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5 août 2020 3 05 /08 /août /2020 03:35

« Nous étions des braises, la flamme était en nous, elle a jailli. » (Hubert Germain).



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Quand on cherche des modèles, des exemples de vie, on peut facilement les trouver, car il y en a. Hubert Germain et Daniel Cordier font partie de ces personnalités que j’admire pour une simple raison, le courage, le courage qui a laissé une trace dans l’histoire, pas la petite, la grande histoire de France. Ils atteignent maintenant le seuil exceptionnel de 100 ans d’âge, respectivement ce jeudi 6 août 2020 et le lundi 10 août 2020. Mais devenir centenaire n’est qu’un exploit involontaire, conséquence peut-être de choix de vie, mais plus probablement du hasard, de la chance. Surtout que dans les choix de vie, ils auraient au contraire eu tendance à écourter leur vie. À 20 ans.

Avoir 20 ans en 1940, cela nécessitait quelques réflexions : eux, ils ont réfléchi, mais surtout agi. Ils se sont engagés dans la Résistance et ils sont maintenant parmi les très rares survivants des Compagnons de la Libération qui ne se comptent même plus sur tous les doigts d’une main. Ils sont encore quatre, le doyen est Edgard Tupët-Thomé qui est centenaire depuis le 19 avril 2020, et le p’tit jeune, c’est Pierre Simonet, seulement 98 ans (il aura les 99 ans le 27 octobre 2020).

Deux résistants et deux vies très différentes, par la suite, mais la même communauté de vue : lorsque la France est en danger (j’insiste sur le sujet, "la France" et pas "la patrie" qui semblait être une notion bien trop abstraite pour Hubert Germain, voir plus loin), il faut réagir. Quand je vois que certains aujourd’hui osent se prendre pour des "résistants" parce qu’ils refusent de porter un masque obligatoire, douillets et capricieux comme ils sont, sans se rendre compte qu’ils contribuent (involontairement) à la circulation du coronavirus (déjà plus de 700 000 décès et la courbe n’est hélas pas encore à son sommet), je me demande ce que serait l’Occupation nazie aujourd’hui. Ce sont peut-être les mêmes qui refusent de mettre des préservatifs pour un premier rapport, même s’ils ont le sida ? ou qui refusent de mettre la ceinture de sécurité, même celle de leurs enfants, pour leurs trajets de vacances ? Résistance, mot galvaudé par des honteux sans amour et sans humanisme. Retournons aux sources !

J’ai déjà évoqué l’année dernière la vie de ces deux honorables résistants Hubert Germain et Daniel Cordier. Dès la défaite de la France, dès l’arrivée de Pétain qui s’est couché devant la défaite et les nazis, les deux n’ont pas hésité, ils sont allés rejoindre De Gaulle à Londres dès juin 1940. Ils furent affectés selon les besoins de la France libre.

Hubert Germain a eu ensuite une vie politique dans la période gaullo-pompidolienne. Proche de Pierre Messmer, un autre remarquable résistant, Hubert Germain fut élu député gaulliste de Paris et fut même ministre dans les gouvernements qui furent dirigés par son mentor en politique, Pierre Messmer. Il était à la tête de l’antique ministère des PTT (Postes et Télécommunications) à une époque, entre 1972 et 1974, où la demande d’avoir sa ligne particulière avait explosé (il fallait à l’époque plusieurs semaines pour en avoir une, et souvent grâce au piston).

Dans un documentaire réalisé par Frédéric Roumeguère sur Bir Hakeim en 2012, Hubert Germain a confié : « Si vous demandez une définition de la Patrie, personne ne vous la donnera. Nous avons chacun une définition de la Patrie. Je suis allé il y a  deux ans à une promotion à Saint-Cyr de Pierre Messmer, les jeunes étaient là ainsi que leurs parents. On sentait bien qu’ils ne savaient plus ce que c’était. J’ai été amené à intervenir et je leur ai dit : Je vais vous donner ce qu’est ma définition de la Patrie. Lorsque nous avons débarqué sur les côtes de Provence, j’étais là en attente sur un bateau hollandais (…). Au moment de débarquer, nous avons plongé dans les landing-craft, et nous nous sommes dirigés vers la côte, moi-même j’étais en tête du bateau. La trappe s’abaisse, l’officier de marine qui commandait le landing-craft nous dit "Go !", nous nous sommes précipités et tout d’un coup, je me suis dit : mais qu’est-ce qui se passe ? Mes jambes ont fléchi, je suis tombé à genoux. Il y avait l’odeur des pins, le bruit des cigales… un peu affolées les cigales, quand même, et j’ai pleuré. La Patrie, c’était une odeur retrouvée, la Patrie, à ce moment-là, c’était aussi une chanson, le chant des cigales. ».

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Quant à Daniel Cordier, après la guerre, il a complètement "zappé" son rôle dans la Résistance (j’y reviens juste après), pour devenir un galeriste, marchand d’art et même artiste lui-même (mais il n’a pas beaucoup insisté dans ce registre). Il fut donc collectionneur d’art et fut même, dans les années 1970, l’un des conseillers références du Centre Pompidou lors de la constitution de la collection permanente du musée. Ce n’est que par la suite qu’après des déclarations de certains résistants qui insultaient la mémoire de Jean Moulin que Daniel Cordier a commencé un véritable travail d’historien sur le tas, spécialisé dans la vie et l’action de Jean Moulin pendant la guerre. Il avait quelques raisons d’en savoir plus que les autres puisqu’il a été son secrétaire particulier et à ce titre, son bras droit, son homme de confiance, qui le rencontrait parfois plusieurs fois par jour. Jean Moulin lui a aussi donné le goût de l’art contemporain dont il ne comprenait alors rien. Jean Moulin, lui-même dessinateur talentueux, était même un galeriste dans sa fonction couverture à Lyon.

En ce moment (cet été), la chaîne parlementaire LCP rediffuse souvent le téléfilm "Alias Caracalla, au cœur de la Résistance" de 180 minutes, diffusé la première fois sur France 3 les 25 et 26 mai 2013, réalisé par Alain Tasma avec quelques acteurs connus comme Éric Caravaca (Jean Moulin), Julie Gayet (Marguerite Moret), Laurent Stocker (Pierre Brossolette), etc. On ne peut pas dire que ce téléfilm soit du grand art (il manque notamment les émotions) mais c’est un peu à cause du genre, un peu trop démonstratif, celui d’adapter une biographie à l’écran, celle de Daniel Cordier, "Alias Caracalla" sortie chez Gallimard le 15 mai 2009.

Dans ce livre référence de ce qu’a vécu Daniel Cordier le résistant au jour le jour, on peut y lire ainsi son éducation artistique. Le 8 mai 1943, par exemple, au détour d’une réunion, Jean Moulin n’hésitait pas à en parler : « Il m’interroge à haute voix sur les expositions à Paris et me livre l’intérêt provoqué à Lyon par certains artistes modernes et contemporains dont les noms et les œuvres me sont inconnus. La plupart du temps, j’écoute en perdant pied rapidement, faute d’images pour me repérer. Pour la première fois, il évoque les expositions qu’il souhaite visiter à Paris. Je ne suis encore jamais entré dans une galerie et, surtout, je n’ai guère de temps à gaspiller dans ce qui m’apparaît comme une farce pour des "oreilles" ennemies. ».

Mais ce n’était pas vraiment du divertissement : « Selon Rex [Jean Moulin], je me trompe : "Pour authentifier vos fonctions, visitez des galeries lorsque vous êtes dans le quartier des Beaux-arts". Perçoit-il ma réprobation muette ? Il ajoute : "Achetze ‘Comœdia’. Vous y trouverez des comptes-rendus d’expositions. Cela vous permettra de faire semblant". Il est vrai qu’à Lyon, ces conversations sur des sujets fictifs faisaient partie de la couverture enseignée en Angleterre pour protéger notre clandestinité. Elles ne m’avaient pas étonné et m’avaient même diverti. Aujourd’hui, même si cette fiction reste sans doute protectrice, je n’ai pas une minute à lui consacrer au cours de journées déjà trop courtes. Paris est une ville démesurée, et nous sommes tous épuisés par les heures de métro et de galopades aux quatre coins de la capitale. J’accepte toutefois son conseil sans broncher. ».

"Ces galopades aux quatre coins de la capitale" comme aux quatre coins de Lyon, c’était le job de Daniel Cordier : il prenait ainsi mille risques par jour d’être arrêté et torturé par la Gestapo, pour récupérer un courrier, envoyer un télégramme, convoquer un membre d’une réunion, financer des actions clandestines, etc. Pour lui, sortir dans les rues, c’était comme sortir dans les rues en période de confinement où le risque épidémique est majeur, sauf que le virus-là était mortel à 100%, et il touchait surtout les plus jeunes.

Revenons à l’art. Dans la soirée du 27 mai 1943 (voir plus loin), Jean Moulin a poursuivi l’éducation artistique de Daniel Cordier. Il faut bien comprendre que Daniel Cordier n’était même pas au courant de la couverture de Jean Moulin (marchand d’art) : « Après avoir tant de leçons sur l’art moderne, je suis confronté à Vassily Kandinsky, l’un des artistes qu’il évoque parfois, avec passion. La galerie expose un ensemble de ses gouaches. Ce sont les premières œuvres d’un artiste moderne que je vois. (…) L’ensemble me paraît enfantin. N’étant jamais entré dans un musée, je ne connais rien à la peinture. Je reviens vers Rex : "Alors ?" me demande-t-il, les yeux brillants. J’ai si peur de le décevoir en lui disant la vérité que je réponds à côté : "C’est plaisant" (…). J’ai rarement vu Rex aussi détendu. Cela me rappelle notre première soirée à Lyon. "Kandinsky est un vieux peintre russe. C’est l’inventeur de l’art abstrait. Il a quitté la Russie après la Révolution pour s’installer à Munich, puis à Paris, où il vit encore. D’autres peintres sont venus à l’abstraction par d’autres voies, comme Piet Mondrian, qui fut d’abord cubiste. Kandinsky a transfiguré la réalité en signes abstraits. Il a le mérite d’être le premier". Je ne comprends rien à son exposé. ».

Daniel Cordier a apporté un éclairage intéressant bien que subjectif de cette partie d’histoire de France qu’est la France libre, qu’il différencie de la Résistance : « Après avoir quitté Rex au rond-point, je repense à cette boutade et je m’étonne d’avoir défendu avec passion la Résistance. Comme les autres Free French, je ne confonds pas la Résistance et la France libre. De même, il existe pour nous deux résistances : celle des militants et celle des chefs. L’une est faite des équipes de filles et de garçons qui nous entourent et qui accomplissent, avec bonne humeur et dévouement, les tâches les plus ingrates. À l’inverse, nous nous moquons des chefs, qui ne ressemblent en rien à nos supérieurs dans l’armée que nous admirons. Il est vrai qu’il s’agit d’une frange minime de la Résistance. Curieusement, Rex, en dépit de son irritation permanente, est plus indulgent à leur égard, cependant qu’il réserve sa sévérité aux services de la France libre, dont il dépend techniquement. » (18 mai 1943).

Dans son livre, il est également intéressant à lire le témoignage de Daniel Cordier sur la principale "œuvre" de Jean Moulin, à savoir le Conseil National de la Résistance, dont l’objectif, fixé par De Gaulle à Londres, était de réunir toute la classe politique d’avant-guerre ainsi que les mouvements de résistance pour avoir un organe représentatif de la France libre. C’était difficile car la plupart des mouvements de résistance refusaient d’inclure dans cet organe les représentants des vieux partis qui ont failli et qui n’ont pas forcément réagi à la première heure. Mais Jean Moulin, habile politique (c’était un brillant préfet, avant la guerre), avait compris que l’objectif de De Gaulle n’était pas négociable et a dû donc trouver des représentants de ces "vieux" partis qui ne "déméritaient" pas.

Le 17 mai 1943, Jean Moulin devait encore convaincre deux représentants de partis de centre droit, Joseph Laniel (futur Président du Conseil) et Louis Marin (député de Nancy) : « Depuis son retour à Paris, Rex multiplie les négociations avec les mouvements, les partis et les syndicats. Le grand jour approche, maintenant qu’il a  réduit les obstacles majeurs. Presque tous les représentants sont désignés, à l’exception de ceux de l’Alliance démocratique et de la Fédération républicaine, bien que leurs partis en aient accepté le principe. Rex me demande d’organiser un rendez-vous avec Joseph Laniel pour le premier et Louis Marin pour le second. ».

Joseph Laniel : « Dès l’armistice, Laniel a participé au travail du groupe clandestin créé à Lyon par Paul Bastid. C’est par son intermédiaire que j’organise le rendez-vous avec Rex, à la sortie du métro Rue du Bac, au carrefour des boulevards Raspail et Saint-Germain. Ils traversent tous les deux le boulevard Saint-Germain et entrent dans le premier bistrot de la rue du Bac. Après explication de Rex, Laniel donne son adhésion sans réserve au projet de Conseil et accepte d’y représenter son parti. ».

Louis Marin : « Le dernier rendez-vous est avec Louis Marin. Bien qu’il ait décliné à plusieurs reprises l’offre du Général d’aller à Londres, il a accepté le principe du Conseil de la Résistance. Mais il y a quelques jours, il a refusé in extremis d’y siéger, sous prétexte qu’il était trop vieux, et a recommandé le marquis de Moustiers pour le remplacer. Malheureusement, Rex ignore la façon de le joindre. On le dit en Belgique. Aurons-nous le temps de le trouver et de le faire venir à Paris pour la réunion ? C’est un représentant d’autant plus précieux qu’il a été l’un des rares membres des partis à avoir voté contre Pétain en juillet 1940. ».

Problèmes le 22 mai 1943 : « Parmi les lettres que j’apporte, il y a deux mauvaises nouvelles : l’une révèle que Laniel a voté en faveur de Pétain en juillet 1940. Rex l’ignorait. Il ne comprend pas que personne ne l’ait averti : "Quel cadeau pour les communistes ! Pourquoi ne m’a-t-on pas mis en garde ? Bastid m’a assuré qu’il était le seul présentable à l’Alliance démocratique. Que doivent être les autres ?". L’autre message annonce que Moustiers vit en effet en Belgique et qu’il refuse de se déplacer. "Évidemment, dit Rex, quand il y a du danger… Il faudra attendre la Libération pour assister à la bousculade !" ».

Finalement, Joseph Laniel resta membre du CNR et, le 26 mai 1943, Jacques Debû-Bridel a remplacé Louis Marin et le marquis de Moustiers au CNR.

Heureusement, une bonne nouvelle : « J’ai gardé pour la fin le message tant attendu du Général De Gaulle. (…) La mauvaise humeur de Rex se dissipe. Le manifeste de De Gaulle est rédigé sur son papier à lettres à l’en-tête du 5 Carlton Garden. (…) Durant la lecture, son attention est extrême. "C’est parfait, dit-il. Comme toujours, il va à l’essentiel". Puis, semblant se raviser : "Peut-être aurait-il pu insister sur la réforme des partis". Finalement, il rayonne et répète : "C’est parfait !" (…). Rentré chez moi, je ne résiste pas à la curiosité de lire le message de De Gaulle. Évidemment, tout y est : "La formation du Conseil de la Résistance, organe essentiel de la France qui combat, est un événement capital". Je suis heureux de cet hommage à Rex qui en est l’inventeur et le réalisateur. Comme toujours, j’admire la prose du Général (…). Je suis séduit par ce texte du Général, si présent au combat que nous menons. J’en retiens surtout deux mots, qui représentent notre but à tous : "colossale révolution". ».

Sur l’habileté politique de De Gaulle [confronté à la rivalité avec le Général Giraud] : « Ayant suivi au jour le jour l’évolution du projet de Rex, j’admire la conclusion du Général, sa manière de récupérer la caution de ces chefs qui dénoncent chaque jour sa politique "annexionniste" et refusent en fait son autorité. C’est une leçon de tactique politique, qui le sacre chef authentique de la Résistance. Par un formidable tour de passe-passe, il leur assigne une place majeure dans des institutions qu’ils refusent de créer… » (22 mai 1943).

Le 23 mai 1943, Daniel Cordier a retranscrit la pensée de Jean Moulin sur la première réunion du CNR : « Cette séance doit consacrer la légitimité républicaine du Général. C’est la première réunion d’une assemblée représentative de la France résistante, la première également depuis la trahison de l’Assemblée nationale le 10 juillet 1940. C’est une date fondatrice pour la Quatrième République. Tous les représentants des anciens partis doivent être physiquement présents, comme le seront ceux des mouvements et des syndicats. (…) Depuis Vichy, nous ne leur avons rien demandé. Aujourd’hui, ils doivent faire leurs preuves. Avant-guerre, la pratique a souffert, entre autres, de l’absentéisme et des votes par procuration. Si nous voulons refaire une République militante, il nous faut être intraitable sur son fonctionnement. Les ouvriers sont tous les jours à l’usine, pourquoi les parlementaires ne sont-il pas à l’Assemblée ? ».

La première réunion du CNR s’est finalement tenue le jeudi 27 mai 1943 à 14 heures au 47 rue du Four à Paris, dans la plus grande clandestinité. C’était Daniel Cordier qui a joué le rôle d’agent immobilier pour trouver, en toute discrétion, l’appartement servant à accueillir la réunion historique. Cependant, les conditions de sécurité n’étaient pas vraiment acquises : « Morlaix a signalé à Rex que la cuisine ouvrait sur le toit d’une cour intérieure, d’où l’on pouvait s’enfuir. Mais il n’y a pas d’issue sur une autre rue. Comme toujours, nos mesures de sécurité sont en trompe-l’œil. ».

Cette réunion capitale a été la grande œuvre de Jean Moulin, mais aussi, celle de Daniel Cordier, car elle donnait les bases de la légitimité politique de De Gaulle. Quelques jours plus tard, le 21 juin 1943, lors d’une réunion à Caluire, Jean Moulin, probablement trahi, fut arrêté par la Gestapo, il fut ensuite torturé à mort…

Tous mes vœux de bonne santé accompagnent ces deux jeunes centenaires exceptionnels, Hubert Germain et Daniel Cordier, qui sont la fierté de tous les Français libres d’aujourd’hui. J’ai bien conscience que sans eux, ma propre vie aurait été très différente et je leur en suis reconnaissant…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 août 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le courage exceptionnel de deux centenaires.
Libération de Paris.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.
Hubert Germain.
Daniel Cordier.
Le programme du Conseil National de la Résistance (CNR).
Stéphane Hessel.
Daniel Mayer.
Roland Leroy.
Antoine de Saint-Exupéry.
Joseph Kessel.
Premier de Cordier.
Daniel Cordier, ni juge ni flic.
La collection Cordier.
Georges Mandel.
Jean Zay.
Simone Veil.
Antisémitisme.
Maurice Druon.
Général De Gaulle.
Joseph Joffo.
Anne Frank.
Robert Merle.
L’amiral François Flohic.
Jean Moulin.
André Malraux.
Edmond Michelet.
Loïc Bouvard.
Germaine Tillion.
Alain Savary.
Être patriote.
Charles Maurras.
Philippe Pétain.
L’appel du 18 juin.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Raymond Sabot.
François Jacob.
Pierre Messmer.
Maurice Schumann.
Jacques Chaban-Delmas.
Yves Guéna.
Général Leclerc.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200806-cordier-germain.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/le-courage-exceptionnel-de-deux-226185

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/07/28/38453134.html




 

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4 août 2020 2 04 /08 /août /2020 03:04

« Nous arrivons au terme de nos débats. Il est trois heures du matin (…).  Nous sommes le 1er août et nous terminons l’examen d’un texte dont l’histoire retiendra qu’il s’est déroulé dans des conditions particulièrement rocambolesques. Nous l’avons dit et redit : on nous prive, sur un sujet aussi important, d’un vote solennel. Ce débat intervient au cœur de l’été, alors que nos concitoyens ont d’autres préoccupations, que la maladie menace notre pays, que la situation économique est celle que l’on connaît et que la difficulté s’accroît chaque jour. Ce débat en plein été, nous le devons à un décret de convocation du Président de la République ; ce sera retenu ! Seul le Président de la République peut fixer l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale en cette période de session extraordinaire. » (Marc Le Fur, député LR, le 1er août 2020 dans l’Hémicycle).




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La troisième séance de l’Assemblée Nationale du vendredi 31 juillet 2020 a donc été levée le samedi 1er août 2020 à 3 heures 40 du matin. Ce fut en effet à cette heure très tardive que l’ensemble du projet de loi de bioéthique a été adopté en seconde lecture par l’Assemblée Nationale par 60 voix contre 37 sur 101 votants, avec 4 abstentions. Autant dire en catimini quand tout le monde dormait !…

J’ai déjà évoqué ce projet de loi, mais je n’ai pas évoqué les dernières discussions, celles qui ont eu lieu pendant la nuit, et pourtant, elles concernaient des articles très importants.

Les médias résumeront, et d’ailleurs, ont déjà résumé, cette adoption comme l’adoption de la PMA élargie à toutes les femmes. Hélas, ce projet de loi contient beaucoup plus que cela, des mesures particulièrement honteuses sur le statut juridique des cellules souches provenant d’embryons humains, sur la facilitation accrue de faire des manipulations sur ces cellules sans plus aucune contrainte a priori de cette recherche scientifique.


Quelques explications de vote 

Avant de rendre compte notamment des articles 19 et suivants (19 bis, 19 ter, 19 quater), je propose quelques extraits des explications de vote de l’ensemble du projet de loi, qui me paraissent bien appréhender les vrais enjeux de ce vote parlementaire. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas ici de faire un compte-rendu objectif et neutre, mon propos est de signaler certains dangers de ce projet de loi. J’éviterai donc les propos laudateurs sur le "progrès" qui sont d’autant plus sans intérêt qu’ils sont biaisés.

Marc Le Fur : « Il me semble important de noter qu’un certain nombre d’articles a donné lieu à des dérives importantes. Ainsi, l’article 17 a introduit cette transgression que constituent à mes yeux les chimères et la transgenèse des embryons. Cela présente de vrais risques pour aujourd’hui, mais surtout pour demain. Nous craignons d’avoir dépassé plusieurs bornes, nous vous l’avons dit et redit. Je regrette que, dans des conditions un peu surprenantes, un simple amendement intervenu au milieu d’un débat, nous ayons élargi les condition de l’interruption médicale de grossesse. Le débat fut très bref et je crains que l’adoption de cette mesure n’ait amené des évolutions considérables. ».

Patrick Hetzel : « J’ai le regret de constater qu’une série de lignes rouges ont été franchies, comme je le craignais. (…) Les mesures adoptées résultent en un moins-disant éthique en matière de recherche (…). Je regrette également l’ouverture à la marchandisation avec l’autoconservation des ovocytes sans raison médicale. ».

Xavier Breton : « Je regrette (…) les conditions formelles du débat. Tout d’abord, ce sujet n’est pas la priorité de notre pays : nous sommes face à une recrudescence de la crise sanitaire ; la crise économique s’annonce terrible ; il est dommage de nous diviser, même, en l’occurrence, pour de bonnes raisons, alors que nous devrions nous rassembler pour viser la cohésion économique et sociale. La preuve du caractère secondaire du sujet : le Président de la République n’en a pas dit un mot dans son intervention télévisée du 14 juillet, pas plus que le nouveau Premier Ministre dans sa déclaration de politique générale. On constate donc une sorte de silence honteux de l’exécutif sur la question. Deuxième point : nous avons été davantage dans une opposition frontale que dans une logique de discussion (…). On peut regretter qu’il n’y ait pas eu cette recherche d’équilibre, chère à des collègues tels que Jean Leonetti ou Alain Claeys. ».

Emmanuelle Ménard : « Que dire de cette étrange conception de la nature humaine où des embryons humains sont manipulés comme s’ils n’étaient qu’un tas de cellules ? (…) On se souviendra de cette loi, non parce qu’elle élève notre nation mais parce qu’elle enclenche une terrible décadence éthique où finalement aucun principe ne peut être fondateur puisqu’à vos yeux, ils sont tous relatifs. ».

Thibault Bazin : « Il n’y a eu aucune recherche de consensus de la part de la majorité. C’est dommage. La version de l’Assemblée Nationale en seconde lecture est même pire que la version gouvernementale initiale. Elle contient de nouvelles dérives marchandes : l’extension, à titre expérimental, aux centres à but lucratif de la gestion des gamètes (…). Elle contient de nouvelles dérives transhumanistes : la possibilité confirmée de créer bientôt des embryons transgéniques, des gamètes artificiels à des fins de recherche, des embryons chimériques. Enfin, le ministre de la santé a tenu un discours ambigu sur les possibilités d’étendre la DPI-A en fonction des avancées du PHRC. De nouvelles dérives eugéniques ne sont pas totalement exclues. ». (Voir plus loin ce que signifient DPI-A et PHRC).

Valérie Six : « En l’absence de vote solennel, nous avons demandé, en dernier recours, un scrutin public : il permettra d’éclairer nos concitoyens sur l’expression de l’ensemble des groupes politiques. À l’issue de l’examen en séance publique, nous nous réjouissons tout particulièrement de la suppression du DPI-A. Il s’agit d’un projet dangereux et contradictoire avec nos politiques en faveur d’une plus grande inclusion. Sur la mesure phare du projet de loi, l’extension des techniques de PMA (…), nous y sommes fondamentalement opposés et craignons le glissement inexorable que l’ouverture de la PMA ne manquera pas d’entraîner. Nous déplorons, enfin, l’ajout de cette évolution sociétale dans le projet de loi. Ce choix, purement politique, a accaparé l’essentiel des débats, alors que le reste du texte comprend des sujets majeurs au regard de nos principes éthiques, tels que l’intelligence artificielle en santé, l’imagerie cérébrale, la recherche sur l’embryon ou la création de chimère, pour ne citer que certains d’entre eux. Ces mesures soulèvent des interrogations vertigineuses, sur lesquelles il faut légiférer avec une extrême prudence : ainsi de l’allongement des délais de recherche sur l’embryon ou de la création de chimères homme-animal. Gardons-nous, en ce sens, d’une démarche technicienne qui évacuerait toute réflexion éthique. (…) Notre groupe [UDI], enfin, regrette la précipitation de nos débats contradictoires eu égard à la nécessité de consensus qui s’attache aux sujets de bioéthique. Là où il fallait s’atteler à la recherche d’un équilibre, la majorité a souvent préféré avancer à marche forcée, en oubliant la place de l’enfant. ».

Pierre Dharréville : « À la lumière des débats, peut-être aurait-il fallu regarder en face les enjeux du transhumanisme et de la marchandisation. Sur le premier point, on a parfois semblé se demander pourquoi se priver de ce qui est possible, sans en interroger suffisamment les fins et les conséquences. Or travailler sur les fins suppose de se poser des questions sur les moyens, car le genre humain et son devenir y sont en cause. Sur le second point, une décision a été prise qui est grave à nos yeux : elle autorise des centres à but lucratif à pratiquer le recueil et la conservation de gamètes. Pour nous, elle abîme le projet de loi et trouble la conception de l’AMP qu’il reflète : cela pose un véritable problème. (…) Il s’agit pour nous d’une ligne rouge : on ne peut pas marchandiser ainsi des produits du corps humain qui nous sont si précieux. ».

Comme le dernier orateur cité, certains ont émis des critiques importantes (Pierre Dharréville parlait de "ligne rouge") pour expliquer ensuite qu’ils allaient quand même voter le texte. Allez comprendre que lorsqu’une disposition est grave, cela n’empêche pas de l’adopter dans sa globalité en raison d’une idéologie, celle d’étendre la PMA à toutes les femmes. Alors que la conséquence logique pour un projet de bioéthique, c’est que si une seule mesure dépassait la ligne rouge (c’est-à-dire, allait à l’encontre de ce qu’on croit être le genre humain), alors il faudrait rejeter tout le texte en bloc lors du vote définitif. Je reste donc très dubitatif sur la sincérité de ces critiques auprès de certains groupes.

Maintenant, je propose d’aborder quelques sujets, pas encore abordés dans mes précédents articles, sur certaines dispositions de ce projet de loi, adoptées (ou pas) en seconde lecture.


Le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies (DPI-A)

Ici, je suis (momentanément) rassuré par le texte adopté car une partie adoptée par la commission spéciale a finalement été heureusement supprimée par les députés en séance publique. Il s’agissait de l’article 19 bis.

Actuellement, le diagnostic préimplantatoire (diagnostic réalisé par prélèvement et caractérisation d’une cellule d’un embryon obtenu par fécondation in vitro pour PMA) est régi selon l’article L2131-4 du code de la santé publique, selon les articles 21 et 23 de la loi n°2011-814 du 7 juillet 2011 (la précédente loi de bioéthique). Il « n’est autorisé qu’à titre exceptionnel » dans certaines conditions bien précises, en particulier quand il y a une forte probabilité que l’embryon soit atteint d’une maladie génétique héréditaire.

Et que disait l’article 19 bis adopté par la commission spéciale le 3 juillet 2020 ? Il donnait clairement le passeport d’un futur tri d’embryons lors de la PMA : « À titre expérimental et pour une durée de trois ans, l’État peut autoriser deux établissements parmi ceux autorisés par l’Agence de la biomédecine au titre de l’article L2131-4 du code de la santé publique à étendre le diagnostic mentionné au même article L2131-4 à la numération des autosomes. ».

Pour comprendre, un autosome est un chromosome non sexuel. En clair, l’article proposait ni plus ni moins de savoir s’il y avait une trisomie (en particulier 21) dans l’embryon humain avant implantation dans l’utérus. On parle d’aneuploïdie qui signifie qu’une cellule ne possède pas le nombre normal de chromosomes (c’est le cas pour une trisomie 21).

Cela pose de graves problèmes, notamment celui du handicap : les personnes trisomiques 21 ainsi que leurs parents pourraient être particulièrement stigmatisés par cette mesure, d’autant plus que, par ailleurs, la législation tend à favoriser ce qu’on appelle la "société inclusive", c’est-à-dire tend à permettre aux personnes en situation de handicap de pouvoir vivre dans la société dans les meilleures conditions possibles.

Un tel diagnostic préimplantatoire dirait aux parents ou même à l’enfant trisomique : vous êtes stupides, avec le DPI, vous pouviez éviter de commencer le processus visant à la naissance de cet enfant trisomique. Pourtant, malgré les difficultés, des familles ont réussi à vivre heureuses, avec amour, même si la vie est loin d’être facile tous les jours. Il y a un côté utilitariste de ce genre de conception de DPI qui voudrait aboutir à un "enfant sans défaut".

Aude Bono-Vandorme a fait part de son étonnement : « La commission spéciale [a] cru bon revenir sur des dispositions que nous avions repoussées en première lecture. La question nous est donc posée à nouveau : faut-il permettre un diagnostic préimplantatoire avec recherche d’aneuploïdies visant à trier les embryons ayant des anomalies du nombre de chromosomes ? ».

La députée a alors cité l'ancienne ministre Agnès Buzyn lors de l’examen en première lecture : « On aboutit ainsi au mythe de l’enfant "sain". (…) L’étape suivante, le glissement naturel, c’est d’aller chercher d’autres maladies génétiques fréquentes. ». Et la députée de poursuivre : « Elle concluait (…) en soulignant qu’il ne fallait pas faire croire aux parents qu’on réglerait tous les problèmes avec ces tests. Concrètement, quelles seraient les maladies à rechercher, et qui en déciderait ? Pour elle, il y avait là, éthiquement, "une dérive eugénique claire", l’analyse génétique des embryons devant aboutir à une société qui n’aura pas décidé d’être eugéniste, mais au sein de laquelle tout le monde voudra demander un enfant sain. Les couples qui procréent naturellement pourraient donc s’en trouver désavantagés et être amenés à demander une PMA. Or, qui voudrait implanter un embryon atteint de trisomie 21 ? Nous glisserions vers le tri d’embryons. "C’est horrible, une société eugéniste", ajoutait Mme Buzyn, précisant qu’il s’agissait d’une "dérive (…) qu’on ne verra même pas venir". Alors, pourquoi rouvrir le débat ? ».

Et probablement qu’Aude Bono-Vandorme a donné le meilleur argument : « J’ai entendu prononcer à de nombreuses reprises dans cette enceinte le mot "amour" pour défendre ce texte. Autoriser le tri d’embryons est un message d’intolérance et de rejet des personnes différentes. Ce n’est en rien de l’amour. Mes valeurs sont celles d’une société inclusive qui accepte les différences : j’ai la certitude que l’on peut grandir avec elles. L’humanité ne se construit pas dans les laboratoires. ».

Le Ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, qui avait voté pour cet article 19 bis en première lecture (en tant que député), a répondu ainsi : « La question du DPI-A, ou diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies, est très compliquée d’un point de vue éthique et, surtout, d’un point de vue scientifique et médical. En tant que toubib, médecin qui veut faire progresser la recherche et reculer les problèmes de santé quels qu’ils soient, j’ai tendance à l’approuver, sur le principe, la démarche qui consiste à autoriser le diagnostic préimplantatoire à la recherche d’une aneuploïdie pour éliminer les risques de malformations et d’anomalies chromosomiques susceptibles d’entraîner une fausse-couche ou l’apparition de problèmes de santé graves pour un enfant. ».

De plus, Olivier Véran  ne croit pas à une dérive eugéniste : « Je ne crois pas à l’argument de l’eugénisme. Je considère que ni les parents engagés dans une démarche de DPI-A ni les médecins désireux que soient pratiqués ces diagnostics n’ont une vision eugéniste de la société ou l’intention d’éliminer un enfant parce qu’il serait porteur d’une anomalie chromosomique. Je n’y crois pas. ». En ce sens, Agnès Buzyn était plus méfiante puisqu’elle expliquait que cette société eugéniste se ferait sans qu’on n’en ait conscience. Apparemment, le ministre actuel n’aurait pas la même vigilance.

Cependant, Olivier Véran a proposé la suppression de l’article 19 bis pour que la recherche se fasse dans le cadre de programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) sur trois ans (au lieu d’être inscrite dans la loi).

Thibault Bazin est lui aussi opposé à l’article 19 bis : « Si on légalise le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies en créant un droit de trier les embryons ab initio en fonction du génome, avec des embryons qu’on pourrait qualifier d’imparfaits, on crée une tentation et on permet finalement une forme de dérive potentielle, le recours à la PMA devant permettre d’être certain, même sans problème de fertilité, d’avoir un enfant génétiquement correct. (…) Derrière cette question, il y a celle de l’acceptation des personnes différentes et vulnérables, et de notre rapport au handicap. Notre société acceptera-t-elle, demain, l’existence de personnes atteintes d’un handicap ? Par cohérence avec la volonté de rendre la société de plus en plus inclusive, il ne faudrait pas initier des démarches qui iraient en sens inverse.  ».

La députée Blandine Brocard s’est, elle aussi, interrogée : « Pouvez-vous, par exemple, m’expliquer pourquoi ceux-là mêmes d’entre vous qui fustigent le tout business et le tout commercial sont parmi les premiers à appeler de leurs vœux l’autorisation et la généralisation de techniques impliquant forcément le développement de nouveaux marchés économiques au détriment de la fragilité et de l’âme même de notre humanité ? ». Autre question : « À l’heure où l’écologie tient le devant de la scène et pèse dans toutes les décisions que nous sommes amenés à prendre, à l’heure où nous constatons les dramatiques méfaits de l’action de l’homme sur la nature et les limites du tout technologique sur notre environnement et sur notre humanité même, comment pouvons-nous encore décider d’être, envers et contre tout, maîtres et possesseurs de la nature ? ».

Et de conclure : « Quelle société voulons-nous ? Une société qui refuse tout signe de faiblesse et de vulnérabilité ? Ou bien une société qui prend soin des plus faibles et des plus vulnérables ? Oui, notre humanité est fragile et c’est ce qui fait sa beauté. La rationaliser à tout prix, à n’importe quel prix, c’est lui faire perdre son âme. Soyons imparfaits, acceptons de ne pas tout maîtriser et contrôler pour, au contraire, préserver notre humanité, dans son environnement naturel. Nous allons vers un monde uniforme où le différent est éradiqué, à l’opposé d’une société inclusive que l’on prétend vouloir construire avec les personnes fragiles. Comment peut-on aller vers une société inclusive si l’on commence par dire que ces personnes ne doivent pas exister ? C’est de notre humanité profonde qu’il est question, de notre relation à l’altérité, à la différence, à la fragilité. N’est-ce pas ce qu’on appelle fraternité ? ».

Marie Tamarelle-Verhaeghe est également intervenue dans le même sens : « Certains avancent que le diagnostic de la trisomie 21 permettrait d’éviter une interruption médicale de grossesse en empêchant l’implantation d’embryons atteints. Mais cet argument interroge sur la finalité du DPI-A : éviter les fausses couches ou éviter l’implantation d’embryons susceptibles de présenter des anomalies chromosomiques ? L’article 19 bis est perçu de façon très douloureuse par nombre d’associations et de parents d’enfants touchés par le handicap, qui y voient une intention d’éliminer les enfants qui pourraient être porteurs de cette anomalie, et donc, comme une négation de leurs enfants ou comme une violence qui leur est faite. ».

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Aurore Bergé a soutenu aussi la suppression de ce dispositif : « Sur ce sujet, je n’ai pas varié depuis la première lecture : je persiste à penser que nous franchirons l’une des bornes éthiques que ce texte entend défendre si nous inscrivions l’accès au DPI-A dans la loi. Ce texte de révision de lois de bioéthique, par sa nature, doit créer des droits nouveaux comme la PMA pour toutes, mais aussi poser des interdits, et le DPI-A doit rester  un interdit majeur. (…) Le DPI-A ne doit pas intégrer notre droit. ».

Agnès Thill a repris l’argument de l’amour utilisé par ses contradicteurs : « Accepter d’avoir un enfant, c’est accepter un mystère ; c’est accepter de ne pas savoir comment il sera ; c’est accepter ce qu’il sera. Le moment est venu de réfléchir véritablement à cet amour dont vous parliez : de quel amour s’agit-il ? Pour aimer un enfant, faut-il qu’il soit comme on veut qu’il soit ? Est-ce vraiment aimer quelqu’un que de l’aimer comme on veut qu’il soit ? Ce serait trop facile. Aucun enfant n’est comme on veut et c’est tant mieux. Je ne veux pas d’un monde qui ferait l’être humain comme on le veut ! ».

De même, dans son unique intervention dans ce débat, Dominique Potier, qui a été très actif dans le passé sur la bioéthique, a exprimé son point de vue très clairement : « Je l’ai dit en première lecture, le texte [de l’article 19 bis] suscite en moi une opposition radicale, pour des raisons philosophiques et anthropologiques. (…) La manière dont vous en avez énoncé les termes n’est pas satisfaisante, monsieur le ministre. Je tiens à dire d’emblée que l’idée même d’un ordre naturel ou ancien comme seul justificatif du bien commun m’est totalement étrangère. Je crois profondément à la République comme cadre et creuset où s’affrontent et se cherchent des options intellectuelles et spirituelles en vue de construire une vérité toujours inachevée. Dès lors, le clivage entre progressistes et conservateurs est totalement désuet ; c’est même une supercherie intellectuelle. Il n’y a ni progressistes ni conservateurs, mais des chercheurs de vérité qui se respectent, s’écoutent et peuvent partager une quête humaniste dont nous devons leur faire crédit. Le pire consisterait à considérer, comme on n’a cessé de le faire à propos de ce projet de loi, que la modernité et l’évolution de la société s’imposent à la manière d’un absolutisme nouveau. L’archaïsme, c’est la modernité présentée comme un absolu. Il faut combattre cette idée, politiquement et philosophiquement. Puisque la science et la technique nous permettent de dépasser des limites anciennes, ce qui importe n’est pas d’être modernes ou anciens, mais de savoir ce qui nous humanise ou non. ».

Concrètement, sur le texte, Dominique Potier était plus que dubitatif : « Nous ne sommes pas des poissons isolés dans l’océan, nous nageons en banc : chaque fois que l’un de nous agit, cela retentit jusqu’au bout du monde et sur l’ensemble de la société. Je le dis au nom d’une valeur de la gauche qui n’est pas libertaire, qui peut sembler conservatrice, mais que je revendique. J’avoue un sentiment de vertige à l’idée que l’on entérine une filiation lacunaire, un droit à concevoir seul, que l’on interroge ainsi les principes mêmes qui fondent la médecine et la sécurité sociale. Incidemment, prend corps l’idée même d’une conception sur mesure réduisant l’être humain à sa matérialité. ».

Et de terminer ainsi : « Mes questions, sans réponse évidente, portent sur les conséquences pour l’enfant comme personne, mais également pour la société dans le temps long. Mon alerte la plus vive, qui justifie à elle seule que je n’aie pas voté le projet de loi en première lecture et que je m’apprête à nouveau à ne pas le faire, est le risque d’une marchandisation accrue du vivant, non délibérée, par une dérive de l’individualisme libéral. En nous affranchissant de certaines limites, nous consentirons ainsi à une nouvelle servitude. Pour paraphraser Camus, chaque génération a la responsabilité d’engendrer la suivante. Rappelons-nous avec lui (…) que l’on peut attacher de la valeur à l’idée que notre humanité se grandit moins dans la manifestation de sa toute-puissance que dans son attention au fragile. ».

Marc Delatte a évoqué aussi les faibles connaissances finalement qu’on a actuellement : « Peut-être certains d’entre nous, moi le premier, car je n’ai pas fait de test ADN récréatif, sont-ils porteurs sans le savoir d’une anomalie génétique, qui ne s’est simplement pas exprimée. Pour ce qui est du mosaïcisme, une équipe de recherche de l’Université de l’Oregon, à Portland, a mené une étude dont les résultats suggèrent que les embryons mosaïques sont capables, notamment à un stade très précoce, d’empêcher le développement de certaines cellules dites anormales. (…) L’implantation d’un embryon en mosaïque pourrait ainsi déboucher sur une grossesse tout à fait normale et sur la naissance d’un enfant tout à fait sain. Tout ceci pour souligner que nos connaissances scientifiques en la matière sont loin d’être abouties. C’est ce que disent les membres du Comité consultatif national d’éthique, dont je fais partie : le sort d’une personne est loin d’être scellé dans ses gènes. ».

Comme on le voit, le débat à propos du DPI-A a été très riche et soutenu. Notons aussi que le corapporteur Philippe Berta a pris la défense du DPI-A avec beaucoup de conviction et d’humanité, son argumentation se basant sur la capacité à faire que les embryons implantés soient viables et puissent aller jusqu’au terme de la grossesse : « Le but n’est donc pas de sélectionner, puisque le tri est fait en fonction de la pathologie : il s’agit de choisir un embryon viable. ». En dehors de la trisomie 21, la plupart des autres trisomies engendrent généralement des fausses couches et empêchent le projet parental.

À 23 heures 50, une très large majorité s’est dégagée pour la suppression de cette possibilité de DPI-A : 78 voix contre 24 et 6 abstentions. C’est une bonne nouvelle, une digue de l’éthique n’a pas été franchie, celle, grave, du tri d’embryons.


L’interruption médicale de grossesse (IMG)

En revanche, une disposition concernant l’interruption médicale de grossesse (IMG) a été adoptée de façon très rapide et de manière imprévue, par ce qu’on appelle un cavalier législatif (c’est-à-dire, un amendement qui profite d’un projet de loi pour être inscrit dans la loi sans en être réellement l’objet).

L’amendement 524 soutenu par Marie-Noëlle Battistel et par la délégation aux droits des femmes vise à préciser (à inclure) "ce péril pouvant résulter d’une détresse psycho-sociale" dans le 3e alinéa de l’article 20 sur l’IMG : « Lorsque l’interruption de grossesse est envisagée au motif que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, ce péril pouvant résulter d’une détresse psycho-sociale, l’équipe pluridisciplinaire chargée d’examiner la demande de la femme comprend au moins… etc. ».

Le corapporteur Jean-François Eliaou était opposé à cet amendement car sur le fond, la détresse psycho-sociale de la femme est déjà prise en compte en cas de demande d’IMG, d’autre part : « Le problème n’est pas le droit, mais la pratique. (…) Oui, l’IMG constitue une possibilité, et la santé de la femme doit être prise dans sa globalité, dont fait partie la santé mentale. Toutefois, le préciser dans ce texte me gêne. Puisque cette possibilité existe déjà dans la loi, pourquoi la rappeler ? (…) Enfin, je crains qu’on n’envoie, en inscrivant cette précision dans la loi, un signal complexe sur la frontière entre IVG et IMG. ».

L’enjeu fut donc donné crûment : en évoquant les considérations psychosociales, ce qui reste très flou, on peut effectivement transformer l’IVG en IMG. Or, la grande différence entre les deux, c’est que l’IVG doit se faire avant les 12 semaines de grossesse, tandis que l’IMG peut être effectuée à tout moment, même au-delà des 12 semaines légales. On imagine aisément qu’une femme qui souhaiterait faire une iVG mais qui s’y prendrait trop tard pourrait ainsi demander une IMG sans qu’on puisse réellement s’y opposer, si l’amendement 524 était adopté.

La position du secrétaire d’État Adrien Taquet, le seul représentant de l’État, a semblé s’en laver les mains, comme Ponce Pilate : « Je suis sensible à l’argument du rapporteur : pourquoi introduire dans la loi un seul motif, à l’exclusion de tous les autres, d’autant qu’il est difficile de décrire la détresse psychosociale d’une femme ? Cependant, parce qu’il comprend et partage votre objectif, le gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée. ».

L’amendement a été adopté avec un très court débat contradictoire et sans vote public alors qu’il est très important et grave. Il semblerait que l’opposition n’ait pas percuté sur les conséquences de cet amendement qui pourrait transformer une IVG en IMG sans limitation dans le temps. Cela va à l’encontre totale de l’esprit de la loi que Simone Veil avait défendue il y a plus de quarante-cinq ans.


Révision des lois de bioéthique : fréquence de révision

La fréquence est actuellement de tous les sept ans, mais il est vrai que le monde va beaucoup plus vite, notamment le monde de la technologie. La majorité voulait ainsi augmenter la fréquence de révision de ces lois, tous les cinq ans (article 32 du texte).

Cependant, je trouve qu’un tel rythme est beaucoup trop fréquent car avant de faire de nouvelles lois, il faut avoir le temps d’évaluer les anciennes. La bioéthique est un temps long, pas un temps court, et en donnant une fréquence tous les cinq ans, cela signifie que chaque Président de la République pourrait faire son "petit caprice" avec la bioéthique, comme chaque Président de la République voudrait faire son "petit caprice" avec les institutions en cherchant à les réformer. Mais la différence, c’est qu’on ne peut pas réviser la Constitution sans l’accord à la fois de l’Assemblée Nationale et du Sénat, et éventuellement du Congrès ou du peuple français.

Réduire la durée entre deux lois de bioéthique me paraît donc participer à l’instabilité législative sur des sujets ultrasensibles. L’amendement 1429 défendu par Pierre Dharréville vise ainsi à conserver la durée à sept ans (au lieu de cinq ans voulus par la commission spéciale). La corapporteure Laëtitia Romeiro Dias a pour sa part émis un avis défavorable à cette fréquence tous les sept ans pour en rester à la version de la commission spéciale : tous les cinq ans. Quant au gouvernement, il n’a pas d’avis sur la question (ce qui est très étrange !!!).

À la surprise générale, l’amendement 1429 a été finalement adopté contre l’avis de la commission spéciale. Je m’en réjouis. De quoi faire dire à Thibault Bazin : « On sent un certain flottement ! ».

En fait, à mon sens, le plus pertinent serait de constitutionnaliser les lois de bioéthique. Pourquoi ? Parce que, comme cela a été dit par des orateurs opposés au vote final du projet de loi de bioéthique, une loi de bioéthique doit faire le consensus dans la représentation nationale. Les sujets touchent à la conscience individuelle et rarement à des postures politiques, les sujets sont ultrasensibles et le pays doit prendre des décisions dans ces domaines avec un relatif consensus.

Or, l’expérience de ce projet de loi de bioéthique, c’est que la majorité a refusé le principe du choix consensuel. Au contraire, la commission spéciale a voulu mener la danse sous la houlette d’un "ultra", Jean-Louis Touraine, rapporteur général du projet de loi, et cela d’autant plus que la majorité était très divisée sur certains sujets. Donc, l’idée d’écouter l’opposition était assez éloignée des préoccupations gouvernementales, dans la mesure où le gouvernement voulait en revenir à la version adoptée en première lecture.

En donnant une valeur constitutionnelle aux lois de bioéthique, on obligerait le législateur à trouver, à construire un réel consensus, et pas seulement un texte simplement majoritaire et de circonstance (dictée par les sondages).

Le processus législatif suit son cours. Le texte adopté ce samedi 1er août 2020 à 3 heures 40 du matin va être déposé sur le bureau du Sénat pour un examen au Sénat. Cela ne se fera pas immédiatement, puisque, pour l’heure, le Sénat est pleinement absorbé par son renouvellement de moitié pour dans un mois et demi…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 août 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Bioéthique 2020 (8) : diagnostic préimplantatoire (DPI) et interruption médicale de grossesse (IMG).
Bioéthique 2020 (7) : l’inquiétante instrumentalisation du vivant.
Document : le rapport approuvé le 3 juillet 2020 de la commission spéciale de l’Assemblée Nationale sur la bioéthique (à télécharger).
Bioéthique 2020 (6) : attention, un train peut en cacher un autre !
Vincent Lambert.
La Charte de déontologie des métiers de la recherche (à télécharger).
Claude Huriet.
Document : le rapport approuvé le 8 janvier 2020 de la commission spéciale du Sénat sur la bioéthique (à télécharger).
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
La PMA et ses sept enjeux éthiques.
Les 20 ans du PACS.
Harcèlement sexuel.
Pédophilie dans l’Église catholique.
Le projet de loi sur la bioéthique adopté par les députés le 15 octobre 2019.
Texte du projet de loi sur la bioéthique adopté le 15 octobre 2019 par l’Assemblée Nationale (à télécharger).
Quel député a voté quoi pour la loi sur la bioéthique ? Analyse du scrutin du 15 octobre 2019.
Attention, les embryons humains ne sont pas que des "amas de cellules" !
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
Chaque vie humaine compte.
L’embryon puis le fœtus est-il une personne humaine ?
La PMA.
Le mariage pour tous.
L’avortement.
La peine de mort.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
Jacques Testart.
Simone Veil.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200801-bioethique.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/bioethique-2020-8-diagnostic-226168

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/08/02/38461734.html







 

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1 août 2020 6 01 /08 /août /2020 03:46

« Votre souci de répondre au désir de femmes très minoritaires, d’accéder à la PMA sans père, justifie-t-elle de bouleverser la filiation, de créer des gamètes artificiels, des embryons transgéniques ou chimériques ? N’y aura-t-il plus aucune limite à la toute-puissance de la volonté des adultes ? Notre société n’est-elle plus capable de répondre négativement aux demandes d’accès à la technique, si celles-ci ne sont pas humainement souhaitables ? (…) On ne commande pas des enfants : ils ne sont pas un bien, une marchandise, un dû. » (Thibault Bazin, le 27 juillet 2020 à l’Assemblée Nationale).



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Le 28 juillet 2020, Jean Castex a déclaré dans l’Hémicycle : « J’écoute, dans la fonction qui est désormais la mienne, les évolutions de la société. Je m’inscris, avec la majorité parlementaire, dans une démarche de progrès. J’affermis l’autorité de l’État et la laïcité de la République. Je construis le dialogue social et la libération des territoires. ». Étrange fin de réponse (hors sujet) du Premier Ministre à une question posée sur …la bioéthique : « C’est du bla-bla », scanda alors en réponse le député Pierre Cordier.

Comme je l’expliquais dernièrement, le projet de loi sur la bioéthique dont la seconde lecture était en discussion à l’Assemblée Nationale du 27 au 31 juillet 2020, ne porte pas seulement sur toute la problématique de la PMA élargie à toutes les femmes, mais également sur beaucoup de mesures très inquiétantes concernant l’expérimentation sur les embryons humains.

L’opposition LR à l’Assemblée Nationale a souhaité en faire un combat politique pour s’opposer à la fois au fond (multiple) du texte mais aussi à la forme, vouloir "en catimini" faire adopter un texte majeur dans la torpeur estivale en plein milieu d’une double crise sanitaire et économique. Il suffit de voir la très faible "couverture" médiatique des débats… Même la Chaîne parlementaire (LCP) semble s’en moquer puisqu’elle ne retransmet pas les débats à la télévision, du moins en direct.

Si plusieurs députés LR ont fait front, il faut cependant remarquer que le groupe LR lui-même est très partagé et la direction de LR a laissé la liberté "absolue" de vote pour un texte sociétal où la position est plus de l’ordre de la conscience individuelle que de la posture politique. Ainsi, seulement une partie du groupe s’est opposée à l’introduction de la PMA pour toutes, votée le mercredi 29 juillet 2020 dans la soirée.

Il me paraît très incertain que le texte complet soit adopté avant la fin de la session extraordinaire, avant la pause du mois d’août et ce sera bienheureux. Il est nécessaire de prendre du temps, et si le gouvernement explique que ce temps a déjà été pris (le texte a été déposé au bureau de la Présidence de l’Assemblée Nationale il y a un an, le 24 juillet 2019), il suffit de faire un petit sondage sur 1° la connaissance de toutes les mesures contenues dans le texte (hors PMA, seule mesure qui a reçu une publicité médiatique), 2° quelles sont les enjeux que sous-tendent ces mesures ? 3° quelle est votre avis ? La dernière question est très compliquée car il faut comprendre de quoi on parle et que veut faire passer en force le gouvernement ou sa majorité qui semble plus "radicale" à ce sujet.

En outre, le Ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran n’a quasiment pas pris part aux travaux de la commission spéciale pour préparer l’examen du texte en seconde lecture, ce qui ne montre pas un respect très éclatant pour la représentation nationale. Si la raison, c’était que le ministre avait beaucoup d’autres fronts (la pandémie du covid-19 n’est pas terminée), alors, pourquoi le gouvernement s’obstinerait-il tant à aller si vite que ses ministres ne suivent pas ?

Dès le 21 juillet 2020 aux questions au gouvernement, le groupe LR a protesté car ni le Président de la République Emmanuel Macron dans son interview du 14 juillet 2020 ni le Premier Ministre Jean Castex dans sa déclaration de politique générale le 15 juillet 2020, n’avaient ne serait-ce qu’évoquer le projet de loi de bioéthique, et c’est pourtant le premier texte de loi significatif qui passe à la discussion quelques jours après la nomination du nouveau gouvernement. Là, on n’est plus avec l’attentisme concernant la réforme des retraites, mais c’est vrai que les embryons humains n’ont pas la capacité de se mobiliser et de faire la grève comme ce fut le cas pour de nombreux salariés avant la crise sanitaire.

Ainsi, Annie Genevard (LR), par ailleurs vice-présidente de l’Assemblée, a interpellé le gouvernement : « C’est au cœur de l’été, en pleine crise économique, que vous avez voulu présenter en catimini la seconde lecture du texte bioéthique. Le 14 juillet, le Président de la République n’a pas dit un mot sur le sujet. Pas un mot non plus dans votre déclaration de politique générale, monsieur le Premier Ministre. C’est pourtant l’un des premiers textes que le gouvernement que vous dirigez soumet au Parlement. Personne ne comprendrait que vous restiez silencieux sur un texte aussi fondamental, à moins de vouloir vous dérober. » (21 juillet 2020).

Jean Castex n’a pas répondu à la question (Olivier Véran a répondu) et il a fallu attendre la séance de questions du 28 juillet 2020 pour qu’il daignât enfin se manifester sur le sujet. Deux fois même.

La première fois, répondant à une députée de la majorité (présidente de la commission spéciale, Agnès Firmin Le Bodo) : « Sur le fond, à l’initiative du gouvernement dirigé par mon prédécesseur et dans le cadre des engagements pris devant la nation par le Président de la République, on a abouti à un texte représentant une avancée considérable pour les familles, pour les patients et pour la recherche. Il s’agit bien sûr (…) des dispositions relatives à la PMA et à ses conséquences sur le droit à la filiation et à l’accès aux origines. Derrière tout cela, il y a parfois des drames mais aussi beaucoup d’espoirs, autant de situations humaines que nous allons alléger sinon régler. Et nous pouvons tous en être fiers. Comme nous pouvons être fiers des autres dispositions qui vont permettre d’importants progrès en matière de recherche scientifique, de dons d’organe et de thérapies ; je pense également aux avancées en matière d’éthique et d’encadrement de certaines pratiques, dont le traitement de données issues de l’intelligence artificielle pour les actes de soins. Oui, mesdames, messieurs les députés, je parle d’avancées très significatives et d’un équilibre qui a su être trouvé, sans drame sur des sujets dont je n’ignore pas la grande sensibilité, qui font miroir aux évolutions de notre société et interpellent le plus profond de nos consciences. (…) La GPA demeure notre ligne rouge ! D’autres sujets viendront légitimement en débat, telle la réservation des ovocytes pour le partenaire, la PMA postmoderne, ou encore le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdes [DPI-A] ou les tests génétiques en population générale : ils ne recueilleront pas plus qu’avant l’approbation du gouvernement ! Ce projet de loi, dans sa version équilibrée correspondant parfaitement à la pensée du Président de la République et de moi-même, va constituer une avancée majeure ».

C’est clair que cette première prise de parole de Jean Castex sur le sujet n’est pas convaincante : il ne fait que suivre des consignes extérieures (l’Élysée) et n’a pas une vision personnelle du texte, n’en a présenté aucun enjeu, ce qui a fait dire par un député LR (Philippe Gosselin) : « Ce n’est pas du niveau d’un Premier Ministre ! ». En somme, j’ai l’impression que Jean Castex se fiche comme de l’an 40 de cette loi de bioéthique et qu’il la fait passer car on lui a demandé de la faire passer, mais visiblement, le texte le dépasse largement. On n’apprend pas la bioéthique à l’ENA…

Je trouve par ailleurs scandaleux qu’il ose parler d’une avancée pour la recherche scientifique sans parler de l’expérimentation sur des embryons humains vivants ! Ce texte de loi, loin d’être équilibré, a définitivement fait admettre par l’État la réification du vivant. C’est une bride qui a éclaté et cela aura des conséquences ultérieures particulièrement fâcheuses (prenons date aujourd’hui).

La seconde fois où Jean Castex s’est exprimé sur le sujet, c’était quelques minutes plus tard quand Damien Abad a pris la parole. Damien Abad est une personnalité qui monde au sein de LR, élu président du groupe LR quand Christian Jacob a été élu président de LR. Damien Abad n’était évidemment pas satisfait par la réponse du Premier Ministre : « On voit combien vous êtes embarrassé, à tel point que vous avez préféré répondre à la majorité plutôt qu’à l’opposition sur un thème pourtant fondamental. ».

Damien Abad a évoqué alors l’inquiétude de certains parents : « À l’image des parents de la jeune Adélaïde, que j’ai rencontrés ce week-end en Ardèche. Ces derniers, qui sont tout simplement fiers et heureux de voir leur fille pleine de vie, s’interrogent et ne comprennent pas pourquoi votre majorité s’obstine à vouloir maintenir l’article 19 sur le diagnostic préimplantatoire et la détection systématique des aneuploïdes. Accepter un tel diagnostic pour toutes les trisomies, et surtout la trisomie 21, c’est faire un premier pas vers le tri des embryons (…). Mes chers collègues, vous ne pouvez pas jouer à la roulette russe avec les embryons. Vous ne pouvez pas jouer aux apprentis sorciers sur des questions aussi fondamentales que la vie humaine. (…) Dites la vérité : allez-vous retirer cette mesure potentiellement dangereuse et particulièrement offensante pour les familles d’enfants atteints de trisomie ? ».

La question avait le mérite de poser le vrai problème du gouvernement, car Jean Castex venait justement de dire son opposition à la mesure décriée par Damien Abad (donc, sur le fond, les deux hommes sont en accord). Mais c’est le groupe LREM qui est divisé car beaucoup voudraient pousser le texte bien plus loin que le point dit d’équilibre selon Jean Castex qui voudrait conserver le texte voté en première lecture : « Le texte a fait l’objet d’une longue concertation et a été amplement débattu. Ce processus, et j’en félicite toutes celles et ceux qui y ont contribué, a permis de progresser par rapport au texte gouvernemental, en prenant en considération différentes contributions, y compris venant des bancs de la droite. C’est un texte équilibré, je le répète, et je vous invite à ne pas remettre en cause cet équilibre. La majorité, j’en suis persuadé, partagera cette volonté. Nous faisons face à la nécessité de comprendre les évolutions de notre société et de l’apaiser. ».

Évidemment, la réponse du Premier Ministre n’a pas semblé rassurer Damien Abad : « Monsieur le Premier Ministre, je vous entends. Mais votre majorité est favorable à cet article [article 19], votre ministre des solidarités et de la santé a voté pour en première lecture [Olivier Véran était encore député], comme quasiment tous vos rapporteurs. La question centrale qui se pose est la suivante : est-on aujourd’hui sûr et certain que cela ne nous mènera pas à cette dérive dont les Français ne veulent pas et qui serait terrible pour notre société ? Au-delà de ce point, et puisqu’il est question de chimères, la bioéthique mérite mieux que des slogans. ».

Dans la discussion générale, le député LR Thibault Bazin, le 27 juillet 2020, laissa exprimer son inquiétude et sa colère : « Nous regrettons ce calendrier imposé : le texte est examiné alors que la session extraordinaire devait déjà se terminer la semaine dernière, en pleine période estivale pour que nos concitoyens ne puissent se mobiliser ni être informés de sa nouvelle version, bien pire que les précédentes. Nous déplorons aussi la manière dont s’est déroulé l’examen en commission spéciale, dans un temps contraint, à marche forcée, avec la présence du gouvernement pour un seul article sur une trentaine. Cela a permis le débordement du texte et le franchissement de nouvelles lignes rouges, comme sur la ROPA. Dans un contexte de difficultés économiques, sociales et sécuritaires profondes, que l’actualité récente nous a cruellement rappelées, n’est-ce pas une manière pour le gouvernement de faire diversion ? En tout cas, c’est faire fausse route pour répondre aux attentes des Français car, selon un récent sondage, l’inscription de la bioéthique à l’ordre du jour ne fait pas partie de leurs préoccupations et ce projet de loi divise profondément la société française. ».

Pour information, la ROPA est la réception de l’ovocyte par le partenaire, une disposition qui avait été adoptée par la commission spéciale pour la seconde lecture, qui permet le don d’ovocytes au sein d’un couple de femmes, ce qui fait que le dispositif s’apparenterait plutôt à une GPA, la mère porteuse était la partenaire féminine de la mère biologique. Cette disposition n’a finalement pas été retenue par les députés le 29 juillet 2020, ni non plus la PMA post mortem.

Thibault Bazin s’est "insurgé" sur le fond du texte : « Cette révision des lois bioéthiques, qui ne se résume pas à la PMA, tant s’en faut, prétend répondre aux progrès de la science et aux évolutions de notre société. Mais il faut nous interroger : la science évolue, mais est-ce toujours un progrès ? Le techniquement possible est-il toujours humainement souhaitable ? Ne peut-on craindre les effets de l’intelligence artificielle, de la médecine prédictive, de la neuromodulation ? Ne va-t-on pas vers l’homme augmenté ? La génomique, le séquençage, le ciseau moléculaire CRISPR-Cas9, et même aujourd’hui CRISPR-Cas13, nous conduisent-ils vers plus d’éthique ? ».

CRISPR signifie "Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats" qui signifie : "Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées", et ce sont des séquences répétées dans l’ADN. Le CRISPR-Cas9 permet d’introduire des modifications locales du génome (c’est un outil du génie génétique, une sorte de ciseau à ADN). Dans le même principe, le CRISPR-Cas13 cible l’ARN qu’il peut modifier localement au lieu de l’ADN. Le CRISPR-Cas13 peut être un outil de diagnostic très efficace et rapide (de maladies infectieuses et de maladies génétiques).

Poursuivant : « De surcroît, l’artificialisation de ces procréations nous fait courir des risques importants, tel que le droit à l’enfant parfait. Deux dispositifs adoptés en commission spéciale veulent nous y conduire : le DPI-A, qui revient à trier les embryons en fonction de leur génome, et l’élargissement du diagnostic prénatal. Imaginez-vous la dérive eugénique ? La pression de certains laboratoires est forte car les intérêts sont énormes, même si la fiabilité de ces dispositifs est faible et leurs résultats scientifiques contestés. Mais l’une de leurs motivations non avouées est le refus systématique de certains handicaps comme la trisomie 21. On nous parle de société inclusive, on va même visiter un Café Joyeux. En même temps, on autoriserait un tri des enfants à naître… Stop aux faux-semblants ! En bioéthique aussi, un peu de cohérence ne ferait pas de mal. Quel signal donne-t-on aux personnes handicapées et à leurs parents ? Où est l’accueil des plus vulnérables ? Le coût de ces examens est très élevé. Gardons plutôt ces ressources pour la recherche afin de soigner ces maladies et l’infertilité. ».

Thibault Bazin a fini son discours par le plus important : « La dérive transhumaniste est aussi présente dans ce texte : création de gamètes artificiels à partir de cellules IPS [cellules souches pluripotentes] ; création d’embryons transgéniques certes destinés, pour le moment, uniquement à la recherche ; création d’embryons chimériques avec l’insertion de cellules souches embryonnaires humaines dans un embryon animal que l’on insère dans la femelle. Cette manipulation transgresse la frontière entre les espèces. Est-il anodin de détruire des embryons pour faire de la recherche ? Sinon, pourquoi toujours assouplir les démarches jusqu’à les réduire à une simple déclaration comme le prévoit votre projet ? Les embryons ne sont-ils pas des êtres en devenir ? Chacun de nous n’a-t-il pas été embryon ? Il convient de respecter l’intégrité de l’embryon humain. La pression des commerces de la reproduction ne doit pas nous conduire à franchir toutes ces barrières éthiques. La fin ne justifie pas les moyens. Le respect de la nature humaine, de l’écologie humaine et le principe de précaution devraient primer. Pourquoi ces principes valables pour notre planète ne le seraient-ils pas pour l’homme ? L’écologie, à laquelle les Français accordent de plus en plus d’importance, devrait respecter la nature et la dignité de l’homme dès sa conception. Mes chers collègues, je suis très inquiet des conséquences des transgressions éthiques contenues dans ce projet. Avec un Président de la République et une majorité hors sol, allez-vous faire de l’humain hors sol par chimérisme ou transgenèse jusqu’à faire croire à un nouveau monde où l’humain serait parfait grâce à un tri préalable ? Je ne veux pas de ce nouveau monde profondément inhumain. Comme la grande majorité des Français, je suis contre ce texte qui signifie la fin de la bioéthique à la française. ».

Je cite souvent le député Thibault Bazin sur les enjeux d’éthique car il nourrit une réflexion très pertinente, avec beaucoup de recul, loin des modes, en allant à l’essentiel, pour se prévaloir de deux principes : "l’éthique de la vulnérabilité" et "le respect inconditionnel de la personne", valeurs qui devraient être partagées par tous.

Certaines craintes de Thibault Bazin ont finalement été excessives puisque les dispositions les plus inquiétantes prises par la commission spéciale ont été écartées en séance publique (ROPA et PMA post mortem).

J’avais évoqué particulièrement deux articles du texte qui me paraissaient inquiétants. L’article 14 et l’article 19 (et suivants). L’article 14 a été débattu et adopté lors de la deuxième séance du 31 juillet 2020, qui vise à créer un statut juridique nouveau pour les cellules souches embryonnaires humaines à distinguer des embryons humains. L’article 19 a été débattu lors de la troisième séance du 31 juillet 2020 (séance de nuit) dont je n’ai pas encore l’issue.

Intéressons-nous à l’article 14 et aux arguments évoqués par des députés LR, Thibault Bazin, Annie Genevard, Patrick Hetzel, et par la majorité, le corapporteur Philippe Berta et la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation Frédérique Vidal.

Thibault Bazin : « L’article 14 vise à distinguer subtilement les recherches sur les embryons humains et les recherches sur les cellules souches embryonnaires, comme si le législateur allait oublier que ces dernières émanent des embryons humains et que leur prélèvement en provoque la destruction. (…) Tout à votre transition écologique, vous en oubliez le respect dû à la dignité humaine. ».

Annie Genevard : « Alors qu’en 1994, le législateur avait interdit ces recherches, à partir de 2004, un régime dérogatoire a été défini, autorisant, en l’absence de tout autre solution, celles qui avaient une finalité thérapeutique majeure. Malheureusement, cet équilibre a été rompu sous le gouvernement socialiste [loi du 6 août 2013]. Nous souhaitons en revenir à un haut niveau de protection (…). C’est pourquoi l’article 14 (…) nous paraît constituer un très mauvais signal et un pas de plus vers la réification de l’embryon. ».

Philippe Berta : « Une cellule souche embryonnaire n’a aucune capacité à donner un embryon. Quand on travaille sur de telles cellules, on est même très loin de l’embryon. ». En outre, le corapporteur a expliqué que la recherche sur les cellules souches pluripotentes induites (IPS) a besoin aussi de cellules souches embryonnaires considérées comme étalons pour faire des comparaisons.

Frédérique Vidal : « Si les cellules souches embryonnaires étaient soumises au même régime d’utilisation en recherche que les embryons, c’est parce que, pour obtenir des cellules souches embryonnaires, il fallait partir d’un embryon. Or, ce n’est plus le cas : dans certains laboratoires qui travaillent avec des cellules souches embryonnaires, personne n’a jamais vu d’embryon ! C’est pourquoi nous entendons instaurer un régime déclaratif. ».

Les réponses apportées à cette objection de l’opposition ne me conviennent pas car elles ne tiennent pas compte de cet argument évoqué : les cellules souches embryonnaires proviennent d’embryons humains qui sont ainsi détruits pour la recherche. Que ces cellules souches embryonnaires n’engendrent aucun embryon et même aucun embryon viable n’est pas un argument, on évoque ici les conséquences alors qu’il faut prendre en compte les origines. Or, ce n’est pas parce que certaines cellules souches embryonnaires peuvent être aujourd’hui obtenues sans prélèvement et destruction d’un embryon humain que toutes ces cellules ont cette origine. Il s’agit donc bien d’une évolution très négative du respect de ce qu’est un embryon humain.

Thibault Bazin : « Il s’agit donc bien de substituer une déclaration à une autorisation, donc d’alléger les exigences. La représentation nationale est en droit de se demander si cet allègement est opportun. (…) Tout cela n’est pas sans rapport avec l’embryon, mais il faut tout de même que nous nous disions la vérité : vous êtes un certain nombre à avoir siégé au sein de la majorité précédente, et ce texte vise justement à régulariser des dispositions adoptées par les socialistes en dehors de toute révision des lois de bioéthique et qui constituent autant de dérives. (…) Ce régime de recherche médicale en AMP, créé en 2016 en catimini, était censé réhabiliter le régime d’études de l’embryon déjà établi par la loi du 6 août 2013, adoptée, déjà, en dehors de toute révision des lois de bioéthique. ».

Et de préciser : « Quand la disposition a été votée en 2016, dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé, ce régime de recherche devait concerner des recherches biomédicales non interventionnelles, plus précisément observationnelles. Mais dès le 4 mars 2016, le décret d’application a étendu cette possibilité aux recherches interventionnelles qui permettent des interventions à risque. Cette modification est contraire à l’esprit et à la lettre de la loi du 26 janvier 2016, et implique des enjeux graves. ». Pour Frédérique Vidal, l’intervention dont il s’agit dans ce cas est un diagnostic préimplantatoire, ce qui n’est pas plus rassurant.

Patrick Hetzel : « Vous nous dites, madame la ministre, d’être tranquilles : même s’il s’agit d’une simple déclaration, il y a des règles à respecter. Mais la situation va complètement s’inverser : ce sont les acteurs de la société civile qui seront obligés d’assigner des chercheurs devant les tribunaux pour essayer de vérifier s’ils respectent les critères éthiques, alors qu’actuellement, l’Agence de la biomédecine effectue un contrôle a priori. Supprimer ce contrôle a priori, c’est aller vers le moins-disant éthique. Je ne vois pas comment vous pouvez affirmer que vous ne changez rien ; d’ailleurs, si c’était vrai, vous ne toucheriez pas à la loi. ».

Annie Genevard à propos de la durée de conservation d’un embryon (actuellement sept jours, le gouvernement veut quatorze jours et certains députés LREM veulent même vingt et un jours : « Je rappelle tout de même que l’article 16 du code civil consacre le principe du respect de l’être humain dès le commencement de la vie. ».

Un peu plus tard, Annie Genevard a déclaré l’impression générale de ce débat parlementaire : « J’éprouve le sentiment désagréable qu’au fur et à mesure que ce débat avance, la science prend le pas sur l’éthique. ».

À l’heure de la fin de cet article (31 juillet 2020 dans la soirée), je n’ai pas une connaissance exacte de l’évolution des débats. L’article 19 a été discuté lors de la troisième séance (séance de nuit) de ce vendredi 31 juillet 2020. Je n’en ai pas encore l’issue. À suivre…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (31 juillet 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Bioéthique 2020 (7) : l’inquiétante instrumentalisation du vivant.
Document : le rapport approuvé le 3 juillet 2020 de la commission spéciale de l’Assemblée Nationale sur la bioéthique (à télécharger).
Bioéthique 2020 (6) : attention, un train peut en cacher un autre !
Vincent Lambert.
La Charte de déontologie des métiers de la recherche (à télécharger).
Claude Huriet.
Document : le rapport approuvé le 8 janvier 2020 de la commission spéciale du Sénat sur la bioéthique (à télécharger).
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
La PMA et ses sept enjeux éthiques.
Les 20 ans du PACS.
Harcèlement sexuel.
Pédophilie dans l’Église catholique.
Le projet de loi sur la bioéthique adopté par les députés le 15 octobre 2019.
Texte du projet de loi sur la bioéthique adopté le 15 octobre 2019 par l’Assemblée Nationale (à télécharger).
Quel député a voté quoi pour la loi sur la bioéthique ? Analyse du scrutin du 15 octobre 2019.
Attention, les embryons humains ne sont pas que des "amas de cellules" !
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
Chaque vie humaine compte.
L’embryon puis le fœtus est-il une personne humaine ?
La PMA.
Le mariage pour tous.
L’avortement.
La peine de mort.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
Jacques Testart.
Simone Veil.

_yartiBioethique2020AE01



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200731-bioethique.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/bioethique-2020-7-l-inquietante-226120

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/07/28/38454227.html





 

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30 juillet 2020 4 30 /07 /juillet /2020 03:20

« L’article 6 de la Déclaration de 1789 affirme solennellement : "La Loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse". Qu’en reste-t-il si le Président de la République s’amuse à réduire ou supprimer les peines prononcées par les tribunaux sur le seul fondement de son bon plaisir et de son sentiment subjectif ? C’est alors celui dont l’entourage aura fait le plus de tapage médiatique, ou aura rapporté partout les plus gros mensonges, ou aura su faire pleurer Margot dans sa chaumière avec des arguments débilitants, ou aura dénigré les juges et jurés en les faisant passer pour incompétents et inhumains, qui obtiendra gain de cause. Ce n’est plus selon que l’on est puissant ou misérable, comme le disait déjà Jean de La Fontaine, que les sentences varient, c’est selon que l’on est protégé ou non par des réseaux militants capables de faire le buzz. En d’autres termes, c’est l’arbitraire total et le populisme pénal qui l’emportent sur les décisions longuement mûries par les magistrats et jurés en toute connaissance du dossier. » (Pr. Anne-Marie Le Pourhiet, "Causeur", le 10 janvier 2017).


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Je viens d’apprends le décès de Jacqueline Sauvage à l’âge de 72 ans le jeudi 23 juillet 2020 et je vais écrire ce que je m’étais retenu d’écrire il y a quatre ans, en août 2016. Cela ne va pas me faire que des amis (amies), mais tant pis. Un décès est toujours une tragédie et c’est pourquoi je vais tenter de rester le plus respectueux possible. Une famille est dans le malheur, mais elle l’était déjà depuis plusieurs années, voire décennies.

Je ne connaissais pas Jacqueline Sauvage, je n’avais rien contre elle et ne souhaitais pas qu’elle restât longtemps en prison, et j’imaginais que ses relations avec son mari étaient probablement un cauchemar… néanmoins, je demeure toujours surpris par le traitement médiatique de l’affaire judiciaire qui porte son nom.

Jacqueline Sauvage fut condamnée deux fois, la cour d’assises de Blois ayant confirmé en appel, le 4 décembre 2015, les conclusions de la cour d’assises d’Orléans du 28 octobre 2014, à savoir, une peine de dix ans d’emprisonnement pour le meurtre de son mari commis le 10 septembre 2012. Après une très forte mobilisation militante et une pas moins forte pression médiatique, le Président François Hollande a dans un premier temps accordé une grâce partielle à Jacqueline Sauvage le 31 janvier 2016 (jugement de Salomon qui a scandalisé tout le monde, puisqu’elle est restée en prison) puis une grâce totale le 28 décembre 2016, ce qui l’a fait sortir de prison le même jour, juste après Noël et le lendemain de son anniversaire.

Le blog juridique de l’avocat Régis de Castelnau, "Vu du droit" a résumé assez bien les faits le 1er février 2016 : « Les conditions du meurtre sont claires. Madame Sauvage, chasseuse émérite, avait gardé dans sa chambre son propre fusil qu’elle avait chargé. Elle s’en est servi pour abattre son mari de trois balles dans le dos sur leur terrasse au moment où celui-ci ne la menaçait en rien. La préméditation fut discutée mais pas retenue. Quant à la légitime défense, aucune des conditions exigées par la loi n’était réunie. Elle ne fut pas plaidée par l’avocat intervenu en première instance. Mais, stratégie suicidaire, elle fut utilisée de façon exclusive en appel par les nouvelles avocates. ».

Le meurtre de son mari est intervenu très peu de temps (un jour) après le suicide de son fils, mais il est apparu qu’elle n’en avait pas eu connaissance avant d’avoir commis son geste. De même, les accusations d’incestes sur ses trois filles n’étaient pas encore connues. Je reprends le même blog de Régis de Castelnau le même jour : « La délicate et douloureuse question de l’inceste n’a émergé qu’après la mort de Monsieur Sauvage. Les trois filles (…) n’avaient auparavant jamais évoqué de tels actes, qui se seraient donc produit il y a plus de trente-cinq ans. Leur mutisme ne prouve rien. Un petit détail curieux, quand l’une d’entre elle a eu un enfant, elle n’a pas hésité à le confier pour des périodes conséquentes à ses parents, malgré la dangerosité du père dont elle fait état aujourd’hui. Et à l’objection : "pourquoi le diraient-elles si ce n’est pas vrai ?", il y a une réponse simple, c’est que dans le conflit entre leurs parents, elles ont choisi la mère. Et elles se battent avec leurs armes pour la sauver. N’ayant pas prêté serment, ce qui serait un mensonge d’amour ne serait pas un faux témoignage. Et je pense qu’elles ont raison et que le combat acharné qu’elles mènent pour leur mère est méritoire. ».

Dans "Le Figaro" du 29 janvier 2016, l’avocate pénaliste Florence Rault a remis en cause, hors du "politiquement correct", certains arguments concernant l’absence de souvenirs de violences passées régulièrement utilisée par les "victimes" : « Le traitement de "l’affaire Sauvage" illustre jusqu’à la caricature ce qu’est devenu le débat public. Approximations, ignorance, inculture juridique, androphobie, hystérie se marient pour imposer UNE vérité et la mettre au service d’UNE cause. (…) Le phénomène des souvenirs induits ou mémoire retrouvée commence à être connu de la justice pénale et certains ne se laissent plus leurrer. La théorie de la mémoire retrouvée fait partie des fables que l’on retrouve souvent dans les affaires d’allégations d’abus sexuels. C’est alors que l’on entend trop souvent que la preuve de l’abus résidait justement dans le fait de ne pas s’en souvenir. Ah bon ? Et qu’un "flash" miraculeux aurait révélé les causes d’un mal être et permis de "commencer à se reconstruire". Quand ce flash est favorisé, parfois même imposé par des thérapeutes autoproclamés, il y a vraiment de quoi s’inquiéter. La MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) est sensibilisée à ce problème qui relève bien cette fois de l’emprise mentale de charlatans spéculant sur la faiblesse de certaines personnes. Il peut aussi arriver qu’un soi-disant oubli post-traumatique soit infiniment pratique pour se venger de quelqu’un ou régler ses comptes. En dehors de cas clinique précis, il est difficile d’envisager qu’une femme ait pu oublier pendant 47 ans ce qu’elle aurait supporté. Il en va de même pour les accusations d’inceste. Oui, des enfants peuvent mentir, parfois même très sincèrement tant ils sont convaincus par leur théorie. Les mensonges, les inventions, les manipulations et autres fantasmes existent bel et bien. Que dire quand il s’agit de révélations tardives d’adultes revisitant leur passé pour racheter la faute de leur mère ? ».

Je ne me permettrais pas de juger ni les faits ni, encore moins, les membres de cette famille qui a vécu le ou les drames, et je me suis réjoui de la libération de Jacqueline Sauvage car dans tous les cas, libre, elle n’était pas un danger pour la société. J’ai été choqué à plus d’un titre par la forte pression médiatique, d’autant plus qu’elle était une quasi-pensée unique. Cette pression visait à transformer une coupable en victime et encore aujourd’hui, dans Wikipédia, Jacqueline Sauvage est présentée comme "Femme victime de violences conjugales françaises". Cette encyclopédie n’est pas une référence, évidemment, mais elle montre à quel point l’unisson l’a emporté sur toute réflexion avec recul.

Si je m’exprime à cette occasion, c’est pour me prémunir de commentaires qui resteraient à cet unisson, d’autant plus que la récente disparition de Gisèle Halimi, combattante pour les femmes, honorée avec justesse notamment pour son combat pour la reconnaissance du viol, pourrait ajouter à la confusion qu’une cause, noble, le féminisme, puisse remettre en cause un certain nombre de valeurs humaines.

En août 2016, j’ai effectivement été choqué pour au moins sept raisons.

1. La remise en cause de la justice par des personnalités qui prétendaient vouloir atteindre la magistrature suprême (je pense en particulier François Bayrou, que j’apprécie bien par ailleurs) m’a particulièrement mis en alerte sur les dérives du populisme féministe. Du reste, François Fillon, candidat lui aussi à l’élection présidentielle, avait remis en cause la justice en mars 2017 lors de l’affaire qui porte son nom. La différence entre les deux, c’est que François Fillon était ultraminoritaire et même parmi ses plus fidèles, certains ne pouvaient plus (et ne voulaient plus) le soutenir publiquement. Au contraire, Jacqueline Sauvage a reçu le soutien de la plupart des responsables politiques. Presque unanimement. Faire croire qu’il y a des bons condamnés et des mauvais condamnés relève d’un relativisme qui me paraît très malsain dans un État de droit et dans une démocratie.

2. En somme, tous les soutiens de Jacqueline Sauvage ont justifié qu’elle ait fait justice elle-même. C’est la remise en cause complète de la notion de justice qui, justement, impose un tiers (l’État de droit), neutre, dépassionné, pour réguler ce qui est illégal ou légal. La violence conjugale doit entraîner une plainte de la personne violentée, pas qu’elle devienne une meurtrière. C’est à la justice de sanctionner. Pas à la victime.

L’avocat général Frédéric Chevallier a publié ainsi une lettre ouverte à Jacqueline Sauvage le 1er octobre 2018 dans "Le Monde" : « Lutter contre les violences interfamiliales, contre les violences faites aux femmes, ne peut passer par la violence criminelle dont vous vous êtes rendue coupable. La justice s’exerce pour éviter la vengeance des victimes et pour punir à leur place. Cette justice aujourd’hui fonctionne. (…) J’ai trouvé qu’il y avait un silence assourdissant sur toutes les bêtises qui se disaient sur cette affaire. ».

3. Au-delà de ces éructations plus ou moins assumées contre l’État de droit, c’est carrément une justification de la peine de mort, sa relégitimation : le mari supposé violent (et probablement il l’a été) méritait la mort. Il m’avait semblé que le combat pour l’abolition de la peine de mort (ce combat n’est pas terminé) était aussi celui des féministes. Je me suis trompé. Agrippine, sortez du corps des féministes !

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4. Cette agitation médiatique univoque a fait naître de nombreuses pétitions particulièrement démagogiques et puantes, une favorable à la légitime défense pour soutenir "le" commerçant de Nice (légitime défense qui n’a jamais été retenue pour le cas de Jacqueline Sauvage), une autre ultrasécuritaire, pourquoi ne pas en avoir profité pour proposer une pétition demandant le départ d’un voisin antipathique ? Sous le coup de l’émotion, des parlementaires ont même commencé à préparer des propositions de loi pour élargir la notion de légitime défense aux seules femmes victimes. Elles auraient été anticonstitutionnelles parce que ce genre de texte différencierait les Français.

5. Au-delà même de l’affaire et de ses effets médiatiques, la réaction du Président de la République a été terriblement scandaleuse. En rendant un jugement de Salomon qui n’a satisfait personne, François Hollande est resté dans la lignée de sa réaction avec Leonarda, une adolescente qu’il avait invitée à revenir séjourner en France, mais sans ses parents ! En gros, François Hollande voulait faire oublier la condamnation de la meurtrière, mais sans la faire sortir de prison, alors qu’il aurait fallu faire l’exact contraire, rappeler qu’elle était condamnée et que sa condamnation était essentielle, mais la libérer car son maintien en détention n’arrangeait rien. Il paraîtrait que ce jugement mi-figue mi-raison avait pour objectif de ne pas irriter les juges. C’était raté. C’est par ces réactions qu’on peut juger si un homme est homme d’État ou pas (ce serait la même chose pour une femme, bien sûr).

6. L’extrême confusion qui, sous prétexte de la défendre la cause des femmes, a légitimé le meurtre n’a pas eu, à mon avis, pour conséquence une réduction des violences faites aux femmes. Au contraire, la remise en cause de la condamnation de Jacqueline Sauvage rend légitime la violence et donne un très mauvais signal d’encouragement aux violents, quels qu’ils soient.

7. Enfin, le moins qu’on puisse dire est que Jacqueline Sauvage n’a pas été victime d’un acharnement judiciaire, mais face à un acte qui était pénalement sanctionnable, il fallait bien qu’au nom de la société, les juges rappelassent que, dans tous les cas, on n’a pas le droit de tirer trois fois dans le dos d’une personne, même si on la considère comme une tortionnaire. Il y a d’autres solutions pour sortir d’une situation violente que d’éliminer purement et simplement l’un des protagonistes.

Pas d’acharnement de la justice, la juriste Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’Université de Rennes, l’a constaté le 10 janvier 2017 dans "Causeur" : « Sachant que l’homicide volontaire est puni de trente ans de réclusion, il est clair, de surcroît, que la condamnation de Madame Sauvage à dix ans n’était pas inéquitable du tout. ». Et d’ajouter avec rage : « Les magistrats qui avaient refusé de la libérer de manière anticipée avaient donc parfaitement raison d’observer qu’elle n’avait aucune conscience de sa culpabilité. Elle est victime, un point, c’est tout, c’est ce qu’on lui répète en permanence et elle considère donc que ce n’est pas un crime d’assassiner dans le dos un conjoint violent. Avis à toutes celles qui rêvent d’en faire autant : liquidez ces salauds, Mesdames, il ne vous en coûtera rien. Le Code pénal au feu et les juges au milieu ! ».

Donc, je résume : je ne suis pas contre le droit de grâce, c’est un privilège probablement anachronique du Président de la République mais cela permet de sortir d’une situation particulière dramatique (et cela crée un contre-pouvoir), mais pas comme exercé par François Hollande (« Pourquoi le policier qui a dégainé trop vite sur un malfaiteur ou le commerçant excédé qui a tiré sur un cambrioleur ne bénéficiera-t-il pas demain de la même grâce présidentielle ? » se demande Anne-Marie Le Pourhiet). Je ne suis pas contre les combats contre les violences faites aux femmes et plus généralement, les violences conjugales (certains hommes aussi sont des victimes), et même les violences au sein de la cellule familiale (les enfants aussi peuvent être victimes et incapables de se défendre), et ce combat me paraît trop noble pour en faire une allégorie au meurtre.

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Mais le plus choquant, cela reste tous ces responsables politiques (je n’en ai cité qu’un, a contrario parce qu’il m’a déçu sur ce sujet, mais toute la classe politique a réagi de la même manière) alors que justement, le rôle d’un responsable politique n’est pas d’être à la remorque d’une vague populiste ou démagogique mais de guider le peuple avec quelques valeurs sûres comme celles de la justice et de l’État de droit.

Le pire, c’est que cette univoix médiatique a continué après la libération de Jacqueline Sauvage qui est allée parader devant Laurent Delahousse le 6 janvier 2017 au journal télévisé de France 2, sans version contradictoire et en se victimisant aux côtés de ses deux avocates. Elle a continué avec la diffusion, le 1er octobre 2018 sur TF1 (près de 8 millions de téléspectateurs), d’un téléfilm militant réalisé par Yves Rénier : "Jacqueline Sauvage : C’était lui ou moi" (une adaptation d’un livre autobiographique de Jacqueline Sauvage) avec dans le premier rôle une Muriel Robin trop démonstrative pour être crédible.

Ce qui est révoltant, c’est de n’avoir quasiment jamais eu en écho qu’une seule version des faits, alors que l’autre version, elle a été jugée par des magistrats et ils ont été doublement clairs (l’affaire est passée deux fois aux assises) : il ne s’agissait pas d’une légitime défense, il s’agit d’un homicide volontaire. On ne tire pas trois fois dans le dos sans une volonté de fer (de faire aussi).

Heureusement, quelques rares personnes ont quand même réagi à toute cette "pensée unique médiatique".

Déjà citée du journal "Le Figaro" du 29 janvier 2016, Florence Rault a fait un bilan assez exhaustif de cette affaire et a terminé par ces mots : « Alors, pourquoi cette campagne, une telle déformation de la réalité, une telle pression sur la justice et sur le pouvoir exécutif ? L’objectif est simple : instrumentaliser la justice pour des fins qui ne sont pas les siennes, à savoir en la circonstance, assurer la promotion d’un féminisme victimaire, et affirmer l’impossibilité de l’existence d’une violence des femmes. Or, lorsqu’on essaye d’enrôler le juge, cela ne peut se faire qu’au détriment à la fois de la vérité et du respect des libertés publiques. Le juge n’est pas là pour faire triompher une cause, aussi honorable soit-elle. Il est là pour juger des faits de transgression de l’ordre public. Et dans une démocratie, c’est lui qui est légitime à le faire. ».

Le 1er février 2016, dans une chronique judiciaire du journal "Le Monde", Pascale Robert-Diard a finalement fait la meilleure synthèse de cette affaire : « Le dénouement de cette affaire offre à cet égard une singulière inversion des rôles. Deux avocates, habiles communicantes, transforment le cinglant échec judiciaire qu’elles ont essuyé pour leur cliente devant une cour d’assises en bruyante cause médiatique. Et un Président de la République use de son pouvoir pour donner à une accusée l’avocat efficace qu’elle n’a pas eu dans le prétoire. ».

Alors, paix aux âmes disparues, mais privilégions pour les vivants la justice sur la violence, même celle pour compenser d’autres violences…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 juillet 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jacqueline Sauvage.
Chaque vie humaine compte.
L’exécution de Mata Hari.
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
Une lueur d’espoir pour Serge Atlaoui ?
Vives inquiétudes pour Mary Jane Veloso.
Mort d’Adama Traoré : le communautarisme identitaire est un racisme.
Sarah Halimi, assassinée car Juive.
Harcèlement sexuel.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Robert Boulin, quarante années plus tard…
Violences conjugales en France : quelques chiffres qui parlent.
La lutte contre la violence faite aux femmes, nouvelle cause nationale ?
Que restera-t-il du drame de Thionville ?
Marie Trintignant.
L’affaire Patrick Henry.
L’affaire Florence Rey.
L’affaire Aldo Moro.
L’affaire Seznec.
L’affaire Grégory.
Le dilemme d’État.
Pour ou contre la peine de mort ?

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200729-jacqueline-sauvage.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/jacqueline-sauvage-entre-justice-226074

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/07/29/38455676.html






 

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28 juillet 2020 2 28 /07 /juillet /2020 03:51

« Permettez-moi de vous faire part de ma sidération devant le choix du gouvernement et de sa majorité, dans le contexte actuel, d’inscrire en priorité la révision des lois de bioéthique à l’ordre du jour de notre assemblée. Cela participera-t-il à l’unité nationale, revendiquée par le Président de la République ? J’en doute. Le projet de loi divise les Français. Selon un récent sondage, 70% d’entre eux ne sont pas favorables à son inscription à l’ordre du jour. Est-il la préoccupation majeure des Français ? J’en doute aussi : il l’est pour 1% des Français, selon ce même sondage. Est-ce pour le gouvernement un moyen de faire diversion, alors que la crise économique inquiète (…) ? Les Français ne sont pas dupes. Avec un délai aussi court entre les examens en commission et en séance, répétant les erreurs du passé, vous ne créez pas les conditions d’un débat apaisé. (…) Nous venons de vivre une crise inédite, qui a posé des questions éthiques. Au lieu de nous précipiter à examiner ce projet de loi relatif à la bioéthique, ne devrions-nous pas prendre du recul ? » (Thibault Bazin, député LR, le 29 juin 2020 lors de la première réunion de la commission spéciale sur la bioéthique pour la seconde lecture du texte).



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Et voilà ! La torpeur de l’été est sans pitié pour les sujets sensibles. L’Assemblée Nationale examine en seconde lecture le projet de loi de bioéthique du 27 au 31 juillet 2020. L’objectif de la majorité serait de faire adopter la PMA (procréation médicalement assistée, on parle aussi de AMP, assistance médicale à la procréation) le plus rapidement possible et le plus discrètement possible. Il est sûr que ce n’est pas en pleine crise sanitaire et en plein été, quand les Français sont en vacances, si attendues et dans la crainte d’un nouveau confinement, qu’ils vont aller manifester contre les transgressions, nombreuses, que ce projet de loi propose allègrement.

Comme on le sait, l’Assemblée Nationale aura le dernier mot si le Sénat n’est pas en accord avec elle. Néanmoins, le Sénat n’est pas forcément la force conservatrice qu’on peut imaginer.

Dans cet article, je propose l’état des lieux de deux points importants avant l’examen en séance publique, à savoir, les conclusions de la commission spéciale qui a réagi sur le texte voté par le Sénat le 4 février 2020. Cette commission spéciale de l’Assemblée Nationale s’est réunie en effet neuf fois du 29 juin au 2 juillet 2020 et elle a rendu son rapport le 3 juillet 2020 (publié le 15 juillet 2020 dans la soirée). C’est le texte modifié par cette commission à cette date qui sert de base à la discussion générale dans l’hémicycle cette semaine.

Pour moi, il y a une véritable volonté de confusion à vouloir, dans le même texte, élargir la PMA à toutes les femmes et à y inclure de nombreuses dispositions qui mettent à mal l’éthique. Cette volonté est également présente sur tous les intitulés ronflants et parfois hypocrites des "titres" et "chapitres" du projet de loi, car elle en fait trop : "accès aux technologies disponibles sans s’affranchir de nos principes éthiques" ; "choix éclairé"… "dans un cadre maîtrisé" ; "promouvoir la solidarité dans le respect de l’autonomie de chacun" ; "appuyer la diffusion des progrès scientifiques et technologiques dans le respect des principes éthiques" ; "soutenir une recherche libre et responsable au service de la santé humaine" ; "favoriser une recherche responsable" ; "optimiser l’organisation des soins" ; etc. et lorsqu’on regarde ce que cela signifie réellement, la teneur du texte, j’ai l’impression de voir la structure du texte rédigée en novlangue.

La première disposition, très compliquée en elle-même car elle porte sur de nombreux sujets, pas seulement technologiques mais aussi juridiques et psychologiques (par exemple, la confrontation entre le droit de l’enfant né d’une PMA à connaître ses origines et donc, à connaître l’identité du ou des donneurs, et le droit du donneur à l’anonymat, ce dernier droit était le seul reconnu par la législation actuelle et le texte propose de privilégier le premier droit, ce qui, à mon sens, est ici un progrès en faveur des enfants nés d’une PMA), est une disposition très médiatisée, très sensible au niveau de "l’opinion publique" et qui peut être simplifiée aussi selon croyances ou raisonnements (avec cette double injonction paradoxale : chaque enfant a le droit d’avoir un père et une mère ; chaque couple a le droit d’avoir des enfants).

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Mais les autres dispositions me paraissent aussi très importantes, essentielles même pour savoir dans quelle société nous vivons, avec quelles valeurs. Or, ces autres dispositions, peu médiatisées, et très compliquées, ne serait-ce que pour comprendre les enjeux induits, nécessitant une bonne connaissance de la technologique mais aussi de l’état de l’art, de l’état du droit, de comparatifs avec les autres pays et également de la situation de la recherche scientifique, sont beaucoup plus difficiles à appréhender et pourtant, elles vont engager l’ensemble du peuple français par une loi qui va être votée à la sauvette, en plein été, sans que ne fût installé un véritable débat public.

J’ai toujours soutenu le bicamérisme, à savoir, l’existence de deux chambres parlementaires, l’une directement élue par le peuple, représentante du peuple et porte-parole de la majorité gouvernementale, et l’autre représentant indirectement les "territoires", dont le mode d’élection permet plus de réflexion, plus de long terme, moins d’émotion après un fait-divers, moins de passion partisane, moins de consigne de vote, car cela permet de perfectionner un texte de loi selon ces deux prérogatives, le court terme et le long terme. Cela nécessite évidemment du temps, mais il vaudrait mieux passer plus de temps à pondre des lois mieux construites et surtout, évaluées après une certaine période, qu’à pondre sans arrêt une multitude de lois que les suivantes abrogeraient avant même qu’elles soient appliquées.

J’avais donc porté espoir dans les sénateurs pour leur sagesse, pour préserver l’éthique qui devrait résister aux modes et à l’air du temps, nos valeurs ne doivent pas sans arrêt évoluer avec les sondages et les impératifs économiques. Je le pensais d’autant plus facilement que la bioéthique, en France, était née plus particulièrement au Sénat, notamment grâce à l’action du professeur Claude Huriet (sénateur de Nancy).

Or, en portant attention aux débats en commission et en séances publiques au Sénat pour la première lecture, je me suis aperçu, à ma grande déception, que les sénateurs, loin de leur sagesse de réputation, ont parfois renforcé la transgression que le texte avait initiée.

Par ailleurs, je suis bien au courant des enjeux de la recherche scientifique, de la compétition internationale et du besoin d'aboutir rapidement pour soigner ou prévenir des maladies, objectifs qui sont une urgence absolue qu'on comprend encore mieux aujourd'hui avec la pandémie de covid-19. Cela ne doit cependant pas cacher qu'il est des domaines extrêmement sensibles dans lesquels on ne doit pas transiger sur les valeurs, on ne doit pas jouer avec le feu, ici, avec la vie humaine. Toutes ces digues qu'on détruit aujourd'hui, elles le seront de manière irréversible, et l'on pourra le regretter amèrement dans quelques années ou quelques décennies lorsqu'il y aura par exemple une fiche d'identité génétique avec toutes les anomalies à la naissance, mettant à mal les valeurs républicaines d'égalité des chances à la naissance par une différenciation génétique : il y aura alors les conformes et les non conformes, et cela en dehors de tout mérite personnel. Cette société eugéniste est à craindre et hélas est probable, car elle est aujourd'hui technologiquement réalisable, avec le mariage de la génétique et du numérique. C'est la volonté politique et la vigilance éthique qui permettent d'éviter d'engager la société sur un tel chemin.

Voici deux points sur lesquels mon attention s’est focalisée de façon extrêmement soutenue.


1. L’article 14 du projet de loi : l’embryon humain comme simple matériau d’expérimentation

L’extraordinaire caractéristique d’une cellule d’un embryon (cellule souche embryonnaire), c’est qu’elle est une et multiple à la fois, elle est pluripotente. En effet, les premières cellules après conception sont toutes identiques et recèlent en chacune d’elles tous les particularismes du futur être, en particulier, tous les organes. On comprend que cette caractéristique est intéressante si, par exemple, on souhaiterait fabriquer un organe particulier qui puisse être compatible avec un patient en attente de greffe. La recherche a donc évidemment exploré cette voie.

Mais attention danger : que dirions-nous si nous choisissions des personnes humaines que nous condamnerions à céder un organe pour un patient donné ? Cela signifierait qu’il y a des personnes plus importantes que d’autres, certaines qu’on sacrifierait pour en sauver d’autre. Et un être aurait alors une utilité et ne serait pas lui-même sa propre finalité. C’est évidemment monstrueux. Le problème de "jouer" avec les embryons humains, c’est qu’un embryon reste une personne en devenir, et qu’à ce titre, il a un statut très particulier, un peu paradoxal puisque la loi autorise aussi sa suppression avec l’avortement.

La chance, d’un point de vue scientifique, c’est que les chercheurs ont abandonné cette piste depuis environ une dizaine d’années, d’une part, parce qu’elle n’a jamais abouti, d’autre part, parce que cela posait de sérieux problèmes éthiques, mais il y a une troisième raison, la plus importante, c’est qu’on a trouvé le moyen d’éviter les problèmes éthiques en prélevant des cellules adultes qui se comportent exactement comme une cellule d’embryon, soit en les prélevant sur le cordon ombilical lors d’un accouchement, soit en prenant une cellule adulte, c’est-à-dire qui n’est plus en principe pluripotente (donc spécialisée) et que des chercheurs ont réussi à rendre à nouveau pluripotente (ce sont les cellules souches pluripotentes). La grande différence, c’est qu’il s’agit d’une cellule dont le prélèvement ou l’utilisation n’est pas destructif, en ce sens que la personne qui est prélevée reste toujours vivante, comme, par exemple, un don du sang, des cheveux coupés, ou des ongles coupés. C’est très différent de l’utilisation d’une cellule d’un embryon humain qui détruit nécessairement l’ensemble de l’embryon et donc de la personne en devenir qu’il était encore avant l’opération.

Or, cette avancée de la science, pour une fois qui résout un problème éthique insurmontable, n’est pas vraiment pris en compte dans le projet de loi (même si elle est citée), car on en reste encore sur la recherche sur l’embryon humain, avec une disposition particulièrement dangereuse. L’idée en effet est de différencier le statut juridique de l’embryon, selon qu’il est utilisé par exemple pour une PMA, l’embryon reste alors une personne en devenir avec tous les droits humains qui lui sont attachés, ou qu’il est utilisé pour de la rechercher scientifique (cellule souche embryonnaire), et dans ce cas, il n’est qu’un simple matériau scientifique qui n’aurait plus rien à voir avec l’humain. Pourtant, il s’agit des mêmes cellules vivantes.

François Hollande avait déjà fait passer dans la torpeur estivale de 2013 une loi qui visait à passer d’une interdiction sauf dérogation de la recherche sur les embryons humains à une autorisation sous condition de la recherche sur les embryons humains. Le texte de 2020 veut aller beaucoup plus loin puisqu’il n’y a même plus de conditions à remplir, il ne s’agirait alors plus que d’une simple déclaration. On voit l’avancée d’une réification très dangereuse de l’être humain en tant que tel : interdiction, puis autorisation, maintenant, simple déclaration. Il faut bien comprendre la différence : avant, pour faire une recherche sur un embryon humain, il fallait attendre une dérogation, ou une autorisation pour pouvoir la faire ; avec ce texte, si, après l’expiration d’un délai, il n’y a aucune réponse de l’autorité de tutelle (ici, le directeur général de l’Agence de la biomédecine), alors la non opposition est considérée comme acquise et la recherche peut commencer.

Un exemple de modification encore plus transgressive provenant des sénateurs : le texte des députés que la commission spéciale a remodifié, limite le développement in vitro des embryons à des fins de recherche (et qui ne peuvent pas être transférés à des fins de gestation) à quatorze jours (ce qui est déjà beaucoup, le double de la législation française actuelle, bien que généralement admis dans la législation de la plupart des autres pays), et les sénateurs avaient imaginé qu’à titre dérogatoire, ce développement aurait pu être poursuivi jusqu’au vingt et unième jour ! Précisons que la "droite" est majoritaire au Sénat et qu’elle est allée bien plus loin que la majorité sur ce sujet très sensible.

De même, le Sénat a voulu réserver l’interdiction de toute création d’embryons pour la recherche aux seuls embryons issus de la fusion de gamètes. Précisions ici que les embryons humains dont il s’agit n’ont pas été produits pour des fins de recherche mais correspondent à des embryons surnuméraires produits au cours d’une PMA. Cela signifie que les sénateurs n’étaient pas opposés à créer de nouveaux embryons humains sans finalité de gestation, uniquement pour des fins d’expérimentation.

Philippe Berta, corapporteur de la commission spéciale a affirmé : « À ce sujet, je rappelle que toute création d’embryon à des fins de recherche est strictement interdite. Il s’agit d’un principe fondamental, inscrite dans la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et de la biomédecine, que le projet de loi tend à clarifier et à solidifier. Les recherches sont donc conduites sur des embryons qui ont été conçue en vue d’une AMP mais qui ne font plus l’objet d’un projet parental. » (29 juin 2020).

Le texte par ailleurs évoque les protocoles ayant pour objet l’insertion des cellules souches embryonnaires dans un embryon animal dans le but de son transfert chez la femelle, afin de les inclure dans le périmètre des recherches hautement sensibles soumises à un mécanisme de contrôle renforcé. Cette disposition avait été annulée par les sénateurs (remise par la commission spéciale de l’Assemblée Nationale), ce qui revenait à dire que ce type de recherche n’était pas considéré comme "sensible". En effet, le rapporteur explique : « En maintenant l’état actuel du droit, le texte adopté par le Sénat n’interdit pas formellement les recherches impliquant les chimères animal-homme. Pire, en retirant celles-ci du dispositif de contrôle effectué par l’Agence de biomédecine, le texte fait l’impasse sur tout mécanisme de régulation. ».

Cet article 14 rédigé par les  sénateurs est plus transgressif que la version reprise des députés de la commission spéciale : « le projet de loi établit (…) une summa divisio entre le régime des recherches applicables aux embryons, soumises à autorisation, et celui portant sur les cellules souches embryonnaires, fondé sur une simple déclaration. ». Il n’en reste pas moins qu’il demeure encore très transgressif puisque les "cellules souches embryonnaires" proviennent tout de même d’un embryon humain…

La seule chose où les sénateurs sont plus stricts que les députés, c’est qu’ils voulaient que la sanction en cas de recherche faite dans l’illégalité soit deux fois plus sévère que ce que veulent les députés, à savoir quatre ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende au lieu de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.


2. L’article 19 quater : généralisation des tests génétiques avant la naissance

Introduit par les sénateurs, là encore plus transgressifs que les députés, et la commission spéciale des députés l’a conservé pour l’examen de la seconde lecture, l’article 19 quater « vise à proposer aux parents, dans le cadre du dépistage prénatal, la recherche en première intention, par le biais d’un examen des caractéristiques génétiques, d’anomalies génétiques ciblées pouvant être responsables d’une affection d’une particulière gravité susceptible de mesures de prévention ou de soins ».

Le rapporteur, qui avait été opposé au maintien de cet article, note : « le texte donne une base légale à la mise en place d’un dépistage généralisé des maladies d’origine génétique ». Empêcher la systématisation du diagnostic prénataI des maladies génétiques est l’un des combats du professeur Jacques Testart qui lutte énergiquement contre toute forme d’eugénisme.

Le rapporteur de la commission spéciale rappelle le rapport de la mission d’information sur la révision de la loi sur la bioéthique : « Des personnes porteuses d’une même variation génétique peuvent avoir des trajectoires de vie différentes : développement de la maladie à un stade précoce, développement à un stade plus tardif ou maintien du caractère asymptomatique pendant toute la vie. La littérature scientifique montre aussi que des variations pathogènes prédisposant à une maladie peuvent, avec l’évolution des connaissances scientifiques, être finalement considérées comme bénignes. ». Le dépistage d’une anomalie génétique à la naissance pourrait ainsi pourrir toute la vie d’une personne, inutilement…


La PMA n’est pas le seul objet de ce texte très important

Très étrangement, si les sénateurs se sont montrés beaucoup moins favorables à l’élargissement de la PMA à toutes les femmes que les députés, ils ont été beaucoup plus transgressifs pour déréglementer la recherche sur les cellules embryonnaires, ce qui, à mon sens, est une atteinte importante à la dignité des êtres humains.

Ce projet de loi est un texte compliqué, tellement compliqué qu’il nécessite six rapporteurs selon les domaines abordés. Il n’est pas sûr que la discussion in extremis, au milieu de l’été, dans un contexte de très grave crise économique et de nouveau gouvernement, puisse donner au peuple l’ensemble des éléments qui permettent une construction dépassionnée et apaisée de la révision de la loi de bioéthique.

Attention, le train de la PMA peut cacher un train beaucoup plus rapide, celui de l’expérimentation sur les embryons humains


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 juillet 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Document : le rapport approuvé le 3 juillet 2020 de la commission spéciale de l’Assemblée Nationale sur la bioéthique (à télécharger).
Bioéthique 2020 (6) : attention, un train peut en cacher un autre !
Vincent Lambert.
La Charte de déontologie des métiers de la recherche (à télécharger).
Claude Huriet.
Document : le rapport approuvé le 8 janvier 2020 de la commission spéciale du Sénat sur la bioéthique (à télécharger).
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
La PMA et ses sept enjeux éthiques.
Les 20 ans du PACS.
Harcèlement sexuel.
Pédophilie dans l’Église catholique.
Le projet de loi sur la bioéthique adopté par les députés le 15 octobre 2019.
Texte du projet de loi sur la bioéthique adopté le 15 octobre 2019 par l’Assemblée Nationale (à télécharger).
Quel député a voté quoi pour la loi sur la bioéthique ? Analyse du scrutin du 15 octobre 2019.
Attention, les embryons humains ne sont pas que des "amas de cellules" !
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
Chaque vie humaine compte.
L’embryon puis le fœtus est-il une personne humaine ?
La PMA.
Le mariage pour tous.
L’avortement.
La peine de mort.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
Jacques Testart.
Simone Veil.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200727-bioethique.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/bioethique-2020-6-attention-un-226037

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/01/22/37962765.html




 

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18 juillet 2020 6 18 /07 /juillet /2020 11:41

L'Assemblée Nationale examine en seconde lecture le projet de loi de bioéthique du 27 au 31 juillet 2020. La commission spéciale de bioéthique s'est réunie du 29 juin au 2 juillet 2020 pour étudier le texte de ce projet de loi. Son rapport enregistré le 3 juillet 2020 a été pubié le 15 juillet 2020, qu'on peut désormais télécharger.

Cliquer sur les liens pour télécharger le rapport et annexes (fichiers .pdf) :

http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/csbioeth/l15b3181_rapport-fond.pdf

http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3181_texte-adopte-commission.pdf

http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rapports/r3181-aCOMPA.pdf

Bioéthique 2020 (6) : attention, un train peut en cacher un autre !
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200727-bioethique.html

SR
http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20200703-rapport-bioethique.html


 

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10 juillet 2020 5 10 /07 /juillet /2020 03:05

« Vincent Lambert (…) aurait dû savoir (…) que l’hôpital public avait autre chose à fo*tre que de maintenir en vie des handicapés (aimablement requalifiés de "légumes"). L’hôpital public est sur-char-gé, s’il commence à y avoir trop de Vincent Lambert, ça va coûter un pognon de dingue (on se demande pourquoi d’ailleurs : une sonde pour l’eau, une autre pour les aliments, ça ne paraît pas mettre en œuvre une technologie considérable, ça peut même se faire à domicile, c’est ce qui se pratique le plus souvent, et c’est ce que demandaient, à cor et à cris, ses parents). Mais non, en l’occurrence, le CHU de Reims n’a pas relâché sa proie, ce qui peut surprendre. Vincent Lambert n’était nullement en proie à des souffrances insoutenables, il n’était en proie à aucune souffrance du tout. Il n’était même pas en fin de vie. Il vivait dans un état mental particulier, dont le plus honnête serait de dire qu’on ne connaît à peu près rien. » (Michel Houellebecq, "Le Monde" le 11 juillet 2019).



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Il y a un an, le 11 juillet 2019, Vincent Lambert s’est éteint dans sa chambre cadenassée du CHU de Reims. On en a beaucoup parlé à l’époque, en fait, on a parlé beaucoup de "l’affaire Vincent Lambert" pendant cinq ans, avec beaucoup de désinformation, de récupération, de manipulation, et aussi beaucoup d’émotion. En mai 2019, les évêques de France étaient même "sommés" (j’exagère à peine avec ce verbe) de donner une position publique alors qu’ils n’en avaient aucune envie (Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France, a fait une déclaration très mesurée le 13 mai 2019). Dans un communiqué publié le 18 mai 2019, le groupe bioéthique de la Conférence des évêques de France s’est étonné : « Pourquoi cette précipitation pour le conduire vers la mort ? » alors que le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU avait demandé le maintien de l’alimentation et hydratation de Vincent Lambert.

Oui, le drame de Vincent Lambert était d’abord un drame "privé", qui ne concernait que lui et ses proches, sa famille, ses amis. Comme pour d’autres drames, et la fin de vie en a toujours été un, il aurait mieux valu le laisser dans le secret des consciences, dans la confidence des responsabilités et des irresponsabilités. En mai 2019, le débat public en était arrivé à un tel point que c’était comme si on voulait organiser un sondage (sinon un référendum, un RIC !) pour que le peuple se prononçât : la voix du peuple voudrait-elle voter la mort d’un homme ?

Le malheureux Vincent Lambert a été la "proie" de récupérateurs de tout poils, j’en ai vu trois sortes : ceux qui étaient partisans de l’euthanasie et qui voulaient le faire mourir à tout prix dès lors que l’état de santé ne serait plus "digne" d’être vécu et qui voulaient en profiter pour légiférer sur l’euthanasie ; ceux qui, au contraire, refusaient une nouvelle législation et qui voulaient en même temps prouver l’efficacité de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 (la révision de la loi Leonetti du 22 avril 2005 était elle-même motivée par cette "affaire") ; enfin, ceux qui étaient fermement opposés à l’euthanasie d’une personne qui n’a pas pu exprimer clairement ses intentions et qui, de toute façon, considéraient que, comme un millier et demi d’autres personnes dans son état, il n’était pas en fin de vie.

Pour être honnête, je dirais que je faisais partie plutôt de la troisième catégorie, même si j’ai regretté les déclarations clivantes et odieuses de certains avocats, notamment lorsqu’une décision de justice leur a donné raison, momentanément raison, avec un triomphalisme qui ne pouvait qu’encourager d’autres juges à "aller plus vite". En ce sens, je me rapproche beaucoup plus de la déclaration des évêques de France, beaucoup plus prudents, bien qu’opposés sur le principe de l’euthanasie, car l’utilisation de cette affaire, pour une cause ou son contraire, était une manipulation, dans tous les cas, qui a impacté gravement sur la vie même de Vincent Lambert qui n’avait jamais rien demandé, surtout pas d’être un symbole de quelle que cause que ce soit.

J’ai commencé à m’intéresser à Vincent Lambert à une époque où personne ne voulait s’y intéresser, malgré la gravité de la situation. Mon premier article a été écrit le 16 janvier 2014, quelques heures après la décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de poursuivre l’hydratation et l’alimentation de Vincent Lambert. Pendant ces cinq ans et demi de rebondissements judiciaires provenant de tous les camps cités, faisant de cette histoire de médecine et d’éthique une histoire également de justice, et donc, une histoire publique, j’ai toujours voulu soutenir Vincent Lambert, protéger sa vie et ses conditions de vie (qui étaient scandaleuses), tout en défendant fermement la loi Leonetti et sa suivante, la loi Claeys-Leonetti.

Trois raisons m’ont amené à être scandalisé par cet acharnement médico-judiciaire à vouloir laisser-mourir Vincent Lambert.

D’une part, il n’était pas en fin de vie. Il n’était pas sous acharnement thérapeutique. Il n’avait aucun respirateur artificiel mais il était dans l’incapacité de se nourrir et de s’hydrater tout seul. Il a eu un appareil qui le nourrissait automatiquement mais on pouvait aussi lui donner à manger, il montrait quelques signes de déglutition et il fallait de l’entraînement pour que ce réflexe revienne. Vincent n’a pas eu les soins qu’il aurait dû avoir, notamment des soins de kinésithérapie, et aussi, il a toujours été enfermé dans sa chambre (qui était cadenassée !), alors qu’il avait un semblant de conscience qu’il fallait stimuler en le promenant dans un parc, en lui montrant la vie, le ciel, pas seulement le plafond d’une chambre. Il n’avait même pas droit à un fauteuil roulant pour pouvoir être déplacé dans des conditions dignes. Là est la dignité, celle de porter attention à une personne fragile et dépendante. Le CHU de Reims n’avait aucune unité spécialisée pour cet état de santé, alors pourquoi avoir refusé son transfert dans une des structures spécialisées qui avaient proposé de l’accueillir ? Mystère total ! Je n’ai jamais eu de réponse.

D’autre part, Vincent, qui, pourtant, travaillait dans le milieu hospitalier avant son accident, n’a jamais déclaré aucune directive sur ce qu’il convenait de faire en pareilles occasions. Certes, le principe des directives anticipées peut prêter à caution, car on les rédige généralement lorsqu’on est en bonne santé et qu’on refuserait toute diminution de son corps, sans s’imaginer que l’instinct de vie et de survie est bien plus fort que l’imaginaire des personnes en bonne santé. Il suffit de regarder qui, en bonne santé, souhaite le principe de l’euthanasie, et qui, des patients fragiles et dépendants, proches de la mort, souhaite être euthanasiés : il y en a très peu, et souvent, parce qu’ils se sentent rejetés, exclus, abandonnés, sans amour, sans entourage, sans accompagnement, voire se culpabilisent d’être un boulet pour les autres. Les patients bien entourés de proches à la fois aidants et aimants ne réclament généralement pas l’euthanasie. Là encore, chaque cas est unique et aucun ne doit pas être traité devant une caméra de télévision. C’est dans l’intimité que cela se règle. Au-delà de l’absence des directives anticipées, Vincent n’avait pas non plus choisi de personne de confiance qui pouvait donner une priorité morale d’une personne de son proche entourage sur une autre.

Enfin, et c’est probablement la raison réelle de la médiatisation de la situation de Vincent Lambert, c’est l’absolu désaccord au sein de sa famille sur son avenir, en d’autres termes, le désaccord entre son épouse et sa mère. On imagine que sa mère refusait de voir partir son fils, mais on imagine aussi que son épouse pouvait vouloir refaire sa vie, faire son deuil (avec leur fille) mais Vincent était pourtant vivant. Cette discorde familiale géante a été la cause de tous les développements judiciaires et administratifs de cette "affaire". S’il y avait eu consensus au sein de la famille et de l’équipe médicale, la situation aurait évolué dans l’intimité des consciences et quelle que soit la décision prise, elle aurait  pu, médiatisée, scandaliser les uns ou les autres, pour une raison ou son contraire, mais sans médias, rester dans le silence lourd des cœurs proches.

Dans une tribune au journal "Le Monde" publiée le 11 juillet 2019 mais écrite avant la mort de Vincent Lambert, l’auteur de la loi sur la fin de vie, Jean Leonetti constatait amèrement : « Sa vie et sa mort, qui auraient dû rester dans le domaine de l’intime, dans le doute de la complexité et le respect de la souffrance et du deuil, se sont abîmés dans la lumière aveuglante des médias, la simplification émotionnelle, la violence des mots et l’affrontement devant la justice d’une famille déchirée. Le cas de Vincent Lambert est moins un problème médical qu’un problème familial dans lequel se mêlent le sublime de la tragédie grecque et le sordide de l’image et des formules impudiques. ». Car l’esprit de sa loi, c’était justement « le cheminement du doute qui mène au consensus ».

Justement, la fin de vie est une affaire unique, une singularité que la loi ne peut pas généraliser, la loi ne permet que d’accompagner. Or, cet accompagnement est nécessaire dans tous les cas. Le premier fondement de ces lois depuis le début des années 2000, c’est de tout faire pour éviter la douleur et, parallèlement, de ne pas faire d’acharnement thérapeutique dès lors que la fin est inéluctable. Attention, s’acharner peut avoir des justifications, des vies ont été sauvées ainsi, et les personnes vivent parfois presque normalement. Mais lorsque cet acharnement n’a pas d’objectif sinon de continuer à faire vivre "artificiellement", il est considéré comme moralement négatif. C’est pour cela qu’on parle de l’expression "obstination déraisonnable" qui essaie d’être le plus factuel possible. Pour rédiger les lois sur la fin de vie, les parlementaires ont en effet beaucoup débattu pour trouver les bons termes et les bonnes définitions. Au-delà du non acharnement, il y a la douleur à traiter, celle-ci passe par les soins palliatifs : on ne traite plus la maladie mais les souffrances qu’elle occasionne, et si cela devait abréger la vie, alors, tant pis. Là encore, ce n’est pas de l’euthanasie, mais une simple évidence : tout faire pour ne pas souffrir.

D’ailleurs, si les demandes de possibilité d’euthanasie auprès des personnes bien-portantes sont si souvent "populaires" dans les sondages, c’est parce qu’il y a eu une véritable faute de l’État à n’avoir pas développer les soins palliatifs. Un retard d’une vingtaine d’années qui mériterait d’ailleurs une véritable enquête parlementaire, car on ne peut pas ramener tout à un manque de budget. Il suffit de regarder aussi l’absence de stock de masques : même pour 1 milliard de masques, le budget était ridicule (de l’ordre de 30 millions d’euros, ce n’est rien pour l’État). Il y a d’abord un problème de mentalité, notamment chez les soignants et un problème de structure : il ne faut pas avoir un service de soins palliatifs, mais installer une structure de soins palliatifs partout où ils sont nécessaires, dans les services où c’est nécessaire. La mentalité "se soigne" aussi par la formation initiale, en imposant des "cours" de soins palliatifs à tous les futurs médecins, quels qu’ils soient. C’est ce que le législateur a demandé ces dernières années, mais avec retard.

Mon indignation qu’on ait laissé Vincent Lambert mourir était donc triple, mais elle n’était pas la manière de l’avoir laissé mourir. En effet, Vincent Lambert n’a pas souffert, et c’est toute la nuance qu’ont apportée la loi Leonetti et la loi Claeys-Leonetti : certains parlent d’hypocrisie, mais ce n’est pas une hypocrisie de refuser que les médecins donnent ouvertement la mort. Franchir cet interdit aboutit à bien des dérives (qu’on constate en Belgique : maintenant, la loi permet d’euthanasier même des enfants dépressifs, quelle honte !). Le rôle des médecins n’est pas de tuer mais d’accompagner les patients à mourir le cas échéant, dans les meilleures conditions. La loi Claeys-Leonetti a institué le droit à la "sédation profonde et continue jusqu’au décès", autrement dit, à ce que la personne en train de mourir soit endormie pour franchir le seuil de la mort le moins douloureusement possible. À ce stade de l’état du patient, manger ou boire n’a plus beaucoup d’importance.

Les "leçons" de cette terrible "affaire Vincent Lambert" (rien que parler de "leçons" m’effraie car Vincent ne demandait pas d’être un "cas" ni un "modèle" ou "contre-modèle" pour des camps opposés, il n’était qu’un être singulier, unique, et il demandait à être soigné avec la plus grande attention). Donc, les "leçons" sont deux.

La première "leçon", c’est que, contrairement à ce que veulent marteler les zélateurs de l’euthanasie, la loi Claeys-Leonetti a fonctionné parfaitement pour accompagner ce passage délicat de vie à trépas. Cela a duré quelques jours au lieu de quelques minutes ? Est-ce un problème pour la famille ? Mais les considérations sur la fin de vie doivent-elles prendre en compte les désirs, angoisses, attentes de l’entourage ? Si oui, attention aux impatiences des futurs héritiers ! Tout doit être focalisé autour du seul patient, pas de son entourage. Car en ce qui concerne le patient en fin de vie, il n’a pas souffert. Qui, de nous humains, peut se permettre de décréter le jour et l’heure de la mort d’un proche ? Qui veut se substituer à Dieu s’il existe ? Seules les justices inhumaines, avec la peine de mort, peuvent se le permettre. Et Dieu pour ceux qui y croient, mais il n’y a pas besoin de Dieu dans ces réflexions sur l’éthique de fin de vie.

Au contraire, les développements de "l’affaire Vincent Lambert" ont montré la monstruosité de ce qu’aurait été une loi sur l’euthanasie. Car rappelons-le, sur décision de justice, par deux fois, le 13 mai 2013 et le 20 mai 2019, la procédure de "laisser-mourir" Vincent a été interrompue, et même si finalement, la justice l’a confirmée, il est clair que les deux décisions de justice citées plus haut auraient été incapables d’être appliquées si on avait purement et simplement tué Vincent Lambert. Cette durée indéterminée entre le moment où l’on commence la "sédation profonde et continue" et le moment où le patient décède, peut aussi donner lieu à un retour en arrière qu’une simple injection létale ne permettrait pas (et à ceux qui disent qu’on euthanasie bien les chiens, je serais tenté de leur susurrer que justement, nous, humains, nous ne sommes pas des chiens ! nous pouvons consacrer plus de budget aux humains qu'aux chiens).

La seconde "leçon" me paraît en revanche très négative, que ce soit sur l’application de la loi Claeys-Leonetti ou même sur la jurisprudence. Soyons clairs : l’application d’une loi est toujours sujette à interprétation, et les cas de fin de vie sont aussi nombreux que le nombre de personnes qui meurent. Ce qui importe dans la réflexion, ce sont les cas limites, et pour moi, le cas limite, c’est d’être dans une situation où il est impossible physiologiquement, au patient, d’exprimer sa volonté, sa volonté présente et même, sa volonté passée, quand il était en bonne santé et qu’il pouvait s’exprimer. Pour moi, c’est l’horreur absolue.

C’est cette horreur absolue qui renforce d’ailleurs la conviction de certains à vouloir abréger une vie qui serait une prison. Mais qu’en savons-nous ? Nous ne connaissons rien des états de conscience minimale, et les témoignages de certaines personnes accidentées de la vie qui sont capables, après réveil, de répéter tout ce qui se passait autour d’eux lorsqu’ils étaient sans conscience devraient amener certaines personnes à une extrême prudence dans leurs opinions souvent péremptoires sinon intolérantes.

À l’évidence, Vincent Lambert n’a jamais exprimé à personne sa volonté d’en finir dans l’état où il était, et c’est assez normal car il est très difficile de se projeter dans une situation critique si singulière et si improbable, du moins, si imprévisible. En tout cas, cette volonté n’a jamais été établie sinon par témoignage de son épouse qui fut contredite par sa mère, qui, elle-même, aurait renoncé à toute intervention judiciaire si elle avait eu la certitude que son fils était d’accord pour partir dans cette situation-là. Le drame de Vincent Lambert, c’est deux conception de l’amour diamétralement opposées. Il illustre en outre sans finesse la possible et stupide rivalité entre une mère et sa belle-fille.

Ce que je condamne dans l’attitude de l’État, pris dans le sens large (en particulier la justice, qu’elle soit administrative, civile ou pénale), c’est qu’elle n’a pas laissé le moindre bénéfice du doute à la vie. Quand on n’est pas sûr, on s’abstient de prendre une décision qui aura une conséquence irréversible, au sens de Jankélévitch : « L’homme est tout entier devenir, et n’est que cela ; et comme le devenir lui-même est toute irréversibilité, il s’ensuit que l’homme entier est irréversibilité : l’homme est un irréversible en chair et en os ! ».

Une fois Vincent Lambert enterré, il est par ailleurs sans objet de continuer un parcours judiciaire qui n’a plus d’objectif moralement noble : plus aucune décision de justice ne lui rendra la vie, et donc, toute nouvelle action est vaine. Pourtant, la mère de Vincent a fait appel de la décision de relaxe prise par le tribunal correctionnel de Reims le 28 janvier 2020 en faveur du chef de service du CHU de Reims accusé de non assistance de personne en danger. Laissons reposer en paix Vincent…

Le 20 mai 2019, l’archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit, avait exprimé une véritable inquiétude sur l’évolution de la société : « Il y a aujourd’hui un choix de civilisation très clair : soit nous considérons les êtres humains comme des robots fonctionnels qui peuvent être éliminés ou envoyés à la casse lorsqu’ils ne servent plus à rien, soit nous considérons que le propre de l’humanité se fonde, non sur l’utilité d’une vie, mais sur la qualité des relations entre les personnes qui révèlent l’amour. N’est-ce pas ainsi que cela se passe lorsqu’une maman se penche de manière élective vers celui de ses enfants qui souffre ou qui est plus fragile ? C’est le choix devant lequel nous nous trouvons. » (Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris, le 20 mai 2019 à Paris).

Je termine avec ce tweet du pape François la veille de la mort de Vincent Lambert, le 10 juillet 2019, qui est toujours d’actualité pour toutes les personnes vulnérables et fragiles, c’est-à-dire, potentiellement, pour nous tous : « Prions pour les malades abandonnés et qu’on laisse mourir. Une société est humaine si elle protège la vie, de son début jusqu’à sa fin naturelle, sans choisir qui est digne ou non de vivre. Que les médecins servent la vie, qu’ils ne la suppriment pas. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 juillet 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Vincent Lambert, meurtre d’État, euthanasie, soutien aux plus fragiles…
Vincent Lambert au cœur de la civilisation humaine ?

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200711-vincent-lambert-fdv2020cw.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/vincent-lambert-meurtre-d-etat-225647

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/07/06/38415925.html




 

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2 juillet 2020 4 02 /07 /juillet /2020 03:21

« Pour nous, héritiers des Lumières et de Rousseau, la liberté est un droit naturel, elle est constitutive de la définition même qu’on se fait de l’homme. C’est pourquoi l’esclavage est un crime contre l’humanité. Mais le XVIIe siècle, dans la lignée du droit romain, ne raisonne pas ainsi : pour lui, la personnalité juridique d’un individu n’est pas consubstantielle à son humanité. Il ne voit pas de contradiction à ce qu’un esclave soit en même temps une propriété et un homme. (…) La qualification comme "bien meuble" par l’article 44 ne signifie pas que le Code noir l’assimile à une chose ou à un animal (…), mais traduit qu’il peut être vendu, acheté, loué ou prêté. L’article 2 stipule que l’esclave doit être baptisé et catéchisé. Il serait absurde d’enseigner le catéchisme à un meuble (…). Le Code noir ne donne absolument pas tous les droits aux maîtres. Il les oblige même, en principe, à prendre soin de leurs esclaves. Ils sont tenus de les nourrir et de les vêtir (article 22 et 25). » (Jean-François Niort, décembre 2017).


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Incontestablement, Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) est un personnage majeur de l’histoire de France. Bras droit du roi Louis XIV quand ce dernier a pris son indépendance et son envol, successeur du puissant Mazarin, pseudo-rival de Louvois, Colbert a gouverné et organisé la France pendant plus d’une vingtaine d’années. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, son sens de l’État était incontestable et remettre en cause son importance dans l’histoire de France est aussi stupide que remettre en cause Napoléon, par exemple.

Mais la "mode" est maintenant au déboulonnage de statues. Il y a un côté dérisoire et stupide dans cette démarche. J’écris la "mode", mais c’est le fait d’une infime proportion de la population, des activistes qui, peut-être plus par provocation que réflexion, veulent faire bouger des choses. Les lacunes de plus en plus évidentes en cours d’histoire se font ainsi jour sur la place publique.

Certes, il y a parfois des justifications aux déboulonnages de statues : celles de Lénine ou Staline, celle de Saddam Hussein… partout dans les dictatures où le culte de personnalité faisait des statues des totems, les renverser, c’était symboliquement renverser ces dictatures. Mais en France, nous sommes en démocratie et en pays de libertés. Tout le monde peut s’exprimer, même pour dire qu’il ne peut pas s’exprimer !

Soyons clairs : le mouvement initié par la mort scandaleuse de George Floyd est sain en ce sens qu’il a fait prendre conscience de faits-divers qui ne doivent plus se répéter aux États-Unis. Un mouvement qui ne serait pas très éloigné, dans la forme, du mouvement MeToo, avec un combat contre le racisme au lieu du harcèlement.

En France, le débat a été préempté par des organisations identitaires qui tentent de faire de la récupération et de l’amalgame. Amalgame avec la mort tout autant regrettable d’Adama Traoré dont les circonstances seraient très différentes de celles de George Floyd, amalgame entre des actes de racisme individuels et un supposé racisme d’État dans les forces de l’ordre. Tout cela ne sent pas très bon, car à vouloir mélanger tout, on rend confus les enjeux. C’est surtout contreproductif pour une juste cause.

J’expliquais que le communautarisme est un racisme, surtout en France biberonnée à l’idéal républicain qui se fonde sur l’égalité des personnes que seul le mérite peut distinguer. Notre culture française est aux antipodes du communautarisme tel qu’il peut se pratiquer dans des pays à influence anglo-saxonne, particulièrement en Grande-Bretagne, aux États-Unis, mais aussi en Afrique du Sud voire en Inde et au Pakistan.

Vouloir transformer le combat contre le racisme en guéguerre entre "Noirs" et "Blancs" est stupide, et concourt aussi à la dégradation de la cohésion nationale (en même temps qu’à la dégradation du niveau intellectuel des débats publics). De toute façon, tout ce qui éloigne cette cohésion nationale et ce vivre ensemble est un allié au racisme, même si c’est véhiculé par des soi-disant ligues antiracistes. La paix n’a jamais été la victoire d’un "camp" contre un autre, fût-il le "camp" des "opprimés", et surtout quand il n’y a pas de "camps" à l’origine. C’est l’acceptation et le respect de tous, dans leurs différences comme dans leurs points communs.

Cela écrit, je reviens sur un acte de délinquance durant la nuit du 23 au 24 juin 2020 à Paris : la statue de Colbert trônant devant le Palais-Bourbon, en face de la Seine et de la Concorde, a été tagguée d’une peinture rouge sur son corps, représentant du sang qu’il aurait dans ses mains, et sous-titrée de la même peinture avec l’inscription "Négrophobie d’État".

Je m’étonne d’abord du terme, étant convenu que "Nègre" est une forme péjorative de "Noir" voire "Black". À quand la "bougnoulphobie" (ou "bougnoulophobie" mais c’est un peu long) ? Rien que ce terme est stupide et dérive de l’oxymore. Quant à "d’État", la vraie question est plutôt : qu’est-ce que l’État ? qui est l’État ? Colbert a eu une influence déterminante sur l’État en France mais depuis sa mort, beaucoup d’eau a coulé. Bref, parler "d’État" en 2020 et s’en prendre à Colbert, c’est une erreur de raisonnement et de discernement.

Concrètement, je trouve dérisoire ce fait-divers, même si je préfère un attentat contre une statue à un attentat contre des personnes vivantes, prises au hasard ou ciblées. Colbert est mort depuis plusieurs siècles et s’en remettra. Le problème, c’est que ce genre d’actions est stupide car cela n’impactera pas sur des supposées victimes du racisme. On ne s’occupe pas des conditions des hommes, on en est juste à de l’activisme militant sans effet réel. Sans volonté d’amélioration commune, sans recherche du bien commun.

S’en prendre à Colbert pour fait de racisme, c’est au moins l’expression d’une triple bêtise. C’est d’abord l’incapacité à contextualiser l’histoire. C’est vrai que certains disent aujourd’hui avec les connaissances d’aujourd’hui ce qu’il aurait fallu faire en mars dernier contre la pandémie. Dans les années et décennies qui viennent, nous aurons sans doute de nombreuses thèses en sociologie sur le sujet.

La contextualisation est importante. Il faut essayer de comprendre quelles étaient les idées dominantes, ou même considérées comme normales à une époque donnée. Il y a plus de retard en France dans l’attention portée aux femmes (elles n’ont voté qu’en 1945 !), que dans la lutte contre le racisme et l’esclavage (ce sont deux choses distinctes) à partir du moment où la Révolution française a considérablement fait bouger les lignes.

Colbert n’est pas la première victime mémorielle de la décontextualisation. Ainsi, Hergé a été fustigé, toujours après la mort évidemment (la lâcheté, c’est de ne pas laisser la personne se défendre), pour avoir sorti "Tintin au Congo". C’est indiscutable que la manière très paternaliste et infantilisante des rapports entre Tintin, pourtant petit jeune, et les Africains, parfois âgés, qu’il rencontre, est particulièrement écœurante avec la vision d’aujourd’hui. Hergé n’en était pas fier, et encore moins du "Tintin au pays des Soviets" dont il interdisait la réédition (trouvant sa description de l’URSS un tantinet simpliste). Il faut imaginer le double contexte : la peur des Soviétiques et aussi la jeunesse, tout simplement, de l’auteur de bande dessinée, dont la pensée n’avait probablement pas atteint la maturité souhaitable. Faut-il brûler Hergé ? Pas plus que n’importe quel auteur dont on trouvera toujours des tares par rapport à la doxa du moment.

Au-delà de la contextualisation, il y a aussi l’idée qu’une personne, dans sa complexité, est un tout (comme Clemenceau le disait de la Révolution française) et qu’il faut faire la part des choses entre le positif et le négatif. C’est le débat perpétuel de l’auteur sulfureux, son génie excuse-t-il ses dérives ? Exemple marquant : Céline.

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Mais au-delà de ces deux écueils, décontextualisation et globalité d’une personne, il peut aussi y avoir un jugement un peu hâtif sur les faits. Les avocats de Colbert pourraient se prêter au jeu et plaider non coupable. Car que lui reproche-t-on ? Le Code noir.

D’abord, il a été achevé après la mort de Colbert, l’homme d’État a donc bon dos d’en être considéré comme le responsable. Le Code noir fut le nom donné en 1718 à l’ordonnance (ou édit) de mars 1685 signée de Louis XIV. On le voit, Colbert était déjà mort (en septembre 1683) lors que ce texte fut signé en mars 1685 et appliqué d’abord en Guadeloupe, puis Martinique et ailleurs. Si effectivement Louis XIV lui a demandé le 30 avril 1681 de préparer les 60 articles qui constituent ce texte législatif, Colbert (qui avait en charge notamment la Marine et les Colonies) n’a pas eu le temps de terminer ce travail de recherche juridique et de rédaction et ce fut son fils, le marquis de Seignelay, qui lui a succédé au Ministère de la Marine et des Colonies, qui a terminé le texte.

Colbert, dans tous les cas, n’est pas à l’auteur complet du texte et il n’a fait qu’un travail technique sur une demande politique, celle du roi. Le premier responsable, c’était donc bien Louis XIV. Pourquoi préfère-t-on s’en prendre à Colbert plutôt qu’à Louis XIV ? Parce que ce serait un symbole trop fort ? Une réduction intellectuelle qui se verrait trop simpliste pour le coup ?

Ensuite, il s’agissait de structurer, d’organiser, certes une honteuse pratique, mais pour en éviter les excès, pour remplacer l’arbitraire des maîtres par la puissance de l’État et du roi. Cette démarche peut se discuter, évidemment, certains déjà à l’époque, trouvaient l’esclavage scandaleux. Colbert, lui, ne regardait que la raison d’État. Rappelons d’ailleurs sa devise : « Pour le roi, souvent. Pour la patrie, toujours. ».

C’est intéressant de lire quelques historiens. Ainsi, André Larané, centralien et journaliste scientifique, explique le 14 juin 2020 dans Herodote (site qu’il a fondé, dont il dirige la rédaction) : « Le ministre, comme la plupart de ses concitoyens, réprouve l’esclavage. Celui-ci n’est-il pas prohibé dans le royaume depuis Louis X le Hutin ? Il en va autrement dans les lointaines îles à sucre où l’esclavage s’est mis insidieusement en place au fil des décennies. Le roi Louis XIII n’a pu faire autrement que de l’autoriser comme une étape vers le baptême et l’affranchissement, ce dont les colons n’ont eu cure. ». Louis X le Hutin avait en effet signé une ordonnance le 11 juillet 1315 pour affranchir les serfs du domaine du roi moyennant finance.

Et il poursuit sur la responsabilité du ministre : « Colbert, en homme d’État responsable, choisit la solution qui lui paraît la moins mauvaise [entre trois solutions] : [1°] Le statu quo revient à autoriser tous les abus de la part des colons. [2°] Abolir l’esclavage dans les colonies est inenvisageable, sauf à se mettre à dos la riche bourgeoisie (…) et surtout à provoquer la rébellion des colons. [3°] À défaut de mieux, le ministre envisage donc de codifier cette institution ou plutôt, de réunir dans un même opus sanctifié par le sceau royal les règlements qui se sont multipliés dans les îles de façon désordonnée. » (14 juin 2020).

Spécialiste du Code noir et auteur de deux ouvrages de référence sur le sujet, l’historien Jean-François Niort évoque dans la revue "L’Histoire" numéro 442 de décembre 2017 ce texte législatif : « On l’assimile trop souvent aux textes racistes qui l’ont suivi au XVIIIe siècle, alors qu’il ne s’inscrit pas encore tout à fait dans cette logique. (…) À l’époque de Colbert, il n’existe donc que deux catégories juridiques dans les îles : soit libre, soit esclave. C’est le XVIIIe siècle, avec l’établissement d’un troisième statut, celui de "libre de couleur", qui opère un basculement racial : la couleur conditionne désormais le statut (…). Colbert souhaite profiter de ce que ces territoires sont vierges (les Amérindiens ont été chassés, massacrés ou dominés) pour y fabriquer une société très moderne, où il n’y a plus d’ordres, et pas de vénalité des charges et des offices. Mais en même temps, une société extrêmement archaïque, puisque l’esclavage y est toléré, puis légalisé. » (Propos recueillis par Lucas Chabalier).

Et de préciser la responsabilité de Colbert : « La démarche législative de Colbert (…) consiste à prendre le droit tel qu’il est, et à le transposer sous la forme d’une loi royale pour signifier la présence et la force de l’État. (…) L’édit de mars 1685 autorise certes le maître à fouetter son esclave avec des verges ou des cordes, et à l’enchaîner, mais il lui interdit formellement de le mutiler ou de le torturer (article 42). S’il le tue, il sera poursuivi criminellement (article 43), ce qui signifie qu’il encourt la peine capitale. (…) Les militants mémoriels ont érigé le Code noir en symbole des horreurs de l’esclavage. Pourtant, ce n’est pas lui qui autorise la torture et la mise à mort des esclaves par leur maître, pas plus qu’il ne les livre à l’arbitraire et à la cruauté de leurs propriétaires. (…) Ce sont d’abord et avant tout les colons qui ont infligé aux esclaves des traitements que l’édit [de 1685] lui-même tenait pour inhumains. » (décembre 2017).

En réfléchissant un peu plus profondément, on pourrait même dire que Colbert aurait pu être bonapartiste sous Napoléon et même républicain sous la République, à condition qu’il puisse toujours servir la patrie en faisant de l’État sa principale expression. C’est pour cette raison que les récentes déclarations de l’ancien Premier Ministre Jean-Marc Ayrault ont de quoi me faire bondir.

Dans une tribune publiée dans le journal "Le Monde" le 13 juin 2020, Jean-Marc Ayrault, qui a évoqué un "racisme anti-Noirs" (il n’y a ni "racisme anti-Noirs", ni "racisme anti-Blancs", il y a juste racisme, ou pas), a en effet surfé sur cette mode très malsaine : « Comment comprendre que dans les locaux de l’Assemblée Nationale, le cœur battant de notre démocratie, une salle porte encore le nom de Colbert, qu’on ne savait pas être une figure de notre vie parlementaire ni de la République. ».

Dans cette phrase, au moins trois stupidités : la première, c’est que Colbert, comme je l’écris plus haut, ne pouvait pas être républicain faute de Révolution (donc, c’est un anachronisme de dire cela) ; la deuxième, c’est qu’il s’en prend à la Salle Colbert (qui est un amphithéâtre assez coquet), alors que la statue qui trône devant l’Assemblée Nationale est quand même plus voyante et plus symbolique ; enfin, troisièmement, c’est justement la force de la République d’avoir voulu reprendre l’histoire de France au-delà de 1789 et s’approprier toute la France, y compris celle royaliste. C’était la condition pour atteindre le consensus républicain.

C’était en effet la seule solution pour rassembler une grande majorité derrière la République à une époque où celle-ci n’était pas une "évidence" pour tout le monde. Pourquoi Jean-Marc Ayrault, d’habitude si mesuré et plus inspiré, est-il tombé dans le travers communautariste ? L’âge ? la perte de tout mandat ? Mystère et boule de gomme. Lui qui a créé 30 milliards d’euros de nouvelles taxes et nouveaux impôts entre 2012 et 2014, il devrait au contraire rendre hommage au serviteur de l’État partisan d’une fiscalité rationalisée et centralisée. Rappelons ce qu’a dit Colbert non sans ironie : « L’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avant d’obtenir le moins possible de cris. ».

Il ne s’agit donc pas ici de faire l’allégorie de Colbert. Il fait partie des bâtisseurs de la France, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il a fait des réalisations auxquelles on peut s’opposer ou au contraire, qu’on peut louer. Et il en est ainsi de tous les grands hommes d’État, ils auront toujours des cadavres dans les placards. Certains plus que d’autres. Les bilans seront toujours contrastés. On peut reprocher à Colbert l’étatisation à outrance de la France, mais plus difficilement l’esclavage de fait qui se pratiquait hors de tout contrôle royal dans les colonies. L’action de Colbert a surtout été que le roi puisse reprendre de l’influence et c’est sans doute cette évolution qui a permis d’abolir efficacement l’esclavage un siècle puis deux siècles plus tard car l’État a pu avoir une réelle influence même dans ses territoires lointains.

Tant qu’à lutter contre l’esclavage, restons à notre siècle et luttons réellement et efficacement contre les "encore esclaves" qu’on peut trouver scandaleusement même à Paris. Ce n’est pas le vandalisme stupide d’une statue ancienne qui va améliorer leurs conditions…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 juin 2020)
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Pour aller plus loin :
Ils sont tombés par terre, c’est la faute à Colbert !
Mort d’Adama Traoré : le communautarisme identitaire est un racisme.
La guerre contre le séparatisme islamiste engagée par Emmanuel Macron.
Deux faces des États-Unis : George Floyd et SpaceX.

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9 juin 2020 2 09 /06 /juin /2020 03:37

« Suite aux manifestations, le Président de la République s’est entretenu avec de nombreux élus et membres de la société civile. Le Président de la République demande au Premier Ministre et aux ministres compétents de se saisir des différentes composantes de ce sujet. » (Communiqué de l’Élysée le 7 juin 2020).


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On croit rêver quand on lit la première intervention publique (à peine en français correct) du Président Emmanuel Macron qu’on pourrait croire tout droit sortie du Pipotron ! Sur le "sujet", je n’attends pas du Président de la République qu’il énumère au peuple français une liste de mesures qu’il conviendrait de prendre, mesures construites après un lent processus de consultation. Christophe Castaner peut proposer quelques mesures, comme ce lundi 8 juin 2020. Elles peuvent avoir leur intérêt et leur sagesse, mais l’urgence politique, c’est un Président de la République, garant de l’intégrité de la République, qui rappelle immédiatement quelques valeurs, quelques principes. Il y a urgence, car le silence présidentiel dure depuis quinze jours !

Mais quel est le "sujet", justement ? L’actualité, l’événement déclencheur, c’est la mort horrible et injuste de George Floyd à Minneapolis, aux États-Unis. Les mots-clefs sont : violences policières, interpellation, plaquage ventral, discrimination, plus ou moins racisme. On peut rajouter la couleur de la peau. Cet événement ne marque pas seulement les États-Unis, il marque l’ensemble de la "communauté internationale" (jusque des pays "policiers" qui en profitent pour fustiger les États-Unis en leur donnant des leçons de démocratie !). En France, certaines personnes ont réagi, mais pour l’instant, ni Emmanuel Macron, ni Édouard Philippe. On est loin d’un Justin Trudeau qui s’est à moitié agenouillé pendant huit minutes pour rendre hommage à George Floyd.

Ce sujet a évolué en France par l’activisme d’organisations gauchistes pour certaines et communautaristes pour d’autres, en voulant transformer l’hommage à George Floyd en revendications communautaristes et en soutien à la famille d’Adama Traoré. Or, cet amalgame, sur l’autel d’une récupération odieuse de l’émotion suscitée par la mort de George Floyd, renforce la confusion des valeurs en France. Je vais m’expliquer.

D’abord, revenons à la mort tragique de George Floyd le 25 mai 2020. Tout, dans cet événement brutal, a fait que l’émotion allait être vive, car d’une part, les faits sont avérés et reconnus, d’autre part, ces faits sont particulièrement condamnables. Un homme soupçonné d’avoir acheté des cigarettes avec un faux billet de 20 dollars a été interpellé, il s’est laissé arrêter, mais le policier l’a immobilisé au sol en mettant un genou en pression sur la nuque pendant plus de huit minutes. Il appuyait encore quand George Floyd était visiblement déjà mort, asphyxié après avoir dit "Je ne peux pas respirer". Le plus choquant, c’était que la scène, filmée, montrait qu’elle s’est passée devant des dizaines de témoins, des passants, et que plusieurs d’entre eux ont averti le policier qu’il allait mourir s’il le maintenait ainsi. L’entêtement du policier a été assassin, il n’y a malheureusement pas d’autre mot. Du reste, ce n’était pas la première fois qu’il a commis des interpellations très violentes, mais il s’en était toujours tiré. Là, sa femme a immédiatement demandé le divorce, il a été révoqué de son poste puis inculpé de meurtre. Il paiera peut-être pour tous les autres, pour toutes les morts impunies.

C’est heureux que le monde entier ait réagi contre cette mort absurde, inutile. Manifestement, la vie de cet homme ne valait rien pour ce policier. Parler ici de violences policières est un fait, parler de racisme est une hypothèse fondée et probable, sinon certaine. Le fait que Donald Trump, dans sa finesse psychologique légendaire, ait dit que la baisse du chômage (imprévue) était un "grand jour" pour George Floyd (parti aux Cieux) est une récupération particulièrement odieuse, mais néanmoins, cela signifie aussi une certaine compassion, faisant de George Floyd plus un "ange" dont il rechercherait le soutien qu’un "ennemi" : il a pris fait et cause pour lui et pas pour les policiers démis de leurs fonctions (il a même demandé la priorité pour une enquête du FBI). En France, je ne doute pas que certains auraient soutenu le policier et auraient rappelé que George Floyd avait fait de la prison quelques années auparavant.

L’émotion est rassurante, aux États-Unis comme dans le reste du monde. Elle replace certaines valeurs humaines au centre de la politique, et le calendrier électoral américain est favorable à ce que la mort de George Floyd ne reste pas sans réponse efficace, car il n’était hélas pas le seul à mourir ainsi. Les élections présidentielles américaines vont encourager à réfléchir et agir pour que la mort de George Floyd ne soit plus jamais possible (on peut rêver).

Maintenant, passons en France. Ce qu’il se passe est très différent mais il se passe quelque chose. Profitant de l’émotion légitime pour George Floyd, beaucoup de militants ont voulu rappeler le sort tragique d’Adama Traoré, qui serait mort de violences "policières" lors d’une interpellation par les gendarmes le 19 juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise. Disons-le aussi : la mort d’Adama Traoré est une tragédie et n’était évidemment pas méritée, car quoi qu’ait pu faire Adama Traoré, la peine de mort est abolie, donc aucun délit et même aucun crime n’est passible de la peine de mort en France.

Les manifestations sont elles aussi un événement : réagissant à l’expertise médicale du 29 mai 2020 écartant la responsabilité des gendarmes, elles ont bravé le double interdit de la préfecture de police et de la crise sanitaire (pas de rassemblement de plus de dix personnes), et surtout, elles ont rassemblé le 2 juin 2020 environ 20 000 personnes alors que généralement, ce mouvement pour que justice soit rendue à Adama Traoré ne rassemblait que quelques centaines de personnes. D’autres manifestations ont eu lieu, toutes aussi interdites, les 6 et 7 juin 2020 à Paris.

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Dans la lecture de ces événements, ce qui est inacceptable est l’amalgame. Et j’en vois au moins deux ou même plus. L’amalgame est de la manipulation politique, souvent la récupération d’une émotion pour une autre cause que celle qui l’a suscitée. Quand il s’agit de la vie de personnes, c’est un procédé scandaleux.

Premier amalgame, la France est comme les États-Unis. Ce simplisme, associé à un antiaméricanisme primaire, dont antipatriotique, est véhiculé pour s’en prendre à l’État, au gouvernement, à la police, et plus généralement aux forces de l’ordre, voire à toutes les institutions. Il expliquerait le silence du Président de la République comme la confirmation de cette équivalence.

Or, c’est très différent pour toute une série de raisons. Disons seulement que la police américaine n’a rien à voir avec la police nationale française. Aux États-Unis, elle est délocalisée et le chef de la police locale est élu par les citoyens. On comprend que si une ville a une population, disons, "raciste", le chef de la police le serait "un peu", par électoralisme, ou serait choisi justement pour cette raison. En France, au contraire, les forces de l’ordre agissent sur des territoires qu’ils ne connaissent pas (certains parlementaires le leur reprochent et voudraient territorialiser la police nationale, mais je pense justement que c’est une bonne chose de ne pas être impliqués dans le territoire, ainsi, ils agissent avec les lois et les valeurs, sans considération de sentiment ou d’émotion.

L’autre différence, c’est que la violence est beaucoup plus ordinaire aux États-Unis qu’en France. Ce genre de mort par interpellation violente est plus de dix fois plus répandu aux États-Unis qu’en France. Il y a une raison : la possession d’armes à feu fait que la police américaine a peur d’une riposte et agi comme si la personne interpellée était armée et prête à riposter. Cela dit, les comptes d’apothicaire sont peu du registre des valeurs : une seule mort injuste ou évitable suffirait à condamner.

L’autre amalgame foireux, c’est de dire qu’Adama Traoré est George Floyd. La revendication que la justice agisse pour Adama Traoré est évidemment recevable. C’est scandaleux qu’au bout de quatre ans, les faits ne soient pas clairement établis. Que fait la justice ? Pourquoi est-elle si lente ? On pourrait parler de l’organisation de la justice, au même titre qu’on a parlé du système de santé et du fonctionnement des hôpitaux pendant la crise sanitaire. On ne peut dissocier "l’affaire Adama Traoré" du volet politique qu’elle provoque, et la justice paraît parfois plus rapide quand il s’agit de barrer la route à un candidat à l’élection présidentielle.

La différence entre les deux morts tragiques est que les circonstances de celle d’Adama Traoré sont particulièrement floues et expertises et contre-expertises nourrissent la polémique. Ce qui est inadmissible est de scander que les forces de l’ordre (ici les gendarmes, pas les policiers) sont des assassins alors que la plupart des expertises leur enlèvent la responsabilité dans la mort tragique d’Adama Traoré. On ne peut pas à la fois condamner l’absence ou la lenteur de la justice, l’absence de conclusion et vouloir faire soi-même les conclusions sur la responsabilité des forces de l’ordre dans la mort d’Adama Traoré.

Cela a abouti à des slogans extrêmes. Leurs amalgames sont doubles : la police est violente et tue, et la police est raciste. La violence policière est un sujet récurrent depuis la crise des gilets jaunes, et malheureusement, elle est surtout la réaction à une violence beaucoup plus grande et surtout assumée de certains manifestants. Parler de racisme de la police est peu soutenable. Individuellement, comme dans toute communauté humaine, il y a les failles, son lot d’imbéciles, son lot de malhonnêtes, son lot de racistes, évidemment, mais parler d’une institution raciste n’a d’autant moins de sens que la "diversité" se retrouve aussi dans les forces de l’ordre. On pourrait même prouver l’absence de racisme dans les victimes des gilets jaunes des violences policières : y a-t-il eu discrimination dans les actes de violence ? Et Cédric Chouviat ?

Certes, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a fait une étude sur le nombre de contrôles d’identités portant beaucoup plus sur des "personnes issues de la diversité" que sur les "autres" (je reviens avec tous ces guillemets). On peut imaginer l’agacement et même la colère d’une personne qui est contrôlée quinze fois dans la journée, c’est-à-dire, en gros, dont l’honnêteté est mise en doute d’office, pour la simple raison de la couleur de sa peau. Mais entre cette sorte de harcèlement administratif et la mort par interpellation, il y a un fossé dans le racisme.

J’en viens au plus important, à ces mots et expression "diversité", "issu de la diversité". Un jour, Nicolas Sarkozy avait gaffé parce qu’il avait maladroitement parlé d’une "apparence musulmane". Le peuple français est à la fois un et plusieurs. C’est l’ADN d’un organe, c’est un élément spécifique du corps humain, mais en même temps, il y a dans son code tout le corps humain, le corps humain est ici le peuple français, et un organe est un des citoyens constituant le peuple français.

Disons-le clairement, il s’agit avant tout de "couleur de la peau". C’est peut-être ce qui est le plus visible avant de connaître l’histoire d’un homme. En fait, non, la taille est encore plus visible, ou la couleur des cheveux, ou des vêtements, ou la longueur du nez, ou l’existence de lunettes, ou… bref, quand on n’a qu’un aperçu visuel d’une personne qu’on croise, il n’y a pas que la couleur de la peau.

Et le pire, c’est que la couleur de la peau, il n’y en a pas deux (blanche et noire), ni quatre (je rajoute jaune, rouge), mais quasiment autant qu’il y a d’êtres humains, sept milliards ! Et elle change, c’est une dynamique, il suffit de sortir de son bureau et d’aller au ski, dans les champs ou sur les plages pour le savoir. Alors, je reste toujours étonné par ceux qui voudraient diviser l’humanité, qui voudraient la catégoriser selon la couleur de la peau. Je comprendrais qu’on voudrait la catégoriser selon c@n/pas c@n même si je ne doute pas que les définitions sont toujours aussi subjectives les unes que les autres.

Je trouve sain que des dizaines de milliers de personnes se mobilisent en France (ainsi qu’à l’étranger) pour combattre le racisme, mais si je ne doute pas de la sincérité des intentions, il faut se méfier des discours. L’antiracisme peut devenir un racisme si l’on n’y prête pas attention. Le fait de vouloir représenter, parler au nom des personnes d’une certaine couleur de peau est, pour moi, aussi raciste que le fait de faire de la discrimination selon cette même couleur de peau. Pourquoi ? Parce que c’est la vision même de la société humaine qui est en cause. En considérant qu’elle est divisée en deux sociétés distinctes, l’une "blanche" et l’autre "noire", forcément conflictuelles, elle est une vision aussi raciste que celle qui veut "casser du noir", simplement, elle est d’un autre point de vue.

C’est pour cela que toute démarche identitaire fondée sur la couleur de la peau me paraît très dangereuse. Elle alimente le racisme plus qu’elle ne le combat. L’élection de Barack Obama a même été très révélatrice. On a dit de manière inexacte qu’il était le "premier Président noir", mais en disant cela, on considère que si un seul parent est "noir", l’enfant est "noir". Il a été élevé par sa grand-mère "blanche", puis dans une belle-famille musulmane… Rien n’est simple, question identité (relire Alfred Grosser). La généralité, c’est le métissage : tout le monde, je dis bien tout le monde est le résultat génétique de métissages, parfois très anciens, mais c’est justement le principe de l’Évolution, et l’homo sapiens existe de façon très récente (30 000 ans, ce n’est rien à l’échelle de la Terre), croire en une "pureté" de "race" est doublement fautif, une faute scientifique doublée d’une faute morale.

Pudeur de gazelle : la France est très gênée par ce genre de débat car il est pollué par des racistes et des antiracistes qui sont, pour moi, dans des camps adverses mais sur le même terrain idéologique qui me paraît irrespirable car volontairement clivant.

Encore une fois, je trouve stupide cette catégorisation selon la couleur de la peau car de toute façon, personne n’y est pour rien, c’est un fait à la naissance (sauf pour Michael Jackson !!). Ce qui doit distinguer les êtres humains, ce n’est pas l’inné, c’est ce qu’ils ont fait ou pas fait, dans un environnement donné. À la limite, catégoriser la population selon la couleur du vêtement serait plus pertinent, car au moins, on choisit (ou pas) son vêtement. L’être en a une petite part de responsabilité. Ce qui n’est pas le cas de ce qu’il est à la naissance.

C’est ahurissant de parler en France de "privilège d’être blanc" (notion venue des États-Unis : "white privilege") et j’imagine que ce n’est pas ainsi qu’on éteint le racisme, on le rallume plutôt. Que peuvent penser des "gilets jaunes à peau blanche" qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts quand ils entendent qu’ils sont des "privilégiés" ? C’est absolument stupéfiant que le combat pour refuser la discrimination de personnes "à peau noire" entraîne une condamnation des personnes "à peau blanche", ou du moins, leur culpabilisation en général. C’est un racisme de voir le monde ainsi. Ce n’est pas un "racisme anti-Blancs", c’est le même racisme que le "racisme anti-Noirs", c’est de croire qu’on peut diviser l’humanité selon la couleur de la peau.

Comment le producteur Augustin Trapenard a-t-il pu accepter de lire le 4 juin 2020 à l’antenne de France Inter la lettre de Virginie Despentes ? Serait-ce lui faire trop d’honneur de l’évoquer ? La lettre commençait ainsi : « En France, nous ne sommes pas racistes mais je ne me souviens pas avoir jamais vu un homme noir ministre. Pourtant, j’ai cinquante ans, j’en ai vu, des gouvernements. ». Elle n’a pas dû voir au bon endroit. Déjà, on serait tenté de réagir en disant que l’affirmation est complètement fausse, et en citant, pêle-mêle, Félix Houphouët-Boigny, ministre d’État de De Gaulle, excusez du peu), Christiane Taubira, Rama Yade, Roger Bambuck, etc. et même Gaston Monnerville, deuxième personnage de l’État pendant vingt ans, appelé le cas échéant à assurer l’intérim à l’Élysée, etc. Ensuite, on se dit que justement, les "racistes" les plus habiles ont toujours sous la main leur "Arabe de service", permettant de montrer que "voyez-vous, je ne suis pas raciste !". L’alibi.

Et puis, très vite, on se dit que cela devient puant, classer les ministres en fonction de leurs pigments de peau, surréaliste et surtout, c@n, très vite, on se dit qu’en répondant ainsi à coup d’arguments aussi stupides, on était tombé dans le panneau et que vouloir ainsi réagir, c’était aussi s’installer dans ce système dangereux de catégorisation selon la couleur de la peau. D’ailleurs, il y a eu des députés "à peau noire" plusieurs décennies avant que les femmes ("blanches" et "noires" confondues) n’aient eu le droit de les élire. Cela peut faire réfléchir…

Dans le débat public qui se développe depuis quelques jours, j’ai trouvé heureusement deux pépites de réflexion. Il faut insister : la pensée complexe n’est pas la plus simple à exprimer. La facilité intellectuelle se prête mieux aux jets (pour ne pas dire éjaculations) laconiques de Twitter.

J’ai ainsi beaucoup apprécié la réflexion de Caroline Fourest qui a parfois défendu des causes qui ne sont pas les miennes, mais qui a une cohérence intellectuelle qui fait du bien devant tant de confusions mentales dans le débat public. Elle explique ainsi qu’elle peut comprendre la colère de ceux qui sont discriminés car elle l’a été elle-même en raison de son orientation sexuelle, mais elle explique que la haine ne fait avancer aucune cause, aussi juste soit-elle.

Ainsi, pour soutenir la cause des LGBT, il était stupide et contreproductif de s’en prendre aux personnes hétérosexuelles. Il fallait au contraire convaincre que la reconnaissance de couples homosexuels ne gênait personne dans la société (je ne parle pas de l’adoption des enfants, c’est un autre sujet). Et c’est bien parce qu’il y a eu des personnes hétérosexuelles qui ont dépénalisé l’homosexualité que les personnes de même sexe peuvent aujourd’hui vivre ensemble en France (dans d’autres pays, on les condamne encore à mort). Toute avancée se fait sur un thème de rassemblement et pas de division. Malgré la colère.

De même, sur ce sujet de la violence policière avec suspicion de racisme, faire avancer la cause des personnes qui en seraient victimes n’est pas de fustiger les personnes "à peau blanche", mais de réfléchir sur l’interdiction ou un plus grande réglementation du plaquage au sol ou de l’utilisation des flashball, ou à imaginer un récépissé de contrôle d’identité, par exemple, ce qui serait utile à toute la population (Cédric Chouviat semblerait aussi être mort d’un plaquage ventral le 5 janvier 2020 à Paris, ainsi que Lamine Dieng le 17 juin 2007 à Paris). Unir et pas haïr. François Ruffin avait déposé une proposition de loi pour interdire le plaquage au sol, elle devait être examinée le 26 mars 2020, mais la crise sanitaire a bouleversé le calendrier parlementaire.

L’autre pépite, je n’en attendais pas moins de lui, c’est l’avocat chrétien du blog Koztoujours. Dans sa réflexion du 5 juin 2020 dont le titre est déjà largement suffisant : "Ni Blanc, ni Noirs, Français.", Koz s’indigne ainsi : « Je refuse d’être assigné moi-même à ma couleur de peau. Je refuse de m’excuser d’être ce que je suis, au-delà de ce que je choisis d’être (…). Je m’inquiète de voir les excès des uns pousser les autres à choisir un camp, sacrifiant la raison aux entreprises identitaires. Je m’inquiète car tous n’auront pas la ressource pour refuser la montée des extrêmes ou, si je ne craignais pas la référence cuistre, une forme de mimétisme girardien, déjà à l’œuvre. (…) Je n’ai pas combattu l’assignation identitaire par les uns, pour l’accepter par les autres. (…) Qui ne voit que l’identitarisme n’est que le cache-sexe du racisme ? Qui ne voit que ses promoteurs, des deux rives ou des deux faces, nous précipitent dans un conflit certain tant on serait irrémédiablement, immuablement, irrévocablement Blanc, Noir, à jamais divisés, avant que d’être Français ? ». J’y souscris totalement, évidemment…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (07 juin 2020)
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Pour aller plus loin :
Mort d’Adama Traoré : le communautarisme identitaire est un racisme.
La guerre contre le séparatisme islamiste engagée par Emmanuel Macron.
Deux faces des États-Unis : George Floyd et SpaceX.

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5 mars 2020 4 05 /03 /mars /2020 03:18

« Les Français aiment le réalisme ; ils pensent que si les comédiens sont trop beaux, le film ne ressemble pas à la réalité. Il a l’air d’un film. » (Roman Polanski, 7 mai 1997).


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Et voici qu’on reparle de Roman Polanski en ce début de décennie. La raison ? La 45e cérémonie des César du cinéma qui s’est déroulée le vendredi 28 février 2020 à la Salle Pleyel, à Paris.

Cette cérémonie est l’un des deux événements importants de la profession du cinéma français, l’autre est le Festival de Cannes. Cette année, tout commençait mal. Deux semaines avant la cérémonie, le 13 février 2020, la totalité du conseil d’administration de l’Académie des César a démissionné à la suite de protestation de professionnels sur le mode de gestion. Mais la polémique avait commencé deux semaines auparavant encore, le 29 janvier 2020, quand la liste des nominations a été publiée. Pourquoi ? Parce que le dernier film "J’accuse" de Roman Polanski a été nommé douze fois !

Cette année, c’est le film "Les Misérables" qui a remporté le titre le plus glorieux, trois César dont celui du meilleur film, mais "J’accuse" a néanmoins remporté lui aussi trois César (comme un troisième film, "La Belle Époque"), celui des meilleurs costumes (Pascaline Chavanne), celui de la meilleure adaptation d’un roman (Roman Polanski et Robert Harris, l’auteur du roman dont le film est inspiré), et enfin, et surtout, celui du meilleur réalisateur (Roman Polanski).

Roman Polanski a été donc récompensé très personnellement comme le meilleur réalisateur, et je m’en suis réjoui, comme je me serais réjoui si "J’accuse" avait été récompensé comme le meilleur film (ce qui n’a pas été le cas). Je l’ai déjà expliqué, j’ai beaucoup apprécié ce film qui a excellemment évoqué l’affaire Dreyfus par un angle détourné, un personnage moins connu (le colonel Picquart) et je suis convaincu que ce film sera "le" film qu’on fera voir aux scolaires pour parler de cet épisode pas très glorieux de l’Histoire de France.

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En raison de la polémique qui n’a cessé d’enfler contre la venue de Roman Polanski, aucune personne ayant collaboré à ce film n’est finalement venue à la soirée présidée par Sandrine Kiberlain et présentée par Florence Foresti. Roman Polanski est ainsi couronné par les Césars puisqu’il a remporté, en soixante-cinq ans de carrière, dix César (dont cinq du meilleur réalisateur). Avec Jacques Audiard, c’est le plus césarisé de toute l’histoire des César.

Autant dire que ces César multiples (je n’évoque pas les autres et nombreuses récompenses internationales), attribués de façon continue à des époques très différentes, montrent que Roman Polanski est ce qu’on pourrait appeler un "bon réalisateur", qu’on l’apprécie ou qu’on le déteste. Je salue donc ceux qui attribuent les César de n’avoir pris en compte que le caractère de l’œuvre de l’auteur sans prendre en considération d’autres éléments.

Car soyons clairs, ces autres éléments, ce qui fait polémique depuis plus d’une dizaine d’années (mais pourquoi seulement depuis dix ans et pas depuis quarante ans ?), ce sont les faits qu’on reproche à Roman Polanski et notamment d’avoir abusé d’une jeune fille de 13 ans en 1977 aux États-Unis. Il a reconnu les faits, à savoir des rapports sexuels illégaux avec une mineure, il a purgé une peine de prison pour cette raison, et la victime en question, malgré les pressions très fortes, a tourné la page depuis longtemps et son seul souhait, c’est qu’on ne parle plus de cette affaire.

Avec l’initiative MeToo, en revanche, d’autres femmes ont elles aussi déclaré qu’elles avaient été des victimes de Roman Polanski. Je n’ai aucune raison de ne pas les croire, mais les faits sont prescrits et les preuves assez inexistantes (c’est d’ailleurs le problème dans ce genre d’affaires). Je suis incapable de savoir si Roman Polanski est coupable ou pas, mais ce que je sais, c’est que ce n’est pas à un tribunal médiatique de juger ce genre d’affaires, c’est à la justice, et si la plainte repose sur des éléments solides, une instruction judiciaire est ouverte. À ma connaissance, aucune affaire judiciaire n’existe en France contre Roman Polanski.

On pourra toujours dire que c’est injuste, mais il serait encore plus injuste de laisser les réseaux sociaux ou les médias faire justice eux-mêmes. Notre pays a des lois, généralement, elles sont appliquées et souvent sévèrement (par exemple, dans l’affaire Balkany) et je ne vois pas pour quelle raison Roman Polanski bénéficierait d’une sorte d’immunité judiciaire, et cela pendant deux ou trois générations de juges.

Je ne plaindrais évidemment pas Roman Polanski même si son histoire est particulièrement horrible : sa famille exterminée dans les camps nazis (dont sa mère enceinte), sa femme enceinte et ses amis massacrés à domicile par un pseudo-gourou sanguinaire, etc. Rien ne peut en effet justifier viols ou autres actes criminels si ceux-ci ont été commis. Mais encore faut-il qu’ils eussent été commis.

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On pourra aussi se demander s’il faut séparer l’œuvre de son auteur. Flaubert avait déjà répondu à la question mais rien n’empêche non plus d’évoluer, ce fut sans doute le cas de Céline, mais aussi de Hergé (par exemple). Roman Polanski est devenu une sorte d’homme symbole, cible idéale mais injuste d’une cause pourtant juste et sincère, celle des femmes abusées sexuellement voire violées et qui ont toujours gardé le silence parce que traumatisées. Il faut que ces pratiques scandaleuses cessent, d’autant plus que les victimes sont jeunes, et il y a une lente mais heureuse progression de la société qui rejette de plus en plus ces comportements de "prédateur".

Mais pour autant, il faudrait rappeler qu’un film, ce n’est pas une œuvre individuelle, c’est le résultat d’un projet collectif auquel ont contribué des centaines de personnes. Récompenser le film "J’accuse" était mérité, et au-delà de son réalisateur, c’était récompenser aussi ces centaines de personnes, pas seulement les "têtes de gondoles" (acteurs, réalisateurs), sans lesquelles le film n’aurait rien été.

En d’autres termes, rendons à César ce qui est à César, et laissons la justice se faire par des juges et pas par des militants activistes qui peuvent parfois se tromper de combat.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 mars 2020)
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Pour aller plus loin :
Polanski césarisé au milieu des crachats.
Michèle Morgan.
Miou-Miaou.
Juliette Gréco.
Marina Foïs.
"Le Cercle des Poètes disparus".
Robin Williams.
Suzy Delair.
Michel Piccoli.
Gérard Oury.
Pierre Arditi.
"J’accuse" de Roman Polanski.
Faut-il boycotter Roman Polanski ?
Adèle Haenel.
Michel Bouquet.
Daniel Prévost.
Coluche.
Sim.
Marie Dubois.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200228-polanski.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/polanski-cesarise-au-milieu-des-222032

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/03/04/38074971.html


 

 

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