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6 août 2022 6 06 /08 /août /2022 05:47

« Ça fait turbuler le système pour rien (…). Je ne peux que reconnaître les convictions de Sacha Houlié, mais là-dessus, évidemment, ça fait turbuler le système et ça renvoie une image qui n'est pas positive. » (Sylvain Maillard, député et vice-président du groupe Renaissance, le 17 août 2022 sur FranceInfo).



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Le député (LREM/Renaissance) Sacha Houlié a déposé le 2 août 2022 sur le bureau de l'Assemblée Nationale une proposition de loi constitutionnelle (n°178) visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union Européenne résidant en France. Il a fallu plusieurs jours pour la classe politique s'en émeuve.

C'est un sujet hautement politique, voire hautement philosophique et la forme dans cette affaire compte autant que le fond. C'est aussi un serpent de mer, véritablement lassant.

La forme, c'est que ce sujet, le droit de vote des étrangers, est un marqueur idéologique de gauche. Attention, quand je dis cela, je le dis doublement : c'est un marqueur de gauche (pour les pour), mais c'est aussi un marqueur de droite (pour les contre). Évidemment, le sujet ne se résume pas à un clivage droite/gauche, d'autant plus que Nicolas Sarkozy avait été en 2002 assez flou sur ses convictions sur le sujet, et tous les responsables dits de gauche qui ont pu être aux responsabilités suprêmes, en particulier les trois principaux, François Mitterrand, Lionel Jospin et François Hollande, n'en ont rien fait, alors qu'ils le pouvaient, François Hollande avait la fenêtre absolument historique d'un Sénat et d'une Assemblée Nationale simultanément à gauche en juin 2012 et septembre 2014.


On ne pourra pas reprocher à Sacha Houlié, "macroniste de gauche", d'avoir des convictions. Mais on pourra lui reprocher deux choses : d'une part, ses initiatives sont scrutées avec une très grande importance depuis qu'il a été élu président de la très influente commission des lois de l'Assemblée Nationale (et même s'il a insisté sur le caractère "personnel" de son initiative, ses collègues de la majorité de la commission des lois pourraient se sentir engagés par cette démarche vis-à-vis de leurs électeurs) ; d'autre part, la situation parlementaire est telle, les projets cruciaux sont tels (immigration mais surtout projet de loi de finances pour 2023) que provoquer un énième débat polémique qui n'apporte rien de concret sinon que des divisions, en particulier au sein de la majorité, n'est pas de nature à conforter la position du gouvernement, d'autant plus que le Président de la République Emmanuel Macron lui-même avait montré sa grande réticence sur ce sujet. Quant à l'idée que la majorité veuille faire un "clin d'œil" aux enragés insoumis, à mon sens, ce serait faire fausse route ; rien ne les calmerait puisqu'ils veulent le désordre pour le désordre.

On ne pourra pas reprocher non plus à Sacha Houlié de reparler de ce serpent de mer, dont le véritable enjeu est d'être un chiffon rouge pour l'extrême droite : François Mitterrand, après l'avoir promis sans le réaliser en 1981, avait rejeté dans la soupe électorale au début du mois d'avril 1988 ce nonos à ronger (gratuitement puisqu'il se disait pour mais il disait qu'il ne le ferait pas !), ce qui a permis à Jean-Marie Le Pen d'atteindre un score jamais encore égalé par l'extrême droite à l'élection présidentielle de 1988. Sacha Houlié, né le 8 octobre 1988, est bien entendu totalement étranger à ces manœuvres politiciennes propres au mitterrandisme militant.

Pour autant, et venant au fond, je ne peux que regretter ce genre de proposition, en mentionnant d'ailleurs ce que j'avais évoqué le sujet déjà le 6 décembre 2011 à l'occasion d'une énième offensive de la gauche.

Ce qui me paraît grave, c'est que les notions de citoyenneté sont totalement bafouées avec ce droit de vote des étrangers. Le meilleur moyen de voter dans un pays, c'est encore de prendre la nationalité de ce pays. Si un étranger est si attentif à la vie politique qu'il veut voter, qu'est-ce qui lui empêcherait de demander la nationalité française ? Rien, absolument rien. Donc, faux débat.

Le corollaire de cette réflexion, c'est : à quoi sert la nationalité française si le droit de vote n'est pas l'exclusivité des nationaux ? Réduire la citoyenneté française à néant ne me paraît pas le remède au malaise qui existe depuis plusieurs décennies, qui a permis aux extrémismes et aux populismes (des deux bords) de se nourrir et de s'étendre, un malaise de perte d'identité, de peur de l'autre, de repli sur soi.

Parmi les arguments qui m'agacent, il y a cette idée que puisque le résident étranger paie ses impôts, il devrait pouvoir voter. Au nom de quoi ? Avec cette logique, on va revenir au suffrage censitaire : quid du Français qui ne paie pas d'impôt ? Payer ses impôts s'entend bien sûr payer des impôts sur le revenu, car sinon, tout consommateur est contribuable, même lorsqu'on achète une carte postale au centre de Paris. La citoyenneté française est heureusement indépendante de la situation fiscale ! Le plus incohérent aussi, c'est que l'impôt sur le revenu, ce sont les élus nationaux qui le décident, alors, pourquoi ne leur permettre que l'élection des conseillers municipaux ? Selon l'expression de Pierre Mazeaud, ancien Président du Conseil Constitutionnel, « la nationalité ne se transmet pas en pièces détachées ».

Autre argument choquant, c'est de découpler le droit de vote et l'éligibilité : au nom de quoi quelqu'un qui peut choisir ne pourrait pas être élu ? En termes d'influence et de pouvoir politiques, ça ne change pas grand-chose. Et c'est là qu'on entre vraiment dans le fond.

Le seul véritable article de la proposition de Sacha Houlié fait une distinction, pas sur l'éligibilité elle-même, mais sur l'éligibilité à certains postes : « [Les étrangers non ressortissants de l'Union Européenne résidant en France] ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. ». C'est la reprise du texte de 2011 voire de 2000.

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Cette disposition, qui essaie, maladroitement, de circonscrire la souveraineté nationale, met dans une position d'inégalité les élus d'une même collectivité voire les collectivités elles-mêmes, celles qui ont en son sein des étrangers et celles qui n'en ont pas. De plus, réserver le droit de vote aux seules élections municipales reviendrait à rendre inégalitaires les électeurs entre eux. En ce sens, puisque Sacha Houlié argumente en parlant de « l'opportunité d'en faire une éclatante avancée », tout porte à croire que son prochain combat portera sur le droit de vote aux élections nationales après les élections locales.

Car évidemment, élire les conseillers municipaux, c'est élire aussi les sénateurs, et même si cette proposition limite la violation de la souveraineté nationale, cela signifie dans les faits que certaines villes, dont le taux de résidents étrangers pourrait être élevé, les étrangers pourraient donc influer de manière déterminante sur l'élection de parlementaires nationaux, et cela, c'est absolument anticonstitutionnel et surtout, totalement inacceptable. Et comme les conseillers municipaux élisent également le maire, ils élisent celui qui peut, par son parrainage, donner la possibilité à une personnalité d'être candidate à l'élection du Président de la République. Que cette possibilité puisse être téléguidée par des puissances étrangères met gravement en danger la souveraineté nationale, et plus largement, la cohésion nationale.

Autre réflexion, on ne peut pas envisager le vote des résidents étrangers sans qu'il n'y ait une réciprocité dans le pays dont ils ont la nationalité. Or, cette réciprocité, pour qu'elle ait lieu, nécessite des accords bilatéraux multiples (et aussi un niveau de démocratie sensiblement équivalent). C'est ce qui s'est passé en Union Européenne, à cela près qu'il a été institué un début de citoyenneté européenne. En outre, cela signifie qu'il y aurait deux types d'étrangers non européens, ceux à réciprocité, ceux pas à réciprocité. Nouvelle inégalité.

Dans son exposé des motifs, Sacha Houlié explique : « Il s’agit de permettre à ces femmes et à ces hommes qui, sans renier leur héritage, souhaitent devenir des membres à part entière de notre communauté politique, définir leur représentation et exprimer leurs aspirations. ». C'est précisément demander la naturalisation qui permettra à ces personnes d'entrer dans notre communauté politique. Et si la double nationalité leur est interdite par leur nationalité d'origine, la question se posera à eux de faire un choix.

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Toujours dans son exposé des motifs, le député a l'audace d'affirmer qu'il y a « dans les faits, une discrimination entre deux catégories d'étrangers », car, par le Traité de Maastricht (ratifié, rappelons-le, démocratiquement par le peuple français le 20 septembre 1992), les ressortissants des pays membres de l'Union Européenne peuvent déjà voter aux élections municipales et européennes (rappelons que s'ils votent en France à ces élections, ils n'ont pas le droit de voter dans leur pays d'origine).

Un tel argument, que je considère de mauvaise foi, est profondément anti-européen, car c'est bien la volonté de créer une citoyenneté européenne qui est visée par cette possibilité donnée aux ressortissants européens. Or, il n'est pas question de créer une citoyenneté mondiale, ou alors, il faudrait que l'auteur de cette proposition de loi constitutionnelle le dise clairement.

En tout cas, le sénateur Philippe Bas disait clairement son opposition en décembre 2011 : « C’est parce qu’il y a une citoyenneté européenne en gestation que l’on peut accorder le droit de vote aux élections locales à ces ressortissants communautaires. (…) L’Union Européenne, ce n’est plus du tout étranger. Ne banalisons pas le droit de vote des Européens en le réduisant à une simple étape sur le chemin d’une extension généralisée. Avec les étrangers non communautaires, il n’y a ni passeport commun, ni partage de souveraineté, ni communauté de destin, ni histoire commune. ».

Enfin, la concrétisation d'une telle mesure ne sera pas ce que certains voudraient y voir. En effet, des personnes d'origine étrangère (les "immigrés") ne sont pas forcément des personnes étrangères. Il y a manifestement, dans les enjeux, un problème de compréhension entre institutions et confrontations sociales. La meilleure intégration des personnes, c'est de respecter la loi, s'instruire et se former, travailler, se loger, et participer à la vie culturelle et associative. Participer à la vie politique est généralement, quelle que soit la nationalité, la suite logique d'un engagement professionnel, social, culturel, économique, associatif, et lorsqu'on en est là, la naturalisation devrait être aussi la suite logique.

Quelle est la probabilité de succès qu'une telle proposition de loi soit adoptée définitivement ? A priori, elle est nulle. Pourquoi ? Parce que la majorité présidentielle est plutôt opposée à une telle mesure, au moins dans son opportunité politique sinon dans le fond. Seule, la Nupes, fidèle à ses impuissantes propositions depuis quarante et un ans (rappelons que Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure sont les enfants de François Mitterrand), pourrait voter cette proposition, et une partie des "macronistes de gauche". Mais une fois passée l'étape de l'Assemblée Nationale, encore faut-il obtenir l'accord du Sénat majoritairement issu de LR. Puis les trois cinquième du Parlement réuni en Congrès ou la majorité populaire par référendum. On est loin du compte.

Alors, comment appeler cette initiative sinon une posture politicienne à objectif narcissique pour montrer qu'on existe toujours dans un monde où le gouvernement doit porter attention plus aux députés d'opposition qu'à ses propres troupes ? Le chiffon rouge aura juste le mérite de compter les réactions de l'opposition. Il confirme l'aspect mécaniste de la vie politique : même cause, même effet.

Je termine cet article pour en finir avec une fausse information : puisqu'on parle de droit de vote, on parle de carte d'électeur qui s'appelle désormais "carte électorale". Au printemps 2022, tous les électeurs français ont donc reçu de leur mairie une carte électorale à leur nom avec leur adresse, date de naissance, et numéro du bureau de vote, associé à un numéro sur la liste électorale de leur bureau de vote.

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La nouveauté, c'est le "gros" QR code qui se trouve sur la première page de la carte. Ce QR code est le même pour tous les électeurs français, il renvoie simplement au site du Ministère de l'Intérieur pour savoir comment faire une procuration, et autres informations pratiques concernant les opérations électorales. Il ne s'agit nullement d'une information personnelle regroupant les données indiquées sur la carte elle-même, ni même (j'en connais, des complotistes, qui s'inquiétaient !) la situation de la personne sur sa vaccination contre le covid, évidemment !


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (17 août 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les turbulences du droit de vote des étrangers.
Sacha Houlié.

Droit de vote des étrangers : la provocation à deux balles des socialistes (06 décembre 2011).
Le serpent de mer des parrainages pour la présidentielle.
Le texte qui sera débattu le 8 décembre 2011.
Le rapport de ce texte par Esther Benbassa le 30 novembre 2011.
Le texte adopté le 4 mai 2000 par l’Assemblée Nationale.
Le texte sur l’obligation de neutralité débattu le 7 décembre 2011.
Le rapport de ce texte par Alain Richard le 30 novembre 2011.
La loi du 25 mai 1998 sur le vote des Européens aux municipales.
La directive du 19 décembre 1994 sur le vote des Européens aux municipales.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220802-sacha-houlie.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/08/19/39599600.html


 


 
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18 juillet 2022 1 18 /07 /juillet /2022 05:50

« Malheureusement, malheureusement, l’antisémitisme est loin de disparaître, se diffuse aujourd’hui sournoisement ou ouvertement par des préjugés ou par des idéologies. Il se diffuse sur les réseaux sociaux, ou encore, récemment, à travers cette fresque scandaleuse sur les murs d’Avignon. » (Éric de Rothschild, le 17 juillet 2022 à Pithiviers).





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Où l’on a reparlé de cette fresque peinte à Avignon représentant Jacques Attali manipulant Emmanuel Macron. C’était à Pithiviers au cours d’une cérémonie très émouvante le dimanche 17 juillet 2022. À l’occasion du 80e anniversaire de la rafle du Vel d’hiv, la République a souhaité faire de la gare de Pithiviers, seul lieu restant, un lieu de mémoire de ces milliers d’assassinats, principalement de femmes et d’enfants juifs (les rumeurs de rafles avaient couru quelques jours auparavant et les hommes s’étaient cachés, on n’imaginait pas un instant que la police française irait arrêter aussi les femmes et les enfants). J’y reviendrai.

Avant de laisser la parole au Président de la République Emmanuel Macron, Éric de Rothschild a prononcé un petit discours introductif. Chef d’entreprise et issu d’une famille très nombreuse (et connue), Éric de Rothschild était en quelque sorte l’hôte du Président, en tant que président du Mémorial de la Shoah, depuis son ouverture en 2005, qui supervise plusieurs lieux de mémoires à Paris et aussi à Drancy depuis le 21 septembre 2012 et enfin, à Pithiviers depuis ce dimanche.

Dans son laïus, Éric de Rothschild a cité la fresque d’Avignon comme le dernier avatar de l’antisémitisme sournois ou assumé en France : « Derrière le caractère presque anodin et banal de ces murs, derrière l’apaisement que l’on sent en regardant notre belle campagne française, se cache bien plus, quelque chose qui nous ramène à l’essence même de ce que fut la collaboration, l’internement, la déportation, la Shoah. C’est le massacre d’une population porteuse d‘une culture et d’une éthique universelle. Cette gare nous parle du passé, d’un passé encore une fois enfoui et indiciblement douloureux, d’un passé que certains tentent de nier ou de falsifier. Mais cette inauguration historique se situe dans le présent d’aujourd’hui, dans la nécessité d’une histoire à perpétuer, de rappel des valeurs de la République, avant bafouées et aujourd’hui retrouvées. Malheureusement, malheureusement, l’antisémitisme est loin de disparaître, se diffuse aujourd’hui sournoisement ou ouvertement par des préjugés ou par des idéologies. Il se diffuse sur les réseaux sociaux, ou encore, récemment, à travers cette fresque scandaleuse sur les murs d’Avignon. Il se diffuse verbalement, il se diffuse physiquement. Cet antisémitisme mortifère alimente et justifie aux yeux des terroristes islamiques les morts qu’ils commettent. Nous ne pouvons pas ne pas rappeler l’assassinat de Mireille Knoll, de Sarah Halimi, des enfants de l’école Ozar Hatorah ou de l’assassinat barbare d’Ilan Halimi, victime d’un préjugé qui n’a jamais cessé de servir. Ils sont tous victimes de la haine et de l’intolérance élevées au rang d’un credo. ».

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On comprend bien que des faits antisémites et des assassinats, s’ils ne sont pas du même ordre, sont de la même idéologie et ces faits alimentent les motivations des assassinats. C’est pour cela, il faut le répéter, que l’antisémitisme n’est pas une opinion mais un délit. On ne peut pas prôner la liberté d’expression pour une idéologie de haine qui a tant massacré il y a quelques décennies.

Et donc, est venu il y a quelques semaines cette polémique de la fresque à Avignon. La mairie (socialiste) d’Avignon avait refusé, dans un premier temps, d’effacer cette fresque sous prétexte de liberté d’expression et de création artistique, et si elle a été recouverte d’une peinture blanche (après quelques dégradations volontairement commises auparavant), c’est parce que le préfet du Vaucluse lui-même a fait pression sur la maire.

Cette fresque était-elle antisémite ? En tout cas, elle en avait tout l’air. Jacques Attali, qui fut président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement de 1991 à 1993, manipule le Président Emmanuel Macron comme une marionnette. Parce qu’il est d’origine juive, on a jugé que cette fresque était antisémite, parce que la composition du dessin reprenait des dessins antisémites hélas traditionnels. Un banquier, Juif, au nez crochu, qui fait la loi contre la Nation, contre les citoyens, contre la République, pour qui seul compterait l’argent. De cet antisémitisme, une quinzaine de personnes sont mortes en France depuis 2006, comme l’a rappelé Éric de Rothschild. Vieux dessin, vieux démons, assassinats d’aujourd’hui.

En tout cas, beaucoup considèrent que cet antisémitisme affiché est un attentat aux valeurs républicaines. Valérie Rabault, l’une des leaders du PS : « Invoquer la liberté d’expression et de création pour cette fresque aux codes antisémites et complotistes n’est pas acceptable. L’antisémitisme est toujours rampant, ne rien laisser passer. ». Raphaël Glucksmann, député européen élu sur la liste socialiste : « Il faut vraiment ne jamais avoir ouvert un livre d’Histoire pour ne pas voir à quel point cette image reprend tous les codes de la propagande antisémite et de l’iconographie fasciste. ». Olivier Faure, premier secrétaire du PS : « L’interprétation de cette fresque laisse peu de doute. La figure du banquier juif manipulant ses marionnettes est une représentation récurrente des antisémites. L’antisémitisme est ce bacille de la peste qui réapparaît toujours. Aucune faiblesse n’est tolérable. Simple, basique. ». Nathalie Goulet, sénatrice centriste : « Il n’y a de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir l’antisémitisme. Soutien à Jacques Attali. Nausée. ». Même Robert Ménard, maire de Béziers, décidément en pleine Rédemption : « Cette fresque est sans l’ombre d’un doute complotiste et antisémite. Jamais je ne tolérerai ça dans ma ville. ». Du reste, l’intéressé lui-même a déposé plainte.

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Cela ne fait donc aucun doute, les leçons du passé étant ce qu’elles sont, mais on pourrait imaginer que l’auteur de la fresque, connu pour son opposition frontale à Emmanuel Macron, ne savait pas qu’il reprenait les mêmes codes que les hurleurs antisémites (admettons !).

Mais alors, pourquoi a-t-il choisi Jacques Attali comme manipulateur ? Pourquoi pas l’oncle Sam par exemple ? Ou l’Europe de Bruxelles ? Ce choix de Jacques Attali est d’autant plus étonnant qu’on prête beaucoup trop de pouvoir à Jacques Attali (comme on ne prête qu’aux riches, Jacques Attali s’en satisfait évidemment).

Quelles sont les relations entre Jacques Attali et Emmanuel Macron ? Depuis qu’il est à l’Élysée, pas grand-chose ! C’est vrai, Jacques Attali, président de la Commission pour la libération de la croissance française mise en place le 27 juin 2007 par le Président Nicolas Sarkozy fraîchement élu, avait choisi pour rapporteur général adjoint Emmanuel Macron (les mauvaises langues disaient même que le programme d’Emmanuel Macron en 2017 reprenait le rapport remis le 23 janvier 2008). Jacques Attali a affirmé que c’est lui qui l’a présenté à Jean-Pierre Jouyet, devenu Secrétaire Général de l’Élysée après l’élection de François Hollande, et a conduit ce dernier à nommer Emmanuel Macron au poste de Secrétaire Général adjoint chargé des affaires économiques.

Pour avoir une petite idée, prenons le livre de Marc Endeweld, un antimacroniste notoire, dont le titre ne laisse aucune incertitude sur ses motivations : "Le grand manipulateur" (sorti en 2019 chez Stock). Uniquement à charge, le livre ne m’a pas convaincu car il est trop partial et surtout, il n’a rien démontré sinon qu’Emmanuel Macron s’est servi de nombreux réseaux, d’un peu tout le monde par son talent et son attractivité et qu’une fois "utilisés", il "oublie" ses soutiens. Selon l’auteur, cela fait depuis 2015 que Jacques Attali a été "oublié" par le ministre puis Président Macron.

Je cite : « Jean-Pierre Jouyet n’est que le premier d’une longue liste d’anciens soutiens à être aussi durement éconduits après la victoire. (…) Autre personnalité à avoir joué un rôle auprès d’Emmanuel Macron et qui n’a plus beaucoup de nouvelles : Jacques Attali. Il faut dire qu’entre les deux hommes aux ego bien développés, c’est un "je t’aime, moi non plus". L’ancien conseiller de François Mitterrand ne supporte pas qu’on lui vole la vedette. Et dans ce domaine, Macron excelle. Rapporteur des "commissions Attali" sous Sarkozy, il attire la sympathie de l’ensemble des membres, qui louent alors ses initiatives et son sens du dialogue : "Son rôle a été d’écrire", répond sèchement Attali quelques années plus tard. Peu à peu, les liens se distendent. À l’été 2015, la rupture est consommée. Attali décide de soutenir Manuel Valls pour la future présidentielle. À l’inverse, Macon s’amuse de sa nouvelle "liberté". Lors d’un entretien à Bercy, le ministre lâche au sujet de celui que la presse continue de présenter comme son mentor : "C’est un pipoteur !". Bien sûr, une fois Macron élu, Attali essaiera de recoller les morceaux, en lui fournissant notamment une note sur les inégalités… Mais l’Élysée ne lui confiera aucune mission. ».

Autrement dit, non seulement Jacques Attali ne manipule pas Emmanuel Macron, mais il n’a reçu aucune attention particulière dans la Macronie, au contraire de sa commission sous Nicolas Sarkozy. Alors, je reviens à la question initiale : pourquoi avoir mis Jacques Attali comme manipulateur alors que cela fait sept ans qu’il n’a aucune influence sur le Président de la République ? Pourquoi, si ce n’est qu’il est Juif, ou, du moins, perçu comme tel, comme le représentant des Juifs, de la finance, etc. ?

C’est d’ailleurs curieux d’imaginer Emmanuel Macron comme un pantin, alors que justement, on le critique pour exactement le contraire. Il l’a répété encore lors de son interview du 14 juillet 2022 à propos d’Uber : « Je n’a pas un tempérament à être sous influence. ». L’arrogance, la verticalité jupitérienne, le court-circuitage des intermédiaires, c’est ce qu’on lui reproche, celui de n’en faire qu’à sa tête sans avoir plus d’écoute qu’un semblant d’écoute. Il faudrait savoir : c’est un Jupiter ou c’est une marionnette ? Même Philippe de Villiers avait été bluffé en août 2016, et il en est revenu. Beaucoup en sont revenus car ils ont cru avoir été écoutés et ils ont cru avoir eu de l’influence sur Emmanuel Macron, et ils ont vu que ce n’était en fait pas du tout le cas. Pourquoi en serait-il différent pour Jacques Attali ? Parce qu’il est… ?

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Curieusement, un certain nombre de "conseillers de l’ombre", de "visiteurs du soir", plus répandus dans les médias que dans les conciliabules secrets, sont plus cités que d’autres, pour les fustiger, pour laisser croire qu’ils sont la cause de tous nos malheurs (on les appelle des boucs émissaires) : Jacques Attali, mais aussi… Bernard-Henri Lévy, Alain Minc… Jacques Attali, en l’occurrence, est l’un des symboles brocardés, mais symboles de quoi ? C’est là la réalité de l’antisémitisme couplé au complotisme.

C’est cette obsession de s’en prendre systématiquement à Jacques Attali qui, depuis sept ans, n’a plus aucune influence sur Emmanuel Macron et plus généralement, sur le cours du monde, du moins, pas plus que des milliers d’intellectuels talentueux et imaginatifs qui proposent, au monde, comme lui, leur vision de l’avenir, une vision pertinente ou complètement fantaisiste, c’est cette obsession permanente qui est l’expression de cet antisémitisme qui rode toujours aujourd’hui, le même qu’il y a sept ans à l’Hypercasher de la Porte de Vincennes, le même qu’il y a quatre-vingts ans à Pithiviers, le même qu’il y a cent vingt-sept ans, quand Dreyfus fut condamné de haute trahison.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 juillet 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jacques Attali et Emmanuel Macron : pourquoi la fresque d’Avignon était antisémite.
Discours du Président Emmanuel Macron le 17 juillet 2022 à Pithiviers (vidéo et texte intégral).
La rafle du Vel d’Hiv, 80 ans plus tard : les heures sombres de notre histoire...
Les 75 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.
Sarah Halimi, assassinée car Juive.
La tragique expérience de Simone Veil à Auschwitz.
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
François Hollande et le Vel d’Hiv (22 juillet 2012).
Discours d’Emmanuel Macron du 16 juillet 2017 (texte intégral).
Discours de François Hollande du 22 juillet 2012 (texte intégral).
Discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 (texte intégral).

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220624-fresque-avignon.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/jacques-attali-et-emmanuel-macron-242799

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/07/17/39562256.html








 

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17 juillet 2022 7 17 /07 /juillet /2022 19:06

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Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220717-macron.html













Discours du Président Emmanuel Macron le 17 juillet 2022 à Pithiviers



Merci beaucoup Monsieur le président, cher Éric, je suis très heureux et ému d'être parmi vous aujourd'hui, très heureux.
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le président du Conseil Régional Centre-Val de Loire,
Monsieur le président du Conseil Départemental du Loiret,
Mesdames et Messieurs les maires,
Monsieur le Maire de Pithiviers,
Messieurs les présidents du CRIF,
Mesdames et Messieurs les représentants des cultes,
Monsieur le président du Mémorial de la Shoah,
Monsieur le président de la SNCF,
Cher Monsieur FARANDOU,
Cher Guillaume PEPY,
Madame et Monsieur KLARSFELD,
Chers rescapés, témoins, enfants cachés, résistants et Justes parmi les nations, chers amis,

Mesdames et Messieurs, le 16 juillet 1942, il était 4 ou 5 heures du matin lorsque des policiers français se mirent à frapper aux portes de foyers du Marais, de Montmartre, de Belleville et de Ménilmontant, de Nanterre, de Clichy. Des milliers de familles basculèrent alors en plein cauchemar, simplement parce qu'elles étaient juives. Sur des paliers encombrés de jouets d'enfants, face à des portes que personne ne fermait à clé, les policiers n'eurent besoin que d'une arme, des listes, d'hommes, de femmes et d'enfants dont le seul tort était d'être juifs et qu'ils embarquèrent dans ces bus de la honte qui furent le prélude au train de la mort.

5 jours durant, le vélodrome d’hiver se transforma en premier cercle de l’enfer. Et dans cette antichambre des camps devant leur geôliers en képi, des familles françaises se chuchotaient des mots en yiddish pour se rassurer en se disant que la France ne ferait jamais cela, ne pouvait pas faire cela. Pourtant la France le fit, l’Etat français le fit. L’Etat français parqua ces familles, les retrancha dans des camps d'internement à Drancy, à Beaune-la-Rolande ou ici à Pithiviers avant de les déporter dans des camps d’extermination où dans leur immense majorité, ils furent aussitôt assassinés dans les chambres à gaz. Une gare comme celle-ci, où nous nous retrouvons aujourd’hui entre une mairie et un clocher, la France en compte des milliers. Mais il y a 80 ans, les 14 convois de la mort qui sont passés par cette gare en ont modifié le visage à jamais. C’était le 25 et 28 juin 1942, le 17 et le 31 juillet, le 3, le 5, le 7 août, puis les 6 convois du 17 au 28 août avec leurs milliers d’enfants qui transitèrent d’abord par Drancy, et le dernier, le 21 septembre. Tout au long de l’été 1942, Pithiviers devient ainsi avec Beaune-la-Rolande, non loin, une plaque tournante de la Shoah. Chacune de ces deux villes avec leurs camps d’internement où affluaient les Juifs raflés dans toute l’île de France, le Cher, le Loiret, la Bourgogne entrèrent cet été-là, cet été de sang, dans la tragédie de l’Histoire. Depuis Pithiviers, on déporta d’abord les hommes et les grands adolescents, puis des femmes qu'on arracha à leurs enfants. Déjà orphelins, sans le savoir encore, ces derniers restèrent seuls pendant des semaines, tendus, hagards, entassés dans des baraquements de tôle, recroquevillés sur de la paille, rongés par la vermine, avant d'être poussés à leur tour sur les rails d'Auschwitz. Pas un seul d'entre eux n'est revenu. Ni Annette, ni Serge, ni Sara, ni Henriette, ni Raymond, qui a 3 ans, parlait déjà comme un petit homme en déclarant à qui voulait l'entendre qu'il allait partir tout seul pour rejoindre sa mère qu'on lui avait prise.

Cette gare qui fut un lieu de deuil, d'horreur, nous en faisons aujourd'hui un lieu de mémoire pour honorer le souvenir des 16 000 Juifs, dont 4 700 enfants qui furent internés de 1941 à 1943 à Beaune-la-Rolande et à Pithiviers. Et avec eux tous les Juifs français et étrangers qui furent victimes de l'Allemagne nazie et de la France de Vichy. Je veux répéter ici les mots du Président CHIRAC, prononcés le 16 juillet 1995 : « Ces heures noires souillent à jamais notre histoire. La France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable ». Reconnaissance, ensuite constamment confirmée par tous ses successeurs. Oui, agissant au nom de la France, trahissant l'esprit et l'espoir de la République, l'État français de PÉTAIN, LAVAL, de BOUSQUET, DARQUIER DE PELLEPOIX, l'Etat français manqua de manière délibérée à tous les devoirs de la patrie, des Lumières et des droits de l'homme. Car pas un seul soldat de l'Allemagne nazie ne prit part à la rafle des 16 et 17 juillet 1942. Tout cela procédait d'une volonté et d'une politique gangrenée par l'antisémitisme, initiée dès juillet 1940 et dont les racines plongeaient dans les décennies de notre histoire qui précédaient. Le 3 octobre 1940, de sa propre initiative, l'Etat français avait institué un statut particulier des Juifs, un statut que le maréchal PÉTAIN, de sa main même, avait rendu encore plus odieux. Après la rafle du Vel d'Hiv, l'Etat français persista avec la livraison aux Allemands en zone occupée de 10 000 Juifs étrangers de la zone libre qui étaient internés dans les camps des Milles, de Rivesaltes, du Vernay, de Noé et du Récébédou, arrêtés lors de la grande rafle du 26 août dans les 40 départements de la zone contrôlée directement par les hommes de Vichy.

Si ce sont les nazis qui ordonnèrent le port de l'étoile jaune, c'est encore l'Etat français lui-même qui imposa la mention Juif sur les papiers d'identité. C'est lui qui étendit cette politique de discrimination, d'exclusion, de persécution qui fut, à dire vrai, initiée dès le 6 avril 1940 par un décret qui a assigné à résidence tous les tsiganes, qu'il poursuivit et aggrava par la loi du 13 août 1940, qui entendait traquer les francs-maçons au nom de la lutte contre le judéo-maçonnisme. Par la loi du 14 août 1941 qui instituait les sections spéciales, ces tribunaux d'exception destinés à condamner à mort des communistes et des anarchistes, et par la loi du 6 août 1942 voulue par l'amiral DARLAN qui s'est attaqué aux homosexuels et qui, hélas, resta si longtemps en vigueur, cette politique de persécution s'inscrivait dans un dessein pensé et conçu comme tel par les dirigeants de Vichy. Elle procédait du désir de venger les forces vaincues lors de l'affaire DREYFUS. Il leur fallait effacer la République, incarnation d'une nation édifiée sur deux millénaires, héritière de 1789, pionnière des droits de l'Homme, ils voulaient éradiquer ce régime qui avait reconnu l'innocence du capitaine DREYFUS et tout ce qu'il emportait avec lui, ignorant ce faisant que la fidélité à la France ne saurait s'inscrire dans la trahison et le renoncement à l'esprit de la République. Car l'un et l'autre sont indissociables. La France de Vichy venait de loin, insidieusement, et en quelques mois, elle a éteint les lumières, sali les couleurs, trahi les valeurs de notre nation. La responsabilité de la France y était engagée pour le pire. Mais si la France s'est trahie elle-même à travers ce régime parce qu'elle avait renoncé à ce qui lui est inséparable, la République, l'humanisme, ce n'était pas là toute la France, ce n'était pas là toute la République, même pas la République du tout.

La République et l'esprit de la France n'étaient pas à Vichy, pas à Paris, pas à Drancy. La République vivait encore et avec elle l'esprit de la nation, avec ses policiers qui, les 16 et 17 juillet 1942, tournèrent le dos ou détournèrent le regard pour que des Juifs puissent échapper à leur sort, et ceux qui formèrent ensuite leur propre réseau de résistance. Elle vivait sous la plume du cardinal SALIÈGE, écrivant publiquement dès le 23 août 1942 : « Les Juifs sont des hommes, les Juifs sont des femmes. Tout n'est pas permis contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères, comme tant d'autres. » Elle vivait avec ceux qui deviendraient des Justes parmi les nations et qui, partout en France, cachés, sauvaient des Juifs au péril de leur vie. Elle vivait avec les 80 parlementaires qui, le 10 juillet 1940, refusèrent les pleins pouvoirs à PÉTAIN. Elle vivait avec Paul DIDIER, le seul magistrat de France qui ne prêta pas serment de fidélité à PÉTAIN. Elle vivait avec De GAULLE et les forces de la France libre à Londres et sur le sol africain. Elle vivait avec Daniel CORDIER, Hubert GERMAIN, André MALRAUX, Jacques CHABAN-DELMAS, avec ses 1038 compagnons de la Libération, combattant sous le soleil de Bir-Hakeim ou dans l'ombre du Paris occupé. Elle vivait avec Lucie AUBRAC, prenant tous les risques pour faire évader son mari et tant et tant de ces réseaux de résistants. Elle vivait sous la plume de KESSEL et DRUON qui, sur un coin de table d’un restaurant londonien, écrivirent le chant de partisans, elle vivait avec MANOUCHIAN et ceux de l’Affiche rouge, Français et républicains de cœur et de combat. Elle vivait avec MENDES-FRANCE et BLUM, jugés de la manière la plus inique par les tribunaux de Vichy. Voilà la République. L’esprit de la France vivait. Et avec eux, la France véritable, fidèle à elle-même, partout où elle trouvait à résister et à survivre. Émanation de l'esprit français, transmis de génération en génération, instruite par 2 000 ans d'histoire de notre pays, aboutissement d'un long cheminement. Elle vivait, et avec elle, la grande aspiration de la nation initiée en 1789. Cet esprit, ces principes, ces valeurs vivaient et animaient celles et ceux qui prirent 1 000 risques pour la défendre, et qui permirent aux trois quarts des Juifs de France, à 180 000 adultes et 59 000 enfants, d'échapper à la folie criminelle des hommes de Vichy. C'est parce que la République et l'esprit de la France vivaient encore, que le Gouvernement provisoire de la République française décida, le 9 août 1944, de proclamer sa permanence contre la France de l'Etat français, contre l'esprit de Vichy, contre la France de la rafle du Vel d'Hiv, et pour que vive la Nation.

Alors aujourd'hui, grâce au long et douloureux travail de vérité, de mémoire, de justice qu'ont mené les Juifs eux-mêmes, les survivants qui témoignèrent, mais aussi les historiens qui établirent les faits, documents après documents, preuves après preuves, les écrivains et les cinéastes qui racontèrent l'horreur, ligne après ligne, image après image, les juristes qui condamnèrent les crimes, jugement après jugement. Nous savons, nous savons ce que furent le chagrin et la pitié de ces années d'occupation et d'obscurité. Nous savons les faits, leur unicité absolue, leur incomparabilité. Nous savons l'impardonnable et la mécanique de tout cela. Le traumatisme et le déni ont longtemps fait taire la vérité de la Shoah. 10 ans ont passé avant qu'Alain RESNAIS ne réalise Nuit et Brouillard, 40 ans avant Shoah de Claude LANZMANN, 50 ans avant qu'Elie BUZYN ne soulève la chape de silence ; lui qui n'avait pas 12 ans lorsqu'il vit son frère exécuté sous ses yeux pour l'exemple, et qui fut un inlassable passeur dans chaque école, chaque salle de classe, jusqu'à son dernier souffle il y a deux mois. Nous avons besoin de ces inlassables partisans de l'esprit de justice, parmi lesquels Serge et Beate KLARSFELD, que je souhaite de nouveau solennellement remercier. Vous qui avez fait de la mémoire des victimes la raison d'être de votre vie, qui est entre autres à l'origine de ce jardin mémorial des enfants du Vel d'Hiv qu'on ne peut traverser sans sentir sa gorge se nouer. Vous qui avez pris tous les risques, vous êtes battus quand la parole était interdite et quand l'oubli était la règle, quand l'effacement était encore la norme. Vous qui avez redonné des noms, des dates de naissance, puis des visages et des vies à celles et ceux à qui on avait tout pris, la vie, comme la mémoire de leur existence.

80 ans après cette éclipse de l'humanité, il est toujours aussi urgent, peut-être plus que jamais, de rappeler l'Histoire pour la conjurer. Scruter la haine dans notre passé pour mieux la déceler dans notre présent. Vous l'avez rappelé, cher Éric, et je veux vous remercier pour vos mots, mais surtout pour votre travail, votre engagement et vous remercier d'avoir rendu cette journée possible, et ce nouveau lieu d'Histoire et de mémoire possible.

Oui, avec la SNCF dont je salue l'engagement et l'initiative, et comme toutes ses équipes, avec ici la mairie et les collectivités locales, le mémorial de la Shoah, l'ensemble des associations de déportés et d'enfants de déportés. Vous avez conduit à nouveau ce travail. Mais il y a comme la métaphore de ce que nous vivons dans les lieux qui sont juste derrière moi, et que vous retrouverez dans un instant. On y voit un paysage qui ressemble pour beaucoup à ceux de nos enfances : l'herbe folle, la campagne joyeuse, une forme d'innocence. La nature a repris ses droits dans cette gare longtemps abandonnée. Mais il y a les rails qui ont été dégagés, rappelant la mécanique qui s'est jouée ici. Et il y a là la métaphore de ce que nous sommes tous et toutes en train de vivre. La vie a repris ses droits, on pourrait penser que tout cela est très loin. 8 décennies, on pourrait l'oublier et vivre comme si c'était terminé, d'une autre époque. Ne regarder que l'herbe folle, non. Regardons ces rails, visitons cette gare grâce à votre travail, et ayons la lucidité de voir notre époque.

Nous n'en avons pas fini avec l'antisémitisme, et nous devons en faire le constat lucide. Cet antisémitisme est même encore plus brûlant, rampant qu'il ne l'était en 1995 dans notre pays, en Europe et dans tant d’endroits du monde. Il peut, aujourd'hui bien sûr, prendre d'autres visages, se draper dans d'autres mots, d'autres caricatures. Mais l'odieux antisémitisme, comme disait ZOLA, est là, il rôde, toujours vivace, persiste, s'obstine, revient. Il se déchaîne dans la barbarie terroriste. Rue Copernic, rue des Rosiers à Paris au début des années 80, à Toulouse et Montauban il y a 10 ans, dans l'Hyper Casher de la porte de Vincennes, il y a 7 ans, il s'installe dans la succession des assassinats, des crimes antisémites perpétués ces dernières années. Il s'affiche sur les murs de nos villes, il s'infiltre dans nos réseaux sociaux, il plastronne sur les tréteaux, applaudi par ceux qui confondent antisémitisme et liberté d'expression. Ils profanent nos tombes, ils souillent les portraits de Simone VEIL. Il s'immisce dans les débats sur certains plateaux de télévision, il joue de la complaisance de certaines forces politiques. Il prospère aussi à travers une nouvelle forme de révisionnisme historique, voire de négationnisme. N'a-t-on pas cru bon, encore récemment, de rouvrir un sujet pourtant tranché de longue date par les historiens comme par les juristes, sur la participation de PETAIN et des hommes de Vichy à la mise en œuvre de la solution finale.

Alors, répétons-le, ici avec force, et n'en déplaise à des commentateurs se faisant révisionnistes, ni PETAIN, ni LAVAL, ni BOUSQUET, ni DARQUIER DE PELLEPOIX, aucun de ceux-là n'a voulu sauver des juifs. C'est une falsification de l'histoire que de le dire.

Et ceux qui s'adonnent à ces mensonges ont pour projet de détruire la République, et partant à nouveau l'unité de la Nation. Regarder notre vérité en face, ce n'est pas affaiblir la France, ni se repentir, c'est reconnaître tout pour ne pas le reproduire. Dans ce contexte, les forces républicaines de notre pays doivent redoubler de vigilance. Car oui, la mécanique de 1940 venait de loin, et s'était nourrie de haine, d'un antisémitisme devenu ordinaire, d'approximations, de cette conviction, au fond, chez les uns, que la France était grande quand elle a oublié ses propres errements, quand elle pouvait se libérer de ses principes si encombrants de la République qui, paraît-il, l’affaiblissait.

Et chez les autres, de cette habitude qu'ils avaient prise, que tout cela n'était pas si important, si essentiel, ne jamais rien céder, réprimer et punir, commémorer et instruire. Car l’un ne va pas sans l'autre. Et nous n’extirperons jamais les racines de l'antisémitisme si nous ne faisons pas lever en même temps les ferments de l'éducation et du dialogue.

Il y a 8 décennies, la France de Vichy trahissait ses enfants, en livrant des milliers d'entre eux à leurs bourreaux. Ce fut l'Etat français, et c'est le devoir de la France pour être fidèle à elle-même de le reconnaître, et de ne rien céder à ce combat contemporain contre l'antisémitisme.

La tragédie du Vel d'Hiv nous enseigne que lorsque la France n'est plus en République, l'Etat de droit disparaît et avec lui, les lois fondamentales qui protègent la liberté et la dignité de tout être humain. Quand la République est en exil, la nation se perd et se trahit, elle-même, car la nation et la République sont un bloc qui fait la France. Cette histoire-là, toute cette histoire, nous continuerons de la rappeler, contre l'oubli, nous continuerons de l'enseigner contre l'ignorance, nous continuerons de la pleurer contre l'indifférence, nous continuerons d'en sonder les racines profondes et les ramifications nouvelles contre les résurgences du mal et nous nous battrons, je vous le promets, chaque petit matin, car la France s'écrit par un combat, un combat de résistance et de justice qui ne s'éteint jamais. Vive la République et vive la France !

Emmanuel Macron, le dimanche 17 juillet 2022 à la gare de Pithiviers.


Source : www.elysee.fr
https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20220717-discours-macron-pithiviers.html




 

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16 juillet 2022 6 16 /07 /juillet /2022 05:39

« Pour toutes ces personnes arrêtées, commence alors le long et douloureux voyage vers l’enfer. (…) La France, patrie des Lumières et des droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. » (Jacques Chirac, le 16 juillet 1995).




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Ce dimanche 17 juillet 2022 dans l’après-midi, le Président Emmanuel Macron se rendra à Pithiviers, dans le Loiret (entre Orléans et Fontainebleau) pour commémorer le 80e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv. Oui, 80 ans que la France et les Français vivent avec cette faute "irréparable".

En effet, les 16 et 17 juillet 1942, point culminant de la collaboration entre les autorités françaises et les forces d’occupation nazies, 13 152 Juifs ont été arrêtés à Paris et sa banlieue pour être exterminés. Parmi eux, 4 115 enfants, 5 919 femmes et 3 118 hommes. Une grande partie d’entre eux (8 160 personnes) ont été malmenés au Vélodrome d’hiver dans des conditions épouvantables, puis la plupart ont été répartis dans les camps de Drancy, Beaune-la-Rolande et Pithiviers avant d’être ensuite déportés et assassinés dans le camp d’extermination d’Auschwitz. Très peu en sont revenus.

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Cette rafle a été préparée minutieusement par la police française sur demande de l’occupant nazi. En particulier, ont participé aux réunions René Bousquet, secrétaire générale de la police française du régime de Vichy, et Émile Hennequin, directeur de la police municipale de Paris, qui a signé la circulaire n°173-42 du 13 juillet 1942 de la préfecture de police qui porte sur l’arrestation de 27 427 Juifs étrangers résidant en France. L’exécution de la circulaire a été retardée après le 14 juillet (pas célébré) pour éviter tout risque de débordement.

La décision allemande du 4 juillet 1942 était assez claire : 40 000 Juifs dont 22 000 Juifs de la région parisienne devaient être arrêtés dans un premier temps, soit un cinquième des Juifs de Paris. L’identité et l’adresse des victimes était assez facile à déterminer car la loi obligeait les Juifs depuis le 3 octobre 1940 à se faire enregistrer dans les commissariats de police et les sous-préfectures.

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Évoquons la nationalité des Juifs arrêtés, car c’était l’une des justifications des pétainistes de l’époque (et même de l’époque récente) : le gouvernement aurait livré les Juifs apatrides et étrangers pour mieux protéger les Juifs français, ce qui est faux. D’une part, la loi du 22 juillet 1940 a déchu de la nationalité française de nombreux Juifs français (en particulier les enfants dont quasiment aucun n’est revenu des camps). D’autre part, les nazis exigeaient un ratio d’arrestations 60% Juifs étrangers ou apatrides et 40% Juifs français.

L’historien américain Robert O. Paxton, une référence mondiale pour cette période, notait dans une tribune publiée le 17 octobre 2014 dans "Le Monde" : « Aucune "préférence nationale" n’apparaît [dans les statuts de Vichy concernant les Juifs]. Toutes les mesures de Vichy concernant les Juifs visaient autant les citoyens français que les immigrés (…). Tous les historiens ayant travaillé sérieusement sur la France de Vichy détectent un changement à l’été 1942. Lorsque la "solution finale" commença à être mise en œuvre en France, avec les arrestations de masse, et la séparation des mères de leurs enfants. Mêmes ceux qui s’étaient récemment plaints du nombre trop élevé à leurs yeux d’immigrés montrèrent de la répulsion. Cinq évêques dénoncèrent ces arrestations. Pierre Laval, le chef du gouvernement, n’obtint qu’un report de l’arrestation des Juifs français. Les Allemands acceptèrent de déporter en priorité les Juifs étrangers, pourvu que la police française assure un nombre suffisant pour remplir les trains. Ils dirent très clairement à Laval qu’ils finiraient par s’occuper des Juifs français aussi. Il n’y eut jamais aucun accord, ni écrit ni oral, sur cette question. En fin de compte, les Allemands s’emparèrent de tous ceux qu’ils purent, français ou non. Un tiers des 76 000 Juifs déportés était des citoyens français, dont, il est vrai, des enfants nés en France de parents immigrés. L’extermination de 25% des Juifs de France ne fut pas une issue positive. (…) Plus stupéfiant encore, le régime de Vichy envoya spontanément 10 000 Juifs étrangers de la zone libre de l’autre côté de la ligne de démarcation pour les livrer à une mort certaine. Une telle mesure n’eut pas d’équivalent en Europe de l’Ouest. ». L’historien a aussi pointé le courage de nombreux Français qui ont aidé les Juifs à échapper aux rafles et qui ont, en quelque sorte, sauvé l’honneur de la France.

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Dans une interview à "Télérama" le 14 octobre 2015, Robert O. Paxton a confirmé : « Il est évident que le régime de Vichy a voulu réduire le rôle et la place de tous les Juifs, surtout les Juifs de nationalité française comme Léon Blum. (…) Bien sûr, à l’été 1942, on entre dans une nouvelle phase de radicalisation de la politique allemande. À ce moment-là (…), il devient gênant pour Vichy de devoir obtempérer aux demandes allemandes à propos du Service de travail obligatoire (STO). Les gouvernements ont préféré livrer leurs étrangers. Non pas pour sauver les Juifs mais pour sauver la face et ne pas montrer au monde qu’ils n’étaient pas entièrement souverains. Vichy a donc tenté de faire partir d’abord les étrangers en sachant parfaitement, pace que les Allemands ne cessaient de le rappeler, que tout le monde devait partir. Il n’y a jamais eu le moindre accord, entre Pierre Laval et l’ambassadeur Otto Abetz ou le général SS Carle-Albrecht Oberg, pour protéger les Français. ».

Par ailleurs, c’est Pierre Laval lui-même qui a donné l’ordre d’arrêter les enfants de moins de 16 ans en même temps que les autres Juifs, au nom d’une supposée préoccupation humanitaire (pour ne pas séparer les familles). La participation de la police française dans ces rafles qui ont conduit des dizaines de milliers de Juifs à l’extermination provenait plus du système de la collaboration avec l’occupant nazi que du résultat d’un antisémitisme d’État pourtant bien présent.

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Il a fallu attendre le 16 juillet 1995 pour que la France reconnût sa responsabilité dans la rafle du Vel d’Hiv et les autres. Tout juste élu Président de la République, Jacques Chirac a en effet prononcé l’un de ses meilleurs discours et probablement celui qui marquera l’histoire mémorielle. Malgré son appartenance à la famille gaulliste, il rompait ainsi avec toute la symbolique gaulliste qui voulait que la France ne pouvait être que la France libre : « Nous conservons à [l’égard des personnes arrêtées] une dette imprescriptible. ».

Mais Jacques Chirac n’a pas seulement fait référence à cet événement monstrueux de 1942. Il l’a mis en perspective avec le présent qui n’était pas moins radicalisé en 1995 qu’aujourd’hui, avec son lot de haine, d’antisémitisme et de racisme : « Quand souffle l’esprit de haine, avivé ici par les intégrismes, alimenté là par la peur et l’exclusion. Quand à nos portes, ici même, certains groupuscules, certaines publications, certains enseignements, certains partis politiques se révèlent porteurs, de manière plus ou moins ouverte, d’une idéologie raciste et antisémite, alors cet esprit de vigilance qui vous anime, qui nous anime, doit se manifester avec plus de force que jamais. ».

Et de poursuivre : « En la matière, rien n’est insignifiant, rien n’est banal, rien n’est dissociable. Les crimes racistes, la défense de thèses révisionnistes, les provocations en tout genre, les petites phrases, les bons mots, puisent aux mêmes sources. Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. Témoigner encore et encore. Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l’État. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c’est tout simplement une idée de l’Homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscure, sans cesse à l’œuvre. ».

Et la conclusion de ce discours si important semble résonner encore dans l’actualité prégnante de la guerre en Ukraine. Il s’agissait alors de la guerre dans l’ex-Yougoslavie : « Ces valeurs, celles qui fondent nos démocraties, sont aujourd’hui bafouées en Europe même, sous nos yeux, par les adeptes de la "purification ethnique". Sachons tirer les leçons de l’Histoire. N’acceptons pas d’être les témoins passifs, ou les complices, de l’inacceptable. ». Je crois qu’il faut insister sur cette dernière phrase : N’acceptons pas d’être les témoins passifs, ou les complices, de l’inacceptable.

Après Jacques Chirac, deux autres Présidents de la République ont suivi cette ligne historique, François Hollande le 22 juillet 2012 et Emmanuel Macron le 16 juillet 2017, chaque fois au début de leur quinquennat. Emmanuel Macron enfoncera le clou le 17 juillet 2022.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 juillet 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La rafle du Vel d’Hiv, 80 ans plus tard : les heures sombres de notre histoire...
Les 75 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.
Sarah Halimi, assassinée car Juive.
La tragique expérience de Simone Veil à Auschwitz.
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
François Hollande et le Vel d’Hiv (22 juillet 2012).
Discours d’Emmanuel Macron du 16 juillet 2017 (texte intégral).
Discours de François Hollande du 22 juillet 2012 (texte intégral).
Discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 (texte intégral).

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220716-vel-d-hiv.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/la-rafle-du-vel-d-hiv-80-ans-plus-242747

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/07/10/39552901.html








 

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29 juin 2022 3 29 /06 /juin /2022 04:54

« Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu’il perde ce caractère d’exception, sans que la société paraisse l’encourager ? Je voudrais d’abord vous faire partager une conviction de femme, je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. (…) C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. » (Simone Veil, le 26 novembre 1974 dans l’hémicycle).




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Je veux rendre à nouveau hommage à Simone Veil, grande dame de la vie politique française qui nous a quittés il y a cinq ans, le 30 juin 2017. Honorée plus que ce qu’elle aurait voulu jusqu’à se retrouver au Panthéon l’année suivante, Simone Veil reste la femme exceptionnelle qui a fait beaucoup plus pour les femmes que bien des féministes. Alors que notre Assemblée Nationale nouvellement élue vient enfin d’élire une femme au perchoir, en la personne de Yaël Braun-Pivet, Simone Veil et les parlementaires européens avaient déjà plus de quarante ans d’avance en se faisant élire, à Strasbourg, dès juillet 1979, la première femme Présidente du Parlement Européen.

Simone Veil est une histoire française qui a marqué la France au moins sur trois points : la Shoah, dont elle et sa famille ont été de tristes victimes, la construction européenne, dont elle a été une fervente promotrice, tant au Parlement Européen que dans les débats publics en France, et enfin, la légalisation de l’avortement appelé plus simplement IVG pour interruption volontaire de la grossesse, une appellation néanmoins moins douloureuse qui ne laisse pas vraiment transparaître la détresse humaine.

Je voudrais revenir sur cette loi sur l’avortement. Comme mis en début d’article, le discours introductif au débat parlementaire de Simone Veil insistait lourdement sur le caractère exceptionnel de l’avortement et sur le vrai problème moral qu’il posait à la réflexion humaine.

Mais elle devait réagir à une situation d’urgence : « Nous sommes arrivés à un point où, en ce domaine, les pouvoirs publics ne peuvent plus éluder leurs responsabilités. Tout le démontre (…). Et la plupart d’entre vous le sentent, qui savent qu’on ne peut empêcher les avortements clandestins et qu’on ne peut non plus appliquer la loi pénale à toutes les femmes qui seraient passibles de ses rigueurs. Pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux ? Parce que la situation actuelle est mauvaise. Je dirai même qu’elle est déplorable et dramatique. Elle est mauvaise parce que la loi est ouvertement bafouée, pire même, ridiculisée. (…) C’est le respect des citoyens pour la loi, et donc, l’autorité de l’État, qui sont mis en cause. (…) Et ces femmes, ce ne sont pas nécessairement les plus immorales ou les plus inconscientes. Elles sont 300 000 chaque année. Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames. C’est à ce désordre qu’il faut mettre fin. C’est cette injustice qu’il convient de faire cesser. ».

À l’époque, Simone Veil devait convaincre les parlementaires de sa propre majorité qui parfois, pour des raisons religieuses notamment, étaient farouchement hostiles à une loi sur l’avortement, en particulier son ancien mentor Jean Foyer. Mais certains arguments sont moins efficaces que d’autres. Ainsi, celui de l’injustice entre les femmes qui ont les moyens d’aller à l’étranger pour se faire avorter et celles qui risquent leur vie en se faisant avorter illégalement en France sans conditions sanitaires correctes, tout comme le constat du non respect de la loi, ce sont deux arguments qui pourraient être utilisés pour légaliser l’euthanasie et aussi la GPA.

En revanche, l’argument sanitaire est essentiel : l’État, protecteur de ses citoyens, ne pouvait pas laisser passer ce phénomène qui coûtait la vie de nombreuses femmes. Il fallait donc dépénaliser afin de leur assurer des conditions sanitaires qui permettraient une meilleure protection de leur santé et de leur vie. C’est l’enjeu entre les convictions personnelles, et même l’intime conviction (pour, contre, ne sait pas), et l’intérêt général. Car un gouvernement agit pour le bien commun et pas pour une idéologie ou une religion. En l’occurrence, l’intérêt général imposait cette loi Veil.

En fait, un tel texte était déjà dans les "tuyaux" de la procédure parlementaire dès 1973 mais le décès du Président Georges Pompidou a interrompu son examen. Le Ministre de la Santé Michel Poniatowski avait senti l’urgence d’une telle loi. Le texte n’avait toutefois pas été défendu par ce dernier mais par le Ministre de la Justice Jean Taittinger, garde des sceaux du gouvernement de Pierre Messmer, convaincu aussi de l’urgence. Une fois élu Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing en a fait l’un de ses textes les plus urgents, avec l’objectif clairement affiché : « mettre fin à une situation de désordre et d’injustice et apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps ». En clair, il prenait les deux arguments évoqués plus haut par Simone Veil.

En toute logique, cela aurait dû revenir au nouveau Ministre de la Justice, à savoir Jean Lecanuet, de défendre le texte, mais président du Centre démocrate, le parti de la démocratie chrétienne, il n’avait pas voulu s’investir sur ce sujet même s’il était convaincu de la pertinence du texte. Simone Veil, dont la nomination au gouvernement avait été suggérée par le Premier Ministre Jacques Chirac au Président Giscard d’Estaing qui cherchait à nommer des femmes compétentes au gouvernement, spécialiste de la justice (dans son travail, elle a noué des relations amicales avec Marie-France Garaud qui l’a recommandée à Jacques Chirac), est devenue la remplaçante tout indiquée pour défendre le texte. Mais elle n’y était pas préparée, d’autant plus qu’elle était encore une novice en politique. Du reste, Valéry Giscard d’Estaing, jusqu’à la fin de sa vie, a toujours été agacé et amer qu’on associe la loi sur l’IVG à Simone Veil. Selon lui, c’est lui, VGE, qui était l’initiateur de cette loi. La postérité lui donna tort.

Le grand avantage que la loi fût préparée par une telle majorité, c’était que l’extrême complexité juridique du texte était prise en compte : Oui, l’avortement, dans son fait concret, est un acte à terriblement éviter car on se sépare d’une vie humaine et cette vie est sacrée. Mais c’est aussi au nom de cette sacralisation de la vie humaine que la loi doit protéger la femme et éviter que de nombreuses femmes se tuent dans des actes d’avortement clandestin. C’est donc une loi idéologiquement équilibrée, qui faisait la part des choses, qui prenait l’importance des convictions intimes de chacun. Cela peut expliquer le quasi-consensus national dont elle jouit.

C’était le sens du discours introductif de Simone Veil : « Si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s’il admet la possibilité d’une interruption de grossesse, c’est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme. Nous pensons ainsi répondre au désir conscient ou inconscient de toutes les femmes qui se trouvent dans cette situation d’angoisse (…). Actuellement, celles qui se trouvent dans cette situation de détresse, qui s’en préoccupe ? ».

De plus, c’était une expérimentation. En ce sens que la loi n°75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse était simplement provisoire pour une durée de cinq ans, avec une évaluation pour savoir si les dispositions étaient pertinentes ou pas. C’est aussi cet aspect expérimental qui avait incité Valéry Giscard d’Estaing à aller vite : il voulait faire voter la loi de confirmation après ces cinq années probatoire au cours de son même mandat pour ne pas arrêter le processus. La loi n°79-1204 du 31 décembre 1979 a ainsi rendu la loi Veil permanente dans le temps. Pérennité.

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Les évolutions de la loi Veil ont toujours été faites par des personnalités dites de gauche, avec à mon sens, une mauvaise inspiration, sauf pour la première évolution faite par le gouvernement de Pierre Mauroy dans la loi de finances votée à la fin de l’année 1982 qui a étendu les remboursements par la Sécurité sociale à l’IVG. Le gouvernement de Lionel Jospin, en revanche, par la loi du 4 juillet 2001, a allongé le délai pour pouvoir avorter de dix à douze semaines. Sous François Hollande également, des dispositions ont été allégées qui réduisent le temps de réflexion.

Et plus généralement, de nos jours, le sujet de l’avortement s’est polarisé, pour ne pas dire hystérisé (mot qui vient d’utérus). Au lieu d’être considéré comme une extrême exception, il est devenu un droit des femmes, voire un "droit fondamental" des femmes, ce qui, en lui-même, contredit le droit à la vie. Or, le soutien à la loi sur l’avortement n’est pas une politique visant à donner ou maintenir des droits aux femmes, mais bien une politique sanitaire visant à éviter qu’elles meurent en avortant dans des conditions d’hygiène déplorables.

Pas étonnant ainsi que face à un certain militantisme féministe, une réaction se soit développée voire organisée chez les plus conservateurs en simplement reposant la question et même en remettant en cause ce type de loi, ce qui, aujourd’hui, est affligeant. La meilleure illustration est la récente décision de la Cour Suprême des États-Unis qui a abrogé le 24 juin 2022 la mesure de 1972 selon laquelle l’avortement était un droit. Dans ce pays, c’est une véritable révolution conservatrice, voulue à la suite des nominations de juges de Donald Trump, qui place la situation de beaucoup de femmes dans une situation personnelle particulièrement difficile.

Heureusement, en France, rien ne semble aller dans ce sens, y compris pour Marine Le Pen tandis que son père était farouchement hostile à la loi Veil considérée bêtement et excessivement par lui comme "génocidaire". Et pourtant, il est maintenant question d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Je trouve cette idée sans intérêt et plutôt malsaine, allant contre la philosophie et l’état d’esprit même de Simone Veil en 1974.

Cette velléité n’est pas nouvelle et elle a même été renouvelée étrangement par le Président Emmanuel Macron lors de son discours du 19 janvier 2022 devant les parlementaires européens à Strasbourg : « Je souhaite que l’on consolide nos valeurs d’Européens qui font notre unité, notre fierté et notre force. Vingt ans après la proclamation de notre Charte des droits fondamentaux, qui a consacré notamment l’abolition de la peine de mort partout dans l’Union, je souhaite que nous puissions actualiser cette charte, notamment pour être plus explicite sur la protection de l’environnement ou la reconnaissance du droit à l’avortement. ».

Pourtant, ce serait une erreur de mettre la légalisation de l’avortement sur le même plan que l’abolition de la peine de mort. Cette dernière est d’une satisfaction intellectuelle indéniable, positive et activement idéologique. Au contraire, la loi Veil est une loi de réalisme sanitaire, une sorte de loi "malgré nous" qui prend acte des situations de détresse et qui tente d’y répondre le mieux possible. Elle est par excellence une loi d’insatisfaction intellectuelle qui accepte les faits avant d’y mettre une certaine idéologie (religieuse ou morale). En aucun cas l’idée de promouvoir l’avortement serait raisonnable. Il faut à la rigueur promouvoir l’idée qu’il ne faut pas interdire l’avortement, mais la nuance est très forte. Elle ne doit pas être un droit fondamental des femmes en lui-même.

Pourtant, c’est dans cette direction que semble s’acheminer la majorité présidentielle à l’Assemblée Nationale, avec d’ailleurs une véritable intention politique, c’est que cette mesure aurait des promoteurs encore plus forts dans les rangs de la Nupes alors que la majorité présidentielle est plutôt divisée sur la proposition. Ainsi, François Bayrou, président du MoDem, qui a toujours été favorable à la loi Veil, ne trouve pas du tout pertinente cette idée, qui ne changera rien à la réalité des femmes, celle d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution, d’autant plus que le Parlement va avoir beaucoup de travail pour adopter des textes majeurs comme la loi sur le pouvoir d’achat et, bien sûr, la loi de finances. Et je rajouterai que réviser la Constitution est une boîte de Pandore dans les débats parlementaires et dès qu’on commence à y toucher, on voudra toucher à d’autres dispositions et le débat juridique sera sans fin, surtout en l’absence d’une majorité absolue. L’inquiétude américaine n’a aucune raison de se transmettre en France dont l’ensemble des partis est complètement favorable à la loi Veil.

Et puisqu’il s’agit de Simone Veil, terminons par son état d’esprit sur l’avortement qui mériterait d’être rappelé voire martelé pour conserver le consensus national sur le sujet. C’était toujours dans son discours du 26 novembre 1974 devant les députés : « Ce qu’il faut aussi, c’est bien marquer la différence entre la contraception qui, lorsque les femmes ne désirent pas un enfant, doit être encouragée par tous les moyens et dont le remboursement par la Sécurité sociale vient d’être décidé, et l’avortement que la société tolère mais qu’elle ne saurait ni prendre en charge ni encourager. ». Bien entendu, sa prise en charge ne fait plus, ou ne devrait plus faire débat.

Et de s’expliquer plus clairement : « Rares sont les femmes qui ne désirent pas d’enfant ; la maternité fait partie de l’accomplissement de leur vie et celles qui n’ont pas connu ce bonheur en souffrent profondément. Si l’enfant une fois né est rarement rejeté et donne à sa mère, avec son premier sourire, les plus grandes joies qu’elle puisse connaître, certaines femmes se sentent incapables, en raison des difficultés très graves qu’elles connaissent à un moment de leur existence, d’apporter à un enfant l’équilibre affectif et la sollicitude qu’elles lui doivent. À ce moment, elles feront tout pour l’éviter ou ne pas le garder. Et personne ne pourra les en empêcher. Mais ces mêmes femmes, quelques mois plus tard, leur vie affective ou matérielle s’étant transformée, seront les premières à souhaiter un enfant et deviendront peut-être les mères les plus attentives. C’est pour celles-là que nous voulons mettre fin à l’avortement clandestin, auquel elles ne manqueraient pas de recourir, au risque de rester stériles ou atteintes au plus profond d’elles-mêmes. ».

Concrètement, la loi Veil n’a pas fait augmenter le nombre d’avortements chaque année qui est resté très stable pendant toutes ces décennies.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 juin 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Simone Veil, l’avortement, hier et aujourd’hui…
Simone Veil, merci !
L’avortement et Simone Veil.
Anne Frank.
Marceline Loridan-Ivens.
Nathalie Loiseau, la Simone Veil d'Emmanuel Macron ?
Antoine et Simone Veil, nous vous aimons !
Discours du Président Emmanuel Macron au Panthéon le 1er juillet 2018 (texte intégral).
Enregistrement de la réception de Simone Veil à l’Académie française le 18 mars 2010 (à télécharger).
Les époux Veil honorés au Panthéon.
Antoine Veil.
Simone Veil, un destin français.
L’hommage de la République à Simone Veil.
Discours d’Emmanuel Macron en hommage à Simone Veil le 5 juillet 2017 aux Invalides (texte intégral).
Discours de Jean Veil et Pierre-François en hommage à leur mère Simone Veil le 5 juillet 2017 aux Invalides (texte intégral).
Simone Veil, une Européenne inclassable.
Simone Veil académicienne.
Discours de réception de Simone Veil à l’Académie française (18 mars 2010).
Discrimination : rien à changer.
Rapport du Comité Veil du 19 décembre 2008 (à télécharger).
Mort d'Antoine Veil.
Bernard Stasi.
Bernard Stasi et Antoine Veil.
Denise Vernay.
Ne pas confondre avec Simone Weil.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220630-simone-veil.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/simone-veil-l-avortement-hier-et-242465

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/06/28/39536522.html







 

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24 juin 2022 5 24 /06 /juin /2022 04:56

« Le gestionnaire d’un service public est tenu, lorsqu’il définit ou redéfinit les règles d’organisation et de fonctionnement de ce service, de veiller au respect de la neutralité du service et notamment de l’égalité de traitement des usagers. » (Ordonnance du 21 juin 2022 du Conseil d’État).




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La décision du Conseil d’État du 21 juin 2022 revêt une importance très élevée dans l’édifice juridique français. Involontairement, le maire écologiste de Grenoble Éric Piolle a fait de cette affaire du burkini un petit laboratoire du déféré-laïcité prévu par la très récente loi n°2021-1109 du 24 août 2021 dite loi Séparatisme (c’est donc une nouvelle procédure d’urgence applicable depuis moins d’un an).

Rappelons rapidement les faits. Lors de la séance du conseil municipal de Grenoble du 16 mai 2022, Éric Piolle a fait adopter une modification du règlement intérieur des piscines municipales de Grenoble. En particulier, l’article 10 autorisait à partir du 1er juin 2022 le port du burkini dans l’enceinte des piscines, alors que ce vêtement de bain était jusque-là interdit en raison de problème d’hygiène et de sécurité (en particulier, quand le vêtement ne colle pas à la peau, un morceau de tissu peut être pris dans un des mécanismes mécaniques). Pour faire bonne mesure et éviter (en vain) de focaliser la délibération municipale sur le seul port du burkini, la modification permettait aussi aux femmes (au nom de l’égalité des sexes) d’être seins nus dans les piscines.

Dès l’ordre du jour de ce conseil municipal connu, au début du mois de mai 2022, la polémique a évidemment démarré. C’était prévisible puisque ce sujet est très sensible en France et en été 2016, la polémique avait déjà enflé. Rien dans le Coran n’oblige les femmes musulmanes à porter un burkini pour se baigner. D’autant plus que la conception de ce vêtement de bain est très récente …et très juteuse.

Les arguments donnés par le maire écologiste (qui a divisé sa majorité municipale à cette occasion, le tiers de sa majorité ayant rejeté la délibération) étaient particulièrement confus, refusant de se mettre sur le terrain religieux, de la laïcité, du respect de la femme, ou encore de l’hygiène, tout en considérant ceux qui s’opposaient comme des personnes rejetant les femmes musulmanes. La réalité est que cette délibération a été adoptée sous la pression d’une association communautariste puissante juste avant les élections législatives.

Après son adoption, sur consigne du Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, le préfet de l’Isère a déposé le 23 mai 2022 un déféré-laïcité auprès du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble qui, par son ordonnance n°2203163 du 25 mai 2022, l’a accepté, si bien que la mesure n’était plus applicable et suspendue. Le maire de Grenoble a réagi de manière prévisible en portant le sujet par sa requête du 2 juin 2022 devant le Conseil d’État qui est l’instance administrative suprême, sans recours national (probablement qu’il pourrait y avoir un recours supplémentaire auprès de la Cour européenne des droits de l’homme).

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Quand on a observé la timidité de la réponse du Conseil d’État il y a plus de trente ans lors de l’affaire du voile à l’école (il avait renoncé à prendre position et avait invité les parlementaires à légiférer sur le sujet, ce qui a pollué la tranquillité publique pendant une quinzaine d’années), on pouvait craindre une réponse du même genre, mi-chèvre mi-chou. Eh bien, non, la décision du Conseil d’État prise par l’ordonnance n°464648 du 21 juin 2022 est parfaitement claire et fera certainement jurisprudence.

En effet, le Conseil d’État a rejeté le requête du maire de Grenoble et donc confirmé la décision du tribunal administratif de Grenoble du 25 mai 2022 qui avait suspendu la délibération du conseil municipal litigieuse. Il a repris le même raisonnement que les juges administratifs de première instance.

Ce qui est important de comprendre, c’est que ce n’est pas la mesure elle-même qui est mise en cause mais l’intention que sous-tend cette mesure, largement confirmée au fil des débats publics : cette délibération répondait à la demande d’une catégorie d’usagers et mettait en cause le principe de neutralité des services publics.

Ce principe de neutralité a été ainsi rappelé : « Lorsqu’il prend en compte pour l’organisation du service public les convictions religieuses de certains usagers, le gestionnaire de ce service ne peut procéder à des adaptations qui porteraient atteinte à l’ordre public ou qui nuiraient au bon fonctionnement du service, notamment en ce que, par leur caractère fortement dérogatoire, par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, elles rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l’égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l’obligation de neutralité du service public. ».

Les juges du Palais Royal ont expliqué effectivement : « L’adaptation exprimée par l’article 10 du nouveau règlement intérieur doit être regardée comme ayant pour seul objet d’autoriser les costumes de bain communément dénommés burkinis (…). Cette dérogation à la règle commune, édictée pour des raisons d’hygiène et de sécurité, de port de tenues de bain près du corps, est destinée à satisfaire une revendication de nature religieuse. Ainsi, il apparaît que cette dérogation très ciblée répond en réalité au seul souhait de la commune de satisfaire à une demande d’une catégorie d’usages et non pas, comme elle l’affirme, de tous les usagers. ».

Et l’ordonnance poursuit : « Si (…) une telle adaptation du service public pour tenir compte de convictions religieuses n’est pas en soi contraire aux principes de laïcité et de neutralité du service public, d’une part, elle ne répond pas au motif de dérogation avancé par la commune, d’autre part, elle est, par son caractère très ciblé et fortement dérogatoire à la règle commune, réaffirmée par le règlement intérieur pour les autres tenues de bain, sans réelle justification de la différence de traitement qu’il en résulte. Il s’ensuit qu’elle est de nature à affecter tant le respect par les autres usagers de règles de droit commun trop différentes, et ainsi le bon fonctionnement du service public, que l’égalité de traitement des usagers. ».

L’expression "revendication de nature religieuse" est très forte et très claire à la fois. Cette affaire prouve la nécessité et l’intérêt de la loi Séparatisme promulguée le 24 août 2021. Cette finalité religieuse de la modification du règlement intérieur a été amplement confirmée par la municipalité elle-même dans les débats. C’est cette finalité, ce sous-entendu qui, ainsi, a mis à mal la légalité de la délibération qui, sans cela, aurait pu passer avec les mêmes mots. La diversion de la baignade les seins nus n’a pas suffi à ne pas se focaliser sur le burkini qui était l’intention originelle.

Peut-être le maire de Grenoble portera cette affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (qui a autre chose à faire mais les recours sont les recours), pour poursuivre la polémique avec d’autres arguments, certainement celui de la liberté de porter ce qu’on veut. Pour l’heure, la loi Séparatisme semble avoir été bien rédigée pour résoudre ces conflits locaux sans remettre en cause la liberté religieuse ni l’égalité des femmes et des hommes.

Si la piste européenne ne suffit pas, le maire de Grenoble pourra toujours revenir à la charge avec un bataillon d’avocats : relire précisément les raisons sur lesquelles s’est fondé le Conseil d’État et les rendre inopérantes dans un prochain texte.

J’ai toujours trouvé stupide de se battre pour des bouts de vêtements. Ma tendance naturelle serait de laisser chacun se vêtir comme il l’entend, mais l’affaire du burkini touche à plein de sujets : le respect de la femme, l’ordre public (dès lors qu’un lieu de loisirs qui aspire au calme et à la bienveillance devient un cœur d’un combat politique ou religieux, la qualité du service public est remise en cause), et enfin, le plus important, la volonté toujours plus dévorante d’imposer à la France des normes islamistes qui n’ont pas lieu d’être. Ces tentatives d’intrusion culturelle et cultuelle doivent ainsi être combattues pour que la France reste la France. Il ne s’agit pas de fustiger une religion mais de refuser clairement le prosélytisme des plus radicalisés de cette religion qu’est l’islam.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 juin 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le Conseil d’État rejette définitivement le burkini à Grenoble.
Burkini, c’est fini ?
La Commission Stasi : la République, le voile islamique et le "vivre ensemble".
Burkini : la honte de Grenoble !
Éric Piolle.
Burkini à Grenoble : Laurent Wauquiez et Alain Carignon vs Éric Piolle.
Couvrez ces seins que je ne saurais voir !
Le burkini dans tous ses états.
Ne nous enlevez pas les Miss France !
Alexandra Richard, coupable ou victime ?
Dégenrer les Lego.
La PMA pour toutes les femmes désormais autorisée en France.
Genrer la part du Lyon ?
L’écriture inclusive.
Femmes, je vous aime !
Parole libérée ?
L’avortement.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220621-burkini.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/le-conseil-d-etat-rejette-242345

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8 juin 2022 3 08 /06 /juin /2022 04:03

« Ce qui est vrai, c’est que [ce système de plafond de ressources], ça crée une situation aberrante pour les personnes en situation de handicap, donc on va le bouger. » (Emmanuel Macron, le 15 avril 2022).




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Avoir du sens politique. C’est un métier que d’être Premier Ministre. Élisabeth Borne en a fait les frais ces dernières heures avec sa première émission de radio depuis sa nomination à Matignon : une heure de grande écoute, entre 13 heures et 14 heures, ce mardi 7 juin 2022 sur les 44 antennes locales de la radio France Bleu, invitée spéciale de l’émission "Ma France" animée par Wendy Bouchard. De quoi permettre à la Première Ministre d’approfondir certains sujets (surtout le pouvoir d’achat) et de se faire connaître.

Le retour de l’émission dans les médias fut à l’origine plutôt positif, on citait surtout sa réaction régalienne au tweet de Jean-Luc Mélenchon qui évoquait la "police qui tue" : « Je trouve très choquante la façon qu’a Jean-Luc Mélenchon de s’en prendre systématiquement à la police avec des propos totalement outranciers. Je rappelle que les policiers exercent une mission difficile auprès des Français. ».

Tout en ajoutant : « Après, ce qui s’est passé ce week-end ave un décès, c’est évidemment tragique. On ne peut pas avoir, comme monsieur Mélenchon, une présomption de culpabilité vis-à-vis de la police. Les policiers, s’ils sont en légitime défense, peuvent ouvrir le feu. Je pense qu’effectivement, il y a de plus en plus de refus d’obtempérer, avec des véhicules qui peuvent foncer sur les policiers, qui peuvent les mettre en danger. Ensuite, sur chaque cas, évidemment, il faut regarder attentivement et voir quelles sont les circonstances. Ce n’est pas mon rôle, la justice est saisie et c’est la justice qui dira ce qui s’est passé. ».

Une communication sur ce sujet régalien plutôt parfaite, rappel du soutien à la police, évocation du tragique décès, et justice pour faire la part des responsabilités, en d’autres termes, pour savoir si les policiers qui ont tiré étaient ou pas en légitime défense. Une communication qui était très efficace pour ramener à la majorité présidentielle des électeurs proches d’une gauche républicaine hermétique aux "outrances" des responsables de la NUPES, mais aussi des électeurs proches de LR-UDI qui ne voudraient pas voir venir un gouvernement Mélenchon et qui pourraient envisager un "vote utile" dès le premier tour des législatives en faveur de la majorité présidentielle (Ensemble).

Hélas pour Matignon, nous sommes en pleine campagne des législatives et rien n’est laissé par ses adversaires. Élisabeth Borne a fait preuve d’une communication politique défaillante, autrement dit, d’une maladresse politique, en réagissant auprès d’une auditrice du Jura, Dolorès, en situation de handicap (elle est en fauteuil roulant). Car la Première Ministre est une très belle mécanique intellectuelle, très huilée, mais la politique, l’envie de séduire, cela tient d’un autre ressort, dont le principal est l’empathie.

Or, lorsque Dolorès lui a expliqué qu’elle n’avait pas le droit de recevoir l’allocation aux adultes handicapés (AAH) parce que son mari gagnait "trop" (1 810 euros par mois), avec pourtant un loyer à 1 000 euros (« On me dit que je n’ai le droit à rien car on dépasse les plafonds. Sans mon époux, je serais à la rue. »), Élisabeth Borne a répondu assez froidement en lui conseillant de « reprendre une activité professionnelle » en lien avec des « structures dont c’est la responsabilité ».

La réaction rationnelle d’Élisabeth Borne pouvait se justifier : au contraire, travailler lorsqu’on est en situation de handicap, c’est très important pour l’insertion sociale voire l’inclusivité, comme on dit. Mais ce sujet sur le handicap est très sensible, on se rappelle la manière dont Éric Zemmour avait perdu des pans entiers de son électorat en méprisant les enfants en situation de handicap le 14 janvier 2022.

Très sensible, en effet. Lorsqu’elle lui a répondu cela, l’auditrice, très émue, a éclaté en sanglots car ce n’était évidemment pas la réponse qu’elle attendait : « J’adore quand madame la Première Ministre dit de reprendre une vie professionnelle, vous savez quand vous arrivez en fauteuil… ». Cette condition sur le plafond des ressources du foyer est même scandaleuse si on l’analyse selon l’angle de l’autonomie du conjoint, ici de la femme par rapport à son mari. Elle est totalement dépendante financièrement de son époux alors que la solidarité nationale devrait s’appliquer sur la personne concernée elle-même. Rien n’indique que son mari lui apporte l’aide nécessaire et l’État ne doit pas se remettre à un tiers pour aider les personnes en situation difficile.

Effectivement, l’AHH a été créée par la loi n°75-534 du 30 juin 1975, complétée par la loi n°2005-102 du 11 février 2005. Elle concernait 1,1 million de bénéficiaires en 2017 et son montant est de 919,86 euros par mois au 1er avril 2022 au taux plein. Mais elle est soumise à des conditions de ressources : le plafond au 1er janvier 2022 est de 10 843 euros de revenus annuels pour une personne seule, de 19 626 euros pour un couple, augmenté de 5 422 euros par enfant à charge et en prenant en compte pour les ressources du conjoint qui ne perçoit pas l’AAH un abattement de 5 000 euros (majoré de 1 400 euros par enfant à charge). Si bien que la situation de Dolorès est en effet possible et très difficile, probablement fréquente.

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Élisabeth Borne, très à l’écoute, a compris qu’elle avait fait une boulette et a tout de suite dit que ce n’était pas sur le travail des personnes en situation de handicap qu’il fallait ici s’attarder (« Peut-être que ce n’est pas le moment de parler de cette reprise professionnelle. ») mais sur l’AAH à donner sans condition de ressources, ou plutôt, à la "déconjugaliser" : « On sait que la situation du conjoint peut avoir un impact sur l’allocation adulte handicapé. Le Président de la République l’a évoqué au cours de la campagne. Donc, on va regarder ce sujet. ». Une réponse un peu trop vague pour rassurer l’auditrice qui avait besoin d’un engagement ferme et précis.

Le vendredi 15 avril 2022, Emmanuel Macron avait en effet lui-même déclaré sur franceinfo : « On doit bouger sur ce point (…). Ce qui est vrai aujourd’hui, c’est que quelle que soit la prestation, le système fiscal et social est ainsi fait en France, ce qui est assez juste, c’est qu’on regarde votre situation familiale, on regarde la capacité à contribuer du couple. (…) Ce qui est vrai, c’est que ça crée une situation aberrante pour les personnes en situation de handicap, donc on va le bouger. Il y a plusieurs réponses, soit faire ça [déconjugaliser l’AAH], soit avoir un revenu qui permette d’accompagner, mais qui ne soit pas conditionné, qu’il n’y ait pas ce couperet qui est aujourd’hui absurde, il y a plein de personnes en situation de handicap qui l’ont. ».

Plusieurs fois, au cours de la législature qui s’achève, des propositions de loi émanant de l’opposition (en particulier de LR), avaient été déposées pour déconjugaliser l’AAH, propositions qui ont toujours été rejetées par la majorité qui préférait en maîtriser la rédaction. Nul doute que le nouveau Ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées (ex-LR) Damien Abad prendra à cœur ce projet qui semble faire l’unanimité dans toute la classe politique, FI et RN compris.

Mais, par clientélisme rageur, les mélenchonistes ont tweeté à cœur perdu sur cette maladresse. Jean-Luc Mélenchon a parlé de « Technocrate brutale. É. Borne humilie par erreur ou par goût ? (…) Ici, elle humilie une femme en fauteuil », François Ruffin a résumé ainsi la boulette en la caricaturant : « Vous êtes handicapée Madame ? Reprenez le boulot. ». Ou encore Fabien Roussel décrit Élisabeth Borne « glaciale » et « insensible ». D’autres ont continué le chamboule-tout. Olivier Faure : « C’est l’histoire d’une rencontre avec un bloc de glace. ». Ou encore Marine Le Pen : « La réaction glaciale d’Élisabeth Borne traduit la politique injuste, inhumaine et méprisante d’Emmanuel Macron. ». Pourtant, avec tact, Élisabeth Borne a vite compris qu’elle avait commis une erreur et a corrigé immédiatement le tir en confirmant la volonté présidentielle de réformer les conditions d’attribution de l’AAH. Olivier Faure représente un parti qui était au pouvoir pendant 20 ans depuis la loi du 30 juin 1975 et n’a rien fait pour changer ce mode d’attribution de l’AAH.

D’ailleurs, c’est instructif de lire les commentaires des internautes sur le site du Figaro sur cette polémique, car ils soutiennent plutôt la Première Ministre. L’un écrit ce mercredi 8 juin 2022 : « Borne a raison. Moi aussi, je suis handicapé (polio 80%). Mais je peux travailler, je l’ai fait jusqu’à la retraite. On doit d’abord faire ce qu’on peut, et seulement ensuite demander de l’aide si ça ne suffit pas. ». Un autre : « Le travail est une punition pour l’extrême gauche, alors que ce devrait être un lien social. Les entreprises ont un quota d’emplois réservés aux handicapés. Borne ne fait que le rappeler. Les sans-cœur sont ceux qui cantonnent les handicapés à leur handicap. ». Un troisième internaute : « Avoir des électeurs captifs qui vivent de subventions, c’est le fonds de commerce de la Nupes. Décréter par principe qu’une personne handicapée ne peut pas travailler, je trouve cela très choquant et méprisant. ».

C’est donc bien bas de vouloir polémiquer sur un sujet si important pour la solidarité nationale, d’autant plus que le sujet est heureusement consensuel. L’électoralisme ne doit pas permettre tout. Du reste, tellement anodine et dérisoire (bien que malheureuse pour l’auditrice), la maladresse d’Élisabeth Borne n’avait même pas été signalée dans l’article du compte-rendu de cette émission sur le site de France Bleu, citant la chef du gouvernement seulement sur son projet de réformer cette allocation. Il a fallu quelques tweets incendiaires de la NUPES pour que la polémique éclatât, faute de trouver d’autres sujets d’opposition…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (08 juin 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Élisabeth Borne, déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et maladresse politique.
Le handicap ? Parlons-en !
Éric Zemmour et les enfants en situation de handicap.
Législatives 2022 (5) : 6 293 candidats pour 577 sièges de députés.
Législatives 2022 (4) : sous la NUPES de Mélenchon.
Élysée 2022 (53) : la composition sans beaucoup de surprises du premier gouvernement d’Élisabeth Borne.
Pour Jean-Louis Bourlanges, c’est la capitulation et la bérézina !
Législatives 2022 (3) : Valérie Pécresse mènera-t-elle Les Républicains aux législatives ?
Législatives 2022 (2) : la mort du parti socialiste ?
Législatives 2022 (1) : le pari écolo-gauchiste de Julien Bayou.
Élysée 2022 (49) : vers une quatrième cohabitation ?
Élysée 2022 (44) : la consécration du mélenchonisme électoral.
Élysée 2022 (43) : le sursaut républicain !

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220607-elisabeth-borne-aah.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/elisabeth-borne-deconjugalisation-242088

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/06/08/39510030.html








 

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27 mai 2022 5 27 /05 /mai /2022 03:00

« Vous avez cédé à un groupe de pression religieux qui se cache derrière une organisation en apparence inoffensive et honorable dont la stratégie de conquête du pouvoir politique consiste à imposer progressivement les normes de leur religion et à les consacrer sur le plan juridique pour les imposer à la collectivité. (…) Le burkini clive, c’est cela qui est recherché. Le burkini est une remise en cause de la règle commune. Avec le burkini, s’exprime l’exigence d’un droit à la différence qui conduit à la différence des droits. » (Delphine Bense, conseillère municipale LREM de Grenoble, le 16 mai 2022).




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Pas sûr que le maire EELV de Grenoble Éric Piolle réussira son pari d’autoriser le port du burkini aux femmes musulmanes dans les piscines de la ville dont il est le maire à l’ouverture de la saison, le 1er juin 2022.

Pressé par un groupe de pression pour ouvrir l’accès des piscines aux femmes portant le burkini, c’est-à-dire un maillot de bain couvrant tout le corps à la conception très récente (et juteuse), l’écologiste Éric Piolle a en effet mis à l’ordre du jour du conseil municipal du 16 mai 2022 une délibération qui a modifié le règlement intérieur des piscines municipales pour permettre cette possibilité. Pour faire bonne mesure, la délibération autorisait également les seins nus dans les mêmes lieux. La délibération a été adoptée avec une très courte majorité, 29 voix contre 27 sur 59 à l’issue d’une séance interminable. La majorité municipale était donc elle-même profondément divisée.

À l’annonce du vote de la délibération, sur demande du Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et sur le fondement du cinquième alinéa de l’article L.2131-6 du code général des collectivités territoriales issu de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (loi sur les séparatismes), le préfet de l’Isère a demandé le 23 mai 2022 aux juges des référés de suspendre l’exécution de cette délibération. Le 25 mai 2022, par son ordonnance n°2203163, le tribunal administratif de Grenoble, « au nom du peuple français », a accédé à la demande de l’État par son article 2 : « L’exécution de l’article 10 précité du règlement des piscines de Grenoble dans sa rédaction issue de la délibération du conseil municipal du 16 mai 2022 est suspendue en tant qu’elle autorise l’usage de tenues de bains non près du corps moins longues que la mi-cuisse. ». Par conséquent, « la République mande et ordonne au Ministre de l’Intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présent décision » (Cette dernière phrase n’a pas beaucoup d’intérêt mais son jargon juridique était trop savoureux pour ne pas la citer !).

En d’autres termes, les juges des référés de Grenoble ont suspendu l’exécution de cette délibération et les Grenobloises devront donc porter un maillot deux pièces ou une pièce classique pour pouvoir accéder aux piscines municipales.

Cette décision n’est pas sans conséquence sur le plan national puisque c’était la première fois que le ministère public demandait un déféré laïcité au nom de la loi contre les séparatismes. Néanmoins, je ne suis pas sûr que cet épisode soit le meilleur au nom de la laïcité, car la justification de cette suspension me paraît reposer sur une argumentation assez faible juridiquement.

Regardons effectivement de plus près les arguments utilisés par les deux parties.

Le préfet de l’Isère (en d’autres termes, le gouvernement) a considéré que cette mesure autorisant le burkini « porte une atteinte grave aux principes de laïcité et de neutralité des services publics ». En effet, « la libre expression de leurs convictions religieuses [celles des usagers] trouve sa limite dans le bon fonctionnement du service public et de l’ordre public ».

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En particulier, cette délibération « vise à reconnaître des droits particuliers à des membres d’une communauté religieuse alors qu’il n’existe aucune demande de sa part et la possibilité de se rendre à la piscine en burkini risque de se transformer en obligation ».

Autre argument du préfet, celui de la sécurité : « La commune de Grenoble crée un exception selon laquelle les tenues de bains doivent être "près du corps" pour éviter le risque de s’accrocher ou d’être happé par des appareils de filtration. ». C’est à mon sens l’argument le plus fort et qui n’implique aucune considération religieuse, donc susceptible d’aucune polémique ultérieure.

De plus, il s’est appuyé sur les manifestations organisées le jour du conseil municipal pour évoquer les risques de « graves troubles à l’ordre public » en raison d’un « détournement de pouvoir dès lors qu’il vise à favoriser une communauté religieuse particulière ».

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Représentée par deux avocats, la commune de Grenoble a de son côté voulu réduire la portée religieuse de la mesure : « Le règlement intérieur n’a pas pour objet d’autoriser une pratique religieuse mais seulement de permettre à toute personne d’accéder aux piscines, dans le respect des règles d’hygiène et de sécurité propres à ces équipements. ». Elle a rappelé en outre que « les usagers des piscines ne sont pas soumis à des exigences de neutralité religieuse » et aussi que « aucun texte législatif ou principe général du droit ne s’oppose à ce qu’un règlement intérieur de piscine n’interdise pas le port d’un burkini » (un argument donné en séance du conseil municipal, c’est que c’est déjà autorisé dans les piscines municipales de Rennes).

L’association "Alliance citoyenne", qui est le groupe de pression demandant depuis au moins trois années, au prix d’opérations commandos, l’autorisation du port du burkini, a voulu intervenir dans ce débat juridique en affirmant notamment que « la circonstance selon laquelle certaines tenues de bain, comme le burkini, pourraient être regardées comme manifestant des convictions religieuses ne saurait empêcher leur autorisation par la commune, en l’absence de dispositions légales particulières ».

Intervenant également dans ce débat, la Ligue des droits de l’Homme (favorable au burkini) a soutenu que « le maillot de bain couvrant n’est pas, par lui-même, un signe d’appartenance religieuse », que « son port ne méconnaît pas les exigences du principe de laïcité » et qu’il « n’appartient pas à l’État de s’immiscer dans le fonctionnement d’une religion et aucune pression n’a été relevée sur les femmes de la communauté musulmane ». Par ailleurs, la Ligue a insisté sur le fait que « le préfet ne peut utilement soulever un problème de sécurité dans le cadre d’un déféré-laïcité ; en tout état de cause, le risque allégué n’est pas établi ».

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Dans ce contexte, les juges des référés ont considéré : « Si les usagers du service public peuvent exprimer librement, dans les limites fixées par la loi, leur appartenance religieuse, les dispositions de l’article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances pour s’affranchir des règles communes organisant et assurant le bon fonctionnement des services publics. ».

Ils ont aussi écrit : « Par ailleurs, l’autorité administrative doit respecter le principe de neutralité et édicter des règles concourant au maintien de l’ordre public sous ses composantes de la sécurité, de la salubrité et de la tranquillité publiques. Il ne saurait être dérogé aux règles édictées dans l’objectif d’assurer l’ordre public. ».

Le seul argument des juges des référés pour ordonner la suspension de l’exécution de la délibération est alors celui-ci : « En permettant aux usagers du service public communal des piscines de Grenoble de porter des tenues "non près du corps", sous la seule condition qu’elles soient moins longues que la mi-cuisse, comme c’est le cas notamment du vêtement de baignade appelé burkini, c’est-à-dire en dérogeant à la règle générale d’obligation de porter des tenues ajustées près du corps pour permettre à certains usagers de s’affranchir de cette règle dans un but religieux, ainsi qu’il est d’ailleurs reconnu dans les écritures de la commune, les auteurs de la délibération litigieuse ont gravement porté atteinte aux principes de neutralité du service public. ».

Il faut bien comprendre l’argument car il peut ne pas être clair. Le principe de neutralité n’est pas mis en cause par une usagère en se baignant avec un burkini, puisque les usagers ne sont pas soumis à ce principe de neutralité. C’est la commune de Grenoble elle-même qui a porté atteinte à ce principe de neutralité en autorisant une dérogation pour raison religieuse, même s’il elle n’est pas évoquée en tant que telle, c’est quand même son but réel. Les élus qui ont voté cette délibération n’étaient pas neutres, puisqu’ils voulaient favoriser une communauté religieuse par rapport à une autre communauté.

Le "gravement" est important, néanmoins, en ne se fondant que sur le "principe de neutralité", le tribunal administratif de Grenoble a rendu, à mon sens, une décision affaiblie qui pourrait être contredite. D’ailleurs, le débat administratif continue puisque le maire de Grenoble a annoncé qu’il allait faire appel (il a quinze jours pour le faire) et ce sera au Conseil d’État de statuer.

Lors de l’histoire du voile à l’école, le Conseil d’État avait botté en touche en disant que c’était au législateur de prendre ses responsabilités d’autoriser ou pas le voile à l’école et il a fallu quinze ans pour faire adopter une telle loi, après des milliers d’heures de polémiques. S’il ne voulait pas se mouiller, le Conseil d’État pourrait donc réagir de la même manière, ce que demandent déjà LR et le RN, qui veulent une loi contre le port du burkini. Rappelons d’ailleurs que le port du burkini est interdit dans la plupart des piscines en Tunisie et au Maroc.

Pourtant, la décision du tribunal administratif peut facilement être contredite en ne posant que le principe de neutralité comme base de suspension. Sa décision aurait été probablement plus solide en se basant sur les règles d’hygiène et de sécurité des usagers, moins susceptibles d’être interprétées qu’un principe de neutralité religieuse qui peut toujours prêter à discussion.

Pour autant, cette décision a bien entendu satisfait l’ensemble des opposants à la municipalité de Grenoble et en particulier à Alain Carignon, ancien maire et chef de l’opposition municipale : « Le tribunal vient de donner un coup d’arrêt aux dérives d’Éric Piolle et à son désir de favoriser l’islamisme politique. Merci à ceux qui se sont mobilisés. Le combat pour l’universalisme républicain continue face à un maire qui ne renonce pas à imposer son idéologie régressive. ». Le ministre Gérald Darmanin s’est lui aussi hautement réjoui : « Le tribunal administratif retient que le maire de Grenoble, avec cette décision autorisant le "burkini" dans les piscines municipales, a porté une atteinte grave à la laïcité. Des excuses s’imposent. ». Président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez a également exprimé sa joie par un laconique : « Le séparatisme ne gagnera pas. ».

Le candidat LR aux élections législatives Clément Chappet a parlé de « déconvenue pour Éric Piolle, recadré pour avoir voulu s’affranchir de la règle dans un but religieux ». Il reste toutefois très vigilant : « La dérive communautariste grenobloise est endiguée (…). Ne soyons pas dupes : d’une manière ou d’une autre, Éric Piolle persistera avec ses tentatives de déconstruire les valeurs et les principes qui font notre communauté nationale. ».

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Éric Piolle, qui fait partie de la NUPES, n’aide pas ses camarades de gauche à se faire élire aux élections législatives dans deux semaines. Peut-être que son pari électoral sera efficace à Grenoble, mais certainement pas dans l’ensemble du pays où les potentiels électeurs de Jean-Luc Mélenchon ont besoin de garanties sur les valeurs républicaines que défendrait sa coalition si jamais elle arrivait au pouvoir. Il ne s'agirait pas qu'elles soient bradées. En jouant à fond sur les minorités et les communautarismes, ce représentant du mélenchonisme électoral a répondu. Et pas de manière à être rassuré. À la République de se défendre et d’y secréter ses anticorps. À cet égard, la décision du Conseil d’État, qui sera également rapide, vaudra de l’or pour l’histoire des prochaines années.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 mai 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Burkini, c’est fini ?
La Commission Stasi : la République, le voile islamique et le "vivre ensemble".
Burkini : la honte de Grenoble !
Éric Piolle.
Burkini à Grenoble : Laurent Wauquiez et Alain Carignon vs Éric Piolle.
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La PMA pour toutes les femmes désormais autorisée en France.
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L’avortement.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220525-burkini.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/burkini-c-est-fini-241793

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17 mai 2022 2 17 /05 /mai /2022 03:27

« Nous débattons d’un sujet sans intérêt, aussi démagogique que dangereux, votre burkini. (…) Ce jour est un jour historique, celui où vous nous demandez de voter et d’acter un renoncement sur le droit des femmes. (…) Vous sacrifiez la liberté d’une femme libre à la pudeur d’un salafiste. Votre texte n’est pas à destination des femmes mais de ceux qui les regardent. » (Émilie Chalas, députée LREM de l’Isère).




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Le dernier conseil municipal de Grenoble s’est tenu ce lundi 16 mai 2022, à partir de 15 heures. Malgré la polémique sur une délibération ou alors, à cause de cette polémique, aucun public n’a été autorisé à assister physiquement à cette séance qui était seulement accessible en direct vidéo sur le site Internet de la ville de Grenoble. Malgré la division de la majorité écologiste de gauche, le maire Éric Piolle a pu faire passer l’autorisation du port du burkini dans les piscines municipales de la ville à partir du 1er juin 2022.

Présentée laborieusement par Céline Mennetrier, la 19e adjointe chargée des sports et du quartier de l’école Alphonse-Daudet, la délibération n°4-(28744) portant nouveau règlement intérieur des piscines municipales applicable à compter du 1er juin 2022, a été votée à 19 heures 52 par 29 voix pour et 27 voix contre sur 57 présents (sur 59 élus), à l’issu de 208 minutes de débats de sourds, plus une interruption de 22 minutes et une demande rejetée de vote public par appel (voulue par 14 élus mais il en fallait 15, un quart des présents, pour l’imposer au conseil municipal ; notons que le mode de scrutin des élections municipales permet à la liste qui a obtenu la majorité absolue de détenir au moins les trois quarts des sièges).

Le résultat du vote a donc montré une profonde division de la majorité. Les élus de l’opposition ont souligné les contradictions du maire Éric Piolle, en particulier quand il a refusé de considérer que le burkini a une connotation religieuse puis en répondant à une autre question en faisant comme si le burkini équivalait à l’appartenance à une religion. Soupçonné par de plusieurs élus d’opposition d’être en collusion politique avec un groupe de pression qui avait déjà fait des opérations commandos dans des piscines pour imposer l’autorisation du port du burkini, le maire les a réfutées en parlant de fake news (sans convaincre).

En tant qu’ancien Grenoblois, je suis désolé comme beaucoup des élus d’oppositions dépités et impuissants par le vote de cette délibération qui va plomber durablement l’image et la réputation d’une ville de Grenoble qui a besoin de son rayonnement international pour vivre, se développer et s’épanouir.

Je propose ici de citer quelques extraits intéressants des interventions de plusieurs élus d’oppositions, en particulier de la députée LREM Émilie Chalas, candidate malheureuse à la mairie en 2020, et de l’ancien maire (et ancien ministre) Alain Carignon, autre candidat malheureux à la mairie en 2020, toujours sur le front sans avoir perdu son talent oratoire, malgré les années. J’ai indiqué pour ces élus l’étiquette du parti de la tête de liste même si ces élus pourraient ne pas l’avoir personnellement prise, comme une simple information sans évoquer les spécificités politiques municipales.

La première à s’exprimer, Émilie Chalas, députée LREM : « Monsieur le maire, vous faites honte aux musulmans et vous faites honte à la ville de Grenoble et à son histoire. Depuis des semaines, notre ville fait la une des journaux locaux, nationaux et parfois même internationaux. Notre ville est devenue, grâce à vous, la risée de la France. Alors même que nous connaissons une crise écologique sans précédent, alors même que la précarité augmente et inquiète (…), alors même que l’insécurité galope (…), vous faites perdre son temps à cette respectable assemblée. (…) Nous débattons d’un sujet sans intérêt, aussi démagogique que dangereux, votre burkini. (…) C’est un débat éminemment politique (…). Sa portée est immense et votre responsabilité sera considérable. (…) Ce jour est un jour historique, celui où vous nous demandez de voter et d’acter un renoncement sur le droit des femmes. Ce jour restera comme un symbole de votre déchéance politique. (…) Vous sacrifiez la liberté d’une femme libre à la pudeur d’un salafiste. Votre texte n’est pas à destination des femmes mais de ceux qui les regardent. ».

Nathalie Béranger (LR) : « Le port d’un voile est inversement proportionnel à l’émancipation des femmes. ».

Delphine Bense (LREM) : « Vous imposez par cette délibération une adaptation majeure de la vie des Grenoblois sans l’aval de votre majorité, sans débat avec les oppositions, sans concertation publique avec les Grenoblois et même pire, sans que vos électeurs ne se soient prononcés sur la question puisqu’elle n’était pas incluse dans votre programme. Le fait du prince ! Vous avez cédé à un groupe de pression minoritaire dont la méthode consiste à se victimiser en s’affrontant aux institutions. En faisant droit à cette victimisation, vous donnez l’impression que la société française rejette l’islam alors qu’elle ne fait que respecter les normes communes grâce auxquelles nous vivons en bonne intelligence. Vous avez cédé à un groupe de pression religieux qui se cache derrière une organisation en apparence inoffensive et honorable dont la stratégie de conquête du pouvoir politique consiste à imposer progressivement les normes de leur religion et de les consacrer sur le plan juridique pour les imposer à la collectivité. (…) Vous avez cédé au capitalisme et au libéralisme. Eh oui, le burkini n’est qu’un pur produit du capitalisme marchand destiné à faire de l’argent. Car voyez-vous, le burkini n’existe ni dans l’islam ni dans le Coran, il n’est qu’une récupération religieuse bien pratique dont se nourrit le libéralisme. Finalement, les sirènes du modèle américain auront eu raison de vous. Vous confondez attachement aux libertés individuelles et sujétion au modèle libéral et multiculturel anglo-saxon. (…) Le burkini clive, c’est cela qui est recherché. Le burkini est une remise en cause de la règle commune. Avec le burkini, s’exprime l’exigence d’un droit à la différence qui conduit à la différence des droits. ».

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Parmi les derniers à s’exprimer sur cette délibération, Alain Carignon (LR) : « Nous observons, comme tout le monde, impuissants pour l’instant, l’isolement de la ville (…) dans la nation. Nous nous en inquiétons (…). Nous observons, impuissants, la ville de Grenoble devenir le théâtre national de votre désir de rompre, de fait, avec le modèle universaliste républicain. Nous observons, dépités, le fait que quand même, cette grande métropole universitaire, de recherches, de technologies, de star up, d’entreprises, devient l’épicentre du retour à l’âge de pierre avec l’autorisation du burkini. ».

Alain Carignon a cru voire une opportunité du maire de Grenoble d’imposer ce débat juste avant les élections législatives pour profiter d’un vote communautariste. Je crois au contraire à sa bonne foi sur le calendrier, qu’il puisse faire adopter ce nouveau règlement pour cet été, mais je pense que c’est un acte politique complètement stupide, dangereux, et surtout contreproductif au moment où les écologistes se sont alliés avec Jean-Luc Mélenchon qui n’avait pas besoin de voir se renforcer sa réputation de communautarisme.

Beaucoup vont donc réfléchir à deux fois avant de glisser le bulletin d’un candidat NUPES aux élections législatives et en particulier en répondant à la question : suis-je d’accord avec cette autorisation du port du burkini dans les piscines et est-ce que je pense que c’est une mesure d’émancipation des femmes… ou tout le contraire ? Dans quelques semaines, se jouera l’avenir des cinq prochaines années de la France. Autant savoir à quoi les électeurs nationaux s’engagent, à défaut des électeurs grenoblois pas au courant aux élections municipales de 2020 des visées communautaristes de leur maire écologiste…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 mai 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Burkini : la honte de Grenoble !
Éric Piolle.
Burkini à Grenoble : Laurent Wauquiez et Alain Carignon vs Éric Piolle.
Couvrez ces seins que je ne saurais voir !
Le burkini dans tous ses états.
Ne nous enlevez pas les Miss France !
Alexandra Richard, coupable ou victime ?
Dégenrer les Lego.
La PMA pour toutes les femmes désormais autorisée en France.
Genrer la part du Lyon ?
L’écriture inclusive.
Femmes, je vous aime !
Parole libérée ?
L’avortement.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.








https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220516-burkini.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/burkini-la-honte-de-grenoble-241588

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3 mai 2022 2 03 /05 /mai /2022 03:04

« Qu’est-ce qui fait que la "lepénisation" et la "zemmourisation" des esprits sont tels qu’on regarde la façon de se vêtir, de se dévêtir, des femmes comme un sujet identitaire ? Ce n’est pas un sujet identitaire, c’est un sujet d’accès au service public. Ce règlement des piscines devrait être un non-sujet. (…) Vraiment, ce changement de règlement des piscines devrait plutôt être vu comme un progrès social. » (Éric Piolle, le 3 mai 2022 dans "20 Minutes").




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Où l’on reparle encore de piscine et de vêtements de baignade. Après la grosse polémique de l’été 2016, et quelques sporadiques retours par des opérations coups de poing, le burkini se retrouve au cœur du débat public entre deux assauts russes en Ukraine.

Il s’agit d’un nouvelle polémique à propos d’une proposition du maire écologiste de Grenoble, Éric Piolle. Ce maire EELV, le premier d’une grande agglomération urbaine (élu dès 2014, réélu en 2020), n’est pas très malin d’avoir remis ce sujet sur le devant de la scène à quelques semaines des élections législatives. Probablement que cela va faire perdre quelques sièges à cette coalition hétéroclite écolo-mélenchoniste.

De quoi s’agit-il ? Depuis quelques années, des groupes de pression (des associations qui luttent selon elles pour la liberté des femmes) font des opérations médiatiques en faisant venir des femmes portant le burkini dans des piscines municipales (à Grenoble, à Villeurbanne, etc.). En particulier, il y a eu plusieurs journées à Grenoble depuis quelques étés (23 juin 2019, 22 juillet 2021). Ces opérations ont troublé l’ordre public ainsi que le climat estival des usagers de la piscine venus se détendre et se reposer. Les organisateurs qui se font appeler les "Rosa Parks musulmanes" souhaitent que les piscines municipales accueillent les femmes musulmanes voilées, leur combat est donc principalement religieux. Le maire de la ville, Éric Piolle, a regretté ces provocations « déplorables » car ces militantes préfèrent « enfreindre le règlement intérieur plutôt que de saisir les outils pouvant aboutir à son évolution à moyen terme ».

Jusqu’à maintenant, le règlement intérieur des piscines municipales grenobloises était assez clair : « Pour des raisons d’hygiène et de salubrité, la tenue de bain obligatoire pour tous dans l’établissement est le maillot de bain une ou deux pièces propres et uniquement réservé à l’usage de la baignade. ».

Néanmoins, en France, aucune loi n’interdit de porter un burkini. Le Conseil d’État a même invalidé un arrêté municipal d’interdiction sur les plages de Villeneuve-Loubet, jugé illégal, par son ordonnance du 26 août 2016 : « Le maire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade alors qu’elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public, ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence. ».

Malgré tout, d’autres communes l’ont aussi interdit en le justifiant soit, sur la plage, pour prévenir des risques de troubles à l’ordre public, soit, à la piscine, pour des raisons d’hygiène. Le Défenseur des droits a également émis un avis le 27 décembre 2018 qui considère discriminatoire l’interdiction d’entrée à la piscine d’une femme en burkini (et donc contraire à la loi du 27 mai 2008). En mars 2019, le Défenseur des droits a estimé dans son rapport annuel : « Le port du voile ou du burkini pour la pratique sportive ne peut être interdit sur le fondement d’une règle de neutralité. ».

Ce sujet est compliqué et très sensible, alors qu’il fait intervenir de nombreux sujets : la place de l’islam dans la société française, ou plus exactement, sa visibilité dans l’espace publique, car c’est bien de cela qu’il s’agit, mais il touche beaucoup d’autres points sensibles, comme le communautarisme, la liberté des femmes (dans les deux sens, que les femmes ne soient pas obligées de porter un burkini ou, au contraire, qu’elles puissent être libres d’en porter), la discrimination, l’égalité entre les hommes et les femmes, le communautarisme, le vivre ensemble dans un lieu de loisirs, l’hygiène et la sécurité sanitaire (point plus sensible depuis la crise du covid), sans oublier les passions politiques, manipulations et instrumentalisations des uns, provocations des autres.

Sujet en or pour l’opposition, Alain Carignon avait déjà fustigé l’attitude équivoque du maire il y a trois ans, le 23 juin 2019, sur Twitter : « Suite à la nouvelle intrusion de femmes musulmanes intégristes dans la piscine municipale, je demande à Éric Piolle de faire cesser les provocations, de faire appliquer le règlement qui s’applique à tous. Son laxisme dépasse les bornes républicaines. ».

Ce n’est donc pas étonnant si la polémique a resurgi le vendredi 29 avril 2022 par la voix du même Alain Carignon, actuel conseiller municipal d’opposition et ancienne tête de liste aux dernières élections municipales de juin 2020. L’ancien maire de Grenoble, âge maintenant de 73 ans, a alerté en effet la presse sur le fait qu’Éric Piolle voulait faire adopter une délibération à la séance du 16 mai 2022 du conseil municipal : « Aujourd’hui, Éric Piolle officialise qu’il proposera l’autorisation du burkini dans les piscines le 16 mai prochain au conseil municipal : j’appelle les Grenoblois à venir ce jour-là exiger un référendum. » (29 avril 2022).

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Menant l’opposition frontalement, Alain Carignon s’indignait : « Éric Piolle n’est pas mandaté pour soutenir l’islamisme politique ! » et espère assez mobiliser les habitants pour faire pression. Dans "Le Dauphiné Libéré" du 2 mai 2022, il poursuivait : « Il a menti en disant que la décision n’était pas prise concernant le burkini ! Elle l’est. Il a notifié aux commissions le nouveau règlement des piscines qui de fait l’autorise. Il a voulu cacher sa décision le plus longtemps possible aux Grenoblois parce qu’il veut passer en force. ».

Cette intention a été confirmée par Éric Piolle lui-même le 3 mai 2022 : « Au prochain conseil municipal, on proposera un nouveau règlement des piscines qui enlève les interdits étranges ayant été posés il y a une dizaine d’années. Donc, vous pourrez venir vous baigner dans les piscines de Grenoble seins nus. Vous pourrez venir avec un maillot couvrant pour se protéger du soleil. Vous pourrez venir avec un maillot couvrant pour d’autres raisons. C’est l’égalité d’accès au service public. Ce nouveau règlement entrera en vigueur le 1er juin, c’est-à-dire juste avant l’ouverture des piscines d’été. », a-t-il expliqué à "20 Minutes", tout en indiquant qu’il avait écrit au Président Emmanuel Macron le 29 avril 2022 pour l’inciter à se saisir de ce problème sur le plan national.

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La date n’a donc pas été choisie au hasard mais reste très maladroite politiquement, en raison des élections législatives du 12 et 19 juin 2022. Le maire de Grenoble suit donc la municipalité de Göttingen, en Allemagne, qui autorise les seins nus à partir du 1er mai 2022. Il a expliqué que la crise sanitaire avait retardé les discussions commencées en 2018 : « Nous avions (…) fait un travail autour de l’égalité femmes hommes, autour du fait qu’il n’y avait pas de raison pour que la poitrine des femmes ait un autre statut que la poitrine des hommes dans les piscines grenobloises. ».

Le problème d’Éric Piolle, c’est que sa logique s’effondre dès lors qu’il confirme que les shorts de plage resteront interdits pour des raisons d’hygiène, car le burkini pourrait être classé dans cette même catégorie de vêtement (c’est déjà ce qui, juridiquement, justifiait son interdiction antérieure).

Éric Piolle, par ailleurs, a rejeté aussi les questions de laïcité qui n’avaient pas lieu d’être pour les usagers des services publics. La neutralité n’est valable que pour les agents publics et à l’école, pas dans un espace de loisirs : « Vos pouvez vous habiller dans la rue comme vous le souhaitez. Là, vous pourrez venir vous baigner dans les piscines de Grenoble comme vos le souhaitez. ». Des villes autorisent déjà le burkini, c’est le cas de Rennes depuis 2018.

En tout cas, certains élus de gauche du conseil municipal sont opposés à cette délibération et sont désolés d’ainsi fracturer la majorité municipale. Bien sûr, les élus LR et RN s’opposent avec force.

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Montant au filet, comme s’il réapparaissait sur le devant de la scène après une désertion étrange pendant la campagne présidentielle, Laurent Wauquiez, président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, a réagi avec fermeté contre cette inacceptable soumission à l’islamisme politique. Il a fait son Joe Biden face à Éric Piolle/Vladimir Poutine, en menaçant de sanction : « M. Piolle projette d’autoriser le burkini dans les piscines municipales. Je mets le maire en garde : dans ce cas, la Région coupera toute subvention à la ville de Grenoble. Pas un centime des Auvergnats-Rhônalpins ne financera votre soumission à l’islamisme. » (le 2 mai 2022 sur Twitter).

Cette réaction est intéressante à analyser car, égal à lui-même, Laurent Wauquiez s’est investi dans ce combat contre le communautarisme, n’hésitant pas à faire ce qu’il fait généralement quand il n’est pas d’accord, menacer et intimider. Mais cette fois-ci, ces menaces et ces intimidations sont publiques et largement connues, et il serait intéressant à savoir ce qu’en pensent les juges du Conseil d’État qu’un élu, ès qualités, fasse pression sur une assemblée délibérative élue démocratiquement dans le fonctionnement normal de cette collectivité. Car il s’agit d’une instrumentalisation des institutions au profit d’une opinion partisane. Cette affaire pourrait donc aller beaucoup plus loin qu’une simple révision du règlement intérieur de piscine municipale, il s’agit aussi du fonctionnement de notre démocratie locale.

Burkini, pour ou contre ? C’est notre vieux pays qui s’échauffe désormais à chaque début des beaux jours, prompt à suivre deux injonctions paradoxales : la liberté de faire et de s’habiller comme on veut, et le refus de voir la société se transformer sous nos yeux en un pays musulman. La raison choisira la liberté, la passion l’interdiction. Et les récupérateurs de tout bord souffleront toujours sur les braises encore chaudes du populisme ou du communautarisme.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 mai 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Éric Piolle.
Burkini à Grenoble : Laurent Wauquiez et Alain Carignon vs Éric Piolle.
Couvrez ces seins que je ne saurais voir !
Le burkini dans tous ses états.
Ne nous enlevez pas les Miss France !
Alexandra Richard, coupable ou victime ?
Dégenrer les Lego.
La PMA pour toutes les femmes désormais autorisée en France.
Genrer la part du Lyon ?
L’écriture inclusive.
Femmes, je vous aime !
Parole libérée ?
L’avortement.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220503-burkini-grenoble.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/burkini-a-grenoble-laurent-241331

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/05/03/39462322.html










 

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