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17 juin 2018 7 17 /06 /juin /2018 04:46

« Je guette la phrase annonçant la revanche. Soudain, j’entends ces mots inouïs : "C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat". La phrase suivante me fait comprendre le désastre irréversible (…). La guerre est donc finie, irrémédiablement perdue ? Tandis que ma mère s’affaisse entre les bras de mon beau-père, je me précipite vers l’escalier et monte dans ma chambre afin de dissimuler mes larmes. Jeté en travers du lit, je sanglote en silence. » ("Alias Caracalla", 15 mai 2009, éd. Gallimard).



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La phrase de la défaite annoncée par le maréchal Pétain le 17 juin 1940 a fait l’effet d’une bombe à désillusion chez Daniel Cordier. Dans son livre, il poursuit : « Ainsi, la France est morte sans que j’aie combattu ! Comment est-ce possible ? Ma patrie, l’orgueil de ma vie, la gloire de l’univers, désignée par Dieu pour défendre sa foi, pour répandre la civilisation, modèle du genre humain… Morte à jamais ? Je m’accuse de ne pas l’avoir aimée suffisamment, de ne pas lui avoir tout sacrifié puisque je suis en vie tandis qu’elle agonise. Ce malheur absolu me révèle combien j’aime mon pays. Brusquement, je me dresse : l’information qui m’a terrassé est un cauchemar sans fondement puisque la France est invincible. Les Boches seront impuissants si quarante millions de Français se lèvent contre eux. Il faut soulever le pays d’une fureur sacrée, l’organiser et combattre. Que peuvent quelques centaines de milliers de soldats allemands devant quarante millions de Français résolus ? Avant toute réflexion, une certitude : Dieu n’a pas abandonné la France ; c’est Pétain qui l’a trahie. Sous le couvert de sa gloire, il a dupé tout le monde, y compris Maurras. Le mythe du "vainqueur de Verdun" s’effondre : trop vieux. Il jette l’éponge alors que la victoire est à portée de main. (…) Comme nous avons eu raison, les jeunes, de nous moquer des anciens combattants radoteurs. Aujourd’hui, nous devons prendre la relève et montrer l’exemple : à nous de délivrer le pays. ».

Ce texte provient du précieux livre témoignage publié par Gallimard le 15 mai 2009. Presque 1 000 pages qui racontent comment le jeune militant maurassien devient gaulliste sans le savoir. Il n’a pas entendu de ses oreilles l’appel du 18 juin mais il en a entendu parler le lendemain et n’a eu plus qu’une seule obsession, après sa déception de Pétain et Maurras vendus à l’ennemi : rejoindre De Gaulle et continuer le combat. Ce qu’il fit. En devenant notamment le secrétaire particulier de Jean Moulin à Lyon entre le 25 juillet 1942 et le 21 juin 1943.

Il a rejoint l’Angleterre le 25 juin 1940. Sa première rencontre avec De Gaulle a eu lieu le 6 juillet 1940 à l’Olympia Hall à Londres : « Je demeure sur place, abasourdi. Désormais, mon chef est cet homme froid, distant, impénétrable, plutôt antipathique. ». Quelques minutes auparavant, l’homme distant lui avait dit, à lui et à ses compagnons : « Je ne vous féliciterai pas d’être venus : vous avez fait votre devoir. (…) Ce sera long, ce sera dur, mais à la fin, nous vaincrons. ». Il fallait vraiment être motivé ! Daniel Cordier l’était, assurément.

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Le 20 novembre 1944, ce fut donc logique que Daniel Cordier fût nommé compagnon de la Libération par De Gaulle, le seul titre dont il se sent fier, beaucoup plus que d’être grand-croix de l’ordre national de la Légion d’honneur (depuis le 31 décembre 2017). Il y a eu en tout et pour tout 1 038 compagnons de la Libération (dont seulement 6 femmes, 60 étrangers et 271 à titre posthume).

Depuis quelques jours, Daniel Cordier fait partie des cinq derniers survivants de ce cercle très restreint des héros qui ont sauvé la France. Il va avoir 98 ans le 10 août 2018 et est le "vice-benjamin". Depuis le 23 octobre 2017, successeur de Fred Moore, Daniel Cordier est chancelier d’honneur de l’ordre de la Libération (depuis le 16 novembre 2012, il n’y a plus de chancelier en titre car le conseil de l’ordre a été transformé en conseil national des communes "Compagnon de la Libération", par la loi n°99-418 du 26 mai 1999 et la loi n°2012-339 du 9 mars 2012). À ce titre, Daniel Cordier coprésidera ce lundi 18 juin 2018, à 11 heures, la cérémonie d’hommage au Mont-Valérien à l’occasion du 78e anniversaire de l’appel de De Gaulle. Aux côtés du Président de la République Emmanuel Macron.

Depuis quelques mois, il y a eu beaucoup de disparitions parmi les compagnons de la Libération : Yves de Daruvar (97 ans) le 28 mai 2018, Claude Raoul-Duval (98 ans) le 10 mai 2018, Constant Engels (97 ans) le 3 avril 2018, Jacques Hébert (97 ans) le 15 février 2018, Victor Desmet (98 ans) le 29 janvier 2018, Fred Moore (97 ans) le 16 septembre 2017, Alain Gayet (94 ans, le grand-père de Julie Gayet) le 20 avril 2017, etc.

Les quatre autres survivants sont Guy Charmot (né le 9 octobre 1914), Edgard Tupët-Thomé (né le 19 avril 1920), l’ancien ministre Hubert Germain (né le 6 août 1920) et Pierre Simonet (né le 27 octobre 1921). Daniel Cordier n’aimerait pas mourir le dernier car il ne tient pas à être enterré dans l’obscure crypte du Mont-Valérien en région parisienne, il espère plutôt rester dans le sud provençal.

Daniel Cordier est un héros tellement modeste et humble qu’après la guerre, il a complètement tourné la page. Il ne voulait pas devenir "ancien combattant" comme il avait subi ceux de la Première Guerre mondiale pendant son enfance : « Il était inimaginable de devenir à mon tour un ancien combattant. Alors, quand la guerre est terminée, elle a été terminée pour moi aussi. J’avais quel âge, déjà, en 1945 ? 25 ans… Eh bien, à 25 ans, voyez-vous, je ne voulais pas vivre dans le passé. À cet âge-là, c’est l’avenir qui m’intéressait. J’avais trop souffert d’être "prisonnier" de la guerre de 1914 pour vouloir reproduire ça après 1945. » ("Le Monde" du 9 mai 2018).

Traumatisé par la mort de son patron, Jean Moulin, qui lui a appris les rudiments sur l’art contemporain (qui était une couverture), Daniel Cordier s’est intéressé à ce domaine pendant une trentaine années de sa vie. Avant même la fin de la guerre et à la fin de sa mission en France le 21 mars 1944, pour regagner l’Angleterre, il a rejoint Madrid (non sans mal, emprisonné par Franco), ce qui lui a permis de visiter son premier musée, le Prado : Jean Moulin lui avait promis de visiter avec lui ce musée après la guerre pour lui montrer la peinture de Goya… Daniel Cordier est ensuite devenu peintre, galeriste et marchand d’œuvres d’art, impressionné par les toiles de De Staël, découvreur d’artistes au point d’avoir construit progressivement une collection très fournie qu’il a léguée au Centre Pompidou dès la création de celui-ci.

Tellement modeste alors qu’il aurait pu faire de la politique, à l’instar de bien des résistants, et se retrouver ministre, député, aux avant-postes du pouvoir. Tellement modeste qu’on a oublié de l’inviter le 19 décembre 1964, lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon (avec le fameux discours d’André Malraux), et lui-même n’a même pas été scandalisé par cet oubli.

Ce n’est qu’en 1977 que Daniel Cordier a refait surface dans "l’actualité des résistants", scandalisé par la publication d’un livre d’Henri Frenay ("L’Énigme Jean Moulin", chez Robert Laffont), qui considérait Jean Moulin comme un agent soviétique. Révolté par ces manquements à la vérité, Daniel Cordier s’est alors attelé à une très ambitieuse tâche, celle de raconter l’histoire réelle, celle qu’il a vécue.

Son travail fut tellement riche qu’il est l’un des rares historiens amateurs à avoir reçu la reconnaissance d’universitaires (comme Jean-Pierre Azéma, biographe de Jean Moulin). Daniel Cordier a passé beaucoup de temps à retrouver des archives, à faire la part des choses entre souvenirs personnels qui peuvent trahir la bonne foi et documents factuels. Au-delà de ses ouvrages très denses sur Jean Moulin (six volumes, dont quatre spécifiquement biographiques de 1 000 pages chacun) publiés de 1983 à 1999 chez Lattès et Gallimard, il a écrit une autobiographie qui a été un grand succès, "Alias Caracalla" chez Gallimard (Prix Renaudot 2009) ainsi que d’autres ouvrages. Mais on attend encore la suite pour "Alias Caracalla" car le premier tome s’arrête au 23 juin 1943.

Daniel Cordier explique d’ailleurs qu’il est assez lent et qu’il a encore quelques manuscrits à corriger ou à compléter : « En ce moment, je relis, je corrige, mais je fais ça à mon rythme, car j’ai quand même l‘âge que j’ai. » ("Le Monde" du 9 mai 2018).

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Il n’a jamais participé au débat politique, sauf lors de l’élection présidentielle de 2017 (entre les deux tours) où il a rencontré le candidat Emmanuel Macron le 2 mai 2017 à son QG de campagne pour lui apporter son soutien. Daniel Cordier fut l’un des invités d’honneur à la cérémonie d’investiture du Président Emmanuel Macron quelques jours plus tard, le 14 mai 2017. Il a été aussi honoré par François Bayrou le 17 novembre 2017 à Pau où il a habité avant de partir vers Londres.

Pourquoi parler de Daniel Cordier ? Parce qu’il a répondu à une longue interview publiée dans le journal "Le Monde" du mercredi 9 mai 2018. Si les propos, recueillis à Cannes (où il a déménagé après avoir quitté le centre de Paris) par le journaliste Thomas Wieder, n’ont révélé aucune information vraiment nouvelle sur Daniel Cordier, le plus intéressant est que cet entretien a intéressé tellement les lecteurs du journal que "Le Monde" a laissé ce numéro en kiosque jusqu’au samedi suivant. C’est plutôt rassurant de savoir que son message fait de l’audience.

Le plus intéressant de cette interview est son inquiétude sur l’antisémitisme qui persiste encore de nos jours. Lui-même a été antisémite lorsqu’il était jeune parce que tout acquis aux idées de Maurras.

Et il a expliqué comment cet antisémitisme lui est passé au début de l’année 1943 : « Arrivé à l’Arc de triomphe, l’horreur : tout autour de la tombe du Soldat inconnu, il n’y avait que des soldats allemands qui se prenaient en photo. C’était terrible… Je pensais encore à cela en descendant les Champs-Élysées quelques minutes plus tard quand, tout à coup, je croise un homme et un enfant, bien habillés, remontant vers l’Arc de triomphe. Ils avaient le mot "juif" et l’étoile jaune cousus sur leur veste. En vous le racontant aujourd’hui, j’ai envie de pleurer, tellement ça a été un choc. Oui, un choc ! C’était inacceptable. Là, d’un coup, je me suis dit : mais pourquoi ? Pourquoi ? Qu’ils soient Juifs ou pas, qu’est-ce que ça peut faire ? Je ne sais pas comment vous dire, mais ça a brisé d’un coup mon antisémitisme. Cela reste un moment unique de ma vie. » ("Le Monde" du 9 mai 2018).

L’assassinat de Mireille Knoll le 23 mars 2018 par antisémitisme l’a renvoyé brutalement soixante-quinze ans plus tard avec une grande tristesse et une certaine impuissance : « Que puis-je vous dire ? Je ne comprends pas qu’on en soit toujours là. Pour moi, c’est quelque chose de très douloureux. En parlant de ça aujourd’hui, je repense à mes camarades qui sont morts. Après la guerre, nous pensions que c’était fini, que ça ne recommencerait jamais plus. Et, au fond… c’est encore là. C’est terrible. » ("Le Monde" du 9 mai 2018).

Pourtant, Daniel Cordier reste optimiste, car son expérience lui a appris que « même quand tout paraît bouché, il peut rester un espoir. », au point même de nager dans une sorte de sérénité certainement enviable : « Aujourd’hui, je suis heureux, je suis même un vieux monsieur très, très heureux. Peut-être parce que je suis en règle avec moi-même, et surtout avec la vérité. » ("Le Monde" du 9 mai 2018).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (01er juin 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Interview de Daniel Cordier dans le journal "Le Monde" du 9 mai 2018 : "De Jean Moulin à la jeunesse d’aujourd’hui, la leçon de vie d’un homme libre".
Jean Moulin.
Premier de Cordier.
Daniel Cordier, ni juge ni flic.
La collection Cordier.
Charles Maurras.
Philippe Pétain.
Charles De Gaulle.
L’appel du 18 juin.
Antisémitisme.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Raymond Sabot.
François Jacob.
Pierre Messmer.
Maurice Schumann.
Jacques Chaban-Delmas.
Yves Guéna.
Général Leclerc.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180509-daniel-cordier.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/premier-de-cordier-204867

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/06/17/36454295.html





 

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13 juin 2018 3 13 /06 /juin /2018 04:38

« Le cynisme ne soulage qu’un moment les consciences écœurées par l’hypocrisie. » (Georges Bernanos, 1939).



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Le lundi 11 juin 2018, plusieurs raffineries ont été bloquées par des syndicalistes paysans. La raison ? Faire pression sur le gouvernement et sur le groupe Total pour que cette société utilise l’huile de colza française plutôt que l’huile de palme asiatique. Le gouvernement avait autorisé l’importation de 300 000 tonnes d’huile de palme.

La semaine précédente, le 6 juin 2018, invité de la matinale de France Inter, le Ministre d’État Nicolas Hulot a expliqué que c’était un accord négocié entre l’État et Total. Le Ministre de l’Agriculture Stéphane Travert a confirmé le 11 juin 2018 qu’il n’était pas question d’y revenir. Il s’agissait d’autoriser Total d’utiliser, pour 70%, de l’huile de palme importée pour faire son biocarburant. Les rendements pour produire l’huile de palme (en tonnes par hectare et par an) sont dix fois supérieurs à l’huile de soja et cinq fois supérieurs à l’huile de colza (un palmier produit 40 kilogrammes d’huile de palme par an). L’huile de palme revient donc bien moins chère que l’huile de colza, mais là n’est pas la seule raison.

Il devrait y avoir un accord européen sur l’huile de palme dans les biocarburants ce mercredi 13 juin 2018 à la suite de négociations entre le Conseil Européen, le Parlement Européen et la Commission Européenne.

Les députés européens avaient voulu le 17 janvier 2018 que les biocarburants composés d’huile de palme fussent exclus des objectifs des énergies renouvelables pour 2021, ce qui signifierait que ces carburants ne recevraient plus de subvention publique. Ils avaient en effet voté une résolution non contraignante : proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables.

Plus précisément, deux amendements sur le sujet avaient alors été adoptés le 17 janvier 2018. Le premier : « La résolution du Parlement Européen du 4 avril 2017 sur l’huile de palme et la déforestation des forêts tropicales humides invitait la Commission à prendre des mesures pour faire progressivement cesser l’utilisation dans les biocarburants d’huiles végétales qui entraînent la déforestation, y compris l’huile de palme, de préférence d’ici à 2020. » (considérant 25 bis).

Et le second amendement : « La contribution des biocarburants et des bioliquides produits à partir de l’huile de palme est de 0% à compter de 2021. » (article 7).

Une mesure qui a de quoi inquiéter les principaux fournisseurs. La France devrait faire opposition.

Dans le monde, 27 millions d’hectares de terres sont consacrés à la production d’huile de palme. Des étendues immenses de forêts tropicales ont été dévastées, défrichées et brûlées, pour installer les plantations, mettant en danger d’extinction des espèces en voie de disparition : l’éléphant pygmée de Bornéo, le tigre de Sumatra, l’orang-outan, le rhinocéros, etc. Entre 1990 et 2010, il y a eu 3,5 millions d’hectares de forêts détruites en Indonésie, Malaisie et Papouasie Nouvelle-Guinée, pour faire des plantations de palmiers. De plus, l’Indonésie a émis plus de gaz à effet de serre que les États-Unis en 2015.

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En fait, l’huile de palme, qui concourt à la déforestation de la planète, est un produit qui pourrait même tuer des êtres humains de manière très directe.

L’information est scandaleuse et odieuse. Elle a été révélée par le journal "Libération" le 8 juin 2018 dans un article d’Aude Massiot. Elle se résume par cette phrase choquante : « Serge Atlaoui a failli mourir pour de l’huile de palme. ». Serge Atlaoui, j’ai déjà longuement évoqué sa situation très préoccupante. Il a été condamné à mort en Indonésie pour fabrication de drogue. En fait, il ne s’occupait que de machines dont il assurait la maintenance et ne connaissait pas la finalité du produit fabriqué. Il a échappé de justesse à l’exécution il y a trois ans et depuis cette date, il est toujours en situation d’être exécuté malgré son innocence sur ce point.

Quel rapport entre l’huile de palme et le Français Serge Atlaoui ? Sans doute sa nationalité française qui l’a épargné lors de la dernière série d’exécutions le 29 juillet 2016. Pourquoi ? Parce que l’Indonésie, dans un cynisme pur et dur, y a vu matière à faire pression sur l’un de ses gros clients.

Car l’Indonésie est, avec la Malaisie, le principal producteur d’huile de palme (l’Indonésie le premier et la Malaisie le deuxième ; à eux deux, ils ont fourni 87% de la production mondiale en 2013, respectivement 51% et 36%), et l’Europe est l’un des principaux marchés juteux de l’huile de palme. Actuellement, 66 millions de tonnes d’huile de palme sont produites dans le monde (en 1997, seulement 18 millions de tonnes), dont 7,1 millions de tonnes exportées en Union Européenne en 2014 pour trois applications principales : 45% pour les biocarburants, 34% pour l’alimentation et 16% pour l’électricité et le chauffage. La part des biocarburants n’était que de 8% en 2010 (une obligation au biocarburant a été décidée en 2009).

De la part de ces deux pays (Indonésie et Malaisie), il y a eu des pressions que je qualifierais de "traditionnelles" parce que commerciales. L’Indonésie était en pleines négociations pour l’achat de 250 Airbus et également de satellites. La Malaisie aussi avait des moyens de faire pression sur la France, avec de gros contrats pour des avions Rafale, dans un contexte où la concurrence internationale reste toujours très rude. Plusieurs centaines de millions d’euros sont en jeu, ainsi que plusieurs milliers d’emplois en France.

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Lors de la discussion sur la loi biodiversité, en 2016, certains députés français avaient été informés, de manière informelle, par les services diplomatiques, d’un chantage absolument honteux : si l’article prévoyant d’augmenter la taxation de l’huile de palme alimentaire était voté à l’Assemblée Nationale, le condamné Serge Atlaoui serait exécuté. Pour bien accentuer la pression, des représentants indonésiens étaient présents lors du vote, en haut de l’hémicycle, sur les bancs des visiteurs.

"Libération" a cité notamment l’ancienne Ministre de l’Écologie Delphine Batho (PS), et surtout, la rapporteure de la loi en question, Geneviève Gaillard (PS) : « Le Ministère des Affaires étrangères et Matignon m’ont demandé expressément de faire marche arrière. Cela m’a beaucoup perturbée de savoir que la vie de cet homme dépendait de ma décision. J’en garde un très mauvais souvenir. ».

Je me suis alors repenché sur les (très longs) débats parlementaires concernant cette fameuse loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Le texte initial du projet de loi a été adopté au conseil des ministres du 26 mars 2014, et elle n’a été promulguée que le 8 août 2016, deux ans et demi plus tard, deux gouvernements plus tard !

Personne ne reprochera à un gouvernement de mettre du temps à élaborer la loi, car le défaut français est plutôt de légiférer trop vite et trop souvent. Pour ce texte, il y a eu trois lectures en navette, une commission paritaire mixte qui a échoué et une lecture définitive à l’Assemblée Nationale (qui garde toujours le dernier mot pour les lois ordinaires). Le problème, c’était que le texte contenait tout et n’importe quoi, si bien que c’était l’occasion pour les parlementaires d’évoquer de nombreux sujets polémiques.

Et l’un des sujets polémiques, qui correspondait pourtant à très peu de phrases par rapport à l’ensemble du texte (le texte final comptait 174 articles !), c’était ce qu’on a appelé la "taxe Nutella", du nom de la célèbre pâte à tartiner contenant beaucoup d’huile de palme. Revenu en commission à l’Assemblée Nationale après l’échec de la commission paritaire (députés et sénateurs), l’article 27A fut rajouté le 14 juin 2016 pour taxer l’huile de palme alimentaire, afin de prévenir la déforestation de la planète.

L’article 27A du projet de loi, selon le texte, examiné et adopté le 14 juin 2016 par la commission en troisième lecture (à la base de la discussion), était le suivant : « Il est institué une contribution additionnelle à la taxe spéciale prévue à l’article 1609 vicies sur les huiles de palme, de palmiste et de coprah effectivement destinées, en l’état ou après incorporation dans tous produits, à l’alimentation humaine. Est exempté de la contribution mentionnée (…) le redevable qui fait la preuve que le produit taxé répond à des critères de durabilité environnementale. Le taux de la contribution additionnelle est fixé à 30 euros par tonne en 2017, à 50 euros en 2018, à 70 euros en 2019 et à 90 euros en 2020. ».

Le gouvernement, représenté par sa Secrétaire d’État chargée de la biodiversité, Barbara Pompili, écologiste devenue LREM, est revenu sur cet article 27A en proposant et obtenant des députés le 22 juin 2016 son remplacement par le texte suivant, beaucoup moins concret : « Pour contribuer à la préservation et à la reconquête de la biodiversité et préserver son rôle dans le changement climatique, l’État se fixe comme objectif de proposer, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un dispositif prévoyant un traitement de la fiscalité sur les huiles végétales destinées, en l’état ou après incorporation dans tous produits, à l’alimentation humaine qui, d’une part, soit simplifié, harmonisé et non discriminatoire et, d’autre part, favorise les huiles produites de façon durable, la durabilité étant certifiée sur la base de critères objectifs. » (amendement 457).

Après un passage au Sénat où l’ensemble du projet de loi a été profondément modifié, le texte, en dernier passage, est revenu le 19 juillet 2016 en examen à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale et n’a pas touché à cet article 27A tel que rédigé le 22 juin 2016. Mais le lendemain, le 20 juillet 2016, le gouvernement a finalement retiré cet article, ce que du reste avaient déjà souhaité les parlementaires de l’opposition dès juin 2016. Notons aussi, pour bien comprendre le contexte psychologique, que la séance du 20 juillet 2016 a commencé par l’hommage aux victimes de l’attentat de Nice qui venait d’avoir lieu quelques jours auparavant.

L’adoption définitive de cette loi sur la biodiversité a eu lieu le 20 juillet 2016, sans finalement qu’aucune taxe additionnelle sur l’huile de palme alimentaire ne fût conservée. Et quelques jours plus tard, le 29 juillet 2016, l’Indonésie a procédé à sa dernière série d’exécutions de condamnés à mort, en épargnant la vie de Serge Atlaoui.

Ce chantage odieux sur la vie de Serge Atlaoui, qui semble confirmé par plusieurs parlementaires français, montre à quel point la justice indonésienne peut être instrumentalisée. Serge Atlaoui n’est plus le coupable d’un crime qu’il n’a jamais eu l’intention de commettre, mais l’otage d’un géant de l’huile de palme pour continuer à faire son business.

Dans un prochain article, je reprendrai plus précisément quelques extraits de ces débats parlementaires à propos de cette taxe sur l’huile de palme, qui sont assez instructifs sur le niveau de sérénité des députés.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 juin 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Surtaxer l’huile de palme en France ?
Taxe Nutella : Serge Atlaoui, otage de l’huile de palme ?
Vives inquiétudes pour Mary Jane Veloso.
Le cauchemar de Serge Atlaoui.
Peine de mort pour les djihadistes français ?
L’industrie de l’énergie.
L’industrie aéronautique.
L’industrie ferroviaire.
L’économie dans un monde globalisé.
La concurrence internationale.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180608-serge-atlaoui.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/taxe-nutella-serge-atlaoui-otage-205133

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/06/13/36482121.html

 

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11 juin 2018 1 11 /06 /juin /2018 04:35

« La nouvelle instruction de la demande de titre de séjour qui suivra aussitôt tiendra nécessairement compte de l’acte positif et altruiste par lequel Mohamed Aymen Latrous s’est distingué en 2015. » (Préfet du Val-d’Oise, le 4 juin 2018).


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Imaginez le tableau. Un jeune étranger habitant à Fosses, dans le Val-d’Oise, s’est vu refuser le séjour en France. C’est une situation malheureusement ordinaire. Le 30 janvier 2018, l’administration lui a notifié le refus de sa demande de carte de séjour déposée à la sous-préfecture de Sarcelles en décembre 2017 et lui a adressé la terrible obligation de quitter le territoire français. En clair, il n’avait plus rien à faire en France. Il fallait qu’il s’en aillât. Il est sans-papiers. Peut-être même qu’il allait se faire filmer en train d’être expulsé. Il y aurait eu peut-être des polémiques, les uns qui étaient pour l’expulsion, les autres qui n’étaient pas pour accueillir toute la "misère" du monde mais que, quand même, il faudrait un peu plus d’humanité dans les rapports entre l’État et les personnes, fussent-elles étrangères.

Cela aurait pu faire une nouvelle "affaire Leonarda". Leonarda, elle n’est pas tunisienne comme Aymen Latrous, mais vaguement kosovare. Qu’importe, car sa situation était la même en 2013. Elle avait été sous les projecteurs de l’actualité car la police était allée la chercher à une heure où elle avait cours, le 9 octobre 2013, et une expulsion devant ses camarades, forcément, cela choquait. François Hollande, alors Président de la République, avait très mal géré la situation. Avec son envie de faire la synthèse entre les partisans de la loi (et donc de l’expulsion), et les partisans d’une certaine humanité, il avait voulu couper la poire en deux.

Cela avait donné lieu le 19 octobre 2013 à une allocution télévisée complètement surréaliste au cours de laquelle, alors que Leonarda était déjà hors de France, il lui avait proposé de revenir en France… mais sans ses parents : « Un accueil lui sera réservé, à elle seule. » ! Comme si une môme de 15 ans pouvait traverser l’Europe sans sa famille. Père sans cœur. Et ingratitude médiatique suprême, grâce aux technologies de la communication, Leonarda avait pu répliquer en direct à la télévision, quelques minutes seulement après l’intervention présidentielle, en lui disant d’aller se faire voir, qu’elle ne reviendrait pas sans ses parents. Humiliation présidentielle.

Dans cette affaire, François Hollande avait tout perdu : son autorité de Président de la République (qui s’est fait rabrouer par une adolescente étrangère pleine d’ingratitude et à la limite de l’incorrection), sa fermeté de gardien de la loi (en donnant la permission à Leonarda de passer outre son obligation de quitter le territoire), son humanité auprès de son aile gauche (car il avait quand même laisser l’expulsion se poursuivre, dans des conditions peu humaines car très humiliantes), et même, sa faculté d’être père (ce qu’il était pourtant quatre fois) en ne comprenant pas l’absolue stupidité de vouloir accueillir l’adolescente sans ses parents.

C’est le risque du Président de la République lorsqu’il s’occupe trop précisément de faits-divers qui ne devraient pas être de son ressort. Le piège était le même pour son successeur Emmanuel Macron lorsqu’il a reçu avec les honneurs, surtout avec l’honneur des caméras, Mamoudou Gassama, sans-papiers mais héros. Emmanuel Macron en a profité pour bien expliquer que l’exception ne devait pas oublier la fermeté, et que face à l’acte héroïque d’un demandeur de carte de séjour, il y avait plusieurs milliers d’autres personnes qui devraient quitter le territoire.

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C’est là qu’est venue se greffer l’histoire du Tunisien de 25 ans, Aymen Latrous. En fait, son histoire est plus ancienne que celle de Mamoudou Gassama, mais sa médiatisation postérieure. En effet, le jeune homme était expulsable et beaucoup de monde autour de lui était révolté par sa situation. Filmer son expulsion aurait pu amorcer une nouvelle affaire Leonarda pour un Président de la République qui, jusqu’à maintenant, a réussi un sans-faute dans son exercice régalien, avec le principe de faire le contraire des erreurs qu’avait commises François Hollande.

Le maire de sa commune avait fait tout son possible pour lui éviter l’expulsion mais un maire ne compte pas pour ces choses-là. Si ce n’est pour compléter correctement des dossiers et alerter les administrations. Alors, ce fut son avocate Philippine Parastatis qui a voulu médiatiser la situation, car Aymen Latrous ne pouvait pas être une seconde Leonarda, puisque c’est plutôt un autre Mamoudou Gassama.

C’est la surmédiatisation de ce dernier qui a convaincu l’avocate d’aller au front médiatique le 4 juin 2018. Car Aymen Latrous, lui aussi, a été un héros. Un grand héros. Dans la soirée du 10 avril 2015, avec deux amis, il a sauvé deux enfants de la mort certaine dans un incendie à Fosses. Entendant, de la rue, les appels au secours d’une mère de famille, les trois compères étaient rentrés dans l’appartement en flammes pour chercher les deux enfants, un bébé de 19 mois et un garçon de 4 ans.

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À l’époque, les trois sauveurs avaient eu la reconnaissance du maire de Fosses qui les avait décorés pour leur bravoure. Pas immédiatement, car ils étaient repartis sans laisser de coordonnées et la mère avait dû lancer un appel pour les retrouver. Mais il n’y a pas eu de suite en termes de reconnaissance. Trois ans plus tard, les services insensibles du Ministère de l’Intérieur ont froidement adressé l’obligation de quitter le territoire à celui qui avait sauvé la vie de ces deux enfants. Un scandale beaucoup trop discret !

La sous-médiatisation de l’acte héroïque d’Aymen Latrous peut s’expliquer par le fait qu’il n’avait pas été filmé. La médiatisation a été efficace puisque le soir même, la préfecture de Cergy a fait savoir qu’elle réagirait favorablement et le jeudi 7 juin 2018, comme promis, Aymen Latrous a été informé de l’annulation de son obligation de quitter le territoire et s’est vu délivrer un récépissé de demande de carte de séjour qui le régularise pour trois mois et surtout, qui lui permet de travailler, ce qui est très heureux puisqu’il venait de trouver par ailleurs du travail.

La réponse très rapide des services de la préfecture a montré que nécessairement, une intervention a eu lieu au plus haut sommet de l’État. Mais dans sa grande prudence, le Président Emmanuel Macron a évité de communiquer sur le sujet pour éviter, justement, de tomber dans le piège dans lequel était tombé François Hollande avec la jeune Leonarda.

Me Philippine Parastatis n’est pourtant pas complètement satisfaite : « Il est dommage que l’administration n’ait pas reconnu son erreur, mais qu’elle a simplement réajusté sa position devant la pression médiatique. ». En effet, la préfecture de Cergy a simplement indiqué qu’elle réexaminerait la demande de carte de séjour avec deux éléments nouveaux (que l’avocate a transmis au dossier le 29 mai 2018 et transmis à la préfecture le 31 mai 2018), à savoir son acte de bravoure et sa promesse d’embauche. Tandis que Mamoudou Gassama a été régularisé durablement en quelques jours.

L’avocate a également pointé du doigt « la question de la hiérarchisation des actes de bravoure lancée à Monsieur le Président Macron par l’intermédiaire des médias » qui « est restée sans réponse » : « Je renouvelle mon appel au Président de la République sur la question du traitement inégalitaire de deux situations similaires. Pourquoi Aymen Latrous doit-il subir un traitement différent ? ».

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Elle pose évidemment une question pertinente et la réponse provient aussi de cette pression médiatique qui provoque, ou pas, une réaction de la part des dirigeants. Cette inégalité de traitement pourrait s’appliquer à tous les actes publics, pourquoi Serge Dassault a-t-il reçu un hommage aux Invalides et pas Pierre Bellemare ? Pourquoi des funérailles nationales pour Johnny Hallyday et pas Jacques Higelin ni France Gall ? Pourquoi…

Le risque est évidemment double. Le premier, c’est qu’il peut y avoir une surmédiatisation des demandes de carte de séjour en faisant la "publicité" du demandeur considéré comme une "chance pour la France" et pas comme une "charge pour la France".

Il es toujours facile de définir des règles générales sur l’immigration, de se donner des quotas, d’ordonner des expulsions, etc. Il est toujours plus délicat, lorsqu’on connaît les situations individuelles, de parler d’une personne en particulier et des conséquences sur sa propre vie d’une décision administrative. La mise en héros, ou la mise en lumière des demandeurs pourrait devenir une règle de plus en plus commune.

Attention, je n’écris pas que tout le monde est un héros. Justement, non, et c’est justement pour cela que la France doit être reconnaissante envers ces héros, à ces sauveurs d’enfants. Elle doit l’être sans chercher des manœuvres politiciennes, tant pis s’il y a récupération, parce qu’il s’agit de valeurs fondamentales.

Il reste qu’il faut espérer que certains sans-papiers, forts de cet enseignement, n’essaient pas de provoquer des situations pour mettre en scène leur héroïsme, au risque de mettre en danger la vie d’autrui…

Quant à Mamoudou Gassama, qui a reçu le 4 juin 2018 la médaille Grand Vermeil de la Ville de Paris décernée par la maire de Paris Anne Hidalgo, déjà en campagne électorale pour sa réélection, a déjà fait des émules : le 6 juin 2018, le Chinois Zhang Whin a, lui aussi, sauvé un enfant suspendu à un balcon en grimpant par la façade, inspiré par la méthode de Mamoudou Gassama. C’était en Chine et il est devenu une véritable star dans les médias chinois. Bravo donc aussi à lui !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 juin 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Aymen Latrous.
L’affaire Leonarda.
Mamoudou Gassama.
Arnaud Beltrame.
Donner sa vie.
L’esprit républicain.
Ce qu’est le patriotisme.
Les réfugiés.
Une politique d’immigration ratée.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180607-aymen-latrous.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/aymen-latrous-n-est-pas-leonarda-205069

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/06/11/36476486.html


 

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5 juin 2018 2 05 /06 /juin /2018 23:37

Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a remis le 5 juin 2018 le rapport de synthèse sur les États généraux de la bioéthique organisés à partir du 18 janvier 2018. On peut le lire ainsi que différents documents sur le sujet. Cliquer sur les liens pour télécharger le fichier .pdf correspondant.

Rapport de synthèse du Comité d'éthique du 5 juin 2018 :
http://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/rapport_de_synthese_ccne_bat.pdf

Communiqué de presse sur l'ouverture d'un site Internet le 9 février 2018 :
https://etatsgenerauxdelabioethique.fr/media/default/0001/01/85932e22eff77a5ce165b00a90bdb0e8a3718fa7.pdf

Dossier de presse sur l'ouverture des États généraux de la bioéthique le 18 janvier 2018 :
https://etatsgenerauxdelabioethique.fr/media/default/0001/01/5f0a2059803ef477ded725f8d7c4cee9d1b864b6.pdf

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180605-etats-generaux-bioethique.html

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20180605-rapport-comite-ethique.html



 

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2 juin 2018 6 02 /06 /juin /2018 23:18

Le 6 juin 2018, les sénateurs ont adopté à l'unanimité une proposition de loi permettant l'analyse des caractéristiques génétiques de personnes décédées avec un certain encadrement. Cliquer sur les liens pour télécharger le fichier .pdf correspondant.

Texte adopté par le Sénat le 6 juin 2018 :
http://www.senat.fr/leg/tas17-114.pdf

Rapport de Catherine Deroche du 30 mai 2018 :
http://www.senat.fr/rap/l17-523/l17-5231.pdf

Synthèse du rapport Deroche du 30 mai 2018 :
http://www.senat.fr/rap/l17-523/l17-523-syn.pdf

Compte rendu de la séance du 06 juin 2018 au Sénat :
http://www.senat.fr/cra/s20180606/s20180606.pdf

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180606-test-adn.html

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20180606-documents-proposition-milon.html



 

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31 mai 2018 4 31 /05 /mai /2018 03:56

« Il y a énormément de points communs entre ton geste, Mamoudou, et les valeurs portées par la BSPP faites de courage, d’audace et aussi d’humilité. » (Général Jean-Claude Gallet, commandant de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, le 29 mai 2018).


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Ce mercredi 30 mai 2018, un campement de plus d’un millier de "migrants" (sans-papiers) a été évacué dans la matinée par la police du côté de la Porte de la Villette à Paris. Faut-il comprendre dans cette actualité la fameuse politique du "en même temps" du Président Emmanuel Macron ? Il a été critiqué (injustement à mon avis) pour avoir voulu récupérer un exploit moral et sportif en recevant Mamoudou Gassama. Les plus critiques étaient ceux qui sont pour une politique d’immigration plus ferme sinon plus fermée, mais on aurait des raisons de penser que cela aurait dû être ceux qui étaient contre ce type de politique qui avaient tout à critiquer un Président double face qui se donnait un alibi moral le lundi pour appliquer une politique sans concession le mercredi… Revenons sur cette actualité.

On pourra toujours critiquer le tutoiement du général pompier cité en tête de l’article, mais c’est un tutoiement d’admiration et d’honneur d’un officier pour celui qui est, il faut insister, un héros national. Mamoudou Gassama est un jeune Malien sans-papiers de 22 ans qui habite dans un foyer à Montreuil depuis septembre 2017. Il a mis cinq ans pour arriver en France et rejoindre son frère, quittant son pays en proie au jihadisme (la France est intervenue militairement au Mali pour cette raison ; au moins vingt-deux de ses soldats y sont morts) en passant par le Burkina-Faso, le Niger et la Libye avant de traverser la Méditerranée dans des conditions dramatiques, et de parcourir l’Italie. Jusqu’à maintenant, il vivait en travailleur clandestin sans beaucoup de perspectives d’avenir.

Un héros désormais médiatisé et invité dans de nombreuses émissions de télévision (BFM-TV, TMC, C8, etc.) pour une raison qui a l’avantage d’être heureuse : en début de soirée, le samedi 26 mai 2018, il a sauvé un enfant de 4 ans qui était tombé du cinquième étage dans un immeuble du dix-huitième arrondissement. L’enfant a réussi à se rattacher au balcon de l’appartement juste en dessous, au quatrième étage, et a tenu dans le vide grâce au grillage de la balustrade (dans l’opération, il s’est arraché un ongle d’orteil).

Mamoudou Gassa n’a pas réfléchi quand il a compris la situation. Il a traversé la rue, franchi la clôture et a commencé à escalader à mains nues la façade de l’immeuble en enjambant balcon sur balcon. Initiative complètement folle qui nécessitait d’avoir une rudement bonne forme physique et sportive. En même pas une minute, il a réussi l’exploit de rejoindre le balcon où était le garçon, et il l’a mis en sécurité.

Le procureur de la République de Paris François Molins a expliqué, le 28 mai 2018 sur BFM-TV, l’absence des parents du garçon : sa mère était en déplacement loin de Paris, et son père (effondré a posteriori) était parti faire des courses. Sa négligence pourrait lui coûter deux ans de prison selon l'article 227-17 du code pénal (ce qui punirait surtout l’enfant). Le père a été placé brièvement en garde-à-vue et confié à la brigade de protection des mineurs pour "soustraction à une obligation parentale", et le garçon confié à une structure d’accueil pendant ce temps.

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Depuis quelques jours, certains de ceux qu’on pourrait appeler la "fachosphère", mais je vais les appeler seulement ceux qui sont pour la fermeture des frontières, s’emploient sur Internet à vouloir dénaturer ou détruire la réalité de l’exploit.

Un tel complotisme est ahurissant dans la mesure où cet exploit, certainement surprenant, a été fait devant de nombreux témoins et heureusement, l’un au moins l’a filmé. Alors, certains essaient de disséquer le film pour y trouver matière à contester la réalité. Le principal argument vient du voisin de l’appartement du quatrième étage qui aurait attendu sagement que Spiderman arrivât.

En fait, le voisin a cherché à aider le garçon, au point que celui-ci (le garçon) a essayé de se déplacer vers le balcon voisin, mais à cause de la cloison qui sépare les deux balcons, tenter de soulever le garçon aurait été très risqué tandis que le voisin avait aperçu Mamoudou Gassama réussir son ascension. Le voisin a donc préféré seulement lui tenir la main pour le sécuriser et éviter qu’il ne tombât. D’ailleurs, même si ce voisin avait réussi à hisser le garçon (que ceux qui lui reprochent de ne pas l’avoir fait en soient capables !), cela n’aurait rien ôté au caractère courageux et héroïque du geste spontané de Mamoudou Gassama.

À tous ces complotistes qui mettent en doute la réalité, j’aimerais poser la question : et vous, qu’avez-vous fait d’héroïque dans votre vie ? Moi, j’ai la modestie de dire que je n’ai rien fait de vraiment héroïque (ou alors, je ne m’en suis pas aperçu !), mais, au moins, je les admire, ces héros, je ne les conteste pas.

Ce complotisme s’éteindra de lui-même, et cet exploit a déjà, comme la plupart des faits d’actualité, son lot de caricatures, d’humour, de canulars aussi. Nicolas Dupont-Aignan fut ainsi victime d’un canular du site belge NordPress qui a diffusé le soir du 27 mai 2018 un faux tweet mettant en cause l’humanisme de l’ancien candidat avec ces mots : « Rien n’indique à ce jour si le clandestin malien qui a "sauvé" l’enfant à Paris ne cherchait pas à le kidnapper. » (il a annoncé qu’il allait déposer plainte pour atteinte à son honneur et à sa réputation et il n’a pas forcément tort, vu le nombre de tweeter à être tombés dans le piège parodique et à avoir pris le message au premier degré). Il y a aussi des propos qui se veulent un peu plus distants comme ceux, condescendants, de Franck Crudo : « À ce rythme-là, ce pauvre bougre de 22 ans, déjà un peu héros malgré lui, va finir emmuré vivant au Panthéon avant la fin de la semaine, sous les vivas [sic] du bobo en délire. Avec Christine Angot pour remplacer André Malraux lors du discours d’intronisation. (…) Cet acte de bravoure exceptionnel qui ferait presque passer Jean Moulin pour un rond de cuir un peu mou du genou ou Steve McQueen et Paul Newman pour des petites b… dans "La Tour infernale", suscite toutefois quelques questions. » (dans "Causeur", le 29 mai 2018).

La réalité de l’exploit n’a donc évidemment pas empêché certains de critiquer ce qu’ils ont appelé la récupération politique. En effet, le Président Emmanuel Macron, visiblement sensible au courage et à l’héroïsme du jeune Malien, l’a invité à l’Élysée pour une courte réception (une dizaine de minutes) le lundi 28 mai 2018 dans la matinée. Voulant le récompenser, Emmanuel Macron lui a assuré qu’il serait naturalisé français avant trois mois : « Vous êtes devenu un exemple, il est normal que la nation soit reconnaissante. ».

Pour Mamoudou Gassama, il a comme plongé sur une sorte de petit nuage. Le matin du mardi 29 mai 2018, il est allé à la préfecture de Bobigny (dans le département où il est domicilié) pour recevoir un récépissé de régularisation avant de recevoir une carte de séjour valable dix ans.

Puis, il a été reçu par les sapeurs-pompiers de Paris, par leur commandant (le général Jean-Claude Gallet) qui l’a invité à déjeuner et qui lui a fait visiter la caserne Champerret : « Nous avons eu une discussion très profonde. Je sais qu’il a eu un parcours difficile, compliqué. Maintenant, il veut s’engager au service des autres. ». Le général Gallet l’avait présenté ainsi : « La brigade des sapeurs-pompiers de Paris a l’honneur et la fierté d’accueillir Mamoudou Gassama. ». Il lui a offert d’intégrer ses équipes dans le cadre d’un service civique volontaire de dix mois au minimum (rémunéré 472 euros par mois, on ne peut pas dire que c’est luxueux), en sachant que s’il veut être recruté, il devra d’abord avoir la nationalité française.

Pour Mamoudou Gassama, qui a connu la "galère", tout s’éclaire pour son avenir qu’il peut maintenant voir avec optimisme, et ce n’est que justice et mérite car ce qu’il a accompli, peu en auraient été capables, quelle que soit d’ailleurs leur identité (on s’en moque qu’il soit sans-papiers ou pas dans ces cas-là, en tout cas, le garçon et sa famille s’en sont moqué).

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Aujourd’hui, ceux qui critiquent l’hypermédiatisation de Mamoudou Gassama considèrent que ce dernier aurait été "héroïsé" par des "bobos immigrationnistes" pour devenir un exemple, pour faire comprendre qu’un sans-papiers, qu’un immigré, qu’une personne humaine qui a déjà risqué sa vie en traversant une mer pour rejoindre notre pays et qui a risqué une seconde fois sa vie pour sauver la vie d’un enfant dans un pays dont de nombreux habitants lui ont montré toute leur réticence à l’accueillir, que lui, le rien-du-tout, pouvait être un atout précieux pour le pays. Sans lui, il y avait une forte probabilité pour que la vie de ce garçon se terminât tragiquement dans la rue. Et d’être persuadés que s’il n’avait pas été sans-papiers mais Français, s’il avait été plus… enfin, moins… enfin, d’une autre couleur de la peau (disons-le clairement), alors il n’aurait pas été aussi honoré.

Phénomène de projection de toujours vouloir voir autre chose que les seuls actes dans une République où chacun, y compris les étrangers, est égal et se distingue par son seul mérite. En fait, ce sont eux-mêmes qui font cette discrimination, car si justement, ce héros avait été "autre", c’est-à-dire, n’avait pas été "l’Autre", s’il n’avait pas été de ceux qu’ils voudraient repousser à la frontière, qu’ils voudraient expulser, dont ils ont peur car dans leur tête, pour un héros, il y aurait dix terroristes en puissance, s’il avait fait partie de ceux qu’ils considéraient parmi "les leurs", alors ils n’auraient pas remis en cause la réalité de l’exploit, ils n’auraient pas fustigé la récupération politique, ils n’auraient pas désapprouvé la surmédiatisation de cet inconnu, ils l’auraient simplement applaudi.

Et alors ? Même s’il y a eu récupération politique, que vaut-elle face à la vie du jeune Malien qui s’ouvre désormais vers l’avenir ? Quel électeur, sinon très simple d’esprit, initialement macronophobe, deviendrait macronophile uniquement parce qu’Emmanuel Macron aurait parlé dix minutes avec un héros ? Laurent Joffrin l’a écrit avec d’autres mots : « Faut-il s’en plaindre ? Après tout, si un homme politique tire avantage d’une décision humaine en faveur d’un sans-papiers, quelles que soient ses motivations, n’est-ce pas une bonne nouvelle ? Ceux qui le critiquent doivent se demander ce qu’ils auraient dit si Emmanuel Macron avait pris la décision inverse. » ("Libération", le 28 mai 2018).

D’ailleurs, Emmanuel Macron a déjà célébré d’autres héros, hélas, certains sont morts de leur geste héroïque, comme le colonel Arnaud Beltrame. Il n’était pourtant ni Malien, ni sans-papiers, ni musulman, ni…

C’était le minimum syndical que pouvait faire la République française pour remercier, car il n’y a pas d’autre fonction que cela, pour dire merci à celui qui a sauvé la vie d’un de ses enfants. C’était la moindre des choses d’être reçu par le Président de la République (on ne parle pas de récupération quand ce dernier, lui, encore bientôt le 5 juin 2018, ou ses prédécesseurs, reçoivent une équipe de football dont les membres n’ont peut-être pas fait preuve d’une même moralité ou d’un même sens du devoir que Mamoudou Gassama). C’était la moindre des choses de vouloir naturaliser un héros.

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Certains disent qu’ils veulent retirer la nationalité française aux terroristes (concrètement, cela ne servirait à rien puisqu’ils sont prêts à mourir pour tuer les autres, alors perdre leur nationalité…), et voici qu’ils voudraient la refuser à un homme comme Mamoudou Gassama ? Parce que cela irait trop vite ? Heureusement qu’il est allé vite dans son alpinisme de béton.

Pourtant, le retrait de la nationalité française procède de la même logique, celle du mérite républicain. Du reste, Mamoudou Gassama ne sera pas le premier "héros" à bénéficier d’une naturalisation accélérée : avant lui, Lassana Bathily, le manutentionnaire du supermarché Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, et Didi, un vigile au Bataclan, ont été naturalisés pour la même raison, leur comportement héroïque face aux terroristes. S’ils ont été moins médiatisés, c’est aussi parce que leur acte s’est inséré dans une série de terribles événements, de terribles attentats qui ont traumatisé tout le pays.

Quant à offrir un stage aux pompiers de Paris, le privilège n’est pas un très lourd engagement : 472 euros par mois ! C'est mois que le prix de l'hôtel pour reloger les sans-abris. Il a l’avantage cependant d’apporter un emploi et de donner un sens à une vie qui était jusque-là en stand-by.

Alors, je réponds à ma question du titre : Mamoudou Gassama est-il une chance pour la France ? Évidemment ! C’est déjà "acté". Le garçon sauvé pourra en témoigner, ses parents aussi. Chance qu’il fût là au bon moment. L’affaire est déjà entendue. En tout cas, pour la grande majorité des Français.

Une "chance pour la France", c’est l’expression condescendante de ceux qui veulent renvoyer "chez eux" tous les immigrés, boucs émissaires d’une crise économique qui n’a pourtant pas besoin d’eux pour exister et durer, qui reprenait le titre courageux et audacieux du livre de Bernard Stasi "L’immigration, une chance pour la France ?" (toujours avec un point d’interrogation) publié en 1984.

Je ne redirai jamais assez à quel point Bernard Stasi (1930-2011) a eu cette intuition et cette anticipation d’aller à contre-courant d’une classe politique volontiers démagogique avant les échéances électorales, pour rappeler quelques fondamentaux sur l’humain qui font honneur à la France, comme celui-ci : le courage et la lâcheté n’ont pas de nationalité ! Merci et bravo Mamoudou Gassama, et bonne route pour la suite !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 mai 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Mamoudou Gassama.
Arnaud Beltrame.
Donner sa vie.
L’esprit républicain.
Ce qu’est le patriotisme.
Les réfugiés.
Une politique d’immigration ratée.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180526-mamoudou-gassama.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/mamoudou-gassama-une-chance-pour-204798

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/05/31/36447577.html


 

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2 mai 2018 3 02 /05 /mai /2018 03:43

« My gladiator lay down his shield and gained his wings (…). Absolutely heartbroken. » (Tom Evans, le 28 avril 2018).

 

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En français, cela donne à peu près ceci : "Mon gladiateur a déposé son bouclier et a gagné ses ailes (…). Le cœur complètement brisé". La tristesse du père de l’enfant.

Comme beaucoup de monde, j’ai été très ému par la mort du petit garçon Alfie Evans lorsque je l’ai apprise ce samedi 28 avril 2018 dans la matinée. La mort remontait à 2 heures 30 du matin. Cela faisait plusieurs mois que je suivais le combat malheureux de ses parents pour qu’ils puissent avoir le droit de le faire soigner. Son père Tom était même allé le 18 avril 2018 à Rome pour y rencontrer le pape François au cours d’une audience d’une vingtaine de minutes. Le pape lui avait alors adressé un soutien chaleureux. La République italienne avait honoré Alfie Evans le 23 avril 2018 en lui attribuant la nationalité italienne pour faciliter les démarches administratives.

Peine perdue. la Haute Cour de Londres a donné raison le 25 avril 2018 à l’hôpital où était soigné Alfie (à Liverpool) et sa mort fut provoquée par l’arrêt des traitements. Il était sous respirateur artificiel et sous alimentation et hydratation artificielles. Si vous ne buvez plus et que vous ne mangez plus, il n’y a pas beaucoup d’incertitude sur l’issue à court terme. Si vous ne respirez plus non plus, à cela près que même sans ventilation provoquée, Alfie Evans est parvenu à respirer tout seul ! Il a mis cinq jours avant de mourir (les traitements ont été arrêtés le 23 avril 2018) Il n’est donc pas mort de ne pas avoir pu respirer, malgré l’absence de ventilation artificielle.

Pourtant, un hôpital italien à Rome, le Ospedale Pediatrico Bambino Gesu (l’hôpital pédiatrique de l’enfant Jésus), avait annoncé qu’il était prêt à accueillir et à soigner le mieux possible Alfie et s’était même engagé à le faire à ses propres frais. Donc, il n’y avait pas d’obstacle financier ni d’obstacle médical pour permettre à Alfie d’avoir la meilleure vie courte possible avec son état de santé.

Alfie Evans était un bébé né le 9 mai 2016 (il aurait eu 2 ans dans quelques jours) qui était atteint d’une maladie neurodégénérative. Inutile de dire que son espérance de vie était probablement courte. Il était aimé de ses parents qui cherchaient à le soigner le mieux possible. Ce bébé ne souffrait pas. Ses médecins britanniques ont cependant considéré qu’il était incapable de vivre.

En Grande-Bretagne, c’est la deuxième mort de bébé en moins d’un an, où sont mêlées justice et médecine. Le 28 juillet 2017 est mort Charlie Gard, quelques jours avant son douzième mois (4 août), malgré la demande de transfert de ses parents vers un hôpital de New York. Comme pour Alfie, cela avait provoqué une forte réaction médiatique, notamment un article de Lindsey Bever du "Washington Post" le 28 juillet 2017. Donald Trump avait alors exprimé sa compassion. Mais sa situation était un peu différente de celle d’Alfie. Restons avec Alfie.


Les gens sont choqués car les faits sont scandaleux

La mort d’Alfie est un multiple scandale. Il faut néanmoins éviter de faire trop de confusions. Le sujet touche trop à l’intime pour que chacun ne puisse pas réagir autrement que selon ses propres expériences et sa propre émotion.

Le multiple scandale, c’est la décision de deux grandes institutions britanniques, l’hôpital et la justice. Les parents ont placé leur enfant dans cet hôpital. Ils lui ont donc fait confiance. Ils auraient pu choisir un autre hôpital. D’ailleurs, c’était justement ce qu’ils voulaient faire depuis plusieurs mois, le transférer dans un hôpital italien qui était prêt, je le répète et j’insiste, à financer les coûts du transfert, le séjour et les soins.

Mais l’hôpital britannique a demandé à la justice l’autorisation d’arrêter les traitements sur Alfie en faisant un recours le 19 décembre 2017 à la Haute Cour de justice de Londres, pour être déchargé de toute responsabilité par la suite. Ce qui est scandaleux, c’est que la justice l’a autorisé. Et l’hôpital l’a fait. Fait quoi ? Laisser mourir (pas tuer, soyons précis). D’où le décès. En quelques sortes, la peine de mort a été appliquée passivement sur Alfie Evans.

Ce qui est révoltant, c’est que les parents ont toujours refusé cette solution. Il n’y a donc pas d’accord du patient ou de ses représentants. C’est donc une décision hors champ, hors contrôle. C’est un pouvoir discrétionnaire des médecins. Ce qui est révoltant, c’est que l’enfant, dans tous les cas, même en bonne santé, ne peut pas vivre seul, sans aide, sans ses parents. Ce qui est révoltant, c’est que les parents avaient trouvé une solution "alternative" et qu’ils n’ont pas eu la possibilité de la mettre en pratique : où est leur liberté ?

Pire. L’hôpital a appelé la police pour bloquer toutes les issues afin d’empêcher une opération de force en cas de tentative d’enlèvement du bébé. Pourtant, les parents d’Alfie avait juridiquement le droit de faire sortir leur enfant et le faire soigner dans un autre établissement (voir lettre ci-dessous). Le père avait signé une décharge pour enlever toute responsabilité de l’hôpital en cas de problème lors du transfert et les services sociaux avaient a posteriori fait une demande d’ordonnance de protection, ce qui démontrait qu’ils ne pouvaient juridiquement pas empêcher ce transfert sans cette ordonnance.

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Ce que n’est pas cette "affaire"

Dans les réactions très émues, le débat sur l’euthanasie a resurgi. C’est une erreur. Cette histoire n’est pas une histoire d’euthanasie. L’hôpital n’a pas fait d’injection létale sur le bébé, il l’a "simplement" laissé mourir en arrêtant les traitements. Cela signifie qu’il n’y avait pas besoin d’une légalisation de l’euthanasie pour que cet acte survînt. C’est important de le signaler. Tout au plus, on pourra parler d’euthanasie passive, mais cela ne signifie pas grand-chose. L’arrêt de traitements de maintien en vie, même si c’est plus long sémantiquement, est plus pertinent pour caractériser cette situation. C’est important d’être précis pour ce genre de sujet très sensible.

Ce n’est pas non plus le sujet de la fin de vie : Alfie Evans n’était pas en fin de vie, n’était pas une personne très âgée, n’était pas au stade terminal d’une maladie incurable. Il était simplement dans une situation de lourd handicap.

À ce sujet, laissons parler Aude Mirkovic, maître de conférence en droit privé et spécialiste de bioéthique, qui était interviewée par Atlantico ce 30 avril 2018 : « Personne ne veut l’acharnement thérapeutique et il est acquis que, lorsque des traitements sont devenus inutiles, disproportionnés, et n’ont d’autre effet que de maintenir artificiellement quelqu’un en vie, ils n’ont pas de sens et qu’il vaut lieux laisser la mort faire son œuvre (…). Le problème est que certaines sociétés aujourd’hui, c’est le cas de la France et visiblement également de l’Angleterre, assimilent des personnes lourdement handicapées à des personnes en fin de vie, ce qu’elles ne sont pas. (…) Dans le cas de ces patients dépendants pour vivre, l’arrêt des traitements signifie qu’ils vont mourir, non pas de leur maladie ou de vieillesse, mais de faim ou de soif selon les cas. Lorsque les médecins ont débranché la respiration artificielle d’Alfie, il s’est mis à respirer tout seul, il était bien vivant. ».


L’abjection des défenseurs d’une société eugénique

Certains, sans cœur visiblement, ont trouvé normal de laisser mourir Alfie Evans. Ils sont heureusement une minorité si l’on en juge par la consternation des réactions. Prenons quelques-uns de leurs "arguments" (même s’il n’y a pas d’arguments qui tiennent pour l’amour d’un enfant).

1. La compassion et la dignité

Ceux qui, pour justifier la décision injustifiable de l’hôpital, évoquent la "compassion" et la "dignité" défendent des arguments particulièrement abjects. La compassion ne peut pas être synonyme de mort. La dignité humaine, c’est justement celle AUSSI des plus fragiles, des plus vulnérables. Il n’y a AUCUNE vie humaine indigne d’être vécue. Celui qui pense le contraire n’a, à l’évidence, pas les mêmes valeurs que les miennes et que, je l’espère, la plupart de mes contemporains.

Car dès lors qu’on considère qu’une vie humaine n’est pas digne d’être vécue, on aboutit nécessairement à une société eugénique, c’est-à-dire qui sélectionnerait, selon des critères qu’on croirait rationnels alors qu’ils seraient totalement arbitraires, qui est digne et qui est indigne de vivre. Pas la peine d’aller trop loin dans l’histoire du monde pour voir une correspondance avec l’idéologie nazie : Juifs, homosexuels, personnes en situation de handicap, tziganes, etc. Eux ne valaient pas le coup de vivre. Il fallait les supprimer. Une fois "l’épuration" achevée, jusqu’où seraient-ils allés ? Si on remonte plus loin, on peut imaginer la Terreur sous Robespierre où l'élimination était plus politique qu'idéologique ou médicale, mais cela procédait à la même folie de sélection et d'élimination.

Cela fait penser au récent film de Wes Anderson, "L'Île aux chiens" (sorti le 23 mars 2018), où la sélection est médico-spéciste. Cela fait penser aussi au film d'Andrew Niccol, "Bienvenue à Gattaca" (sorti le 24 octobre 1997), où la société sépare la population en "valides" (les génétiquement parfaits, par PMA) et en "invalides" (les conçus par la voie naturelle, forcément génétiquement imparfaits). C’est la raison pour laquelle le professeur Jacques Testart (qui n’a rien d’un catholique, rappelons que l’éthique n’est pas réservée aux seules religions et que, fort heureusement, d’autres ont, eux aussi, le souci des plus fragiles) s’est toujours opposé au diagnostic prénatal qui permet de sélectionner les fœtus qui ont le droit de vivre des autres, dont on aurait détecté une anomalie (plus ou moins grave, la frontière ne peut être qu’arbitraire).

C’est important aussi de rappeler que le handicap est la seule possibilité de l’évolution au sens darwinien du terme. Le handicap est d’abord une erreur de la nature, une "anormalité". S’il y a beaucoup de handicaps qui mettent les êtres ou l’espèce "dans les choux", d’autres permettent au contraire de mieux s’adapter à son environnement et à son mode de vie. Or, avec les changements climatiques, cela sera de toute façon nécessaire. Le handicap est une diversité extrême. Et c’est la diversité qui enrichit une espèce, une population (il suffit de voir les familles royales dont sont issues des personnes avec très peu de sang diversifié).

2. Les gros sous

Mais ceux qui, dans le débat, évoquent le coût des soins sont encore pires dans l’abjection. Le raisonnement comptable aboutirait aux mêmes dérives eugéniques que précédemment, mais avec une considération économique. Il est là l’ultralibéralisme et nullement ailleurs : est-ce que cela vaut le coût (et le coup) qu’on le soigne ? Si l’on sait qu’il ne produira jamais de sa vie, que sa vie sera de toute façon courte, alors pas la peine de miser sur le patient parce qu’il n’y aura pas de retour sur investissement. Quelle horreur.

3. La situation inconfortable des proches

Que dire que ceux qui évoquent la situation psychologique des personnes qui accompagnent le patient ? Bien sûr que la vie des aidants est difficile, stressante, épuisante (la moitié des aidants meurt avant la personne dépendante qu’ils accompagnent, c’est une statistique terrible). Mais faut-il pour autant les prendre en compte dans la détermination des soins du patient ? Un peu comme on décide des rythmes scolaires en fonction des parents d’élèves, des professionnels du tourisme et des enseignants, et pas des élèves eux-mêmes ? (Oups, je retire la question précédente !).

Les décisions médicales ne doivent être prises que pour le "bien" (plus ou moins compris) du patient, jamais pour celui des ses proches. Imaginons les dérives avec l’héritage pour les enfants, l’envie d’une nouvelle vie conjugale pour le conjoint, etc.

Prendre cet argument, c’est nier aussi que la plupart des aidants aiment la personne qu’ils accompagnent (sinon, d’ailleurs, ils n’auraient pas la force de l’accompagner), et surtout, qu’ils l’aiment comme elle est, avec sa faiblesses avec son état, et que ce n’est pas cet état qui est un frein à l’amour, au contraire, il serait plutôt susceptible d’appeler à plus d’amour, pas seulement de la "compassion".

4. La liberté

Enfin, ceux qui évoquent la liberté pour demander le droit de tuer une vie indigne et pas rentable, alors là, c’est le summum de l’abjection. Les parents d’Alfie ont-ils eu la possibilité d’être libres de choisir ?

Alors, comment pourront être libres ceux qui ne peuvent même pas s’exprimer, ceux qui n’auront pas de défenseur ni de protecteur comme ces parents courageux ? Je n’ose l’imaginer. Fausse liberté et vraie contrainte. Cela explique pourquoi beaucoup de personnes âgées belges ou néerlandaises habitant près de la frontière allemande décident de déménager de l’autre côté de la frontière, ils ont trop peur que leurs enfants les aident un peu trop à demander d’en finir… La liberté a bon dos.


Comparaison avec la situation de Vincent Lambert

Une fois dit cela, parlons de Vincent Lambert. En France, on évoque souvent la similitude de la situation de Vincent Lambert. C’est vrai et faux en même temps.

Leur situation est comparable en ce sens qu’ils n’étaient, ne sont pas en fin de vie mais en situation de très lourd handicap. Aucun des deux n’était ou n’est capable d’exprimer son souhait, sa volonté, par absence de conscience (et plus encore pour un bébé qui n’aurait pas pu s’exprimer clairement même en bonne santé). Les deux ne souffraient ou ne souffrent pas et donc, leur survie n’était pas faite en contrepartie d’une souffrance insoutenable (ce qui aurait été blâmable, évidemment). Les parents des deux ont dû ou doivent batailler avec la justice pour avoir le droit de soigner leur enfant. Dans les deux situations, l’hôpital veut arrêter la vie du patient et surtout, refuse son transfert vers un établissement spécialisé plus adapté à leur état. Et dans les deux cas, l’hôpital a bouclé les issues pour empêcher l’enlèvement forcé du patient. Où est la démocratie ?

Néanmoins, il y a trois différences.

La première, sur le plan de l’état de santé, Vincent Lambert est dans un "meilleur" état qu’Alfie Evans dans la mesure où son état n’est pas évolutif (alors que pour Alfie, on ne pouvait s’attendre qu’à une évolution qui aurait fait empirer son état), et surtout, qu’il n’a pas besoin de respirateur artificiel : Vincent n’est pas débranchable, puisqu’il n’est pas branché ! De plus, on a déjà réussi à "réveiller" une personne proche de son état de santé. Encore faut-il le soigner convenablement.

Or, la tragique fin d’Alfie Evans, qui a tant ému, pourrait avoir une conséquence "positive" : celle d’ouvrir les yeux à ceux qui parlent de "compassion" et de "dignité" à tort et de travers. Si cette fin est si scandaleuse, celle de Vincent le serait encore beaucoup plus, puisque l’état de Vincent Lambert justifierait encore moins un arrêt des traitements.

La deuxième différence, elle est judiciaire : à chaque fois qu’il y a eu une procédure judiciaire, un recours, etc., la procédure d’arrêt de soins a été suspendue, ce qui a permis à Vincent Lambert de continuer à vivre. Alfie Evans n’a pas eu la même chance. Enfin, la troisième différence, c'est l'unité de la famille pour Alfie Evans et la division de la famille pour Vincent Lambert.


Soigner les plus vulnérables

C’est l’un des premiers objectifs d’un État, celui de protéger les plus fragiles et de faire jouer la solidarité entre ses citoyens, solidarité financière mais aussi sociale.

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Cette protection a d’ailleurs aussi une conséquence essentielle : celle de faire progresser la médecine. Si l’on devait laisser mourir tous patients atteints d’une des maladies incurables, il n’y aurait aucun espoir de rendre guérissables ces maladies. Or, c’est justement là le miracle de la recherche scientifique, celui de réussir à guérir certaines maladies, même si, parallèlement, de nouvelles maladies se développent. Renoncer, rester dans une sorte de fatalisme de la nature, n’a rien d’humain, n’a rien de logique non plus. Il conduit tout droit à la disparition de l’espèce humaine, faute de trouver de nouveaux moyens pour se protéger des prochaines maladies.

Je termine par cette réflexion d’Aude Mirkovic que je fais mienne : « Laisser mourir une personne en fin de vie, c’est le refus de l’acharnement thérapeutique. Laisser mourir un patient dépendant, c’est très différent. (…) La société s’est donc émue à juste titre. Saura-t-elle en tirer des conclusions constructives ? C’est à espérer. Il est inutile (…) d’en rester à la consternation. C’est le moment de s’interroger sur la place que nous voulons bien donner au handicap, aux plus faibles, et plus généralement, sur le sens et la dignité de toute vie humaine. (…) Avec [Alfie], les gens réalisent que l’abandon de certaines vies considérées comme ne méritant pas d’être vécues conduit à une impasse et, surtout, à une société inhumaine. » (Atlantico, le 30 avril 2018).

Espérons que cette tragique issue puisse réveiller les consciences !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 avril 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Alfie Evans, tragédie humaine.
Pétition : soutenez Vincent !
Vers une nouvelle dictature des médecins ?
Sédation létale pour l’inutile Conseil économique, social et environnemental.
Vincent Lambert et Inès : en route vers une société eugénique ?
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking, le courage dans le génie.
Le plus dur est passé.
Le réveil de conscience est possible !
On n’emporte rien dans la tombe.
Le congé de proche aidant.
Un génie très atypique.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Un fauteuil pour Vincent !
Pour se rappeler l'histoire de Vincent.
Dépendances.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".
Euthanasie ou sédation ?
François Hollande et la fin de vie.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Texte intégral de la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
Autre fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Chaque vie humaine compte.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180428-fdv2018cd-alfie-evans.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/alfie-evans-tragedie-humaine-203937

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/05/03/36368253.html


 

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14 avril 2018 6 14 /04 /avril /2018 03:38

« Alors que le nom de son assassin déjà sombrait dans l’oubli, le nom d’Arnaud Beltrame devenait celui de l’héroïsme français, porteur de cet esprit de résistance qui est l’affirmation suprême de ce que nous sommes, de ce pour quoi la France toujours s’est battue, de Jeanne d’Arc au Général De Gaulle : son indépendance, sa liberté, son esprit de tolérance et de paix contre toutes les hégémonies, tous les fanatismes, tous les totalitarismes. » (Emmanuel Macron, le 28 mars 2018 dans la cour d’honneur des Invalides, à Paris).



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Retour sur le colonel Arnaud Beltrame (son grade lui a été attribué à titre posthume). Quelques semaines plus tard, il semble déjà presque oublié dans les médias plus préoccupés par les grèves de la SNCF si ce n’est par les héritiers de Johnny Hallyday.

Je suis fier que ce héros ait reçu l’hommage solennel qu’il a eu aux Invalides le mercredi 28 mars 2018 en présence du Président de la République Emmanuel Macron et de nombreux hauts responsables ou anciens hauts responsables de la vie politique nationale. C’est une unanimité qui, comme le 11 janvier 2015, montre que les Français sont capables de se rassembler quand il le faut, pour défendre des valeurs fondamentales de la République.

Personne ne pourra jamais obliger une seule personne à faire le même geste qu’Arnaud Beltrame, mais ce geste doit être salué à sa juste valeur, celui du sacrifice, celui du don de soi, et évidemment, celui du courage.

Pour la première fois à propos d’un attentat terroriste, on parle plus d’une victime que des terroristes. Je suis souvent en colère quand j’entends évoquer trop souvent, même en mal, forcément en mal, les noms des terroristes, lorsqu’on raconte leur vie, lorsqu’on essaie d’expliquer  leurs actes barbares. Ils doivent être oubliés. La mémoire doit les laisser dans la boue de l’horreur qu’ils ont produite. Ce n’est pas la loi, mais la conscience des journalistes qui devrait guider cette nécessité de ne pas insister sur la personnalité des terroristes, du moins pour le grand public (bien sûr que les enquêteurs ont besoin, eux, d’insister).

Il est des noms qui surgissent de l’âme nationale, au détour d’une actualité soudaine, et qui marquent durablement l’histoire populaire. Je suis persuadé qu’Arnaud Beltrame fera partie de ces légions improbables de héros ou, plutôt, de figures héroïsées a posteriori (c’est un peu comme les saints, on le sait rarement de son vivant).

Dans "Libération" du 29 mars 2018, Laurent Joffrin a voulu mettre un parallèle saisissant entre cet hommage à Arnaud Beltrame et, dans la même cour d’honneur des Invalides (selon l'éditorialiste), la cérémonie de dégradation de Dreyfus, accusé (injustement) d’espionnage et de haute trahison. En fait, le 5 janvier 1895, le capitaine Alfred Dreyfus a été dégradé dans la cour de l'École militaire et pas dans la cour d'honneur des Invalides. Ce fut le début de "l’affaire Dreyfus" pendant plus de dix ans, la France coupée en deux, et l’antisémitisme en toile de fond. Alfred Dreyfus, bien malgré lui, est devenu, lui aussi, un "héros", le symbole d’une injustice d’État qui a marqué les esprits.

Laurent Joffrin a même attribué à cette injustice la cause du sionisme : si, même en France, pays des droits de l’homme, les Juifs ne pouvaient pas vivre tranquillement, il leur faudrait alors une terre spécifique. Je ne sais pas si c’est la cause, car le concept de la Terre promise est bien plus ancien que cela, peut-être la cause "moderne", mais dans le monde de 1895, et jusqu’en 1945 au moins, l’antisémitisme a eu un écho suffisamment important pour gagner même des honnêtes gens.

Est-on revenu à cette époque ? Probablement pas, fort heureusement. L’assassinat de Mireille Knoll à Paris a eu lieu le même jour que l’attentat de Trèbes, le 23 mars 2018, qui pourrait être antisémite (ou crapuleux, l’enquête le dira), et plusieurs assassinats auparavant montrent qu’il faut toujours rester vigilant.

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D’autres noms peuvent surgir des mémoires à l’évocation d’Arnaud Beltrame. Guy Môquet, par exemple, qui ne voulait pas plus être un héros (ni non plus être une station de métro).

Oui, il est sain que la République, unie et rassemblée, ait célébré la France du colonel Beltrame. Ce serait ingratitude de sa part si elle ne l’avait pas fait. Il ne s’agit pas de récupération, ni politique ni religieuse, car son geste a ému trop de personnes pour qu’il soit la "propriété" d’une seule catégorie de la population.

Dans sa belle allocution d’hommage du 28 mars 2018 (lisible dans son intégralité ici), Emmanuel Macron a évidemment fait le rapprochement avec la France résistante. Celle qui refuse la fatalité et qui combat pour ses valeurs.

Emmanuel Macron a d’abord rappelé la recherche de la mort du terroriste : « [Le colonel Beltrame] savait (…) que le terroriste détenait une employée en otage. Qu’il se réclamait de cette hydre islamiste qui avait tant meurtri notre pays. Qu’avide de néant, ce meurtrier cherchait la mort. Cherchait sa mort. Cette mort que d’autres avant lui avaient trouvée. Une mort qu’ils croyaient glorieuse, mais qui était abjecte : une mort qui serait pour longtemps la honte de sa famille, la honte des siens et de nombre de ses coreligionnaires ; une mort lâche, obtenue par l’assassinat d’innocents. L’employée prise en otage était de ces innocents. Pour le terroriste qui la tenait sous la menace de son arme, sa vie ne comptait pas, pas plus que celle des autres victimes. Son sort sans doute allait être le même. ».

En brossant ce tableau d’introduction, ce qu’a trouvé Arnaud Beltrame en entrant dans la supérette, on comprend deux choses : qu’il voulait sauver la vie de l’otage, et que sa propre vie prenait un risque considérable : « Accepter de mourir pour que vivent des innocents, tel est le cœur de l’engagement du soldat. Être prêt à donner sa vie parce que rien n’est plus important que la vie d’un concitoyen, tel est le ressort intime de cette transcendance qui le portait. Là était cette grandeur qui a sidéré la France. ».

Oui, le mot présidentiel est juste, il s’est effectivement agi d’une "sidération" de toute la nation française. Il est en effet stupéfiant de savoir que certains placent les valeurs avant toute autre chose, bien avant des considérations plus matérielles comme on pourrait le croire dans cette société consumériste. Au prix de leur propre vie, au prix de détruire celle de leurs proches qu’ils aiment, qui en seraient forcément affectés. Arnaud Beltrame a agi selon un idéal. En allant jusqu’au bout de son idéal. Qu’importe que cet idéal soit professionnel, républicain, spirituel, religieux. Il est sans doute un mélange de tout cela. Ce qui semble admis, c’est qu’il y avait beaucoup réfléchi tout au long de son existence. Ce geste était mûrement réfléchi, même si la situation avait fait irruption devant lui sans crier gare. Il était déjà moralement prêt.

Il est allé sans hésitation. C’est la différence entre les "héros" et les autres : « À cet instant (…), d’autres, même parmi les braves, auraient peut-être transigé ou hésité. Mais [il] s’est trouvé face à la part la plus profonde et peut-être la plus mystérieuse de son engagement. Il a pris une décision qui n’était pas seulement celle du sacrifice, mais celle d’abord de la fidélité à soi-même, de la fidélité à ses valeurs, de la fidélité à tout ce qu’il avait toujours été et voulu être, à tout ce qui le tenait. ».

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Le rendez-vous avec son destin : « Lucide, déterminé, le lieutenant-colonel Beltrame a pris auprès du terroriste la place de l’otage. (…) Un soldat aussi aguerri, gendarme d’élite, cité au combat en Irak, sentait sûrement qu’il avait rendez-vous avec la mort ; mais il avait rendez-vous avant tout et plus encore avec sa vérité d’homme, de soldat, de chef. Ce fut la source de son immense courage : pour ne pas manquer aux autres, il faut ne pas se manquer à soi-même. [Il] a fait ce choix parce qu’il se serait éternellement reproché de ne pas l’avoir fait. ».

Emmanuel Macron a fait ensuite l’association entre le geste d’Arnaud Beltrame et un acte de résistance : « Droit, lucide, et brave, il faisait face à l’agression islamiste, face à la haine, face à la folie meurtrière, et avec lui surgissait du cœur du pays l’esprit français de résistance, par la bravoure d’un seul entraînant la Nation à sa suite. Cette détermination inflexible face au nihilisme barbare convoqua aussitôt dans nos mémoires les hautes figures de Jean Moulin, de Pierre Brossolette, des Martyrs du Vercors et des combattants du maquis. ».

Et de poursuivre en remontant l’histoire : « Soudain se levèrent obscurément dans l’esprit de tous les Français, les ombres chevaleresques des cavaliers de Reims et de Patay, des héros anonymes de Verdun et des Justes, des compagnons de Jeanne et de ceux de Kieffer, enfin, de toutes ces femmes et de tous ces homme qui, un jour, avaient décidé que la France, la liberté française, la fraternité française, ne survivraient qu’au prix de leur vie, et que cela en valait la peine. ».

Rappelons que le capitaine Philippe Kieffer (1899-1962), fut compagnon de la Libération et le commandant du 1er bataillon de fusiliers marins commandos qui s’illustra pendant la Seconde Guerre mondiale et en particulier lors du Débarquement de Normandie, et dont l’héroïsme ne fut reconnu en France que …le 6 juin 2004 ! Ils avaient été "oubliés" à cause de De Gaulle, mis à l’écart de la préparation du Débarquement, qui les trouvaient "trop" britanniques.

Face aux résistants, « un obscurantisme barbare » qu’Emmanuel Macron a désigné clairement : « Non, ce ne sont pas seulement les organisations terroristes, les armées de Daech, les imams de haine et de mort que nous combattons. Ce que nous combattons, c’est aussi cet islamisme souterrain, qui progresse par les réseaux sociaux, qui accomplit son œuvre de manière invisible, qui agit clandestinement, sur des esprits faibles ou instables (…). C’est un ennemi insidieux, qui exige de chaque citoyen, de chacun d’entre nous, un regain de vigilance et de civisme. ».

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Faire d’un citoyen un héros de la France, cela pourrait paraître de l’instrumentation. Pas l’instrumentation politique au service d’un clan, d’un parti (je l’ai écrit plus haut, l’émotion a été trop largement partagée pour être durablement accaparée), mais l’instrumentation la plus glorieuse qui peut être faite, celle de servir de but à montrer, d’horizon à tendre.

C’est bien sûr à la jeunesse qu’Emmanuel Macron a pensé : « Puisse son engagement [celui du colonel Beltrame] nourrir la vocation de toute notre jeunesse, éveiller ce désir de servir à son tour cette France pour laquelle un de ses meilleurs enfants, après tant d’autres, vient de donner héroïquement sa vie, clamant à la face des assoupis, des sceptiques, des pessimistes : Oui, la France mérite qu’on lui donne le meilleur de soi. Oui, l’engagement de servir et de protéger peut aller jusqu’au sacrifice suprême. Oui, cela a du sens, et donne sens à notre vie. ».

Et d’insister : « Et je dis à cette jeunesse de France, qui cherche sa voie et sa place, qui redoute l’avenir, et se désespère de trouver en notre temps de quoi rassasier la faim d’absolu, qui est celle de toute jeunesse : l’absolu est là, devant nous. ».

Le geste d’Arnaud Beltrame est donc une pierre nouvelle à la morale républicaine : « [L’absolu] n’est pas dans les errances fanatiques, où veulent vous entraîner des adeptes du néant, il n’est pas dans le relativisme morne que certains autres proposent. Il est dans le service, dans le don de soi, dans le secours porté aux autres, dans l’engagement pour autrui, qui rend utile, qui rend meilleur, qui fait grandir et avancer. ».

Et Emmanuel Macron de conclure : « Arnaud Beltrame rejoint aujourd’hui le cortège valeureux des héros qu’il chérissait. (…) Sa mémoire vivra. Son exemple demeurera. J’y veillerai ; je vous le promets. Votre sacrifice, Arnaud Beltrame, nous oblige. (…) Au moment du dernier adieu, je vous apporte la reconnaissance, l’admiration et l’affection de la Nation tout entière. ».

Par antimacronisme primaire, certains opposants au gouvernement actuel (qui ont des raisons tout à fait respectables de s’opposer politiquement) pourraient être tentés de dénigrer ce genre de discours en pensant que le Président de la République voudrait faire de la récupération. Ce serait une erreur.

Je crois, au contraire, qu’Emmanuel Macron était parfaitement dans son rôle, celui du chef des armées, du chef de la Nation, du chef de l’État, pour parler au nom de tous les citoyens et adresser à la famille et aux proches d’Arnaud Beltrame, unanimement, ce petit mot de reconnaissance si précieux : merci, colonel !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 avril 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La France d’Arnaud Beltrame.
Discours du Président Emmanuel Macron aux Invalides le 28 mars 2018 (texte intégral).
La gendarmerie nationale.
Arnaud Beltrame, la foi et la République.
Que faire des djihadistes français en Syrie ?
L’attentat du Super U de Trèbes le 23 mars 2018.
Les attentats de Barcelone et de Cambrils (17 et 18 août 2017).
Daech : toujours la guerre.
Les attentats du 11 septembre 2001.
L’attentat de Manchester du 22 mai 2017.
L’attentat de Berlin du 19 décembre 2016.
L’unité nationale.
L'assassinat du père Jacques Hamel.
Vous avez dit amalgame ?
L'attentat de Nice du 14 juillet 2016.
L'attentat d'Orlando du 12 juin 2016.
L'assassinat de Christina Grimmie.
Les valeurs républicaines.
Les assassinats de Merah (mars 2012).
Les attentats contre "Charlie-Hebdo" (janvier 2015).
Les attentats de Paris du 13 novembre 2015.
Les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016.
Daech.
La vie humaine.
La laïcité.
Le patriotisme.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180328-arnaud-beltrame-0.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/06/22/36506145.html



 

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10 avril 2018 2 10 /04 /avril /2018 23:48

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a adopté un avis sur l'euthanasie le 10 avril 2018. Cet avis peut être lu sur son site Internet.

Cliquer sur le lien pour télécharger l'avis (fichier .pdf) :
http://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2018/2018_10_fin_vie.pdf

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180410-cese-fdv2018cb.html

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20180410-avis-cese-euthanasie.html

 

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10 avril 2018 2 10 /04 /avril /2018 03:52

« Ô vous (…), les allongés, les promis à la mort, les sans force et sans pouvoir, à tout être humain vivant, il est permis d’être le sel de la terre. (…) Il lui suffit, dans l’océan de trouble et de douleur, d’une goutte de cette eau pure. (…) Tel est le mot de la divine douceur, le premier et le dernier, elle ne dit rien d’autre : il n’y a pas de bouche inutile. » (Maurice Bellet, 1987).


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Et voici que Vincent Lambert revient dans l’actualité, par la plus mauvaise porte : par une nouvelle "condamnation à mort". Vincent Lambert (41 ans) a été victime d’un accident de la circulation le 29 septembre 2008. Il est en "état de conscience minimal" que certains, même médecins, osent qualifier d’état "végétatif" contre toute dignité de l’humain : un être humain n’est pas une plante, quel que soi sont état, quel que soit son handicap, il reste humain, avec sa dignité et sa réalité. Ces dernières années, j’ai longuement évoqué sa douloureuse situation tant médicale que familiale et même judiciaire.

Au terme d’une quatrième procédure collégiale, ce lundi 9 avril 2018, le CHU de Reims s’est prononcé en faveur d’un "arrêt des traitements" de Vincent Lambert. La loi Claeys-Leonetti a précisé clairement que l’alimentation et l’hydratation font partie des "traitements" et pas des "soins", précision sémantique qui pourrait avoir une conséquence gravissime pour Vincent Lambert puisque la décision de l’hôpital Sébastopol (prise par le docteur Vincent Sanchez qui est déclaré "déterminé" par le neveu de Vincent) signifierait sa condamnation à mort.

Cette décision a été prise contre l’avis de ses parents mais en accord avec son épouse. Ses parents vont faire, dans un délai de dix jours, un recours auprès du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, et si c’est nécessaire, cela pourra remonter une fois encore au Conseil d’État, comme cela a été le cas dans les précédentes procédures judiciaires. La première décision d’arrêt des traitements avait été prise par le docteur Éric Kariger le 10 avril 2013 en catimini, sans consulter les parents de Vincent, en espérant bénéficier du fait accompli.

Cet avis a été pris en considérant que laisser vivre Vincent Lambert correspondrait à une "obstination déraisonnable". Or, le seul raisonnement qui conduit à ce constat d’obstination déraisonnable, c’est que l’on ne serait pas sûr que le patient ne souffre pas. Son neveu, particulièrement prosélyte pour son euthanasie, a donné, pour commenter l’avis du CHU qu’il approuve, une raison inquiétante : « Ca veut dire qu’on n’est pas sûr que Vincent ne ressent pas la souffrance. ». Faut-il donc tuer selon le principe de précaution ? S’il souffre vraiment, il existe pourtant des solutions pour lui éviter de ne pas souffrir sans le tuer.

Maître Jean Paillot, l’un des avocats des parents de Vincent, a déclaré : « Nous contestons le fait que Vincent soit en situation d’obstination déraisonnable : nous sommes en présence d’une décision d’euthanasie, d’arrêt de vie, et Viviane Lambert, son père, son frère et sa sœur ont reçu cette décision comme un coup de poing dans l’estomac. Ils ont assisté aujourd’hui à une condamnation à mort. ». Et de continuer : « C’est sur le terrain médical que nous allons nous placer (…). On a fait valoir des éléments médicaux qui ont été sciemment laissés de côté par le médecin. » (cité par "Science et Avenir" le 9 avril 2018).

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Tout le problème provient du fait que Vincent Lambert ne peut pas donner son avis éclairé et sincère, et n’a donné aucune consigne, aucune directive anticipée, avant de tomber dans cet état de conscience minimal, ni n’a désigné aucune personne de confiance qui aurait pu le représenter légalement sur ce terrain de la fin de vie. Et les proches de Vincent, d’une part, son épouse, d’autre part, ses parents, sont profondément divisés sur la décision à prendre pour lui. Ce qui explique les nombreuses procédures judiciaires depuis avril 2013. Personne ne doute que les deux "parties" agissent par amour pour le mari ou le fils. Mais personne n’a su les concilier pour une solution apaisée et pacifiée pour le bien de tous, et d’abord de Vincent.

Rappelons que Vincent Lambert n’est pas le seul patient dans cet état de conscience minimal. Plusieurs centaines voire milliers de personnes sont, en France, dans la même situation que lui. Rappelons que Vincent Lambert n’est pas en maintien artificiel de la vie : il n’a aucun branchement, aucune assistance respiratoire. Comme il ne peut pas déglutir (et je connais une personne très proche dont c’était le cas), il faut bien l’aider à s’alimenter et à s’hydrater. C’est la seule assistance… à personne en danger de mort sinon. Ceux qui ne peuvent pas manger ou boire tout seuls, ce n’est pas par milliers qu’on peut les compter en France mais plutôt par dizaines ou centaines de milliers. Où est l’obstination déraisonnable ?

Le service Coma Science Group du CHU de Liège, qui avait évalué l’état de Vincent en juillet 2011, a décrit un « état pauci-relationnel impliquant la persistance d’une perception émotionnelle et l’existence de possibles réactions à son environnement » et précise que « dès lors, l’alimentation et l’hydratation artificielles n’[ont] pas pour objet de le maintenir artificiellement en vie ». Les experts médicaux du Conseil d’État ont diagnostiqué, en avril 2014, « des troubles de la déglutition, une atteinte motrice sévère des quatre membres, quelques signes de dysfonctionnement du tronc cérébral » mais « une autonomie respiratoire préservée » (Ces deux avis ont été cités dans l’arrêt du 5 juin 2015 de la Cour européenne des droits de l’homme).

Rappelons aussi qu’une récente publication scientifique avait fait état, il y a quelques mois (le 25 septembre 2017), d’un retour à la conscience d’une personne sans espoir d’en revenir. La médecine est encore assez pauvre sur ces sujets mais les progrès peuvent arriver rapidement. Neurologue au CHU de Liège, un des spécialistes mondiaux du domaine, le professeur Steven Laureys l’avait déclaré dans "Le Monde" le 25 septembre 2017 : « Un vieux dogme voudrait qu’il n’existe aucune chance d’amélioration chez les patients sévèrement cérébrolésés depuis plus d’un an. Mais ce dogme est faux, comme le confirme cette étude. La plasticité cérébrale, cette capacité de remodelage et d’adaptation de notre cerveau, est parfois étonnante. ».

La question qui demeure sans arrêt dans les esprits, c’est pourquoi le CHU de Reims veut absolument garder Vincent Lambert alors qu’il n’est pas équipé, pas spécialisé pour soigner des patients dans sa situation. Il existe pourtant beaucoup d’établissements qui accueillent des personnes dans cette situation avec des soins qui correspondent à ses besoins, notamment en matière de kinésithérapie (aucun soin de ce type n’a été réalisé sur Vincent depuis des années, elle est là, la souffrance). Plusieurs fois, les parents ont fait une demande pour pouvoir faire prendre en charge leur fils dans un établissement médical spécialisé et à chaque fois, il leur a été refusé : pourquoi ?

La réponse juridique est compréhensible : la Cour de cassation avait jugé le 13 décembre 2017 que seule, l’épouse de Vincent, qui est sa tutrice légale (désignée le 10 mars 2016 par le juge des tutelles de Reims et confirmée le 8 juillet 2016 par la cour d’appel de Reims), était autorisée à faire la demande d’un transfert vers un autre établissement. La même instance avait en outre interdit aux parents l’accès au dossier médical de leur fils.

Mais la réponse d’humanité ? Pourquoi l’épouse refuse-t-elle un tel transfert ? Pourquoi refuser la seule lueur d’espoir ? Vincent Lambert est-il la victime collatérale d’un mouvement de lobbying très organisé en faveur de l’euthanasie et de la culture de la mort alors que se déroulent actuellement les états-généraux de la bioéthique ?

Jusqu’à maintenant, Viviane Lambert, la mère de Vincent, avait eu le plus gros choc de sa vie le 29 avril 2013 à Reims, lors du premier arrêt de traitements de son fils, auquel il avait mystérieusement survécu après un mois de jeûne forcé : « Je suis au chevet de mon fils. (…) Vincent n’a rien mangé depuis vingt jours. (…) Il est là, devant moi, dans un lit d’hôpital à Reims, amaigri, affaibli, et il va mourir. Dans un jour ? Dans cinq jours ? Je ne sais pas… Mais il va mourir parce que quelqu’un l’a décidé. Un médecin lui a supprimé toute nourriture, presque toute hydratation, pour le mettre sur un chemin de "fin de vie". Je parle à Vincent, mais il ne peut pas me répondre : il est en "état de conscience minimal" (…). Il peut ressentir des émotions, mais il est incapable de s’exprimer. Il me regarde, et il pleure. Des larmes coulent le long de ses joues. Il va mourir. Il souffre, je le sais : je suis sa mère ! » (Exprimé dans son livre publié le 7 mai 2015).

Cinq juges de la Cour européenne des droits de l’Homme, faisant partie de "l’opinion dissidente" de l’avis prononcé sur Vincent Lambert, s’exprimaient ainsi le 5 juin 2015 : « Nous posons donc la question : qu’est-ce qui peut justifier qu’un État autorise un médecin (…), en l’occurrence non pas à "débrancher" Vincent Lambert (celui-ci n’est pas branché à une machine qui le maintiendrait artificiellement en vie) mais plutôt à cesser ou à s’abstenir de le nourrir et de l’hydrater, de manière à, en fait, l’affamer jusqu’à la mort ? (…) Une personne lourdement handicapée, qui est dans l’incapacité de communiquer (…), peut être privée de deux composants essentiels au maintien de la vie, à savoir la nourriture et l’eau, et, de plus, la Convention [européenne des droits de l’Homme] est inopérante face à cette réalité. Nous estimons non seulement que cette conclusion est effrayante mais de plus, et nous regrettons d’avoir à le dire, qu’elle équivaut à un pas en arrière dans le degré de protection que la Convention et la Cour ont jusqu’ici offerte aux personnes vulnérables. ».

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Vincent Lambert n’est hélas pas seul dans cette situation médico-judiciaire précaire. Atteinte d’une maladie neuromusculaire auto-immune, Inès, une adolescente de 14 ans qui est tombée dans un état de conscience minimal le 22 juin 2017 à la suite d’une crise cardiaque, vit, elle aussi, dans cette incertitude de la vie. Dans le cadre de la loi Claeys-Leonetti et après une procédure collective, le chef du service d’anesthésie-réanimation du CHU de Nancy avait décidé l’arrêt des traitements le 21 juillet 2017 contre l’avis des deux parents. Cette décision a été validée par le tribunal administratif de Nancy le 7 décembre 2017, puis par le Conseil d’État le 5 janvier 2018 et enfin par la Cour européenne des droits de l’homme le 25 janvier 2018 (saisie avec la procédure d’urgence, cette dernière a en effet déclaré irrecevable la requête des parents).

Je ne reviendrai pas ici sur l’euthanasie, j’ai déjà longuement argumenté sur le sujet. Il ne s’agit pas de morale mais de société. Dans quelle société voulons-nous vivre demain ? Une société qui se priverait de ses personnes les plus fragiles, qui les éliminerait au lieu de les protéger, serait une société qui serait prête au Soleil vert, qui se déshumaniserait nécessairement. Toute personne improductive serait alors éliminable, car jusqu’où irait-on ? quelles en seraient les limites ? On parlerait déficit de la sécurité sociale, ou plutôt, on éviterait de parler gros sous mais on y penserait très fort. Des fictions ont déjà été écrites sur le sujet, de quoi frémir. Au-delà de cet effrayant avenir, il y a aussi le progrès de la médecine qui est en jeu : si l’on tue au lieu de chercher à guérir, on ne guérira plus aucune maladie ou trouble grave dans quelques décennies…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 avril 2018)
http://www.rakotoarison.eu

Les quatre illustrations proviennent de tableaux de Paula Modersohn-Becker.


Pour aller plus loin :
Vincent Lambert et Inès : en route vers une société eugénique ?
Le congé de proche aidant.
Stephen Hawking, le courage dans le génie.
Le plus dur est passé.
Le réveil de conscience est possible !
On n’emporte rien dans la tombe.
Le congé de proche aidant.
Un génie très atypique.
Les nouvelles directives anticipées depuis le 6 août 2016.
Un fauteuil pour Vincent !
Pour se rappeler l'histoire de Vincent.
Dépendances.
Sans autonomie.
La dignité et le handicap.
Alain Minc et le coût des soins des "très vieux".
Euthanasie ou sédation ?
François Hollande et la fin de vie.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Texte intégral de la loi n°2016-87 du 2 février 2016.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
La leçon du procès Bonnemaison.
Les sondages sur la fin de vie.
Les expériences de l’étranger.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
Autre fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Chaque vie humaine compte.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180409-vincent-lambert-fdv2018ca.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/vincent-lambert-et-ines-en-route-203233

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/04/10/36309434.html



 

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