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26 octobre 2015 1 26 /10 /octobre /2015 06:02

« Le mot doit faire naître l’idée ; l’idée doit peindre le fait : ce sont trois empreintes d’un même cachet ; et comme ce sont les mots qui conservent les idées et qui les transmettent, il en résulte qu’on ne peut perfectionner le langage sans perfectionner la science, ni la science sans le langage. » (Lavoisier).


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Deux commissions du Sénat ont préparé la deuxième lecture de la proposition de loi Claeys-Leonetti en séance publique. La commission des lois s’est réunie le 20 octobre 2015 sous la présidence de Philippe Bas pour donner juste un avis concernant ce texte et la commission des affaires sociales le 21 octobre 2015 sous la présidence d’Alain Milon pour proposer aux sénateurs sa version (lire ici ces rapports). Le texte avant d’être amendé par la commission sénatoriale avait été adopté par l’Assemblée Nationale le 6 octobre 2015 en deuxième lecture.

La procédure législative peut paraître un peu compliquée mais il est essentiel de la comprendre pour un texte aussi important que sur la fin de vie, où chaque mot, chaque virgule compte beaucoup dans l’interprétation qu’on pourra en faire, que ce soit un médecin ou le Conseil d’État lui-même. La bataille sémantique revêt alors autant d’importance que l’affrontement sur le fond.

Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les parlementaires débattent d’un texte dans sa version amendée par leur commission et pas dans sa version initiale. C’est très important puisque cela donne aux commissions un rôle déterminant et dans le cas d’un projet de loi (d’origine gouvernementale, ce qui n’est pas le cas ici), cela renforce les prérogatives du Parlement sur le pouvoir exécutif (en ce sens, c’est un changement très important des institutions voulu par le Président Nicolas Sarkozy).

La commission des affaires sociales du Sénat, sous la direction des deux corapporteurs de la proposition de loi, Michel Amiel et Gérard Dériot, avait réalisé un bon travail d’amélioration lors de la première lecture. Hélas, lors de la discussion en séance publique, les sénateurs ont adopté beaucoup d’amendements qui ont dénaturé l’esprit du texte (au point de revenir dans la situation d’avant la loi du 22 avril 2005 !) si bien que la plupart des sénateurs ont sabordé le texte final en le rejetant. L’Assemblée Nationale a alors repris en deuxième lecture pratiquement le même texte qu’elle avait adopté en première lecture le 17 mars 2015.

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L’enjeu de la discussion en séance publique est de taille. Comme les deux assemblées auront adopté un texte différent, il y aura une commission mixte paritaire chargée de trouver (éventuellement) un texte commun qui mettra les deux assemblées d’accord. Certes, la Constitution donne un avantage à l’Assemblée Nationale pour avoir le dernier mot et les députés pourraient donc faire passer leur texte en force. Sauf que le gouvernement, dans sa sagesse que je salue, souhaite obtenir le plus large consensus et le minimum est donc aussi d’avoir l’accord du Sénat, sans quoi, ce serait une loi réputée être mal votée et qui n’aurait probablement pas la pérennité nécessaire dans le temps.

Pour qu’il puisse y avoir des négociations fructueuses, il faut bien que les deux assemblées arrivent avec leur propre texte. Si le Sénat rejette comme en première lecture un texte dénaturé, il aura plus de mal pour convaincre l’Assemblée Nationale de l’intérêt de certaines modifications. C’est en tout cas l’argument qu’emploie la commission et les deux corapporteurs du Sénat à l’adresse des sénateurs : « L’important travail de précision et d’encadrement réalisé par notre commission n’avait pas apaisé toutes les craintes. Le texte issu de la séance publique manquait de cohérence et n’avait pas pu réunir une majorité. Or le Sénat doit parvenir à un texte qui puisse être discuté avec l’Assemblée Nationale ! » (Gérard Dériot, le 21 octobre 2015).

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Résultat, la commission sénatoriale a repris ses amendements de la première lecture ainsi que quelques amendements adoptés en séance publique. Elle espère ainsi, avec cette bonne volonté, permettre aux sénateurs d’entendre raison et d’accepter ce texte ainsi modifié et précisé pour ensuite organiser la discussion en commission mixte paritaire avec les députés.


Quelles sont les principales modifications ?

Je vais en reprendre quelques-unes assez succinctement pour ne pas être trop illisible et j’invite les personnes intéressées à se reporter aux rapports et notamment au tableau comparatif entre les différentes version du texte (ici).

1. Le titre du texte a été modifié : "proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie" au lieu de "nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie".

2. Au lieu de parler d’un "droit à une fin de vie apaisée", il est précisé par un "droit à une fin de vie accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance".

3. La mention de "prolonger inutilement la vie" est supprimée pour éviter toute erreur d’interprétation (la vie n’est jamais inutile).

4. L’hydratation artificielle est considérée comme un soin pouvant être maintenu jusqu’au décès (ou pas, selon les situations). Elle est ainsi juridiquement différenciée de l’alimentation artificielle.

5. L’article 3 est entièrement réécrit pour séparer en deux seuls cas possibles la possibilité de sédation profonde et continue, selon que le patient est capable ou pas d’exprimer sa volonté. Dans le texte des députés, il y avait trop cas, celui où le patient demandait l’arrêt des traitements.

6. Il est précisé que dans le cas où une personne souhaite arrêter tout traitement, la sédation profonde et continue n’est mise en œuvre qu’en cas de souffrance réfractaire. Sans cette précision juridique, il pourrait y avoir des dérives qui iraient bien au-delà de l’intention du législateur.

7. Le patient peut s’opposer à l’interruption des traitements de maintien en vie. Cette possibilité est explicitement rappelée.

8. La mention selon laquelle la procédure collégiale est conduite à l’initiative du médecin est supprimée pour éviter que le médecin s’oppose à sa mise en œuvre. Cette disposition provient d’un amendement du groupe communiste repris par la commission.

9. Il est précisé que la sédation peut être mise en œuvre dans un EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ou au domicile du patient.

10. Il est précisé que les directives anticipées peuvent être, à tout moment, révisées et révoquées par tout moyen, et que leur existence est régulièrement rappelée à leur auteur si elles sont conservées dans un registre.

11. Il est mentionné que le témoignage de la personne de confiance prévaut sur tout autre témoignage.

12. Est supprimée la désignation d’une personne de confiance suppléante permise lors de la deuxième lecture à l’Assemblée Nationale. Cette suppression est justifiée par le fait que son existence serait d’une trop grande lourdeur et qu’il existe déjà une indication sur les personnes remplaçantes en cas d’absence de la personne de confiance.

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Toutes ces précisions ou modifications ne changent pas fondamentalement l’esprit du texte et reprend l’interprétation qu’ont exprimée les deux députés initiateurs de la proposition de loi, Jean Leonetti et Alain Claeys, au cours des débats publics. Elles visent à rassurer l’ensemble des parlementaires et plus généralement des citoyens sur les risques de dérives et d’abus consécutifs à une mauvaise interprétation des textes.

Comme on le voit, la bataille des mots fait rage entre les parlementaires mais elle n’est pas inutile, au contraire, car son issue figera une certaine conception de l’humanité auprès des plus vulnérables. Le Sénat, qui a toujours été précurseur dans le domaine de la bioéthique, aurait beaucoup à perdre s’il délaissait sa sagesse au profit d’intérêts partisans. À lui donc de montrer qu’il reste toujours d’une utilité indispensable et d’une efficacité incontestable au cours de cette deuxième lecture qui est débattue ce jeudi 29 octobre 2015.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 octobre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les deux rapports des commissions sénatoriales en deuxième lecture (à télécharger).
Retour synthétique sur la loi Claeys-Leonetti.
La loi Claeys-Leonetti en commission au Sénat pour la deuxième lecture.
Les sondages sur la fin de vie.
Verbatim de la deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Adoption en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
La fin de vie en seconde lecture.
Acharnement judiciaire.
Directives anticipées et personne de confiance.
Chaque vie humaine compte.
Sursis surprise.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151021-loi-claeys-lenoetti-2015AZ.html

http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/loi-claeys-leonetti-la-bataille-173344

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/10/26/32831286.html


 

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25 octobre 2015 7 25 /10 /octobre /2015 06:03

Les commissions des affaires sociales et des lois du Sénat ont étudié le 21 octobre 2015 en deuxième lecture la proposition de loi Claeys-Leonetti. Leurs rapports sont disponibles.

Cliquer sur le lien pour télécharger le rapport correspondant (fichier .pdf).

Avis de la commission des lois du Sénat du 21 octobre 2015 :
http://www.senat.fr/rap/a15-106/a15-1061.pdf

Rapport de la commission des affaires sociales du 21 octobre 2015 :
http://www.senat.fr/rap/l15-103/l15-1031.pdf

Pour en savoir plus, lire ceci :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151024-loi-claeys-leonetti-2015BA.html

SR


 

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21 octobre 2015 3 21 /10 /octobre /2015 06:06

« Tout ce qui est techniquement possible est-il humainement souhaitable ? La réponse est non. Nous sommes donc confrontés à un conflit de valeurs entre une éthique de l’autonomie et de la liberté, d’une part, et une éthique de la vulnérabilité et de la solidarité, de l’autre. » (Jean Leonetti, le 6 octobre 2015 au Palais-Bourbon).



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Deuxième et dernier volet du verbatim des trois séances publiques de discussion en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale de la proposition de loi Claeys-Leonetti. Après avoir évoqué les ambiguïtés d’intention de la Ministre des Affaires sociales Marisol Touraine et abordé quelques points du texte, je propose de m’appesantir sur le cœur du sujet, à savoir sur la mise en place de la sédation profonde et continue, notamment pour les personnes qui sont les plus vulnérables.


La protection des personnes incapables de s’exprimer

Dino Cinieri a proposé d’inclure le médecin référent des personnes en grande dépendance, seul médecin capable de connaître réellement l’état du patient, parmi les personnes devant être obligatoirement consultées lorsqu’une procédure collégiale est initiée : « Les soixante-sept associations membres du comité d’entente des associations représentatives de personnes handicapées et de parents d’enfants handicapés sont également inquiètes car à deux reprises, la proposition de loi dispose que l’arrêt des soins ne peut être entrepris, pour des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté, telles que les personnes présentant des handicaps complexes de grande dépendance, qu’à l’occasion d’une procédure collégiale comprenant, dans la plupart des cas, un médecin hospitalier et en recueillant, à défaut de directives anticipées, le témoignage de la personne de confiance ou, à défaut, tout autre témoignage émanant de la famille ou des proches. Cette disposition n’est, selon elles, pas protectrice pour les personnes en situation de handicap complexe de grande dépendance, car seul le médecin référent de l’établissement ou du service qui les suit est à même de poser un diagnostic averti sur leur situation réelle. Accepteriez-vous, madame la ministre, d’ajouter la consultation du médecin référent à la liste des personnes devant être consultées lors de la procédure collégiale ? L’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens demande également que le processus de décision d’une fin de vie soit véritablement de nature collégiale, associe tous les proches à la décision et soit défini par voie réglementaire ; on ne saurait se contenter, selon elle, d’une simple référence au code de déontologie médicale. À ses yeux, il est important de préserver le droit d’un patient à être endormi pour passer un cap difficile de sa vie ou terminer sa vie sans qu’elle ne soit raccourcie. Néanmoins, pour ne pas priver le malade de sa liberté, il faut pouvoir le laisser se réveiller régulièrement, par exemple toutes les vingt-quatre heures, afin de voir, le cas échéant, comment il envisage les choses. Étant encore sous l’effet de calmants sédatifs, il est apaisé, ce qui rend possible une conversation sereine. S’il souhaite dormir à nouveau, on peut le rendormir autant de fois que nécessaire et ce, malheureusement, jusqu’à la mort, s’il le faut. Mais s’il se sent mieux, la vie peut prendre un nouveau sens, et le malade peut préférer ne pas être rendormi. Ce droit de vivre encore est légitime et doit être protégé. La sédation profonde est une arme de dernier recours, lorsque l’on ne peut pas répondre autrement à la souffrance physique, psychique ou existentielle, quand on a tout tenté. » (5 octobre 2015).

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Ce fut en médecin chef de service hospitalier que Jean Leonetti lui a répondu : « Pardon de faire appel à un cas concret : prenons l’exemple d’un patient atteint d’une maladie dégénérative comme une sclérose latérale amyotrophique en phase terminale maintenu artificiellement en vie par une assistance respiratoire. Si ce patient demande à ce que l’on débranche cette assistance, a-t-on le droit de la lui infliger alors qu’il la refuse de manière réitérée ? La réponse, qui figure dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, et est confirmée par la loi du 22 avril 2005, est non. On ne peut pas imposer un traitement à une personne qui le refuse, même s’il l’a antérieurement accepté. Par conséquent, on va débrancher le respirateur, ce qui va entraîner, on le sait, un étouffement du patient et, à court terme, sa mort certaine. Ce traitement de survie étant suspendu, comment pourrait-on attendre la souffrance réfractaire, dont on sait qu’elle va inéluctablement survenir, pour mettre en place le traitement qui va essayer d’empêcher sa survenance ? On voit bien qu’on est obligés non seulement, pardon de le dire techniquement; d’associer une sédation profonde, pour ne pas avoir les effets négatifs de l’arrêt d’un traitement, à l’arrêt du respirateur, en procédant d’abord à la première et ensuite au second. On va donc d’abord endormir le patient pour ensuite débrancher le traitement de survie : il paraît logique que les actes s’enchaînent dans cet ordre. Nous pourrions prendre d’autres exemples, et ils sont nombreux, que celui que je viens de citer. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un patient qui dit à son médecin : "arrêtez mon traitement antibiotique, j’ai droit à une sédation". Le dispositif s’applique à un patient dont l’arrêt du traitement va mettre la vie en danger à court terme, et dont on ne peut éviter la souffrance, à la fois atroce et impossible à éviter, entre le moment où le traitement est arrêté et celui où la mort survient. Effectivement, on associe automatiquement à cet arrêt une sédation profonde et continue jusqu’au décès, qui va survenir parce que le traitement de survie a été arrêté. » (5 octobre 2015).

Et il a ajouté : « Je comprends donc très bien que l’on puisse imaginer que le dispositif puisse s’appliquer à quelqu’un qui dit : "arrêtez mon traitement contre le diabète". On imagine que ce patient, qui va donc mourir du fait de l’arrêt de son traitement, réclame la même sédation profonde. Or tout le monde sait que l’arrêt d’un traitement anti-diabétique ne provoque pas la mort dans les secondes qui suivent : un patient dans ce cas peut survivre des semaines, des mois ou même des années. Dans ce cas, il n’aura pas "droit" à la sédation profonde, car il sera éventuellement possible d’examiner si son état s’accompagne d’une souffrance réfractaire. Si c’est le cas, elle pourra être prise en charge, même dans le cas d’un arrêt de traitement, dans un dialogue singulier entre le médecin et son malade. En revanche, l’arrêt de certains traitements de survie entraîne la mort immédiatement et de façon inéluctable, mais la certitude quant à sa survenance s’accompagne d’une latence : elle n’arrive pas à la seconde où l’on arrête le traitement. On va donc vivre ensuite une période, dite agonique, au cours de laquelle on va essayer d’éviter toute souffrance. » (5 octobre 2015).


L’alinéa 5 de l’article 3, un grave défaut ?

Le texte de la proposition donne, comme troisième cas de sédation profonde et continue, celui d’une personne incapable de s’exprimer mais dont le maintien artificiel en vie serait considéré (par une procédure collégiale) comme une obstination déraisonnable. C’est clairement une situation où une sédation jusqu’au décès pourrait être entreprise sans l’accord reconnu de la personne.

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Dino Cinieri est donc revenu un peu plus tard sur cette absence de protection des personnes les plus fragiles : « L’alinéa 5 [de l’article 3] contrevient à l’équilibre de la loi Leonetti de 2005, puisqu’il prévoit que toute personne "hors d’état d’exprimer sa volonté", même si elle n’est pas en fin de vie, sera susceptible de subir une sédation profonde et continue jusqu’au décès si le médecin juge qu’il y a obstination déraisonnable. Cela concerne par exemple les quelque 1 700 patients en état pauci-relationnel ou "végétatif" chronique. » (5 octobre 2015).

Jean-Frédéric Poisson a évoqué la même inquiétude : « Puisque, par définition, le patient sera dans l’incapacité d’exprimer quelque souhait que ce soit, la décision reviendra au médecin, et, d’une certaine façon, à lui seul  (...). Et la seule référence aux directives anticipées du patient, si tant est qu’elles existent, car cela reste une hypothèse, donne toute autorité au médecin d’agir comme il l’entend sur un patient incapable d’exprimer un souhait. » (5 octobre 2015).

Même inquiétude chez Gilles Lurton : « Cet alinéa 5 risque en effet de créer un flou juridique en laissant penser que toute personne hors d’état d’exprimer sa volonté peut faire l’objet d’une sédation profonde et continue provoquant une altération de sa conscience jusqu’au décès. Comme il permettrait de pratiquer une sédation profonde à des patients qui ne seraient pas en fin de vie, nous vous proposons de le supprimer. » (5 octobre 2015).


Toujours sur la sédation profonde consécutive à l’arrêt des traitements

Les échanges qui suivent sont très instructifs et permettent de comprendre précisément ce qu’est la sédation profonde et continue sur laquelle repose le texte.

Certains députés craignent une dérive euthanasique dans l’automaticité d’une sédation profonde et continue lors de la décision du patient d’arrêt des traitements, considérant que la sédation amènerait forcément au décès. Xavier Breton en fait partie : « Il s’agit bien d’une dérive, puisque l’on part de la volonté du patient et non de sa santé physique. (...) Une telle rédaction risque de donner lieu à toutes sortes de dérives : on pourrait citer d’autres exemples où la décision d’arrêter le traitement engagerait en elle-même le pronostic vital à court terme, alors même qu’il n’y aurait aucune souffrance, actuelle ou à venir ; pourtant, le droit à la sédation profonde et continue s’appliquerait. Cet alinéa 4 est vraiment très dangereux. » (5 octobre 2015).

La réponse de Jean Leonetti n’en fut pas moins éclairante : « Un malade a-t-il le droit de refuser un traitement qui le maintient ou le maintiendrait en vie ? La réponse est oui. (...) Cela n’a rien à voir avec la dignité, cela a à voir avec l’autonomie et avec l’impossibilité, philosophique, dirais-je, d’imposer à quelqu’un qui ne le souhaite pas un traitement, quel qu’il soit. Le patient arrête donc le traitement et va mourir. L’arrêt du traitement risque d’entraîner des souffrances ; par conséquent, dans le cadre des soins palliatifs, on va accompagner le patient afin qu’il ne souffre pas. C’est la raison pour laquelle la sédation accompagne l’arrêt des traitements de survie. » (5 octobre 2015).

Ce qui n’a pas convaincu Xavier Breton : « On voit bien qu’une personne qui serait atteinte d’une affection grave et incurable, qui en aurait assez de la vie et déciderait d’arrêter le traitement, ce qui aurait pour conséquence d’engager son pronostic vital à court terme, aurait droit à une sédation profonde et continue. (...) À partir du moment où la décision de quelqu’un qui en a assez provoque la sédation profonde et continue jusqu’à la mort, l’enchaînement est écrit. » (5 octobre 2015).

Ni n’a convaincu Jean-Frédéric Poisson : « À partir du moment où l’on refuse de définir avec précision les états médicaux, pouvant être constatés d’une certaine façon scientifiquement, à partir desquels on pourra engager un tel processus, et que l’on se contente d’une définition vague, cela ouvre la porte à toutes les dérives, y compris à celles à caractère euthanasique. Nous le refusons. » (5 octobre 2015).

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Jean Leonetti a alors tenté de réexpliquer : « Un malade a-t-il le droit de demander à arrêter un traitement qui le maintient ou le maintiendrait artificiellement en vie ? La réponse est bien évidemment oui. C’est cela qui va entraîner sa mort, et non la sédation ; la sédation n’est qu’un outil qui permet de soulager la souffrance entre le moment où l’on décide d’arrêter un traitement et le moment où le décès survient. Elle s’inscrit dans le cadre d’un accompagnement et de soins palliatifs. Ce n’est donc pas elle qui va provoquer la mort, c’est l’arrêt du traitement de survie. (...) Répétons-le : la sédation n’accélère pas la mort, elle empêche la souffrance. L’objectif est d’empêcher la souffrance durant cette période. Il s’agit donc, non pas d’une étape supplémentaire vers quelque chose d’autre, mais de l’accompagnement d’un dispositif qui existe déjà depuis 2002, et qui a été confirmé en 2005. » (5 octobre 2015).


La définition de la sédation et de l’analgésie

Gérard Sebaoun a apporté sa définition au cours de la discussion : « Je ne voudrais pas que d’aucuns fassent un contresens sur la nature de la sédation. L’analgésie vise à lutter contre la douleur et la sédation tend à altérer la conscience. Jusque-là, nous sommes d’accord. Le malade peut se réveiller à l’issue d’une sédation, bien évidemment, d’autres sédations, profondes et continues jusqu’au décès, permettant quant à elles de l’endormir jusqu’au bout. Que l’on soit donc parfaitement clairs ! » (5 octobre 2015).


Le principe du double effet

Le principe dit du double effet est au cœur de la différence entre ce que la proposition Claeys-Leonetti permet avec la sédation profonde et continue jusqu’au décès et la dérive euthanasique. Certains considèrent qu’il n’y a pas de distinction et que, pour cette raison, pour les uns, il faudrait refuser la sédation car ce serait une euthanasie qui ne dirait pas son nom, et pour les autres, il faudrait au contraire légaliser l’euthanasie puisqu’on la permettrait sans dire son nom.

Pourtant, il y a une distinction énorme : dans un cas, la sédation, il y a le seul objectif de soulager les souffrances, et dans l’autre cas, il y a l’objectif de tuer (et toutes les dérives qui ne manqueront pas d’arriver comme j’en ai déjà présenté en Belgique, aux Pays-Bas et aussi en Suisse). La sédation peut avoir comme second effet, non voulu, d’accélérer la mort. C’est le principe du double effet. La mort n’est pas voulue mais intervient néanmoins.

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La discussion a donc porté sur cette phrase de la proposition de loi : « Le médecin met en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie. » ainsi que sur sa signification juridique.

Jean Leonetti a alors expliqué en quoi il considérait cette formulation pertinente : « Le terme "même" suggère que l’effet possible, abréger la vie, est secondaire et non voulu, et le mot "si", que cet effet est seulement éventuel. Une sédation est administrée "même si" elle accélère la mort : l’effet est possible mais pas escompté, et en tout état de cause pas certain. (...) Le texte est donc très précis. Du reste, nous avons travaillé avec des membres du Conseil d’État pour vérifier que les deux termes recouvrent bien les deux valeurs de sens que je rappelais. » (5 octobre 2015). Il faut cependant noter qu’en étant une proposition de loi (d’initiative parlementaire) et pas un projet de loi (d’initiative gouvernementale), le texte n’est pas passé en entier dans le filtre du Conseil d’État et que cette "collaboration" entre les deux auteurs de la proposition et le Conseil d’État n’a été que ponctuelle, facultative et informelle.


Incertitude de l’issue des débats

Comme je l’ai présenté précédemment, l’Assemblée Nationale a finalement renoncé à améliorer le texte selon les souhaits des deux rapporteurs pour laisser à la commission mixte paritaire une plus grande marge de manœuvre dans la négociation avec le Sénat. Rien ne garantit pourtant que le pari d’un consensus entre parlementaires sera atteint. Les points litigieux ont peu de probabilité d’être supprimés. Rendez-vous donc au Sénat en séance publique du 29 octobre 2015 pour la poursuite de la procédure de discussion et d’adoption.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 octobre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Verbatim de la deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Adoption en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
La fin de vie en seconde lecture.
Acharnement judiciaire.
Directives anticipées et personne de confiance.
Chaque vie humaine compte.
Sursis surprise.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151006-loi-claeys-leonetti-2015AY.html

http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/loi-claeys-leonetti-verbatim-de-la-173094

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/10/21/32793134.html


 

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20 octobre 2015 2 20 /10 /octobre /2015 06:48

« Chaque vie vaut la peine d’être vécue. Chaque personne doit être respectée, quel que soit son état de santé ou de dépendance. Toute souffrance doit être soulagée. » (Dino Cinieri, le 5 octobre 2015 au Palais-Bourbon).



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Pendant les deux journées sur trois séances publiques à l’Assemblée Nationale, les députés ont débattu sur la proposition de loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie en deuxième lecture. J’en avais fait le compte-rendu à l’issue d’une lecture qui n’a pas servi à grand chose sinon à changer deux ou trois détails.

Parce que je considère que ce sujet est essentiel pour la société, et que chaque mot compte, chaque virgule peut donner des interprétations différentes, je propose ici de retranscrire quelques extraits intéressants du débat parlementaire. Ils ne constituent pas un échantillon représentatif des échanges (pour cela, je vous incite à aller consulter le script des séances), mais ils m’ont paru marquants dans ce débat. J’avais fait ce même genre d’exercice pour la première lecture en commission et on peut constater que ce sont à peu près les mêmes députés qui ont participé au débat.


Un texte considéré comme une étape vers l’euthanasie ?

Toute l’argumentation du gouvernement pour faire adopter le plus largement ce texte sur la fin de vie tend au double langage et à l’ambiguïté : vis-à-vis des opposants à l’euthanasie, il a expliqué que la proposition de loi n’allait pas trop loin puisqu’il ne donnait aucune autorisation à tuer. Mais c’est surtout les partisans de la légalisation de l’euthanasie, issus de sa propre majorité, que le gouvernement cherche à séduire en affirmant que ce texte ne serait qu’une étape, qu’un pas supplémentaire vers cette euthanasie (ce qui nourrit le doute sur la sincérité du gouvernement).

Ainsi, la Ministre des Affaires sociales Marisol Touraine a été relativement floue à ce sujet : « Je l’ai déjà dit ici même, le débat, comme tout débat de cette ampleur, reste ouvert. Vous aurez aujourd’hui, en tant que parlementaires, comme auront à le faire vos successeurs, à juger de l’application de cette loi. Et si plus tard une étape supplémentaire vous apparaît nécessaire, vous aurez alors à en décider. » (5 octobre 2015). Histoire de dire aux ultras : un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

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Un peu plus tard dans la soirée, elle a récidivé, toujours pour rassurer ses ultras : « Il ne faudrait pas oublier les avancées fondamentales qu’il comporte dans la reconnaissance de la parole et de la volonté du patient en fin de vie. Il me semble que certains d’entre vous en sous-estiment la portée, alors qu’il s’agit d’une véritable rupture par rapport à l’état du droit aujourd’hui. C’est à partir de là que d’autres évolutions seront envisageables un jour. » (5 octobre 2015). C’est bien sûr la dernière phrase qui est essentielle dans les intentions du gouvernement. En gros, il voudrait légaliser l’euthanasie mais n’ose pas, tout en disant qu’il l’envisage. Même discours hypocrite que sur le droit de vote des étrangers.

Dans la discussion concernant l’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation artificielles, Marisol Touraine a confirmé encore cette volonté d’évolution dans une remarque à Roger-Gérard Schwartzenberg, ardent partisan de l’euthanasie qui s’opposait à l’arrêt des ces soins vitaux : « Monsieur Schwartzenberg, n’ouvrez pas un débat qui pourrait affaiblir votre position. Le fait que l’alimentation et l’hydratation ne seraient pas des traitements ne plaide pas en faveur du suicide assisté ou de l’euthanasie. La suppression de l’alinéa ne viendrait pas à l’appui de la thèse que vous défendez, et que j’écoute avec beaucoup d’attention et d’intérêt. » (5 octobre 2015). Là encore, c’est la dernière proposition de phrase qui est la plus éloquente, attention et intérêt.

Un passage que n’a pas laissé passer le député Xavier Breton pour épingler la ministre : « Je reviens sur l’argumentation que madame la ministre vient d’opposer à M. Schwartzenberg, et selon laquelle, dès lors qu’on est favorable au suicide assisté, on considère nécessairement que l’hydratation et la nutrition artificielles constituent des traitements. Une telle logique nous renforce dans la conviction qu’il faut se garder de certaines dérives. Peut-être la ministre devrait-elle revenir à ce point. ».

La députée Michèle Delaunay, ancienne ministre et porte-parole du groupe socialiste (le plus nombreux) pour ce texte, a su désamorcer cette hypocrisie de la ministre : « Vous le savez, certains auraient aimé que nous allions plus loin, d’autres jugent que nous allons trop loin. Sur ce sujet si profondément humain et intime, il était nécessaire de rechercher le plus large consensus. Nous l’avons fait à l’issue de la première lecture dans cette assemblée et, pour ma part, j’invite chacun de nous à confirmer ce vote. » (5 octobre 2015). Comprendre : sans modifier le texte adopté en première lecture.

La députée Isabelle Le Callennec a réaffirmé le même souci du consensus pour son groupe Les Républicains : « Dans sa majorité, le groupe Les Républicains partage pleinement l’esprit de leur proposition de loi : le refus de l’acharnement thérapeutique et de l’obstination déraisonnable, la non-souffrance de la personne, mais aussi l’interdiction de tuer, qui doit rester absolue, autrement dit, soulager mais pas tuer. Nous estimons en effet que le droit à la vie est le premier des droits de l’Homme et que personne ne peut disposer de la vie d’autrui. C’est la raison pour laquelle nous restons opposés à toute légalisation de l’euthanasie. (...) Nous estimons, au contraire, que notre corpus juridique doit créer les conditions favorables à un accompagnement tout au bout de la vie. Certains de nos semblables se trouvent dans une situation d’extrême fragilité et rien dans notre regard ne doit trahir l’idée qu’ils ne seraient plus dignes de vivre. Nous disposons de nombreux témoignages d’équipes qui travaillent dans des unités de soins palliatifs. Si les demandes de recours à l’euthanasie existent, dans l’immense majorité des cas, elles ne sont pas réitérées, dès lors que les personnes sont soutenues et accompagnées, et que leur souffrance est soulagée. » (5 octobre 2015).

Le lendemain, Xavier Breton a insisté de nouveau sur le dessein du gouvernement : « Ce texte fait très clairement le choix de l’éthique de l’autonomie, comme le montrent, du reste, les mots prononcés hier par la Ministre de la Santé dans son propos liminaire : "Ce texte permettra de franchir une étape considérable. L’opposabilité des directives anticipées, couplée à la reconnaissance de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, renverse, et c’est bien là l’essentiel, la logique de décision : c’est le patient, et non plus le médecin, qui devient le maître de son destin". Où est la vulnérabilité ? Nous sommes en plein dans l’éthique de l’autonomie : CQFD ! Ce n’est pas nous qui le disons : c’est la ministre elle-même qui l’affiche, sans doute pour rassurer les membres de sa majorité. Je le répète : nous considérons que ce texte répond à la seule logique de l’autonomie et de la liberté et qu’il ne prend pas assez en compte celle de la vulnérabilité. » (6 octobre 2015).

C’était aussi cette impression assez pessimiste qui est ressortie de l’intervention du député Nicolas Dhuicq : « Je ne crois pas que nous nous arrêterons là : nous irons de plus en plus loin, avec bonne conscience, vers une société de plus en plus déshumanisée. Elle fera de moins en moins confiance aux professionnels pour prendre les décisions, elle sera de plus en plus paranoïaque et compliquée. » (6 octobre 2015).


Le risque d’eugénisme n’est pas écarté

L’un des deux rapporteurs du texte portant sur les malades en fin de vie, le député Alain Claeys, a confirmé (en utilisant d’ailleurs un adjectif peu digne de la personne humaine) que sa proposition s’appliquerait dans la situation des personnes comme Vincent Lambert, ce qui paraît aberrant (bien qu’admis par le Conseil d’État) puisque Vincent n’est ni malade, ni en fin de vie mais avec un handicap lourd : « Les malades en état "végétatif" pourront également bénéficier de ce traitement à visée sédative. Il faudra, pour cela, que leur volonté en ce sens soit recueillie. Elle pourra l’être au travers de la personne de confiance qu’ils auront antérieurement désignée ou des directives anticipées qui s’imposeront désormais au médecin. » (5 octobre 2015).

C’est l’une des grandes inquiétudes sur ce texte, exprimée par Dino Cinieri : « J’ai avec moi la liste des soixante-sept associations de personnes en situation de handicap (...). Ces associations nous ont écrit il y a quelques jours pour nous faire part de leurs craintes, madame la ministre. Elles estiment que ce texte peut être dangereux pour les personnes en situation de handicap complexe de grande dépendance. Ainsi, pour nombre de personnes dans ce cas, l’alimentation et l’hydratation artificielles sont courantes et constituent un soin qui améliore leur qualité de vie tout au long de leur existence. Ce mode d’alimentation est un soin de prévention et de compensation des troubles de la déglutition inhérents à la déficience motrice des personnes en situation de handicap complexe. » (5 octobre 2015).


Traitements ou soins ?

L’une des pierres d’achoppement du texte concerne l’alimentation et l’hydratation artificielles et leur caractérisation en soins ou en traitements. Si la question semble un débat sémantique très intellectuel sinon médical, la réponse revêt une importance extrême : en fin de vie, on arrête les traitements mais on doit maintenir les soins jusqu’au bout pour garder la personne dans le meilleur confort. Or, dans son interprétation de la loi du 22 avril 2005 rendue publique le 24 juin 2014, le Conseil d’État a considéré que l’alimentation et l’hydratation artificielles sont des traitements. Le texte proposé veut donc clarifier juridiquement les choses en instituant définitivement dans la loi cette interprétation administrative, mais par ce fait, comme l’a expliqué plus haut le député Dino Cinieri, il pourrait mettre en danger toutes les personnes en dépendance incapables de déglutition.

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Gérard Sebaoun a proposé un éclairage un peu différent sur ce sujet : « Je pressens bien que le débat portera sur la qualification ou non de traitement de l’hydratation et de l’alimentation. Je voudrais m’appuyer (...) sur l’avis rendu en 2007 par deux sociétés savantes, la Société française de gériatrie et gérontologie et la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Selon elles, la très grande majorité des patients en fin de vie n’éprouveraient pas la sensation de soif car la déshydratation entraîne la sécrétion d’opioïdes cérébraux à l’action antalgique. Certains auteurs pensent même que la déshydratation peut améliorer le confort en diminuant les vomissements, les encombrements, les bronchites, les ascites, les œdèmes, réduisant ainsi la douleur. Ils considèrent également que l’hydratation parentérale n’améliore pas la sensation de soif des patients en fin de vie, au contraire. Par ailleurs, l’alimentation parentérale par sonde de gastrostomie, puisque c’est ainsi que cela finit le plus souvent, exposerait à de multiples complications, en particulier la pneumopathie d’inhalation. Enfin, l’alimentation et l’hydratation n’influeraient guère sur la vie de patients arrivés en phase terminale. » (5 octobre 2015).

Xavier Breton, opposé à attribuer à ces soins le "statut" de "traitements", a prôné très fermement une précision du texte : « Il serait important que, dès cette deuxième lecture au niveau de notre Assemblée, nous sachions s’il y a une injonction, obligation d’arrêter les traitements en cas d’obstination déraisonnable ou s’il s’agit simplement d’une faculté offerte, à charge ensuite à la collégialité de prendre la décision. (...) Obligation ou faculté ? C’est tout de même un sujet important et il faudrait savoir où nous en sommes (...). Ce n’est pas la même chose d’imposer la fin des traitements en cas d’obstination déraisonnable que d’en offrir la faculté. Dans le premier cas, les professionnels de santé, en particulier les médecins, sont complètement déresponsabilisés. Dans le deuxième, nous en resterions à l’état du droit, avec l’engagement d’une procédure collégiale. Pourquoi passer à l’obligation ? » (5 octobre 2015).

La réponse de Jean Leonetti a été de rester dans la cohérence logique entre la fin de l’obstination déraisonnable et la décision d’arrêter les traitements : « Deux éléments doivent être pris en compte. Tout d’abord, il faut proscrire l’obstination déraisonnable, ce qui ne signifie pas que l’on puisse se passer de l’avis du médecin. Ce sont justement les médecins, en formation collégiale, qui apprécient le caractère déraisonnable ou non de l’obstination. Dès lors que les médecins jugent l’obstination déraisonnable, il faut être logique et mettre fin aux traitements. Pour autant, le Conseil d’État introduit une restriction : la volonté de la personne. Même en cas d’obstination déraisonnable, les traitements ne peuvent pas être interrompus si la personne concernée s’y oppose. (...) La seule obligation du médecin est d’être cohérent avec sa propre appréciation. Il ne saurait poursuivre des actes dont il considérerait qu’ils sont inutiles, disproportionnés ou déraisonnables. L’ambiguïté qui pouvait exister est compensée par le fait que la définition de l’obstination déraisonnable relève d’une définition collégiale au cas par cas et par la prise en compte de l’avis de la personne concernée, exprimé de manière directe ou de manière indirecte par le biais des directives anticipées et de la personne de confiance. » (5 octobre 2015).

Juriste et constitutionnaliste distingué, Roger-Gérard Schwartzenberg s’est permis de rappeler, pour la forme, la primauté du législateur sur une instance administrative, aussi prestigieuse soit-elle : « Seul un arrêt plutôt ambigu du Conseil d’État semble considérer l’hydratation comme un traitement. (...) Quel que soit le respect que l’on peut avoir pour le Conseil d’État, rien n’interdit au législateur, qui représente la souveraineté nationale et est en conséquence placé au-dessus de ce dernier dans la hiérarchie des producteurs de normes juridiques, de prendre une autre orientation, à charge pour les juridictions de s’aligner sur sa décision. » (5 octobre 2015).

Le député Gilles Lurton a embrayé sur une précision juridique qui ne donnerait pas raison à Jean Leonetti : « Si, en phase terminale, leur arrêt est parfois nécessaire et souhaitable pour éviter toute obstination déraisonnable et irrespectueuse, il me paraît injuste de définir l’alimentation et l’hydratation artificielles exclusivement comme des traitements. Ce sont aussi des soins que l’on doit aux personnes atteintes d’une affection grave et incurable. Comme l’ont indiqué le Comité consultatif national d’éthique ainsi que le Conseil d’État dans son arrêt du 24 juin 2014, le seul fait de devoir irréversiblement et sans espoir d’amélioration dépendre d’une assistance nutritionnelle pour vivre ne caractérise pas à soi seul, je souligne ces termes, un maintien artificiel de la vie et une obstination déraisonnable. » (5 octobre 2015).


Et les sondages ?

Face aux entreprises de désinformation que font les groupes de pression pour la légalisation de l’euthanasie, le second rapporteur du texte, le député Jean Leonetti a voulu rappeler : « Puisque j’entends souvent que l’immense majorité des Français serait favorable à l’euthanasie, permettez-moi de rappeler le sondage réalisé par l’Institut français d’opinion publique, l’Ifop, à la suite des propositions qui ont été formulées : 96% des Français se sont déclarés favorables, en cas de souffrance réfractaire et lorsque la mort est proche, à une sédation profonde et continue jusqu’au décès. » (5 octobre 2015). Donc, un score beaucoup plus grand que ceux favorables à la légalisation de l’euthanasie.


La carence des soins palliatifs

Isabelle Le Callennec a évoqué l’importance des soins palliatifs : « Notre rôle de législateur est de parvenir à concilier le droit des patients à s’exprimer et le devoir des médecins à soulager. (...) Ce dimanche 11 octobre sera la journée mondiale des soins palliatifs. Ce pourrait être l’occasion d’adresser un message d’espoir aux équipes qui font un travail remarquable et aux bénévoles des associations qui s’engagent avec humanité dans l’accompagnement psychologique. L’attente est grande s’agissant du développement des soins palliatifs, tout comme l’est la crainte de toute tentative de légalisation de l’euthanasie qui serait forcément un prétexte pour relâcher les efforts. » (5 octobre 2015). Il faut marteler qu’annoncé par François Hollande le 17 juillet 2012, le grand plan développement des soins palliatifs n’a toujours pas été lancé, plus de trois ans plus tard !

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Même l’une des plus grandes zélatrices de l’euthanasie l’a admis : la demande d’euthanasie serait beaucoup plus restreinte si chaque patient avait accès aux soins palliatifs qui est pourtant un droit depuis plus de treize ans (loi du 4 mars 2002). En effet, la députée écologiste Véronique Massonneau a bien voulu le reconnaître : « Reconnaissons-le : de trop nombreuses demandes de patients de mettre fin à leurs jours sont la conséquence du manque de places en soins palliatifs, de notre échec à leur apporter un accompagnement adapté pour que leurs derniers jours soient apaisés et dignes. » (5 octobre 2015).


Ce que recouvre le texte proposé

La définition par le rapporteur Jean Leonetti a été clairement explicitée, ainsi que ses attentes : « Le texte dont nous débattons est un texte d’équilibre entre l’Assemblée Nationale et le Sénat, mais également entre la solidarité que l’on doit manifester envers les plus fragiles, et l’autonomie que l’on doit respecter y compris et surtout à leur égard. Robert Badinter disait que la politique pouvait être considérée comme un affrontement dans une arène de gladiateurs. Ce peut être aussi la recherche consensuelle du bien commun, qui dépasse tout clivage, pour faire en sorte qu’il corresponde à l’attente de nos concitoyens. » (5 octobre 2015).

Jean-Frédéric Poisson, le successeur de Christine Boutin, a insisté sur le réglage du curseur entre deux considérations : « Madame Jacqueline Fraysse [PCF] me permettra de reprendre à mon compte la présentation qu’elle a faite du débat. Elle a indiqué qu’il s’agissait d’encadrer une pratique médicale supervisée par deux principes : la liberté individuelle et le respect de la vie. Je suis parfaitement d’accord avec cette manière de présenter la question. Tout le problème est de savoir à quel niveau respectif on situe la liberté individuelle et le respect de la vie. » (5 octobre 2015).

Pour Jean-Louis Touraine, ce texte ne présente aucune "avancée" : « La sédation profonde et continue, mesure phare de ce texte, est déjà autorisée. Cette possibilité, en effet, est offerte aux patients depuis le décret de François Fillon du 29 juillet 2010 préconisant la mise en œuvre de traitements à visée sédative en cas d’arrêt des traitements curatifs. » (5 octobre 2015).


La dignité humaine

Dino Cinieri a cité la situation concrète d’une mère de famille en pleine détresse : « Chaque vie vaut la peine d’être vécue. Chaque personne doit être respectée, quel que soit son état de santé ou de dépendance. Toute souffrance doit être soulagée. J’ai une pensée pour une jeune femme courageuse, Anne-Dauphine Julliand, dont la petite fille était condamnée à court terme, et qui rappelle dans un livre poignant, "Deux petits pas sur le sable mouillé", une citation du médecin et académicien Jean Bernard : "Quand on ne peut plus ajouter de jours à la vie, ajoutons de la vie aux jours". Cette phrase illustre bien ce que sont les services de soins palliatifs. Celui qui meurt a besoin d’affection, de douceur, de compréhension, de soulagement. » (5 octobre 2015).

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Le député a poursuivi : « Selon le philosophe Paul Ricœur, si cher à notre Ministre de l’Économie, la "dignité" renvoie à l’idée que "quelque chose est dû à l’être humain du seul fait qu’il est humain" ; elle est donc liée à la personne elle-même, non à un état de vie. (...) Toute personne mérite un respect inconditionnel, quel que soit son âge, son sexe, sa santé physique ou mentale, sa religion ou sa condition sociale. Limiter la dignité à la situation de fin de vie est par conséquent une erreur : les actes de soin et de soulagement doivent être administrés à tout moment de la vie, dans le respect de l’intégrité et de la dignité des personnes. » (5 octobre 2015).

Jean Leonetti, lui aussi, a considéré la dignité comme intrinsèquement liée à la personne tout en introduisant le mot "indigne" différemment : « Dire que le mot "dignité" n’est pas défini en droit, c’est oublier ceci : "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits". Il suffit donc de se rapporter à l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’Homme pour savoir ce qu’est la dignité. (...) Rappelons effectivement que la dignité est consubstantielle de l’humanité et que les conditions de la fin de la vie peuvent être indignes. Le terme est bien utilisé dans ce sens : on a droit à des conditions dignes et à l’apaisement de ses souffrances. » (5 octobre 2015).


La définition de la phase terminale

Toujours très précis et argumenté dans ses interventions, Jean Leonetti a précisé ce que signifie le "pronostic vital engagé à court terme" : « Certains médecins cancérologues considèrent que la phase terminale commence à partir du moment où se produit un échappement thérapeutique, c’est-à-dire où ils ne peuvent plus garantir que la situation va s’améliorer. Cette situation, on le sait, peut heureusement durer des mois ou des années. Les médecins nous ont rappelé que l’expression "phase terminale" couvrait un espace de temps beaucoup trop large pour notre objectif, cette situation d’impasse thérapeutique où l’on ne parvient pas à calmer le patient alors que, dans le même temps, le pronostic vital est engagé à court terme. C’est la raison pour laquelle nous avons utilisé ce terme qui correspond (...) à des jours et des heures, non à des mois et des années. (...) L’expression "pronostic vital engagé à court terme" semble donc plus restrictive et plus précise. Tel est du moins le sentiment des médecins de soins palliatifs, cancérologues ou gérontologues. » (5 octobre 2015).

Le lendemain, Jean Leonetti est revenu une nouvelle fois sur ce sujet du pronostic vital : « D’une certaine façon, nous sommes tous en fin de vie, puisque nous sommes susceptibles de mourir dès l’instant où nous naissons. Il est vrai que nul ne connaît le jour et l’heure, mais la médecine dispose d’éléments objectifs pour formuler un pronostic à moyen terme. De surcroît, plus le terme approche, plus le pronostic est facile à déterminer. Il est bien difficile d’affirmer qu’un malade atteint d’une pathologie donnée a encore une année à vivre ; en revanche, il est très facile, lorsque son état s’est vraiment dégradé, de dire qu’il ne vivra pas plus de trois ou quatre jours. La médecine technique d’aujourd’hui peut prolonger des vies comme jamais elle n’a été capable de le faire (...). Tout ce qui est techniquement possible est-il humainement souhaitable ? La réponse est non. Nous sommes donc confrontés à un conflit de valeurs entre une éthique de l’autonomie et de la liberté, d’une part, et une éthique de la vulnérabilité et de la solidarité, de l’autre. » (6 octobre 2015).


Dans le second et dernier volet de ces extraits, j’aborderai la disposition principale de ce texte, à savoir la sédation profonde et continue ainsi que son application sur des personnes très vulnérables n’ayant pas la possibilité d’exprimer leurs propres souhaits.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 octobre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Verbatim de la deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Adoption en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
La fin de vie en seconde lecture.
Acharnement judiciaire.
Directives anticipées et personne de confiance.
Chaque vie humaine compte.
Sursis surprise.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151006-loi-claeys-leonetti-2015AW.html

http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/loi-claeys-leonetti-verbatim-de-la-173093

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/10/20/32793119.html


 

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16 octobre 2015 5 16 /10 /octobre /2015 06:59

« Pendant la lutte gigantesque de quatre années menée derrière le Général De Gaulle, la flèche de notre cathédrale est demeurée notre obsession. » (Général Leclerc à la libération de Strasbourg, le 23 novembre 1944, cité par Bernard Cazeneuve le 3 octobre 2015).


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L’hebdomadaire chrétien "La Vie" a organisé à Strasbourg du 2 au 4 octobre 2015 les États généraux du christianisme auxquels il a invité un certain nombre de responsables politiques et intellectuels à s’exprimer sur le "vivre ensemble", en particulier Philippe Richert (président LR du conseil régional d’Alsace), Jean-Christophe Fromantin (député-maire UDI de Neuilly-sur-Seine), Éric Piolle (maire EELV de Grenoble), Jean-Louis Bianco (ancien ministre PS), également Chantal Delsol (philosophe) et Laurent Bouvet (de la Fondation Jean-Jaurès)… Après les attentats de janvier 2015 et une montée des extrémismes et populismes, l’idée de ce grand "colloque" a sa pertinence dans une région où le dialogue interconfessionnel n’est pas un vain mot et où la paix se mesure comme un signe de l’amitié franco-allemande.

Pour clore tous ces travaux, le Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a prononcé un grand discours sur la laïcité et les relations entre les religions et l’État le samedi 3 octobre 2015 en fin d’après-midi. L’ancien porte-parole du candidat François Hollande était déjà intervenu le 20 septembre 2015 dans la nouvelle cathédrale de Créteil (invité pour sa dédicace : « [saisi] par une authentique émotion à l’idée que notre pays était encore capable d’édifier de tels monuments, signes visibles de l’invisible, et de prolonger ainsi le fil d’une histoire vieille d’un millénaire ») et le voici de nouveau, deux semaines plus tard, à intervenir dans la cathédrale de Strasbourg. Le but de cet article est de présenter les grandes lignes de ce discours (dont on trouvera le texte intégral ici) auquel je souscris pleinement parce qu’il dépasse largement les clivages politiques.

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Les racines chrétiennes de la devise républicaine

Dans son introduction, Bernard Cazeneuve a d’abord évoqué l’importance de la responsabilité des religions dans le débat public national : « Je crois que les chrétiens ont en effet un rôle essentiel à jouer, aux côtés des croyants d’autres confessions, dans le traitement des maux que connaît notre société anxieuse, éreintée par le chômage, inquiète des mutations du monde qui l’entoure, profondément en quête de sens. (…) Les valeurs qu’ils défendent contribuent tout particulièrement à la cohésion sociale, car elles rejoignent celles du pacte républicain. ».

En quelques mots, le ministre a déjà tout dit : les valeurs chrétiennes sont les mêmes que les valeurs républicaines. Et c’est bien normal, car la République n’est qu’un habillage civil et laïc d’une société qui a été chrétienne pendant plus de mille cinq cents ans. Le code civil et le code pénal ne sont finalement que la traduction laïque d’une grande partie des dix commandements : tu honoreras ton père et ta mère, tu ne tueras point, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne feras pas de faux témoignages, etc.

Et de décliner la devise de la République.

D’abord, la liberté : « La grande tradition chrétienne, avec saint Thomas d’Aquin notamment, avait décliné l’idée de liberté des enfants de Dieu, de l’émancipation des tyrannies, de la primauté de la loi d’amour du Christ sur les pesanteurs passées. Des figures telles que celle du pasteur Dietrich Bonhoeffer ont magnifiquement témoigné de cet amour chrétien de la liberté, acceptant de subir le martyr plutôt que d’abdiquer face à la barbarie nazie. ». Dietrich Bonhoeffer, théologien allemand, a été assassiné par les nazis au camp de concentration de Flossenbürg (en Bavière) le 9 avril 1945 (quatorze jours avant la libération du camp par les Américains) à l’âge de 39 ans pour avoir résisté à leur idéologie dès 1934.

Ensuite, l’égalité : « Quand saint Paul écrit aux Galates : "Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un", comment ne pas y voir la racine première de l’égalité républicaine de tous devant la loi ? ».

Enfin, la fraternité : « Cette fraternité, les chrétiens de tous les âges ne la vivent pas de façon abstraite. Ils constituent une communauté au service de leur prochain. Leur action (…) est animée depuis toujours par le souci de secourir les déshérités. Je veux rendre à ce titre un hommage sincère à l’action qu’ils mènent au service des sans-abri, à l’aide matérielle et spirituelle qu’ils apportent aux handicapés, aux malades, aux personnes âgées remisés aux périphéries de nos sociétés. S’il revient avant tout à l’État de lutter contre la misère, les chrétiens s’emploient au quotidien a prendre leur part de cette mission. ».

Bernard Cazeneuve a aussi rappelé l’action des chrétiens dans l’accueil des réfugiés, et je rappelle la recommandation du pape François qui avait demandé que chaque paroisse de chaque commune d’Europe prenne en charge une famille de réfugiés.


« Les valeurs républicaines sont largement celles de l’Évangile »

Pour Bernard Cazeneuve, les valeurs de l’Évangile se confondent donc avec celles de la République : « Faire vivre les valeurs républicaines, qui sont aussi largement celles de l’Évangile, constitue pour moi l’une des clefs de ce renouveau que vous appelez de vos vœux. (…) La France est historiquement un pays de tradition chrétienne. Comment donc les Français pourraient-ils faire société en négligeant cet engagement des chrétiens ? Réciproquement, comment les chrétiens français pourraient-ils vivre leur engagement sans être conscients et fiers de défendre également les valeurs de la République ? ».

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En disant ces quelques phrases, le Ministre de l’Intérieur, qui est également responsable des cultes (et en Alsace, terre encore sous Concordat, cela a une signification particulière), n’a pas craint de se retrouver au centre de critiques de partisans d’une laïcité dénaturée qui voudrait faire abstraction de toute religion. Il a rappelé la conception de la loi du 9 décembre 1905, voulue par Aristide Briand et Jean Jaurès, à savoir d’adopter une loi d’apaisement : « À leur suite, je suis convaincu que la laïcité est avant tout un principe juridique de neutralité religieuse, qui s’impose à l’État et à ses représentants. Ce principe a ainsi pour finalité de garantir à chacun le droit de croire ou de ne pas croire, ainsi que, pour le croyant, le droit d’exercer son culte dans des conditions dignes et paisibles. ».


La laïcité est au cœur du pacte républicain

Bernard Cazeneuve a aussi repris la définition que le pape Jean-Paul II avait faite de la laïcité pour la France : « La laïcité laisse à chaque institution dans la sphère qui est la sienne, la place qui lui revient, dans un dialogue loyal en vue d’une collaboration fructueuse pour le service de tous les hommes. Une séparation bien comprise entre l’Église et l’État conduit au respect de la vie religieuse et de ses symboles les plus profonds, et à une juste considération de la démarche et de la pensée religieuse. ».

Partisan du dialogue entre les religions et entre l’État et les religions, il a en particulier salué l’approche salutaire d’une unité nationale : « Il me semble que la conscience de la dureté des temps, à laquelle nous ont rappelés avec fracas les attentats du mois de janvier, donne un prix particulier à ce dialogue. Dans le malheur qui l’a frappé, notre pays a vécu en effet un moment exceptionnel d’union nationale et de fraternité. (…) De nombreux responsables religieux ont su trouver les mots justes et exprimer en notre nom les sentiments mêlés de compassion, de résolution, de cohésion que nous avons tous ressentis alors. ».

Ce qui lui donnait ainsi une raison de rester optimiste : « Sans céder à aucune forme d’irénisme, je crois qu’il y a dans ce pays une richesse humaine qui ne demande qu’à s’employer et que chaque moment de crise vient révéler. Les moments les plus sombres de l’année écoulée ont ainsi été pour moi simultanément des occasions de découvrir de magnifiques figures de la fraternité, des femmes et des hommes, qui se sont signalés par leur héroïsme tranquille, leur sens du devoir, leur générosité et leur dévouement à autrui. (..) Parmi les raisons d’espérer, il y a donc la présence parmi nous de ces héros modestes, révélés par des circonstances exceptionnelles ou par le choix d’une profession où l’on accepter d’exposer sa vie au service de la collectivité. ».


Fustiger les prédications mortifères

Dénonçant les actes de "racisme" contre les religions, en grande progression ces dernières années, Bernard Cazeneuve a prévenu ce que Manuel Valls avait déjà martelé dans son fameux discours à l’Assemblée Nationale le 13 janvier 2015 : « Jamais la République n’acceptera que l’on puisse s’attaquer aux habitants de ce pays en raison de leurs origines, de leur religion ou de leurs croyances ; sans quoi elle ne serait plus la République. ».

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Reprenant son costume politique, il a ensuite fustigé les discours de haine exprimés par des personnalités politiques : « Je suis donc inquiet lorsque je constate que certains responsables politiques, ou d’autres qui portent une parole publique et qui devraient avoir pour première ambition d’apaiser les tensions qui minent notre société, choisissent de les attiser par des propos hâtifs, haineux, ou simplement stupides, qui blessent tel ou tel groupe de nos concitoyens. (…) Je suis inquiet lorsque les pratiques du discours politique font que l’approximation l’emporte sur l’observation lucide des faits, l’amalgame sur le discernement, l’arrogance sur le respect que l’on doit aux opinions d’un adversaire. ».

Et il a ajouté plus précisément : « Je suis inquiet lorsque j’observe qu’Internet, cet extraordinaire outil d’échange et de diffusion de la connaissance, sert également à l’expression sans limite des haines, des rumeurs sans fondement, des propagandes outrancières, des prédications mortifères, des agressions et des injures lâchement anonymes. Je suis inquiet, enfin, lorsque je vois délaissée cette valeur cardinale qu’est le respect. ». Il faut reconnaître que ce constat est objectif. Il suffit de lire parfois certains forums d’opinion où la bile versée peut faire penser à d’autres périodes historiques…


Être Français selon De Gaulle… mais aujourd’hui ?

Enfonçant bien le clou de l’universalité des valeurs de la République française, Bernard Cazeneuve s’est permis à juste titre, et très habilement, de citer De Gaulle sur le qu’être Français : « La citoyenneté en France est ouverte à tous ceux qui ont la volonté de la rejoindre, qui partagent ses valeurs et vivent selon ses règles. Selon cette conception, comme l’a dit le Général De Gaulle : "Est Français quiconque souhaite que la France continue". Être Français, ce n’est donc pas forcément naître en France, ce n’est pas professer une religion plutôt qu’une autre, ce n’est pas avoir le français pour langue maternelle, ce n’est pas avoir la peau d’une certaine couleur. C’est adhérer à des valeurs, à une histoire et à un projet commun. (…) Notre société a besoin d’apaisement. Elle a besoin de fraternité. Elle a besoin de respect. Elle a besoin de vérité. Elle a besoin qu’on lui fixe une ambition dans laquelle elle sache se reconnaître, parce qu’elle respectera les valeurs qui sont celles de la France depuis des siècles. Un tel projet peut réunir tous les républicains authentiques. ».

Le malheur, aujourd’hui, c’est qu’on peine à voir un responsable politique proposer ce projet commun qui fait tant défaut au peuple français. À moins que ce projet soit défini dans la dernière citation et la dernière phrase du discours du Ministre de l’Intérieur, une parole du pape Paul VI à la fin du Concile Vatican II : « Nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme. ». Formule qui n’est pas très éloignée de celle de la philosophe Simone Weil : « Seul est éternel le devoir envers l’être humain comme tel. », une conception qui rejoint aussi les philosophes Étienne Borne et Paul Ricœur.

Ce culte de l’homme devrait être au cœur de tous projets politiques et l’incarnation de la devise républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité. Cela semble évident qu’il y a encore du chemin à parcourir avant d’atteindre cette société apaisée et fraternelle qui semble de plus en plus polarisée et rendue binaire par des vociférateurs démagogiques qui surfent sur les ravages de la crise économique.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 octobre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Discours de Bernard Cazeneuve le 3 octobre 2015 à Strasbourg (texte intégral).
Discours de Manuel Valls le 13 janvier 2015 au Palais-Bourbon (texte intégral).
Le voile et la République.
La burqa et la République.
François Hollande et la laïcité.
Nicolas Sarkozy et l’islam.
Stigmatisation ?
Le pape François et les valeurs chrétiennes.
Chaque vie compte.
Les valeurs de la République.
Les valeurs du gaullisme.
L’esprit du 11 janvier.
Une chance pour la France.
Le vrai patriotisme.
Étienne Borne.
Simone Weil.
Paul Ricœur.
L’homodiversité.
Complot vs choas, vers une nouvelle religion ?
L’antisémitisme, selon Arthur.
Terrorisme et islamisme.
Peine de mort.
Guerre et peine.
Le Pardon.
La Passion.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151003-valeurs-republique.html

http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/les-valeurs-chretiennes-de-la-173028

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/10/16/32781479.html





 

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14 octobre 2015 3 14 /10 /octobre /2015 06:48

« La civilisation et la barbarie s’excluent : la barbarie, c’est la guerre ; la civilisation, c’est la paix. » (Émile de Girardin, 1867).



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L’information a été donnée le dimanche 11 octobre 2015 par le "Journal du Dimanche" d’après "une source gouvernementale française en marge de la visite de Manuel Valls en Jordanie", selon laquelle des djihadistes français auraient été tués lors du bombardement français d’un camp d’entraînement islamiste près de Rakka, en Syrie dans la nuit du 8 au 9 octobre 2015, dans le cadre de l’opération Chammal lancée le 19 septembre 2015 (certaines sources parleraient de six morts, d’autres de seize morts dont trois de moins de 18 ans).

Information immédiatement mais mollement démentie par le Ministère de la Défense : « À ce stade, nous ne pouvons confirmer aucun élément précis relatif à ce bombardement. ». Et on le comprend au moment où le gouvernement essaie de faire une campagne de sensibilisation auprès des familles pour éviter le départ de nouvelles recrues vers la Syrie. Cette information, qui reviendrait à dire que l’armée française tuerait des citoyens français, a mis le feu aux médias dans la soirée du lundi 12 octobre 2015.

En tout premier lieu, il me paraît assez étrange de s’inquiéter seulement maintenant : que les victimes (supposées terroristes ou futurs terroristes) soient françaises ou pas françaises ne change rien au problème moral d’un gouvernement (quel qu’il soit). S’attacher à la nationalité des victimes laisserait entendre que certaines personnes peuvent être tuées sommairement et pas d’autres. C’est un peu aberrant comme réflexion.

D’autant plus aberrant, d’ailleurs, que les terroristes djihadistes qui ont ensanglanté la France depuis trois ans sont malheureusement des citoyens français et pas des ennemis de l’extérieur comme cela aurait été plus commode pour la réflexion.

D’ailleurs, en parlant de leur passeport, le Premier Ministre Manuel Valls n’a fait que confirmer cette "absence de discrimination" : « Notre responsabilité, c’est de frapper Daech et nous continuerons quelles que soient les nationalités (…). Les terroristes, de ce point de vue-là, n’ont pas de passeport. » (12 octobre 2015). Il l’a redit avec ces autres mots : « On frappe Daech en Syrie et tous ceux, quelles que soient leurs origines et leur nationalité, qui ont décidé de frapper la France, et donc de frapper leur propre pays. ».

Cela veut dire effectivement que la réflexion, qui, en elle-même, est intéressante, aurait pu être engagée, aurait dû être engagée bien avant ce genre d’indiscrétion gouvernementale. La question est intéressante et même essentielle sur l’art de gouverner.

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En second lieu, donc, l’idée qu’un gouvernement puisse court-circuiter toutes les procédures de la justice et de la loi pour aller tuer, par prévention, sans procès, sans débat contradictoire, sans droit à la défense, des candidats terroristes pose une véritable question de "philosophie gouvernementale". Gouverner, c’est prévoir.

La peine de mort est abolie en France depuis le 9 octobre 1981 (loi n°81-908 du 9 octobre 1981). C’est une grande avancée dans le droit français et dans les droits de l’Homme, et je rappelle que l’abolition n’a pas été seulement votée par des parlementaires socialistes, mais aussi par des personnalités comme Jacques Chirac et Philippe Séguin. L’abolitionnisme n’est tributaire d’aucun clivage partisan particulier. Il résulte d’une certaine idée de la vie et d’une certaine idée de l’humain.

Car justement, chaque vie humaine compte et en supprimer nécessite une raison impérieuse. C’est le problème de toutes les guerres. Si je ne tue pas mon ennemi, mon ennemi me tue. Mais individualiser cette réflexion n’a pas de sens, car mon choix philosophique pourrait très bien me porter à préférer mourir à avoir la mort d’une personne sur la conscience (pour dire vrai, je ne sais pas comment je me comporterais si le cas m’arrivait et j’ai l’intuition que l’un des buts serait plutôt de tout œuvrer pour éviter de me retrouver dans cette situation).

Individualiser n’est pas très raisonnable car si je considère que j’ai par exemple une famille à protéger, une femme, des enfants (je ne me place que dans la collectivité la plus réduite), qui, eux, sont incapables de se défendre (eux, les enfants, car les femmes peuvent aussi se défendre le cas échéant), alors mon choix de préférer mourir à tuer serait-il tout aussi pertinent ? Sans doute pas, sauf à avoir sur la conscience la mort également de mes proches. Ne pas tuer me ferait donc, par ricochet, tuer.

Évidemment, si j’en arrive au cercle national, à l’échelle d’un État comme la France, environ 65 millions d’habitants, la réponse est encore plus grave : si je ne repousse pas l’ennemi, l’ennemi peut nous envahir et refaire le coup de l’an 1940. Or, cette situation a sans doute été la pire des options. C’est ce qu’avaient compris de rares personnes, De Gaulle en premier lieu, mais aussi beaucoup de "petits bras" à l’instar de Daniel Cordier. Car il y a d’autres notions morales que la simple morale individuelle : il y a la raison d’État, mais celle-ci pourrait être douteuse (que recouvre-t-elle ? qui protège-t-elle ?) et il y a aussi l’intérêt général, que je préfère à l’intérêt national car il recouvre non seulement l’intérêt de la France mais aussi l’intérêt des autres pays, et notamment la Syrie dans le cas qui m’amène à parler de cette évocation morale.

Les plusieurs centaines voire plusieurs milliers de morts provoquées par l’armée française au Mali en 2013 ont une justification juridique incontestable : la France a été appelée à la rescousse par un gouvernement à peu près légitime (de transition) et sans cette intervention, Bamako aurait été pris et serait devenu un foyer de terrorisme djihadiste au même titre qu’au nord-est de la Syrie et au nord de l’Irak.

Tuer alors que la peine de mort n’est plus autorisée, on peut aussi le penser en évoquant les tirs contre des terroristes ou des preneurs d’otages en pleine action. On peut penser à Merah, Coulibaly ou Kaouchi, mais aussi à HB lors de la prise d’otages dans une école maternelle à Neuilly-sur-Seine.

Pour la Syrie, la situation est nettement plus complexe puisque le gouvernement français n’a plus de relation diplomatique avec les autorités syriennes qui, pourtant, sont la cible de Daech. La situation est d’ailleurs assez compliquée car la position de la France est de proposer aux Syriens une autre alternative que celle entre Bachar Al-Assad et le Daech, mais concrètement, le vide politique ou étatique fera le jeu des djihadistes comme c’est le cas en Libye et même en Irak. Complexité renforcée par l’implication massive de la Russie, les ambiguïtés de la Turquie et les influences majeures de deux rivaux sur le Proche-Orient, l’Iran et l’Arabie Saoudite.

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En Jordanie le 12 octobre 2015, en Arabie Saoudite le 13 octobre 2015, chaussant les bottes de vice-chef des armées (et d'agent commercial), Manuel Valls s’est d’ailleurs plu à rappeler la position française, particulièrement délicate, en faisant allusion à Vladimir Poutine : « Je le redis devant vous, comme l’a dit clairement le Président de la République : vouloir sauver le régime de Bachar Al-Assad, s’en prendre à l’insurrection modérée, c’est se tromper de cible. Ce n’est pas une politique. C’est un retour en arrière. La France ne peut pas l’accepter. » (12 octobre 2015).

La justification des frappes françaises contre Daech est donc de prévenir des éventuels attentats sur le territoire français et qu’en tant que tel, ce serait aussi du registre de la légitime défense : « La France a décidé de frapper des cibles où se préparent des attentats contre la France. Des attentats ont déjà eu lieu, il y a eu des morts. Au nom de la légitime défense, c’est une obligation de frapper Daech et nous continuerons, quelle que soit la nationalité de ceux qui sont dans ces centres qui préparent des attentats. » (Manuel Valls le 12 octobre 2015).

Ancien Ministre de la Défense qui avait démissionné pour protester contre la première guerre du Golfe, Jean-Pierre Chevènement a considéré sur Public Sénat le 12 octobre 2015 que comme la zone bombardée est sur un territoire qui n’est plus sous contrôle du gouvernement syrien, on peut estimer qu’il n’est pas infondé de pouvoir intervenir sans demande syrienne.

Son lointain successeur Jean-Yves Le Drian, qui faisait partie du voyage jordanien du Premier Ministre, a confirmé que c’est une guerre : « Ils ont choisi le camp de Daech, Daech est notre ennemi et le restera. ». Numéro deux du parti Les Républicains, Nathalie Koscusko-Morizet n’a pas dit autre chose : « Quand on s’engage dans les rangs de l’armée de Daech, on fait la guerre, donc on court les risques de la guerre. ». En tout, selon une source, les services spécialisés auraient comptabilisé 139 djihadistes morts en Syrie sur les quelques 1 700 venus de France.

Le problème, c’est que la notion de "guerre préventive" peut renvoyer à la folie américaine de la guerre en Irak. Le bombardement d’un hôpital de Médecins sans frontières le 3 octobre 2015 à Kunduz, en Afghanistan par l’armée américaine, faisant dix-neuf morts dont douze médecins et sept patients, fait froid dans le dos. Les faits ont montré que les États-Unis ont beaucoup moins de scrupules à tuer des innocents si, avec eux, des présumés assassins étaient également touchés et mis hors d’état de nuire. La question mérite donc d’être posée pour la France en Syrie. À quel point le ciblage provoquant la mort concerne-t-il à 100% des candidats au terrorisme sur sol français ?

Il ne faut pas être naïf : les personnes formées, entraînées, prêtes à agir pour assassiner des personnes en France, en Europe ou même ailleurs dans le monde, sont, de toute façon, des ennemis. Des ennemis de l’humain, des ennemis des nations. Il faut combattre le terrorisme sous toutes les formes. Le gouvernement français a en possession des renseignements qui peuvent donc l’amener à agir, à réagir, à prévenir tout attentat et je le soutiens, quel qu’il soit, en espérant qu’il n’y a pas des "bavures" qui auraient pour conséquence de renforcer le déshumanisation ou l’inhumanisme des terroristes.

J’avais fait remarquer, à l’époque de l’engagement de la France au Mali, en janvier 2013, qu’élire un Président de la République n’était pas jouer aux petits chevaux mais était un acte grave qui pouvait aboutir à la mort de certaines personnes et aussi éviter la mort d’autres personnes, grâce à une meilleure protection. Kolwezi, le Liban, l’Irak, l’Afghanistan, la Côte d’Ivoire, la Libye, le Mali, le Niger, la République centrafricaine, maintenant la Syrie, et j’en oublie, toutes les interventions militaires françaises ont été décidées par un homme seul, de son bureau de l’Élysée, qui, parfois, a hésité et qui savait que cette décision aurait des conséquences très graves sur la vie de très nombreuses personnes. On peut aussi évoquer la non participation de la France dans la guerre civile espagnole décidée par Léon Blum.

Comme on le voit, le droit régalien de vie ou de mort n’a pas été éliminé de la pratique de gouverner un État, même après l’abolition de la peine de mort. La question doit être posée car elle est éminemment morale. Elle doit se poser en dehors de considérations de nationalité qui n’ont, moralement et philosophiquement, pas lieu d’être. Mais je ne conçois pas son principe hors de la compétence d’un État dès lors qu’il s’assure que c’est indispensable à la sûreté nationale et à la protection de sa population. Le terrorisme est une guerre sans État ennemi (même si Daech se revendique État). C’est donc aussi l’occasion de rappeler l’importance et la gravité de l’acte de voter lors de l’élection présidentielle. Un Président de la République ne doit pas déterminer des vies humaines à la légère. Sa personnalité est donc essentielle.

« Être toujours en retard d’une guerre devrait nous déterminer à être parfois en avance d’une paix. » (Robert Sabatier, 1991).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 octobre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Chaque vie compte.
La peine de mort.
Valeurs républicaines.
Attentats de Daech.
Otages de Daech.
Le Mali.
La Syrie.


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http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/daech-en-syrie-guerre-et-peine-172951

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10 octobre 2015 6 10 /10 /octobre /2015 06:29

« Redonnons un peu de fraîcheur au mot de dignité, ne réduisons pas la dignité à la dignité d’apparence. (…) La dignité est le respect dû à la personne : ne touchez pas l’Intouchable ! » (Philippe Pozzo di Borgo).


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Ce n’était pas une surprise car la rapporteure publique avait recommandé cette position lors de l’audience du 29 septembre 2015 : le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la requête d’arrêt des traitements de Vincent Lambert formulée par son neveu. Pour justifier cette décision, les juges administratifs ont considéré que les médecins du CHU de Reims qui s’occupent de Vincent depuis septembre 2008 avaient le droit de suspendre, comme ils l’ont fait le 23 juillet 2015, le processus d’arrêt des traitements, en vertu de leur « indépendance professionnelle et morale ».

Quelques jours auparavant, dans la matinale de France Inter le 6 octobre 2015, la Ministre des Affaires sociales Marisol Touraine avait même anticipé cette décision judiciaire en déclarant : « Aucune cour de justice n’impose à un hôpital d’arrêter des traitements. La CEDH a dit que c’était possible et l’hôpital a choisi jusqu’à maintenant de prendre un peu de temps. C’est cette situation difficile et douloureuse dans laquelle nous sommes. ». Par ailleurs, le 3 octobre 2015, le parquet de Reims a saisi un juge des tutelles pour Vincent Lambert.

Il y a depuis deux ans une certaine "ingérence" de la justice sur la médecine. Ce n’est certes pas vraiment une ingérence car heureusement, nous sommes dans un État de droit et les lois doivent s’appliquer et donc, en cas de contentieux, comme c’est le cas ici, gravement, pour la famille de Vincent, le droit doit s’appliquer et la machine judiciaire fonctionner. Mais on a toujours le tournis quand ce droit, si cher, si protecteur, en vient à demander à des juges, administratifs, d’apprécier des décisions médicales. À chacun son métier, juge et médecin, c’est très différent.

Je dis cela en sachant pertinemment qu’on pourra me répondre que le juge n’est pas non plus agent immobilier, banquier, vendeur, producteur, consommateur, etc. et pourtant, il a à juger sur de nombreux conflits dans tous les domaines. La petite différence, ici, c’est que la vie de Vincent est en jeu et est soumise à ces aléas de la justice. On pourra aussi me dire que c’est la justice qui l’a sauvé en mai 2013 lorsqu’une première procédure l’avait privé de nourriture et quasiment d’hydratation pendant un mois, ce qui a montré d’ailleurs une étonnante faculté de survie.

Le tribunal a donc statué sur le droit des médecins à interrompre une procédure d’arrêt de traitements, pas sur la pertinence, ou pas, d’arrêter les traitements. Or, l’arrêt des traitements, réclamé par le neveu en raison de je ne sais quelle idéologie de la culture de la mort, est fondé sur deux idées : l’acharnement thérapeutique et la volonté de Vincent.

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Le problème avec Vincent, c’est qu’il n’est pas sous "acharnement thérapeutique" comme beaucoup continuent encore à le proclamer de façon mensongère sans l’avoir visité (à cet égard, la vidéo réalisée par un ami de Vincent est très significative) mais qu’il est en situation d’handicap complexe et de grande dépendance (comme mille sept cents personnes en France). Il n’a pas de machine pour respirer artificiellement. Il vit sans attirail. Son seul lien médical consiste régulièrement à se nourrir et à s’hydrater de manière artificielle (avec un tube dans l’estomac, qui n’est certes pas un dispositif anodin). On imagine bien que s’il n’a plus cette hydratation et nutrition artificielles, il mourra de faim et de soif. C’est élémentaire.

Et encore, d’après ses parents, Vincent commencerait à réussir à déglutir, ce qui lui permettrait de s’affranchir de la machinerie pour boire et manger, à condition qu’il puisse rééduquer ses gestes de déglutition dans les meilleures conditions. Ce qui ne semblerait pas le cas au CHU de Reims.

En fait d’acharnement thérapeutique, Vincent fait preuve plutôt d’une forte volonté à vivre, d’un acharnement à continuer à vivre, tant en résistant à un mois de jeûne (ce qui, dans son état, a relevé de l’exploit) qu’en cherchant à progresser dans la déglutition.

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Pour ce qui est de sa volonté, il est faux de dire que Vincent a laissé une consigne particulière : en tant qu’infirmier, il connaissait l’existence des directives anticipées mais il n’en a rédigé aucune comme le propose pourtant la loi du 22 avril 2005. De même, il n’a désigné aucune personne de confiance qui aurait pu justement départager l’opposition entre son épouse et ses parents (entre parenthèses, je ne vois vraiment pas en quoi le neveu s’immisce dans ce conflit familial déjà difficile, à quel titre, celui de remettre de l’huile sur le feu ?).

Le seul fait apporté serait le témoignage de l’épouse qui affirme que Vincent lui aurait dit préférer mourir dans ce cas-là, ne pas subir d’obstination déraisonnable. Mais on permettra de douter de la sincérité d’un tel témoignage venu très tardivement, dans la mesure où, d’une part, comment prévoir un tel accident et surtout, pourquoi prévoir ce type d’accident et pas un autre ? et d’autre part, c’est le plus important à mon sens, pourquoi mettre en avant ce témoignage seulement en 2013, soit plus de quatre ans après l’accident et pourquoi avoir gardé son mari en vie pendant ces quatre années …contre sa propre volonté selon elle ? La réponse est sans doute dans la vie, très difficile, forcément, de cette épouse mais cela reste du domaine de l’intime et de la vie privée. Personne ne lui a reproché de ne plus avoir la force d’accompagner Vincent, d’autant plus que les parents sont désormais là depuis deux ans auprès de lui (ont même déménagé de la Drôme exprès pour cela).

Dans tous les cas, le doute doit se faire au bénéfice de la seule option non irréversible, à savoir, le maitien en vie qui n'a rien d'inutile parce qu'une vie, dans tous les cas, n'a aucune vocation utilitariste.

Vincent est victime d’une offensive d’idéologies croisées. Pourtant, la moindre humanité, ce n’est pas d’agiter des grandes idées, c’est de s’occuper de son sort particulier, unique, comme beaucoup d’accidentés de la vie. Personne ne répond à cette question que posent ses parents depuis plus d’un an : pourquoi Vincent ne peut-il pas être transféré dans une structure médicalisée spécialisée dans son type de handicap complexe ? L’absence de réponse ne paraît en tout cas pas être du domaine de l’humanitaire…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (9 octobre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Indépendance professionnelle et morale.
Fausse solution.
La loi du 22 avril 2005.
Adoption en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
La fin de vie en seconde lecture.
Acharnement judiciaire.
Directives anticipées et personne de confiance.
Chaque vie humaine compte.
Sursis surprise.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151009-vincent-lambert-2015AX.html

http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/independance-professionnelle-et-172785

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/10/10/32750893.html

 

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9 octobre 2015 5 09 /10 /octobre /2015 06:34

« Sur un sujet comme celui de la fin de vie, il n’y a pas de vérité absolue. Nul ne détient la vérité, nul ne peut prétendre imposer sa vérité aux autres, mais chacun doit pouvoir exprimer sa conviction profonde. » (Marisol Touraine, le 5 octobre 2015 dans l’hémicycle du Palais-Bourbon).


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C’est l’ancienne ministre Michèle Delaunay qui, en ouverture aux débats, pour illustrer la « sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès » qu’instaure le texte, a cité une partie de cette prière de Moïse rédigée par Vigny en 1822 :

« Il disait au Seigneur : Ne finirai-je pas ?
Où voulez-vous encor que je porte mes pas ?
Je vivrai donc toujours puissant et solitaire ?
Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre. »

Après deux journées de discussion en séance publique à l’Assemblée Nationale, la proposition de loi Claeys-Leonetti a été adoptée en deuxième lecture par les députés ce mardi 6 octobre 2015 à 18 heures 20.

Comme prévu, le texte voté le 17 mars 2015 n’a quasiment pas été retouché. Aucun des amendements discutés lors des deux premières séances du 5 octobre 2015 n’a été adopté et seulement quelques-uns, de très rares, et sur des détails, ont pu être adoptés lors de la troisième et dernière séance du 6 octobre 2015. La différence, peut-être, était l’absence de la Ministre des Affaires sociales Marisol Touraine qui était représentée par la Secrétaire d’État chargée des personnes handicapées Ségolène Neuville (notez pour le sourire qu’il y a deux Ségolène dans ce gouvernement, un vrai alignement des planètes aussi rare qu’une éclipse de super-lune).

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Le texte a donc été quasiment conservé comme le voulaient initialement à la fois les deux rapporteurs, Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (LR) et le gouvernement pour un retour en deuxième lecture au Sénat et une probable négociation, ensuite en commission mixte paritaire entre députés et sénateurs pour finaliser un texte final qui puisse préserver le fragile équilibre d’une large majorité parlementaire.

Cela n’a pas empêché le retour des inévitables amendements pour légaliser soit l’euthanasie active soit le suicide médicalement assisté, avec à la clef, sur demande des groupes écologistes et radicaux de gauche (régulièrement demandeurs d’euthanasie depuis une vingtaine d’années) un vote public pour trois de leurs amendements.

Les modifications mineures qui ont été adoptées parfois contre l’avis du gouvernement et de la commission des affaires sociales, sont les suivantes.


Modèle pour les directives anticipées (article 8)

Dans la version d’origine (de la deuxième lecture), les directives anticipées devaient se rédiger exclusivement sur un modèle (fourni par le Conseil d’État) : « Elles sont rédigées selon un modèle unique dont le contenu (…) ».

La modification par l’amendement n°213 (présenté par Gérard Sebaoun qui trouvait le texte trop restrictif) donne désormais : « Elles sont rédigées conformément à un modèle dont le contenu (…) ».


Désignation de la personne de confiance (article 9)

Les amendements n°378 et n°388 (présentés par Marie-Yvonne Le Dain et Jean-Louis Touraine) ont été adoptés contre l’avis du gouvernement et de la commission et proposent la nomination d’une seconde personne de confiance, suppléante et qui ne devrait pas être en opposition avec la personne de confiance titulaire puisqu’elle n’agirait qu’en cas d’empêchement de la première : « Une personne de confiance suppléante peut être désignée. Son témoignage est entendu uniquement si la personne de confiance titulaire se trouve dans l’incapacité d’exprimer la volonté du patient qui l’a désignée. ».

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En revanche, l’adoption des amendements n°409 et n°414 (présentés par Xavier Breton et Gilles Lurton) a été faite avec l’accord du gouvernement et de la commission. Elle oblige l’accord écrit de la personne de confiance désignée : « Cette désignation est faite par écrit et cosignée par la personne désignée. ».


Prérogatives de la personne de confiance (article 9)

Enfin, l’amendement n°212 (présenté par Gérard Sebaoun) adopté avec l’accord de Jean Leonetti ("à titre personnel") et du gouvernement retire à la personne de confiance la possibilité de consulter le dossier médical du patient pour qui elle témoigne, considérant qu’elle n’a pas la compétence pour en analyser les informations : « La notion de vérification implique de contrôler l’exactitude des informations fournies, voire de se documenter davantage encore. Or la personne de confiance n’a pas pour rôle d’analyser une situation médicale car elle n’en a a priori pas les compétences : celles-ci restent du domaine des praticiens. Par ailleurs, si l’interprétation de la personne qui vérifie les informations est différente de celle de l’équipe médicale, on s’acheminerait vers un risque de contentieux. » (Gérard Sebaoun).


La balle est au Sénat

La deuxième lecture a été quasiment inutile puisque le texte adopté est pratiquement le même que celui voté en première lecture (aux modifications près que je viens d’expliquer).

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Pourtant, le texte laisse encore beaucoup à désirer notamment sur trois sujets importants.

D’une part la tournure de la phrase « prolonger inutilement la vie » qui ne doit pas être comprise dans le sens de l’utilité d’une vie mais plutôt de l’inutilité d’une agonie. Aucune formulation n’a retenu l’intérêt des deux rapporteurs qui comptent sur la commission mixte paritaire pour régler ce problème sémantique.

D’autre part, le troisième cas pour la sédation profonde et continue concernant les personnes qui ne sont pas capables d’exprimer leur volonté (alinéa 5 de l’article 3) ne protège pas suffisamment ces personnes qui pourraient se retrouver en situation de sédation profonde jusqu’à la mort sans avoir exprimé leur volonté et surtout, sans être en fin de vie (beaucoup de députés ont pensé à la situation douloureuse de Vincent Lambert).

Enfin, et c’est un sujet beaucoup plus technique, il est question aussi de préciser le cas où le patient est un adulte sous tutelle ("majeur protégé") pour rendre les procédures en harmonie également avec le cadre médico-social : « Le texte de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement doit également adapter cette mesure, dans un cadre médico-social et non pas sanitaire, comme dans le présent texte. Je vous propose donc de rédiger une disposition commune aux deux textes afin d’éviter toute discordance entre le médico-social et le sanitaire. » (Ségolène Neuville).

Le texte fera donc l’objet d’une discussion en séance publique pour la deuxième lecture au Sénat fixée au jeudi 29 octobre 2015.

Je reviendrai sur la discussion publique des 5 et 6 octobre 2015 à l’Assemblée Nationale en y présentant les principales interventions.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (9 octobre 2015)
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Pour aller plus loin :
Adoption en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
La fin de vie en seconde lecture.
Acharnement judiciaire.
Directives anticipées et personne de confiance.
Chaque vie humaine compte.
Sursis surprise.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151006-loi-claeys-leonetti-2015AV.html

http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/laissez-moi-m-endormir-du-sommeil-172753

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/10/09/32747750.html


 

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7 octobre 2015 3 07 /10 /octobre /2015 06:58

« Tout est noir. Je suis dans le noir. (…) J’ai beau regarder de toutes mes forces, je ne vois rien. Rien que ce noir profond. Ai-je les yeux ouverts ou fermés ? Je l’ignore. Que s’est-il passé ? Je l’ignore également. Je sais seulement que je ne suis pas seule : j’entends quelqu’un à côté de moi. (…) En fait, c’est comme si l’hôpital m’était tombé sur la dessus… C’est cela : comme s’il y avait eu un tremblement de terre, et que j’étais ensevelie sous des tonnes de décombres. » (Angèle Lieby, "Une larme m’a sauvée").


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On peut se demander ce qu’il y a dans la tête de ce neveu (que je respecte) qui va jusqu’à déposer une plainte en justice pour vouloir aussi activement la mort de son malheureux oncle, Vincent Lambert.

C’est ce qu’il a fait le 9 septembre 2015 en saisissant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne contre le CHU de Reims pour lui imposer l’arrêt des soins. Le tribunal s’est réuni le 29 septembre 2015 pour en débattre et c’est ce vendredi 9 octobre 2015 que le tribunal doit rendre publique sa décision. S’en prendre à l’hôpital, ce n’était pas très pertinent de la part du neveu puisqu’ils étaient tous les deux d’accord pour arrêter les soins. Donc, pour laisser mourir Vincent en l’abandonnant à son sort, sans le soigner, sans s’occuper de lui.

J’ai déjà abondamment évoqué la situation de lourd handicap de Vincent Lambert (notamment ici), et il faut rappeler avec insistance, au risque d’agacer les idéologues et doctrinaires de la culture de la mort, que Vincent n’est ni malade ni en fin de vie. Il est comme près de deux mille personnes en France en situation de très lourd handicap et s’il était en fin de vie, c’est-à-dire, si son pronostic vital était engagé à court terme, il faudrait alors expliquer pourquoi il vit toujours après plus de deux ans et demi de procédures pour abréger sa vie. Il est établi en outre que Vincent ne souffre pas physiquement dans son corps, car il a déjà eu l’occasion de signaler des inconforts lorsque cela s’était produit.

Aucune loi sur la fin de vie ne pourra s’appliquer à sa situation.

D’une part, parce qu’il n’est pas en fin de vie et ce n’est pas parce que le Conseil d’État a décrété le contraire le 24 juin 2014 que sa situation physiologique changerait. La fin de vie, c’était bien explicité dans les discussions sur la proposition de loi Claeys-Leonetti, c’est lorsque l’échéance est comptée en semaines, voire en jours ou en heures. Pas en années. Et il ne faut pas prendre en compte l’hydratation et la nutrition artificielles, car sinon, la plupart des malades et accidentés après réanimation seraient en fin de vie. Heureusement, on les sauve la plupart du temps !

D’autre part, Vincent n’a laissé aucune consigne, aucune directive anticipée (dont il connaissait forcément la possibilité par son métier), et aucune personne de confiance n’a la capacité de sérieusement dire ce qu’il aurait voulu parce que les deux personnes les plus proches ne sont pas du tout d’accord sur cette réflexion : l’opposition entre la mère (les parents) et l’épouse (qui ne l’est plus, d’ailleurs) laissera la situation insoluble quelle que soit la nature de la loi.

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Pourtant, Vincent est capable de vivre. Difficilement, ce n’est souhaitable pour personne et encore moins n’est souhaitable d’accompagner une personne dans un tel état. Toute personne qui accompagne ou a accompagné une personne en grande dépendance le sait : il faut du courage, du temps, de la patience et de l’endurance, et ce n’est pas donné à tout le monde.

Mais Vincent peut progresser. Il est actuellement en train de reprendre la possibilité de déglutir. C’est essentiel : cela veut dire que s’il fait des exercices qu’il faudrait, il pourrait se passer de l’hydratation et de la nutrition artificielles, et c’était le principal argument pour le laisser mourir, pour ne plus s’occuper de lui.

La tragédie de Vincent, c’est qu’il n’a pas été soigné comme il aurait fallu. Il n’a pas eu les soins de kinésithérapie dont tout patient en grande dépendance a besoin. Il n’a pas eu la chance de se trouver dans l’une des structures qui connaissent bien son lourd handicap. Aujourd’hui, plusieurs de ces structures sont prêtes à l’accueillir. Pourquoi lui refuser ce transfert ? Que cache cette volonté insensée de le garder à Reims et de vouloir le tuer ? Où est le problème réellement ?

L’autre tragédie de Vincent, c’est que sa situation a été médiatisée (nécessairement à partir du moment où la justice est intervenue) et qu’elle a été instrumentalisée de part et d’autre (je précise bien de part et d’autre). Il est devenu comme le capitaine Alfred Dreyfus, sujet de salons de thé ou de cafés du commerce, où tout le monde souhaite prendre position alors qu’il s’agit avant tout de sa vie privée et de son intimité médicale. Qui ne regarde aucun tiers extérieur.

Et cela dans un contexte particulier, la discussion de la proposition de loi Claeys-Leonetti et certains y voient une relation alors que ce sont deux enjeux très différents. L’un concerne la vie personnelle de Vincent, et là, la seule règle qui compte est l’humanité, l’autre se propose de donner un cadre général, forcément insatisfaisant pour certaines situations particulières, dans l’accompagnement des personnes en fin de vie, dans leurs derniers jours, pour qu’ils puissent vivre dans le meilleur confort, sans souffrance et sans ouvrir la brèche irrattrapable de l’autorisation légale de tuer. Répétons-le : il n’y a rien d’hypocrite à trouver une voie qui sort enfin de l’alternative simpliste, manichéenne, binaire et profondément réductrice du : ou tu soufres atrocement, ou je te tue. L’humain est bien plus complexe que ce type de simplisme.

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Il y a près de deux mille personnes en France qui vit la même situation que Vincent. Faudra-t-il aussi les tuer ? Faudra-t-il aussi blâmer tous ceux, famille, amis, personnel soignant, qui s’occupent, avec dévouement et parfois amour, de ces personnes depuis des années pour leur dire qu’il y aurait mieux à faire, que cela coûterait trop cher à la société, qu’ils auraient plus d’utilité ailleurs, qu’ils s’entêteraient pour …"rien" ?

Il y a un véritable parallèle entre la peur de voir le grand handicap, et la peur de l’autre, la peur de ceux qui ne sont pas pareils, pas normaux, étrangers, etc., bref, la peur de ceux qui sont différents. Cette peur est d’autant plus forte face au handicap que, comme pour la mort, elle met les individus en face de leurs propres angoisses : tout le monde peut se retrouver, un jour, dans la situation de Vincent ou dans la situation d’un proche de Vincent. Or, cette peur ne doit pas s’évacuer en éliminant le problème, en éliminant la personne.

L’accompagnement des plus faibles est à la base des valeurs humanistes et républicaines d’une société avancée. L’élimination de la fragilité ne doit pas se faire par l’élimination des plus fragiles. Mais par la solidarité et l’accompagnement avec humanité et réconfort d’un tronçon d’existence qu’il reste encore à vivre.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (7 octobre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Acharnement judiciaire.
Rapport de la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale du 30 septembre 2015 (à télécharger).
La fin de vie en deuxième lecture.
Chaque vie humaine compte.
Sursis surprise.
Rejet surprise de la proposition Claeys-Leonetti par le Sénat en première lecture.
Discussion de la loi Claeys-Leonetti en commission au Sénat.
Le rapport du 27 mai 2015 du Sénat sur la loi Claeys-Leonetti (à télécharger).
Euthanasie et construction européenne.
Le modèle républicain en question.
L’arrêt de la CEDH du 5 juin 2015 sur requête n°46043/14 (à télécharger).
Société barbare ?
Débrancher ?
La Cour européenne des droits de l'Homme.
La peine de mort.
Les sondages sur la fin de vie.
Les dix ans de la loi Leonetti.
Le vote de la loi Claeys-Leonetti en première lecture.
La loi Claeys-Leonetti en débat parlementaire.
Verbatim de la proposition Claeys-Leonetti en commission.
La proposition Claeys-Leonetti modifiée en commission.
L'euthanasie, une fausse solution.
François Hollande et la fin de vie.
Commentaire sur la proposition Claeys-Leonetti.
La consultation participative du Palais-Bourbon.
La proposition de loi n°2512 (texte intégral).
Le débat sur la fin de vie à l'Assemblée Nationale du 21 janvier 2015.
Les directives anticipées.
L'impossible destin.
La proposition Massonneau.
Présentation du rapport Claeys-Leonetti (21 janvier 2015).
Le rapport Claeys-Leonetti du 12 décembre 2014 (à télécharger).
Vidéo de François Hollande du 12 décembre 2014.
Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie du 21 octobre 2014 (à télécharger).
Le verdict du Conseil d'État et les risques de dérives.
Le risque de la GPA.
La décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 (texte intégral de la déclaration de Jean-Marc Sauvé).
L'élimination des plus faibles ?
Vers le rétablissement de la peine de mort ?
De Michael Schumacher à Vincent Lambert.
La nouvelle culture de la mort.
La dignité et le handicap.
Communiqué de l'Académie de Médecine du 20 janvier 2014 sur la fin de vie (texte intégral).
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national d’éthique.
Le CCNE refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de Valence ?
L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre 2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150929-vincent-lambert-2015AT.html

http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/acharnement-judiciaire-172689

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/10/07/32740292.html


 

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6 octobre 2015 2 06 /10 /octobre /2015 06:39

« Ce qui se joue dans la tendance à la substitution du capital au travail militaire, ce n’est pas seulement une perturbation des conditions du calcul politique du souverain démocratique, mais aussi, et plus fondamentalement, une automatisation sociale accrue de l’appareil d’État. » (Grégoire Chamayou, "Théorie du drone", éd. La Fabrique, 2013).


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L’une des mesures les plus spectaculaires (il faut bien admettre que rien n’était "révolutionnaire") validées par le Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) réuni le 2 octobre 2015 est la numéro 5, à savoir : « Expérimenter l’utilisation de drones au service de la sécurité routière. Expérimenter l’utilisation des systèmes de lecture automatisée des plaques d’immatriculation pour lutter contre le défaut d’assurance des véhicules. ».

Dans la formulation, tout porte à croire au faible impact. Notamment de la première proposition. Le mot "expérimenter" (qu’il est évidemment nécessaire d’utiliser tant que le système n’est pas maîtrisé) laisse penser une part d’hésitation au moins technologique si ce n’est politique dans cette mesure. Par ailleurs, la très faible précision de la mesure (dans quels domaines les drones interviendront ? de quelle manière ? etc.) n’incite pas à sa crédibilité. Bref, l’imprécision de la mesure laisse supposer qu’elle n’est que communication pour faire croire à une action gouvernementale (la plupart des mesures annoncées le 2 octobre 2015, principales ou complémentaires, sont d’ailleurs de ce genre : sans calendrier précis, sans objectif mesurable qui permette d’en faire un bilan factuel dans le futur).

C’est pour cette raison que cette mesure ne me paraît pas concrètement très dangereuse. Néanmoins, son principe est particulièrement malsain dans une démocratie qui souhaite préserver l’un de ses points forts, à savoir la liberté de circulation.

Dans le cas où cette mesure serait généralisée dans les années à venir, la question serait alors de savoir de quelle quantité il s’agirait. Serait-ce d’une dizaine ou vingtaine de drones par département, un peu le même nombre que les contrôles policiers réalisés humainement au bord des routes ? Ou s’agirait-il d’une quantité bien plus importante, de l’ordre du millier voire de la dizaine de milliers par département ?

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La réponse serait cruciale concernant les libertés publiques. Car ces drones seront chargés de surveiller la circulation automobile, le comportement des automobilistes, et je suis très favorable à tous les moyens technologiques destinés à verbaliser les infractions graves et très accidentogènes comme le sont, par exemple, le non-respect des distances de sécurité, le maintien sur la file de gauche ou du milieu au lieu de la file de droite (sur une autoroute à trois voies de même sens), ou encore le dépassement par la droite, l’absence de clignotant, etc. qu’un radar automatique classique aura toujours beaucoup de mal à apprécier. La vidéosurveillance par drone semble à cet égard très prometteuse.

La seconde mesure incluse dans la mesure numéro 5, qui ne nécessite plus d’expérimentation car le système de lecture automatisée des plaques d’immatriculation (LAPI) a déjà fait ses preuves (le dispositif est opérationnel), est encore plus draconienne puisqu’il s’agit d’enregistrer tous les numéros de plaque des véhicules circulant à un moment donné sur une route donnée, et pas seulement les véhicules de contrevenants comme pour les radars automatiques. Or, cette mesure, destinée non seulement à lutter contre le défaut d’assurance mais certainement, dans sa version deux, à aussi intercepter des véhicules verbalisés qui n’ont pas payé un seuil d’amende (notamment des véhicules immatriculés à l’étranger), est largement en contradiction avec la liberté de circulation des personnes.

C’était d’ailleurs ce qui était le plus contestables dans le dispositif de l’écotaxe et des milliers de portiques installés sur les routes de France qui enregistraient l’ensemble des numéros d’immatriculation des véhicules passant sous ces portiques, même ceux qui n’ont pas, a priori, à payer l’écotaxe (réservée aux seuls poids lourds).

On pourra toujours objecter que la surveillance généralisée n’est pas nouvelle et que la plupart des grands axes, périphérique parisien compris, sont sous surveillance caméra et que c’est souvent un beau jeu de piste pour les séries policières de retrouver un assassin grâce à un enregistrement vidéo sur les routes ou dans un quartier en ville (pas seulement des fictions, certains terroristes ont été interpellés grâce à cette surveillance). Il en est de même pour les piétons dans les stations de métro, gares, etc.

Mais à la différence de cette vidéosurveillance, celle proposée dans la mesure numéro 5 permet le fichage systématique des numéros d’immatriculation de tous les véhicules et leur contrôle automatique avec d’autres bases de données (assureurs, infractions, impayés, etc.). C’est beaucoup plus efficace et redoutable qu’une simple image emmagasinée.

La liberté consiste aussi à préserver l’intimité de la vie privée quand (bien sûr) aucun délit ou crime n’a été commis. Ceux qui, toujours optimistes, ne sont pas gênés par cette surveillance de type Big Brother car "ils n’ont rien à se reprocher" devront toujours avoir à l’esprit que les "reproches" peuvent parfois évoluer d’une période à l’autre (en bien, en terme de libertés publiques, si l’on songe par exemple à l’illégalité de l’homosexualité il y a une quarantaine d’années ; mais cela pouvait être aussi en mal, avec le statut des Juifs adopté par le gouvernement de Philippe Pétain le 3 octobre 1940, il y a soixante-quinze ans).

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C’est pour la même raison que les compteurs électroniques de la consommation d’électricité sont d’une redoutable efficacité dans l’intrusion de la vie privée (le fournisseur est au courant des habitudes de consommation minutes après minutes de ses abonnés), au même titre, bien sûr, que toutes les opérations réalisées sur Internet, que les paiements par carte bancaire et bien d’autres gestes qui, à la fois, simplifient la vie quotidienne tout en mettant de plus en plus à mal le respect indispensable à l’intimité personnelle.

La loi sur le renseignement a fait déjà une grave entorse dans le caractère exceptionnel de la surveillance des personnes. Il faut absolument que les contrôles des infractions au code de la route ne se fassent pas au détriment des libertés élémentaires que les citoyens peuvent attendre d’une démocratie moderne.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (6 octobre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Drone.
La pollution selon sainte Volkswagen.
Le comité interministériel du 2 octobre 2015.
Documents à télécharger à propos du CISR du 2 octobre 2015.
Cazeneuve, le père Fouettard ?
Les vingt-six précédentes mesures du gouvernement prises le 26 janvier 2015.
Comment réduire encore le nombre de morts sur les routes ?
La sécurité routière.
La neige sur les routes franciliennes.
La vitesse, facteur de mortalité dans tous les cas.
Plaques d'immatriculation.
Frédéric Péchenard.
Circulation alternée.
L’écotaxe en question.
Ecomouv, le marché de l’écotaxe.
Du renseignement à la surveillance.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151006-drone.html

http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/drone-de-pays-172591

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/10/06/32727974.html


 

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