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11 juin 2019 2 11 /06 /juin /2019 03:39

« Je suis et j’étais victime d’humeurs qui m’enfonçaient (au figuré, bien sûr) la tête sous l’eau et ne me laissaient voir que l’aspect subjectif des choses, m’empêchant de tenter de réfléchir calmement aux arguments de la partie adverse et d’agir dans le même esprit que celui que j’ai blessé ou chagriné par mon tempérament fougueux. Je me suis réfugiée en moi-même, je n’ai regardé que moi, et toute ma joie, mon ironie et mon chagrin, je les ai décrits dans mon journal sans aucune gêne. Ce journal a pour moi de la valeur car souvent, il est un répertoire de souvenirs, mais sur beaucoup de pages, je pourrais écrire "dépassé"… (…) Les phrases trop violentes ne sont que l’expression d’une colère que, dans la vie normale, j’aurais soulagée en trépignant deux ou trois fois dans une chambre fermée ou en jurant derrière le dos de Maman. (…) Je tranquillise ma conscience en me disant qu’il vaut mieux laisser des injures sur le papier plutôt que d‘obliger Maman à les porter dans son cœur. » (Anne Frank, le 2 janvier 1944).



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Ces quelques phrases ont été écrites par une adolescente ordinaire, comme tant d’autres en tout temps. Elle s’en voulait d’en vouloir à sa mère pour leurs incompréhensions réciproques alors que toutes les deux s’aimaient évidemment. Ce texte montre une certaine maturité de son auteure. Anne Frank aurait 90 ans ce mercredi 12 juin 2019. Elle aurait pu être ma grand-tante et pourtant, je la considère encore aujourd’hui comme une amie de mon âge, enfin, peut-être même, maintenant, comme une fille, car dans ma tête, elle a toujours 15 ans.

Je l’ai connue à peu près à cet âge-là, peut-être un peu plus jeune. Nous étions donc unis par cette jeunesse qui réfléchit déjà beaucoup, qui prend déjà conscience de beaucoup de drames du monde adulte et qui veut à la fois découvrir le monde et le réinventer, le transformer. J’ai découvert son "Journal" avec beaucoup d’émotion. Je suis entré dans son petit monde, dans sa petite vie, faite de grandes idées et de petits agacements mesquins. Le style qui vise à écrire à une amie (Kitty) donne prise à cette identification amicale. Au fil des pages, j’étais devenu son confident. J’étais devenu Kitty.

Cette émotion, que je ressens encore aujourd’hui à sa relecture, elle est au moins quadruple. Émotion de ses écrits d’adolescente finement pensés, réfléchis, pleins de maturité. Émotion de savoir qu’elle vivait un véritable drame et en la lisant, j’étais comme replongé dedans, comme un spectateur de téléréalité, en plein drame, avec aussi ses impudeurs qu’est le voyeurisme de la vie et de l’intimité. Émotion du futur antérieur, car je connaissais hélas la suite, l’horrible suite, cette conclusion insupportable que les nazis ont fini par la tuer, elle, cette intelligence vive, cet esprit alerte, cette boule de nerf, de stress, de joie, de peine, de peur, de colère… C’est bien elle, ma quatrième émotion, cette adolescente qu’on peut encore voir et revoir sur ces photographies si modernes, si hors d’âge, hors du temps, ce sourire un peu espiègle, ce regard si brillant, si vif, qui croquerait l’avenir à pleines dents si elle n’avait pas été stupidement piégée dans une recoin absurde de l’Histoire du monde.

Il n’existe pas beaucoup de témoignages aussi poignants de l’horreur nazie dans sa vie quotidienne. Un autre témoin, Primo Levi, auteur du fameux "Si c’est un homme", affirma à propos du Journal d’Anne Frank : « Anne Frank nous émeut plus que les innombrables victimes restées anonymes et peut-être doit-il en être ainsi. Si l’on devait et pouvait montrer de la compassion pour chacune d’elles, la vie serait insoutenable. ». Oui, par son journal, Anne Frank n’était en effet plus une victime anonyme. Elle était faite de chair et d’os, de sentiments et de réflexions. Chaque homme qui meurt est une bibliothèque qui disparaît, a-t-on dit. Face aux six millions de victimes juives des camps d’extermination, Anne Frank est parmi les rares dont on connaît la personnalité, les humeurs, etc. grâce à ce Journal précis.

Anne Frank est née allemande le 12 juin 1929 à Francfort (elle était un peu plus jeune que Simone Veil). Avec sa sœur aînée, Margot (trois ans plus âgée qu’elle), et ses parents, Édith (1900-1945) et Otto (1889-1980), ils ont fui l’Allemagne nazie en août 1933. Otto Frank, son père, chef d’entreprise, a vite compris que les Juifs allaient être pourchassés par les nazis (les élections municipales à Francfort ont encouragé les nazis à s’en prendre aux Juifs). La mère et les deux enfants se sont d’abord installés à Aix-la-Chapelle (à la frontière germano-belgo-néerlandaise) chez la grand-mère maternelle, pendant que le père a cherché une solution professionnelle.

La famille s’est réfugiée à Amsterdam, aux Pays-Bas, et Anne Frank a donc rédigé son Journal en néerlandais. Amsterdam fut occupée par les nazis à partir de mai 1940. Le 5 juillet 1942, la petite famille a compris qu’il fallait se cacher et vivre clandestinement pour éviter d’être arrêtés par les nazis (ce qui a déclenché la clandestinité, c’était la convocation de Margot, 16 ans, par les SS pour le service du travail obligatoire). Ils ont vécu avec d’autres compagnons d’infortune et la cohabitation dans la promiscuité n’était pas facile tous les jours.

Anne Frank a reçu le cahier vierge le jour de son anniversaire, à ses 13 ans, le 12 juin 1942. Elle a immédiatement commencé à le remplir, et cela jusqu’au 1er août 1944. Sa confiance en elle était faible : « C’est une sensation très étrange, pour quelqu’un dans mon genre, d’écrire un journal. Non seulement je n’ai jamais écrit, mais il me semble que plus tard, ni moi ni personne ne s’intéressera aux confidences d’une écolière de treize ans. Mais à vrai dire, cela n’a pas d’importance, j’ai envie d’écrire et bien plus encore de dire vraiment ce que j’ai sur le cœur une bonne fois pour toute à propos d’un tas de choses. » (20 juin 1942).

La famille a été arrêtée sur dénonciation anonyme le 4 août 1944, puis conduite à Auschwitz le 6 septembre 1944, dans le dernier convoi (après un trajet de trois jours). Des quatre, seul Otto Frank a survécu. Des témoignages ont indiqué qu’à Auschwitz, Anne, sa sœur Margot et leur mère Édith vivaient dans le même baraquement et étaient très soudées, très solidaires, malgré les mots durs qu’avait écrits Anne dans son Journal sur sa mère. Édith est morte de faim et d’épuisement le 6 janvier 1945 à Auschwitz. Les deux filles ont été transférées au camp de Bergen-Belsen le 30 octobre 1944. Anne Frank a vu sa sœur périr en février 1945, et elle a succombé elle-même du typhus, probablement en février ou mars 1945 au camp de Bergen-Belsen. Le camp fut libéré le 12 avril 1945 et Amsterdam le 5 mai 1945.

Quand Otto regagna Amsterdam le 3 juin 1945 (via Odessa et Marseille, libéré par les Soviétiques le 27 janvier 1945 à Auschwitz), la personne qui les logeait, amie et employée d’Otto, Miep Gies (1909-2010), lui apporta le Journal de sa fille qu’elle avait réussi à cacher lors de l’arrestation et qu’elle n’avait pas voulu lire (elle avait attendu d’être sûre qu’Anne était morte). Otto passa le reste de sa vie (à Amsterdam puis, à partir de 1953, à Bâle) à transcrire et publier ce Journal. Miep Gies confia plus tard que si elle avait lu les feuillets, elle les auraient détruits car il contenait de nombreuses informations confidentielles.

Il faut aussi préciser quelques éléments intéressants : Anne Frank a commencé son Journal comme n’importe quel adolescent, sans du tout l’intention d’être lu. Ce qui signifiait qu’elle écrivait ses sentiments avec une très crue franchise, elle n’était bridée par aucune contrainte. Ce fut la première version du Journal. Ensuite, elle a entendu le 28 mars 1944 à la radio (Radio Orange) le Ministre néerlandais de l’Éducation et de la Culture, Gerrit Bolkenstein (1871-1956), réfugié à Londres avec le reste du gouvernement en exil, demander de garder et de publier tous les témoignages sur l’occupation nazie. Anne Frank s’est alors sentie concernée et investie, si bien qu’elle avait l’ambition de rendre son témoignage public. Elle a alors repris certaines pages de son journal pour les réécrire ou les modifier. Ce fut la deuxième version. Au fil des jours, elle a pris de l’assurance dans l’écriture, sa famille connaissait aussi l’existence de son Journal. Elle-même se voyait écrivaine, elle avait même l’ambition de devenir une écrivaine célèbre. Ce qu’elle fut après sa mort grâce à son père.

Pour préparer la première édition du journal de sa fille, publiée le 25 juin 1947, Otto Frank a fait une troisième version du journal. L’édition française est sortie en 1950 chez Calmann-Lévy. Ce fut un succès qui se perpétue encore aujourd’hui. Le Journal a été publié dans soixante-dix langues, et vendu à plus de 30 millions d’exemplaires dans le monde. Une quatrième version (définitive) a été publiée en 1986 sous la direction de Mirjam Pressler où furent rajoutés des passages qui avaient été supprimés dans la troisième version (en raison d’informations confidentielles, de propos sur la sexualité ou encore pour ne pas ternir la réputation de certaines personnes encore vivantes).

Le Journal d’Anne Frank a été parfois fustigé par certains milieux d’extrême droite qui doutaient de son authenticité. Ils expliquaient que c’était le père qui avait rédigé ce journal, ou encore un metteur en scène, car le père avait conclu un contrat avec ce dernier puis, insatisfait par le travail, a voulu arrêter mais il devait le payer quand même. Bref, tout était propice aux doutes et aux affabulations, qui n’ont donc pas attendu l’Internet pour s’exprimer. Les années 1970 furent pires encore en raison du développement du négationnisme. Si bien que des séries d’expertises ont été réalisées en 1978 et en 1986, pour rendre indiscutable l’authenticité du manuscrit (analyses du papier, de la colle, de l’encre, analyses graphologiques, etc.), comme l’ont confirmé le 23 mars 1990 la cour régionale de Hambourg et le 9 décembre 1998 la cour du district d’Amsterdam.

Otto Frank a également créé le 3 mai 1957 la Fondation Anne-Frank qu’il présida jusqu’à sa mort, pour financer l’acquisition et la transformation de l’immeuble où se trouvait l’appartement caché (on y entrait par une porte-bibliothèque). Cet immeuble, devenu la Maison Anne-Frank, fut inauguré le 3 mai 1960 et 600 000 visiteurs viennent chaque année s’y recueillir.

Ce qui est très fascinant dans ce journal, c’est qu’Anne Frank était au courant de toute l’actualité européenne, grâce à son écoute de la BBC. Ainsi, elle était au courant du Débarquement le 6 juin 1944, et bien avant, dès 1942, elle était au courant du sort funeste des Juifs déportés vers l’Allemagne et la Pologne. Ce témoignage peut ainsi, par ricochet, culpabiliser ceux qui disaient n’avoir jamais rien su du sort des Juifs et le découvraient seulement après la guerre. Certains, par exemple en France, avaient entendu cette information mais n’y mettaient pas plus de crédit que les informations de l’autre camp (celui de la collaboration).

Ainsi, le 9 octobre 1942 (avant même l’invasion de la zone libre en France), Anne Frank a raconté qu’elle avait appris de mauvaises nouvelles, des amis ont été arrêtés par la Gestapo, et elle a décrit le camp Westerbork (l’équivalent du camp de Drancy aux Pays-Bas) : « On ne donne presque rien à manger aux gens, et encore moins à boire. (…) Ils dorment tous ensemble, hommes, femmes et enfants ; les femmes et les enfants ont souvent la tête rasée. Il est presque impossible de fuir. Les gens du camp sont tous marqués par leurs têtes rasées (…). ». Dans les rares témoignages recueillis auprès de survivants, il a été fait état qu’Anne Frank, déportée, avait eu elle-même la tête rasée.

Elle a continué ainsi : « S’il se passe déjà des choses aussi affreuses en Hollande, qu’est-ce qui les attend dans les régions lointaines et barbares où on les envoie ? Nous supposons que la plupart se font massacrer. La radio anglaise parle d’asphyxie par le gaz ; c’est peut-être la méthode d’élimination la plus rapide. Je suis complètement bouleversée. » (9 octobre 1942).

Toujours le même jour, elle a évoqué le chantage odieux des otages contre tout acte de résistance : « C’est leur dernière trouvaille en fait de punition pour les saboteurs. C’est la chose la plus atroce qu’on puisse imaginer. Des citoyens innocents et haut placés sont emprisonnés en attendant leur exécution. Si quelqu’un commet un acte de sabotage et que le coupable n’est pas retrouvé, la Gestapo aligne tout bonnement quatre ou cinq de ces otages contre un mur. » (9 octobre 1942).

Le 27 mars 1943, Anne Frank a parlé d’un Allemand "haut placé" qui a ordonné le départ de tous les Juifs des pays germaniques : « Du 1er avril au 1er mai, la province d’Utrecht sera nettoyée (comme s’il s’agissait de cancrelats). ». Et d’en conclure : « Comme un troupeau de bétail pitoyable, malade et délaissé, ces pauvres gens sont emmenés vers des abattoirs malsains. Mais il vaut mieux que je n’en dise pas plus, mes pensées ne font que me donner des cauchemars ! ».

De même, les clandestins étaient bien informés du cours de la guerre. Dès le 27 avril 1943, l’écrivaine en herbe écrivit au détour d’une information : « Sûrement une mesure prise en prévision du débarquement ! ». Et enfin, le 6 juin 1944 : « "This is D-Day", a dit la radio anglaise à midi et en effet, this is the day, le débarquement a commencé. (…) L’Annexe est en émoi ! La libération tant attendue approcherait-elle enfin (…) ? Nous n’en savons toujours rien pour l’instant, mais l’espoir nous fait vivre, il nous redonne courage, il nous redonne de la force. Car il nous faudra du courage pour supporter les multiples angoisses, privations et souffrances. (…) Peut-être, a dit Margot, qu’en septembre ou en octobre je pourrai malgré tout retourner à l’école. ».

Parfois, ils étaient même aux premières loges : « J’ai été spectatrice d’un combat aérien acharné entre avions allemands et anglais. Malheureusement, quelques alliés ont dû sauter de leur appareil en feu. (…) Le pilote avait été brûlé vif (…). » (18 mai 1943). Un bombardier américain a été également touché par la DCA allemande le 22 mars 1944 : « Hier, un avion a été abattu, ses occupants ont eu le temps de sauter en parachute. L’appareil est tombé sur une école où il n’y avait pas d’enfants [car c’était un mercredi après-midi]. Il en est résulté un petit incendie et quelques morts [huit victimes civiles]. Les Allemands ont tiré comme des fous sur les aviateurs qui descendaient en parachute (…). Brrr, je ne trouve rien de plus horripilant que ces tirs. » (23 mars 1944).

Je propose ici quelques autres extraits poignants de ce journal.

Grande maturité de l’adolescente qui se posait les bonnes questions. Quand l’un de ses voisins d’infortune lui pronostiqua encore au moins six mois de clandestinité, elle rédigea ceci : « C’est bien long, mais encore supportable. Mais qui nous donne l’assurance que cette guerre (…) sera terminée à ce moment-là ? Et qui peut donner l’assurance qu’entre-temps, il ne nous sera rien arrivé, à nous et aux complices de notre clandestinité ? Personne, bien sûr ! Et c’est pourquoi nous vivons chaque jour dans une grande tension. Tension due à l’attente et à l’espoir mais aussi à la peur, lorsqu’on entend du bruit dans la maison ou dehors (…). Il peut arriver chaque jour que plusieurs de nos complices soient obligés de se cacher eux-mêmes avec nous. » (2 mai 1943).

À de nombreuses reprises, il y a eu en effet des alertes comme l’arrivée d’intrus dans la maison qui risquaient de découvrir la cachette (l’appartement caché). Chaque fois, ce fut une frayeur pour les huit clandestins, avec parfois, à la clef, plusieurs heures voire plusieurs jours immobiles, avec le souffle court, car les cloisons étaient minces et les bruits s’entendaient de partout. Ce qui a valu une remarque de ce type : « Je me suis presque évanouie tant j’avais peur que cet inconnu ne réussisse à démanteler notre belle cachette. Et j’étais juste en train de me dire que le plus gros de ma vie était derrière moi lorsque nous avons entendu la voix de M. Kleiman : "Ouvrez, c’est moi". » (20 octobre 1942).

Une autre alerte : « L’attente durait, durait, mais nous n’entendions plus rien et nous supposions tous que les voleurs, ayant entendu des pas dans la maison jusque-là silencieuse, avaient pris leurs jambes à leur cou. Le malheur, c’était qu’en bas, la radio était encore réglée sur l’Angleterre et les chaises disposées en cercle autour d’elle. Or, si la porte avait été forcée et que la défense passive s’en aperçoive et avertisse la police, l’affaire pourrait avoir des conséquences extrêmement désagréables. » (25 mars 1943).

Une nouvelle alerte, un cambriolage le jour de Pâques : « Soudain nous avons entendu un coup en bas, puis le silence total, la pendule a sonné dix heures moins le quart. La couleur avait disparu de nos visages, mais nous étions encore calmes, même si nous avions peur. Que faisaient donc les messieurs ? Quel était ce coup ? Étaient-ils en train de se battre avec les cambrioleurs ? Personne ne se posait plus de questions, nous attendions. (…) Tout le monde retenait son souffle, huit cœurs battaient à tout rompre. Des pas dans notre escalier, puis des secousses à notre porte-bibliothèque. Moment indescriptible. J’ai dit : "Nous sommes perdus !", et je nous voyais tous les huit, emmenés la nuit même par la Gestapo. (…) Je me préparais au retour de la police. (…) "À ce moment-là, ils trouveront aussi le Journal d’Anne", s’en est mêlé Papa. "Il n’y a qu’à le brûler", a suggéré la plus terrorisée de nous tous. Cet instant et le moment où la police a secoué la bibliothèque m’ont causé le plus d’angoisse. Pas mon Journal, mon Journal mais alors moi avec ! Papa n’a pas répondu, heureusement ! (…) On a frappé sur notre bibliothèque, Miep a sifflé. Pour Mme Van Daan, c’en était trop, pâle comme une morte et vidée, elle s’est écroulée sur sa chaise, et si la tension avait duré une minute de plus, elle se serait sûrement évanouie. (…) En revenant, Jan est passé par hasard devant chez Van Hoeven, notre fournisseur de pommes de terre (…). "Je sais, a dit Van Hoeven, l’air de rien. Je suis passé hier soir devant votre immeuble avec ma femme et j’ai vu un trou dans la porte (…). Pour plus de sûreté, je n’ai pas appelé la police, je préfère m’abstenir dans votre cas, je ne suis au courant de rien, mais je crois deviner". (…) Cette nuit-là, j’ai su que je devais mourir, j’attendais la police, j’étais prête, prête comme les soldats sur le champ de bataille. (…) Je sais que je suis une femme, une femme riche d’une force intérieure et pleine de courage ! Si Dieu me laisse vivre, j’irai plus loin que Maman n’est jamais allée, je ne resterai pas insignifiante, je travaillerai dans le monde et pour les gens ! » (11 avril 1944).

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La radio, source de mauvaises nouvelles mais aussi de "réconfort" : « La radio nous aide en nous répétant de sa voix miraculeuse que nous ne devons pas nous laisser abattre : "Tête haute, courage, d’autres temps viendront !". » (15 juin 1943).

La prudence comme valeur suprême : « Bien que la chaleur soit apparemment arrivée, nous sommes obligés d’allumer nos poêles un jour sur deux pour brûler nos épluchures de légumes et nos détritus. Nous ne pouvons rien jeter dans les poubelles (…). Une petite imprudence a si vite fait de vous trahir ! » (18 mai 1943).

Parfois, un complice pouvait se retirer sur la pointe des pieds : « Monsieur Voskuijl n’a pas été opéré de l’estomac : quand il a été sur la table d’opération et qu’on lui a ouvert l’estomac, les médecins se sont aperçus qu’il avait un cancer incurable, déjà trop avancé pour qu’on puisse l’opérer. Ils se sont contentés de lui refermer l’estomac, de le garder trois semaines au lit et de lui donner une bonne nourriture avant de le renvoyer chez lui. (…) Il n’est plus en état de travailler, reste chez lui au milieu de ses huit enfants et rumine sa fin prochaine. Il me fait énormément pitié et je suis très triste que nous ne puissions pas nous montrer dans la rue, sinon j’irais certainement très souvent lui rendre visite, pour lui changer les idées. (…) Il était notre meilleure aide et notre soutien en matière de prudence, il nous manque beaucoup. » (15 juin 1943).

Anne Frank a évoqué l’existence d’un journal de sa sœur Margot, mais il n’a jamais été retrouvé, seules quelques lettres échangées avec Anne ont été retranscrites dans le Journal d’Anne : « Hier soir, Margot et moi étions toutes les deux dans mon lit, on était serrées comme des sardines mais c’était ça le plus drôle. Elle m’a demandé si je voulais bien lui laisser lire mon journal. J’ai dit "oui pour certains passages" et puis j’ai demandé la même chose pour le sien, et elle est d’accord. » (14 octobre 1942).

Histoire de chats : « Sa fonction est d’éloigner les rats de nos stocks. Le choix politique de son nom est lui aussi facile à expliquer. Pendant un moment, la maison Gies & Co avait deux chats, un pour l’entrepôt et un pour le grenier. Il arrivait que les deux bêtes se rencontrent, ce qui entraînait toujours de grandes batailles. Celle de l’entrepôt était toujours l’attaquant, mais celle du grenier finissait toujours par avoir le dessus. Comme en politique : le chat de l’entrepôt était l’Allemand et on l’avait surnommé Moffi [Mof est l’équivalent néerlandais de "Boche"] et celui du grenier, l’Anglais ou Tommi. » (12 mars 1943).

Complicité de sœurs face aux parents : « En un mot j’aimerais bien être débarrassée d’eux un moment et c’est ce qu’ils ne comprennent pas. (…) Hier soir encore, Margot me disait : "Ce qui m’embête vraiment, c’est qu’il suffit qu’on se prenne la tête dans la main et qu’on soupire deux fois pour qu’ils te demandent si tu as mal à la tête ou si tu ne te sens pas bien !". (…) Pour les choses extérieures nous sommes traitées comme des petits enfants, et (…) nous sommes beaucoup plus mûres que les filles de notre âge pour les choses intérieures. Je n’ai que quatorze ans mais je sais très bien ce que je veux, je sais qui a raison et qui a tort, j’ai mon avis, mes opinions et mes principes et même si ça peut paraître bizarre de la part d’une gamine, je me sens adulte, beaucoup plus qu’une enfant, je me sens absolument indépendante d’une autre âme quelle qu’elle soit. » (17 mars 1944).

Complicité, mais parfois aussi, concurrence de sœurs : « Entre-temps, une ombre est descendue sur mon bonheur, je me doutais depuis longtemps que Margot avait un faible pour Peter. Jusqu’à quel point elle l’aime, je l’ignore, mais je trouve la situation très pénible. » (20 mars 1944).

Conséquences de l’adolescence : « Aucune paire de chaussures ne me va plus, à part des chaussures de ski qui sont très peu pratiques dans la maison. » (12 mars 1943). Sa sœur n’était pas en reste : « Margot se promène avec un soutien-gorge trop petit de deux tailles ! (…) [Mes tricots] sont si petits qu’ils ne m’arrivent même pas au nombril ! » (2 mai 1943).

Petit cours sur la monnaie en période de clandestinité : « Les billets de mille florins sont retirés de la circulation. C’est un coup dur pour tous les trafiquants du marché noir, mais plus encore pour les autres formes d’argent noir ou pour ceux qui se cachent. Quand on veut changer un billet de mille florins, on doit déclarer exactement comment on l’a obtenu et en faire la preuve. On peut encore s’en servir pour payer ses impôts, mais seulement jusqu’à la semaine prochaine. Les billets de 500 florins ont été déclarés périmés en même temps. Gies & Co avait encore de l’argent noir en billets de 1 000 florins, ils ont payé leurs impôts d’avance pour une longue période, de cette façon, ils ont pu tout blanchir. » (19 mars 1943).

Activités récréatives : « J’adore la mythologie et surtout les dieux grecs et romains. Ici, ils n’y voient qu’une lubie passagère, ils n’avaient encore jamais entendu parler d’une gamine de mon âge qui s’intéresse aux dieux. Eh bien voilà, c’est moi la première. » (27 mars 1943).

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La jalousie par procuration : « [Les] tentatives de flirt [de Madame Van Daan] avec Papa sont pour moi une source continuelle d’irritation. Elle lui caresse la joue et les cheveux, relève sa jupe très haut, fait, paraît-il, de l’esprit et essaie d’attirer l’attention de Pim. Heureusement, Pim ne la trouve ni belle ni drôle et ne se laisse donc pas prendre à ses minauderies. » (1er octobre 1942).

L’éveil des sentiments amoureux pour un garçon hypertimide et solitaire : « Je ne veux pas me lamenter sur ce qui me manque, au contraire, je veux être courageuse ! (…) Heureusement, ils ne peuvent rien soupçonner de mes sentiments intimes (…). Avant tout, je dois conserver mon assurance extérieure, personne ne doit savoir que la guerre fait encore rage en moi, une guerre entre mon désir et ma raison. Jusqu’à présent c’est la seconde qui l’a emporté mais le premier ne va-t-il pas se révéler néanmoins le plus fort ? Parfois je le redoute et souvent je le souhaite ! Oh, il est tellement, tellement difficile de ne jamais rien laisser voir à Peter, mais je sais que c’est lui qui doit faire le premier pas (…). Comment pourrait-il éprouver de la sympathie pour mon tapage et mon agitation, lui qui aime tant le calme et la paix ? Serait-il le premier et le seul au monde à avoir regardé au-delà de mon masque de béton ? Parviendra-t-il bientôt à le traverser ? (…) Je ne sais vraiment pas, non vraiment pas comment trouver les premiers mots, et comment les trouverait-il, lui qui a encore beaucoup plus de mal à parler ? » (16 mars 1944). Aussi : « Tout irait bien si seulement j’avais Peter, car pour lui j’ai de l’admiration dans beaucoup de domaines. Il faut dire que c’est un garçon si gentil et si beau ! » (17 mars 1944). Encore : « À présent j’ai le sentiment que Peter et moi partageons un secret, quand il me lance ce regard-là, avec un sourire et un clin d’œil, une petite lumière s’allume en moi. J’espère que cela durera, qu’il nous sera donné de passer ensemble beaucoup, beaucoup de belles heures. » (19 mars 1944). L’amour prenait forme : « Peter m’aime aussi, maintenant j’en suis sûre ; mais de quelle façon m’aime-t-il, je n’en sais rien. (…) Il est si beau, aussi bien quand il sourit que quand il regarde sans rien dire devant lui, il est si gentil et bon et beau. À mon avis, ce qui l’a le plus pris au dépourvu chez moi, c’est quand il s’est rendu compte que je ne suis pas du tout l’Anne superficielle, mondaine, mais quelqu’un de tout aussi rêveur, avec tout autant de problèmes que lui ! » (22 mars 1944). Un sentiment toujours renouvelé : « En fait, voilà, Peter m’aime, non pas comme un amoureux mais comme un ami, son affection grandit de jour en jour mais cette chose mystérieuse qui nous retient tous deux, je ne la comprends pas moi-même. » (13 juin 1944).

Éducation sexuelle : « Ce qu’un homme et une femme font ensemble, mon instinct me l’a suggéré ; au début, l’idée me paraissait bizarre, mais quand Jacque [sa meilleure amie et camarade de classe] me l’a confirmé, j’étais fière de mon intuition ! » (18 mars 1944). Anne Frank et Peter ont parlé aussi de sujets intimes. Dans le but d’en parler à Peter, Anne a ainsi écrit, le 24 mars 1944, en répétition, une description détaillée du sexe des jeunes filles, le clitoris, le vagin, etc.

Aspect scatologique, l’une des horreurs récurrentes de cette vie clandestine : « D’un commun accord, nous avons décidé de ne pas faire couler d’eau ni de tirer la chasse des toilettes ; mais comme la tension avait porté sur l’estomac de tous les pensionnaires, tu imagines la puanteur qui y régnait lorsque l’un après l’autre, nous sommes allés y déposer notre commission. (…) Les W.-C. étaient complètement bouchés ce matin et à l’aide d’un long bâton en bois, Papa a dû triturer toutes les recettes de confitures de fraises (notre papier hygiénique actuel) et quelques kilos de caca pour dégager la cuvette. Ensuite, on a brûlé le bâton. » (25 mars 1943). Auparavant, elle précisait : « Depuis que nous nous cachons, Papa et moi nous sommes procuré un pot improvisé, autrement dit, à défaut d’un vase de nuit, nous avons sacrifié à cet effet un bocal en verre. Durant la visite des plombiers, nous avons mis ces bocaux dans la pièce, et nous y avons conservé nos besoins du jour. Cela m’a paru bien moins gênant que de devoir rester sans bouger et sans parler toute la journée. Tu n’as pas idée du supplice que c’était pour Mademoiselle Coin-Coin. Normalement, nous sommes déjà obligés de chuchoter ; le silence et l’immobilité totale sont encore dix fois pires. » (29 septembre 1942).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 juin 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Anne Frank.
Robert Merle.
La lutte contre l’antisémitisme est l’affaire de tous !
Discours du Président Emmanuel Macron au dîner du CRIF le 20 février 2019 (texte intégral).
Alain Finkielkraut, l’antisémitisme et la bêtise.
Rapport sur le racisme de la CNCDH publié le 22 mars 2018 (à télécharger).
L’agression antisémite et le besoin de transcendance.
Maréchal, vous revoilà !
Les 70 ans d’Israël.
La France du colonel Beltrame.
Éradiquer l’antisémitisme.
Marceline Loridan-Ivens.
Simone Veil.
La Shoah.
Élie Wiesel.
Germaine Tillion.
Irena Sendlerowa.
Élisabeth Eidenbenz.
Céline et sa veuve ruinée, la raison des pamphlets ?
Les pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline.
Louis-Ferdinand Céline et les banksters.
Charles Maurras.
Roger Garaudy.
Jean-Marie Le Pen et ses jeux de mots vaseux.
Antisémitisme et morale en politique : l’attentat de la rue des Rosiers.
Massacre d’enfants juifs.
Arthur, l’un des symboles stupides du sionisme.
Les aboyeurs citoyens de l’Internet.
La Passion du Christ.
Représenter le Prophète ?
Complot vs chaos : vers une nouvelle religion ?
Le cauchemar hitlérien.
Jeux olympiques : à Berlin il y a 80 ans.
Les valeurs républicaines.

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9 juin 2019 7 09 /06 /juin /2019 03:37

Réflexions "pentecotales"…



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Dernier pont du printemps, le week-end de la Pentecôte. Chez les chrétiens, la Pentecôte est la fin d'une période qui a commencé avec Pâques. La fête de Pâques n’est pas non plus seulement un gros week-end sur la route, départ ou retour des vacances "de printemps". C’est aussi une fête chrétienne qui célèbre la fin de la Semaine Sainte, la fin de la Passion du Christ par sa Résurrection. C’est le jour le plus important des chrétiens (plus que Noël) parce qu’il faut évidemment un véritable acte de foi pour croire en la résurrection. Elle n’est pas seulement celle du Christ mais aussi de tous les humains. A priori, malgré tous les progrès passés, présents et futurs de la science, il ne sera jamais possible de savoir ce qu’il y aura après la mort. Imaginer qu’il y aura quelque chose plutôt que rien est un acte de foi, celui notamment des chrétiens.

Dans la liturgie, il y a une parole qui me fait particulièrement sens, c’est celle qui est prononcée juste avant la communion : « Je ne suis pas digne de Te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. ». La communion, c’est l’acte de recevoir Dieu, comme si on l’avait invité chez soi. On peut ne pas se sentir à la hauteur.

Elle reprend une parole inscrite dans au moins deux Évangiles, celui de saint Matthieu (8, 5-17) et celui de saint Luc (7, 1-11). Elle est prononcée par le centurion de Capharnaüm qui avait un serviteur très malade et souffrant qu’il avait accueilli chez lui pour le soigner. Il tenait à lui. Ce centurion était surtout inquiet du devenir de son esclave et pas du manque de son travail. Mais quand le Christ lui propose de venir le voir, le centurion était pris d’un sentiment de "panique", plutôt, de grande humilité : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri. ».

Le Christ se propose toujours d’endosser les malheurs du monde. Et si cette phrase me fait sens, c’est par ses deux "bouts". La dignité d’abord : le Christ rend à tout humain sa dignité, quelle que soit sa condition. Cela a un sens ultime essentiel. Même très malade, même très dépendant, chaque être garde sa dignité et elle est précieuse. L’autre "bout", c’est la parole. L’être aimé est considéré par les chrétiens comme le représentant de Dieu auprès de celui qui l'aime. L’existence de l’amour est un fait de présence de Dieu (puisque Dieu est amour). L’amour entre les deux êtres peut rapidement se "tarir" en absence de paroles, en absence de communication, en absence de complicité, en absence de communion. Des petits mots (pardon, merci, etc.) sont simples à prononcer et permettent de nourrir le feu de la relation.

C’est cela que m’évoque cette phrase prononcée juste avant la communion, que je pourrais traduire en disant à celle que j’aime : dis-moi seulement que tu m’aimes et je resterai serein. Serein en ce sens que cet amour est plus fort que la peur éventuelle de la mort.

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J’ai commencé ainsi alors que c’est très peu politique, mais je pense qu’il est indispensable de relier religion et actualité politique. Heureusement, le pape François me paraît justement faire partie de ceux qui veulent adapter non pas le dogme, qui reste immuable, mais la manière de s’adresser aux fidèles pour être en accord avec la période actuelle qui n’a rien à voir avec celle d’il y a deux mille ans.

Si j’ai évoqué la dignité, en chaque humain réside une dignité, la même dignité, celle d’être humain, c’est qu’on imagine bien ce que cela a eu pour conséquence politique : l’égalité entre les citoyens. Chaque humain doit être respecté en tant que tel. Il y a deux éléments associés à cette dignité, la fraternité et la solidarité.

La dignité de chaque humain, c’est avant tout le respect de premier de ses droits, celui de vivre. Ce respect de la vie se décline de différentes manières : le rejet de la peine de mort et le rejet de l’avortement parallèlement. On peut concevoir l’avortement d’un point de vue politique ou social, c’est-à-dire en termes de santé publique, car l’idée de la loi défendue par Simone Veil était de réduire la mortalité des mères qui voulaient se faire avorter dans des conditions d’hygiène déplorables, mais pour un chrétien, l’avortement est difficilement soutenable d’un point de vue moral.

De même, si la souffrance n’a rien de rédemptrice, et chrétiens comme non chrétiens doivent tout faire pour supprimer la souffrance, notamment en fin de vie, et cette injonction contre la souffrance, ce refus de l'acharnement thérapeutique, a été codifié dès le XVIe siècle par l'Église catholique. Il ne s’agit pas pour autant de donner la mort, mais seulement d’accompagner la vie en souffrance pour qu’elle soit la plus "confortable" possible. En ce sens, la loi Claeys-Leonetti a trouvé un juste équilibre, le même subtil équilibre que la loi du 9 décembre 1905 sur la laïcité.

Dans cette réflexion, cela signifie évidemment l’absence totale de racisme, et de discrimination d’une manière ou d’une autre, du moins, en dehors du mérite individuel (sinon, on pourrait considérer un concours comme une ségrégation, ce qu’il n’est pas).

On peut comprendre ainsi pourquoi les chrétiens vont avoir des difficultés à se ranger du côté des extrémismes ou des populismes. Parce que le discours généralement proposé par ce type très diversifié de forces politiques, c’est le principe du bouc émissaire. On le comprend pour "l’immigré" du côté de l’extrême droite, l’immigré cause de tous les malheurs (chômage, insécurité, etc.). Hélas, si c’était vrai, les problèmes sociaux seraient vite résolus !… Mais ce n’est pas le cas. C’est démontré depuis toujours.

Mais ne nous y trompons pas. Ce n’est pas parce qu’on change de nature de boucs émissaires qu’on change la nature du principe démagogique. Ainsi, plutôt à l’extrême gauche, on préfère s’en prendre aux (au choix) riches (mais que veut dire riches ? combien par mois ?), aux patrons (les seuls créateurs des richesses à redistribuer), aux bourgeois (quelle définition ?), etc.

Évidemment, il y a toujours des immigrés délinquants, des patrons voyous, des riches qui fraudent avec le fisc, etc. mais comme pour le mérite individuel, c’est la responsabilité individuelle de ces personnes qui est en cause, pas le fait qu’elles sont immigrées, riches, etc. (je pourrais ajouter juives, musulmanes, etc.). Selon le célèbre philosophe Jacques Rouxel, cette politique du bouc émissaire a un réel intérêt pour les gouvernants : « Pour qu'il y ait le moins de mécontents possible, il faut toujours taper sur les mêmes. ».

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J’en viens ainsi à l’autre volet essentiel du christianisme, qui est la liberté. C’est la clef pour comprendre la difficulté du christianisme qui peut se résumer "simplement" par : Dieu est bon (est amour), Dieu est tout-puissant, et le Mal existe. Dieu, même pas foutu d’éviter que le Mal se répande, voire, qui l’encourage par ses "cadres" (on peut parler du scandale de la pédophilie et du scandale dans le scandale, celui de se taire, de rester silencieux, et donc, d’être complice par l’inaction, par la passivité, par l’absence d’indignation, le mot prend tout son sens ici). La "réponse", c’est que Dieu laisse les humains libres. Libres jusqu’à faire le Mal, jusqu’à ne pas croire en Lui.

Dieu n’est pas responsable du Mal sur Terre car il a délégué "cette" responsabilité aux humains, pas la responsabilité de faire du mal, mais la responsabilité tout court. Ils prennent toute la responsabilité parce qu’ils sont libres de faire une chose ou une autre, ou de ne pas la faire, même par défaut, c'est une responsabilité personnelle, et cela même dans les situations les plus difficiles, ou les plus imprévues (auxquelles on n’a pas encore réfléchi).

La traduction politique de ces considérations chrétiennes peut être très diversifiée, et c’est heureux qu’il n’existe pas de "parti chrétien", qui, du reste, n’aurait pas une influence très forte en France ni même en Europe en raison de la déchristianisation de la société. En revanche, ces considérations donnent un cadre philosophique cohérent et intéressant, d’autant plus intéressant qu’il n’existe plus beaucoup de cadres intellectuels cohérents qui puissent servir d’exemples, ou le cas échéant, de contre-exemples (comme l’était le communisme). La faillite des idéologies a eu pour principal effet la victoire du "populisme", mot que l’on peut certes ressortir à toutes les sauces et dont le principal moteur est la conquête du pouvoir par des arguments dont l’honnêteté intellectuelle est assez légère (cela s’appelle également cynisme). Mais un tel manque ne justifie pas pour autant de devenir …"fou de Dieu".


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 juin 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Dis seulement une parole et je serai guéri.
La Renaissance de Notre-Dame de Paris : humour et polémiques autour d’une cathédrale.
Allocution du Président Emmanuel Macron du 16 avril 2019 (texte intégral).
Notre-Dame de Paris, double symbole identitaire.
Maurice Bellet, cruauté et tendresse.
Réflexions postpascales.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190609-pentecote.html




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7 juin 2019 5 07 /06 /juin /2019 03:00

« Il n’existe pas d’autre voie vers la solidarité humaine que la recherche et le respect de la dignité individuelle. » (Pierre Lecomte du Noüy).



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La situation de Vincent Lambert a été emportée dans un tourbillon médiatique gigantesque lors de la dernière semaine de la campagne des élections européennes. C’était l’occasion pour de nombreux leaders d’opinion d’évoquer un sujet que, semble-t-il, ils connaissaient très mal si l’on en juge aux approximations sinon erreurs souvent répandues. C’est le risque de toute médiatisation, que tout le monde s’empare d’une situation totalement personnelle, privée, et d’étaler vérités et contrevérités, jugements de valeur et réflexions à l’emporte-pièce. C’est bien sûr le lot de toute médiatisation et il suffit d’interroger des personnes proches ou impliquées dans des faits-divers marquants pour comprendre que leur vie, petit à petit, ne leur appartienne plus beaucoup. La lumière fait plus de mal que de bien, en général. Si le sujet n’était pas aussi dramatique, on aurait pu croire avec légèreté que cet emportement allait se résoudre par un "référendum d’initiative citoyenne" sur : faut-il arrêter, oui ou non, arrêter l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert ? Je frémis à l’idée. Le secret médical ne doit pas être une vaine expression.

Pourtant, malgré tous ces excès, j’y ai trouvé un intérêt général très important, et il faut s’en féliciter : beaucoup de gens qui n’avaient pas trop réfléchi sur les problèmes de fin de vie ou de dépendance (les deux n’étant pas forcément couplés, justement), commencent à en prendre conscience. Tout le monde ne terminera pas sa vie en situation de dépendance, soit parce que malheureusement la vie se sera arrêtée trop tôt et trop brutalement, soit parce qu’au contraire, par chance, la vie aura été indulgente et même en grand âge, les forces physiques et mentales auront persévéré malgré les rides. Mais il est probable que tout le monde aura un proche qui puisse se retrouver un jour dans une situation de dépendance terminale. C’est aussi une conséquence de l’augmentation de l’espérance de vie.

L’effet de cet emballement médiatique, c’est qu’il y a eu une augmentation très forte des rédactions de directives anticipées, qui correspondent en quelques sortes aux dernières volontés en cas d’impossibilité d’exprimer sa volonté sur la suite à prendre du cours de sa propre vie. J’en ai déjà parlé abondamment, car elles sont l’un des objetifs de la loi Leonetti du 22 avril 2005 et de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 (notons que la plupart des journalistes ne connaissent qu’une des deux lois, pourtant, la dernière a été élaborée pendant plus d’un an il n’y a pas si longtemps, en 2015-2016, avec une bonne publicité des pouvoirs publics et des parlementaires).

Les directives anticipées ne sont cependant pas la panacée, car la volonté d’un bien-portant est rarement la même que d’une personne très malade, dépendante, voire "condamnée" (dont la guérison n’est plus envisageable). Ceux qui travaillent dans les services de soins palliatifs le savent bien : cette volonté est fluctuante, à mesure que le patient est désespéré ou au contraire rempli d’espoir, et sinon d’espoir, d’amour. Car l’entourage joue un rôle capital dans cette volonté : les patients qui bénéficient d’un proche qui les aime, qui s’occupe d’eux, qui va les voir régulièrement, demandent rarement "d’en finir", même s’ils avaient pu l’imaginer le vouloir lorsqu’ils étaient en bonne santé (heureusement, beaucoup sont encore capables de s’exprimer).

C’est pourquoi, indépendamment de Vincent Lambert, cette agitation médiatique, qui a pu engendrer des réflexions à faire frémir (surtout si l’on commence à évoquer les coûts de la sécurité sociale !), a été globalement positive : la fin de vie et la dépendance sont l’affaire de tous.

Concernant la situation très difficile de Vincent Lambert, il est étonnant que de nombreux journalistes la découvrent seulement maintenant alors qu’elle est l’objet d’une chronique judiciaire très dense depuis plus de six ans. Vincent n’est ni un "cas", ni une "affaire" (lire à ce propos le très beau texte de Bruno Saintôt, universitaire et spécialiste d’éthique biomédical), contrairement hélas à ce qu’évoquent la plupart des médias, et il n’est "qu’une" personne, individuelle, dans sa singularité, dans sa non-exemplarité en ce sens que lui ne représente nulle autre personne même s’il s’est trouvé, bien malgré lui, au centre de discussions voire de polémiques.

La première polémique concerne son instrumentation, et elle n’est pas le fait des parents de Vincent mais principalement des groupes de pression (appelons-les comme cela) qui veulent imposer la culture de la mort, à savoir, l’euthanasie, à l’ensemble de la société française. Pourtant, à ce sujet, la loi Claeys-Leonetti, avec la sédation profonde et continue, a permis de rendre tout le monde d’accord : supprimer coûte que coûte la souffrance et la douleur (c’est l’objet des lois sur la fin de vie depuis le début des années 2000), et la "technologie" utilisée dans les soins palliatifs le permet aujourd’hui, si ce ne sont les budgets encore insuffisants, tout en refusant de franchir, de transgresser l’interdiction de tuer. Je n’y reviens pas ici, j’en ai déjà beaucoup parlé précédemment.

Ces groupes de pression se sont emparés de la situation terrible de Vincent Lambert pour faire avancer leur idéologie de la mort auprès de la société française, notamment en professant des contrevérités : Vincent n’est pas "branché", son cerveau n’est pas détruit, son cœur bat naturellement, il vit, respire, dort, se réveille normalement, sans l’aide médicale, il est en revanche dans une situation de très grande dépendance. Il n’est pas un légume, et ceux qui le disent, ceux qui parlent d’un "état végétatif" ont une piètre image de ce que doit être la dignité humaine (qu’ils proclament pourtant sans arrêt par ailleurs). Vincent est un humain, et il a droit à garder sa dignité, aussi fragile et vulnérable qu’il puisse être.

C’est d’ailleurs sur cette dernière phrase que la seconde polémique récurrente a pris plus d’ampleur la dernière semaine de la campagne des élections européennes. En effet, François-Xavier Bellamy, tête de la liste LR et catholique revendiqué, a exprimé, lui aussi, toute sa compassion pour Vincent Lambert qui a droit à sa dignité : « Il n’y a pas de vie indigne d’être vécue. ». Que le jeune philosophe se rassure, ce n’est pas cette prise de parole (courageuse et indépendante) qui est la cause de l’effondrement électoral du parti qu’il a représenté, la cause est bien plus politique et beaucoup plus profonde qu’une "erreur de communication" et l’on peut juste saluer le courage de l’homme qui dit ce qu’il pense sans arrière-pensée électorale (en prenant la parole, il risque beaucoup plus qu’en ne prenant pas la parole).

Plus généralement, c’est la supposée religion des parents de Vincent qui est montrée du doigt comme résultante de leurs actions judiciaires. En oubliant de comprendre ce qu’est l’amour d’une mère. Je ne les ai jamais entendus revendiquer leur religion, et même s’ils le faisaient, la loi du 9 décembre 1905 est très claire sur le sujet : ils ont le droit de croire ce qu’ils veulent, religion ou pas religion.

Du reste, l’Église catholique est très prudente sur le sujet. Elle a mis longtemps avant de proposer une réflexion. Elle a insisté sur la singularité de Vincent Lambert en tant que personne humaine, et comme toute personne, sa situation est unique et particulière et ne peut être la représentation d’une idée ou d’une contre-idée. L’Église a insisté sur la dignité de la personne humaine, et la nécessité, pour une société humaine, de secourir les plus fragiles, les plus vulnérables de ses enfants. Par ailleurs, elle a toujours tenu à respecter pleinement l’ensemble des opinions, ainsi que tous les membres de la famille de Vincent qui vivent tous dans le drame, tant ses parents que son épouse, dont les positions sont respectables. Ceux qui critiquent aujourd’hui, à ce sujet, l’Église catholique pourraient d’abord avoir autant de respect envers elle que l’Église en a envers eux.

Pour preuve, d’ailleurs, que les catholiques ne déterminent pas ce débat, c’est que le premier médecin qui a voulu arrêter l’alimentation et l’hydratation est un catholique, en tout cas, il l’a affirmé sans pour autant se présenter comme tel dans son action de médecin.

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Revenons à la situation de Vincent Lambert. L’arrêt de son alimentation et hydratation avait commencé le matin du lundi 20 mai 2019 avec la plus grande stupeur de sa famille (les parents n’ont même pas pu lui dire au revoir). Lorsque la cour d’appel de Paris a finalement ordonné la reprise des soins dans la soirée du 20 mai 2019, j’étais naturellement soulagé et je m’étais réjoui que Vincent fût (presque) sauvé à court terme.

Certes, la réaction des avocats des parents de Vincent, aux propos inutilement triomphalistes (ce n’était pas une élection, la situation reste toujours dramatique), me paraissait déplacée, et je comprends que le Premier Ministre Édouard Philippe a pu être choqué par cette réaction (lui qui a, comme d’autres, vécu un drame familial). Du reste, les avocats eux-mêmes l’ont regretté dès le lendemain. La tension et la tristesse dans l’absence totale d’espoir ont pu justifier d’avoir salué de manière incontrôlée cette décision de justice inattendue.

D’ailleurs, la réaction de l’avocat du neveu de Vincent, qui demande l’arrêt de toute alimentation et hydratation depuis des années, n’est pas plus sobre et respectueuse des institutions, si l’on en croit cette affirmation de considérer la décision de la cour d’appel de Paris comme une « escroquerie intellectuelle » en se déclarant « estomaqué par une décision d’une brutalité et d’une violence incroyables »… comme si laisser mourir Vincent était moins brutal et moins violent (dans quelle société je vis ?).

Le triomphalisme était inopportun pour plusieurs raisons : par respect pour toutes les personnes de la famille, quelles qu’elles soient, pour le fait que cette décision veut attendre la décision du Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (prévue dans environ six mois), sans préjuger de la suite, et surtout, parce que, dans une sorte d’acharnement judiciaire à vouloir arrêter la vie de Vincent, le gouvernement a décidé le 31 mai 2019 de se pourvoir en cassation contre la décision de la cour d’appel de Paris. L’audience aura lieu le 24 juin 2019 et donc, tout pourrait être remis en cause dans quelques jours.

La situation préférable, c’est que Vincent quitte un service de soins palliatifs qui n’est pas le sien (il ne bénéfice d’aucun soin palliatif, il n’est pas en fin de vie, il n’y a pas d’acharnement thérapeutique ni d'obstination déraisonnable, il n’y a aucune souffrance selon les experts judiciaires), mais d’un service spécialisé qui sait s’occuper des personnes qui sont dans sa situation de grande fragilité, notamment en renforçant les stimulations, en opérant des soins de kiné qu’il n’a plus actuellement. C’est pour obtenir le transfert dans une unité adaptée que les avocats des parents ont déposé le 27 mai 2019 une plainte pour mise en danger de Vincent contre son médecin et son hôpital, et l’audience est prévue le 26 novembre 2019, sans savoir d’ailleurs où sera Vincent et s’il sera toujours vivant. Il est donc loin d’être sauvé.

Je veux terminer cet article par une lettre très émouvante publiée dans "Le Point" le 21 mai 2019. Son auteur, c’est le (célèbre) journaliste sportif Jacques Vendroux (ancien directeur du service sport de Radio France) qui parle de son copain footballeur, Jean-Pierre Adams, 71 ans, qui est dans le coma depuis trente-sept ans à cause d’une erreur d’anesthésie à l’occasion d’une petite opération sans gravité. Il respire sans aucun branchement. Jacques Vendroux écrit : « Il entend, il sursaute quand il y a un bruit soudain, il comprend peut-être, mais il ne peut plus parler. ».

Écœuré par l’instrumentalisation de la situation de Vincent, le journaliste s’adresse à la femme de son ami : « Je sais que des gens sont venus le voir dans sa chambre, persuadés qu’il était branché ou qu’il y avait une machine cachée sous le matelas, mais il n’en est rien. Tu lui donnes ses repas toi-même, il déglutit encore. Bernadette, tu es pour moi une héroïne : tu as pris ton mari avec toi, chez toi. C’est toujours avec beaucoup de respect que tu prends soin de lui. Tu ne dis jamais que tu t’occupes de lui, mais que tu travailles pour ton Jean-Pierre. (…) Attaquant, [votre petit-fils] vient régulièrement lui raconter ses buts. Là, on voit bien qu’il entend, qu’il écoute. (…) Je sais que tu souffres de voir ton mari prisonnier de son silence, que tu es toujours très amoureuse et que les moments sont difficiles à vivre, mais je suis avec toi. ».

La tragédie de Vincent Lambert, c’est la division profonde de sa famille. Et cela, aucune loi ne pourra l’empêcher. La concorde ne se décrète pas.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (06 juin 2019)
http://www.rakotoarison.eu



Pour aller plus loin :
Vincent Lambert n’est pas encore sauvé…
François-Xavier Bellamy, la dignité et l’instrumentalisation de Vincent Lambert.
Vincent Lambert doit-il mourir ?
Déclaration de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, sur Vincent Lambert le 13 mai 2019 (texte intégral).
Réflexion du Père Bruno Saintôt, directeur du département Éthique biomédical aux facultés jésuites de Paris, sur Vincent Lambert le 13 mai 2019 (texte intégral).
Déclaration de la Conférence des évêques de France sur la fin de vie le 22 mars 2018 (texte intégral).
Vincent Lambert, sa vulnérabilité et son droit à la vie bafoué.
Le destin tronqué de Vincent Lambert.
Vincent Lambert entre la vie et la mort.
La tragédie judiciaire et médicale de Vincent Lambert.
Le retour de la peine de mort prononcée par un tribunal français.
Le livre blanc des personnes en état de conscience altérée publié par l’UNAFTC en 2018 (à télécharger).
Vincent Lambert et la dignité de tout être humain, des plus vulnérables en particulier.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
Le départ programmé d’Inès.
Alfie Evans, tragédie humaine.
Pétition : soutenez Vincent !
Vers une nouvelle dictature des médecins ?
Sédation létale pour l’inutile Conseil économique, social et environnemental.
Vincent Lambert et Inès : en route vers une société eugénique ?
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
Le plus dur est passé.
Le réveil de conscience est possible !
On n’emporte rien dans la tombe.
Le congé de proche aidant.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Un fauteuil pour Vincent !
Pour se rappeler l'histoire de Vincent.
Dépendances.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".
Euthanasie ou sédation ?
François Hollande et la fin de vie.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Texte intégral de la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
Autre fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Chaque vie humaine compte.

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21 mai 2019 2 21 /05 /mai /2019 03:14

« Nous ne sommes pas des communautés isolées qui s’éloignent les unes des autres. On n’a pas besoin d’être chrétien pour se savoir lié par cet héritage commun. J’ai été tellement touché que toutes les familles politiques et tous les Français, quels qu’ils soient, aient exprimé leur émotion, aient eu le cœur retourné au même instant devant cette cathédrale qui brûlait. Il faut que nous ayons la même émotion, la même inquiétude et la même espérance devant cette civilisation dont nous sommes les héritiers, cette histoire si belle, si grande et si menacée. Si menacée par ses ennemis de l’extérieur. (…) Mais si menacée par nos propres faiblesses, par nos propres démissions, par nos effondrements intérieurs. » (François-Xavier Bellamy, le 15 mai 2019 à Paris).


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S’il y avait une seule révélation personnelle, dans la campagne des élections européennes, il faudrait désigner le jeune professeur de philosophie François-Xavier Bellamy, tête de la liste Les Républicains aux élections européennes depuis le 29 janvier 2019. François-Xavier Bellamy (33 ans), adjoint au maire de Versailles depuis mars 2008, est un petit prodige de la pensée philosophique et de son expression auprès du grand public. Son sens politique a fait que son entrée un peu surprenante dans la scène politique nationale est un succès, au contraire de l’entrée de Raphaël Glucksmann qui achèvera probablement d’enterrer définitivement le Parti socialiste (avec ou sans élus). Au-delà de son discours structuré et cohérent, et de sa grande courtoisie, très rare dans les débats politiques, François-Xavier Bellamy apporte de la fraîcheur, du renouvellement et surtout, du sens et du fond dans le débat public.

Mon propos ici n’est pas de promouvoir sa liste qui pourrait comporter certaines personnalités LR, sortantes, qui, à mon sens, n’ont pas fait beaucoup avancer ou améliorer le fonctionnement des institutions européennes au cours de leurs mandats, mais de souligner, tout en les approuvant, les propos de François-Xavier Bellamy sur la très délicate situation de Vincent Lambert.

Ce lundi 20 mai 2019, malgré l’opposition d’une partie de la famille de Vincent (notamment ses parents), l’hôpital de Reims a arrêté l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert. Malgré l’opposition d’une partie de la famille, et aussi, malgré l’injonction du Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDH) qui a renouvelé sa demande le 17 mai 2019 de suspendre la décision de l’hôpital tant qu’il ne s’est pas prononcé sur le recours qui lui a été formulé. Par ailleurs, un peu dans le rôle de Ponce Pilate, le Défenseur des droits Jacques Toubon, a déclaré le 17 mai 2019 ne pas vouloir intervenir dans cette situation.

La mort programmée de Vincent Lambert, qui commence à scandaliser une grande partie de la population, prenant conscience de la réalité de cette situation choquante (Vincent n’est ni en fin de vie, ni malade, ni sous obstination déraisonnable, ni en souffrance nécessitant une urgence médicale), va-t-elle interférer dans le débat des élections européennes ? ou même dans l’isoloir ?

C’est possible, car le choix des électeurs se cristallise aux élections européennes justement dans les dix derniers jours de la campagne. Or, la responsabilité du gouvernement est grande dans l’encouragement à l’arrêt immédiat de l’alimentation et de l’hydratation. Agnès Buzyn a délibérément refusé de prendre en considération les demandes du CIDH malgré les engagements internationaux de la France à respecter ses recommandations.

Interrogée le 19 mai 2019 sur France 3, la tête de liste LREM Nathalie Loiseau a déclaré : « Le Président de la République ne veut pas aller à l’encontre de décisions de justice, il peut donner sa grâce à un condamné, ce qui est  très différent de ce que les parents de Vincent Lambert demandent. (…) Je me mets à la place de ses parents, je pense qu’ils vivent une tragédie, je pense que personne ne peut juger, que c’est très douloureux, que rien de tout cela n’est simple, mais je ne suis ni juge, ni médecin, donc, je n’ai pas à dire ce que je pense de cette affaire. ». Remarquons que Nathalie Loiseau a spontanément évoqué le droit de grâce du Président de la République, ce qui donne une association directe entre l’arrêt des soins confirmé par la justice française et une condamnation à mort.

François-Xavier Bellamy s’est lui aussi exprimé sur cette situation tragique, à deux reprises ces derniers jours.

Interrogé au "Grand Jury" le 19 mai 2019 par LCI, RTL et "Le Figaro", il a déclaré : « J’ai du mal à comprendre qu’on se précipite. » alors que Vincent Lambert vit sans souffrance depuis plus de dix ans, et a demandé l’intervention du Président Emmanuel Macron pour « qu’on se laisse le temps ». Pour lui : « Derrière Vincent Lambert, c’est la question de notre rapport à l’extrême dépendance qui se joue (…). Si nous entrons dans cette voie dangereuse qui consiste à dire qu’une vie dépendante, une vie fragile, une vie malade, ne mérite pas d’être vécue, alors nous allons construire un monde inhumain et c’est un enjeu majeur des années à venir.  ».

Interrogé par Nicolas Demorand et Alexandra Bensaid, François-Xavier Bellamy s’est exprimé également sur le même sujet au "Grand Entretien" de la matinale de France Inter ce lundi 20 mai 2019 (dont on peut télécharger la bande sonore ici).

La tête de la liste LR a précisé ses propos de la veille sur RTL. Il a expliqué que son intervention ne provenait pas de ses convictions religieuses (qui sont catholiques, il ne les a jamais cachées) mais qu’il fallait aborder la situation très complexe de Vincent Lambert avec raison et pédagogie, hors de toutes passions : « Ce n’est pas une affaire sur laquelle on devrait s’exprimer à partir de convictions religieuses. C’est une affaire qui suppose que notre raison à tous intervienne (…). C’est un débat d’une incroyable complexité. ».

C’est pourquoi il se garderait bien d’avoir un jugement ou une critique sur une des personnes touchées de près par la situation de Vincent, quelle que soit la position adoptée qu’il respecte. En revanche, il a été très sévère contre ceux qui veulent en profiter pour instrumentaliser Vincent et faire leur propagande en faveur de l’euthanasie : « C’est à ceux-là que j’en veux, des gens qui ont utilisé ce cas précis, ce cas infiniment douloureux pour faire la promotion de leur revendication politique en faveur de l’euthanasie. Ceux qui militent pour le droit à mourir dans la dignité, ce sont ceux qui commencent par déclarer indignes de vivre ceux qui ne correspondent pas à ces standards qui font que la vie mériterait d’être vécue. ». Je le fais très rarement, mais je me suis permis de souligner en gras l’idée essentielle de François-Xavier Bellamy.

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Pour François-Xavier Bellamy, la situation de Vincent, ce n’est pas celle d’une personne en fin de vie, ni celle d’un mourant, mais celle d’une personne extrêmement dépendante : « Mon sentiment profond, c’est qu’effectivement, ce qui se joue aujourd’hui, c’est le regard que nous portons sur la dépendance. Et ce regard que nous portons sur la dépendance, au fond, il est au cœur de débats politiques majeurs des années qui viendront. Nous vivons dans un monde où vit le culte de la performance, où être humain, c’est être agile, être habile, être rapide. Et nous avons ici le cœur d’une figure de l’humanité qui nous regarde en nous disant qu’elle est absolument dépendante et nous avons parfois la tentation de considérer que la vie absolument dépendante, c’est une vie qui n’est plus digne d’être vécue. ».

Et d’ajouter : « Il n’y a pas de vie indigne d’être vécue, et même une vie qui peut sembler inutile, je crois, est une vie profondément humaine. Nous avons tous été dépendants, nous le serons tous un jour, nous sommes tous d’ailleurs dépendants aujourd’hui de ceux qui nous entourent, et reconnaître que la vie humaine est faite de cette dépendance, c’est peut-être un enjeu majeur. ».

À une auditrice, étudiante en médecine, qui lui conseillait de faire d’abord neuf ans d’études de médecine avant de donner son avis sur le sujet, le philosophe a simplement répondu : « C’est une question qui nous concerne tous les citoyens, et permettez à un citoyen de s’impliquer sur cette question. ».

François-Xavier Bellamy a posé la question cruciale : « Je crois qu’aujourd’hui, la question qui est de savoir si c’est un acharnement thérapeutique est une question complexe. (…) La grande question est de savoir si cette alimentation est une thérapie, mais je crois que si l’alimentation est une thérapie, alors, c’est que nous sommes tous dans un état de grande maladie. (…) La question qui se pose à nous, c’est de savoir si la vie, c’est la force, si la vie, c’est la performance, si la vie, c’est l’affirmation de soi, ou bien, si la vie, c’est peut-être aussi parfois la dépendance et la fragilité qui nous ouvrent aussi à la relation aux autres. ». Le rapport des experts judiciaires de novembre 2018 concluait d’ailleurs sur le fait qu’il n’y avait pas d’obstination déraisonnable pour Vincent Lambert.

À une autre auditrice (et électrice potentielle), François-Xavier Bellamy a évoqué le témoignage poignant d’une miraculée : « J’ai été beaucoup marqué par la lecture d’un livre d’Angèle Lieby qui s’appelle "Une larme m’a sauvée". Angèle Lieby était dans un coma profond, dans un état pauci-relationnel, comme l’est Vincent Lambert aujourd’hui, et dans cet état, tout le monde pensait qu’elle était, on entend si souvent ce mot-là dans le débat aujourd’hui, qu’elle était un "légume". C’est-à-dire qu’au fond, sa vie était simplement une vie organique dépourvue de conscience. En fait, nous ne savons rien de ces états de conscience, et Angèle Lieby raconte dans ce livre (…) qu’elle sentait tout, qu’elle entendait tout, qu’elle pensait qu’elle était prisonnière de son corps, qu’elle ne pouvait pas réagir. Mais je crois qu’on applique le principe de précaution à notre environnement, et l’on a bien raison de le faire, peut-être qu’on devrait aussi parfois appliquer le principe de précaution à notre propre humanité. ».

Un extrait de ce témoignage : « Tout est noir. Je suis dans le noir. (…) J’ai beau regarder de toutes mes forces, je ne vois rien. Rien que ce noir profond. Ai-je les yeux ouverts ou fermés ? Je l’ignore. Que s’est-il passé ? Je l’ignore également. Je sais seulement que je ne suis pas seule : j’entends quelqu’un à côté de moi. (…) En fait, c’est comme si l’hôpital m’était tombé sur le dessus… C’est cela : comme s’il y avait eu un tremblement de terre, et que j’étais ensevelie sous des tonnes de décombres. » (Angèle Lieby, "Une larme m’a sauvée").

Je termine ici par un message désespéré de la famille de Vincent Lambert qui a donné rendez-vous ce lundi 20 mai 2019 dans la soirée devant le Ministère de la Santé : « Sans prévenir, ses parents, son frère David et sa sœur Anne, les médecins du CHU ont sédaté Vincent ce matin. Ils n’ont pas pu lui dire au revoir alors même qu’hier, Vincent pleurait parce qu’il avait compris qu’il ne les reverrait plus. La France met aujourd’hui en œuvre l’euthanasie d’un handicapé vivant. C’est un basculement de civilisation. » (20 mai 2019). Toutes mes pensées vont aujourd’hui à Vincent Lambert et à sa famille et proche.

NB. La cour d'appel de Paris a ordonné ce lundi 20 mai 2019 dans la soirée la reprise des traitements.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 mai 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Grand Entretien de François-Xavier Bellamy à la matinale de France Inter le 20 mai 2019 (podcast).
François-Xavier Bellamy, la dignité et l’instrumentalisation de Vincent Lambert.
Vincent Lambert doit-il mourir ?
Déclaration de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, sur Vincent Lambert le 13 mai 2019 (texte intégral).
Réflexion du Père Bruno Saintôt, directeur du département Éthique biomédical aux facultés jésuites de Paris, sur Vincent Lambert le 13 mai 2019 (texte intégral).
Déclaration de la Conférence des évêques de France sur la fin de vie le 22 mars 2018 (texte intégral).
Vincent Lambert, sa vulnérabilité et son droit à la vie bafoué.
Le destin tronqué de Vincent Lambert.
Vincent Lambert entre la vie et la mort.
La tragédie judiciaire et médicale de Vincent Lambert.
Le retour de la peine de mort prononcée par un tribunal français.
Le livre blanc des personnes en état de conscience altérée publié par l’UNAFTC en 2018 (à télécharger).
Vincent Lambert et la dignité de tout être humain, des plus vulnérables en particulier.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
Le départ programmé d’Inès.
Alfie Evans, tragédie humaine.
Pétition : soutenez Vincent !
Vers une nouvelle dictature des médecins ?
Sédation létale pour l’inutile Conseil économique, social et environnemental.
Vincent Lambert et Inès : en route vers une société eugénique ?
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
Le plus dur est passé.
Le réveil de conscience est possible !
On n’emporte rien dans la tombe.
Le congé de proche aidant.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Un fauteuil pour Vincent !
Pour se rappeler l'histoire de Vincent.
Dépendances.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".
Euthanasie ou sédation ?
François Hollande et la fin de vie.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Texte intégral de la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
Autre fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Chaque vie humaine compte.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190520-vincent-lambert-fdv2019co.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/francois-xavier-bellamy-la-dignite-215243

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/05/20/37351235.html



 

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17 mai 2019 5 17 /05 /mai /2019 03:45

« La vulnérabilité de personnes, jeunes et moins jeunes, en situation de dépendance et de fin de vie appelle non un geste de mort, mais un accompagnement solidaire. La détresse de celles qui demandent parfois que l’on mette fin à leur vie, si elle n’a pu être prévenue, doit être entendue. Elle oblige à un accompagnement plus attentif, non à un abandon prématuré au silence de la mort. Il en va d’une authentique fraternité qu’il est urgent de renforcer : elle est le lien vital de notre société. » (Conférence des évêques de France, déclaration sur la fin de vie du 22 mars 2018).



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La situation de Vincent Lambert est plus que jamais grave. Alors que rien ne le justifie (ni obstination déraisonnable, ni souffrance, ni fin de vie, ni maladie, ni volonté clairement exprimée), Vincent Lambert risque, la semaine prochaine, de mourir par l’arrêt programmé de son alimentation et hydratation, prisonnier du service des soins palliatifs de l’hôpital de Reims. Cette situation surréaliste mais surtout cauchemardesque va faire de la fête des mères (qui est aussi le jour des élections européennes) un jour de deuil pour sa propre mère. Il faut insister sur le caractère sans précédent dans l’histoire médicale du monde d’une situation où une famille est profondément divisée sur l’accompagnement à donner à une personne extrêmement vulnérable et sur la réponse qu’un État entend apporter hors de toute humanité.

La situation actuelle est la suivante : deux recours internationaux sur la validation de l’arrêt des soins sont actuellement en cours de traitement dans des juridictions que reconnaît la France et auxquelles elle s’est soumise en ratifiant traité et convention internationale. L’un des recours est auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) mais celle-ci a déjà déclaré que l’examen du recours n’empêcherait pas de suspendre l’arrêt des soins (cette position est proprement indigne, tant humainement que logiquement, pour une instance censée protéger les citoyens). L’autre recours est auprès du Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDH), qui a ordonné à la France de ne pas arrêter les soins tant qu’elle n’a pas fini d’examiner la requête qu’il a reçue. On peut comprendre pourquoi il ne faut pas suspendre les soins : la vie est un phénomène irréversible, et l’arrêter est un acte définitif.

Malgré cette injonction, le médecin de Vincent Lambert a annoncé qu’il arrêterait les soins de Vincent la semaine du 20 mai 2019. Il est, pour cela, encouragé par la Ministre de la Santé Agnès Buzyn qui a considéré que la France n’était pas tenue par la demande du CIDH (ce qui est juridiquement inexact).

Ne sachant pas quoi faire, la mère de Vincent a décidé de venir devant l’hôpital de Reims le dimanche 19 mai 2019 à partir de 15 heures pour demander de sauver Vincent. Il ne s’agit pas d’une opération commando, elle n’a jamais été en dehors de la loi mais elle veut manifester sa totale impuissance face à cette mécanique médico-judiciaire qui s’acharne à vouloir faire mourir Vincent Lambert depuis six ans (ce qui prouve en tout cas qu’il n’est pas en fin de vie mais en situation de handicap, ce qui est le cas de 1 700 autres personnes qui vivent cette situation en France mais sont soignés  dans des unités spécialisées, ce qui n’est pas le cas de Vincent malgré les demandes répétées de la famille).

Le 13 mai 2019, la famille de Vincent a fait un recours au Défenseur des droits, Jacques Toubon, qui correspond, à court terme, et malgré les recours judicaires internationaux, à sa dernière chance de survie. Le 15 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté un autre recours des avocats.

Voilà où en est cette situation désespérée de Vincent Lambert.

Le 16 mai 2019, cent juristes ont décidé de publier un appel commun dans le journal "Valeurs actuelles" où ils font état de leur incompréhension : « Vincent Lambert n’est pas en fin de vie, il n’est pas atteint d’une maladie incurable, il est dans cette situation terrible d’une dépendance absolue après un grave accident, celle d’un être humain qui peut continuer à vivre simplement en recevant les soins auxquels toute personne a droit (…). Accepter cette décision [d’arrêt des soins], pour la société française, signifierait que l’on a perdu, chez nos concitoyens, le sens de la valeur infinie de la vie, quelle qu’elle soit, diminuée, inconsciente, limitée par la maladie et le handicap. Rien ne peut justifier cette décision. Notre société a-t-elle perdu le sens de ses propres valeurs au point de rester en silence devant une décision de mort donnée de sang-froid ? (…) C’est parce que la vie est diminuée qu’il faut d’autant plus la respecter. ».

Et de proposer, comme la famille : « Une solution est possible et l’on voudrait comprendre pourquoi elle n’a pas été mise en œuvre : déplacer Vincent Lambert dans une structure plus adaptée, comme il en existe plusieurs dans notre pays, afin de redonner à Vincent une perspective que personne n’est en droit de lui refuser. Ce serait un soulagement pour tous : pour Vincent d’abord dont l’horizon est nettement rétréci par une véritable incarcération hospitalière, pour sa famille et ses parents ensuite qui pourraient ainsi retrouver une relation plus facile avec lui, mais aussi pour le Centre hospitalier de Reims sur lequel ne pèserait plus cette responsabilité bien lourde. ».

Le professeur Xavier Ducrocq, chef du service de neurologie du CHR de Metz-Thionville, avait déjà rappelé en novembre 2018 la situation terrible que subit Vincent : « Depuis cinq ans maintenant, Vincent Lambert ne reçoit aucun soin de stimulation, de kinésithérapie, d’orthophonie, il est reclus dans sa chambre et dans son lit dont il ne sort jamais, enfermé à clef, avec des horaires de visites de plus en plus restreints. ».

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Puisqu’il est souvent dit que les parents de Vincent sont catholiques, quelle est la position de l’Église de France ? La Conférence des évêques de France a mis longtemps à proposer une déclaration sur sa situation jugée « singulièrement complexe ». Elle a finalement approuvé la position, elle aussi très attendue, de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, qu’il a donnée le 13 mai 2019 conjointement à Mgr Bruno Feillet, évêque auxiliaire de Reims.

Leur déclaration (dont on peut lire le texte intégral ici) propose d’abord la prudence et surtout, le refus de toute généralisation : « Tout jugement à son propos est délicat. Ce qui a été vécu autour de M. Lambert est unique et ne devrait pas être transposé à d’autres cas. Face à de telles situations, aucune décision humaine ne peut être assurée d’être parfaite, ni même d’être la meilleure. ».

Toujours en restant très prudents, les deux évêques posent l’unique question qui n’a toujours pas trouvé de réponse de la part de l’hôpital : « Tout en saluant l’engagement des équipes du CHU de Reims, on peut s’étonner que M. Lambert n’ait pas été transféré dans une unité spécialisée dans l’accompagnement des patients en état pauci-relationnel. ».

Ils poursuivent : « C’est l’honneur d’une société humaine que de ne pas laisser un de ses membres mourir (…), et même de tout faire pour maintenir jusqu’au bout la prise en charge adaptée. Se permettre d’y renoncer, parce qu’une telle prise en charge a un coût et parce qu’on jugerait inutile de laisser vivre la personne humaine concernée, serait ruiner l’effort de notre civilisation. La grandeur de l’humanité consiste à considérer comme inaliénable et inviolable la dignité de ses membres, surtout des plus fragiles. ».

C’est le message essentiel, qui n’est pas seulement chrétien mais aussi humaniste et républicain : chaque humain est digne de vivre, aussi fragile et vulnérable soit-il. Aucun n’est inutile. Car à ce compte-là, les inutiles, on pourrait dire que tout le monde en ferait partie. Car finalement, après soi, que restera-t-il ? Pas grand-chose au bout d’un certain temps, quand tous les proches auront disparu à leur tour.

L’archevêque de Reims était interpellé depuis un certain temps sur la situation de Vincent Lambert et il était concerné parce que cela se passe dans son diocèse. Sa déclaration est très "diplomatique" dans la mesure où, d’abord, il n’a pas connaissance du dossier médical de Vincent (qui est confidentiel, il faut le rappeler), ce qui signifie qu’il y a peut-être des éléments factuels qui peuvent échapper au jugement extérieur, et ensuite, il veut être prudent car la réflexion sur ce sujet porte au plus intime de chaque conscience, et l’Église, loin de la caricature, a toujours su accompagner les situations les plus compliquées, mais discrètement, dans le secret et le respect des consciences, jamais sous les projecteurs de la médiatisation.

La médiatisation, inévitable dès lors qu’il y a un recours judiciaire, et pour Vincent Lambert, il y en a eu beaucoup, apporte ce risque gigantesque de faire d’une situation singulière, unique, très personnelle, un modèle (ou contre-modèle) qui pourrait s’appliquer à beaucoup d’autres "cas". Ce risque de généralisation est sans doute le plus grand danger du rapport entre le fait-divers, "l’opinion publique" et le législateur. Combien de lois ont-elles été faites, sur la sécurité, depuis une trentaine d’années, uniquement à cause de l’émotion qu’a suscitée un fait-divers particulièrement choquant ?

C’est pourquoi il y a un autre texte très intéressant, qui émane d’une réflexion personnelle d’un chrétien, dans laquelle beaucoup de personnes pourraient se retrouver, en tout cas, c’est mon cas. Son auteur est le Père Bruno Saintôt. Il connaît le sujet puisqu’il est professeur de bioéthique et le directeur du département Éthique biomédical des facultés jésuites de Paris.

Son texte, très structuré et clairement rédigé, intitulé "Que personne ne s’empare du tragique !", met "les pieds dans le plat" dès les premières phrases : « Comment accepter que la mort de quelqu’un, une mort provoquée par la médecine et scénarisée par les journaux, fasse médiatiquement et symboliquement des gagnants et des perdants sur la scène conflictuelle de la recherche du bien ? ».

La première chose que le Père Saintôt rappelle, ce sur quoi j’ai beaucoup insisté depuis cinq ans dans mes articles, c’est de respecter Vincent jusque dans les mots : « Cette personne (…) doit être considérée avant tout avec respect jusque dans nos usages du langage. Parler d’emblée d’affaire, c’est la déposséder de sa singularité et du respect de sa dignité. Elle ne doit pas être le prétexte à des réclamations ou l’emblème de convictions à défendre. Il faudrait donc distinguer "cas", "affaire" et "cause". ».

Il y a "cas" médical quand la situation du patient demande une réflexion de la part de l’équipe médicale. Il y a ensuite "affaire" quand le "cas" problématique est médiatisé : « Mais quand un cas devient une affaire, les journalistes et le grand public ne peuvent avoir accès qu’à certaines informations qui deviennent emblématiques d’exigences ou de réclamations concernant la justice, les droits personnels ou certaines grandes valeurs. (…) Quand "l’affaire" se durcit, elle devient une "cause" où les positions finissent par se polariser entre "pour" et "contre" en absorbant ainsi toutes les autres nuances, et donc, toute la complexité du "cas". ».

Selon l’universitaire jésuite, la situation de Vincent Lambert pose sept questions. J’en reprends six qui me paraissent cruciales.

La première sur la dignité humaine : « L’humanité d’une personne se mesure-t-elle par ses conditions de vie et ses capacités de pensée et de relation ? ». La réponse est rapidement apportée : « L’humanité ne s’absente jamais de l’être humain que nous devons soigner, mais c’est à nous de l’honorer par l’attention, le respect, le soin adapté. ».

La troisième sur la volonté personnelle : « Rien ne nous permet de dire avec certitude qu’il veut refuser les soins qui le maintiennent en vie. Qu’est-ce qui justifierait de les arrêter maintenant ? ». Pas de réponse, question posée aux juges et au médecin traitant, qui semblent savoir scruter la conscience non-éveillée de Vincent.

La quatrième question, toujours sur la volonté mais plus généralement : « La polarisation sur la seule volonté du patient risque de nous faire oublier que cette volonté est ambivalente et fluctuante, qu’elle est tributaire du désir et du regard d’autrui et qu’il est donc nécessaire d’être protégé contre les regards et les avis dévalorisants et excluants. ».

La cinquième question, toujours la principale question récurrente, avec une proposition de réponse : « Pourquoi "Monsieur Vincent Lambert" n’est-il pas soigné dans l’une de ces unités dédiées ? Parce que le transfert serait interprété comme capitulation d’une certaine cause ? ».

La sixième question sur la responsabilité du médecin : « Dans la situation présente, le geste qui mettrait actuellement fin à sa vie ne pourrait qu’être interprété comme un geste euthanasique provoquant le scandale dans une partie de la famille et auprès de beaucoup d’autres personnes, à commencer par les soignants qui veillent sur les patients en état pauci-relationel ou en état d’éveil non-répondant dans des unités spécialisées. Quel médecin voudra endosser la responsabilité d’un tel geste sans paraître inhumain en condamnant symboliquement avec lui beaucoup d’autres (…) ? ».

Enfin la septième question évoque les caricatures et déformations du débat public dans certains médias militants : « L’exposition médiatique conduit à des caricatures argumentatives qui sont déplorables. Dans certains médias, la transformation du cas en une cause conduit à polariser faussement le débat entre de mauvais catholiques traditionnels censés défendre la vie à tout prix et de bons progressistes, de préférence athées, censés défendre la volonté claire de "Monsieur Vincent Lambert". (…) Comment est-il possible de sortir de cette manière biaisée d’aborder les problèmes éthiques ? Le tragique de cette situation ne demande-t-il pas, au moins, un peu de raison et de décence ? ».

Ensuite, le Père Saintôt expose les trois principes éthiques qui guident l’Église, qui « ne veut pas se substituer à la conscience de ceux qui doivent prendre des décisions ».

Le premier est la dignité de la personne, sa « valeur absolue et intrinsèque » : « La personne ne peut donc jamais être instrumentalisée pour des causes sociales, économiques ou politiques, et elle ne peut jamais être privée délibérément de sa vie. ».

Le deuxième est le refus de l’obstination déraisonnable (ou acharnement thérapeutique) : « Il faut accompagner la personne en fin de vie en soulageant autant que possible ses souffrances physiques, psychiques et spirituelles. Le principe du double effet permet de réguler le soulagement de la souffrance lorsqu’il peut hâter la fin de vie. Ce n’est pas une hypocrisie mais la volonté de soulager autant qu’il est possible ces différentes souffrances, sans provoquer délibérément et directement la mort. ». Ce principe du double effet n’est pas nouveau puisqu’il a été déjà codifié par Thomas d’Aquin au XIIIe siècle « afin d’autoriser (…) le soulagement de la souffrance au risque d’abréger la fin de vie ».

Enfin, le troisième principe est dans la devise de la République, la fraternité, « c’est-à-dire la solidarité de personnes qui partagent la même condition mortelle et la vulnérabilité commune ».

Ce troisième principe est important car il entraîne deux corollaires. Le premier, c’est qu’il n’y a « pas de solidarité pour la mort » : « Convoquer les médecins pour répondre à une demande de mort, c’est les instrumentaliser, c’est dévoyer leur mission de soignants. ». Le second corollaire, c’est le risque de généralisation d’un geste singulier : « L’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielles sans recueil de sa volonté, hors contexte de fin de vie et sans motif médical grave, signifie indirectement à tous ceux qui partagent sa condition qu’ils sont indésirables. Il est devenu impossible de dissocier les cas. ».

Je conclus la présentation de ce texte très riche du Père Bruno Saintôt par ces quelques phrases qui rappellent l’essentiel : « Dans l’intrication du "cas", de "l’affaire" et de la "cause", "Monsieur Vincent Lambert" ne doit pas être réduit à la cause d’une liberté bafouée ; il demeure aussi le témoin d’une exigence de fraternité et du respect des plus fragiles. (…) "Monsieur Vincent Lambert" n’appartient à personne ; il n’est pas à disposition pour défendre une cause. Continuer de prendre soin de lui, sans obstination déraisonnable, signifie qu’il est un indisponible. Le transférer dans une unité spécialisée pour les patients cérébrolésés serait une décision de sagesse… afin que personne ne s’empare du tragique. » (13 mai 2019).

L’intérêt que suscite le sort de Vincent Lambert, l’inquiétude d’un nombre croissant de citoyens sur le sort des plus vulnérables à l’avenir, le principe de fraternité et de solidarité envers les plus fragiles, le lien de confiance qui pourrait se distendre entre soignants et soignés, me font sens et m’incitent à écrire ce jour : JE SUIS VINCENT LAMBERT.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 mai 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Les deux illustrations sont des œuvres de l’artiste Egon Schiele.


Pour aller plus loin :
Vincent Lambert doit-il mourir ?
Déclaration de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, sur Vincent Lambert le 13 mai 2019 (texte intégral).
Réflexion du Père Bruno Saintôt, directeur du département Éthique biomédical aux facultés jésuites de Paris, sur Vincent Lambert le 13 mai 2019 (texte intégral).
Déclaration de la Conférence des évêques de France sur la fin de vie le 22 mars 2018 (texte intégral).
Vincent Lambert, sa vulnérabilité et son droit à la vie bafoué.
Le destin tronqué de Vincent Lambert.
Vincent Lambert entre la vie et la mort.
La tragédie judiciaire et médicale de Vincent Lambert.
Le retour de la peine de mort prononcée par un tribunal français.
Le livre blanc des personnes en état de conscience altérée publié par l’UNAFTC en 2018 (à télécharger).
Vincent Lambert et la dignité de tout être humain, des plus vulnérables en particulier.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
Le départ programmé d’Inès.
Alfie Evans, tragédie humaine.
Pétition : soutenez Vincent !
Vers une nouvelle dictature des médecins ?
Sédation létale pour l’inutile Conseil économique, social et environnemental.
Vincent Lambert et Inès : en route vers une société eugénique ?
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
Le plus dur est passé.
Le réveil de conscience est possible !
On n’emporte rien dans la tombe.
Le congé de proche aidant.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Un fauteuil pour Vincent !
Pour se rappeler l'histoire de Vincent.
Dépendances.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".
Euthanasie ou sédation ?
François Hollande et la fin de vie.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Texte intégral de la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
Autre fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Chaque vie humaine compte.

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15 mai 2019 3 15 /05 /mai /2019 02:58

« La France est une nation qui n’abandonne jamais ses enfants quelles que soient les circonstances et fussent à l’autre bout de la planète. Ceux qui attaquent un Français doivent savoir que jamais notre pays ne plie, que toujours ils trouveront notre armée, ces unités d’élite, nos alliés, sur leur chemin. » (Emmanuel Macron, le 14 mai 2019 aux Invalides, à Paris).


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L’engagement, dans la nuit du 9 au 10 mai 2019, du (prestigieux) Commando d’action sous-marine Hubert a été consécutif à l’enlèvement de deux touristes français le 1er mai 2019 au Bénin et à l’assassinat sauvage de leur guide béninois Fiacre Gbédji. Ce fut une mission réussie, en ce sens que les otages, quatre, les deux Français et deux femmes également retrouvés, une Sud-coréenne et une Américaine, ont été libérés sains et saufs. Mais le bilan fut lourd avec deux soldats tués, les deux premiers qui ont participé à l’assaut contre les ravisseurs.

Cédric de Pierrepont et Alain Bettoncello sont morts en héros, par cet acte de « bravoure inouïe », par cet acte de courage volontaire de vouloir sauver ces vies : « Ils étaient morts en héros, pour la France, morts en héros parce que pour eux, rien n’est plus important que la mission, rien de plus précieux que la vie des otages. ». Une vocation plus qu’un métier : « La mort ne vous faisait pas peur parce que vous aviez ancré en vous, dans le mystère insondable de vos âmes, la volonté de servir les autres, y compris au prix de votre propre vie. Parce que vous aviez fait le choix intime de consacrer cette existence à une cause plus grande que vous, celle de la France, celle de la liberté. Parce que affronter le feu de l’ennemi comme un seul homme est l’ultime valeur du soldat. Surgis du ventre de la nuit, ils sont porteurs des foudres de Neptune. Ce sont les mots que de génération en génération, les membres de votre unité se transmettent avant d’engager le combat. ».

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Le mardi 14 mai 2019 entre 11 heures et 12 heurs, la France a honoré leur mémoire et leur bravoure dans la cour d’honneur des Invalides, à Paris (vidéo ici), en présence des la famille, de leurs camarades (qui était cagoulés pour protéger leur identité), et des principaux personnages de la République, en particulier le Président de la République Emmanuel Macron, qui a présidé la cérémonie, le Premier Ministre Édouard Philippe, le Président du Sénat Gérard Larcher, le Président de l’Assemblée Nationale Richard Ferrand, les anciens Présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande, tous les ministres (dont Florence Parly, Bruno Le Maire, François de Rugy, etc.), les anciens Premiers Ministres (dont Jean-Marc Ayrault), et la majeure partie des responsables de la classe politique (dont François Bayrou, Laurent Wauquiez, etc.). Notons toutefois l’absence remarquée de Marine Le Pen qui a préféré continuer sa campagne électorale à Tallinn, en Estonie, notamment en se faisant photographier avec un jeune extrémiste, à venir humblement honorer la mémoire de nos deux soldats. Les électeurs seront juges de la manière dont le sentiment national s’exprime.

Les polémiques du week-end passé, peut-être amplifiées par les réseaux sociaux, n’avaient pas de raison d’êntre. Un corps d’élite ne cherche pas à savoir si tel ou tel Français était dans une zone rouge, orange ou jaune (ici orange). Si tel ou tel Français était à sauver ou pas. Lorsqu’il est en danger,quelque part dans le monde, quel qu’il soit, aussi imprudent soit-il (et il semble qu’il n’y a pas eu d’imprudence ici), la France va le chercher parce que, comme l’a rappelé Emmanuel Macron, la France n’abandonne jamais les siens.

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Le discours d’Emmanuel Macron (dont on peut lire le texte intégral ici) a correspondu à ce moment d’intense émotion que l’ensemble des Français a partagé. Il sera d’ailleurs probablement l’un des meilleurs de ce quinquennat car il a trouvé les mots justes pour exprimer ce que la nation doit à nos militaires : « Vous qui vous êtes entraînés ensemble, vous qui avez combattu ensemble, vous que la mort à jamais a unis. Voyez la Nation rassemblée dans cette cour des Invalides pour rendre l’hommage que vous méritez. ». Ceux qui critiquent le principe même de ce discours, soupçonnant Emmanuel Macron, par un antimacronisme mal placé, de récupération, n’ont rien compris au peuple ni aux institutions de la nation. Il est d’abord le Président de tous les Français, le chef de l’État et aussi le chef des armées.

Heureusement que le Président de la République, au nom de tous les Français, a rendu hommage aux deux soldats morts en mission. Heureusement qu’il a pu se faire le porte-parole de la reconnaissance de toute la France pour un "sacrifice" qui n’était pas seulement parmi les risques du métier mais qui était un véritable don à la nation. Honte à ceux qui font de la petite politique politicienne en ces moments de communion intense lors d’un drame national ! D’ailleurs, le peuple français était bien présent à cette cérémonie, remplissant le Pont Alexandre III et occupant l’Esplanade des Invalides pour suivre la retransmission en écran géant.

Cela fait sens de retrouver la communauté nationale réunie autour de ses institutions, et l’une des premières, c’est son armée, car sans l’armée, l’indépendance et la survie du pays seraient en danger. Cela montre d’ailleurs que la France a conservé pleinement sa souveraineté. Ces cérémonies, hélas, se sont multipliées depuis plus de dix ans. Quatre-vingt-dix soldats français tués en Afghanistan, vingt-huit soldats français tués au Sahel. Auparavant, les hommages étaient plus furtifs, plus discrets, plus intimes.

Ces cérémonies sont d’abord destinées aux familles et proches des soldats honorés, qui ont besoin du soutien et de la compassion de toute la nation : « Si nous sommes réunis aujourd’hui devant vos dépouilles drapées des couleurs de la France, c’est pour nous incliner devant la douleur digne de vos familles. Et je sais que ceux qui vous doivent la vie, nos deux compatriotes comme les ressortissantes américaine et sud-coréenne, s’associent à ce geste. C’est pour dire aussi notre solidarité avec vos frères d’armes. ».

Emmanuel Macron a reconnu sa propre responsabilité dans cette tragédie, et a assumé pleinement sa décision : « Une vie arrêtée n’est pas une vie perdue. Une vie arrêtée en pleine jeunesse, en pleine conscience aussi, n’est pas une vie perdue. Une vie donnée n’est pas une vie perdue. Celui qui meurt au combat, dans l’accomplissement de son devoir, n’a pas seulement accompli son devoir, il a rempli sa destinée. Ce n’est pas un sacrifice, non. C’est le sens même de l’engagement, la part tragique de la mission et vous le saviez. Et avec vous, je le savais. ».

Donner du sens, c’est ce qu’a su faire Emmanuel Macron : « Cette indicible part obscure de l’engagement, celle qui fait sa force et sa clarté, celle du don que chaque soldat à chaque mission consente à la nation. Et notre pays sent bien, notre pays sait bien dans ses profondeurs que votre exemple nous sauve tous car il nous maintient à la hauteur de nous-mêmes, de ce que nous avons à être. (…) Une nation n’est libre et forte que d’avoir des héros dont elle doit se montrer digne en s’élevant à leur hauteur et en restant soudés, tel est le sens profond de votre combat. ».

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Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, avait prononcé des mots similaires à Varces, près de Grenoble, le 25 janvier 2012 pour rendre hommage aux quatre soldats français tués la veille en Afghanistan : « Puisse votre souvenir affermir en chacun de nous le courage de servir nos engagements. ». Ce n’est, en effet, hélas pas la première fois ni la dernière que la France rend hommage à ses soldats tués sur le front ou en mission.

Les maîtres Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello ont perdu la vie dans une opération visant à sauver la vie d'otages français. Il n’y a pas plus haut don. Deux touristes français qui visitaient le parc national de la Pendjari, dans le nord-ouest du Bénin, avaient été enlevés le 1er mai 2019. Leur guide béninois, Fiacre Gbédji, a été retrouvé, trois jours plus tard, tué par les ravisseurs, qui ont été localisés le 7 mai 2019 par l’armée française au nord du Burkina Faso, apparemment en route vers le Mali. Il fallait les rattraper avant que les otages fussent dans d'autres mains. Ce fut dans la nuit du 9 au 10 mai 2019, près de la ville de Gorom-Gorom, que les conditions ont permis à un commando des forces spéciales (la Task Force Sabre), soutenu par l’armée burkinabaise, l’armée béninoise et le service de renseignements américains, d’attaquer les ravisseurs.

Le bilan est lourd puisque deux soldats français en sont morts, ainsi que quatre des six ravisseurs (les deux autres ont pu s’enfuir). L’amiral Christophe Prazuck, chef d’état-major de la Marine française, a exprimé son admiration dès le 10 mai 2019 : « J’admire leur courage, je partage la peine de leurs familles et de leurs proches. ».

Le premier maître Cédric de Pierrepont, né le 17 juillet 1986 à Ploemeur, est entré dans la Marine nationale en 2004 (quinze ans de service). Il est devenu fusilier marin en 2005. Devenu fusilier marin commando et nageur de combat, il intégra le Commando Hubert en août 2012 dont il fut un chef de groupe commando à partir d’avril 2018. Il a participé à plusieurs opérations extérieures, en particulier en Méditerranée, au Levant et au Sahel où il fut affecté le 30 mars 2019.

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Le premier maître Alain Bertoncello, né en 1991, est entré dans la Marine nationale en février 2011 (huit ans de service). Il est devenu fusilier marin commando en 2012, et fut affecté au Commando Hubert en juillet 2017. Il fut affecté aux Seychelles (protection des thoniers), au Qatar, au Levant et au Sahel, où il fut déployé à partir du 30 mars 2019.

Non seulement les deux otages français ont été libérés et sauvés, mais deux autres otages également, une Sud-coréenne et une Américaine, deux membres d’une organisation non gouvernementale qui avaient été enlevés le 12 avril 2019, dont les pays respectifs n’avaient pas identifié leur présence en ces lieux. Ces quatre otages ont été accueillis à la base aérienne de Villacoublay dans l’après-midi du 11 mai 2019 par le Président Emmanuel Macron, le Ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, la Ministre des Armées Florence Parly et le chef d’état-major des armées François Lecointre. Ces deux derniers responsables avaient tenu une conférence de presse le 10 mai 2019.

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Comme l'a dit quatre jours plus tard Emmanuel Macron, il est utile de rappeler que la France est un grand État qui n’abandonne pas ses ressortissants même lorsqu’ils sont en difficulté, surtout lorsqu’ils sont en difficulté. Peu de pays seraient prêts à risquer la vie de leurs troupes pour faire ce genre d’opération extérieure. Florence Parly a ainsi tenu à insister sur la détermination du gouvernement français : « La lutte contre le terrorisme et la protection de nos concitoyens ont toujours été, sont et resteront la boussole de nos armées et de nos militaires. Les terroristes qui s’attaquent à la France et aux François doivent savoir que nous ne ménagerons aucun effort pour les traquer et les combattre. Cette opération illustre avec gravité l’extrême détermination avec laquelle nos forces armées sont engagées dans ce combat sans merci. » (10 mai 2019).

C’est donc utile d’avoir sans cesse à l’esprit cette capacité à rompre les fatalités terroristes au risque de la vie, avant de vouer aux gémonies les institutions, l’État et le gouvernement français, quel qu’il soit, bien tranquillement installé dans son fauteuil chez soi en France, pendant que d’autres protègent avec bravoure la vie de leurs compatriotes. Des hommes courageux, qui ont fait vocation de protéger les autres, de les sauver, comme ce fut le cas du colonel Arnaud Beltrame, constituent les armées françaises pour éviter le pire, pour préserver du malheur : « L’engagement et le sacrifice du maître Cédric de Pierrepont et du maître Alain Bertoncello nous dépasse tous. Toute la Nation s’incline aujourd’hui devant leur courage, reconnaissante et fière de ses héros qui ont donné leur vie pour sauver celle des autres. » (Florence Parly).

C’est aux familles et proches des deux soldats morts au combat que je pense. Que ces personnes endeuillées et effondrées trouvent, dans cet acte de courage et d’héroïsme, fierté du devoir accompli, même si rien hélas ne réparera leur cruelle absence. Je pense aussi à la famille et aux proches de Fiacre Gbédji, père de famille nombreuse, dont la vie n’a semblé tellement rien valoir aux yeux des terroristes qu’ils l’ont lâchement et sauvagement assassiné au moment de l’enlèvement. Que toutes ces familles trouvent dans cet hommage du 14 mai 2019 aux Invalides la reconnaissance infinie de la France.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 mai 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Vidéo de la cérémonie d’hommage à Cédric de Pierrepont et Alain Bettoncello aux Invalides le 14 mai 2019.
Discours du Président Emmanuel Macron le 14 mai 2019 aux Invalides à Paris (texte intégral).
Commando Hubert : la France dans l’unité nationale autour de ses deux héros.
Bénin : le courage et le sacrifice de deux vies pour en sauver d’autres.
Niger : le prix d’un message.
N’oublions pas le sacrifice du colonel Arnaud Beltrame !
Nos soldats à Beyrouth, il y a trente-cinq ans…
Hommage des quatre soldats tués le 24 janvier 2012 en Afghanistan.
Ils ne sont pas des numéros.
Chasseurs alpins en Afghanistan.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190514-commando-hubert-burkina-faso.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/commando-hubert-la-france-dans-l-215094

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/05/14/37336283.html




 

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14 mai 2019 2 14 /05 /mai /2019 11:03

(vidéo)


Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190510-benin-otages.html
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190514-commando-hubert-burkina-faso.html



Cérémonie d'hommage dans la cour d'honneur des Invalides, à Paris, le mardi 14 mai 2019, de 11 heures à 12 heures, aux premiers maîtres Cédric de Pierrepont et Alain Bettoncello morts pour la France le 10 mai 2019 au Burkina Faso. En présence d'Emmanuel Macron, Édouard Philippe, Gérard Larcher, Richard Ferrand, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Bruno Le Maire, François de Rugy, François Bayrou, Laurent Wauquiez, Jean-Marc Ayrault, etc.
 
 



Source : Élysée.

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srv-20190514-video-hommage-invalides.html

 

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14 mai 2019 2 14 /05 /mai /2019 01:39

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Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190511-vincent-lambert-fdv2019cm.html



"Monsieur Vincent Lambert" et nous : que personne ne s'empare du tragique !


Qu’on le veuille ou non, la vie de Monsieur Vincent Lambert est liée à la nôtre, l’organisation de son soin est liée à l’organisation globale du soin médical et social. En effet, depuis la médiatisation d’un conflit qui porte sur les interprétations différentes de sa volonté et de son bien, le cas médical difficile de Monsieur Vincent Lambert est devenu une affaire puis une cause.

Sollicité pour répondre aux trois questions ci-dessous, je me sens le devoir d’écrire depuis que sa mort est, semble-t-il, définitivement programmée et médiatisée. Comment accepter que la mort de quelqu’un, une mort provoquée par la médecine et scénarisée par les journaux, fasse médiatiquement et symboliquement des gagnants et des perdants sur la scène conflictuelle de la recherche du bien ? Comment serait-il possible de réclamer, si ce jour-là arrive, un silence et un jeûne médiatiques pour que personne ne s’empare du tragique ? Comment rester dans le respect et la décence pour lui, pour ses proches, pour ceux qui sont comme lui, pour tous ? Comment refuser posément que la cause euthanasique puisse s’emparer du tragique d’une situation pour en faire une revendication ?

Selon vous, que nous dit l’affaire dite « Vincent Lambert » ? Et pourquoi le cas singulier de cet homme est-il devenu une affaire ?

Il serait d’abord bon de parler de « Monsieur Vincent Lambert » : cette personne est hospitalisée et elle doit être considérée avant tout avec respect jusque dans nos usages du langage. Parler d’emblée d’affaire, c’est la déposséder de sa singularité et du respect de sa dignité. Elle ne doit pas être le prétexte à des réclamations ou l’emblème de convictions à défendre. Il faudrait donc distinguer cas, affaire et cause.

Dans les réunions de concertations pluridisciplinaires (RCP) les médecins et les soignants traitent de cas, c’est-à-dire de situations singulières où il faut connaître précisément la singularité de la personne malade pour prendre une décision informée qui soit respectueuse de l’expression de sa volonté, de la relation avec ses proches et de la déontologie médicale.

Une affaire est un cas problématique exposé au grand public. Mais, quand un cas devient une affaire, les journalistes et le grand-public ne peuvent avoir accès qu’à certaines informations qui deviennent alors emblématiques d’exigences ou de réclamations concernant la justice, les droits personnels ou certaines grandes valeurs. L’enjeu est moins la singularité de cette personne et de la décision la concernant que ce qu’elle représente en fonction des valeurs et des convictions défendues par les protagonistes.

Quand l’affaire se durcit, elle devient une cause où les positions finissent par se polariser entre « pour » et « contre » en absorbant ainsi toutes les autres nuances, et donc toute la complexité du cas. « Monsieur Vincent Lambert » est ainsi devenu l’emblème de la possibilité ou non de « faire mourir », c’est-à-dire d’euthanasier une personne qui n’est pas en fin de vie, dont les directives anticipées sont inexistantes et dont la volonté est l’objet de conflits, et qui dépend du soin médical pour continuer à vivre alors même que ses conditions de vie sont jugées par certains « insupportables ».

« Monsieur Vincent Lambert » est ainsi devenu, socialement, par son silence et son absence de réaction, une personnalité disponible sur laquelle sont projetées les attentes de « bien vivre » et de « bien mourir », les craintes de souffrir, les angoisses de dépendre totalement d’autrui, de perdre son autonomie ou, comme le disent beaucoup, de « perdre sa tête » au point de ne plus pouvoir vraiment décider pour soi. « Monsieur Vincent Lambert » est ainsi devenu un espace de projection d’attentes et de réclamations contradictoires, qui finissent par se polariser, de nouveau, hélas, sur la promotion ou le refus de l’euthanasie. Il est un emblème de l’insuffisance du recours à l’autonomie pour résoudre toutes les problématiques bioéthiques ; il est un témoin de nos ambivalences et contradictions face à la dépendance et aux liens humains qui font ou défont la valeur de nos existences ; il est un point de cristallisation de nos interrogations et divisions sur ce que signifie « bien soigner ».

Du point de vue anthropologique et éthique, ce qui arrive à « Monsieur Vincent Lambert » pose des questions importantes.

1) L’humanité d’une personne se mesure-t-elle par ses conditions de vie et ses capacités de pensée et de relation ? Certains pensent qu’il y a des cas où l’humain s’est absenté de la vie. Il y aurait ainsi, pour eux et dans certains cas, « la vie sans l’humain », une « vie purement biologique », une « vie purement végétative ». Je ne partage pas du tout ce point de vue. L’humanité ne s’absente jamais de l’être humain que nous devons soigner mais c’est à nous de l’honorer par l’attention, le respect, le soin adapté.

2) L’alimentation et l’hydratation artificielles sont-elles des traitements ou des soins de base ? Nous avons longtemps tenu qu’elles ne pouvaient être assimilées à des traitements mais qu’elles relevaient de la nourriture et de la boisson, qui sont toujours dues à une personne, sauf dans de rares cas de fin de vie où elles ont des effets accentuant la souffrance et le risque. Certes, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la qualification de « traitements » mais l’obligation éthique n’est pas suspendue pour autant. Ces traitements sont dus si l’on n’est pas dans les cas spécifiques de fin de vie qui ont été évoqués. « Monsieur Vincent Lambert » n’est pas en fin de vie, ne semble pas souffrir, n’exprime pas de refus permanent de soin et n’a pas exprimé clairement sa volonté : au nom de quel principe faudrait-il arrêter ce traitement particulier qu’est l’alimentation et l’hydratation artificielles, ce traitement particulier qui apparaît à beaucoup comme un soin de base dû à tout être humain ?

3) La réanimation est un défi entre le trop et le pas assez. Dans quels cas et quelles conditions est-il préférable de ne pas réanimer les personnes parce que cela entraîne des situations de vie limites et génératrices de grandes souffrances ? Généralement, il est impossible au stade initial de la réanimation de connaître le pronostic ultérieur de l’évolution de conscience du patient. Le cas se pose pour la réanimation néonatale et également pour la réanimation adulte. Mais, une fois que la personne a été réanimée, au nom de quels principes est-il possible d’arrêter ou de limiter les traitements ? Dans la pratique médicale, ces cas sont longuement débattus en fonction de principes bien réfléchis. Dans la situation présente, le principe semble assez simple : « Monsieur Vincent Lambert » n’est pas en fin de vie ; il n’a pas « le cerveau totalement détruit » comme l’a dit un médecin (il serait alors en état de mort cérébrale et déclaré mort) ; il ne souffre pas de façon perceptible et l’expression de sa volonté ne peut être attestée de manière certaine. Rien ne nous permet de dire avec certitude qu’il veut refuser les soins qui le maintiennent en vie. Qu’est-ce qui justifierait de les arrêter maintenant ?

4) Le respect de la volonté du patient est devenu un critère central du jugement éthique. Mais que faire en l’absence de l’expression certaine de la volonté du patient ? La polarisation sur la seule volonté du patient risque de nous faire oublier que cette volonté est ambivalente et fluctuante, qu’elle est tributaire du désir et du regard d’autrui et qu’il est donc nécessaire d’être protégé contre les regards et les avis dévalorisants et excluants. Par ailleurs, l’expression de la volonté du patient n’est pas le seul critère éthique : selon la déontologie, nous ne devons pas répondre à la volonté ou au désir de mourir par l’euthanasie mais par des soins adaptés.

5) Parce qu’il est devenu une cause, ce qui est dit de « Monsieur Vincent Lambert » est dit de toutes les personnes qui relèvent de situations analogues et qui seraient ainsi placées dans les mêmes catégories entrainant les mêmes décisions. C’est pourquoi l’UNAFTC (L’Union Nationale des Associations de Familles de Traumatisés crâniens et de Cérébrolésés) est partie prenante reconnue par le droit en raison de son rôle de défense des personnes en état pauci-relationnel ou en état d’éveil non-répondant. Comme le cas est devenu une cause, ce qui est dit de « Monsieur Vincent Lambert » est dit de ces personnes qui ont besoin de recevoir des soins adaptés dans des services spécialisés. Pourquoi « Monsieur Vincent Lambert » n’est-il pas soigné dans l’une de ces unités dédiées ? Parce que le transfert serait interprété comme une capitulation d’une certaine cause ?

6) Le médecin peut juger en sa conscience et selon une certaine compréhension du droit que l’état singulier de « Monsieur Vincent Lambert » relève de l’obstination déraisonnable mais, dans la situation présente, le geste qui mettrait actuellement fin à sa vie ne pourrait qu’être interprété comme un geste euthanasique provoquant le scandale dans une partie de la famille et auprès de beaucoup d’autres personnes, à commencer par les soignants qui veillent sur les patients en état pauci-relationnel ou en état d’éveil non répondant dans des unités spécialisées. Quel médecin voudra endosser la responsabilité d’un tel geste sans paraître inhumain en condamnant symboliquement avec lui beaucoup d’autres puisque « Monsieur Vincent Lambert », encore une fois, n’est pas en fin de vie et que plus de 1700 patients lui sont associés ? Quel médecin se limitant à sa tâche de médecin voudra assumer la singularité d’un cas qui n’en n’est plus un parce qu’il est devenu une cause ?

7) L’exposition médiatique conduit à des caricatures argumentatives qui sont déplorables. Dans certains médias, la transformation du cas en une cause conduit à polariser faussement le débat entre de mauvais catholiques traditionnels censés défendre la vie à tout prix et de bons progressistes – de préférence athées – censés défendre la volonté claire de « Monsieur Vincent Lambert ». Comment se laisser encore enfermer dans ces présentations caricaturales où les uns, au nom de leurs croyances, feraient souffrir un patient et les autres, au nom de leur idéal de liberté, feraient tout pour le délivrer ? Comment est-il possible de sortir de cette manière biaisée d’aborder les problèmes éthiques ? Le tragique de cette situation ne demande-t-il pas au moins un peu de raison et de décence ?

Quelle est la position de l’Eglise catholique sur cette affaire ?

L’Eglise ne peut pas et ne veut pas prendre position sur un cas quand elle n’est pas en mesure de connaître tous les éléments du cas, comme celui qui concerne « Monsieur Vincent Lambert ». En effet, elle ne peut pas être conviée à la procédure collégiale à partir de laquelle le médecin prend sa décision en exposant tous les éléments de jugement médicaux et non médicaux et en prenant en compte les différents avis dans le cadre du respect de la déontologie médicale.

L’Eglise ne veut pas se substituer à la conscience de ceux qui doivent prendre des décisions en médecine, c’est-à-dire les médecins. Mais elle souhaite contribuer à éclairer les consciences, notamment par le rappel des grands principes éthiques.

Elle estime de son devoir de rappeler les grands principes éthiques qui sont menacés quand le cas est exposé publiquement et devient l’emblème d’une cause comme celle de l’euthanasie ou celle d’une compréhension dévoyée de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, qui est interprétée par certains comme un droit général ou une hypocrisie éthique.

Trois grands principes éthiques guident ici la position catholique. Ils sont à tenir ensemble :

1) La dignité de la personne, c’est-à-dire sa valeur absolue et intrinsèque. La personne ne peut donc jamais être instrumentalisée pour des causes sociales, économique ou politiques, et elle ne peut jamais être privée délibérément de sa vie. L’Eglise défend de manière ferme l’interdit de l’euthanasie comme un corollaire de la dignité de la personne. La médecine continue à le faire comme l’attestent les déclarations de l’Association Médicale Mondiale malgré de régulières contestations.

2) Le refus de l’obstination déraisonnable (ou acharnement thérapeutique). L’Eglise ne dit pas qu’il faut prolonger la vie à tout prix mais qu’il faut accompagner la personne en fin de vie en soulageant autant que possible ses souffrances physiques, psychiques et spirituelles. Le principe du double effet permet de réguler le soulagement de la souffrance lorsqu’il peut hâter la fin de vie. Ce n’est pas une hypocrisie mais la volonté de soulager autant qu’il est possible ces différentes souffrances, sans provoquer délibérément et directement la mort.

3) La fraternité, c’est-à-dire la solidarité de personnes qui partagent la même condition mortelle et la vulnérabilité commune, et qui sont désireuses de s’aider mutuellement dans l’affrontement à la maladie, la souffrance, la mort. Il faut analyser la cause qu’est devenu le cas de « Monsieur Vincent Lambert » selon l’exigence de fraternité. D’une part, il n’y a pas de solidarité pour la mort. Convoquer les médecins pour répondre à une demande de mort, c’est les instrumentaliser, c’est dévoyer leur mission de soignants. D’autre part, l’arrêt de l’alimentation et l’hydratation artificielle sans recueil de sa volonté, hors contexte de fin de vie et sans motif médical grave, signifie indirectement à tous ceux qui partagent sa condition qu’ils sont indésirables. Il est devenu impossible de dissocier les cas. Les proches des patients en état pauci-relationnel ou en état d’éveil non-répondant ne peuvent manquer d’interpréter ainsi la décision même si ce n’est pas ce que dit la loi. « Monsieur Vincent Lambert » est devenu l’emblème de l’exigence du soin du plus faible et des difficultés intrinsèques aux cas limites de la réanimation. La déclaration des évêques de France du 22 mars 2018 dit bien cette exigence de la fraternité face aux menaces de l’euthanasie sur les personnes et sur le tissu social : « Fin de vie : oui à l’urgence de la fraternité ! »[1]

Comment résumer la position de l’Eglise sur les deux lois Leonetti ? Considère-t-elle la sédation profonde et continue, avec arrêt des traitements, jusqu’au décès, comme une euthanasie déguisée ?

L’Eglise de France a salué le travail de la loi Leonetti qui reprenait des éléments importants de l’éthique catholique :

1) Le refus de l’euthanasie,

2) La reprise du principe de double-effet déjà codifié par Thomas d’Aquin au XIIIème siècle afin d’autoriser, dans certaines conditions, le soulagement de la souffrance au risque d’abréger la fin de vie.

3) La reprise du principe du refus de l’acharnement thérapeutique déjà codifié au XVIème siècle sous la forme de l’absence d’obligation, en fin de vie, de prendre des moyens extraordinaires pour prolonger la vie. C’est ce que la loi Leonetti appelle « le refus de l’obstination déraisonnable ».

4) L’exigence de développement des soins palliatifs.

La loi Claeys-Leonetti a été votée comme l’extrême limite au-delà de laquelle l’euthanasie est légalisée. Ce n’est pas, comme la première, une loi de consensus mais une loi de compromis. Dans le cadre de la précédente loi, la sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPCJD) étaient déjà pratiquée avec discernement dans des services de soins palliatifs. Ce qui a changé, c’est sa présentation comme un « nouveau droit » selon des critères restrictifs qui, aux yeux de ceux qui ne prennent pas le temps de l’analyse, aussi bien chez les médecins que dans le grand public, sont compris comme trop limités ou trop délicats à appliquer. La loi Claeys-Leonetti souffre d’un déficit d’explication et de formation aussi bien dans le corps médical que dans le corps social tout entier. Elle peut être perçue par ceux qui n’ont pas pris le temps de l’analyse juridique et de l’analyse en situation dans des services compétents, comme une sorte de droit général (« j’ai droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès ! ») ou comme une euthanasie déguisée ou comme une horrible hypocrisie (« vous faites mourir les personnes de faim et de soif ! »).

Ces difficultés peuvent expliquer les divisions d’appréciation de la loi Claeys-Leonetti dans le monde catholique et entre les bioéthiciens très attachés au refus de l’euthanasie. Si la loi n’est pas expliquée aux citoyens et si le développement des soins palliatifs et de la formation des médecins, infirmiers et infirmières n’est pas assuré par les pouvoirs politiques, alors la loi apparaîtra effectivement et inéluctablement comme une préparation à l’acceptation de l’euthanasie. Les gouvernements et les médecins portent à cet égard une lourde responsabilité.

Je crois que nous pouvons encore échapper à ces déficiences qui conduiraient à l’acceptation de l’euthanasie. Les associations de soins palliatifs et les associations de patients jouent un très grand rôle. Elles montrent que l’enjeu est globalement celui de la qualité de considération et de soin des personnes malades et diminuées, et la qualité des liens de fraternité qui unissent les citoyens. J’espère que la crise du lien social que nous vivons depuis des mois nous rendra plus attentifs à l’importance du lien médical et du lien politique de la fraternité.

Dans l’intrication du cas, de l’affaire et de la cause, « Monsieur Vincent Lambert » ne doit pas être réduit à la cause d’une liberté bafouée ; il demeure aussi le témoin d’une exigence de fraternité et du respect des plus fragiles. Il me semble que c’est ce qu’a voulu signifier dans sa déclaration récente le Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH). Il n’aurait pas pu se prononcer ainsi si « Monsieur Vincent Lambert » avait été en fin de vie.

Dans la complexité de la situation, que faire ? Seule la mort non provoquée peut dénouer cette situation tragique et les accusations mutuelles où s’enferment tous les protagonistes. « Monsieur Vincent Lambert » n’appartient à personne ; il n’est pas à disposition pour défendre une cause. Continuer à prendre soin de lui, sans obstination déraisonnable, signifie qu’il est un indisponible. Le transférer dans une unité spécialisée pour les patients cérébrolésés serait une décision de sagesse… afin que personne ne s’empare du tragique.

Père Bruno Saintôt, directer du département Éthique biomédicale des facultés jésuites de Paris, le 13 mai 2019 à 09h42

[1] Evêques de France, « Fin de vie : oui à l’urgence de la fraternité ! », 22 mars 2018


Source : ethique-soin.blogs.la-croix.com/

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20190513-article-bruno-saintot.html




 

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14 mai 2019 2 14 /05 /mai /2019 00:34

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Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190511-vincent-lambert-fdv2019cm.html



Déclaration de Mgr Éric de Moulins-Beaufort et de Mgr Bruno Feillet sur Vincent Lambert le 13 mai 2019



Le médecin du CHU de Reims a annoncé à la famille Lambert l’arrêt des soins la semaine du 20 mai 2019. Le Conseil d’Etat avait validé fin avril la décision médicale d’interrompre les traitements de M. Vincent Lambert, en état pauci-relationnel depuis dix ans. Monseigneur Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et Monseigneur Bruno Feillet, évêque auxiliaire de Reims, ont réagit à cette annonce.

Il y a quelques semaines, déjà, le Conseil d’État a validé juridiquement la décision prise par l’équipe du secteur des soins palliatifs du CHU de Reims quant à M. Vincent Lambert. Cette équipe est donc confirmée dans sa responsabilité d’interrompre l’alimentation et l’hydratation de M. Lambert selon ce qu’elle jugera convenable. Le Dr Sanchez a annoncé à la famille son intention d’appliquer sa décision dans la semaine du 20 mai. La mort de M. Lambert est donc scellée, quoi qu’il en soit des recours tentés par ses parents.

Beaucoup s’inquiètent de la conclusion ainsi donnée à ce qui a été « l’affaire Lambert ».

Comme archevêque de Reims et comme évêque auxiliaire de Reims, avant tout nous prions pour M. Vincent Lambert, pour son épouse, pour sa fille, pour ses parents, ses frères et sœurs et pour tous ses amis. Nous prions aussi pour les médecins, le personnel infirmier et soignant du CHU de Reims qui, depuis des années, se sont occupés de lui. Nous prions également pour ceux qui ont eu et qui ont encore à décider de son sort. Nous remercions les membres de l’aumônerie qui lui ont rendu visite régulièrement tant que cela a été possible.

La situation médicale et humaine de M. Vincent Lambert est singulièrement complexe. Déterminer la prise en charge adaptée dans son cas n’est pas simple. Tout jugement à son propos est délicat. Ce qui a été vécu autour de M. Lambert est unique et ne devrait pas être transposé à d’autres cas. Face à de telles situations, aucune décision humaine ne peut être assurée d’être parfaite, ni même d’être la meilleure. Une société doit savoir faire confiance au corps médical et respecter la décision collégiale des médecins engageant leur responsabilité professionnelle et humaine ; les médecins, de leur côté, doivent accepter de prendre en compte les avis des proches et de nourrir leurs décisions d’une réflexion éthique sur la responsabilité des êtres humains les uns à l’égard des autres.

Les spécialistes semblaient s’accorder cependant sur le fait que M. Vincent Lambert, si dépendant soit-il depuis son accident, n’est pas en fin de vie.  Tout en saluant l’engagement des équipes du CHU de Reims, on peut s’étonner que M. Lambert n’ait pas été transféré dans une unité spécialisée dans l’accompagnement des patients en état végétatif ou pauci-relationnel.

Il appartient à la condition de l’homme et à sa grandeur d’avoir à mourir un jour. Il est bon de s’en souvenir en un temps où certains réclament le droit de mourir quand et comment ils le choisissent tandis que des prophètes du transhumanisme annoncent la fin de la mort.

Mais c’est l’honneur d’une société humaine que de ne pas laisser un de ses membres mourir de faim ou de soif et même de tout faire pour maintenir jusqu’au bout la prise en charge adaptée. Se permettre d’y renoncer parce qu’une telle prise en charge a un coût et parce qu’on jugerait inutile de laisser vivre la personne humaine concernée serait ruiner l’effort de notre civilisation. La grandeur de l’humanité consiste à considérer comme inaliénable et inviolable la dignité de ses membres, surtout des plus fragiles.

Nos sociétés bien équipées se sont organisées pour que les personnes en situation « végétative » ou pauci-relationnelle soient accompagnées jusqu’au bout par des structures hospitalières avec des personnels compétents. Leurs familles et leurs amis ont aussi vocation à accompagner l’un de leurs en une telle situation. La confiance mutuelle entre ces personnes diverses est le fondement nécessaire d’un bon accompagnement. Beaucoup font l’expérience que cet accompagnement, tout en étant éprouvant, contribue à les rendre plus humains. Le devoir de la société est de les aider.

Nous prions encore et nous invitons à prier pour que notre société française ne s’engage pas sur la voie de l’euthanasie. Nous rendons grâce à Dieu pour ceux et celles qui sont quotidiennement les témoins de la grandeur de tout être humain menant sa vie jusqu’à son terme.

Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, et Mgr Bruno Feillet, évêque auxiliaire de Reims, le 13 mai 2019


Source : eglise.catholique.fr/

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20190513-article-eric-de-moulins-beaufort.html
 

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13 mai 2019 1 13 /05 /mai /2019 03:50

« Ô vous (…), les allongés, les promis à la mort, les sans force et sans pouvoir, à tout être humain vivant, il est permis d’être le sel de la terre. (…) Il lui suffit, dans l’océan de trouble et de douleur, d’une goutte de cette eau pure. (…) Tel est le mot de la divine douceur, le premier et le dernier, elle ne dit rien d’autre : il n’y a pas de bouche inutile. » (Maurice Bellet, 1987).


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Depuis deux semaines, une série de "rebondissements" (je n’aime pas ce terme car ce n’est pas une série policière, ni une affaire judiciaire, il y a la vie d’une personne en jeu) a placé Vincent Lambert dans une situation de danger de mort imminente. J’ai déjà beaucoup évoqué la situation de Vincent et mon dernier article concernait le rejet du recours au Conseil d’État annoncé le 24 avril 2019.

Avant de donner la chronologie de ces deux dernières semaines, je voudrais d’abord évoquer la manière dont les médias parlent de cette information. Pour la plupart, très mal, mais sans doute plus par négligence que par idéologie, en reprenant simplement les dépêches des agences de presse auxquelles ils sont abonnés.

Il y a deux manières qui sont particulièrement écœurantes dans la plupart des informations diffusées.


Une information tendancieuse ?

D’une part, il est généralement rappelé non pas la religion des parents de Vincent Lambert, mais un jugement de valeur sur celle-ci. Beaucoup indiquent en effet qu’ils sont des "catholiques intégristes". Personnellement, je ne sais pas ce que cela veut dire, cette expression qui est déjà un oxymore ("catholique" voulant dire "universel"). Qui au juste se permet de qualifier d’intégristes des catholiques ? A priori, les catholiques mais certainement pas ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette religion. Ou alors, il y aurait des faits "extrêmes" qui permettraient de les qualifier ainsi, par exemple, un acte hors-la-loi, voire un crime. Rien de tel pour les parents de Vincent.

Non, l’idée générale d’insister sur leur religion (qu’ils n’ont par ailleurs jamais revendiquée, et jusqu’à l’adoption d’une loi contraire, la loi de 1905 leur permet de pratiquer le culte qu’ils veulent), c’est de discréditer toutes leurs actions, passées, présentes et futures, alors que celles-ci ne sont guidées que par une autre motivation, ils sont parents et parce qu’ils sont parents, ils aiment leur fils, et c’est par amour pour leur fils qu’ils veulent qu’il soit le mieux soigner possible, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, et évidemment, qu’il vive, car il n’est pas en fin de vie (j’y reviens plus loin).

Gageons que si les parents de Vincent étaient musulmans, on se garderait bien de l’indiquer à tout bout de dépêches, et encore moins de parler de "musulmans intégristes" (ou "fondamentalistes" ?) qu’on préfère garder (plus à raison ?) pour les activistes terroristes. "Catholique intégriste" est l’expression magique pour discréditer, c’est ainsi dans une société déchristianisée qui se trompe de combat.

D’autre part, on parle souvent de "l’état végétatif" de Vincent. Là aussi, cette expression me donne la nausée. Pour excuser les médias, certains papiers officiels (judiciaires, médicaux) utilisent aussi cette expression mais que je considère à tort. Dire que Vincent Lambert est en "état végétatif", c’est dire qu’il est une plante. Personnellement, je n’ai rien contre les plantes (j’aime offrir des fleurs à mes hôtes, encore que dans ce cas, je pourrais être accusé de les décapiter), mais je fais une toute petite différence entre elles et les humains. Vincent est un être humain comme plus de sept milliards vivant actuellement sur cette Terre, et comme des dizaines, peut-être des centaines de milliers d’entre eux sur cette Terre, il est dans un état de conscience pauci-relationnel, c’est-à-dire dans un état de conscience dit minimal, à savoir qu’il ne peut pas s’exprimer. Cela ne veut pas dire qu’il ne pense pas, qu’il ne ressent rien. Malgré sa situation de grande faiblesse, Vincent est un humain, et à ce titre, il porte sa dignité, intrinsèquement parce qu’il est un humain.

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En parlant sans arrêt d’un "état végétatif", on retire à Vincent son humanité, on lui nie l’humanité. Et à travers lui, bien entendu, tous ceux (ils sont mille sept cents en France) qui sont victimes du même état que lui. En lui retirant cette humanité, on affranchit sa conscience de certains scrupules, comme cette idée qu’il suffit d’éliminer le mal en éliminant la personne qui le porte. Il n’y a pas si longtemps (deux ou trois générations), on retirait aussi cette humanité à certaines catégories humaines pour pouvoir mieux les éliminer, en conscience. La comparaison s’arrête là.

J’ajoute une troisième méconnaissance du sujet par les médias en général. J’ai lu par exemple hier sur une chaîne d’information que Vincent Lambert était (en substance) "un symbole du débat sur la fin de vie". Double erreur, mais toujours aussi excusable, je l’admets. Première erreur : Vincent n’est pas un "symbole", il est "seulement" une personne, un être humain. Il est un, unique être, mais le "seulement" veut dire aussi qu’il est bien plus qu’une simple "idée", qu’un simple "symbole" : il n’est pas un débat, il n’est pas une polémique, il n’est pas une affaire (judiciaire), il est uniquement un être humain, avec son unicité, avec son exclusivité, avec sa spécificité, et surtout, avec sa dignité. Seconde erreur : il n’est pas en fin de vie, il est dépendant, il est en situation de dépendance.

En d’autres termes, la situation de Vincent ne devrait pas nous faire réfléchir sur la fin de vie (il a prouvé depuis au moins six ans, en fait, depuis plus de dix ans, qu’il n’était pas en fin de vie, puisqu’il vit toujours, si la fin de vie dure aussi longtemps, autant dire aux bébés qui viennent de naître qu’il sont en processus de fin de vie, ce qui, au fond, est un peu vrai), mais sur la dépendance.

Or, cette situation de dépendance (dépendre de l’autre pour vivre), elle est commune à plusieurs millions de Français (je ne parle pas des autres, je n’ai pas les statistiques). Une dépendance due à l’âge, à la maladie ou à la situation de handicap. Et clairement, la situation de Vincent correspond à celle du handicap, ce n’est pas à cause de son âge (42 ans), pas à cause de la maladie : à part les fonctions basiques nécessaires à tout être, y compris bien-portant, à savoir manger, boire, se laver, etc., Vincent ne reçoit aucun soin particulier car il n’est pas malade.

Cette situation de dépendance est pour beaucoup une situation de cauchemar, et c’est un sentiment justifié : cauchemar pour les personnes qui accompagnent la personne dépendante (au point que la moitié des accompagnants, qu’on appelle juridiquement "proches aidants" meurt avant la personne qu’ils accompagnent) ; cauchemar aussi, évidemment, pour la personne dépendante. On imagine que ce sentiment d’enfermement est difficile à vivre, mais préfère-t-on pour autant mourir ?

Avant la chronologie des "événements" récents, je poursuis ici par un rappel de la loi.


Ce que la loi dit

Il y a plusieurs lois qui "gèrent" les relations entre les patients et leurs médecins. Je ne refais pas tout l’historique (on peut le retrouver aisément sur la Toile et je l’ai déjà fait il y a quelques années), mais disons pour simplifier que depuis le début des années 2000 (à l’époque, c’était Bernard Kouchner le Ministre de la Santé), on a voulu très justement donner du pouvoir, et donc, des droits, aux patients face à la "toute-puissance" de la "médecine". C’est normal qu’il n’y ait pas une égalité entre médecin et patient, l’un est faible et malade, l’autre le soigne, et quasi-unanimement, avec conscience et professionnalisme. C’est comme dans la relation entre enseignant et élève : l’un est ignorant, l’autre a la connaissance et lui transmet.

Cette inégalité fonctionnelle n’empêche cependant pas de mettre quelques garde-fous. Or, la plus grande folie, dans ces relations, c’était "l’acharnement thérapeutique", à savoir, vouloir continuer à soigner un malade alors qu’on sait qu’il ne guérira plus et que la maladie le conduira inexorablement à la mort. Cette expression se retrouve juridiquement avec une autre expression, "obstination déraisonnable". Elle exprime mieux l’idée, car l’acharnement thérapeutique peut être salutaire : vouloir soigner à tout prix même si l’on croit qu’il n’y a plus rien à faire, et finalement, gagner, réussir à guérir. L’acharnement peut donc être raisonnable. En parlant d’obstination déraisonnable, on introduit certes un critère subjectif (c’est difficile de dire si c’est raisonnable ou pas face à un juge), mais on exprime mieux l’idée de ce qu’on ne veut plus voir, et le "on", c’est (je me risque) 100% de la population.

Dans les premiers droits accordés aux patients, et cela il y a quasiment deux décennies, ce fut le droit d’accès au dossier médical (ce droit, finalement, est un cas particulier du droit d’accès à toutes les informations personnelles, renforcé par la récente directive européenne applicable à partir de mai 2018), donc, le droit de savoir la vérité sur sa propre maladie, par exemple, et ce fut aussi un autre droit essentiel, celui de la volonté du patient qui prime sur toutes autres considérations. Un malade peut, en conscience, refuser d’être soigné. Et là, il ne s’agit pas de fin de vie. Tout patient a le droit de refuser d’être soigné. En d’autres termes, on ne peut pas soigner par la contrainte, contre la volonté du patient. On voit que ce droit, qui me paraît respectueux du libre-arbitre de chacun, peut rivaliser avec d’autres considérations plus collectives, la politique la santé publique par exemple, notamment avec l’obligation de vaccination (un vaccin n’est efficace que si un seuil minimal de la part de population vaccinée est atteint).

Le problème vient, c’est celui de Vincent, lorsque la personne est dans l’incapacité à exprimer cette volonté. C’est à ce stade que la dernière loi sur la fin de vie, la loi Claeys-Leonetti promulguée en 2016, dont j’ai longuement présenté l’élaboration en 2015 et 2016, a systématisé ce qu’il y avait déjà dans la loi précédente (loi Leonetti, en 2005), à savoir les directives anticipées et la désignation d’une personne de confiance. Les directives anticipées, c’est de dire, en bonne santé, en état de le dire, ce qu’on voudrait ou ce qu’on ne voudrait pas dans le cas où, malade, ou en fin de vie, on ne serait plus en état de dire.

Cette déclaration peut évidemment être régulièrement mise à jour en fonction aussi des évolutions, réflexions de la personne, et si elle n’est pas très satisfaisante car ce ne sont que des volontés "théoriques" (tant qu’on est en bonne santé, on reste plutôt pour le "tout ou rien"), c’est déjà mieux que rien pour imaginer la volonté du patient. Enfin, avec ou sans directives anticipées, on peut également, avant tout problème de santé, désigner une personne dite de confiance qui parlera au nom de soi pour ces considérations de fin de vie. À condition, bien sûr, que cette personne soit encore dans la capacité à en parler mieux que soi le cas échéant, et comme les directives anticipées, on peut évidemment changer de personne de confiance au fil de la vie (par exemple, en cas de changements dans le foyer).

Très peu de monde a rédigé ses directives anticipées ou désigné sa personne de confiance. Parce qu’il y a eu au départ une absence de publicité sur le sujet (ce qui n’est plus le cas aujourd’hui), mais aussi parce qu’il est toujours difficile de se projeter dans une situation qui peut terrifier, qu’on peut rejeter d’office, ou alors, qu’on n’imagine pas du tout (cela ne concerne que les autres). Comme toute réflexion à froid sur la mort, elle est rare (souvent, on réfléchit à la mort quand on est touché, confronté de près). Réfléchir à froid paraît pertinent, mais tout le monde ne le peut pas, ne le souhaite pas. Dans ce domaine de l’anticipation ou non-anticipation, tout est respectable, car cela touche à l’ultra-intime.

La loi Claeys-Leonetti propose, dans le cas d’une interrogation au sujet d’un patient qui serait en fin de vie, mais dans l’incapacité à exprimer sa volonté, lui-même ou par délégation (directives anticipées, personne de confiance), des conditions pour arrêter les soins : il faut qu’il y ait une obstination déraisonnable. Je le répète, j’insiste, cette expression est le résultat d’un consensus issu d’un long processus rédactionnel au Parlement (qui a adopté la loi à la quasi-unanimité). Elle vise à arrêter des soins inefficaces, en quelques sortes, et à proposer au patient non pas de soigner la maladie, mais seulement les souffrances qu’elles occasionnent (ce qu’on appelle les soins palliatifs, afin que ce qui reste à vivre, a priori bref, soit dans le meilleur confort possible, et à 99% des situations, la pharmacologie peut le faire).

Une autre condition pour arrêter les soins, c’est qu’il y ait souffrance. C’est, je pense, le meilleur droit conquis par le patient : il ne faut plus qu’il souffre. C’est le but de la loi. Et précisons pour ceux qui ne sont pas vraiment au clair avec la religion catholique (entre autres) qu’aucun prêtre n’a jamais promu la souffrance comme source de rédemption à notre époque. Tous veulent au contraire son abolition, comme le reste de leurs contemporains. Techniquement, plutôt, physiologiquement, la souffrance a l’intérêt de signaler un "défaut" dans le corps. Dès que ce "défaut" (ou défaillance) est connu, la souffrance devient complètement inutile, et heureusement, les connaissances médicales actuelles permettent sa suppression (soins palliatifs).

Particulièrement en rapport avec la situation de Vincent Lambert, la loi Claeys-Leonetti a inclus dans les "soins" l’hydratation et l’alimentation. Il aurait fallu probablement considérer qu’elles pourraient être considérées comme des soins à la condition qu’elles ne soient pas les seuls soins. En revanche, il ne faut pas craindre la faim et la soif, dans la mesure où le corps est mis sous sédation profonde, ce qui fait qu’il ne ressent aucune souffrance que pourraient provoquer la faim ou la soif. Dans la plupart des situations extrêmes concernées, le corps lutte de toute façon pour autre chose, bien plus cruciale (maintenir le cœur, garder chaud le cerveau, etc.).


Vincent Lambert n’est pas en fin de vie

Comme on le voit, la situation de Vincent serait plus "simple" si Vincent pouvait dire : "je ne veux plus de cette vie d’enfermement, libérez-moi !". Dans ce cas, c’est la volonté du patient d’arrêter les soins qui l’emporte, mais sans rapport avec la loi sur la fin de vie. C’est en tout cas ce que beaucoup de monde semble vouloir lui prêter comme volonté. Or, ce n’est probablement pas le cas. Vincent s’est accroché à la vie au printemps 2013 lors de la première tentative d’arrêt de son alimentation. Pendant plus d’un mois, il a survécu, mais à l’époque, il bénéficiait encore d’une hydratation. La nouvelle loi permet désormais arrêter aussi l’hydratation, si bien qu’il aura beau vouloir s’accrocher à la vie, il mourra quand même (et rapidement) si on arrête de l’hydrater.

Dans le rapport d’expertise en novembre 2018, commandé par les juges eux-mêmes, même si cette expertise était très critiquable (car les experts n’ont pas procédé comme le font les spécialistes pour analyser la situation médicale de Vincent, en particulier, aucun spécialiste n’aurait évoqué le caractère irréversible d’une situation qu’on connaît encore mal), les experts ont quand même affirmé que, d’une part, Vincent ne souffrait pas et qu’il n’y avait donc aucune urgence médicale, et d’autre part, le maintien en vie, ou plutôt, le maintien des soins ne constituait pas une obstination déraisonnable. En ce sens, les experts ont clairement indiqué que la loi Claeys-Leonetti ne pouvait pas s’appliquer à la situation de Vincent Lambert.

Dans les décisions des juges, que ce soit le 31 janvier 2019 par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, et le 24 avril 2019 par le Conseil d’État, j’ai l’impression que l’argumentation a toujours été la même, se basant uniquement sur la volonté de Vincent Lambert. Pourtant, nul ne peut la définir et nul n’est habilité à la donner à sa place. Aucune directive anticipée n’a été rédigée, aucune personne de confiance n’a été désignée (pourtant, il était lié professionnellement au milieu médical et devait être plus sensibilisé que la moyenne), et le seul élément, c’est la parole de son épouse contre la parole des parents. Son épouse, qui n’avait jamais évoqué cette supposée volonté d’en finir de Vincent entre 2008 (date de son accident) et 2013, affirme seulement à partir de 2013 qu’il lui avait confié qu’il ne souhaiterait pas vivre cette vie et préférerait en finir.

Je crois que l’hypothèse de la volonté de Vincent, impossible à établir, ne peut pas être considérée comme certaine. La seule option possible pour déterminer cette volonté présumée, cela aurait été si elle avait été établie dans le cadre d’un consensus de l’entourage. Or, justement, ce n’est pas le cas. La famille de Vincent s’oppose à son épouse à ce sujet. Le bénéfice du doute doit rester pour l’option la moins irréversible. Or, deux options sont actuellement "en lice" : l’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation, et donc, la mort à très court terme, ou le transfert de Vincent dans une unité spécialisée où il sera réellement soigné pour son grand handicap.

Car c’est là qu’on croit rêver : Vincent n’est pas soigné pour son handicap. Il n’a aucun soin de kinésithérapie. Pire : il est enfermé à clef dans sa chambre, ses parents, qui le visitent chaque jour, doivent donner, à chaque venue, leur carte d’identité pour venir le voir. Il ne sort jamais de sa chambre, il n’a même pas un fauteuil roulant pour qu’il puisse être promené dans un jardin, ou dans d’autres lieux. Il est surtout dans le mauvais service, il est en soins palliatifs, alors qu’il n’est pas en fin de vie, il est en situation de grand handicap. Plusieurs établissements spécialisés ont déjà proposé qu’ils pourraient l’accueillir, mais l’hôpital refuse (obstinément) tout transfert. Il est là, le cauchemar de Vincent. Pourquoi refuse-t-il le transfert alors qu’il refuse de maintenir les soins ?

Car Vincent Lambert n’est pas à débrancher. Il n’a aucun tuyau. Il vit tout seul. Il ne coûte pas très cher à la collectivité, mis à part son lit. Il respire tout seul, sans machine. Son cœur bat tout seul, sans machine. Son cerveau n’est pas un légume : toutes les fonctions cérébrales fonctionnent, sauf la capacité à entrer en relation avec les autres. Il a même montré des signes timides de déglutition, certes insuffisants mais cela signifie qu’il n’a pas perdu le réflexe de déglutition. Sans être stimulé, il ne peut guère avoir des améliorations de son état. Sa seule dépendance, qui le range aussi parmi les bébés, les vieillards, et les personnes à situation de handicap, c’est qu’il a besoin qu’on le nourrisse et qu’on l’hydrate, à cause de sa déglutition. D’ailleurs, les parents de Vincent avaient pu l’accueillir dans leur maison de la Drôme, en novembre 2012, sans aucune surveillance médicalisée, lorsqu’ils n’habitaient pas encore près de son hôpital, avant les tentatives d’arrêt des soins.

J’en viens à cette petite chronologie récente pour bien comprendre la situation actuelle.


Les derniers événements

Le 24 avril 2019, le Conseil d’État a rejeté le recours contre l’arrêt du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 31 janvier 2019. Les parents de Vincent font alors deux recours, ou plutôt deux fois deux recours.

Un double recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui est une instance juridiquement supérieure aux instances nationales concernant le respect des droits de l’homme, et l’un des droits les plus élémentaires, le plus élémentaire, c’est le droit à la vie. C’est pour la défense de ce droit que Robert Badinter a fait voter l’abolition de la peine de mort et qu’il s’oppose de toutes ses forces à l’euthanasie. Le droit à la vie est le premier des droits (voir aussi la déclaration de Genève à la fin de cet article).

Dans ce double recours, il y a un recours sur le fond, qui nécessite du temps pour instruire la réflexion, mais il y a aussi un recours sur la procédure : pendant le temps de cet examen, il a été demandé à la CEDH qu’elle demande à la France de ne pas arrêter les soins. Or, à la stupéfaction de toute personne logique, la CEDH a rejeté très rapidement, dès le 30 avril 2019, ce premier recours, ce qui laisse entendre qu’elle connaît déjà sa conclusion. En clair, elle dit à la France : je vais étudier pendant plusieurs mois voire années si l’arrêt des soins de Vincent constitue ou pas une atteinte aux droits de l’homme, mais en attendant, vous pouvez quand même arrêter les soins. Si je dis que c’est une violation des droits humains à la fin, ce sera tant pis, puisque Vincent ne sera plus là.

Heureusement, et c’est le changement par rapport à 2014, parallèlement au recours devant la CEDH, les parents de Vincent ont fait un autre double recours au Comité international des droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH). La France a ratifié le 10 février 2010 la Convention des droits des personnes handicapées. Or, dans sa sagesse, le CIDPH a accepté le 3 mai 2019 la requête sur les mesures provisoires, à savoir, de ne pas arrêter les soins de Vincent avant la fin de l’examen du recours pour « éviter qu’un dommage irréparable ne soit causé aux victimes de la violation présumée ». Le CIDPH a donc demandé à la France de donner son point de vue d’ici à six mois et lui a ordonné de ne pas arrêter les soins pendant ce temps d’examen.

Ensuite, hors de toute procédure judiciaire, il y a eu deux déclarations particulièrement choquantes et effrayantes, qui peuvent avoir de graves conséquences.

La première est une déclaration de la Ministre de la Santé Agnès Buzyn, interrogée sur LCI le 5 mai 2019. Elle a énoncé beaucoup d’approximations et d’inexactitudes, ce qui laisse penser qu’elle est partiale. Ainsi, elle a dit : « Les parents de Vincent Lambert se sont retournés vers ce comité qui s’occupe des personnes handicapées et non des personnes en état végétatif comme Vincent Lambert. ».

D’une part, le recours au CIDPH n’est pas consécutif à la réaction de la CEDH mais a été fait parallèlement au recours à la CEDH. En revanche, le CIDPH a dû réagir vite dès lors que la CEDH donnait le feu vert pour l’arrêt immédiat des soins. D’autre part, les médecins-conseils des parents ont rappelé à la ministre : « Les patients en état de conscience altérée ont des séquelles motrices et intellectuelles secondaires à des lésions cérébrales acquises lors d’un accident ou d’un AVC. Leur état peut rester stable, sans intervention médicale lourde, pendant de nombreuses années. Ils sont donc bien handicapés au sens médical et juridique. ».

Agnès Buzyn a également déclaré : « Aujourd’hui, juridiquement parlant, tous les recours sont arrivés au bout, et toutes les instances juridictionnelles, qu’elles soient nationales ou européennes, confirment le fait que l’équipe médicale en charge de ce dossier est en droit d’arrêter les soins. ».

Là encore, beaucoup d’approximations, et c’est curieux de considérer que Vincent Lambert n’est qu’un "dossier". Le plus frappant, c’est la reprise de ce que les médias en général ont donné (mal), à savoir l’information concernant la décision de la CEDH : le CEDH n’a pas rejeté la requête des parents sur le fond, mais seulement celle concernant les mesures provisoires (maintenir en vie Vincent pendant l’examen de la requête). Donc, il est faux de dire que la CEDH a rejeté le recours des parents, d’autant plus faux qu’il paraîtrait invraisemblable que cette cour si occupée ait pu répondre en moins de six jours à une telle requête ! De plus, le CIDPH va aussi examiner le recours des parents et il n’y a donc pas d’arrêt de procédure judiciaire. Si, malgré cela, la vie de Vincent venait à être menacée, la responsabilité de l’État et de l’hôpital de Reims pourrait être mise en cause.

Le dernier point des déclarations d’Agnès Buzyn fut le suivant : « Nous ne sommes pas tenus par ce comité légalement, mais bien entendu, nous prenons en compte ce que dit l’ONU et nous allons leur répondre. ».

Pourtant, dans l’article 4 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, la France a accepté de se soumettre à la juridiction du CIDPH qui a donc légalement le droit d’ordonner à la France de ne pas arrêter les soins tant que l’examen de la requête n’est pas terminé.

Les deux avocats de la famille, Me Jean Paillot et Me Jérôme Triomphe, ont répondu à la ministre ainsi : « Le CIDPH (…) a été créé par une convention internationale que la France a ratifiée le 10 février 2010 en acceptant librement de se soumettre aux obligation en découlant (…). Conformément au droit international, les mesures provisoires demandées par le CIDPH sont juridiquement contraignantes. (…) Ces propos irresponsables masquent mal l’embarras du Ministre de la Santé face à ce fiasco éthique, médical, humain et judiciaire qu’est devenue l’affaire Lambert. ».

La seconde déclaration a encore plus de conséquence puisque, piétinant odieusement la demande de l’ONU, le médecin traitant de Vincent a annoncé le 10 mai 2019, par une lettre aux parents de Vincent, qu’il procéderait à l’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation de Vincent dans la "semaine du 20 mai 2019" (cette information a été diffusée le 11 mai 2019). Et cela malgré la décision du CIDPH.


Violer le droit international tout en bafouant le droit de Vincent à vivre ?

Les avocats de la famille de Vincent ont communiqué ainsi le 11 mai 2019 : « Dès cette annonce du docteur Sanchez, la famille a découvert la mise en place par le CHU de Reims d’un plan Vigipirate contre on ne sait quels terroristes. Si cette décision était exécutée, Vincent Lambert mourrait en quelques jours, entouré probablement de forces de l’ordre en nombre, et le docteur Sanchez pourrait remettre à Viviane Lambert un fils mort pour la fête des mères le 26 mai prochain. C’est au mépris des mesures provisoires ordonnées par l’ONU le 3 mai 2019 au profit de Vincent Lambert, handicapé, vulnérable et sans défense, que le docteur Sanchez a décidé qu’il mourrait dans le couloir de la mort dans lequel il est enfermé à clés depuis des années. ».

Et le communiqué se poursuit ainsi (j’ai mis moi-même en gras pour souligner la phrase essentielle) : « Les experts judiciaires désignés ont pourtant clairement affirmé que Vincent Lambert n’était pas en situation d’obstination déraisonnable. Il s’agit en fait de l’euthanasie d’une personne handicapée pour la seule raison qu’elle est handicapée. Il n’y a aucune urgence médicale à arrêter l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert et rien ne justifie une violation aussi éhontée du droit international et des mesures provisoires réclamées par l’ONU. Comment la France peut-être prétendre prendre la Présidence du Conseil de l’Europe le 24 mai prochain quand elle viole aussi délibérément les traités qu’elle ratifie, qui plus est à la veille des élections européennes ? Quel message pour les Français et pour la communauté internationale ! Nous en appelons dès à présent au Défenseur des droits, qui a été chargé par la France de veiller à l’application stricte de la Convention internationale des droits des personnes handicapées. Nous en appelons également au Président de la République qui est le garant de la parole donnée de la France pour que notre pays ne se déshonore pas. » (11 mai 2019).

Pour finir ce triste exposé, je rappelle un extrait de la Déclaration de Genève adoptée en septembre 1948 par l’assemblée générale de l’Association médicale mondiale, dans sa version modifiée en octobre 2017 à Chicago, équivalent moderne du Serment d’Hippocrate que tout médecin doit faire sienne : « En qualité de membre de la profession médicale, je prends l’engagement solennel de consacrer ma vie au service de l’humanité ; je considérerai la santé et le bien-être de mon patient comme ma priorité ; je respecterai l’autonomie et la dignité de mon patient ; je veillerai au respect absolu de la vie humaine ; je ne permettrai pas que des considérations d’âge, de la maladie ou d’infirmité, de croyance, d’origine ethnique, de genre, de nationalité, d’affiliation politique, de race, d’orientation sexuelle, de statut social ou tout autre facteur s’interposent entre mon devoir et mon patient (…). ». "Je veillerai au respect absolu de la vie humaine". Tout y est dit…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 mai 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Les illustrations sont des œuvres de l’artiste Egon Schiele.


Pour aller plus loin :
Vincent Lambert, sa vulnérabilité et son droit à la vie bafoué.
Le destin tronqué de Vincent Lambert.
Vincent Lambert entre la vie et la mort.
La tragédie judiciaire et médicale de Vincent Lambert.
Le retour de la peine de mort prononcée par un tribunal français.
Le livre blanc des personnes en état de conscience altérée publié par l’UNAFTC en 2018 (à télécharger).
Vincent Lambert et la dignité de tout être humain, des plus vulnérables en particulier.
Réglementation sur la procédure collégiale (décret n°2016-1066 du 3 août 2016).
Le départ programmé d’Inès.
Alfie Evans, tragédie humaine.
Pétition : soutenez Vincent !
Vers une nouvelle dictature des médecins ?
Sédation létale pour l’inutile Conseil économique, social et environnemental.
Vincent Lambert et Inès : en route vers une société eugénique ?
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking et la dépendance.
Le plus dur est passé.
Le réveil de conscience est possible !
On n’emporte rien dans la tombe.
Le congé de proche aidant.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Un fauteuil pour Vincent !
Pour se rappeler l'histoire de Vincent.
Dépendances.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".
Euthanasie ou sédation ?
François Hollande et la fin de vie.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Texte intégral de la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
Autre fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Chaque vie humaine compte.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20190511-vincent-lambert-fdv2019cm.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/vincent-lambert-sa-vulnerabilite-215038

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/05/07/37317037.html



 

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