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7 décembre 2024 6 07 /12 /décembre /2024 20:57

« Vertige de découvrir que Notre-Dame de Paris pouvait disparaître et que nos cathédrales aussi sont mortelles. Alors, nous avons choisi le sursaut, la volonté, le cap de l'espérance. Nous avons décidé de rebâtir Notre-Dame de Paris, plus belle encore, en cinq années. Le sursaut, la volonté, et pour rendre cela possible, une fraternité inédite. » (Emmanuel Macron, le 7 décembre 2024 à Notre-Dame de Paris).



 


Le Président de la République de poursuivre : « Fraternité de ceux qui ont donné, de tous les continents, de toutes les religions, de toutes les fortunes, unis par l'espérance et réunis dans ces murs. Fraternité des compagnons, apprentis et de tous les métiers ici réunis sous la conduite du général Georgelin pour qui j'ai ce soir une pensée émue. ». J'aurais pu titrer cet article "Impossible n'est pas français !" et même "Paris vaut bien une messe !".

Le provincial enfant que j'étais avait été étonné en apprenant que dans les calculs de distances kilométriques pour Paris, on prenait comme point de référence Notre-Dame de Paris. Le centre de Paris. Elle est devenue le centre du monde pour quelques heures ce samedi 7 décembre 2024. Si le temps (météo) n'était pas clément, mais le temps (durée), le moment était toutefois absolument exceptionnel.

 


Encore une fois, la France se retrouve au centre de la culture, de la religion, de la politique, de la diplomatie, de l'économie, autant dire, de la civilisation du monde aujourd'hui. Et précisons qu'il n'existe véritablement qu'une seule civilisation de nos jours, celle qui relie des peuples différents, des cultures distinctes par des moyens technologiques de communication et de transports sans précédent.
 


L'année 2024 sera doublement étonnante. D'abord, cet été, avec un pays célébré et félicité pour son organisation des Jeux olympiques et paralympiques mémorables alors qu'il n'y avait plus de gouvernement. Et cette fin d'automne qui, là encore, a vu le pays sans gouvernement pour l'une de ses rares cérémonies mondiales, elle aussi mémorable. François Mitterrand avec son Bicentenaire de la Révolution, le 14 juillet 1989, n'a plus qu'à se rhabiller, il a trouvé son maître ès cérémonies, Emmanuel Macron ! Je plaisante, mais c'est un peu vrai. Pas étonnant que le pape François ne soit pas venu, il a adressé un message aux Français à cette occasion, lu dans la soirée, pour les remercier (et demander de ne pas rendre payante l'entrée de la cathédrale), mais il ne souhaitait sans doute pas se mêler aux fastes des invités d'honneur. Lui, c'est l'humilité et on ne le lui reprochera pas.

 


Une quarantaine de chefs d'État, de gouvernement étaient présents pour fêter, car il s'agit bien de fête ici, de célébrer la réouverture de Notre-Dame de Paris, d'honorer les pompiers et tous les compagnons artisans qui ont rebâti en cinq ans la cathédrale. Ce n'est pas sans précédent de réunir des dizaines de chefs d'État et de gouvernement à Notre-Dame ; depuis l'assassinat de Sadi Carnot, la plupart des Présidents de la République française ont été enterré à Notre-Dame de Paris, en particulier De Gaulle, Georges Pompidou, mais aussi François Mitterrand (le vrai enterrement a eu lieu à Jarnac) et Jacques Chirac (en fait, il aurait dû y être enterré, mais à cause de l'incendie, ce fut à l'église Saint-Sulpice), et de nombreux homologues étrangers, anciens ou en fonction, les ont accompagnés à ces ultimes hommages.
 


Ce samedi soir, et le lendemain, puisque les personnalités invitées ce soir sont aussi conviées, pour certaines, à participer à la messe du dimanche matin, sur le plan religieux, c'est la fête de l'Immaculée conception, appelée aussi la fête des Lumières à Lyon. La fête de la Vierge Marie, la fête de Notre-Dame. Cette cérémonie a eu de nombreuses facettes nationales et internationales. C'est la fête d'Emmanuel Macron et il ne pourra pas cacher sa satisfaction d'avoir réussi à mettre la France et Paris au centre du monde pendant quelques heures. Mais aussi d'avoir réussi ce pari audacieux, ce défi au temps et aux choses de vouloir reconstruire la cathédrale en cinq ans, un peu comme saint Pierre qui allait bâtir l'Église ! Évangile selon saint Matthieu : « Et moi, je te déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l'emporetera pas sur elle ! » (chapitre 16, versets 18).
 


La principale facette, c'est l'aspect diplomatique. Emmanuel Macron n'est pas seul au monde et a gardé un indéniable leadership. La meilleure reconnaissance a été la venue du Président élu Donald Trump, au-delà de Jill Biden, représentant son mari Joe Biden. Donald Trump, bien avant l'incendie, avait visité Notre-Dame de Paris (en tant que Président des États-Unis) et en était ressorti enchanté, comme lorsqu'on visite Disneyland !

Il ne faut pas sous-estimer que Notre-Dame de Paris n'appartient pas qu'aux Parisiens ou qu'aux Français, mais au monde entier : elle est l'emblème international de la France, bien sûr, au même titre que la Tour Eiffel, mais pas seulement. Victor Hugo, par son œuvre littéraire, a non seulement forcé les autorités françaises à se préoccuper de cette cathédrale si haute en patrimoine, mais aussi les citoyens du monde entier. Les enfants américains connaissent tous l'existence de Notre-Dame de Paris et en rêvent comme d'autres rêvent du château de la Belle au bois dormant. Elle fait partie, au monde, de la magie des lieux exceptionnels, comme les pyramides, comme d'autres monuments intemporels. L'émotion le jour de l'incendie a été ressentie bien au-delà des frontières françaises et européennes.


 


Mais pour la facette diplomatique, il ne s'agit pas de cette émotion internationale du symbole magique de la France. Il s'agit d'actualité brûlante, avec des événements dramatiques au même moment, la chute de Damas, en Syrie, et la fuite de Bachar El-Assad et de son cruel régime, qui bouleverse complètement le Moyen-Orient, dont les conséquences sont encore très mal analysées, et qui est immanquablement l'une des conséquences du cruel massacre du 7 octobre. Il s'agit aussi de la guerre en Ukraine.

 


Emmanuel Macron, futur Prix Nobel de la Paix ? En tout cas, il a su réunir le Président américain élu Donald Trump et le Président ukrainien Volodymyr Zelensky à l'Élysée pour une première rencontre diplomatique, et cette rencontre a été improvisée, elle n'était prévue que dans les minutes qui l'ont précédée (le retard de Donald Trump faisait télescoper son rendez-vous avec celui du Président ukrainien). Très émouvant aussi, car spontanément, Volodymyr Zelensky a été applaudi par le peuple de Paris qui était présent, et à l'intérieur de la cathédrale, par les chefs d'État et de gouvernement qui y étaient présents.

 


La présence même de Donald Trump a été sans doute la plus grande victoire diplomatique d'Emmanuel Macron. Donald Trump a ainsi réservé à la France sa première visite internationale, c'est une belle reconnaissance de l'importance de la France dans le monde. Cela a été aussi l'occasion de rencontrer les futurs homologues de Donald Trump venus à la fête. Comme un parrain, il a salué de nombreux chefs d'État et de gouvernement très flattés de pouvoir faire une première approche avec le futur Président des États-Unis.

 


La très courageuse Présidente géorgienne Salomé Zourabichvili est venue le saluer pour tenter d'y trouver un allié dans son combat contre Vladimir Poutine. Même le gouvernement français démissionnaire était intimidé, Michel Barnier en premier, qui regardait Donald Trump avec une certaine fascination, celle d'un enfant approchant un animal fantastique.

 


Ce n'est pas non plus un hasard si Donald Trump est venu avec une cravate jaune sur un costume bleu, les couleurs de l'Ukraine. Elon Musk s'est invité aussi à la cérémonie, au grand dam du protocole.

 


Il y a eu la facette culturelle, qui est celle que la culture réunit bien au-delà de la religion. La cathédrale est un patrimoine reconnu au-delà des chrétiens, au-delà des Parisiens, au-delà des Français, au-delà du religieux. C'est de l'architecture, c'est de l'histoire (dans son discours, Emmanuel Macron a rappelé l'imbrication de Notre-Dame de Paris avec l'histoire de France, depuis saint Louis jusqu'à De Gaulle), c'est aussi le symbole de l'esprit face au matériel, d'une puissance transcendante face au temporel. C'est la nation française qui transcende au-delà des passions religieuses. Il faut ainsi voir cette fraternité dans la diversité des religions. Notre-Dame de Paris fait nation. Emmanuel Macron, qui ne voulait pas prononcer son discours à l'intérieur de la cathédrale, mais les conditions météorologiques l'ont empêché de s'exprimer à l'extérieur, a réussi à ne pas provoquer de polémique sur la laïcité : la laïcité est la neutralité de l'État, pas l'opposition de l'État aux religions. Les athées, les agnostiques, les musulmans, les autres croyants ont tous communié avec les catholiques et les autres chrétiens pour cette renaissance de Notre-Dame de Paris, c'était donc une cérémonie fédératrice, fédératrice de la nation, fédératrice des religions (œcuménisme), et fédératrice des nations au pluriel. Ce n'est pas si fréquent, c'est pour cela qu'il faut le souligner. Oui, Paris vaut bien une messe !

Et impossible n'est pas français ! Emmanuel Macron a été personnellement responsable de deux choses essentielles pour Notre-Dame de Paris. D'abord, la décision de prendre le risque d'aller sauver les cloches dans une tour. Le risque était grand, il était mortel. La décision n'a pas dû être facile à prendre, soit la vie de dizaines de pompiers, et chaque vie est aussi précieuse qu'un monument historique, soit la préservation, l'existence pure et simple de la cathédrale, car l'effondrement des tours lui aurait été fatal. Le fait qu'il n'y a pas eu de mort, heureusement, ne doit pas faire sous-estimer la folie d'une telle décision.
 


Dans son petit discours, d'ailleurs, Emmanuel Macron a rappelé cet épisode : « Le 15 avril 2019, la nouvelle de l'incendie a couru de lèvres en lèvres. Les images de flammes dévorant le transept, la fumée noire, la flèche qui vacille puis s'effondre dans un fracas d'ossements, et ces heures de combats face au feu. La décision de lui laisser sa part et ces minutes désespérées où tout pouvait partir, où la pierre, le bois, les vitraux auraient pu disparaître. (…) Il y eut surtout de la bravoure. Celle de ces sapeurs pompiers et de leur chef, envoyés pour une dernière tentative, plus dangereuse encore que les autres, ces hommes, escaladant la façade, plongeant dans le feu afin d'empêcher les seize cloches de tomber, et avec elles, toute la cathédrale. À 22 heures 47, retentit ce message : nous sommes maîtres du feu. Les pompiers reprenaient l'avantage, et il n'y eut, cette nuit, aucun mort. ». Aucun mort, cela a dû être le principal soulagement de tous sa Présidence.
 


Du reste, avant ce discours et avant l'interprétation des talentueux frères Capuçon d'une œuvre de Haendel, les pompiers ont été vivement honorés en défilant dans l'allée principale de la cathédrale.

 


Cet épisode a notamment ému Donald Trump car il a dû repenser à l'effondrement des Twin Towers du World Trade Center le 11 septembre 2001 et à la mort des pompiers qui ont tenté de sauver les personnes travaillant à l'intérieur, qui ont représenté 10% des milliers de victimes. L'effondrement de la flèche de Notre-Dame a aussi rappelé chez les Américains cette tragédie.

Le second point, c'est le choix de rebâtir Notre-Dame de Paris à l'identique, c'est-à-dire selon les choix de Viollet-le-Duc. Emmanuel Macron était plutôt favorable à un élément d'architecture moderne (moi aussi, pas forcément pour la flèche), mais il a finalement été convaincu par l'architecte en chef de Notre-Dame, Philippe Villeneuve, que le choix de l'identique semblait plus adéquat. Comme quoi, le Président est aussi capable d'écouter ce qu'on lui dit. Tous ceux, surtout parisiens, qui considéraient Notre-Dame comme faisant partie de leur paysage quotidien depuis leur enfance ou leur jeunesse ont dû le remercier de ce choix.

En fait, Emmanuel Macron est le responsable de trois et pas de deux éléments majeurs dans la reconstruction, la premier, c'est évidemment d'avoir fixé le délai de cinq ans pour terminer les travaux, là où dix ou vingt auraient dû être nécessaires selon les plus connaisseurs. C'est cette folie des objectifs qui a permis de faire des miracles. La première chose qu'il faut rappeler, une règle managériale, c'est que même si on ne connaît pas le temps pour un projet, il faut se donner un agenda, des repères, des objectifs de calendrier, quitte à les repousser ensuite, mais il faut se fixer des objectifs. La seconde chose, c'est que le volontarisme fait des miracles, en organisant tout un mouvement pour aller jusqu'au bout de l'action.

 


D'ailleurs, au-delà de la volonté politique, il y a bien sûr l'aspect financier dans une époque budgétaire pourtant désastreuse, mais même cette considération a été au-delà des espérances : 340 000 donateurs venus du monde entier, et, certes, quelques grosses fortunes ont contribué massivement, ce qui a apporté 800 millions d'euros très rapidement... un budget en bénéfices qui pourra aussi servir aux rénovations prévues avant l'incendie de Notre-Dame. C'est probablement l'une des raisons de la réussite sur le délai : il n'y avait pas de limite financière au projet. Dans la vie réelle (par exemple, dans les gros chantiers publics, comme le désamiantage de Jussieu), il y a toujours une sous-évaluation du coût du gros chantier public (pour une raison simple : l'État est surendetté et ne prend la décision que si le coût est "raisonnable").

Dans la facette culturelle, il faut aussi souligner l'extraordinaire choix du couturier Jean-Charles de Castelbajac d'avoir choisi de concevoir de très belles chasubles avec des couleurs vives, ce qui a donné des allures de joie et de modernité à une liturgie qui aurait pu sembler vieillotte et ennuyeuse (d'autant plus que l'archevêque de Paris Mgr Laurent Ulrich, qui a ouvert la grande porte de Notre-Dame, n'est pas ce qu'on appelle un homme très charismatique).
 


Bien sûr, il y a eu aussi la facette économique du génie français, de l'excellence française, reconnue par le monde entier. Encore une nouvelle fois, après les JOP. C'est la grande fierté d'Emmanuel Macron, celle d'avoir su atteindre son objectif ô combien ambitieux et périlleux. Le volontarisme fait des miracles. Emmanuel Macron s'est hissé au rang de De Gaulle en termes de volontarisme. Il y a aussi un autre Président qui a cultivé le volontarisme, Nicolas Sarkozy, mais sans doute son volontarisme tournait à vide, par manque de culture, manque d'horizons.

Emmanuel Macron a su mener à merveilles ce projet de reconstruction de la cathédrale, en particulier en nommant Jean-Louis Georgelin dont la mémoire a été honorée au cours de la cérémonie (il est mort dans une randonnée en montagne en 2023 ; il expliquait qu'il était un militaire, qu'il obéissait et quand on lui a dit cinq ans, il a agi pour atteindre ces cinq ans). C'est la démonstration de l'excellence française, de la capacité des Français à s'unir, à remonter leurs manches et à faire excellent, reconnus par tous dans le monde. Avec cette reconstruction, il y a de quoi être fier d'être Français.

Incontestablement, il y a bien deux France. La France de l'excellence, du rayonnement culturel, du phare intellectuel, qui éblouit toutes les nations, et, en même temps, cette classe politique pourrie par la haine et l'arrivisme, par l'irresponsabilité et le cynisme, par le populisme et la démagogie, qui a adopté une motion de censure pour d'obscures raisons d'intérêts particuliers en oubliant l'objectif principal d'un engagement politique, servir les Français, servir la Nation. En clair, être patriote ! Heureusement, Emmanuel Macron est là et résistera à ces forces du déclin et de la division. Nos amis étrangers ont, eux aussi, déjà choisi. Et les Français lui en rendront crédit.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 décembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Notre-Dame de Paris, capitale du monde !
5 euros pour visiter Notre-Dame de Paris ?
Jean-Louis Georgelin.
Eugène Viollet-le-Duc.
Notre-Dame de Paris : la flèche ne sera pas remplacée par une pyramide !
La Renaissance de Notre-Dame de Paris : humour et polémiques autour d’une cathédrale.
Allocution du Président Emmanuel Macron du 16 avril 2019 (texte intégral).
Notre-Dame de Paris, double symbole identitaire.
Maurice Bellet, cruauté et tendresse.











https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241207-notre-dame-de-paris.html

https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/notre-dame-de-paris-capitale-du-258043

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/12/07/article-sr-20241207-notre-dame-de-paris.html




 

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29 novembre 2024 5 29 /11 /novembre /2024 04:18

« L’ambassade de France a remis une lettre du Ministre français de la Justice au Ministre indonésien de la Justice, datée du 4 novembre [2024], contenant une demande de transfert du prisonnier français nommé Serge Atlaoui. » (Yusril Ihza Mahendra, le 29 novembre 2024 à l'AFP).



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Vous vous souvenez de Serge Atlaoui ? Non ? Ce Français, aujourd'hui âgé de 60 ans, croupit dans une prison indonésienne depuis le 11 novembre 2005 et il a été condamné à mort le 29 mai 2007.

Son tort ? Probablement un manque de discernement. Sur petite annonce, il avait postulé pour un poste de soudeur, son métier, à Jakarta, très bien payé. Il pouvait savoir que c'était louche, c'était forcément du travail au noir, mais il était aussi un peu naïf. Sa mission était de venir réparer, ou entretenir des machines dans une prétendue usine d'acrylique. C'est en tout cas ce qu'il avait cru. Mais la police indonésienne a fait irruption et il a été considéré comme un trafiquant de drogue, un chimiste, car l'atelier servait en fait à transformer des stupéfiants. Les procès n'ont pas eu toutes les garanties pour la défense, ne serait-ce qu'à cause de la langue indonésienne. Depuis dix-sept ans, il clame ainsi son innocence pour la drogue et reconnaît sa culpabilité pour le travail au noir. Il est en prison depuis dix-neuf ans, ce qui, pour du travail au noir, est cher payé. Depuis 2015, il n'a plus aucun recours possible.

En Indonésie, comme dans d'autres pays voisins, le trafic de drogue est lourdement puni car c'est un véritable fléau social. Le nouveau Président indonésien, Joko Widodo, élu le 9 juillet 2014 et entré en fonction le 20 octobre 2014, partisan de l'ouverture économique de son pays, s'est fait élire sur une sévérité accrue contre les trafiquants de drogue. Ainsi, il a interrompu le moratoire sur les exécutions qui ont repris sous son premier mandat, trois fois, principalement des condamnés étrangers : le 18 janvier 2015, le 29 avril 2015 et le 29 juillet 2016.

Le 22 avril 2015, le nom de Serge Atlaoui figurait sur la liste des personnes à exécuter le 29. La liste est publiée quelques jours avant l'exécution pour donner le temps aux familles des condamnés de venir les rencontrer une dernière fois. Le 25 avril 2015, in extremis, son nom et celui de Mary Jane Veloso ont été retirés. Les deux ont aussi échappé à la troisième série d'exécutions le 29 juillet 2016.

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Pour Serge Atlaoui, il y a eu une sorte d'instrumentalisation de l'horreur par les autorités indonésiennes puisque peu auparavant, le 20 juillet 2016, a été définitivement adoptée à l'Assemblée Nationale une loi importante sur la biodiversité, qui aurait dû taxer plus lourdement les produits à base d'huile de palme (loi n°2016-1087 du 8 août 2016), ce qui aurait eu des effets économiques néfastes sur les palmeraies indonésiennes. Dans cet odieux chantage, l'Indonésie a gagné, puisque la taxe n'a finalement pas été votée (on a parlé de pression sur certains parlementaires de la majorité de gauche à l'époque).

Mary Jane Veloso (aujourd'hui 39 ans) était une jeune mère employée de maison de nationalité philippine venue chercher du travail en Indonésie. Elle a été arrêtée à l'aéroport de Jakarta en avril 2010 en possession de 2,6 kilogrammes d'héroïne. Elle a été piégée naïvement en Malaisie par des recruteurs véreux qui lui avaient donné pour mission de transporter des bagages dont elle ne connaissait pas le contenu. Ce n'était pas la première à avoir été ainsi trompée par des recruteurs qui profitent de la précarité de ces immigrées en leur faisant prendre des risques monstrueux, et étant donné la sévérité de la justice indonésienne, elle a été condamnée à mort en octobre 2010, et faisait partie, comme Serge Atlaoui, de la liste des personnes à exécuter le 29 avril 2015.


Son nom a toutefois été heureusement retiré in extremis, mais à la différence de Serge Atlaoui, qui a été défendu discrètement et en permanence par la diplomatie française, Mary Jane Veloso n'a pas été protégée par le Président des Philippines, Rodrigo Duterte, élu le 9 mai 2016 et en exercice entre le 30 juin 2016 et le 30 juin 2022. Or Rodrigo Duterte, qui souhaitait aussi lutter efficacement contre les trafiquants de drogue dans son pays, acceptant voir encourageant leurs règlements de compte meurtrier (lutte par délégation !), n'a pas voulu vraiment intervenir sur la justice indonésienne.

Depuis avril 2015, les deux condamnés à mort, le Français et la Philippine, sans remise de peine, sont encore dans les couloirs de la mort et risquaient jusqu'à la semaine dernière d'être exécutés à tout moment. Mais la situation a bougé très récemment.

Rodrigo Duterte n'a pas pu se représenter à l'élection présidentielle aux Philippines du 9 mai 2022 parce que la Constitution limite à un seul mandat. Sa Vice-Présidente Leni Robredo s'est présentée à sa place mais Bongbong Marcos, également candidat, l'a battue, très confortablement élu dès le premier tour, avec 58,8% des voix. Son mandat a commencé le 30 juin 2022.

Et ce Président philippin a annoncé le 24 novembre 2024 qu'un accord avait été trouvé entre l'Indonésie et les Philippines pour un retour d'ici à janvier 2025 de Mary Jane Veloso à Manille. Elle pourra poursuivre sa peine dans son pays, aux Philippines. Une annonce qui a bien sûr soulagé famille et amis de la jeune condamnée à mort car si elle quitte l'Indonésie, elle est sûre qu'elle ne sera pas exécutée.

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Depuis cinq jours, les interrogations se faisaient donc également sur le sort du Français Serge Atlaoui jusqu'à cette déclaration officielle de Yusril Ihza Mahendra, le Ministre indonésien chargé des Affaires juridiques et des droits humains, ce vendredi 29 novembre 2024 en début de matinée à l'Agence France Presse (AFP). Selon lui, la France, par la voix de son ministre Didier Migaud, aurait officiellement demandé, au début de ce mois, au gouvernement indonésien le rapatriement de Serge Atlaoui. Pour l'instant, le Quai d'Orsay n'a pas confirmé l'information, préférant sans doute la discrétion tant qu'aucun accord n'est conclu.

Yusril Ihza Mahendra avait expliqué le 28 novembre 2024 que l'Indonésie était en négociations avec trois pays, les Philippines, la France et l'Australie, pour le rapatriement de leurs ressortissants condamnés en Indonésie, et il espérait que ces transferts se fassent d'ici à la fin du mois de décembre 2024, ce qui serait un très heureux cadeau de Noël. Pour l'Australie, cela concernerait cinq Australiens condamnés à de lourdes peines de prison, membres d'un gang et arrêtés en 2005. Ce sujet serait abordé à Jakarta dans quelques jours lors de la visite du Ministre australien de l'Intérieur Tony Burke en Indonésie. Il ne faut pas oublier que parmi les condamnés exécutés le 29 avril 2015 se trouvaient des citoyens australiens.


Selon l'association de défense des droits Kontras, il y aurait dans les prisons indonésiennes 530 personnes condamnées à mort qui attendent d'être exécutées, dont 88 étrangers. Un autre Français Félix Dorfin avait été arrêté à Lombrok et condamné à mort en 2019 pour trafic de drogue, et la peine a été commuée en une peine de dix-neuf ans de prison (Félix Dorfin a lui aussi toujours nié sa culpabilité).

À l'évidence, si les choses bougent, c'est parce qu'il y a eu un changement à la tête de l'Indonésie. En effet, le nouveau Président de la République d'Indonésie Prabowo Subianto, élu le 14 février 2024, a pris ses fonctions il y a un mois, le 20 octobre 2024. Il était l'adversaire de son prédécesseur aux deux précédentes élections présidentielles. Joko Widodo a été réélu Président de la République d'Indonésie le 17 avril 2019, mais son adversaire a contesté les résultats. Toutefois, dans un retournement de l'histoire, Prabowo Subianto s'est finalement rapproché de Joko Widodo et a été nommé Ministre de la Défense le 23 octobre 2019. Un rapprochement à tel point que Joko Widodo, qui ne pouvait pas solliciter de troisième mandat (c'est limité à deux mandats), a soutenu à l'élection du 14 février 2024 son ancien rival Prabowo Subianto contre Ganjar Pranowo, le candidat de son propre parti ! En échange, Prabowo Subianto a pris sur sa liste, comme candidat à la Vice-Présidence, Gibran Rakabuming Raka, le propre fils de Joko Widodo. Prabowo Subianto a été élu dès le premier tour avec 58,6% des voix.

Ce qui est étrange, c'est le parallèle présidentiel entre l'Indonésie et les Philippines. Les deux nouveaux Présidents ont été élus dès le premier tour avec à peu près le même score, 58% des voix. De plus, les deux ont une particularité commune, bien qu'élus démocratiquement. Bongbong Marcos est le fils du dictateur philippin Ferdinand Marcos, au pouvoir du 30 décembre 1965 au 25 février 1986, et Prabowo Subianto est le gendre du dictateur indonésien Suharto, au pouvoir du 12 mars 1967 au 21 mai 1998.

Peut-être faut-il voir aussi le déblocage en Indonésie par le fait que ce pays commence à avoir des relations commerciales un peu plus importantes avec la France ? En particulier sur les armes ? Effectivement, alors Ministre de la Défense, Prabowo Subianto a été reçu à Paris en grandes pompes le 13 janvier 2020 par son homologue française Florence Parly. Deux ans plus tard, l'Indonésie a acheté à la France 42 Rafales pour un montant de 5,7 milliards d'euros, première tranche d'un programme plus vaste de 108 milliards d'euros prévu entre 2021 et 2024.

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Qu'importe les raisons : Serge Atlaoui, comme Mary Jane Veloso, n'avait aucune raison de rester dans une prison indonésienne. Sur ce qu'il a vraiment commis comme délit, il l'a largement payé avec près de vingt ans de prison, ce qui est très lourd en France (c'est la peine demandée le 25 novembre 2024 par le parquet d'Avignon pour Dominique Pélicot dans le procès des 51 violeurs de Mazan). J'espère donc que Serge Atlaoui pourra passer les fêtes de fin d'année auprès des siens dans son pays. Sans être trop optimiste, cela paraît sérieusement probable.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 novembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Enfin une bonne nouvelle pour Serge Atlaoui ?
Varisha Moradi.
7 pistes de réflexion sur la peine de mort.
Une lueur d’espoir pour Serge Atlaoui ?
Taxe Nutella : Serge Atlaoui, otage de l’huile de palme ?
Vives inquiétudes pour Mary Jane Veloso.
Le cauchemar de Serge Atlaoui.
Peine de mort pour les djihadistes français ?

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241129-serge-atlaoui.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/enfin-une-bonne-nouvelle-pour-257890

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/27/article-sr-20241129-serge-atlaoui.html








 

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18 novembre 2024 1 18 /11 /novembre /2024 03:14

« Ceux qui discutaient ses idées et qui savaient sa force sentaient aussi ce que, dans nos controverses, ils devaient à ce grand foyer de lumière. Ses adversaires sont atteints comme ses amis et s'inclinent avec tristesse devant notre tribune en deuil. Mais, que dis-je, y a-t-il encore des adversaires ? Non, il n'y a plus que des Français... des Français qui, depuis quarante-quatre ans, ont fait à la cause de la paix tous les sacrifices, et qui, aujourd'hui sont prêts à tous les sacrifices pour la plus sainte des causes : le salut de la civilisation, liberté de la France et de l'Europe. Du cercueil de l'homme qui a péri martyr, de ses idées sort une pensée d'union ! De ses lèvres glacées sort un cri d'espérance. Maintenir cette union, réaliser cette espérance, pour la patrie, pour la justice, pour la conscience humaine, n'est-ce pas le plus digne hommage que nous puissions lui rendre ? » (Paul Deschanel, le 4 août 1914 au perchoir de l'Assemblée Nationale).




 


Il y a cent ans, le dimanche 23 novembre 1924, les cendres de Jean Jaurès ont été transférées au Panthéon (depuis sa tombe au grand cimetière d'Albi) à l'occasion d'une grande cérémonie à vocation républicaine mais aussi politique. Jaurès, comme Gambetta, Clemenceau, De Gaulle, Foch et Leclerc, fait partie des très rares personnalités de la République française à généralement ne pas avoir son prénom collé à son nom, tellement ils font partie du paysage politique et historique.

Pour l'occasion, la ville de Carmaux (dans le Tarn), dont Jaurès était l'élu (il voulait représenter les mineurs de Carmaux), a proposé à ses administrés un voyage organisé à Paris du 22 au 24 novembre 2024 pour revivre les moments Jaurès, à l'ancienne gare d'Orsay, au café du Croissant, au Palais-Bourbon, au Palais du Luxembourg, et bien sûr, au Panthéon.


Le leader du socialisme à la française, fondateur du journal "L'Humanité", est mort assassiné un peu plus de dix ans auparavant, le 31 juillet 1914, sous les balles d'un assassin d'extrême droite, alors qu'il prenait un repas dans un restaurant parisien. La mort du pacifiste coïncide aussi avec le début de la Première Guerre mondiale, déclarée le 3 août 1914 à la France par l'Allemagne à la suite d'un déchaînement d'événements provoqués par l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche, l'héritier de l'empire austro-hongrois (et sa femme), le 28 juin 1914 à Sarajevo par un nationaliste serbe (l'Autriche-Hongrie avait déjà déclaré la guerre à la Serbie le 28 juillet 1914).

Pour les socialistes, l'assassinat de Jaurès et le début de la guerre ont définitivement coupé leur élan pacifiste et plongé la classe politique française dans l'Union nationale face à l'ennemi. C'est bien beau d'être pacifiste, mais si on vous déclare la guerre, il faut bien répondre, sinon, on est envahi (c'est l'objet de la résistance ukrainienne face aux troupes de Vladimir Poutine depuis plus de mille jours). C'est d'ailleurs un socialiste, René Viviani, cofondateur de "L'Humanité", qui, devenu Président du Conseil le 13 juin 1914, allait mettre en place et mener l'Union nationale au début de la guerre.


Le 4 août 1914, après l'hommage du Président de la Chambre Paul Deschanel (futur Président de la République en 1920) à Jean Jaurès, René Viviani a d'ailleurs lu le fameux message du Président de la République Raymond Poincaré annonçant la guerre : « Aussi attentive que pacifique, [la France] s'était préparée ; et nos ennemis vont rencontrer sur leur chemin nos vaillantes troupes de couverture, qui sont à leurs postes, et à l'abri desquelles s'achèvera métho­diquement la mobilisation de toutes nos forces nationales. Notre belle et courageuse armée, que la France accompagne aujourd'hui de sa pensée maternelle, s'est levée, toute frémissante, pour défendre l'honneur du drapeau et le sol de la patrie. Le Président de la République, interprète de l'unanimité du pays, exprime à nos troupes de terre et de mer l’admiration et la confiance de tous les Français. ».

Le message très consensuel (voir en début d'article) de Paul Deschanel, alors républicain modéré (aujourd'hui, de centre droit), en hommage à Jean Jaurès (socialiste), qui avait pour ambition de rassembler toute la classe politique derrière le seul impératif, défendre la patrie, en pleine déclaration de guerre, était aussi un premier signe de volonté de consensus des grands hommes de la République au-delà des clivages politiques.


Et le transfert des cendres de Jaurès au Panthéon répondait d'abord à un objectif politique très déterminé : la gauche, revenue au pouvoir pour la première fois depuis la fin de la guerre, avec la victoire du Cartel des gauches aux élections législatives des 11 et 25 mai 1924, voulait revenir aux sources en honorant Jean Jaurès afin de montrer que le nouveau gouvernement, dirigé par le président du parti radical Édouard Herriot depuis le 14 juin 1924, n'était pas "bourgeois". Cela permettait de mobiliser les "classes populaires" derrière ce gouvernement, tout en rendant au nom de la République (et pas de la gauche) un hommage solennel à Jean Jaurès (qui, rappelons-le, n'a jamais été au pouvoir au contraire de Georges Clemenceau et Léon Blum).

Aristide Briand, qui avait visité le Panthéon avec Jaurès, pouvait pourtant témoigner que Jaurès n'aurait jamais voulu être inhumé dans ce temple de la République, mais peut-être l'a-t-il fait savoir avec trop peu d'insistance (au contraire de De Gaulle). Voici ce qu'il disait à Aristide Briand : « Il est certain que je ne serai jamais porté ici. Mais si j’avais le sentiment qu’au lieu de me donner pour sépulture un de nos petits cimetières ensoleillés et fleuris de campagne, on dût porter ici mes cendres, je vous avoue que le reste de ma vie en serait empoisonné. ».

Beaucoup d'élus de gauche comme Léon Blum et aussi Paul Painlevé, voulaient quand même honorer celui qui était contre l'injustice commise au capitaine Alfred Dreyfus. Un projet de loi a donc été déposé le 9 juillet 1924 pour faire ce transfert au Panthéon et il a été adopté au Sénat et à la Chambre des députés le 31 juillet 1924, au jour symbolique du dixième anniversaire de son assassinat. À cette époque, loin de faire consensus, ce transfert avait été violemment combattu tant par les députés nationalistes de l'Action française que par les communistes qui considéraient que le Cartel des gauches volaient Jaurès alors qu'ils s'en réclamaient aussi (la scission entre communistes et socialistes au congrès de Tours était encore toute fraîche).
 


La cérémonie fut organisée minutieusement, de manière très théâtrale, selon la volonté des députés socialistes ; elle fut confiée au metteur en scène Firmin Gémier (que ceux qui y voient un parallèle avec la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques à Paris le 26 juillet 2024 confiée à Thomas Jolly gagnent un bon point !). Ce fut un grand moment de la République au même titre que les funérailles de Victor Hugo. Le cercueil de Jaurès est arrivé à la gare d'Orsay le 22 novembre 1924 accompagné par les mineurs de Carmaux, puis installé dans la salle Casimir Périer du Palais-Bourbon pour la nuit, où veillaient la famille, le gouvernement et quelques autres parlementaires.

En 1938, Paul Nizan donna de cette veillée une version très négative, dénonçant son insincérité politique : « C'était une intolérable nuit. Dans ce grand alvéole de pierre, Laforgue et ses amis avaient l'impression d'être les complices silencieux de politiques habiles qui avaient adroitement escamoté cette bière héroïque et cette poussière d'homme assassiné, qui devaient être les pièces importantes d'un jeu dont les autres pions étaient sans doute des monuments, des hommes, des conversations, des votes, des promesses, des médailles et des affaires d'argent : ils se sentaient moins que rien parmi tous ces types calculateurs et cordiaux. Heureusement, il venait parfois à travers les murailles et la rumeur étouffée des piétinements et des musiques, comme une rafale de cris, et ils se disaient alors qu'il devait exister dans la nuit une espèce de vaste mer qui se brisait avec de la rage et de la tendresse contre les falaises aveugles de la Chambre ; ils ne distinguaient pas de quels mots ces cris étaient faits, mais ils devinaient quelquefois Jaurès au bout de ces clameurs. ».

Le lendemain fut grandiose, raconté par un fonctionnaire de la Chambre, Georges Gatulle, cité par le site de l'Assemblée Nationale : « À midi 45, on a fait avancer le pavois destiné à recevoir le corps. Le pavois de 26 m de long, sur 5 m de haut, enveloppé de drap d'argent prolongé par une grande traîne tricolore, et surmonté d'un catafalque noir, sans ornement, a été porté à bras jusqu'au Panthéon par 70 mineurs de Carmaux en costume de travail. La levée du corps a eu lieu à 13h10 ». Environ 120 000 à 150 000 personnes auraient assisté au cortège qui s'est acheminé jusqu'au Panthéon à 14 heurs 30.


À l'intérieur du bâtiment, 2 000 invités privilégiés, dont le gouvernement et le Président de la République Gaston Doumergue, ont écouté le discours du Président du Conseil Édouard Herriot qui n'a pas prononcé une seule fois le mot de socialisme et qui a fait de Jaurès avant tout un héraut de la République : « Ce vaste esprit (…) se hausse au-dessus de l'enfer des faits et, même dans le temps où il accorde le plus à l'influence des forces économiques, il ne cesse de proclamer sa croyance au pouvoir de la libre volonté humaine dans sa lutte contre les milieux pour construire la cité d'harmonie où le travail, affranchi de ses servitudes, fleurirait comme une joie (…). Quelles que fussent, au reste, ses opinions et ses doctrines, Jaurès les inscrivit toujours dans le cadre de l'institution républicaine. (…) Il y voit "la forme définitive de la vie française" et "le type vers lequel évoluent lentement toutes les démocraties du monde". Mais, (…) il ne fut pas moins dévoué à la France dont toutes les qualités se retrouvaient dans son génie (…). Certes, il voulut la paix. (…) "Assurer cette paix par une politique évidente de sagesse, de modération et de droiture, par la répudiation définitive des entreprises de force, par l'acceptation loyale et la pratique des moyens juridiques nouveaux qui peuvent réduire les conflits sans violence. Assurer aussi la paix, vaillamment, par la constitution d'un appareil défensif si formidable que toute pensée d'agression soit découragée chez les plus insolents et les plus rapaces". C'était son programme. ».

Si c'était le seul discours politique, le premier bénéficiant de microphones pour élever le volume de la voix et la retransmettre à la radio, la cérémonie continuait avec la lecture d'un poème de Victor Hugo (lu par une sociétaire de la Comédie-Française) puis par un oratorio chanté par un chœur de six cents personnes, ce qui donne la mesure de cette cérémonie très fastueuse (qui a fait école, puisque la plupart des cérémonies ressemblent désormais à celle-ci).
 


Comme écrit à propos de l'adoption de la loi sur le transfert au Panthéon, il n'y avait pas consensus à l'époque puisque les communistes, exclus de la cérémonie, ont tenté de faire un défilé et une cérémonie parallèle pour protester contre la récupération politicienne de Jaurès par les radicaux et les socialistes, mais aussi, de leur côté, les militants d'extrême droite de l'Action française ont organisé avec un discours de Léon Daudet une cérémonie d'hommage à un nationaliste assassiné par une militante anarchiste qui avait voulu venger Jaurès.

Le consensus républicain sur Jaurès est arrivé bien plus tard.

Plus ou moins sincèrement, les leaders de gauche, en particulier socialistes, se sont souvent emparé de la figure tutélaire de Jean Jaurès, en se revendiquant ses héritiers. C'était le cas de Léon Blum, bien sûr, mais aussi de Pierre Mendès France, de François Mitterrand (qui, lors de son intronisation à l'Élysée, le 21 mai 1981, est descendu au Panthéon poser une rose sur la tombe de Jaurès), Lionel Jospin, et même François Hollande. Je précise bien "plus ou moins sincèrement" puisque dès 1924, avec Édouard Herriot dans cet ancrage emblématique, la sincérité était mise au service avant tout des arrières-pensées politiques !


Mais des personnalités dites de droite ont aussi rendu hommage à Jaurès d'une manière ou d'une autre, le premier Paul Deschanel le 4 août 1914 (voir au début de l'article), aussi De Gaulle qui n'hésitait pas à considérer Jaurès, en 1937, comme l'un des seuls hommes d'État valables de la Troisième République qui avait montré courage, intelligence et sens national, et même Nicolas Sarkozy, qui s'en revendiquait très étrangement en 2007 juste avant son élection à la Présidence de la République, et Alain Juppé venu participer à un colloque le 25 juin 2014 sur le centenaire de l'assassinat de Jaurès à la Sorbonne aux côtés de Robert Badinter, Henri Nallet, Laurent Fabius, Alain Richard, Christiane Taubira, Claude Bartolone, Pierre Bergé, Jean-Noël Jeanneney, etc.

Enfin, c'est même le cas aussi de personnalités ni de gauche ni de droite, comme le Président Emmanuel Macron qui a rendu implicitement hommage à Jaurès en décidant de faire lire le 2 novembre 2020 (rentrée après les vacances de la Toussaint) sa lettre aux instituteurs et institutrices (publiée le 15 janvier 1888 dans "La Dépêche de Toulouse") aux écoliers de France à l'occasion de l'hommage national rendu à Samuel Paty qui venait d'être assassiné (le 16 octobre 2020). Jaurès avait notamment écrit : « Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes responsables de la patrie. (…) Ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fierté unie à la tendresse. Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort. (…) J’en veux mortellement à ce certificat d’études primaires qui exagère encore ce vice secret des programmes. Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement, en sacrifiant la réalité à l’apparence ! Mon inspection serait bientôt faite dans une école. Je ferais lire les écoliers, et c’est là-dessus seulement que je jugerais le maître. Sachant bien lire, l’écolier, qui est très curieux, aurait bien vite, avec sept ou huit livres choisis, une idée, très générale il est vrai, mais très haute de l’histoire de l’espèce humaine, de la structure du monde, de l’histoire propre de la terre dans le monde, du rôle propre de la France dans l’humanité. Le maître doit intervenir pour aider ce premier travail de l’esprit ; il n’est pas nécessaire qu’il dise beaucoup, qu’il fasse de longues leçons ; il suffit que tous les détails qu’il leur donnera concourent nettement à un tableau d’ensemble. ».

Comme on le voit, Jaurès est devenu l'homme de tous les courants politiques, du moins, de tous les courants républicains (je doute que l'extrême droite se réfère aujourd'hui à Jaurès). En fait, toutes les grandes personnalités de la République française, qui, durant leur existence politique, ont suscité de nombreuses passions françaises et ont été très clivantes, qui ont déchaîné adhésions massives ou rejet total, sont aujourd'hui réunies au sein d'un même consensus républicain qui les honore bien au-delà de tous les partis politiques.

C'est dans le processus républicain normal et régulier que la République "digère" (je n'ai pas d'autre verbe) ses acteurs pourtant très passionnés et très clivants (très détestés ou très admirés de leur vivant, je le répète) pour les faire aimer de toutes les générations suivantes. Les transferts au Panthéon y concourent, bien sûr, mais pour un nombre ultra-limité de personnalités politiques. D'autres moyens permettent aussi cette reconnaissance consensuelle, en particulier l'appellation des lieux, les noms de rues des villes, les noms d'établissements scolaires, les noms de différents équipements (centres culturels, salles de spectacle, aéroports, gares ou stations de métro, arrêts de bus, gymnases, etc.). Ces personnalités (souvent de la Troisième République) font désormais partie des meubles, presque au sens propre puisque parfois, les usagers de ces rues, de ces stations de métro, etc. ne connaissent plus la personne qui a donné son nom mais uniquement le lieu associé qu'ils fréquentent. Ces personnalités font partie ainsi du patrimoine commun, du patrimoine national, du patrimoine républicain.

On peut ainsi citer d'autres personnalités qui ont divisé les Français durant leur vivant (comme Jaurès) et qui sont maintenant au patrimoine commun, j'en cite quelques-uns de manière non exhaustive, bien sûr : Clemenceau, De Gaulle, Léon Blum, Pierre Mendès France, Simone Veil, on pourrait même dire Jacques Chirac. Toutes ces personnalités n'appartiennent plus à elles-mêmes, encore moins aux partis qui les soutenaient de leur vivant, mais à l'ensemble de la Nation. Tous ont-elles vocation à avoir une postérité consensuelle ? Certainement pas, on peut déjà citer Philippe Pétain, et je doute que Jean-Marie Le Pen, même après sa mort, puisse jouir de cet unanimisme du socle républicain, que sa fille ait pu ou pas parvenir à prendre le pouvoir.

Ce consensus républicain va bien au-delà des existences personnelles et aussi des grands sujets de fâcheries politiques, de polémiques nationales, de clivages républicains. Ainsi, il n'y a plus d'opposition entre républicains et monarchistes, la République a gagné, et on aurait tendance à avoir un œil de tendre compassion pour les rares monarchistes qui existent encore (un peu comme une espèce de voie de disparition). Pour la grande guerre française de la laïcité, les catholiques sont maintenant parmi les premiers défenseurs de la loi du 9 décembre 1905 qui impose la neutralité religieuse de l'État et qui, aujourd'hui, apparaît pour certains comme un rempart indispensable contre un risque de charia. On peut aussi citer la loi sur l'IVG, le mariage pour tous et l'abolition de la peine de mort. En d'autres termes, j'ai parlé de "digérer", je pourrais parler aussi de "dissoudre" (mais pas de l'Assemblée) : les valeurs de la République dissolvent les grands clivages politiques, les passions françaises.

Et le wokisme alors, que vient-il faire dans ma réflexion ? Comme son nom l'indique, il réveille ! Oui ! C'est probablement la meilleure définition de ce mouvement flou particulièrement détestable et croissant qui tend à refaire le monde, à embêter le monde. Il réveille les anciens clivages, les anciennes passions, les anciennes polémiques. C'est un mouvement résolument tourné vers le passé, ce qui est complètement stupide quand il y a tant à faire pour anticiper l'avenir, prévoir les défis du futur.

Par exemple, lorsqu'on veut détruire les statues honorant Colbert sous (mauvais) prétexte qu'il était pour l'esclavage ou le colonialisme, c'est complètement stupide. Stupide car les personnes ne sont jamais tout blanc ou tout noir, et on vient de le voir avec l'abbé Pierre (heureusement quand même que l'on ne l'a pas transféré au Panthéon, il en était question dans les années 2010 !) et Colbert a quand même été un des constructeurs majeurs de l'État et de la France.

J'ai cité Jacques Chirac comme seul représentant (actuel) de la Cinquième République (hors De Gaulle et Simone Veil), car Jacques Chirac a su, lui aussi, par son discours sur la rafle du Vel d'hiv, le 16 juillet 1995, réunifier la France et les victimes de Pétain. Cette reconnaissance était essentielle pour refermer les plaies et tourner une page particulièrement détestable de notre histoire. Parmi les responsables politiques depuis 1958, beaucoup ont reçu des hommages appuyés de leurs adversaires politiques à leur mort (entre autres : Raymond Barre, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, Philippe Séguin, Jacques Delors, Robert Badinter, Michel Rocard, Dominique Baudis, etc.).

Le pire, d'ailleurs, c'est que repassionner sur des passions réchauffées n'a pas de sens. Sur l'esclavage : plus personne n'est pour l'esclavage et les rares qui le soutiennent sont des fantaisistes (comme les monarchistes français d'aujourd'hui). Idem pour le colonialisme, personne à part des électrons libres ne soutient un nouveau colonialisme, d'autant plus qu'on a déjà assez à faire avec nos territoires actuels. Par exemple, Mayotte n'est pas du colonialisme. Si ce territoire est encore français, c'était par la volonté de sa population qui ne voulait pas de l'indépendance au contraire du reste de l'archipel des Comores.


Ma conclusion n'étonnera donc pas : pour lutter efficacement contre le wokisme, il faut savoir commémorer ce qui nous rassemble au lieu d'attiser la haine et les divisions antérieures. Rappeler l'histoire, évoquer le passé, quitte éventuellement à l'embellir afin de rendre les valeurs républicaines plus éclatantes. Et chasser tous les diviseurs qui veulent exhumer les conflits anciens : il y a suffisamment de clivages du temps présent pour ne pas se préoccuper des passions passées. À chaque génération ses combats.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 novembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jean Jaurès.
Le site de l'Assemblée Nationale rend hommage à Jaurès.
Panthéon versus wokisme !
Centenaire du dram.
Anatole France.
Alexandre Dumas fils.
Pierre Waldeck-Rousseau.
Alexandre Millerand.
La victoire des impressionnistes.
Les 120 ans de l'Entente cordiale.
Mélinée et Missak Manouchian.
Le Débarquement en Normandie.
La crise du 6 février 1934.
Gustave Eiffel.

Maurice Barrès.
Joseph Paul-Boncour.
G. Bruno et son Tour de France par Deux Enfants.
Pierre Mendès France.
Léon Blum.
Jean Zay.
Le général Georges Boulanger.
Georges Clemenceau.
Paul Déroulède.
Seconde Guerre mondiale.
Première Guerre mondiale.
Le Pacte Briand-Kellogg.
Le Traité de Versailles.
Charles Maurras.
L’école publique gratuite de Jules Ferry.
La loi du 9 décembre 1905.
Émile Combes.
Henri Queuille.
Rosa Luxemburg.
La Commune de Paris.
Le Front populaire.
Le congrès de Tours.
Georges Mandel.
Les Accords de Munich.
Édouard Daladier.
Clemenceau a perdu.
Au Panthéon de la République, Emmanuel Macron défend le droit au blasphème.
L'attentat de Sarajevo.
150 ans de traditions républicaines françaises.
 



https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241123-pantheon-vs-wokisme.html

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/19/article-sr-20241123-pantheon-wokisme.html




 

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10 novembre 2024 7 10 /11 /novembre /2024 03:57

« Non, ce n'est pas une simple rixe entre supporters et cette violence n'a pas éclaté en raison de provocations d'Israéliens extrémistes. Il s'agit d'un lynchage organisé en marge d’une mobilisation pro-palestinienne. » (Simon Weinberg, le 10 novembre 2024 sur Twitter).


 


C'est désormais avéré : le progrom qui a eu lieu le 7 novembre 2024 à Amsterdam, à savoir le lynchage de nombreux Juifs parce qu'ils étaient Juifs, a été prémédité. Ce n'était donc pas, comme certains voulaient le faire croire, une violence urbaine parmi d'autres, un échauffement des cerveaux et des émotions. C'était prémédité !

Il y a quatre-vingt-six ans, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, il y a eu ce qu'on a appelé la nuit de Cristal, des progroms perpétrés par les nazis dans toute l'Allemagne. On ne semble pas aujourd'hui mesurer à sa juste proportion le parallèle terrible avec le climat antisémite des années 1930.

Des événements violents se sont déroulés en marge d'un match de football entre le Maccabi Tel-Aviv et l'Ajax parallèlement à une manifestation pro-palestinienne dont les participants attendaient de pieds fermes les supporters israéliens à quelques centaines de mètres de la maison d'Anne Frank qui doit se retourner là où elle est. Le roi des Pays-Bas a d'ailleurs fait la remarque que son pays avait abandonné deux fois les Juifs, pendant la Seconde Guerre mondiale et ce triste jour du 7 novembre 2024.

Selon la presse internationale, et notamment "The Telegraph", l'attaque contre les ressortissants israéliens était mûrement réfléchie et organisée dans un groupe WahatsApp intitulé (très clairement) "The Jew Hunt" (la chasse aux Juifs). Le caractère antisémite de ce lynchage est donc avéré, au contraire de ce que osent dire encore certains de mes compatriotes français. Ce n'est pas, contrairement à ce que certains médias semblaient indiquer, une bagarre entre supporters haineux voire ivres. Rien à voir !

Le groupe WhatsApp avait pour objectif de coordonner les agressions contre les supporters israéliens avec des feux d'artifice pour initier le départ des hostilités et des termes insultants contre les Juifs. Des attaques étaient ciblées. La veille, des émeutes avaient déjà eu lieu et un participant du groupe du réseau social en question a affirmé : "Ils n'iront plus au casino", montrant ainsi que les déplacements des supporters israéliens étaient sous surveillance depuis un certain temps.

Le réseau social Telegram a également était utilisé, notamment pour planifier des embuscades bien déterminés, prenant de surprise les citoyens israéliens. Des chauffeurs de taxi musulmans ont aussi joué un rôle déterminant dans ce pogrom, montrant que le complot était très organisé. Ces chauffeurs indiquaient en direct sur Telegram la position des supporters israéliens qu'ils transportaient. Selon des témoignages, certains chauffeurs auraient même obligé certains passagers israéliens à sortir pour les exposer à la violence des manifestants pro-palestiniens, c'est ce qu'on appelle des guet-apens. Sur Telegram, on pouvait lire aussi des messages comme : "Aucun endroit au monde ne devrait être sûr pour les sionistes".

Du reste, des vidéos montrent très clairement le caractère antisémite de ces agressions. Ainsi, au-delà des insultes antisémites prononcées par des manifestants pro-palestiniens, un homme, fuyant ses agresseurs, a sauté dans un canal et a dû crier "Free Palestine" pour ne pas être noyé. D'autres vidéos montrent des scènes terrifiantes. Un supporter israélien traîné dans la rue au milieu de feux d'artifice, un autre frappé au sol, suppliant ses agresseurs de prendre son argent et qui s'est vu répondre : "Libérez la Palestine maintenant".
 


Mona Jafarian s'est beaucoup inquiétée de ce progrom sur CNews le 10 novembre 2024 : « Quand on regarde les vidéos des assaillants, parce que, comme le 7 octobre, ils se sont filmés, puisqu'ils sont très fiers de leurs actions, on entend bien qu'ils emploient le mot "yahoud", donc on est vraiment sur le Juif. On n'est pas en train de parler d'autre chose, on ne parle pas de football, on ne parle pas de supporters. Les éléments (…) qui nous parviennent, c'est que les attaques étaient déjà organisées quarante-huit heures avant le match. Donc, on n'est pas du tout sur quelque chose qui répond par exemple à une quelconque provocation de supporters à supporters. D'ailleurs, ce ne sont pas des supporters de foot qui ont attaqué puisque, l'après-midi même, les supporters de l'Ajax, je ne sais pas si les gens le savent mais c'est l'équipe de foot qui a les supporters les plus pro-israéliens au monde, donc généralement, les supporters de l'Ajax dansent (…) avec les supporters israéliens. Donc, les gens qu'on voit attaquer le soir même, ce sont des milices, il n'y a pas d'autre mot, des milices islamistes. D'ailleurs, tous ceux qui ont été arrêtés, il n'y a pas de Hollandais, il n'y a pas de supporter. Donc, c'est très important de se rendre compte qu'on n'est pas du tout sur une attaque de hooligans comme certains voudraient le faire croire. ».

Jérémy Benhaïm a insisté sur Twitter le même jour : « Ce qui s’est passé jeudi soir à Amsterdam n’était pas une "rixe entre supporters", comme certains élus LFI voudraient le faire croire. Tout était déjà prémédité. (…) Merci à Mona Jafarian pour ces précisions qui confirment définitivement que c’est bien un pogrom qui s’est déroulé sous nos yeux en Europe, en 2024. ».


Beaucoup ont des questions sur la passivité des forces de l'ordre, qui ne sont pas intervenues pendant plus d'une heure alors que les violences étaient là, ce qui justifie les déclarations du roi des Pays-Bas cité plus haut. Des enquêtes probablement tenteront de répondre à ces questions.

Dans un article publié dans le "Journal du dimanche" du 10 novembre 2024, Claude Moniquet a écrit : « Plusieurs enquêtes en cours dans le nord de l'Europe, entre autres au Danemark et en Suède, révèlent que les services de renseignement iraniens ont renoué avec une pratique qui était la leur il y a une vingtaine d'années : le recrutement de truands locaux pour commettre des attentats "sous couverture" à l'étranger. Il y a vingt ans, c'est l'opposition en exil qui était ciblée, mais depuis le 7 octobre, ce sont les communautés juives et les intérêts iraniens qui sont en première ligne. (…) Une enquête est également en cours entre Paris et Berlin, visant plusieurs individus soupçonnés d'avoir projeté l'assassinat de personnalités juives en France et en Allemagne. Un suspect a été mis en examen fin septembre, à Paris, dans le cadre de ce dossier baptisé "Marco Polo". L'affaire illustre parfaitement le rôle de Téhéran dans le "terrorisme d'État". ».

Et de conclure : « Selon nos sources, les services iraniens ont réactivé l'opération visant à éliminer des Juifs et des diplomates israéliens lorsque les tensions ont recommencé à s'accumuler au Moyen-Orient après le progrom du 7 octobre et la
riposte israélienne à Gaza contre le Hamas. Et des enquêteurs amstellodamois nous affirment "prendre très au sérieux" une éventuelle manipulation iranienne à l'origine du pogrom de jeudi soir. ».
 


Quant à certains députés insoumis en France, la palme de l'incorrection et de l'indécence doit être délivrée à une élue de Rennes dont je tairai le nom (facile à lire) pour ne pas lui faire trop de promotion, si ce n'est pour indiquer que cette éducatrice spécialisée de 30 ans a été élue cet été avec 45,7% des voix grâce à une triangulaire et le maintien de la candidate RN (17,8%), ce qui montre en passant que le RN, par sa politique de maintien, a largement favorisé l'élection de nombreux députés insoumis (loin d'en être leur premier opposant).

Oui, une députée de la République française a osé tweeter le 8 novembre 2024 : « Ces gens-là n'ont pas été lynchés parce qu'ils étaient juifs, mais bien parce qu'ils étaient racistes et qu'ils soutenaient un génocide. »
. Une phrase incroyablement scandaleuse, qui montre la considération qu'elle a pour les victimes ("ces gens-là") et qui, par autojustification, révèle ainsi qu'elle justifie le principe du lynchage ! Le Ministre de l'Intérieur
Bruno Retailleau a d'ailleurs signalé le 9 novembre 2024 à la procureure de Paris ces propos insupportable de cette députée FI au titre de l'article 40 du code de procédure pénale pour apologie de crime. Pauvres sociétés dans lesquelles nous vivons !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 novembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Pogrom à Amsterdam : toujours la même musique...
Geert Wilders sera-t-il le prochain Premier Ministre néerlandais ?
Les élections législatives du 22 novembre 2023 au Pays-Bas.

Audrey Hepburn.
Maurits Cornelis Escher.
Anne Frank.
Wim Kok.

 



https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241107-pogrom-amsterdam.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/pogrom-a-amsterdam-toujours-la-257603

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/11/10/article-sr-20241107-pogrom-amsterdam.html




 

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1 septembre 2024 7 01 /09 /septembre /2024 03:31

« La France a tué mon mari ! » (la veuve du gendarme Éric Comyn tué par un chauffard multirécidiviste, le 28 août 2024 à Mandelieu).



 


Le lundi 26 août 2024 vers 20 heures 30, l'adjudant Éric Comyn a été mortellement blessé par un chauffard au cours d'un contrôle routier à Mougins, dans les Alpes-Maritimes, sur une bretelle de sortie de l'autoroute A8.

Tristesse. C'est d'abord un immense drame humain. Le gendarme avait 54 ans, allait prendre sa retraite l'année prochaine, et laisse sur le carreau une famille effondrée, sa femme Harmonie et ses deux enfants, 17 ans et 12 ans. Colère. C'est ensuite une interrogation très lourde : l'auteur de l'homicide (du meurtre) était un chauffard multirécidiviste bien connu des services de la police. La justice avait fait son travail, le chauffard avait été condamné et avait fait ses peines.

Malheureusement, ce genre de drame n'est pas le premier et on craint qu'il ne soit pas le dernier. Les refus d'obtempérer sont nombreux sur les routes de France (plusieurs dizaines de milliers par an) et l'issue reste souvent soit l'impunité, soit la victoire de la loi, mais parfois, il y a des drames, soit un membre des forces de l'ordre qui tire sur le fugitif, soit, au contraire, le délinquant qui fonce sur le membre des forces de l'ordre. L'un pouvant provoquer l'autre, d'ailleurs.

 


Comme souvent, certains mouvements politiques tentent d'exploiter ce genre de drame humain et le font plus ou moins subtilement. En revanche, ce qui s'est passé deux jours plus tard, le mercredi 28 août 2024, à l'occasion d'un hommage rendu à Éric Comyn à Mandelieu, était assez exceptionnel. En effet, la veuve du gendarme, Harmonie Comyn a pris la parole en public, au cours ce cette cérémonie, et a chargé lourdement la France, la politique française depuis plus d'une quarantaine d'années, en fustigeant le laxisme des lois et des juges.

Ses mots étaient très durs. Elle a répété cinq fois : « La France a tué mon mari ! », pour, chaque fois, évoquer une raison de son affirmation. Par exemple : « La France a tué mon mari par son insuffisance, son laxisme et son excès de tolérance. ». Les mots durs étaient très politiques mais apparemment pas téléphonés, pas manipulés, pas soufflés par des politiques. Elle a remis en cause la politique des socialistes des années 1980 : « 1981 n'aurait jamais dû exister. » a-t-il proclamé en pensant à l'abolition de la peine de mort. Dans la même journée, le maire de Cannes David Lisnard, potentiel candidat LR à Matignon, a également prononcé un discours assez dur et sécuritaire lors d'un autre hommage au gendarme devant la mairie de Cannes. Un hommage national lui sera aussi rendu lundi 2 septembre 2024 à Nice présidé par le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer démissionnaire Gérald Darmanin.

Comment réagir face à un tel discours de la veuve d'une victime terrible du refus d'obtempérer ? Les partis d'extrême droite et de droite dure n'ont pas hésité : ils se sont engouffrés dans la brèche ouverte par cette femme en y allant avec leur populisme sécuritaire habituel dont c'est le fonds de commerce habituel. C'était prévisible et ils n'avaient du reste pas besoin de ce discours pour instrumentaliser cette tragédie comme tant d'autres (et c'est aussi l'effet de cumul qui donne aussi à penser qu'ils auraient raison alors que rien n'est simple).


À gauche, ce n'est guère mieux, et j'aurais envie de penser que c'est même pire. Dans les réseaux sociaux, Harmonie a été insultée par de nombreux internautes de gauche ultra qui n'ont aucun respect pour la peine infinie qu'on lui a déjà infligée par ce deuil. On ménage les personnes endeuillées, en général. La palme du plus odieux doit sans doute être attribuée au journal communiste "L'Humanité" qui a eu l'horreur de titrer : « 203e morts au travail en France depuis le 1er janvier ». Quel cynisme de la rédaction communiste ! Il ne s'agit pas d'un accident du travail, il s'agit d'un crime commis en toute conscience par un chauffard de 39 ans condamné déjà dix fois !


Ce dernier a été arrêté le soir même devant le commissariat de Cannes, testé positif pour son alcoolémie, et a prétendu qu'il avait fui par panique, qu'il n'avait pas vu le gendarme quand il l'a renversé, mais des vidéos montreraient le contraire. La justice devra dire si cet homicide a été commis délibérément, auquel cas il s'agit d'un véritable meurtre, ou si, effectivement, il n'avait pas aperçu le gendarme et qu'il l'a malheureusement heurté. Dans tous les cas, ce n'est pas un accident du travail, dû à pas d'chance ou à de mauvaises protections, mais bien d'un meurtre plus ou moins conscient par son auteur présumé.

Le journaliste Patrick Cohen, dans sa chronique politique du 29 août 2024, s'est posé la question que je me suis aussi posée en écoutant le discours véhément d'Harmonie Comyn : que peut-on faire d'un tel discours ? Moi, j'aurais modestement tendance à dire : pas l'opposer à des arguments, mais prendre en compte sa a rage, comprendre sa rage. Ce discours ne doit pas être blâmé. Parce qu'il a été prononcé par une femme qui a perdu à la fois son compagnon et le père de ses enfants. On doit la respecter. Elle a exprimé sa colère en même temps que sa tristesse. Elle reste dans l'émotionnel et ils sont rares, les proches des victimes, capables de s'exprimer publiquement. Je le dis suffisamment à l'aise que moi-même qui voulais prononcer quelques mots à l'enterrement de mon père, j'en ai été incapable sur le moment, la voix m'avait manqué. Il faut du courage et de la force pour prononcer un discours lorsqu'on est si endeuillé.

Ce qu'a convenu en tout cas l'éditorialiste de France Inter, c'est que toute réponse rationnelle est inutile. Inutile pour la personne qui a prononcé ces mots à la fois durs et injustes. Inutile car aucune réponse n'est audible quand on est dans un tel chagrin, meurtri par l'effondrement d'une vie commune qui a duré une trentaine d'années.


Harmonie Comyn a formulé deux demandes au cours de son discours : que les médias ne se méprennent pas de ce qu'elle a déclaré, par exemple, elle a fustigé les récidivistes, pas les étrangers. La seconde demande, c'est qu'elle ne soit pas récupérée par les politiques (mais là, c'était déjà trop tard, l'extrême droite et les médias qui l'entourent n'ont pas hésité une seconde pour matraquer, c'était de toute façon couru d'avance).

Patrick Cohen le dit clairement : « En pleurant son mari mort par la France, par la faute selon elle d’une société pas assez répressive, Harmonie Comyn nous interpelle, décideurs et citoyens, et nous force à réfléchir. Il ne faut ni silence, ni démagogie. ». Il croit alors utile de répondre par un discours rationnel, qui ne sera pas audible par la famille, mais par ceux qui ont entendu le discours injuste et excessif de cette veuve et mère de famille désespérée.
 


Ainsi, le rétablissement de la peine de mort n'aurait pas empêché concrètement la mort du gendarme, car le chauffard, aussi délinquant fût-il, n'avait pas de quoi être condamné à mort même dans une société ultrapunitive, ultrarépressive. De plus, la peine de mort n'a jamais empêché les crimes d'être commis car les criminels sont dans un état second (une courte folie ?) qui les inhibe complètement de ces préventions sociales.

La vengeance et la peine de mort n'ont jamais eu de valeur dissuasive. Patrick Cohen s'est souvenu d'une lecture qui l'avait marqué : « Arthur Koestler racontait comment, dans l’Angleterre du XVIIIe siècle qui condamnait à mort les voleurs de biens de plus de 40 shillings, les badauds qui assistaient aux pendaisons de pickpockets, se faisaient détrousser. Par d’autres pickpockets. ». C'est la même histoire cyclique que le bourreau qui se fait exécuter (selon Franquin).

La meilleure réponse à apporter est peut-être celle d'une victime d'un délit routier qui est membre de l'association Victimes Solidaires et qui veut sensibiliser les gens sur les risques qu'ils encourent à conduire n'importe comment (par exemple, en téléphonant, en étant imbibé d'alcool ou d'autres substances, etc.). Il réclame le droit d'assister voire de proposer des exposés aux stagiaires de la formation pour la récupération de points du permis de conduire. Ce qu'il constate, c'est que souvent, les présumés chauffards ne savaient pas qu'ils se mettaient autant en danger et qu'ils mettaient les autres usagers de la route autant en danger.


Ce militant associatif parlait sur LCI du scandale des accidents de la route qui tuent encore environ 10 personnes par jour en France. Éric Comyn, gendarme, ne faisait que vouloir faire appliquer le code de la route. Il en est mort par un fou furieux de chauffard. J'espère que les juges seront sévères avec celui-ci, mais dans le cadre de nos lois et notre État de droit (le chauffard a le droit à une défense). Pas dans le cadre d'une justice expéditive proposée par feu Alain Delon.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (31 août 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Création du délit d'homicide routier : seulement cosmétique ?
La France criminelle ?
La nuit bleue de Lina.
La nuit de Célya.
La nuit d'Émile Soleil.
Affaire Grégory : la vérité sans la boue ?
Alexandra Sonac et sa fille adolescente.
Harcèlement scolaire et refus d'obtempérer.
Alisha, victime d’un engrenage infernal.
À propos de la tragique disparition de Karine Esquivillon...
Meurtre de Lola.
Nos enseignants sont des héros.
La sécurité des personnes face aux dangers.


 




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240828-comyn.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/la-france-criminelle-256542

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/08/30/article-sr-20240828-comyn.html


 

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30 août 2024 5 30 /08 /août /2024 03:18

« J'en perdais pas un cil quand même du nouvel endroit. C'était pas bien possible de tomber plus moche et plus rebutant que j'étais mais quand même je me gourais bien, et finalement qu'au quart d'idée, qu'au morceau de viande saignante ou qu'à l'oreille tonitruante, qu'à ma grosse tête capituleuse, ces vaches d'hommes en voudraient encore, et je serais encore bon pour être traqué et plus vachement que jamais. » (Céline, "Guerre", éd.Gallimard, 2022).



 


Le handicap, dans sa version célinienne posthume ! La cérémonie d'ouverture des XVIIe Jeux paralympiques de Paris 2024 a eu lieu ce mercredi 28 août 2024, retransmise notamment à la télévision sur France 2 (10,2 millions de téléspectateurs français). Encore une fois, cette cérémonie a été forte en art, spectacle et émotion, saluée tant par la presse française que la presse étrangère (qui parle notamment du « voyage de la discorde à la Concorde »). 65 000 spectateurs et 4 400 athlètes de 168 délégations y participaient le long des Champs-Élysées jusqu'à la Concorde.

Toujours confiée au metteur en scène Thomas Jolly, auteur devenu célèbre de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024 le mois dernier, cette cérémonie d'ouverture, elle aussi la première qui s'est déroulée hors d'un stade ("aussi" en référence à la cérémonie du 26 juillet 2024), a été l'occasion d'une totale liberté artistique (une caractéristique de la France), chorégraphie, défilé, sur fond de musique d'Édith Piaf à Serge Gainsbourg et Jane Birkin et sous un ciel coloré par la Patrouille de France.

 


La non-mixité de la quasi-totalité des épreuves des Jeux olympiques s'explique par les différences physiologiques entre les hommes et les femmes, avec généralement, sur la puissance musculaire, un net "handicap" des femmes par rapport aux hommes, ce qui a conforté à faire des épreuves non-mixtes (historiquement, le sport et en particulier les Jeux olympiques à l'époque antique, comme la guerre, étaient réservés aux seuls hommes, en principe).

Créés en 1960, les Jeux paralympiques, qui se déroulent à Paris du 28 août au 8 septembre 2024, sont l'occasion, à l'échelle mondiale, de conjuguer sport et handicap, et, pourquoi pas dans les cérémonies d'ouverture et de clôture, spectacle artistique. Ils permettent à des athlètes qui ont eu un accident irréversible de poursuivre leur carrière, ou même, de rebondir sur une autre carrière avec une finalité glorieuse, les médailles. Cela motive pour revivre, ou même vivre pour ceux qui sont en situation de handicap dès la naissance.

Cette année, ces Jeux sont très courus : les places des spectateurs se vendent presque aussi bien que celles des Jeux olympiques classiques. On pourrait reprocher aux organisateurs de fixer les Jeux paralympiques après les Jeux olympiques, voire en pleine rentrée scolaire. J'imagine qu'il existe des contraintes d'entraînement et que l'idée de ne pas faire ces deux jeux en même temps est pertinente, car le risque est que, médiatiquement, les Jeux dits "normaux" (c'est la vraie opposition, à définition incertaine, entre situation de handicap et situation "normale") l'emportent sur les Jeux paralympiques.

Plus généralement, ces Jeux paralympiques nous rappellent l'importance de l'inclusivité. Certes, pas celle martelée par les wokistes qui voudraient relativiser toute chose et dire que "normalité" et "minorité" doivent se confondre. Il faut respecter les personnes homosexuelles, il faut respecter les personnes transgenres, il faut respecter les personnes… parce qu'avant tout, il faut respecter les personnes tout court, et donc, aussi les personnes hétérosexuelles, etc. Mais le meilleur respect pour une personne, c'est de ne pas la considérer comme un sexe, comme un genre, ou comme une orientation sexuelle, pas plus que comme une religion, ni que comme une couleur de peau, de cheveux, d'yeux, que sais-je encore ? Comme à son prénom ou à son nom ? Une personne ne peut se réduire qu'à un simple élément de sa personne, c'est cela le respect et c'est en cela que, selon moi, le wokisme va à l'encontre de la "vraie" inclusivité. Le wokisme est le droit à la différence tandis que la "vraie" inclusivité est le droit à l'indifférence.

Car il en faut, de ce droit à l'indifférence, pour être à l'aise dans la société quand on est en situation de handicap. C'est pour cela que j'ai arrêté depuis longtemps de parler des "handicapés" (comme si je disais les "blondes"). "Personnes handicapées" est déjà meilleur, mais le mieux, même si c'est plus long, c'est "personnes en situation de handicap". C'est une situation, au même titre que lorsqu'on est malade. On parle des "malades", des "patients" (mieux), mais en cela, on réduit les personnes en leur maladie. Parler des "handicapés", c'est les réduire à leur condition de personnes handicapées, c'est réduire leur personne à leur handicap.
 


C'est pour cette raison que je trouve déplorable la façon de certains journalistes à parler des athlètes paralympiques comme des "parathlètes", comme les "paranageurs", les "paracoureurs", etc. C'est stupide, ils sont aussi pleinement-nageurs que les nageurs des Jeux olympiques. Ils n'ont rien compris à la philosophie de ces Jeux paralympiques dont l'objectif, ce n'est pas de montrer le handicap des sportifs en situation de handicap, mais justement leurs performances sportives, malgré leur handicap.

La plus grande démonstration est venue sans doute de l'athlète sud-africain Oscar Pistorius, « né sans péronés et amputé sous le genou, à la moitié du tibia précisément, à l'âge de 11 mois » (nous précise Wikipédia), grand sprinter (et pas "parasprinter" !) du 400 mètres qui a participé aux Jeux olympiques de Londres 2012, tant comme valide (il est arrivé en septième place) que comme en situation de handicap (double médaille d'or aux Jeux paralympiques de Londres 2012). Du reste, Oscar Pistorius a été tellement aussi normal que les valides qu'il a tué sa copine par colère à la Saint-Valentin 2013 à Pretoria et qu'il a été condamné le 24 novembre 2017 pour ce meurtre à quinze ans de réclusion criminelle (il est sorti de prison le 5 janvier 2024).

La société nord-coréenne se vantait il y a quelques années (je ne sais pas si elle le fait encore) d'être société qui n'a aucune personne en situation de handicap. Dans les rues, bien ordonnées, aucune personne en situation de handicap. Pas de quoi se vanter : le handicap est aussi inéluctable, indispensable, que les mutations, les erreurs de chromosomes, les perturbations génétiques. On l'a vu pour les virus, celui du covid-19 par exemple, à quel point il pouvait évoluer, muter, et les variants faire évoluer le virus. Le handicap est une nécessité dans la Nature, une évidence aussi : tout ne fonctionne jamais comme il faut et lors de la duplication de l'information génétique, il peut y avoir des erreurs, des bugs, à très faible nombre. C'est même ces erreurs qui nous ont permis d'évoluer, nous, les unicellulaires (voire moins), qui avons évolué jusqu'à l'être humain en quelques centaines de millions (voire milliards) d'années. Quand il y a des différences, parfois (le plus souvent hélas), cela ne convient pas avec les contraintes de l'environnement, mais parfois, si, c'est mieux qu'avant et, petit à petit, ça renforce l'espèce et ces différences deviennent hégémoniques.

 


Cette réflexion devrait donc rassurer philosophiquement les personnes en situation de handicap à la naissance : ils sont les fers de lance du changement, de l'Évolution avec un grand É ! Mais en fait, il n'y a pas de quoi être heureux dans une société qui, à l'origine, n'était pas faite pour "elles". Et si on fait de plus en plus attention, si les lois, la réglementation tentent de mieux prendre en compte les personnes en situation de handicap, c'est parce qu'il y a un principe essentiel, celui de l'égalité, un autre, celui de la liberté, enfin le troisième, celui de la fraternité. Les personnes en situation de handicap, comme tous les autres citoyens, doivent bénéficier de ces mêmes principes. De plus, le handicap peut s'acquérir après la naissance, au fil de l'existence, par de malheureux hasards de la vie, un accident, une maladie, un âge avancé. Le handicap, c'est un malheur qui concerne donc tout le monde, soi comme ses proches, qui, même valides, peuvent devenir "invalides" avec le temps.

Il est d'ailleurs des expériences qui sont très instructives. Il suffit simplement de se casser un pied ou une jambe, et de se retrouver dans l'impossibilité de marcher, de se retrouver à se déplacer dans un fauteuil roulant, pour comprendre, pour vivre à quel point la société est peu faite pour les personnes en situation de handicap.


Il suffit de regarder chez soi, et s'imaginer en fauteuil roulant : si on habite à un étage, y a-t-il un ascenseur ? Celui-ci est-il suffisamment grand pour un fauteuil roulant ? Y a-t-il quelques marches pour atteindre le palier ? Et regardons dehors, il n'y a pas beaucoup de commerces, d'administrations, dans les centres-villes anciens, qui puissent être vraiment accessibles aux personnes en fauteuil roulant (faut-il dire "à mobilité réduite" ? Je ne sais pas). Et les transports en commun, les rames de métro, les trains, les quais ?...
 


Valérie Pécresse, la présidente du conseil régional d'Île-de-France, vient même de lancer un vaste chantier dont l'objectif est de rendre accessibles tous les transports en commun de la région parisienne. Très grande ambition, car à part quelques ascenseurs pour aller d'un quai à un autre, rien n'est accessible : la marche pour atteindre la rame, etc. Son plan "Métro pour tous" a reçu d'ailleurs une fin de non-recevoir de la maire de Paris Anne Hidalgo qui ne semble pas concernée par la mise aux normes d'accessibilité de sa propre ville (sous prétexte de ne pas endetter encore plus la ville qu'elle a déjà hyperendettée).

Si les normes des constructions nouvelles prennent bien en compte ces contraintes d'accessibilité, la plupart des constructions anciennes ne sont pas adaptées et leur mise aux normes est fort coûteuse. Quand on acquiert un bien immobilier qu'on veut habiter, il faut toujours se poser la question de l'accessibilité, car même valide, mêmes bien portant, même si tout son entourage est valide, même si tous ceux susceptibles de venir rendre visite sont valides, rien ne préjuge de l'avenir et par un accident, une maladie ou simplement la vieillesse, on peut se retrouver dans un fauteuil roulant. Il faut l'imaginer avant d'acheter car c'est une cause majeure de cauchemar lorsqu'on n'a rien prévu et qu'on n'a pas de réserve financière importante.


Il y a donc le matériel, ces mises aux normes, ces prises en considération matérielles de la situation de handicap, et il n'y a pas que les personnes en fauteuil roulant, il y a aussi d'autres handicaps, par exemple, les personnes aveugles doivent pouvoir se mouvoir en ville. Aux Pays-Bas, cela fait des décennies que chaque feu tricolore est doté aussi de petits signaux sonores pour indiquer si le passage piéton est au vert ou au rouge. En France, je n'en ai pas vu beaucoup encore aujourd'hui. En revanche, il y a des singularités heureuses, comme ce magnifique musée, le MAC-VAL (le musée d'art contemporain du Val-de-Marne à Vitry-sur-Seine) qui propose, à côté des notices écrites en français et en anglais, des notices écrites en braille. On peut même surfer sur un ordinateur maison avec un clavier en braille. Heureusement, c'est de plus en plus fréquent, et c'est même généralisé, par exemple, sur les boîtes de médicament. De même, au lycée, on peut apprendre le langage des signes, pas seulement réservé aux personnes sourdes et muettes mais aussi à toutes les autres.

Sur ce dernier point, il est différent des précédents car ils ne sont pas seulement matériels (donc un seul problème budgétaire pour les financer), car cela touche à l'organisation de l'enseignement, et depuis le second mandat du Président Jacques Chirac, une grande volonté politique a été affirmée par l'État pour rendre inclusive l'école, ce qui demande des moyens budgétaires et surtout humains considérables, car permettre aux enfants en situation de handicap de suivre leur scolarité dans une école "normale" nécessite un accompagnement parfois individuel par une organisation très réfléchie (c'est d'ailleurs un véritable choix de société, des personnalités politiques comme Éric Zemmour préfèrent ne pas voir les enfants en situation de handicap et les exclure complètement de la société, comme en Corée du Nord !).
 


Ce choix de société est du gagnant gagnant : bien sûr, c'est l'intérêt de l'enfant en situation de handicap qui est accueilli "normalement" pour suivre une scolarité "normale" (cela dépend évidemment du type de handicap), mais c'est aussi l'intérêt des enfants qui ne le sont pas, qui sont "normaux" qui, en côtoyant ces enfants si "anormaux", ne voient plus leur handicap et les considèrent finalement comme socialement "normaux". Ainsi, oui, certes, il lui manque un bras, mais c'est lui qui m'aide pour faire mes mathématiques et je ne vois plus en lui le bras manquant mais le fort en maths.

Dans ce choix de société, il y a aussi des choses qui ne coûtent rien, comme avoir un autre regard des personnes en situation de handicap. Jacques Chirac, dès le début de sa carrière politique (au début des années 1970) militait pour faire sortir les personnes en situation de handicap, les faire sortir de chez elles, qu'elles puissent bénéficier de la société, de tous les équipements, etc. Si "on" "les" cachait, c'est parce qu'on voulait cacher les "erreurs" de la Nature, ses malformations, ses imperfections. Et aussi parce qu'il y avait une sorte de stigmatisation sociale immédiate, systématique, presque involontaire sinon inconsciente des "autres", des "normaux". Les personnes en situation de handicap ne veulent pas la pitié des "autres", ne veulent pas forcément qu'on les ménage, mais veulent des relations sociales "normales", dissociées de leur handicap, quitte à se faire engueuler si elles le "méritent".

C'est ce droit à l'indifférence que j'évoquais précédemment : ne pas mater, ne pas fixer une personne en situation de handicap, une personne "bizarre", "pas normale", qui n'a peut-être plus de bras, ou de main (juste un moignon), ou autre chose, mais aussi ne pas l'éviter, ne pas éviter son regard, ne pas fuir son regard. Considérer seulement que chacun est une personne à part entière, et que, finalement, en cherchant bien, chacun a ses propres handicaps, ses propres défauts, malformations, physiques, psychologiques, mentales. La seule chance de certains, c'est que cela ne se voit pas trop de l'extérieur. Il est là, le respect, bien loin des paillettes de la fête et du spectacle.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 août 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jeux paralympiques de Paris 2024 : sport, spectacle et handicap.
L’allocation aux adultes handicapés (AAH) et maladresse politique.
Le handicap ? Parlons-en !
Éric Zemmour et les enfants en situation de handicap.
Le génie olympique français !
Festivité !
Ouverture des Jeux olympiques : Paris tenu !
Amélie Oudéa-Castéra se baigne dans la Seine : Paris tenu !
Fête de l'Europe, joies et fiertés françaises.
Adèle Milloz.
Éric Tabarly.

Coupe de France de football 2023 : victoire de Toulouse ...et d'Emmanuel Macron !
France-Argentine : l'important, c'est de participer !
France-Maroc : mince, on a gagné !?
Qatar 2022 : vive la France, vive le football (et le reste, tant pis) !
Après la COP27, la coupe au Qatar : le double scandale...
Vincent Lindon contre la coupe au Qatar.
Neil Armstrong.
John Glenn.
Michael Collins.
Thomas Pesquet.
Youri Gagarine.
Le burkini dans les piscines.
Les seins nus dans les piscines.
Roland Garros.
Novak Djokovic.
Novax Djocovid.
Jean-Pierre Adams.
Bernard Tapie.
Kylian Mbappé.
Pierre Mazeaud.
Usain Bolt.



 





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240828-jeux-paralympiques.html

https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/sports/article/jeux-paralympiques-de-paris-2024-256512

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/08/28/article-sr-20240828-jeux-paralympiques.html




 

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17 juillet 2024 3 17 /07 /juillet /2024 17:57

« Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t'aime ! »



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Ici, on t'aime !? Il faudrait savoir ce que cela signifie vraiment, aimer. Ce mercredi 17 juillet 2024, peut-être la dernière institution à laquelle les Français croyaient est tombée : l'abbé Pierre, qui est mort le 22 janvier 2007 à 94 ans, aurait été l'auteur de plusieurs agressions sexuelles. Si ça ne suffisait pas, voici une nouvelle perte de repère dans une société sans valeur absolue.

Les faits d'abord : selon une enquête réalisée par un organisme indépendant sur commande de la Fondation Abbé Pierre et du mouvement Emmaüs International, l'abbé Pierre est accusé par sept personnes d'agressions sexuelles. L'alerte a été donnée en juin 2023 par un témoignage faisant état auprès d'Emmaüs France d'une agression sexuelle commise par l'abbé Pierre sur une femme (fille d'un couple ami), ce qui a ouvert cette enquête confiée à un cabinet indépendant (menée ainsi par la militante féministe Caroline De Haas et payée par l'organisation privée qu'est Emmaüs).

Le communiqué de presse des trois organisations Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre, précise ce mercredi : « Le Mouvement Emmaüs rend publics des faits qui peuvent s’apparenter à des agressions sexuelles ou du harcèlement sexuel, commis par l’abbé Pierre, entre la fin des années 1970 et 2005. Ces faits ont concerné des salariées, des volontaires et bénévoles de certaines de nos organisations membres, ou des jeunes femmes dans l’entourage personnel de l’abbé Pierre. ». Une des victimes était mineure au moment des faits.

Et le communiqué ajoute : « Nos organisations saluent le courage des personnes qui ont témoigné et permis, par leur parole, de mettre au jour ces réalités. Nous les croyons, nous savons que ces actes intolérables ont laissé des traces et nous nous tenons à leurs côtés. Ces révélations bouleversent nos structures, au sein desquelles la figure de l’abbé Pierre occupe une place majeure. Chacun d’entre nous connaît son histoire et son message. Ces agissements changent profondément le regard que nous portons sur un homme connu avant tout pour son combat contre la pauvreté, la misère et l’exclusion. ».

Un dispositif de recueil de témoignages et d'accompagnement, sur des bases anonymes, a été mis en place pour d'éventuelles autres victimes de l'abbé Pierre. Un travail d'écoute de témoignages et également de formation a été assuré dans ces trois organisations sur le harcèlement sexuel et les violences sexuelles.

Personnalité la plus appréciée des Français pendant seize années, l'abbé Pierre jouissait, jusqu'à aujourd'hui, dix-sept ans après sa mort, d'une forte sympathie provenant de tous les Français, croyants ou pas, chrétiens ou pas. Son combat contre la précarité et contre l'exclusion a été exemplaire et son idée de rendre utiles ceux qui n'avaient trouvé plus d'issue pour eux reste cruciale dans une société où la solidarité et l'entraide sont des composantes indispensables.

On n'ose pas imaginer cette icône magistrale de la bonté et de la charité s'écrouler sur des comportements déviants, telle une statue de Staline après la chute de l'URSS. Car au-delà des mouvements et des idées dont il était le fondateur, c'est son image, celle du vieillard à la voix chevrotante, qui est utilisée comme une marque de reconnaissance et de ralliement. Faudra-t-il débaptiser les lieux qui ont pris son nom ?

L'abbé Pierre était dans un contexte religieux, prêtre, et le rapport Sauvé a montré qu'il y a eu beaucoup d'abus sexuels commis dans ce milieu, malheureusement (aussi dans d'autres milieux éducatifs). Il était aussi un homme d'un temps où le simple toucher n'était pas considéré comme scandaleux. Mais ici, il y a plus qu'un simple toucher, un simple geste de tendresse. Il aurait été de nature sexuelle. Enfin, l'abbé Pierre était une star, éblouissante, très connue, très admirée, au point qu'il était intouchable, et qu'il pouvait tout se permettre, au même titre que d'autres grandes stars dans leur métier respectif : Gérard Depardieu, Patrick Poivre d'Arvor, Nicolas Hulot, Dominique Strauss-Kahn pour ne citer que les "grandes stars" dont le rayonnement personnel pouvait transcender voire pervertir les rapports sociaux.

Il est difficile d'imaginer que l'abbé Pierre n'avait pas conscience de la gravité de ses comportements, et s'il en avait conscience, comment cet homme de bien a-t-il pu faire autant de mal ? Surtout pour un homme d'Église ?


Je pense aussi à une autre icône de la bonté, moins connue universellement mais qui a bouleversé ses nombreux admirateurs : Jean Vanier (mort le 7 mai 2019 à 90 ans), fondateur des communautés de l'Arche, une structure qui recueille des adultes en situation de handicap mental, accusé de nombreux abus sexuels en 2023.

Ces faits ne remettent pourtant pas en cause les actions exceptionnelles de l'abbé Pierre contre l'exclusion. Ils montrent surtout que les personnes sont parfois complexes, que l'homme même le meilleur peut être traversé par des pulsions violentes et ne plus respecter ses interlocuteurs. C'est terrible car tout le monde a fait de l'abbé Pierre un de ses héros secrets. Il structurait le mental de nombreuses personnes. Il était quasiment sanctifié par une société à l'affût de mythes et de héros, de personnes providentielles. Mais même l'abbé Pierre aurait été un vieux dégueulasse ! Cette information va entraîner le renforcement de la pensée que décidément, tout le monde est pourri, même ceux qu'on aurait pu penser être les plus grands bienfaiteurs.

Cette nouvelle risque d'impacter gravement le mouvement Emmaüs, au même titre que le scandale financier de l'ARC (affaire Jacques Crozemarie à partir de 1991) a réduit considérablement les dons pour la recherche contre le cancer. Au contraire de la Fondation Nicolas-Hulot qui a refusé d'aborder frontalement les accusations portées sur Nicolas Hulot, ce sont bien les mouvements d'Emmaüs qui, non seulement aujourd'hui communiquent mais hier étaient à l'origine de l'enquête visant à déterminer les faits.


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Pour Emmaüs, la vérité vaut toujours mieux que tout autre chose : « À l’heure où l’urgence sociale et la nécessité de défendre les personnes les plus précaires se font ressentir avec une particulière acuité, les missions exercées au quotidien par l’ensemble des salariés, des compagnes, compagnons et bénévoles du Mouvement Emmaüs, demeurent indispensables. La solidarité, l’entraide et l’accueil inconditionnel des plus démunis constituent notre raison d’être. Le Mouvement Emmaüs combat toutes formes de violences et entend dénoncer les actes inacceptables commis par une personne qui a joué un grand rôle dans son histoire. Nous le devons aux victimes. Nous le devons aussi à toutes celles et ceux qui, depuis plus de 70 ans, portent au quotidien les actions du Mouvement. Nous partageons leur peine et leur colère, mais également leur détermination à continuer d’œuvrer, chaque jour, pour construire un monde plus juste et plus solidaire. ».

Marie-Hélène Le Nédic, la présidente de la Fondation Abbé Pierre, est très déterminée : « Le choc a été immense pour nous. La priorité est de faire preuve d’une totale transparence et faire tout ce qui est en notre capacité pour aider et soutenir les personnes qui ont eu le courage de témoigner. Je pense aussi aux personnes que nous aidons et accompagnons au quotidien, qui subissent la pauvreté, le mal-logement. Nous allons vivre une période mouvementée, mais je veux leur dire que nous allons poursuivre sans relâche notre combat auprès d’elles. ».

Certains disent que ce scandale va encore éclabousser l'Église catholique. Je ne le crois pas. L'Église catholique est déjà noyée par ses propres scandales rapportés dans le rapport Sauvé. De plus, l'abbé Pierre avait été mis un peu à l'écart de l'Église parce qu'il avait reconnu publiquement en octobre 2005 avoir eu des relations sexuelles, rompant son vœux d'abstinence et de chasteté : « Il m'est arrivé de céder à la force du désir de manière passagère, mais je n'ai jamais eu de liaison régulière, car je n'ai pas laissé le désir sexuel prendre racine. Cela m'aurait conduit à vivre une relation durable avec une femme (…). J'ai donc connu l'expérience du désir sexuel et de sa très rare satisfaction. ». Des propos qui prennent désormais un tout autre sens.

Savoir bien après coup que notre héros est un vieux vicelard met aussi un coup sur notre propre jugement, c'est en fait une partie de nous qui s'effondre, qui s'ébranle. Mais il ne faut pas se morfondre dans le narcissisme : la tristesse et la colère ne doivent pas provenir de ce mauvais jugement, et la compassion doit être tournée vers les victimes. Si des témoignages sortent, aussi longtemps soient-ils après les faits, c'est que ces violences ont meurtri, blessé, traumatisé ces femmes, et qu'il leur a fallu un sacré courage pour se voir répondre, quasi-systématiquement, que c'était impossible, que cela ne pouvait pas être vrai, parce que justement c'était l'abbé Pierre, parce qu'elles s'attaquaient à cette sorte d'image inattaquable.


L'enseignement de ce scandale, c'est qu'il faut vivre avec des principes, des valeurs, et pas avec des héros. Aucune personne n'est parfaite, toutes sont faillibles, plus ou moins faillibles, certaines plus que d'autres (car tous les mâles ne pensent pas forcément qu'à ça et ils ne font pas tous des victimes de violence sexuelle). Comment imaginer que le corps si abîmé, si fragilisé par la vieillesse, ce héros si adulé ait pu être si abîmé dans sa conscience, dans son comportement ? Pour Emmaüs, il y a de fort risque que ces sept témoignages ne soient pas les seuls. Cinq autres sont déjà parvenus après l'éclatement de cet énorme scandale : « Il est raisonnable de penser qu’il y a d’autres personnes concernées, dans des proportions difficiles à estimer. ». Emmaüs a clairement indiqué que le mouvement était aux côtés des victimes malgré toutes les conséquences sur l'image de ses activités que cela suppose.

Et la justice dans tout cela ? On ne peut juger un mort et c'est heureux (il a le droit de se défendre). En revanche, certains faits auraient été apparemment connus dès 1992 de certains responsables d'Emmaüs et ils n'auraient rien dit, n'auraient rien empêché. Eux pourraient être jugés pour n'avoir rien fait, pour avoir simplement gardé le silence. Alors qu'il n'est plus possible de se taire devant de telles violences. Même commises par un demi-dieu. Les Français sont orphelins.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 juillet 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le scandale bouleversant de l'abbé Pierre.
L'appel de l'abbé Pierre.
Viens m’aider à aider !
Le départ d'un Juste.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240717-abbe-pierre.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/le-scandale-bouleversant-de-l-abbe-255885

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/07/17/article-sr-20240717-abbe-pierre.html





 

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28 mai 2024 2 28 /05 /mai /2024 03:37

« Le projet de loi, par sa portée, nous invite au dépassement de soi : nous devons aller au-delà de notre vécu, au-delà de l’appartenance à un groupe parlementaire, de nos idées préconçues, de la vie quotidienne. Il nous invite à répondre collectivement à des questions d’une profonde gravité. Quelle réponse éthique apporter à des souffrances inapaisables ? Pouvons-nous fermer les yeux sur des douleurs auxquelles ni la médecine ni la législation ne sont en mesure de remédier ? » (Catherine Vautrin, le 27 mai 2024 à l'hémicycle).




 


Prudence et humilité, mais ces précautions ministérielles convaincront-elles les députés qu'il faille légiférer la main tremblante quand on parle de mort ?

Depuis ce lundi 27 mai 2024, le projet de loi sur l'euthanasie en France est examiné en séance publique à l'Assemblée Nationale pour sa première lecture. Cela devrait durer une quinzaine de jours avec un vote solennel prévu le 11 juin 2024. Le Sénat s'emparera ensuite du texte cet automne et comme le gouvernement a sagement évité de faire une procédure accélérée pour ce sujet si sensible, un second round parlementaire aura lieu dans l'année 2025 avant l'éventuelle adoption définitive.

Avant de présenter le texte et les enjeux, insistons sur les mots : je vais employer ce mot, euthanasie, que j'élargis au double sens d'euthanasie et de suicide assisté. Je conviens que ce sont deux actes très différents (l'un est fait par un tiers, l'autre par le patient lui-même), mais la philosophie de ce texte est que c'est le même geste avec la même finalité, puisque l'idée de proposer une substance létale que le patient lui-même pourra s'administrer s'il le peut (et veut, bien sûr) ou qu'un tiers à sa demande pourra le faire (si et seulement s'il ne le peut pas lui-même). J'utilise le mot euthanasie qui n'est utilisé ni dans le projet de loi, ni par aucun membre du gouvernement, à défaut de la pompeuse "aide à mourir" voire (l'horreur de mots !), "l'aide à mourir dans la dignité" (comme si mourir sans euthanasie devait être indigne alors que la dignité humaine est intrinsèquement constitutive de l'être humain).

Comme je l'ai signalé précédemment, le texte du gouvernement a été adopté au conseil des ministres du 10 avril 2024 et est défendu par la super ministre Catherine Vautrin (présente également sur le front de l'assurance-chômage). Il a d'abord été examiné en commission, par une commission spéciale chargée de ce texte, créée le 10 avril 2024, présidée par l'ancienne ministre Agnès Firmin-Le Bodo (qui avait été chargée de ce texte au gouvernement mais qui a été exclue du gouvernement en janvier en raison d'une enquête sur des cadeaux supposés trop généreux de groupes pharmaceutiques alors qu'elle était pharmacienne). Le rapport général du texte est Olivier Forlani, député de la majorité (MoDem) et ancien maire socialiste de La Rochelle (le tombeur de Ségolène Royal en 2012), partisan connu de l'euthanasie depuis des années, et les autres rapporteurs sont Didier Martin (Renaissance), Laurence Cristol (Renaissance), Laurence Maillart-Méhaignerie (Renaissance) et Caroline Fiat (FI), chacun rapportant une partie du texte.

La commission spéciale a examiné le texte du gouvernement du 13 au 17 mai 2024 après avoir organisé une série d'auditions (publiques) du 22 au 26 avril 2024 et le 30 avril 2024 (environ une soixantaines d'heures d'audition). Et ce qui pouvait être imaginable s'est passé : le texte a été profondément remanié dans une version ultra-euthanasiste, en particulier en raison d'un véritable clivage au sein de la majorité. J'y reviendrai plus loin précisément. Le gouvernement espère que l'examen en séance publique reviendra au texte initial sur la philosophie générale (c'est-à-dire, en gros, considérer l'euthanasie comme un cas limite d'une extrême exception), mais rien n'est sûr notamment à cause du jeu des oppositions principalement à gauche qui appuieront les ultras. Or, certains députés de la majorité, comme Astrid Panosyan-Bouvet, députée Renaissance de Paris, qui était prête à voter le texte du gouvernement, a annoncé dans "Le Figaro" qu'elle voterait contre le projet de loi si c'était la version de la commission qui devait être mis aux voix. Elle n'est pas la seule dans la majorité.

L'attitude du Président Emmanuel Macron est assez ambiguë sur la fin de vie. Je pense que le fait qu'il fasse partie d'une nouvelle génération, bien plus jeune que les dirigeants d'avant lui, joue beaucoup sur cette ambiguïté. L'idée est très populaire bien que les sondages, à mon sens, posent généralement très mal le problème en ne laissant qu'un choix entre extrêmes souffrances et euthanasie. Emmanuel Macron veut ainsi faire adopter le principe de l'euthanasie... mais discrètement, sans que cela se sache, parce qu'une partie de son électorat n'est pas forcément très favorable à cette mesure (vote catholique, personnes âgées, sympathisants de droite en particulier). Alors, il refuse d'aller au bout et de parler d'euthanasie (voir plus haut), et souhaite ainsi une « voie française » de la fin de vie (mais je répète que la voie français de la fin de vie était déjà trouvée, c'est la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016). Emmanuel Macron refuse aussi de parler d'un "droit" à l'aide à mourir, mais simplement d'une disposition supplémentaire accessible aux patients. Il refuse de présenter ce texte comme une rupture anthropologique profonde alors que c'est le cas.

Le problème, et c'étaient mes craintes, bien sûr, c'est qu'une fois la boîte de Pandore ouverte, tout est bon pour aller dans l'ultra. C'est la surenchère. Et la volonté d'en profiter pour des idéologues quand une brèche est ouverte. Il n'y a pas de demi-mesure dans ce genre de sujet : ou on accepte clairement que la société (l'État, le corps médical, un autre tiers) fournisse de quoi tuer un patient, voire puisse le tuer (selon sa volonté bien sûr), ou pas. Mais dès que le pas est franchi, il n'y aura ni stopper, ni conditions contraignantes, ni exceptions, cela deviendra la règle et à l'avenir, les grand-mères qui se sentent déjà inutiles voudraient presser l'échéance face à des héritiers eux aussi vaguement pressés et un État super-endetté qui préfère réduire ses dépenses de santé pour les plus âgés (sans se l'avouer). Les députés de la commission spéciale ont montré ce qu'eux ou leurs successeurs feront de cette loi, même si elle est adoptée dans les termes initiaux du gouvernement.


Quant à la ministre, Catherine Vautrin, elle est très prudente. Elle-même n'était sans doute pas très chaude pour ce texte, même si elle a bien compris le pacte : son portefeuille (élargi) à condition de mettre ses valeurs sous son chapeau et défendre ce texte très macronien. Paris vaut bien une injection létale. J'exagère et je sais qu'il faut rester mesuré pour ce sujet, mais je suis particulièrement étonné et inquiet des nombreux retournements de veste sur ce sujet. Le combat semble déjà acquis. Tant dans l'hémicycle qu'à l'extérieur, dans les médias.
 


Revenons au texte. Il est composé (en gros) de deux grandes parties, et là aussi, c'est un scandale. Il aurait fallu deux textes distincts car c'est très différent. L'une porte sur les soins palliatifs (que le gouvernement préfère appeler "soins d'accompagnement" et que la commission spéciale veut nommer "soins palliatifs et d'accompagnement" ; on voit que la construction de la loi, ce n'est qu'un problème de vocabulaire, de mots, et c'est hyper-important, jamais un domaine n'est aussi sensible dans le choix des mots que le droit, et ce n'est pas de la littérature, il y a des vies humaines derrière ces mots). Il aurait fallu une loi distincte pour les soins palliatifs et tout le monde s'accorde à dire qu'il faut les développer et qu'il faut donc y mettre plus de budget. C'est d'ailleurs le manque scandaleux de soins palliatifs dans certains territoires qui fait admettre l'euthanasie. L'idée que la souffrance est hors-la-loi est acquise depuis la fin des années 1990, mais encore faut-il que l'État y mette les moyens. Là, ce sont des sous, pas de la philosophie.

Lors de la réunion de la commission spéciale du 15 mai 2024, le député LR Thibault Bazin a rappelé que dans son audition par la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti, la démographe Annabel Desgrées du Loû, directrice de recherches et directrice adjointe du département Santé et Société de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), a affirmé : « Faire avancer vraiment l’accompagnement de la fin de vie pour tout le monde, et donc faire avancer de manière majeure nos soins palliatifs, va prendre énormément de temps, d’argent, de volonté. (…) Si on fait ça en parallèle, il sera plus facile de laisser les personnes choisir de mourir vite. Mais quelle est la liberté derrière ce choix ? Pour qu’il y ait autonomie et liberté, il faut que les différents termes du choix soient possibles. Si un terme est davantage possible que l’autre, voire que l’autre terme n’est pas possible du tout, ce n’est plus un choix. ». C'est pour cela que Thibault Bazin aurait préféré développer massivement les soins palliatifs avant de proposer l'euthanasie (auquel il s'opposerait de toute façon).

Le député Renaissance Benoît Mournet y a vu également ce risque : « Premièrement, même si je salue l’existence de la stratégie décennale des soins d’accompagnement, sur les 400 000 personnes qui en ont besoin, seules 200 000 accèdent aux soins palliatifs. Je crains que l’aide à mourir ne devienne un palliatif aux soins palliatifs. Deuxièmement, les soignants en soins palliatifs, à quelques exceptions près, vivent cette disposition comme une négation de leur travail d’accompagnement. Nous discuterons plus loin des conditions d’accès à l’aide à mourir, mais je considère que le passage par les soins palliatifs doit être un préalable. ».

Même vision de la part du député communiste Pierre Dharréville : « Tout cela va perturber l’éthique du soin et de la médecine et, potentiellement, la relation de confiance entre les soignants et les patients. Deux logiques incompatibles s’affrontent. L’étude Jones-Paton de 2015 montre que la légalisation de la mort provoquée n’a pas diminué le nombre de suicides non assistés, plutôt le contraire. Ce texte de loi est un problème au moment où les soins palliatifs sont en situation d’insuffisance criante, où l’hôpital connaît une crise profonde et durable, où le droit à la retraite a été abîmé, où les pénuries de médicaments, y compris pour soulager la douleur, perdurent. Alors que le traumatisme de la pandémie a laissé pour trace une crise sociale profonde, il sera bientôt plus rapide d’obtenir un produit létal que de décrocher un rendez-vous dans un centre antidouleur. Je crains que cette loi ne crée sa propre dynamique en ouvrant l’éventail des cas plus largement que ne l’avait prévu le CCNE [Comité consultatif national d'éthique], avec le risque que de nombreuses personnes mettent fin à leur existence de manière prématurée. Je crois que le droit a une fonction sociale, que la société doit être du côté du droit à vivre, du désir de vivre, et que la loi doit protéger. (…) Nous nous éloignons manifestement de l’enjeu initial : il ne s’agit plus de traiter quelques cas isolés, mais d’établir un droit plus large. Je n’y suis pas favorable. Le fait d’institutionnaliser cette possibilité aura des effets sociaux problématiques. Cela constitue une rupture éthique, sociale et culturelle que je ne souhaite pas accompagner. ».

Idem pour la députée non-inscrite Emmanuelle Ménard : « Le projet de loi change clairement de paradigme. Au lieu de prendre le problème des soins palliatifs à bras le corps pour permettre à chacun de mourir dignement et sans souffrance, on veut légaliser le suicide assisté et l’euthanasie dans un texte qui, en associant cyniquement les trois sujets, prend en otage ces soins palliatifs. Je considère qu’une société qui fait cohabiter les soins palliatifs avec le suicide assisté et l’euthanasie est une société malade. Il y a un réel antagonisme entre une société qui cherche à supprimer la souffrance et une société qui cherche à supprimer la personne qui souffre. ».

C'est aussi ce que disait, à la même séance de la commission spéciale, la députée LR Annie Genevard : « Pour ma part, je demande [la] suppression [de l'article 5 (voir plus loin)] car je suis fondamentalement hostile à l’euthanasie et au suicide assisté. Tous les arguments invoqués en leur faveur appellent des contre-arguments. La loi serait la conquête d’un droit nouveau, et même un acte de fraternité ? Mais il y a un fait troublant, c’est qu’une personne renonce à mourir quand on répond à ses problèmes de douleur et d’isolement. N’est-ce pas là que devrait se concentrer le soin ? Le texte couvrirait des cas qui échappent à la loi Claeys-Leonetti ? Mais il ne répondra pas non plus à toutes les situations. Ce droit serait strictement circonscrit ? Pourtant, dans tous les pays où il a été introduit, il a appelé un élargissement. Enfin, une telle loi n’entraînerait aucun effet de contagion ? Mais au Canada, en huit ans, la demande d’euthanasie et de suicide assisté a connu une croissance exponentielle. Tout cela ne peut pas ne pas nous faire réfléchir. ».

L'autre volet concerne cette "aide à mourir", l'euthanasie, donc. Je reviens d'abord au texte du gouvernement pour deux articles très importants. L'article 5 donne la définition : « L’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner la mise à disposition, à une personne qui en a exprimé la demande, d’une substance létale, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles 6 à 11, afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin, un infirmier ou une personne volontaire qu’elle désigne. ».
 


On comprend bien que ce sont les articles 6 à 11 qui sont essentiels dans cette autorisation à mourir ou faire mourir. En particulier, l'article 6, dans sa rédaction gouvernementale, insiste sur la nécessité de répondre à cinq conditions en même temps : « Pour accéder à l’aide à mourir, une personne doit répondre aux conditions suivantes :
1° Être âgée d’au moins 18 ans ;
2° Être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France ;
3° Être atteinte d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme ;
4° Présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable lorsque la personne ne reçoit pas ou a choisi d’arrêter de recevoir des traitements ;
5° Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. ».

Dans la séance de la commission spéciale du 16 mai 2024, Emmanuelle Ménard s'est notamment inquiétée de la première condition : « La limite de 18 ans me semble problématique puisqu’elle est une porte ouverte évidente à l’euthanasie ou au suicide assisté des mineurs. Rien ne sera plus facile que de voter plus tard un amendement, il y en a déjà dans la suite de la discussion, proposant l’accès à l’aide à mourir à partir de 10, 12 ou 15 ans, voire sans aucune limite d’âge. ». Quant au député LR Philippe Juvin : « Les critères stricts que vous mettez en avant ne le sont pas. J’essaierai de le démontrer. ». Annie Genevard aussi était opposée à cet article 6 : « Mon attention et mon opposition se portent plus particulièrement sur la délivrance d’un produit létal à un patient dont le pronostic vital est engagé à moyen terme ; sur les patients présentant une souffrance psychologique ; sur la volonté libre et éclairée, dont on a vu dans les débats ce matin qu’elle pouvait être entravée, notamment par l’emprise ou l’abus de faiblesse. ».

J'ai déjà évoqué mon sentiment sur le sujet et quelle que soit la formulation de ces conditions, elles pourront toujours être vaguement contournées, d'autant plus si elles sont juridiquement floues. Par exemple, la "manifestation libre et éclairée" pourra toujours être discutée, notamment pour un patient à moitié conscient ou victime d'un abus de faiblesse. De même, le caractère "réfractaire" ou même "insupportable" de l'affection reste assez flou. Enfin, l'idée d'un pronostic vital engagé à "moyen terme" est très floue aussi. Toutefois, beaucoup de députés, initialement réticents, étaient prêts à se rallier à ce projet de loi avec de telles contraintes.

Mais c'était oublier le passage en commission spéciale, et surtout, rappelons-le en termes de procédure, depuis la révision constitutionnelle de Nicolas Sarkozy (de 2008), les députés en séances publiques délibèrent à partir du texte amendé de la commission et pas du texte initial déposé, ce qui oriente beaucoup les débats (on se dira que c'est un plus grand pouvoir des députés, et c'est vrai, mais on n'en parle jamais à leur actif et le risque est la surenchère démagogique).

Le texte de la commission a transformé considérablement celui du gouvernement. La rapporteure de cette partie cruciale (articles 5 et 6) est Laurence Maillart-Méhaignerie. Le 16 mai 2024, elle a eu à batailler en commission contre les tentatives pour élargir l'euthanasie aux mineurs, comme l'a demandé par exemple la députée écologiste Julie Laernoes. Laurence Maillart-Méhaignerie a expliqué pourquoi les mineurs sont exclus du texte : « Cette exclusion s’explique tout d’abord par des considérations éthiques. Le discernement d’un enfant progresse avec son âge. La faculté d’expression d’une volonté libre et éclairée, condition centrale dans l’accès à l’aide à mourir, suppose une maturité et un discernement plein et entier. L’ouverture de l’aide à mourir aux mineurs impliquerait nécessairement l’accord des parents, titulaires de l’autorité parentale, dont la position peut être délicate et discutable dans cette prise de décision qui doit rester un choix individuel. L’exclusion des mineurs du dispositif d’aide à mourir repose également sur des raisons médicales. Les traitements destinés aux jeunes patients sont de plus en plus prometteurs, comme en oncologie où le taux de rémission est considérablement plus élevé chez les jeunes. Le projet de loi prévoit donc de s’en tenir à la seule barrière juridique incontestable, qui est celle de la majorité, l’âge de la responsabilité pleine et entière du patient citoyen. ».


Ce qui est aussi l'avis du député centriste Charles de Courson : « En imposant d’obtenir le consentement des parents, si l’enfant a deux parents, que se passe-t-il si l’un est pour et l’autre contre ? On ne peut pas mettre le doigt là dedans. Si le texte est voté, il se passera ce qui s’est passé dans la plupart des autres pays : une dérive. On a bien vu tout à l’heure à quelles dérives avaient conduit les directives anticipées, avec lesquelles certains tentaient de contourner les fameux critères de l’article 6. ».

Certes, parfois, les modifications ou compléments sont les bienvenus de la part de la commission, car ils précisent mieux le texte ou l'encadrent mieux. C'est le cas de l'article 5 dont la version de la commission est plus pertinente qu'à l'origine : « L’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 1111 12 2 à L. 1111 12 7, afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin, un infirmier ou une personne majeure qu’elle désigne et qui se manifeste pour le faire. Cette dernière ne peut percevoir aucune rémunération ou gratification à quelque titre que ce soit en contrepartie de sa désignation. Elle est accompagnée et assistée par le médecin ou l’infirmier. ». En effet, il y a eu deux ajouts : l'interdiction de toute compensation rémunératrice de la part du tiers qui viendrait à administrer la substance létale au patient demandeur, ainsi que son accompagnement avec un personnel médical (car une injection n'est jamais anodine et il peut y avoir des problèmes). Surtout, l'idée d'évacuer toute tentation pécuniaire est essentielle, et on se demande pourquoi le gouvernement n'y avait pas pensé lui-même (on sait par exemple qu'en Suisse, des organisations privées se font beaucoup d'argent en proposant le suicide assisté).


Mais au-delà de la perfectibilité technique et juridique du texte, il peut y en avoir des modifications politiques voire philosophiques majeures. C'est le cas pour l'article 6 dont le troisième et quatrième points diffèrent de la version gouvernementale. Version de la commission spéciale :
« 3° Être atteinte d’une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale ;
4° Présenter une souffrance physique, accompagnée éventuellement d’une souffrance psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable lorsque la personne ne reçoit pas de traitement ou a choisi d’arrêter d’en recevoir ».
 


La notion pourtant très instruite et utilisée par le corps médical de « pronostic vital » a été supprimée au profit d'une « phase avancée ou terminale » qui ne signifie pas grand-chose. L'ancien ministre Joël Giraud, député Renaissance, s'est exprimé lors de la réunion n°28 du 16 mai 2024 de la commission spéciale, pour soutenir cette expression : « Cela permettra également aux patients atteints d’une pathologie évolutive d’être éligibles. ». La députée PS Christine Pirès-Beaune était aussi d'accord : « À titre personnel, j’estime que la condition de la maladie grave et incurable est suffisante. Il est trop cruel de dire à quelqu’un atteint de la maladie de Charcot qu’il devra attendre d’être en phase terminale, c’est-à-dire de n’avoir plus de jambes, plus de mains, peut-être de ne plus pouvoir respirer, pour avoir, peut-être, le droit de demander l’aide active à mourir. ». Même la rapporteure Laurence Maillart-Méhaignerie et le rapporteur général Olivier Falorni ont soutenu les amendements visant à remplacer "engageant son pronostic vital à court ou moyen terme" par "en phase avancé ou terminale".

En revanche, Laurence Cristol a soutenu l'expression d'origine : « Vous partez du présupposé qu’une définition à long terme serait plus claire, mais c’est clairement non ! En trente ans, les progrès de la médecine ont offert un espoir immense pour le pronostic de maladies que l’on pensait incurables à long terme. Pierre a 60 ans. Médecin, il a reçu il y a trois ans le diagnostic d’un cancer du pancréas métastatique résistant à la chimiothérapie : son pronostic vital était engagé au-delà du moyen terme. Il aurait donc été éligible au dispositif que vous proposez. Grâce aux thérapies innovantes qui n’existaient pas il y a peu, il a retrouvé sa qualité de vie, il vit, il profite. Beaucoup des juristes que nous avons auditionnés ont proposé de retirer le critère de pronostic vital engagé à court ou à moyen terme, mais il faut favoriser l’approche médicale et rester humbles devant la maladie et les évolutions thérapeutiques. Dans de très nombreux cas, le médecin saura dire si le pronostic vital est engagé à court ou à moyen terme, s’il n’y a plus d’espoir. C’est un horizon peut-être imparfait, critiquable, mais protecteur pour les patients et rassurant pour les soignants. Comprenez que le vote des amendements concernés anéantirait le sens du texte. ».

Cette dernière phrase est importante puisque ces amendements ont été adoptés par la commission spéciale. C'est aussi ce qu'a bien compris Philippe Juvin (par ailleurs médecin) : « Une affection peut être en phase avancée sans engager le pronostic vital. C’est le cas si votre médecin vous diagnostique un cancer avec des métastases généralisées, mais curable. La rédaction "en phase avancée" ouvre donc très largement le champ d’application. ». Ainsi que l'avis du député LR Patrick Hetzel : « Le remplacement du pronostic vital à court et moyen terme par la notion de phase avancée ou terminale ouvre en grand les voies d’accès à l’aide à mourir. Il n’y a aucune étude d’impact sur la question, puisque cette évolution serait consacrée par l’adoption d’un amendement d’origine parlementaire : accepter cette proposition nous ferait courir un risque considérable. Nous sommes opposés à l’autorisation du suicide assisté et évidemment à la suppression de conditions encadrant son recours. Nous vous avions alertés sur la volonté de certains d’aller plus loin que le texte du gouvernement ; vous pouvez constater que nous avions raison. Faisons attention et apportons des garanties aux patients, car nous parlons de leur vie. ».

Pareillement pour le député MoDem Cyrille Isaac-Sibille : « Les amendements m’interpellent : le court, le moyen et le long termes sont des critères de nature temporelle. Les maladies graves progressent : une fois le diagnostic posé, elles avancent, donc l’expression « phase avancée » pourrait concerner les premiers stades d’une maladie diagnostiquée. L’adoption de ces amendements sèmerait de la confusion pour les soignants, car toute pathologie évolutive pourrait entrer dans le champ de la loi : nous pénétrerions là sur un terrain dangereux. ». Idem pour le député LR Yannick Neuder : « Supprimer le pronostic vital des critères ouvrant droit à l’aide à mourir serait très grave. Ne confondons pas celui-ci avec la phase de la maladie, laquelle peut être avancée sans que le pronostic vital soit engagé ; des maladies avancées sont curables, comme la pathologie dont je souffre, l’insuffisance cardiaque, qui n’entre pas en phase terminale en cas de greffe. Il faut faire preuve de beaucoup de prudence dans le choix des termes et conserver la notion de "pronostic vital à court ou moyen terme". Il convient également d’avoir l’honnêteté de ne pas confier à la HAS le soin de définir ce critère. ».

La présidente de la commission Agnès Firmin-Le Bodo était aussi d'avis de garder le texte originel : « Le projet de loi repose sur un équilibre et une priorité, celle du choix du patient. Néanmoins, cette liberté s’inscrit dans un cadre dans lequel les professionnels de santé accompagnent le malade tout au long du processus. Seul un médecin peut déterminer si le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme. Le texte fixe des critères, qui assurent l’équilibre du dispositif. La suppression de la notion de court ou moyen terme modifierait en profondeur la nature du projet de loi et romprait son équilibre, car elle autoriserait des personnes dont le pronostic vital est engagé à long terme et qui endurent des souffrances physiques réfractaires à solliciter une aide à mourir. ».
 


La ministre Catherine Vautrin, au nom du gouvernement, était, elle aussi, opposée au changement d'expression et défendait la notion de "pronostic vital à court ou moyen terme" après avoir lu l'avis du Conseil d'État et la lettre du président de la Haute autorité de santé (HAS) sur le sujet : « Les auteurs des amendements tendant à supprimer la référence au moyen terme ont des intentions très différentes. Les uns veulent restreindre l’aide à mourir aux affections engageant le pronostic vital à court terme ; ce n’est pas le sens du texte, et j’y suis défavorable. Les autres estiment qu’il est inutile de préciser cette condition dans la loi, que la pratique médicale se suffira. Mais la loi ainsi rédigée serait-elle applicable ? Quel médecin se sentira protégé si la loi n’éclaire pas un minimum son action ? Nous formulons une notion, la pratique se l’appropriera. La pratique est à la médecine ce que la doctrine est au droit. Incontestablement, pour que la pratique soit possible, les médecins ont besoin d’un cadre protecteur, aussi avons-nous inscrit dans le texte la double référence au court et au moyen terme. ».

Ce jeudi 16 mai 2024 peu après 16 heures, la situation était donc critique au sein de la commission spéciale : le rapporteur général et la rapporteure de l'article étaient favorables à une modification sur la troisième condition en supprimant la notion de pronostic vital engagé, bouleversant complètement l'équilibre du texte initial. La présidente de la commission et la ministre se sont opposés à cette modification. La présidente a dû alors suspendre la réunion juste avant le vote pour tenter une conciliation, mais finalement, les amendements de modification ont été adoptés contre l'avis du gouvernement. Cela a constitué non seulement un camouflet contre le gouvernement mais aussi l'idée qu'une fois qu'on commence à légiférer sur l'euthanasie, les conditions dériveront toujours parce qu'il y aura toujours des ultras pour les élargir.

C'est donc évidemment sur les articles 5 et 6 qu'il faudra écouter attentivement les députés en séance publique, sans doute la semaine prochaine (ou à la fin de cette semaine). La question essentielle est : quelle sera la préférence des députés, le texte du gouvernement, équilibré, ou celui de la commission, débordé par ce que je nomme les ultras, même si ceux-ci, par précaution oratoire, n'hésite pas à faire part de leur humilité face à la gravité du sujet ? L'enjeu, c'est de protéger les plus vulnérables et de pouvoir leur apporter tous les soins qu'ils souhaitent, dont ils ont besoin, même atteints d'une maladie incurable, même en fin de vie. Que la solution de la mort ne soit pas la première option, facile, rapide et économique, au détriment de l'éthique, de l'innovation médicale et surtout, de la dignité humaine qu'on brandit un peu trop facilement à tort et à travers.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 mai 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Euthanasie 2024 (3) : les ultras dicteront-ils leur loi au gouvernement ?
Euthanasie : Robert Badinter, Ana Estrada et l'exemple péruvien ?
Euthanasie 2024 (2) : le projet Vautrin adopté au conseil des ministres du 10 avril 2024.
Euthanasie 2024 (1) : l'agenda désolant du Président Macron.
Robert Badinter sur l'euthanasie.
Le pape François sur l'euthanasie.
Fin de vie 2023 (4) : la mystification d'un supposé "modèle français" de la fin de vie.
Discours du Président Emmanuel Macron recevant la Convention citoyenne sur la fin de vie le 3 avril 2023 à l'Élysée (texte intégral).
Communiqué de l'Ordre des médecins sur la fin de vie publié le 1er avril 2023 (texte intégral).
Avis n°139 du CCNE sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie publié le 13 septembre 2022 (à télécharger).
Rapport n°1021 de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti publié par l'Assemblée Nationale le 29 mars 2023 (à télécharger).
Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie publié le 2 avril 2023 (à télécharger).
Fin de vie 2023 (3) : conclusions sans surprise de la Convention citoyenne.
Fin de vie 2023 (2) : méthodologie douteuse.
Fin de vie 2023 (1) : attention danger !
Le drame de la famille Adams.
Prémonitions (Solace).
Vincent Lambert.
Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
Euthanasie : soigner ou achever ?
Le réveil de conscience est possible !
Soins palliatifs.
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
La dignité et le handicap.
Euthanasie ou sédation ?
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
La politisation du CCNE (16 décembre 2013).
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La loi Leonetti du 22 avril 2005.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240527-euthanasie-2024c.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/euthanasie-2024-3-les-ultras-254865

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/05/27/article-sr-20240527-euthanasie-2024c.html




 

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7 mai 2024 2 07 /05 /mai /2024 03:48

« Il viendra un moment où je ne pourrai plus écrire ni m'exprimer. Mon corps est défaillant, mais mon esprit est heureux. Je veux que les derniers instants de ma vie soient comme ça. » (Ana Estrada).



 


Depuis quelques semaines, Élisabeth Badinter est invitée dans les médias, parce qu'elle vient de sortir un nouveau livre, le premier depuis la mort de son mari Robert Badinter. L'une de ses premières prestations a eu lieu sur France 5 le vendredi 26 avril 2024. Entre autres nombreux sujets, elle est revenue sur la pensée de Robert Badinter sur l'euthanasie. Certains, dont moi, voyaient dans la position de l'ancien garde des sceaux une appréciation hostile à l'euthanasie.

C'est toujours difficile et malsain de faire parler les morts, dans un sens comme dans un autre, et une déclaration ouvertement publique avant de mourir aurait permis d'éviter tout malentendu. Élisabeth Badinter, elle, est certaine de la position de son mari concernant le projet Vautrin d'aide à mourir : il la voterait si l'occasion lui en était donnée.

Les mots de la sociologue sont précisément les suivants : « Oui, je pense qu'il est effectivement important de savoir quel était son point de vue en septembre 2023. Il est vrai qu'en 2008, il a été interrogé dans une commission importante où il a dit ses réticences à propos de l'euthanasie. Et on a retenu ça, et par conséquent, il fallait faire très attention. Il n'a jamais dit : je suis hostile, quoi qu'il arrive. Il a dit : ça n'est pas des précautions religieuses ; ce n'est pas non plus, comment dirais-je, des précautions d'aucune sorte. C'est que l'euthanasie est un mot qui signifie quelque chose. D'ailleurs, on a enlevé le terme euthanasie dans le plan. Voilà. Et 2023, mais avant 2023 aussi, il a eu un entretien très long avec le député actuel qui va soutenir la loi. Lequel a affirmé, moi je n'étais pas présente à ce moment-là, lequel a affirmé que sa position était celle-là, qu'il voterait la loi. Et puis, donc quelques mois avant sa mort, comme l'a dit la ministre, étaient interrogés tous les deux. Donc, je suis le témoin direct, comme madame la ministre, on était quatre dans la pièce, et il a dit son point de vue, et il a dit : je voterais la loi si l'occasion m'était donnée. ».


Je ne doute pas de sa sincérité, mais j'ai quand même un doute car, en très bon juriste, Robert Badinter était guidé par des logiques inflexibles qu'il me paraît peu fluctuantes. En effet, le 16 septembre 2008, lors de son audition parlementaire sur l'évaluation de la loi Leonetti, Robert Badinter avait trouvé cette loi satisfaisante, car elle gardait un équilibre entre deux interdits, celui de tuer et celui de laisser souffrir. Mais surtout, il rappelait : « Le droit à la vie est le premier des droits de l'homme. », considéré comme « le fondement contemporain de l'abolition de la peine de mort » et que le remettre en cause en permettant de faire mourir laisserait une porte ouverte qui pourrait être très inquiétante dans le droit français (même s'il y a déjà le droit à l'IVG). Son principe juridique : « Personne ne peut disposer de la vie d'autrui. (…) Je ne conçois pas qu'un comité, aussi honorable soit-il, puisse délivrer une autorisation de tuer. ».

Robert Badinter s'estimait avant tout juriste et il réagissait comme juriste. Son point de vue n'était pas d'interdire l'euthanasie, d'autant plus qu'elle est déjà pratiquée de manière plus ou moins avouable. Mais il ne voulait pas la légaliser dans les textes. Il préférait que ce soit la justice et pas la loi qui puisse régenter cette pratique. Pour lui, c'est la justice qui doit dire si une euthanasie pratiquée est un meurtre ou un apaisement. L'intérêt que ce soient les juges qui se penchent spécifiquement sur un cas donné, dans une hypothèse de contestation (de la famille, d'un établissement, etc.), c'est qu'ils n'étudient que ce cas-là et n'ont pas la prétention de régir pour tous les cas, comme le fait la loi. Ainsi, l'infirmière malhonnête coureuse d'héritage qui "aide à mourir" ses futures victimes serait toujours poursuivie, alors que la maman aimante d'un fils en fin de vie qui la supplie de l'aider à mourir serait jugée de manière adéquate et indulgente (ce qui a été le cas en France, notamment pour l'affaire Vincent Humbert).


Au-delà de l'euthanasie, c'était une conception du rôle de la justice qu'avait Robert Badinter, par ailleurs ancien Président du Conseil Constitutionnel : le droit pénal n'a « pas seulement une fonction répressive mais aussi une fonction expressive », à savoir qu'il traduit « les valeurs d'une société ». Pour lui, au lieu de légiférer, la justice pourrait se prononcer pour dire s'il y a abus ou pas dans l'accompagnement d'une fin de vie.

Je ne suis pas dans le secret des dieux et aujourd'hui, le dieu en question a rendu l'âme, et donc, on ne peut plus rien dire de ce qui n'a pas été dit publiquement, mais je doute fort que Robert Badinter, qui avait émis cet avis effectivement il y a une quinzaine d'années, ait pu autant changer d'avis en cours de route car cela concernait des principes très importants, voire fondateurs, de ce à quoi il croyait. Mais son épouse, surtout si elle en a été témoin, est évidemment plus habilitée que moi pour dire s'il a changé ou évolué dans sa conception. Je suis cependant étonné de ce témoignage car le texte de loi n'a été véritablement défini qu'en mars 2024, après sa disparition, donc, s'il a dit qu'il voterait la loi si l'occasion lui en était donnée, de quel texte de loi s'agissait-il ?

Je laisse en suspension cette réflexion et elle importe finalement peu (au contraire de ce que pense Élisabeth Badinter que j'apprécie beaucoup par ailleurs pour son combat contre l'islamisme), faire parler les morts n'a pas d'intérêt et me paraît malsain. Je resterai donc sur le fait que j'approuve à 100% la réflexion du Robert Badinter du 16 septembre 2008, qu'il soit le même ou pas de celui de 2023 ou de 2024. Oui, pour des cas particuliers très exceptionnels, la possibilité d'une euthanasie (je mets dans ce mot qui a été évité dans le texte mais qui est bien elle, à la fois l'euthanasie et le suicide assisté, qui sont, en eux-mêmes très différents mais qui restent dans la même finalité : abréger la vie parce que la fin de vie est douloureuse, et si ce n'est pas le patient qui l'abrège lui-même, un tiers parce qu'il n'en est plus capable, mais dans tous les cas, le patient a besoin d'une aide, principalement médicale)... pour des cas particuliers, la possibilité d'une euthanasie doit rester nécessaire. Elle est déjà pratiquée, et même en présence de prêtres. Mais il ne faudrait surtout pas la mettre dans la loi, car c'est ouvrir une boîte de Pandore qui sans cesse assouplirait les conditions initialement très strictes d'application de l'euthanasie (cf la Belgique).
 


Toute cette longue introduction à propos de la pensée de Robert Badinter m'a paru utile pour évoquer la mort d'une citoyenne du Pérou, Ana Estrada, le 21 avril 2024 à Lima, selon son avocate Josefina Miro Quesada dans une communication sur Twitter le 23 avril 2024 : « Ana a remercié toutes les personnes qui l'ont aidée à donner une voix, qui l'ont accompagnée dans ce combat et qui ont soutenu sa décision sans condition et avec amour. ».

Qui était Ana Estrada ? Elle était une psychologue péruvienne de 47 ans (née le 20 novembre 1976 à Lima). En 1989, les médecins lui ont diagnostiqué une polymyosite (sorte de myopathie dégénérative), une maladie rare et incurable qui provoque une inflammation des muscles et entraîne des difficultés respiratoires. Dès 1996, elle devait se déplacer en fauteuil roulant. Elle a réussi toutefois à faire des études de psychologie à l'Université pontificale catholique du Pérou.


Malheureusement, sa maladie a beaucoup évolué (perte des muscles) et en 2015, après une forte aggravation de sa maladie, elle est restée près d'un an en soins intensifs pour soigner une pneumonie. On lui a ouvert la trachée pour pouvoir respirer à l'aide d'un ventilateur, et relié le ventre à une sonde pour pouvoir être alimentée (double intubation). Elle restait très peu souvent hors du lit dans la journée. Sa maladie l'a rendue dépressive. Sur son blog, elle a décrit : « C’est comme être prisonnière dans mon propre corps, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. ».

En 2019, Ana Estrada a commencé une activité militante en faveur de l'euthanasie et du suicide assisté. Après une pétition pour que l'État lui donne le droit d'avoir une "mort assistée", elle a ouvert un blog pour une "mort digne". Pays catholique, le Pérou interdit l'euthanasie considérée comme un "meurtre par compassion" selon l'article 112 du code pénal péruvien, passible d'une peine de trois ans de prison. En Amérique latine, la Colombie, l'Équateur et Cuba autorisent l'euthanasie sous conditions. En particulier en Colombie, l'euthanasie est dépénalisée depuis 1997 et a fait l'objet d'une réglementation ministérielle en 2015, sans faire l'objet d'une loi particulière.

En déposant un recours auprès des administrations de son pays et après un "tour judiciaire", Ana Estrada a obtenu de la justice (la onzième cour constitutionnelle de la cour supérieure de justice de Lima) le 22 février 2021 le droit d'être assistée dans sa mort en considérant que l'article 112 du code pénal n'était pas applicable dans cette situation particulière. Le 14 juillet 2022, la Cour suprême de la nation latino-américaine, la plus haute juridiction du Pérou, a confirmé la décision judiciaire lui accordant une exemption d'euthanasie. Plus précisément, la Cour suprême dit ainsi que le médecin qui fournirait, "le moment venu", le médicament destiné à mettre fin à la vie d'Ana Estrada serait exempté de toute sanction pénale. Pour beaucoup de juristes, cette décision est un événement historique.

Lors des audiences de février 2021, Ana Estrada a déclaré aux juges, selon "Le Monde" du 30 août 2022 : « Je ne demande pas à ce qu’on me laisse mourir, je demande un droit à choisir quand je ne voudrai plus vivre. De décider quand et comment mettre fin à mes douleurs, quand la maladie aura avancé à un point insoutenable. J’ai besoin de savoir que je dispose de cet outil, de cette possibilité, et que personne ne sera poursuivi ou condamné pour m’avoir aidée. ».

Dans les débats au sein de la Cour constitutionnelle (qui a pris sa décision par 4 voix pour et 2 voix contre), il était à un moment question d'obliger la visite régulière d'un représentant d'une organisation religieuse auprès d'Ana Estrada, mais cette mesure a été finalement abandonnée. Deux ans plus tard, avec une maladie qui a encore beaucoup avancé, Ana Estrada a utilisé cette ultime disposition juridique, totalement spéciale, pour être aidée à tirer sa révérence, accompagnée de sa famille.

Cet aspect juridique est important. Alors que le Pérou n'a même pas une loi comme en France qui permet la sédation profonde et continue (loi Claeys-Leonetti), il a permis cet acte d'euthanasie sans changer la loi, par l'intervention du juge qui est le seul apte à apprécier avec justesse la réalité de la situation et la justification d'une aide à mourir. Ainsi, l'aide à mourir n'est pas un droit mais une exception juridique permise par un juge.

Cette décision du 14 juillet 2022 fera certainement jurisprudence dans les années à venir au Pérou, alors que les députés péruviens, majoritairement conservateurs, n'ont aucune envie de légiférer sur le sujet. L'avocate d'Ana Estrada commentait ainsi : « Quand la politique ne s’empare pas de ces thèmes, cela finit par être la justice, les tribunaux, qui comblent ce vide. ». Et finalement, cette voie est très pertinente, car la fin d'une vie est un événement singulier et il est difficile d'y appliquer une règle générale ne prenant forcément pas en compte toutes les situations, puisque chaque vie et donc chaque mort est différente.


L'exemple péruvien (j'écris bien "exemple péruvien" et pas "modèle péruvien" car il n'y a jamais de modèle pour mourir) devrait inspirer le législateur français aujourd'hui alors que le projet de loi sur la fin de vie est en cours d'examen à l'Assemblée Nationale. À mon sens, cet exemple applique clairement et pleinement la conception de Robert Badinter de la justice, qui n'est pas que répression, mais aussi expression des attentes de la société, mais sous le contrôle des juges (qui sont bien plus indiqués que sous le contrôle des médecins qui ne sont pas impartiaux dans la relation entre la société et les patients).

Les activistes d'une loi sur l'euthanasie seraient opposées à laisser le juge décider car ils veulent obtenir un droit à l'euthanasie. Or, l'adoption d'une loi sur un tel droit à l'euthanasie ferait de notre nation une toute autre société, où la norme évoluerait naturellement vers une sorte d'eugénisme où les inutiles seraient invités, très "librement", à laisser la place aux autres. Dans un État déjà particulièrement endetté et déficitaire, les économies financières d'une réduction de vie des personnes en fin de vie seraient énormes.

Depuis cinquante ans, des alertes sont faites comme le film "Soleil vert", pour mettre en garde contre une telle société. Ce n'est pas la société à laquelle je crois. Ma société, c'est celle dont l'État vient au secours des plus fragiles, pas en les éliminant physiquement purement et simplement, mais en les soutenant dans leur infortune, en investissement massivement dans les soins palliatifs. S'il y a une telle demande d'euthanasie provenant d'ailleurs principalement de personnes bien-portantes, c'est surtout que nous sommes très en retard avec les soins palliatifs et que la situation de certains départements est une véritable honte et un véritable scandale. Éliminer le mal, c'est proposer des traitements pour réduire la douleur, ce n'est pas tuer la personne elle-même. Méfions-nous du doigt dans l'engrenage d'une logique eugéniste : elle sera irréversible. Car implacable.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Euthanasie : Robert Badinter, Ana Estrada et l'exemple péruvien ?
Euthanasie 2024 (2) : le projet Vautrin adopté au conseil des ministres du 10 avril 2024.
Euthanasie 2024 (1) : l'agenda désolant du Président Macron.
Robert Badinter sur l'euthanasie.
Le pape François sur l'euthanasie.
Fin de vie 2023 (4) : la mystification d'un supposé "modèle français" de la fin de vie.
Discours du Président Emmanuel Macron recevant la Convention citoyenne sur la fin de vie le 3 avril 2023 à l'Élysée (texte intégral).
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Avis n°139 du CCNE sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie publié le 13 septembre 2022 (à télécharger).
Rapport n°1021 de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti publié par l'Assemblée Nationale le 29 mars 2023 (à télécharger).
Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie publié le 2 avril 2023 (à télécharger).
Fin de vie 2023 (3) : conclusions sans surprise de la Convention citoyenne.
Fin de vie 2023 (2) : méthodologie douteuse.
Fin de vie 2023 (1) : attention danger !
Le drame de la famille Adams.
Prémonitions (Solace).
Vincent Lambert.
Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
Euthanasie : soigner ou achever ?
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La dignité et le handicap.
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Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La loi Leonetti du 22 avril 2005.


 





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https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/euthanasie-robert-badinter-ana-254302

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11 avril 2024 4 11 /04 /avril /2024 03:42

« Si l’ensemble de ces évolutions [depuis 2002] a d’ores et déjà considérablement modifié l’approche de la fin de la vie, elles ne répondent pas à toutes les situations (…). Ces constats ainsi que les revendications sociétales (…) appellent une réponse qui implique de concilier, d’une part, notre devoir de solidarité envers les personnes les plus fragiles parce que gravement malades, en prenant des mesures fortes en faveur des soins palliatifs et d’accompagnement, et, d’autre part, le respect de l’autonomie de la personne, en ouvrant la possibilité d’accéder à une aide à mourir, afin de traiter les situations de souffrance intenable que rencontrent certaines personnes dont le pronostic vital est engagé de manière irrémédiable en raison d’une maladie grave et incurable. » (Compte rendu du conseil des ministres du 10 avril 2024).




 


Ça y est, comme c'était planifié, le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie a été présenté et adopté au conseil des ministres de ce mercredi 10 avril 2024, après avis du Conseil d'État, et transmis au bureau de la Présidence de l'Assemblée Nationale. La communication gouvernementale insiste beaucoup sur l'appellation : selon le gouvernement, ce projet de loi ne légaliserait pas l'euthanasie mais seulement "l'aide à mourir". On en est toujours avec des euphémismes, comme pour le mariage pour tous, à cela près que le mariage pour tous ne remettait pas fondamentalement toutes nos valeurs en cause. Et puisque nous n'en sommes pas à un paradoxe près, c'est, comme prévu, la Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, qui sera chargée de le porter, notamment de le défendre devant le Parlement et dans les médias.

Catherine Vautrin est d'abord une responsable politique, à l'origine, du RPR, puis de l'UMP, puis LR jusqu'en 2019. Secrétaire d'État chargée de l'Intégration et de l'Égalité des chances, puis (à partir du 28 octobre 2004), chargée des Personnes âgées du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin du 31 mars 2004 au 31 mai 2005, puis Ministre déléguée à la Cohésion sociale et à la Parité du gouvernement de Dominique de Villepin du 2 juin 2005 au 15 mai 2007, elle est une femme politique chevronnée, élue locale à Reims depuis 1983, députée de la Marne de 2002 à 2017 (sauf période gouvernementale), et à sa nomination le 11 janvier 2024 au gouvernement de Gabriel Attal, elle était présidente du Grand Reims depuis 2014. Elle était par ailleurs la présidente de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine depuis septembre 2022.

À 63 ans, elle est perçue comme une femme de terrain, déterminée, et aussi comme une femme bien à droite. Elle avait obtenu son premier mandat parlementaire en 2002 comme candidate dissidente contre le candidat officiel de l'UMP (par ailleurs président de la confédération des syndicats médicaux français), investi à Paris, mais elle avait reçu le soutien des élus UMP de la Marne. Parmi ses positions depuis 2002, elle a montré un conservatisme sociétal très marqué.

C'est d'ailleurs à cause de cela qu'elle a raté d'être nommée Première Ministre par Emmanuel Macron en mai 2022. Il fallait une femme, et le Président réélu avait pensé à elle comme nouveau débauchage chez LR, mais une fronde s'est soulevée parmi les élus macronistes de gauche pour souligner qu'elle s'était opposée au mariage pour tous et avait même manifesté aux côtés de Christine Boutin en 2013. C'est probablement cette position conservatrice qui l'a fait battre sur sa circonscription en 2017 par une candidates LREM (amis cette dernière fut battue en 2022 par une candidate du RN). Après y avoir renoncé (au bénéfice d'Élisabeth Borne, plus progressiste et connaissant mieux les rouages de l'État), Emmanuel Macron aurait cependant regretté de ne pas l'avoir nommée à Matignon.

Avec la nouvelle année, il s'est donc rattrapé en la nommant à un super-ministère à la fois du Travail, de l'Emploi, de la Santé et de la Cohésion sociale, avec des réformes nombreuses (assurance-chômage, fin de vie, loi sur le grand âge, réforme de l'hôpital, etc.), en remplaçant, elle seule, trois ministres du précédent gouvernement (Olivier Dussopt, Aurore Bergé et Agnès Firmin-Le Bodo. Jean-Louis Borloo l'a même félicitée pour sa nomination.

Lors de l'examen de la future loi Leonetti, le 26 novembre 2004, en tant que Secrétaire d'État aux Personnes âgées, Catherine Vautrin avait clairement donné sa position sur l'euthanasie active, considérée comme "inacceptable" : « Sur la question des soins palliatifs, étroitement liée à cette préoccupation humaine de soulagement des souffrances, je dirais que leur importance en gériatrie n'est plus à démontrer. En même temps, ces soins ont leur spécificité, en raison à la fois de la diversité des pathologies cumulées, du degré d'autonomie physique et psychique, et de la nature de l'environnement socio-familial. Je sais combien les professionnels du secteur gériatrique, les usagers et les familles sont sensibles à cette problématique. Le texte de loi leur apporte des éléments de réponse, dans le sens du "bien mourir" et d'une plus grande qualité de vie possible jusqu'à la mort, que ne permettent ni l'obstination thérapeutique déraisonnable ni les démarches, inacceptables, d'euthanasie active. ».

Le fait de Catherine Vautrin soit aujourd'hui la "porteuse" de la loi sur l'euthanasie est donc assez étonnant, et même troublant, mais je n'oserais pas imaginer qu'elle ait troqué ses valeurs pour un (gros) maroquin ministériel. Je propose de donner quelques éléments factuels de présentation, puis d'en faire quelques commentaires personnels.

Les faits, c'est ce que le projet de loi propose : une "aide à mourir" (on ne parle pas d'euthanasie, mais, je le répète, c'est le mot qu'il faudrait, et même, deux démarches considérées comme identiques, euthanasie active et suicide assisté) est proposée aux personnes en fin de vie dans des conditions très précises.

Pour rendre possible cette aide à mourir, il faut que le patient réponde à cinq conditions. Deux conditions "administratives" (qui peuvent avoir leur importance) : il faut qu'il soit majeur (avoir au moins 18 ans), et qu'il soit de nationalité française ou résident français depuis un certain temps. La troisième condition est qu'il faut qu'il ait tout son discernement et puisse être capable d'exprimer clairement sa volonté, de manière éclairée, sans qu'elle ne soit altérée (en particulier, qu'elle soit reconfirmée plusieurs fois). La quatrième condition est que le patient doit être atteint d'une maladie grave et incurable. Grave, c'est-à-dire dont le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme (court terme : quelques jours ou quelques semaines ; moyen terme : six à douze mois). Cela signifie que les pathologies ordinaires concernant la vieillesse ne sont pas concernées par ce dispositif (par exemple, rhumatisme, arthrose, etc.). Enfin, la cinquième condition est que la maladie dont souffre le patient doit produire des douleurs impossibles ou difficiles à soulager (en d'autres termes, « souffrir de douleurs insupportables et réfractaires aux traitements »).

Lors du compte rendu du conseil des ministres, Catherine Vautrin est revenue sur le discernement : « Alors aujourd'hui, le texte tel qu'il est écrit (…) exclut (…) les maladies psychiatriques. Très concrètement, c'est dans les exclusions du texte. Et vraiment l'un des piliers du texte, c'est la capacité de discernement. Et cette capacité de discernement, elle est évaluée lors de l'examen par le médecin qui décide de l'éligibilité. ».

Dans le cas où le patient exprime une telle volonté auprès d'un médecin, qui ne devra avoir aucun lien familial ou personnel avec lui, une expertise est réalisée (par ce médecin, pas de procédure collégiale) pour confirmer les conditions requises, et le cas échéant, après un délai de réflexion, le médecin fournit au patient le produit létal à avaler ou injecter, soit par une action du patient (suicide assisté), soit par une action d'un tiers, proche ou médecin (euthanasie active), avec, dans tous les cas, l'accompagnement d'un médecin (pour réagir, par exemple, en cas de "fausse route"). Par ailleurs, les médecins bénéficient de la clause de conscience qui leur permet de refuser de fournir le produit létal ou de pratiquer l'euthanasie.

Catherine Vautrin insiste beaucoup sur le fait que les conditions sont très strictes : que seule la volonté du patient est prise en compte, et en cas de refus de l'expert, seul le patient peut faire appel, sans que la volonté de la famille puisse jouer (c'est important puisque la dérive est possible pour hériter plus tôt, même si, généralement, la famille semble la plus apte à déterminer la volonté réelle du patient). C'est d'ailleurs sans doute une lacune : le texte semble faire fi de la personne de confiance désignée par le patient.

Autre chose, Catherine Vautrin insiste aussi beaucoup sur le fait que le dispositif n'est pas réservé aux personnes âgées mais à toute personne en fin de vie. En outre, en cas de demande et d'accord de l'aide à mourir, une proposition de soins palliatifs est d'abord faite et c'est d'ailleurs un droit du patient demandeur. Le projet de loi a aussi tout un volet sur les soins palliatifs, en particulier par la création de "maisons d'accompagnement" pour les personnes en fin de vie qui ne pourraient plus vivre seule chez elles.

Je conçois bien que pour Catherine Vautrin, ces conditions très strictes limitent les risques d'abus et permet de donner une porte de sortie à ceux qui, dans leur agonie, ne supportent plus de vivre avec de telles souffrances. Il faudra déjà que ce soit dans cet esprit que le projet de loi soit voté, car je ne doute pas qu'il y aura beaucoup d'amendements pour élargir le champ des possibles de cette aide à mourir, et si la ministre affirme qu'il faut légiférer en la matière « d'une main tremblante », c'est bien parce qu'elle craint les jusqu'au-boutistes de l'euthanasie.

 


Après un passage en commission des affaires sociales, le projet de loi devrait être débattu à partir de la fin du mois de mai (la date du 27 mai 2024 comme début de l'examen en séance publique avait été avancée il y a un mois).

Mes commentaires, maintenant. Je le répète : je suis un soutien ferme de l'action du Président Emmanuel Macron dans ces temps troublés (heureusement qu'il est là pour la France, je l'écris très clairement), mais ("en même temps"), je suis un opposant farouche de l'euthanasie, et par conséquent, on ne s'étonnera pas que je sois absolument opposé à ce projet de loi (et je n'ose même pas imaginer le texte final après la surenchère des parlementaires).

Catherine Vautrin parle, à propos de son projet, d'un texte raisonnable et surtout équilibré. Mais non ! Le texte équilibré, c'était la loi Leonetti promulguée le 22 avril 2005, complétée par la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016. Ces deux lois avaient réussi justement à atteindre cet équilibre entre le refus d'une obstination déraisonnable (acharnement thérapeutique) et l'euthanasie, avec la possibilité d'une sédation profonde et continue (qui est sans douleur pour le patient, rappelons-le ; dans ce cas, c'est surtout ceux qui l'accompagnent qui souffrent psychologiquement, pas lui). L'avantage était majeur, celui de ne pas franchir la barrière de l'interdiction de tuer et de rester compatible avec la mission du médecin, celle de soigner et pas de tuer. Du reste, environ 5% des médecins seraient prêts à démissionner de leur poste hospitalier si le projet de loi était adopté.

C'est évident que, même si le texte n'était pas amendé, même s'il restait en l'état, ce qui serait la situation la "moins pire", le paradigme juridique et moral exploserait, il serait complètement transformé avec l'autorisation soit de tuer, soit d'aider à mourir (je le répète, le suicide assisté ou l'euthanasie active sont une même et seule démarche puisque, dans les deux cas, cela fait appel à un tiers public, l'État, pour achever une vie). Cela deviendrait un "cheval de Troie" (expression de Catherine Vautrin elle-même lors du débat sur le mariage pour tous qui favoriserait ensuite la PMA pour toutes les femmes, et il faut dire que, là, elle n'avait pas eu tort), et nul doute que le dispositif d'aide à mourir serait alors, par la suite, amené à "évoluer" vers une euthanasie beaucoup plus "permissive" avec des conditions beaucoup moins strictes (comme le réclament les lobbyistes de l'euthanasie).

Je rappelle aussi l'agenda navrant de ce projet de loi : nous sommes dans une situation où la cohésion nationale est très fragile, avec des tensions très fortes au niveau européen voire mondiale, avec la guerre en Ukraine, la guerre à Gaza, des risques de déflagration de toute part (Taïwan, etc.). Également dans un contexte financier difficile (déficit public élevé et demande de 10 voire 15 milliards d'euros d'économies). C'est un contexte financier très délicat, car tout projet de loi sur l'aide à mourir aura évidemment pour effet de réduire les dépenses de santé (toute personne malade qui meurt plus tôt est moins coûteuse pour la collectivité, alors que les soins palliatifs sont au contraire une charge supplémentaire de l'État, pas encore assez élevée aujourd'hui).

Aujourd'hui, Catherine Vautrin explique qu'elle propose son projet de loi à budget constant, sans baisse donc. Mais demain ? L'État, à terme, aura intérêt financièrement à favoriser l'euthanasie (personne ne l'avouera clairement), et cela enclenchera naturellement un mouvement de type eugéniste et utilitariste : qui garde-t-on ? les utiles ? Mais ce n'est pas le discours de la ministre qui, pour prouver sa bonne foi (que je ne mets pas en doute), rappelle que son projet comporte aussi un grand volet sur les soins palliatifs.

C'est ce qui me gêne : il aurait sans doute fallu faire deux lois et séparer les deux sujets. Une sur la fin de vie, qui peut prêter à des débats nombreux. Et une autre, d'urgence, sur les soins palliatifs, qui ne peut être que consensuelle, forcément. Catherine Vautrin a annoncé que le gouvernement venait d'injecter 1,1 milliard d'euros supplémentaires pour les soins palliatifs sur la période de 2024 à 2034 (soit 100 millions d'euros par an), ce qui fera que le budget consacré aux soins palliatifs passera en dix ans de 1,6 à 2,7 milliards d'euros par an. C'est beaucoup, mais la demande est importante.

Les soins palliatifs doivent être un droit à chaque Français, alors que vingt départements n'ont encore aucune structure de soins palliatifs à proposer à leurs patients. C'est donc surtout une urgence budgétaire, au-delà des mesures concernant la formation générale des médecins, la création d'une spécialité en médecine palliative, la création d'unités mobiles de soins palliatifs pour permettre, quand c'est possible, de rester au domicile, etc. La demande (à froid, par les biens-portants) d'euthanasie ne serait pas aussi forte si tout le monde avait réellement accès aux soins palliatifs.

Enfin, en pleine campagne électorale, ce débat parlementaire paraît mal placé. Certes, il ne faut pas arrêter de gouverner sous prétexte de situation internationale tendue, de compagne électorale, etc., mais il ne faut pas que l'aide à mourir soit la compensation électoraliste (car très populaire dans les enquêtes d'opinion) à d'autres mesures beaucoup moins populaires qui pourraient survenir (comme une quatrième réforme de l'assurance-chômage, etc.).

La fin de vie est un sujet qui parle de vie, qui parle de mort, qui touche à l'intime, aux consciences, aux individus, et, par conséquent, ne doit être instrumentalisée par personne sur le plan politique. Un texte sur ce sujet doit être un véritable équilibre, c'est-à-dire, que tous les Français, à part quelques excités, puissent s'y reconnaître car cela les touchent au plus profond. Le risque d'une opposition frontale par les forces les plus réactionnaires et les plus extrémistes n'est pas à exclure, et ce sera la sérénité des débats qui en serait la victime.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 avril 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Euthanasie 2024 (2) : le projet Vautrin adopté au conseil des ministres du 10 avril 2024.
Euthanasie 2024 (1) : l'agenda désolant du Président Macron.
Robert Badinter sur l'euthanasie.
Le pape François sur l'euthanasie.
Fin de vie 2023 (4) : la mystification d'un supposé "modèle français" de la fin de vie.
Discours du Président Emmanuel Macron recevant la Convention citoyenne sur la fin de vie le 3 avril 2023 à l'Élysée (texte intégral).
Communiqué de l'Ordre des médecins sur la fin de vie publié le 1er avril 2023 (texte intégral).
Avis n°139 du CCNE sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie publié le 13 septembre 2022 (à télécharger).
Rapport n°1021 de la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti publié par l'Assemblée Nationale le 29 mars 2023 (à télécharger).
Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie publié le 2 avril 2023 (à télécharger).
Fin de vie 2023 (3) : conclusions sans surprise de la Convention citoyenne.
Fin de vie 2023 (2) : méthodologie douteuse.
Fin de vie 2023 (1) : attention danger !
Le drame de la famille Adams.
Prémonitions (Solace).
Vincent Lambert.
Axel Kahn : chronique d’une mort annoncée.
Euthanasie : soigner ou achever ?
Le réveil de conscience est possible !
Soins palliatifs.
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
La dignité et le handicap.
Euthanasie ou sédation ?
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
La politisation du CCNE (16 décembre 2013).
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Figaro" du 5 avril 2021.
Tribune de Michel Houellebecq dans "Le Monde" du 12 juillet 2019.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La loi Leonetti du 22 avril 2005.

 



https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240410-vautrin.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/euthanasie-2024-2-le-projet-254100

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/04/10/article-sr-20240410-vautrin.html










 

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