fin de la vie et ce chemin sera irrémédiablement différent, car vous avez travaillé, échangé, décidé. » (Emmanuel Macron, le 3 avril 2023 à l'Élysée).




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Comme prévu, le Président de la République Emmanuel Macron a reçu les 184 membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie pour écouter les conclusions de leurs travaux sur la fin de vie, le lundi 3 avril 2023 au Palais de l'Élysée.

Dans son intervention, le chef de l'État en a profité pour faire l'apologie de cette nouvelle forme de concertation, les conventions citoyennes. Je n'y reviendrai pas ici car le sujet est sur la fin de vie et pas le développement d'une nouvelle de forme d'exercice de la démocratie (le sujet est passionnant, surtout en ce moment, mais il est autre).

La position adoptée par Emmanuel Macron me paraît un tantinet hypocrite. Au contraire de tous ses prédécesseurs, opposés à l'aide active à mourir (c'est-à-dire à l'euthanasie et au suicide assisté, je mélange les deux même s'ils sont très différents car ils transgressent tous les deux, de la même manière, la seule intangibilité du devoir de l'État et des médecins, celui de protéger à tout prix les vies humaines), le Président veut se tenir publiquement "neutre" et ne pas "montrer la voie".

Emmanuel Macron l'a répété en effet : « J'ai déjà eu l'occasion de le dire et j'ai en la matière une opinion personnelle qui, comme celle de nombreux Français, peut évoluer, évolue, évoluera, qui le sait ? Sur un tel sujet, j'ai aussi en tant que Président de la République, une responsabilité de concorde et une volonté d'apaisement. (…) Je contredirais aussitôt ce que je viens de dire sur l'articulation des légitimités, si j'en concluais que le dernier mot sur la question devait être dite aujourd'hui. ».

Mais ne pas exprimer d'opinion et vouloir faire évoluer la loi Claeys-Leonetti qui répond à toutes les situations de fin de vie difficile (du moins dans 99,999% des cas) alors qu'elle est encore trop peu appliquée comme l'a affirmé le 29 mars 2023 la mission d'évaluation de cette loi (et comme l'a reconnu le Président de la République : « Il nous faut mieux faire appliquer la loi Claeys-Leonetti. »), c'est déjà prendre position et soutenir ouvertement l'euthanasie et le suicide assisté. Il y a là une part d'hypocrisie que de laisser dire, laisser venir alors qu'on savait très bien que la Convention citoyenne allait aboutir à ce type de conclusion.

Dans les propos d'Emmanuel Macron, il y a deux "piliers". Le premier est soutenu par tout le monde, unanimement : l'État ne fait pas assez d'efforts financiers pour investir dans les soins palliatifs qui doivent être proposés et accessibles à tous les patients, indépendamment de leur situation géographique. Or, c'est rarement le cas aujourd'hui (vingt et un départements ne disposent d'aucune unité de soins palliatifs !). Là est le scandale. Il n'y avait pas besoin de réunir neuf fois en quatre mois une convention citoyenne pour le savoir : c'est un mal français, si j'ose écrire, cela fait depuis plus de quinze ans qu'il y a des manques criants de fonds budgétaires, et le plan lancé par le Premier Ministre Jean Castex en 2020 semble avoir été nettement insuffisant. Tout le monde en convient et tout le monde applaudit cette direction présidentielle : « C'est pourquoi je veux que nous élaborions un plan décennal national pour la prise en charge de la douleur et pour les soins palliatifs avec les investissements qui s’imposent. ».

[Soit dit en passant, la page du site de l'Élysée contient toujours des fautes d'orthographe après plusieurs jours de mise en ligne ("décénal" et "paliatifs" dans la même phrase !) : il faudrait penser à « trouver un agrégé qui sache écrire » pour ce site, selon la demande de De Gaulle en 1944 au diplomate et résistant René Brouillet qui lui recommanda son camarade de Normale sup. Georges Pompidou].

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Alors, pourquoi vouloir faire évoluer le cadre législatif avant de faire pleinement appliquer la loi Claeys-Leonetti ? À cause des sondages ? On doit éliminer la souffrance, pas celui qui souffre. Toute la démarche présidentielle, que je crois sincère, est donc viciée par ce postulat qu'il faut faire évoluer la loi alors que depuis une vingtaine d'années, il y a déjà eu quatre lois sur la fin de vie. Arrêtons de légiférer et appliquons les lois !

Ensuite, il y a ce second "pilier" qui est la légalisation de l'aide active à mourir à laquelle je suis très fermement opposé (je reprendrai dans un article tous les arguments pour l'expliquer). Emmanuel Macron va même plus loin et je trouve cette expression très inconvenante : il propose de bâtir un « modèle français de la fin de vie ». C'est plutôt effarant !

Je comprends ce qu'est le modèle français de la solidarité nationale, c'est la sécurité sociale, c'est la retraite par répartition, avec cette solidarité intergénérationnelles ; je comprends ce qu'est le modèle français du vivre ensemble, c'est la laïcité, le neutralité de l'État et la protection des croyants et non-croyants dans leur foi ou non-foi. Mais faut-il vraiment proposer à la Terre entière, avec une certaine forme d'arrogance toute française, un "modèle français de la fin de vie" ? "Venez en France, on y meurt "bien" !? Bon, il y a plein de grèves de transports en commun, vous payerez plein d'impôts et de taxe, on vous fera la gueule dans le métro, mais pour la fin de vie, on ne fait pas mieux ailleurs dans le monde !?". C'est un concept assez déroutant et un tantinet inconvenant.

Si on devait parler d'un "modèle de la fin de vie", original, eh bien, il est là, justement, avec la loi Leonetti du 22 avril 2005 et la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 qui la complète : ces deux lois sont de véritables bijoux à la fois démocratiques (car basées sur un véritable consensus parlementaire), juridiques (car le droit s'est excellemment exprimé), médicaux (car le but est de bien soigner et de s'occuper de tous les patients) et enfin, surtout je dirais, éthiques, car elles sont parvenues, dans un équilibre jamais intellectuellement satisfaisant à permettre les conditions d'une fin de vie le plus confortable possible, c'est-à-dire, plus modestement, avec le moins de souffrance possible, sans (et c'est là l'essentiel) transgresser ce qui est le pilier de la République, de la médecine et plus généralement de l'humanité, la protection de la vie humaine. En clair, elles sont compatibles avec les deux forces opposées qui font le clivage sur ce sujet : on fait toujours tout pour empêcher la souffrance et on ne tue jamais intentionnellement.

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Mais autoriser l'aide active à mourir, ce serait simplement copier la Belgique pour l'euthanasie, la Suisse pour le suicide assisté (ici par absence de cadre législatif), et on a déjà observé dans ces deux pays les nombreux abus que cela entraîne. Pas de quoi fanfaronner avec un modèle original. Cela fera juste des économies à la sécurité sociale.

Ce qui me gêne aussi, c'est que les personnalités très hostiles à l'aide active à mourir qui sont en ce moment auditionnées, par exemple au Sénat le 29 mars 2023, en viennent, dans une sorte de réalisme qui nierait leur ferme opposition, à préconiser les conditions de cette aide active à mourir à laquelle ils sont pourtant opposés. Comme si, bien que fermement opposé au rétablissement de la peine de mort, je m'exprimerais en disant : je suis contre, mais si on venait à rétablir la peine de mort, alors, il faudrait la restreindre aux seuls auteurs de crime contre les enfants et les forces de l'ordre, par exemple. En disant cela, non seulement j'accepte implicitement le rétablissement de la peine de mort, mais je participe même à son rétablissement en lui donnant une enveloppe juridique et un emballage marketing. Si on est contre, il n'y a pas à tergiverser. Il faut rejeter tout en bloc. Il y a donc une sorte de fatalité face à cette perspective.

Emmanuel Macron croit qu'on peut trouver un consensus dans le pays en s'occupant juste des conditions d'application de l'aide active à mourir. Il se trompe mais cela ne l'empêchera pas d'avancer car il sait qu'une large majorité des Français y est favorable (malgré les nombreuses dérives médicales et conséquences économiques que cela va inéluctablement entraîner).

Si, comme je ne le crois pas, il y avait en plus une arrière-pensée politicienne de rebondir sur un sujet qui rétablirait sa popularité, je pense que le Président se tromperait car ceux qui sont contre (même parmi ses soutiens, ce qui est mon cas) risquent d'être mécontents, et les mécontents d'aujourd'hui, qui défilent régulièrement des les rues en ce moment, ne seront certainement pas calmés par un sujet socialement annexe et politiquement "anecdotique" (même s'il est très important).

Alors, évidemment, oui, il y a certainement des convergences pour qu'on n'autorise pas l'aide active à mourir n'importe comment : « Nous avons déjà des éléments irrécusables de convergence. Dans ce modèle français de la fin de vie, vous avez fixé des bornes, en deçà desquelles vous estimez que nous ferions fausse route. D'abord, vous avez souligné l'importance de la prise en compte et de l'analyse du discernement afin de garantir l'expression de la volonté libre et éclairée, que cette expression soit directe ou par des directives anticipées ou une personne de confiance. La question de la réitération du choix est tout aussi cruciale. Ensuite, vous jugez primordial que la condition médicale des patients présente le caractère d’incurabilité, de souffrances réfractaires, psychique et physique. Voire l'engagement du pronostic vital. Vous insistez pour que jamais une aide active à mourir, ne devrait, ne devra être réalisée, pour un motif social pour répondre à l'isolement qui parfois peut culpabiliser un malade qui se sait condamné à terme et voudrait en hâte programmer l'issue, afin de ne pas être une charge pour les siens et pour la société. En outre, l'aporie, ou en tout cas l'absence de conclusions, sur l'aide active à mourir pour les mineurs suggère de ne pas ouvrir cette faculté. Enfin, vous avez voulu assortir l'aide active à mourir de procédures qui permettent une écoute, un accompagnement et une collégialité. Tous ces points, sans faire l'unanimité, ont fait consensus. Mais sur les questions éthiques, mêlant l'intime et le politique, il y aura toujours, et c'est d'ailleurs sain, la possibilité de conscience qui objecte à l'assentiment général. Ainsi, ces quelques lignes rouges me paraissent utilement encadrer l'hypothèse d'un modèle français de la fin de vie, et constitue notre point de départ. ».

Concrètement, le processus est donc loin d'être achevé. Emmanuel Macron a chargé la Première Ministre Élisabeth Borne de commencer un travail de concertation avec les députés et les sénateurs pour trouver un texte consensuel, mais je ne vois absolument pas comment sortir un texte consensuel au sein du Parlement, car les sénateurs, avec raison, me paraissent peu préparés à aider le gouvernement sur ce sujet (au contraire de la réforme des retraites). L'objectif du Président de la République est d'avoir un texte pour la fin de l'été 2023.

Répondant au député de la majorité Olivier Folarni (président de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti) à la séance des questions au gouvernement du 4 avril 2023, Élisabeth Borne a réitéré cette volonté présidentielle de bâtir un "modèle français" : « La seconde conclusion issue des travaux de la convention citoyenne réside dans la nécessité d’inventer un modèle français de la fin de vie. ». Et elle a poursuivi : « Notre cadre législatif n’est plus adapté, notamment pour aborder la question de l’aide active à mourir. ».

Or, cette dernière phrase est un postulat de départ, pas une conclusion. C'est un postulat dogmatique. Rien n'explique pourquoi le cadre législatif de la fin de vie ns serait plus adapté. Que s'est-il passé depuis 2016 pour considérer comme périmée la loi Claeys-Leonetti ? Rien, car elle est encore très peu appliquée. Alors, appliquons d'abord la loi avant d'aller plus loin. Investissons massivement dans les unités de soins palliatifs, y compris les unités mobiles pour l'hospitalisation à domicile.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (04 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Fin de vie 2023 (4) : la mystification d'un supposé "modèle français" de la fin de vie.
Discours du Président Emmanuel Macron recevant la Convention citoyenne sur la fin de vie le 3 avril 2023 à l'Élysée (texte intégral).

Communiqué de l'Ordre des médecins sur la fin de vie publié le 1er avril 2023 (texte intégral).
Avis n°139 du CCNE sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie publié le 13 septembre 2022 (à télécharger).
Rapport n°1021 de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti publié par l'Assemblée Nationale le 29 mars 2023 (à télécharger).

Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie publié le 2 avril 2023 (à télécharger).
Fin de vie 2023 (3) : les conclusions sans surprise de la Convention citoyenne.

Fin de vie 2023 (2) : méthodologie douteuse.
Fin de vie 2023 (1) : attention danger !

Le drame de la famille Adams.
Prémonitions (Solace).
Vincent Lambert.
Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
Euthanasie : soigner ou achever ?
Le réveil de conscience est possible !
Soins palliatifs.
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
La dignité et le handicap.
Euthanasie ou sédation ?
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
La politisation du CCNE (16 décembre 2013).
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La loi Leonetti du 22 avril 2005.


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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230404-fin-de-vie-2023dq04.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/fin-de-vie-2023-4-la-mystification-247686

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/04/05/39869221.html








 

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3 avril 2023 1 03 /04 /avril /2023 13:11

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Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230404-fin-de-vie-2023dq04.html



DISCOURS DU PRÉSIDENT EMMANUEL MACRON DU 3 AVRIL 2023


Discours du Président de la République à l’occasion de la réception des conclusions de la Convention citoyenne sur la fin de vie.


Mesdames et Messieurs les ministres,
Monsieur le président du Conseil économique, social et environnemental,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le président du Comité consultatif national d'Éthique,
Chers membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie,
Mesdames et Messieurs.
Merci pour ce rapport et surtout les propos que tous les 4 vous venez de tenir.

Je tenais aujourd'hui à vous recevoir, ici, au lendemain de l'achèvement de ces travaux, marquant, vous l'avez dit, la fin d'un premier temps et ouvrant un deuxième.

D’abord pour saluer la qualité du travail mené par chacune et chacun d'entre vous, parce que vous vous êtes engagés dans cette entreprise démocratique. Il y a un tirage au sort qui, en quelque sorte, par la main du hasard, garantit une neutralité avec des règles et une procédure mais ce tirage au sort ne signifie pas une absence d'engagement ou une forme de passivité. Il donne une légitimité à une convention qui a été définie par un texte organique, puis par le choix que nous avons fait avec la Première ministre.

Vous vous êtes engagés pleinement, avec sérieux et avec le sens des responsabilités et avec une rigueur intellectuelle qui vous honore. Vous avez accepté d'être tiré au sort, de suspendre pour 9 sessions votre quotidien, de consacrer ainsi de votre temps, de votre réflexion pour vous consacrer à cette question de la fin de vie. En effet, la vigueur d'une démocratie suppose que le plus grand nombre franchisse ce seuil de la sphère privée vers l'agora publique, et franchir ce seuil, ce n'est pas simplement avoir un avis ou dire “je suis contre ceci ou cela ou cette décision qui est prise”, c'est de participer à la formation de la décision collective et que les citoyens se délestent un peu de ce que TOCQUEVILLE appelait la rouille démocratique. Vous l'avez fait et qui plus est, à vous lire, à vous entendre et au récit de vos délibérations, avec tout à la fois cette rigueur que j'évoquais mais un respect, une considération les uns pour les autres, remarquables. C'est un geste de courage, a fortiori, pour réfléchir et débattre de la plus impensable des choses de la vie, celle qui en constitue le terme, c'est à dire notre mort.

Vous l'avez fait aussi avec une sincérité d'autant plus notable que l'expérience de vos prédécesseurs, ceux de la Convention climat, avait imparfaitement convaincu. Non pas qu'ils aient été moins engagés et rigoureux ou que la convention n'ait rien donné, comme je l'entends parfois. Elle a au contraire permis des avancées considérables et a été très largement marquée par des applications, dans les textes de loi et les textes règlementaire. Grâce à elle, la Nation a accompli des pas décisifs dans la lutte contre le changement climatique. Pour autant, il est vrai que c'était la première convention citoyenne et elle comportait des imperfections. Elle avait suscité des interrogations quant à la méthode, l'encadrement et le suivi. Nous tous, d'ailleurs, nous avons appris de cette première expérience, de ce que nous avons collectivement, je m'inclus dedans, bien fait et mal fait. Vous avez bénéficié de tout ce que nous avons appris. Vous avez perfectionné et porté à maturité cette innovation démocratique de la convention citoyenne. La consolidation inédite de cette innovation démocratique qu’est la convention citoyenne fait que maintenant, il y a une forme de maturité à laquelle nous arrivons par le travail que vous avez conduit et auquel vous avez participé. Cela intervient à un moment très particulier de notre vie démocratique et de notre nation. Nous sommes, et nous ne sommes pas les seuls, à un moment, on le voit bien, de troubles.

La conception séculaire de la démocratie représentative est bousculée, même attaquée. Pourtant, il existe un Parlement et la légitimité de son pouvoir est un pilier de nos démocraties. Le peuple s'exprime par ses représentants ou par référendum, au terme d'un débat qui reproduit à plus grande échelle ce mouvement qui a été le vôtre, de décentrement individuel et de discussions fécondes. Mais on le voit bien aussi, parfois, les rouages de notre démocratie, sa temporalité, ses mécanismes, font qu’il manque comme quelque chose. Cette rouille démocratique que j'évoquais en citant TOCQUEVILLE, il nous faut lui trouver un remède. La densité de certains sujets, soit concentrés dans le vertige éthique d'une question fondamentale comme la fin de vie, soit d'une ampleur telle qu'une multitude de situations en sont bouleversées et que les enjeux techniques s'y ajoutent, comme par exemple, le changement climatique, suppose un travail préalable de décantation démocratique. Et c'est pourquoi une convention citoyenne, vous l'avez d'ailleurs parfaitement rappelé, ne se substitue jamais à la délibération parlementaire. Elle la prépare et surtout, je le crois, dans certaines circonstances, elle la permet parce qu’en son sein, se joue toute la complexité du débat, parce qu'elle favorise ainsi un cheminement des avis, enclenche une maïeutique et refroidit les passions brûlantes. Une convention citoyenne apaise parce qu'elle est une enceinte de scrupules, de travail, de pure aventure intellectuelle et éthique.

Et c'est vrai que c'est la limite de nos démocraties, c'est le moins mauvais des systèmes mais au moment du vote, le fait majoritaire peut donner le sentiment qu'il écrase les voix minoritaires.

Vous avez, par vos travaux, le compte rendu que vous en avez fait et le rapport, donné une place au dissensus, à la voix minoritaire. Et c'est tout le défi qui est le nôtre dans la vie, dans nos démocraties, c’est de pouvoir continuer à avancer, à décider, parce qu’on ne peut pas rester en quelque sorte des enceintes impuissantes où, dès qu’on n’aurait pas l’unanimité on ne pourrait plus avancer, mais c’est de définir des voix majoritaires, mais de réussir à respecter les voix minoritaires en leur donnant une place et en leur permettant de cheminer à côté, en les entendant, en leur donnant leur place dans la délibération, puis en les reconnaissant dans le travail. Et c’est ce qui permet à ces travaux que sont les conventions citoyennes et aussi au sort qu’on doit en donner, de compléter ce qui est l’exercice du vote dans une élection qui est libre, dans une élection qui permet de voter un texte.

C’est donc à une œuvre de réinvention démocratique que vous avez prêté votre concours, et cette œuvre a été permise par l’action du Conseil économique, social et environnemental, dont je salue à nouveau le président ainsi que le travail de la présidente du conseil de gouvernance, chère Claire THOURY, cheville ouvrière de cette convention. Vous l’avez rappelé, président, par la loi organique du 15 janvier 2021, nous avons fait en sorte que le CESE soit pleinement ce carrefour des consultations publiques en réformant sa composition, mais on lui offrant, aussi, la faculté de recourir au tirage au sort, en lui confiant largement l'organisation des consultations citoyennes. Je crois profondément que s'est inventée, avec cette convention citoyenne, une expérience unique qui doit nous servir de référence. Naturellement, d'autres pays nous ont précédé pour des exemples dont on rappelle souvent les succès, un peu plus rarement les échecs, mais tous nous apprennent quelque chose.

Après l'expérience de la convention climat, nous pouvons être fiers d'avoir porté collectivement à maturité un modèle français d'éthique de la discussion, une éthique de la discussion organisée par une institution de la République et incarnée par des citoyens engagés. C'est cela qui s'est cristallisé avec cette convention grâce à votre engagement, votre écoute, votre respect mutuel, et c'est un moment très important de notre vie démocratique. Je souhaite à ce titre que cet instrument désormais mûr de la convention citoyenne soit mis en œuvre pour d'autres sujets. C'est pourquoi, je compte dans les prochaines semaines saisir le Conseil économique, social et environnemental sur d'autres questions relatives à la vie de la Nation.

Je veux maintenant revenir à la question, si vertigineuse qui, durant ces semaines, a été l'objet de vos travaux. Je disais qu'une convention citoyenne permet le débat parlementaire. Cette fois-ci, en outre, ce qui n'était aucunement assuré, elle s'est faite la chambre d'écho de tout un pays. La convention citoyenne s'est en effet pensée, dès l'origine, comme la référence des références, mais au sein d'un ensemble de facettes conçues pour refléter l'ensemble des images philosophiques, éthiques, politiques de notre société. Dès que le Conseil consultatif national d'éthique, dont je salue le président et les travaux, a rendu un avis important le 13 septembre dernier, un travail associant de multiples acteurs s’est déployé à travers le pays ; des espaces éthiques régionaux, ce qui était l’un des apports de nos dernières décennies du CCNE. Ces espaces éthiques régionaux ont organisé des réunions très nombreuses partout sur le territoire. Un travail a été mené avec un groupe de travail parlementaire transpartisan, animé par les ministres responsables, ainsi qu’une mission d’évaluation de la loi dite Claeys-Leonetti, loi dont je salue les auteurs, cher Alain. Un groupe de travail de professionnels de santé s'est constitué, afin de consulter précisément les soignants en premier chef concernés. Des missions des organismes d'évaluation, comme un rapport à venir de la Cour des comptes, apporteront aussi leur contribution. Vous le voyez, toute notre vie institutionnelle s'est en quelque sorte emparée de la question, chacune avec ses méthodes, son champ d'élucidation et sa légitimité.

Et ce miroitement institutionnel s'est reflété dans la société entière. Des tribunes, des débats dans des municipalités, une conversation de tout le pays s'est faite entendre. Car nous sommes tous par essence concernés par la fin de vie. Et nous savons d'expérience, ou par ouï-dire, ce qu'elle comporte toujours, à la fois de douleur irrémédiable, mais aussi, trop souvent de chagrins évitables, ces autres drames, qui s'ajoutent aux plus grands d'entre eux et ne font que l'amplifier cruellement.

Cela vient de ce que, et c'est l'un des points tranchés par votre convention, mais qui fait en outre l'objet d'un consensus, notre système d'accompagnement de la fin de vie reste mal adapté aux exigences contemporaines. Et ce, malgré le formidable engagement de tous ceux qui y contribuent. De nombreux témoignages le disent, soulignant d'ailleurs l'excellence de la chaîne des soins. Les chiffres d'ailleurs le montrent, ils montrent tout le chemin que notre nation a fait. On constate une progression du nombre de lits de soins palliatifs : 9 526 en 2022 contre 7 500, 3 ans plus tôt. Mais la progression est trop lente, vous l'avez rappelé, l'offre trop inégalement répartie. 21 départements ne disposent pas d’unités de soins palliatifs. D'autres régions ne comptent pas du tout d'équipes mobiles de soins palliatifs pédiatriques, un besoin pourtant croissant. Par ailleurs, la culture palliative n'a pas été assez appropriée par les soignants, faute de formation. Le très faible recours aux directives anticipées démontre aussi le décalage entre le besoin d'accompagnement des Français et l'administration de la réponse.

Alors, en lisant vos travaux, j'essaie maintenant de cheminer vers l'ouverture de ce deuxième temps, et donc ce que nous devons faire. Je crois qu'une solution unanimement préconisée doit être maintenant rigoureusement mise en œuvre. Il nous faut mieux faire appliquer la loi Claeys-Leonetti, comme le souligne aussi très bien la mission d'évaluation de l'Assemblée nationale.

Nous avons en la matière une obligation d'assurer l'universalité de l'accès aux soins palliatifs, de diffuser et d'enrichir notre culture palliative et de rénover la politique de l'accompagnement du deuil. Car je crois profondément que nous n'avons pas le choix entre une société où l'exigence de mourir dans la dignité est légitimement devenue commune, et où l'insuffisance de l'offre de soins palliatifs est pointée, l'écart est devenu insupportable. Il est insupportable pour les patients et leurs familles, notamment les plus vulnérables, car cela crée une inégalité face à la mort. Il est insupportable aussi pour les soignants et je ne le sous-estime pas. Il est insupportable, enfin, pour une société et un pays convaincu qu'il faut accompagner chacun, comme le disaient les inventeurs même de notre Etat providence, du berceau à la tombe. Menons ce combat, il doit nous rassembler et je sais que l'amélioration de l'accompagnement de la fin de vie est à cet égard un chemin indispensable. Il peut paraître, pour certains, la solution de prudence. Je crois, au contraire, que c'est le premier pilier de la réponse que nous devons apporter, peut-être, la réponse la moins spectaculaire, mais la plus courageuse, parce qu'elle fait consensus et qu'elle est la possibilité du reste, parce qu'elle concerne le plus grand nombre et probablement la plupart. Parce qu'elle offre de l'apaisement et de la dignité et qu'en conscience, on ne peut tolérer cette inégalité selon laquelle on est accompagné vers la mort différemment, dans de plus ou moins bonnes conditions, selon le lieu où l'on vit, le lieu où l'on est soigné, la direction de ses dernières volontés. C'est une inégalité fondamentale que nous devons corriger.

Concrètement, il nous faudra donc avancer dans les prochaines semaines pour mieux garantir l'égalité d'accès et développer la prise en charge des soins palliatifs. Cela signifie adapter les réponses en fonction des publics et des lieux, mieux intégrer à l'hôpital les soins palliatifs dans le parcours de soins, former les professionnels, fixer un seuil de lits identifiés par territoire et un meilleur maillage par des équipes mobiles, poursuivre le développement des soins palliatifs à domicile. Un accent particulier devra aussi être mis en œuvre avec la prise en charge pédiatrique de la douleur et dans le milieu médico-social.

Ensuite, il nous faut mieux accompagner les aidants, bénévoles ou familles, offrir du répit à ceux qui vouent leurs vies à leurs proches, en train de la quitter. Enfin, il nous faut, et c'est sans doute le moins aisé, conduire chacun à la perspective de se déterminer par avance, apprivoiser un peu de cette part impensable, engager une appropriation de la culture palliative auprès de nos soignants, des travailleurs sociaux et de chacun d'entre nous.

Cela, c'est un travail de la société, souterrain, philosophique, médical que l'État peut seulement accompagner. Sur le reste, c'est-à-dire la garantie d'un accès effectif et universel aux soins d'accompagnement à la fin de vie, l'État a une obligation de résultat. Aussi, je veux que nous avancions avec détermination et pour cela, il nous faut bâtir dans la durée. C'est pourquoi je veux que nous élaborions un plan décennal national pour la prise en charge de la douleur et pour les soins palliatifs avec les investissements qui s’imposent. Ça, c’est le premier pilier, si je puis dire, et le premier élément de la réponse.

Je sais aussi que l’accompagnement de la fin de vie est seulement un aspect du sujet. Parce que, et c’était la justification de cette Convention citoyenne, les lois n’ont pas épuisé le grain de chaque situation, chaque cas, chaque drame. Le peuvent-elles et le doivent-elles d’ailleurs ? C’était justement la question qui vous était posée. Vous y avez apporté des réponses claires, vous vous êtes forgé une conviction propre. Vous vous êtes prononcés aux trois-quarts pour une aide active à mourir, sous ses formes différentes, du suicide assisté, avec exception d'euthanasie ou des deux au libre choix de la personne concernée. Et vous venez nous rendre compte, en rappelant les proportions, de ce qui ressort de vos travaux.

J'ai déjà eu l'occasion de le dire et j'ai en la matière une opinion personnelle qui, comme celle de nombreux Français, peut évoluer, évolue, évoluera, qui le sait ? Sur un tel sujet, j'ai aussi en tant que président de la République, une responsabilité de concorde et une volonté d'apaisement.

Vos réponses sont importantes parce qu'elles traduisent une forme de vérité qui ne peut qu’interpeller. Comme il y a une volonté générale qui dépasse la somme de toutes les volontés particulières, voilà une conviction générale, au sens où elle est celle formée, forgée au-delà de la conviction de chacun. Celle-ci est non le produit d'une somme de perception, mais elle est le fruit d'une délibération. Elle est un ouvrage même de réflexion. Et je le dis clairement, cette expression de la convention porte en elle une exigence et une attente, c'est celle d'un modèle français de la fin de vie. Nous y répondrons.

Nous avons déjà des éléments irrécusables de convergence. Dans ce modèle français de la fin de vie, vous avez fixé des bornes, en deçà desquelles vous estimez que nous ferions fausse route. D'abord, vous avez souligné l'importance de la prise en compte et de l'analyse du discernement afin de garantir l'expression de la volonté libre et éclairée, que cette expression soit directe ou par des directives anticipées ou une personne de confiance. La question de la réitération du choix est tout aussi cruciale. Ensuite, vous jugez primordial que la condition médicale des patients présente le caractère d’incurabilité, de souffrances réfractaires, psychique et physique. Voire l'engagement du pronostic vital. Vous insistez pour que jamais une aide active à mourir, ne devrait, ne devra être réalisée, pour un motif social pour répondre à l'isolement qui parfois peut culpabiliser un malade qui se sait condamné à terme et voudrait en hâte programmer l'issue, afin de ne pas être une charge pour les siens et pour la société. En outre, l'aporie – ou en tout cas l'absence de conclusions – sur l'aide active à mourir pour les mineurs suggère de ne pas ouvrir cette faculté. Enfin, vous avez voulu assortir l'aide active à mourir de procédures qui permettent une écoute, un accompagnement et une collégialité.

Tous ces points, sans faire l'unanimité, ont fait consensus. Mais sur les questions éthiques, mêlant l'intime et le politique, il y aura toujours, et c'est d'ailleurs sain, la possibilité de conscience qui objecte à l'assentiment général. Ainsi, ces quelques lignes rouges me paraissent utilement encadrer l'hypothèse d'un modèle français de la fin de vie, et constitue notre point de départ.

Mais au-delà de ces bornes, qu'en est-il de ce modèle ? Je contredirais aussitôt ce que je viens de dire sur l'articulation des légitimités, si j'en concluais que le dernier mot sur la question devait être dite aujourd'hui. Nous sommes tous collectivement dans une forme de maïeutique. C'est pourquoi je demande au Gouvernement — en lien avec les parlementaires désignés par le président du Sénat et la présidente de l'Assemblée nationale qui, avec leur conférence des présidents, auront à faire ce travail transpartisan — de mener une œuvre de co-construction, sur la base de cette référence solide, qui est celle de la convention citoyenne et en lien avec toutes les parties prenantes. Je souhaite que ce travail permette de bâtir un projet de loi d'ici à la fin de l'été 2023. Ainsi, continuera une maturation collective, de l'éthique à la politique, respectueuse de l'épaisseur des vies de l'humanité. Trouvons aussi les bons mots, et je parle sous le contrôle sur un tel sujet de notre seul immortel de la salle, cher Erik ORSENNA, et nous pourrons ainsi, à travers cette maturation, permettre, je le souhaite, je le crois, de tracer un nouveau jalon vers ce modèle français de la fin de vie.

Mesdames et Messieurs, voilà ce que je souhaitais vous dire aujourd'hui. Ce serait trahir l'esprit qui a été le vôtre, que de déduire de vos réponses celles de la société. Parce que vous aussi, vous avez changé d'avis. Au fil d'échanges remarquables, par la qualité de respect et la dose d'investissement personnel qui ont présidé à vos 27 jours de débat, vous avez constaté qu'il existe des sujets incommensurables. Vous avez approché la distance qui sépare parfois la douleur des familles et la conception de leur métier par beaucoup de nos soignants. Vous aussi, vous avez érodé telle doctrine à l'aune d'un témoignage, telle certitude au frottement d'un avis, d'un témoin, d'un expert. Vous savez donc les ressorts d'une délibération et la cadence nécessaire à l'émergence d'un avis collectif. Tout ça, c’est indispensable, et le défi qui est le nôtre, c'est de continuer à le faire vivre dans le pays parce qu'à un moment on doit avancer, on doit prendre une décision. Et il faut faire partager au plus grand nombre ce cheminement qui a été le vôtre pour essayer que le maximum de nos compatriotes puissent sortir, parfois, des convictions qu’ils se forgent. Et vous le voyez bien, je crois qu'à travers le travail qui est le vôtre, il y a l'antidote à une forme de démocratie du commentaire permanent ou de la confrontation permanente des avis irréductibles, qui est ce dans quoi parfois nos quotidiens sont pris. Je parle du vôtre, comme du mien. On a besoin de ce chemin partagé, où nous sommes dans le déséquilibre des confrontations respectueuses et de l'avis des autres. Ce chemin doit conduire, à un moment donné, à prendre une décision, à bâtir, ce sera ce projet de loi.

Un pays vous a attendu, désormais, il vous entend. Et c'est ce pas supplémentaire vers le consensus qui n’aurait pu avoir lieu sans vous, qui fait la force de cette aventure démocratique et qui sera désormais poursuivi par le Gouvernement et les parlementaires, d’ici à la fin de l’été. Je n’ai donc pas à vous promettre de reprendre l’une ou l’autre de vos conclusions, elles suivront leur cours. Quelque part, votre victoire c’est qu’elles existent. Votre succès, cela a été de les former, par-delà la diversité de vos parcours et vos réponses sont ainsi, en quelque sorte aussi, hors les murs de la convention. Nous avancerons vers un modèle français de la fin de la vie et ce chemin sera irrémédiablement différent, car vous avez travaillé, échangé, décidé. Oui, quel que soit ce chemin, grâce à vous, nous savons désormais qu’il est possible, et comment il doit s’arpenter : avec sérieux, avec scrupule, avec respect, en refusant les controverses et en acceptant, au fond, de vivre avec des doutes. C'est en étant fidèle à votre méthode, à votre éthique, que nous serons fidèles à votre ambition.

Je vous remercie.

Emmanuel Macron, le lundi 3 avril 2023 à l'Élysée

Source : elysee.fr

https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20230403-discours-macron.html



 

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2 avril 2023 7 02 /04 /avril /2023 13:37

« Nous n’avons pas cherché le consensus et nous nous sommes efforcés de respecter la pluralité des opinions, d’où la diversité des approches contenues dans ce rapport sur ce thème complexe. (…) Ce rapport, remis aux plus hautes autorités, est un point d’étape, une contribution destinée à faire avancer la réflexion collective, à alimenter un débat plus vaste qui n’est pas clos et dans lequel nous avons toute notre légitimité. » (Rapport de la CCFV publié le 2 avril 2023).





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Assurément, la percée des partisans de l'euthanasie se fait tout azimut. Après l'Avis n°139 du 13 septembre 2022 du Comité consultatif national d'éthique qui a ouvert, pour la première fois, la porte, alors que le rapport parlementaire de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti (présidée par un parlementaire notoirement favorable à l'euthanasie) a été rendu public le 29 mars 2023 (j'y reviendrai), la Convention citoyenne sur la fin de vie a terminé ses travaux ce dimanche 2 avril 2023 avec la publication de son rapport (qu'on peut télécharger ici) avant, le lendemain, 3 avril 2023, de se rendre à l'Élysée pour présenter ses travaux au Président de la République Emmanuel Macron.

Pourquoi ne suis-je pas étonné des conclusions médiatisées de cette convention alors qu'elles étaient tellement prévisibles, tellement téléphonées, qu'on se demande bien pourquoi on a fait travaillé 184 "citoyens candides" pendant quatre mois sans vraiment d'utilité ?

Je respecte évidemment ces personnes qui ont passé du temps bénévolement à travailler ce sujet, trois jours pendant neuf sessions, soit vingt-sept jours au total, pris sur le temps professionnel ou de loisir, de famille certainement. Ces personnes, dites "citoyens" (comme si les parlementaires n'étaient pas non plus des citoyens), ont été tirées au sort pour englober la diversité de la société française, ce qui est honorable mais qui ne représente aucune légitimité ni démocratique ni, encore moins, constitutionnelle. En clair, cette convention est un panel, en quelque sorte, un échantillon d'institut de sondage.

La caractéristique de ces personnes, par nécessité, c'est leur... j'essaie de trouver le mot juste sans y associer une notion péjorative, entre "incompétence" et "ignorance", en d'autres termes, ces personnes n'ont aucune qualification, en principe, par leur expérience, leur profession, de connaître mieux la fin de vie que tout un chacun, que chacun de nous qui a été ou sera confronté, un jour ou l'autre, à une fin de vie qui pose question, pour son entourage direct ou pour lui-même. C'est en cela que je les dis "candides".

Or, c'est bien cela le vice de la méthode déjà évoquée précédemment : l'éclairage d'un sujet technique très ardu. C'est d'ailleurs le problème récurrent de la démocratie en général : tous les citoyens votent, même dans leur plus grande ignorance. C'est pour cela que les pères de la Troisième République, en particulier Gambetta et Jules Ferry, avaient voulu instruire tous les petits Français (dans une société encore à dominante rurale) pour qu'ils puissent voter avec l'éclairage intellectuel qu'il fallait (en d'autres termes, la République était soutenue principalement par une élite intellectuelle).

On comprendra donc que ces citoyens ont été accompagnés par des personnes dont je respecte la mission mais qui émanent d'un organisme, le Conseil Économique, Social et Environnemental, qui a montré qu'il n'était pas forcément impartial dans son approche sur la fin de vie. C'était le même problème avec la Convention citoyenne pour le climat qui a sorti des conclusions très radicales sur le sujet, quasi-téléguidée par de doctes "accompagnateurs".

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Je suis probablement un peu trop dur avec cette convention citoyenne alors que je ne doute pas de la sincérité de chacun de ses membres et même de ses "accompagnateurs", mais la méthode me paraît à la fois hypocrite et surtout, antidémocratique, même si, in fine, le Parlement aura son dernier mot. Elle n'a pas plus de légitimité que chacun des quelque 50 millions de citoyens individuels adultes de ce beau pays qu'est la France.

Avant de présenter très succinctement les conclusions de la Convention citoyenne sur la fin de vie, qui me paraissent très dangereuses pour les valeurs mêmes de notre société (je ne me permettrais pas de dire de notre civilisation), enfonçons une porte ouverte, précisons une évidence : on ne choisit pas sa naissance, mais on ne choisit pas non plus sa mort. C'est notre condition humaine qui l'impose. Certes, on peut se suicider, mais on peut rater sa tentative et finalement vivre encore, sans en avoir tout maîtriser. Vouloir contrôler le lieu et l'instant de notre mort est une immense prétention des êtres humains, et aussi une grande vanité. Mais, certes, il y a les valeurs, et il y a la réalité, pas forcément commode, souvent dérangeante.

Les 184 "citoyens" tirés au sort devaient répondre à la question que leur a posé la Première Ministre Élisabeth Borne au début de l'automne dernier : « Le cadre d'accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d'éventuels changements devraient-ils être introduit ? ». Rien que la question est posée de telle manière qu'on réponde à la première question par la négative. D'ailleurs, il n'existe aucune loi qui puisse satisfaire la totalité des situations, et sur la fin de vie, c'est encore plus vraie car chaque fin de vie est une exception, est un cadre spécial, extraordinaire, qui ne doit être ni modèle ni contre-modèle. La mort d'une personne est une bibliothèque qui périt. Le gouvernement aurait pu poser la question plus simplement : « Pensez-vous que c'est normal de souffrir pendant la fin de votre vie ? ».

Car on confond tout et la souffrance doit être combattue systématiquement, tant celle des patients en fin de vie que celle des patients tout courts, ceux qui peuvent encore vivre plus ou moins longtemps ou même longtemps. Avec les progrès de la médecine, il existe peu de situations dont les solutions ne permettent pas la diminution sinon la suppression de la souffrance.

Avec l'euthanasie et le suicide assisté, on considère, ou plutôt, on veut considérer que la société souhaite supprimer l'être qui souffre au lieu de supprimer la souffrance. Sans considérer que ce principe va avoir de très fâcheuses conséquences pour la société et pour les individus. J'y reviendrai aussi.

La réponse à la question de la Première Ministre formulée par la Convention citoyenne était donc prévisible : « Le cadre actuelle d'accompagnement de la fin de vie n'est pas adapté aux différentes situations rencontrées. ». Merci mesdames et messieurs les "citoyens" d'avoir répondu à la question et au revoir.

Dans la synthèse du rapport qui ne fait que 2 pages (le rapport lui-même comporte quand même 170 pages), la Convention évoque deux raisons principales. D'abord « l'inégalité d'accès à l'accompagnement de la fin de vie » et ensuite, « l'absence de réponses satisfaisantes face à certaines situations de fin vie, notamment dans le cas de souffrances physiques ou psychiques réfractaires ». Si la première raison est tout à fait recevable (la cause, le manque de budget de l'État pour investir massivement dans les soins palliatifs), la second raison laisse entrevoir une véritable difficulté, celle de définir ce qu'est une "souffrance physique ou psychique réfractaire". Et en particulier la "souffrance psychique" car euthanasier des personnes dépressives, comme cela se passe en Belgique, est pour moi un acte en opposition totale avec mes propres valeurs.

La conséquence de cette affirmation, c'est évidemment ceci, voté par 75,6% des "citoyens" : « L'accès à l'aide active à mourir doit être ouvert. ». Le rapport précise que ce vote a été fait « au terme de débats nourris et respectueux » (!). "L'aide active à mourir", c'est un euphémisme mais il est précisé très clairement par la suite ; cela recouvre « à la fois le suicide assisté et l'euthanasie ». Certains en seront sans doute à l'appeler "AAM" (aide active à mourir) comme d'autres (dont moi, hélas par facilité) parlent d'IVG pour dire avortement.

Cet accès est justifié, dans le rapport, d'une part, par la sacro-sainte « liberté de choix des citoyens » (comme si on était libre d'avoir un cancer du poumon, par exemple) et surtout, d'autre part (c'est la justification la plus concrète), par le besoin de « combler les insuffisances du cadre légal actuel, notamment les limites de la sédation profonde et continue et mettre fin aux situations d'hypocrisie constatées ».

Parler d'hypocrisie quant il s'agit de faire la différence entre tuer un patient (car il n'y a pas de doute sur cela, l'euthanasie, c'est un acte de tuer) et laisser mourir en donnant tout le nécessaire le plus confortable possible pour ne pas souffrir, au risque de tuer mais ce n'est pas le but premier, c'est à mon sens un véritable scandale. L'hypocrisie, c'est celle de ceux qui nient que cela pose un problème éthique majeur. La question est du point de vue où on se place : du point de vue du patient, tant qu'il ne souffre pas, il n'y a que l'humble fait de ne savoir ni le jour ni l'heure ; du point de vue de l'entourage, certes, cela peut crisper quand le processus dure quelques jours au lieu de quelques heures ; mais du point de vu du médecin, cela change tout.

Interrogé sur CNews le 2 avril 2023, Léo Van Nieuwenove, l'un des membres de la Convention citoyenne qui a voté contre l'ouverture de l'accès à l'aide active à mourir, a voulu insister sur le fait que la position de la Convention citoyenne n'était pas basiquement : ok pour l'euthanasie et le suicide assisté, mais qu'elle était beaucoup plus nuancée et conditionnelle que cela. Et il a raison : le rapport est beaucoup plus nuancé que le simplisme qui accompagne son traitement médiatique.

D'abord, il y a effectivement un paragraphe qui rappelle le non-consensus de la Convention et le fait que la loi Claeys-Leonetti est encore trop peu connue et trop peu appliquée : « Environ un quart des citoyens (23,2%) s’est prononcé contre une ouverture de l’aide active à mourir. Ces citoyens ont notamment mis en avant la méconnaissance et la faible application de la loi Claeys-Leonetti de 2016, privilégiant d’abord une pleine et entière application du cadre actuel. Ils ont aussi souligné les risques de dérives que l’ouverture de l’aide active à mourir pourrait faire peser sur les personnes vulnérables (les personnes dépendantes, en situation de handicap ou celles qui présentent une altération du discernement...) ainsi que les risques de déstabilisation de notre système de santé, face aux réticences fortes d’une partie des professionnels de santé. ».

De plus, le rapport précise bien, et c'est précieux, que « la légalisation du suicide assisté et de l'euthanasie représente un danger pour notre système de santé ». Ces aspects sont majeurs et bien expliqués, en particulier le risque pour les soignants : « Cela pourrait susciter du découragement, voire une vague de départs dans la profession. ». Également : « Cette crainte vaut particulièrement pour l’euthanasie qui est en rupture avec le code de déontologie médicale. Un grand nombre de professionnels de santé semblent refuser de donner la mort. ». Le "semblent" est de trop.

Cette tendance vient d'être effectivement confirmée par l'Ordre des médecins qui, lors de son assemblée générale le 1er avril 2023, après neuf mois de travaux, s'est déclaré « défavorable à la participation d’un médecin à un processus qui mènerait à une euthanasie, le médecin ne pouvant provoquer délibérément la mort par l’administration d’un produit létal ». Dans son avis, « l'Ordre des médecins estime impératif de permettre une meilleure application de la loi Claeys-Leonetti ».

L'avis de l'Ordre des médecins rappelle également l'article 38 du code de déontologie médicale : « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d'une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort. ».

Dans cette partie, le paragraphe du rapport de la Convention conclut ainsi : « Finalement, la légalisation risquerait d’engendrer une défiance croissante entre les patients et le corps médical, avec une rupture du pacte de confiance et une confusion des rôles. ».

D'autres arguments opposés à l'aide active à mourir sont également explicités dans ce rapport au même titre que les arguments favorables. En particulier, l'idée qui vise à autoriser exceptionnellement l'euthanasie : « Il ne nous parait pas souhaitable de faire une nouvelle loi pour des exceptions ; il n’est pas judicieux de changer la loi pour des cas particuliers. Ne serait-il pas suffisant de commencer par offrir à tous les malades des soins palliatifs adéquats ? ».

Autre argument défavorable : « L'aide active à mourir représente un risque pour les personnes vulnérables. ». Avec trois réflexions. La première : « Il sera difficile de protéger les personnes les plus vulnérables (les personnes dépendantes, en situation de handicap, qui présentent une altération du discernement...) d’éventuels risques d’abus. Légaliser l’aide active à mourir ne permet pas la protection des plus vulnérables envers qui nous avons un devoir de solidarité. ». La deuxième : « Est-il possible d’exprimer une volonté libre et éclairée sans aucune influence (familiale, environnementale, religieuse, sociétale...) ? Ces influences peuvent être d’autant plus fortes dans les situations de grande vulnérabilité ou de détresse. Par ailleurs, est-il vraiment possible de se projeter dans des situations de détresse et de formaliser des directives anticipées ajustées lorsque l’on est en bonne santé ? ». Enfin, la troisième : « Une demande exprimée ne signifie pas forcément une volonté de mourir, il peut s’agir d’un appel à l’aide. Il y a une part d’inconnu dans l’évaluation de la situation médicale du patient (notamment de son pronostic vital) et les erreurs sont possibles. La prédictibilité de la mort n’est pas une science exacte. D’autant que la volonté libre et éclairée d’un patient peut être changeante et incertaine et dépendre de son environnement social. ».

Cinquième argument, l'atteinte à notre modèle de société et à l'esprit de solidarité, avec ces mots très forts : « La légalisation de l’aide active à mourir pourrait : 1°. Entraîner une démultiplication des conflits d’intérêt en faisant primer l’économique ; 2°. Affecter l’effort de recherche et développement sur la fin de vie et les douleurs réfractaires. ». Et plus généralement, l'effort de recherche sur toutes les maladies incurables.

Mais le rapport donne aussi de nombreux arguments favorables (ce qui entre en contradiction avec les précédents arguments pourtant parfois définitifs). La réalité est quand même que les "citoyens" de cette Convention se sont très majoritairement prononcés en faveur de l'euthanasie et du suicide assisté.

Au-delà de cette construction nuancée et complexe de la pensée (arguments pour, puis arguments contre, et finalement conclusion pour), ce qui restera de cette Convention, c'est bien le feu vert pour l'aide active à mourir, donnant au gouvernement et aux parlementaires une justification pseudo-démocratique pour un projet de loi déjà en préparation. Rien que le schéma sur les repères chronologiques sur la fin de vie mis dans le rapport laisse entendre une progression avec la flèche du temps, comme si "on allait vers".

La Convention citoyenne, très majoritairement, souhaite aussi encadrer très strictement cet accès à l'aide active à mourir, notamment sur des critères qui ont fait l'objet d'une attention soutenue par ces "citoyens" tirés au sort, entre autres, le discernement des patients, le pronostic vital engagé, l'incurabilité, la souffrance réfractaire. D'autres critères beaucoup difficiles à cerner sont par exemple l'âge (mineur ou pas mineur, quid des parents pour les mineurs ?) et la définition de la souffrance.

Il faut quand même signaler que seulement 21,7% des membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie sont partisans d'un accès universel de l'aide active à mourir, pour lesquels seule la volonté du patient l'emporterait sur tout autre critère. Alors que la volonté est très difficile à déterminer justement en fin de vie (ne serait-ce que le cas où le patient est dans l'incapacité de l'exprimer). Les directives anticipées sont une bonne chose même si ce n'est qu'une position à froid (quand on est en bonne santé) et que cela n'exclut pas des revirements de position au moment où les choses sérieuses surgissent concrètement.

Pour être honnête, je dirais que ces "citoyens" tirés au sort ont beaucoup travaillé pour le bien commun à propos des soins palliatifs en faisant de nombreuses propositions très intéressantes et qui ont le mérite de s'appuyer sur la réalité et qu'ils cherchent à l'améliorer.

Ce que je reproche à la Convention (dans sa majorité), c'est de vouloir coupler les deux choses par cette petite phrase entendue aussi lors de la présentation le 29 mars 2023 à la commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale du rapport d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti et qui est justification politiquement redoutable : « L'aide active à mourir est complémentaire des soins palliatifs. ». Alors que je pense justement que si les soins palliatifs étaient correctement administrés (à tous ceux qui en auraient le besoin), il y aurait très peu voire aucune demande d'euthanasie ou de suicide assisté. Depuis le 22 avril 2005, nous avons un cadre législatif qui a mis hors-la-loi la souffrance et l'acharnement thérapeutique (obstination déraisonnable) en fin de vie, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir entre la promulgation des lois et leur application effective sur le terrain (en particulier parce qu'il faut y prévoir des fonds budgétaires).

La suite est hélas prévisible. Jean-Luc Roméro-Michel, adjoint à la maire de Paris depuis 2020 et président de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) depuis 2007, comme si ce serait digne d'être tué par un médecin, qui sera l'invité de France Info ce lundi 3 avril 2023 dans la matinale, s'est déjà jeté sur le rapport pour réclamer une loi de légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté (je respecte beaucoup Jean-Luc Roméro-Michel pour plusieurs raisons, en particulier son courage, mais je désapprouve totalement son combat pour l'euthanasie), et il a déjà déclaré sur France 24 le 2 avril 2023 : « Je me réjouis des résultats de la Convention Citoyenne qui se prononce majoritairement pour une aide active à mourir. Une majorité de députés y sont aussi favorables ! Je demande à Emmanuel Macron d’entendre enfin les Français ! ».

J'espère encore que le gouvernement et le Président Emmanuel Macron ne sombreront pas, sur ce sujet majeur de la fin de vie, dans la démagogie simpliste et surtout, dans le prétexte aux optimisations économiques de la santé des Français. La loi Claeys-Leonetti est une loi d'équilibre, forcément insatisfaisante parce qu'aucune loi ne fera guérir les patients atteints d'une affection incurable, mais elle permet de respecter les valeurs de notre nation et le "confort" de soins de nos patients qui méritent toujours mieux que la mort. Leur dignité, c'est d'abord de respecter leur vie en même temps que traiter leurs souffrances.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (02 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Communiqué de l'Ordre des médecins sur la fin de vie publié le 1er avril 2023 (texte intégral).
Avis n°139 du CCNE sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie publié le 13 septembre 2022 (à télécharger).
Rapport n°1021 de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti publié par l'Assemblée Nationale le 29 mars 2023 (à télécharger).

Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie publié le 2 avril 2023 (à télécharger).
Fin de vie 2023 (3) : les conclusions sans surprise de la Convention citoyenne.

Fin de vie 2023 (2) : méthodologie douteuse.
Fin de vie 2023 (1) : attention danger !

Le drame de la famille Adams.
Prémonitions (Solace).
Vincent Lambert.
Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
Euthanasie : soigner ou achever ?
Le réveil de conscience est possible !
Soins palliatifs.
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
La dignité et le handicap.
Euthanasie ou sédation ?
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
La politisation du CCNE (16 décembre 2013).
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La loi Leonetti du 22 avril 2005.


_yartiFdV2023DP03





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230402-fin-de-vie-2023dp03.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/fin-de-vie-2023-3-conclusions-sans-247662

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/04/02/39865643.html






 

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2 avril 2023 7 02 /04 /avril /2023 11:22

La Convention citoyenne sur la fin de vie a terminé ses travaux le 2 avril 2023. On peut lire son rapport qui a été publié sur Internet.

Cliquer sur le lien pour télécharger le document associé (fichier .pdf).

Rapport CCFV :
https://conventioncitoyennesurlafindevie.lecese.fr/sites/cfv/files/CCFV_Rapportfinal_VDEF.pdf

Synthèse du rapport CCFV :
https://conventioncitoyennesurlafindevie.lecese.fr/sites/cfv/files/CCFV_MiniSynth%C3%A8se_Web.pdf

Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230402-fin-de-vie-2023dp03.html

SR
https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20230402-rapport-ccfv.html


 

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1 avril 2023 6 01 /04 /avril /2023 22:19

(verbatim)


Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230402-fin-de-vie-2023dp03.html


FIN DE VIE ET RÔLE DU MÉDECIN

Fin de vie et rôle du médecin : restitution de la consultation

Ce matin, lors de son Assemblée Générale, l’Ordre national des médecins a présenté les résultats de sa consultation sur la fin de vie. Depuis 9 mois, l’ensemble des conseils départementaux et régionaux se sont penchés sur cette question et plus particulièrement sur l’aide médicale à mourir.

Cette consultation a débuté en juin dernier avec un questionnaire adressé aux conseils départementaux et régionaux. Lors du séminaire du Conseil national sur la fin de vie en novembre dernier, ces résultats ont nourri les débats. Après un premier travail de rédaction coordonnée par la section éthique et déontologie du conseil national, des auditions d’organisations extérieures et des sociétés savantes sur les soins palliatifs ont été réalisées pour approfondir le sujet.
Fin de vie et rôle du médecin
L’Ordre des médecins, après l‘enquête réalisée auprès des conseils départementaux, régionaux et interrégionaux, après un séminaire consacré à la fin de vie, souhaite s’exprimer en amont d’une éventuelle modification de la loi sur la fin de vie, et ainsi respecter un calendrier annoncé.

L’Ordre des médecins s’exprime donc sur la loi Claeys Leonetti dans sa rédaction actuelle et sur le rôle et la place du médecin dans l’hypothèse où une loi relative au suicide assisté et/ou à l’euthanasie serait déposée au Parlement.
L’Ordre est défavorable à toute possibilité de mettre en place une procédure d’aide active à mourir pour les mineurs et les personnes hors d’état de manifester leur volonté.
Fin de vie et rôle du médecin dans le cadre d’une aide active à mourir
L’Ordre des médecins estime impératif de permettre une meilleure application de la loi Claeys Leonetti, et nécessaire de se doter de tous les moyens qui permettraient à la loi d’être pleinement effective : rendre efficients les dispositifs dans les établissements médicaux, médico-sociaux et à domicile sur l’ensemble du territoire, faciliter l’accompagnement médical et médico-social du patient en fin de vie et de sa famille, favoriser la formation des professionnels de santé et des paramédicaux, libérer du temps pour les médecins traitants pour l’accompagnement de leurs patients, promouvoir une meilleure connaissance des médecins sur la prise en charge des patients en fin de vie.
A cet effet, l’Ordre des médecins contribuera au développement des soins palliatifs et d’accompagnement, et de la connaissance de la réglementation actuelle.

Si la loi vient à changer vers une légalisation d’une aide active à mourir (euthanasie et/ou suicide assisté), l’Ordre des médecins entend faire valoir dès à présent qu’il sera défavorable à la participation d’un médecin à un processus qui mènerait à une euthanasie, le médecin ne pouvant provoquer délibérément la mort par l’administration d’un produit létal.   
       
Dans l’hypothèse d’une légalisation du suicide assisté, l’Ordre des médecins entend formuler des exigences quant au rôle et à la place du médecin. Ainsi, l’Ordre des médecins :

    Revendiquerait une clause de conscience spécifique qui garantirait l’indépendance du médecin, y compris en établissement de santé, et qui pourrait être mise en exergue à tout moment de la procédure. Le médecin devrait pouvoir continuer à suivre le patient, même après avoir fait valoir cette clause. Si le médecin ne souhaitait plus prendre en charge son patient, il devrait l’adresser vers un médecin susceptible d’assurer sa prise en charge ;
    Estime qu’un médecin devrait être le professionnel qui recueille la demande d’aide active à mourir du patient en fin de vie. Ce médecin devrait être le médecin traitant/référent (médecin spécialiste en médecine générale ou médecin spécialiste prenant en charge la pathologie) s’il ne faisait pas valoir sa clause de conscience ;
    Estime que l’évaluation, la décision d’éligibilité pour une aide active à mourir, et la responsabilité devraient être collégiales ;
     Estime que dans le collège ainsi constitué, le médecin spécialiste en médecine générale traitant et le médecin spécialiste référent devraient en être systématiquement membres s’ils ne faisaient pas valoir leur clause de conscience ; dans ce dernier cas leur avis sera demandé ;
    Préconise que le médecin spécialiste en médecine générale traitant fasse partie de l’ensemble de la procédure, sauf s’il faisait valoir sa clause de conscience ;
    Est défavorable à la participation active du médecin lors de la prise du produit létal par le patient. Cependant, l’ordre des médecins estime que le médecin qui n’aurait pas fait valoir sa clause de conscience pourrait rester présent et accompagner son patient jusqu’à ses derniers instants (1)  ;
    Estime que la loi devra protéger le médecin qui participerait à la procédure d’une aide active à mourir.



1 - Article 38 du code de déontologie médicale : « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d'une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage.
Il n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort. »
 

Ordre des médecins

Source : Ordre des médecins.

https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20230401-communique-ordre-medecins.html



 

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29 mars 2023 3 29 /03 /mars /2023 13:24

La mission parlementaire chargée d'évaluer la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie a présenté son rapport le 29 mars 2023 à la commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale. Il est publié sur Internet.

Cliquer sur le lien pour télécharger le document associé (fichier .pdf).

Rapport n°1021 de l'Assemblée Nationale :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-soc/l16b1021_rapport-information.pdf

Synthèse du rapport :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/media/16/organes/commissions-permanentes-legislatives/affaires-sociales/communications/synthese-me-claeys-leonetti

Dossier de presse :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/media/16/organes/commissions-permanentes-legislatives/affaires-sociales/dossiers-de-presse/mission-d-evaluation-de-la-loi-du-2-fevrier-2016-creant-de-nouveaux-droits-en-faveur-des-malaldes-et-des-personnes-en-fin-de-vie

Infographie :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/media/16/organes/commissions-permanentes-legislatives/affaires-sociales/infographies/infographies2

Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230329-evaluation-loi-claeys-leonetti.html

SR
https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20230329-rapport-evaluation-claeys-leonetti.html


 

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9 mars 2023 4 09 /03 /mars /2023 04:57

« Parce qu’elle est un sujet d’interrogations et d’inquiétudes pour nos concitoyens, qu’elle mêle enjeux collectifs et situations éminemment personnelles, et qu’elle fait l’objet d’évolutions notables ces dernières années, la question de la fin de vie doit être débattue de manière approfondie par la Nation. » (Communiqué de l'Élysée du 13 septembre 2022).



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Le Président de la République Emmanuel Macron a choisi de relancer le débat sur la fin de vie, et cela d'une manière qui me paraît très douteuse. Il le fait au début de son second quinquennat parce que la question de l'euthanasie a été parmi les mesures préconisées par tous les candidats de gauche à l'élection présidentielle de 2022.

Je regrette que ce débat soit relancé alors que la Nation venait d'atteindre un point d'équilibre consensuel avec la loi Claeys-Leonetti en février 2016 (je l'avais abondamment évoqué à l'époque). Il ne faut pas que le besoin de posture centrale, c'est-à-dire ni trop à gauche ni trop à droite n'entraîne le gouvernement à vouloir légaliser l'euthanasie afin de rééquilibrer politiquement l'image "à droite" (?) de la réforme des retraites. Il ne faut pas non plus succomber aux pressions multiples et aux sondages alors que la réforme des retraites est justement l'exemple d'une décision qui rejette cette gouvernance par les sondages.

L'opportunité du débat est mise en cause car depuis 2005, la France est dotée de dispositif législatif qui répond aux principaux enjeux de la fin de vie et qui mérite déjà sa chance, à savoir la loi Leonetti du 22 avril 2005 puis la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.

Dix ans après sa promulgation, la loi Leonetti était encore très peu connue des soignants eux-mêmes ! La loi Claeys-Leonetti n'a pas fait l'objet d'une évaluation. Certes, tout peut toujours s'améliorer selon les applications, mais l'idée générale que la France a adoptée dans son universalisme, c'est que soigner ne signifie pas acharnement thérapeutique ni, surtout, souffrances. Le principe général est d'empêcher la souffrance des patients, que ceux-ci d'ailleurs soient en fin de vie ou pas. Aujourd'hui, dans 99,9% des cas, les solutions thérapeutiques existent pour éviter les souffrances. Il est vrai que cela nécessite aussi le développement massif des soins palliatifs et la France, dans ce domaine, est très en retard (pour des raisons budgétaires), même si le gouvernement d'Édouard Philippe a fait beaucoup d'efforts dans ce domaine.

Alors, oui, on peut discuter de la fin de vie, mais avec la sagesse dont le législateur a toujours fait preuve jusqu'à maintenant, refusant les solutions simplistes, démagogiques et excessives. Par ailleurs, l'époque, plus qu'il y a dix ans ou vingt ans, veut qu'on se préoccupe aussi de l'argent public, des perspectives comptables, et on voit trop bien l'intérêt de l'État à écourter l'existence tant des patients (avec les soins palliatifs parfois coûteux) que des retraités en général (ce qui, du reste, constitue une sorte d'étrange coïncidence qu'on parle à la fois de réforme des retraites pour rééquilibrer le système par répartition et d'euthanasie dont le principe pourrait faire des miracles aux finances publiques : en effet, ce qui coûte cher dans les soins, ce sont les six derniers mois de vie, il suffit de les supprimer...). Ces arguments économiques dans le débat sur l'euthanasie ont maintenant cours, presque sans scrupule. Il faudra bien en tirer les conclusions jusqu'au bout. Ou s'en inquiéter définitivement.

Le Président de la République a saisi l'occasion d'un avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) qui laisse une ouverture pour aller vers l'euthanasie. Il a effectivement indiqué : « Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) vient de rendre public l’avis intitulé : Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité. Cet avis, qui met en avant l’équilibre à trouver entre le devoir de solidarité envers les personnes fragiles et le respect de l’autonomie de la personne, constitue une base solide pour mener une réflexion collective sur ce sujet sensible. ». On peut s'étonner de ce changement de position alors qu'auparavant, le CCNE avait toujours rejeté cette option pour des principes humanistes. La raison : la politisation, durant le quinquennat de François Hollande, de la composition du CCNE qui a volontairement évolué avec des partisans de l'euthanasie (relire à cet égard mon article du 16 décembre 2013).

C'est curieux que ce sont toujours les personnes bien-portantes qui réclament l'euthanasie, mais tous les médecins qui sont confrontés chaque jour à la maladie aux côtés de leurs patients en fin de vie, disent que les demandes d'euthanasie dans leurs services sont extrêmement rares.

Au-delà de l'opportunité d'un tel débat au sortir d'une pandémie qui a tué plus de 165 000 personnes en France, les plus fragiles de nos citoyens généralement, la méthode choisie me paraît très douteuse sur le plan démocratique : « À cette fin, sera constituée dès octobre [2022] une convention citoyenne dont les conclusions seront rendues en mars 2023. Elle sera organisée par le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) dont c’est désormais la vocation. (…) L’ensemble de ces travaux permettra d’envisager le cas échéant les précisions et évolutions de notre cadre légal d’ici à la fin de l’année 2023. ».

Cette Convention citoyenne est effectivement en train de terminer ses travaux ces prochains jours et comme par miracle, on connaît déjà la réponse : feu vert pour l'euthanasie et le suicide assisté ! Cette manière de faire est doublement déplaisante : elle ne relève pas de la démocratie car les membres de cette Convention citoyenne ne représentent pas le peuple, au contraire des parlementaires ; de plus, parce que ce sont des "candides" (ils ne sont pas rémunérés, ils ont aussi leur propre activité professionnelle et autre, et ne peuvent pas prendre le temps de devenir compétents sur ce sujet très précis, comme c'est le cas des parlementaires), ils sont très largement conditionnés par ceux qui les "encadrent", leur apportent le contexte, le cadre juridique, médical, etc. On l'a vu avec la Convention citoyenne pour le climat où une quasi-unanimité a voté pour des mesures rigoureusement écolo-extrémistes (comme l'interdiction de ligne aérienne quand il y a une ligne TGV, etc.).

Enfin, ceux qui "encadrent" les "citoyens", c'est les membres du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE)... et je conteste à Emmanuel Macron l'idée que le CESE soit une troisième chambre parlementaire comme il aimerait tant la confondre. S'il y avait bien des économies à faire dans les institutions, ce serait plutôt supprimer le CESE que le Sénat qui, lui, apporte une véritable valeur ajoutée à la démocratie (on le voit encore pour la réforme des retraites). Le CESE, qu'est-ce que c'est ? Cela n'a été jamais que des placards dorés pour des anciens syndicalistes à la retraite, pour des anciens parlementaires dont on a préempté la circonscription pour un autre, etc. Avec des rémunérations proches de celles des parlementaires... sans leur légitimité.

Alors, c'est sûr, les membres du CESE ont le temps de s'autosaisir de n'importe quel sujet et de disserter sur tous les enjeux économiques, sociaux, sociétaux et environnementaux. Très étrangement le CESE (j'y reviendrai dans un prochain article sur la fin de vie) a déjà pondu une réflexion sur la fin de vie en 2018. Et devinez quoi ? Son avis est majoritairement en faveur de l'euthanasie (avec des contestations minoritaires). Confier l'encadrement de citoyens tirés au sort pour la discussion sur la fin de vie à un organisme qui, dans son passé très récent, a déjà annoncé la couleur, donne, à mon sens, un doute complet sur l'intérêt de l'exercice.

Bien sûr, aucune loi ne pourra être en application si elle n'a pas été adoptée et donc discutée au Parlement, mais le fait que la base de cette future loi soit le travail de cette Convention citoyenne m'inquiète très fortement. Sera-ce aussi une prochaine convention citoyenne qui imposera l'interdiction des automobiles dans les centres-villes ? l'obligation de se chauffer à l'électricité et pas au fuel ni au gaz ? Etc.

Car non seulement c'est antidémocratique, mais cela réduit considérablement la responsabilité du gouvernement ou de la majorité parlementaire : c'est pas moi, c'est les "citoyens" de la convention ! Je caricature évidemment, car Emmanuel Macron est bien conscient du caractère très sensible du sujet : « Le débat sur ce sujet délicat, qui doit être traité avec beaucoup de respect et de précaution, doit donner à chacun de nos concitoyens l’opportunité de se pencher sur ce sujet, de s’informer, de s’approprier la réflexion commune et de chercher à l’enrichir. ». Il a ainsi prévu que le gouvernement engage des concertations avec tous les partis pour atteindre un consensus.

La Convention citoyenne se termine avec trois sessions au mois de mars 2023. Ses travaux s'achèveront le 2 avril 2023 en principe.

La lettre de mission du 13 septembre 2022 finit ainsi : « Le temps nécessaire sera pris, et toutes garanties doivent être données pour assurer les conditions d’un débat ordonné, serein et éclairé. ». Avec cette méthode peu neutre, permettez-moi d'en avoir de gros doutes...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (05 mars 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Les deux illustrations proviennent de tableaux de Paula Modersohn-Becker.


Pour aller plus loin :
Fin de vie 2023 (2) : méthodologie douteuse.
Fin de vie 2023 (1) : attention danger !

Le drame de la famille Adams.
Prémonitions (Solace).
Vincent Lambert.
Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
Euthanasie : soigner ou achever ?
Le réveil de conscience est possible !
Soins palliatifs.
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
La dignité et le handicap.
Euthanasie ou sédation ?
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
La politisation du CCNE (16 décembre 2013).
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La loi Leonetti du 22 avril 2005.


_yartiFdV2023DO07





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230305-fin-de-vie-2023do02.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/fin-de-vie-2023-2-methodologie-247125

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