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17 juin 2015 3 17 /06 /juin /2015 23:19

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Communiqué des avocats des parents de Vincent Lambert
Strasbourg, le 5 juin 2015


La Cour européenne des droits de l’Homme vient de rendre une décision dans l’affaire Vincent Lambert qui marque d’une pierre noire la défense des droits humains dans les 47 États membres du Conseil de l’Europe.

Elle a validé l’arbitraire d’une décision médicale prise sur la foi de témoignages intéressés et contestés faisant état de la prétendue volonté de Vincent Lambert de mourir, alors qu’il ne peut pas s’exprimer. Elle a validé le fait qu’aujourd’hui, il était conforme à la Convention de provoquer intentionnellement la mort d’un être humain sans défense, en le privant d’alimentation et d’hydratation, en violation formelle de l’article 2 de la Convention.

Elle a déclaré en outre, au mépris de sa propre jurisprudence antérieure (Campéanu/Roumanie, 2014), les parents irrecevables à défendre les droits de leur fils à ne pas subir des traitements inhumains et dégradants (art. 3). Ce faisant, une majorité de 12 juges de la Cour européenne des droits de l’Homme a décidé que la Convention ne s’applique plus aux personnes hors d’état d’exprimer leur volonté. Il y a désormais deux catégories d’êtres humains : ceux qui sont pleinement protégés par la Convention ; et ceux qui ne le sont pas, parce qu’ils ne peuvent pas saisir eux-mêmes la Cour.

Dans une remarquable opinion dissidente, 5 juges de la Cour se sont insurgés contre cette décision et dénient désormais à la Cour le titre qu’elle s’était arrogé de « Conscience de l’Europe ».

La Cour a fait tomber le dernier rempart contre l’arbitraire, elle a perdu toute légitimité et toute crédibilité. Elle n’est plus la Cour européenne des droits de l’Homme vulnérable, handicapé, sans défense. Elle n’est désormais plus que la « Cour-européenne-des-droits-de-l’Homme-en-bonne-santé ».

Cela étant dit, cette décision est sans incidence sur la situation actuelle de Vincent Lambert.

Comme elle l’énonce dans son dispositif, la Cour déclare qu’il n’y aurait pas de violation de la Convention en cas de mise en œuvre d’un arrêt d’alimentation et d’hydratation.

Or la seule décision d’arrêt est celle prise et signée par le docteur Kariger.

Conformément à la loi Léonetti, seul le médecin ayant pris la décision peut la mettre à exécution. Le docteur Kariger ayant quitté le CHU de Reims il y a un an, sa décision d’arrêt de soins est désormais caduque et inapplicable. Nous avons d’ores et déjà entamé une procédure aux fins de transfert de Vincent, au nom des parents de celui-ci, ses parents étant désormais seuls au chevet de leur fils, son épouse Rachel ayant quitté Reims pour la Belgique depuis maintenant près de deux ans.

Nous réclamons aujourd’hui que soit réalisée sans délai une nouvelle évaluation médicale de Vincent, et notamment une évaluation de sa capacité à déglutir. Vincent a en effet recommencé à déglutir depuis plusieurs mois, et cette capacité doit désormais être sérieusement évaluée.

Enfin, nous rappelons avec force qu’une équipe médicale, dirigée par le docteur Bernard Jeanblanc, forte de trente ans d’expérience dans l’accompagnement des personnes dans la situation de Vincent, attend le transfert de celui-ci dans son unité. Il y a une autre voie : prendre soin de Vincent dans un établissement parfaitement adapté à sa situation.

Vincent n’a jamais demandé à mourir. La défense de Vincent continue.

Jean Paillot, avocat
Jérôme Triomphe, avocat



Communiqué de presse du CSA du jeudi 18 juin 2015

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel a été saisi le 10 juin 2015 de la diffusion sur certaines chaînes de télévision d’extraits d’une vidéo mise en ligne sur internet montrant M. Vincent Lambert dans sa chambre de l’hôpital de Reims.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel a été sensible aux commentaires et explications qui ont pu accompagner ces diffusions.

Toutefois, réuni en assemblée plénière le jeudi 18 juin, il a décidé d’adresser une mise en garde à BFMTV, LCI, M6 et TF1 ayant considéré que la diffusion de ces images de M. Vincent Lambert sans consentement préalable et sans floutage constituait une atteinte à l’intimité de sa vie privée et à son image.

Par ailleurs, le Conseil a adressé un courrier à Canal+, France 2, France 3 et i>télé qui ont eu recours au floutage du visage de M. Vincent Lambert en leur rappelant que la diffusion de telles images sans consentement préalable était de nature à porter atteinte à l’intimité de la vie privée.




http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/2015/06/vid%C3%A9o-de-vincent-lambert-le-csa-demande-quil-y-ait-consentement-de-qui-.html
18 juin 2015
Vidéo de Vincent Lambert : le CSA demande qu'il y ait consentement. De qui ?

Le CSA vient de rendre son avis sur la vidéo montrant Vincent Lambert bien vivant :

"[Le CSA] a décidé d’adresser une mise en garde à BFMTV, LCI, M6 et TF1 ayant considéré que la diffusion de ces images de M. Vincent Lambert sans consentement préalable et sans floutage constituait une atteinte à l’intimité de sa vie privée et à son image.

Par ailleurs, le Conseil a adressé un courrier à Canal+, France 2, France 3 et i>télé qui ont eu recours au floutage du visage de M. Vincent Lambert en leur rappelant que la diffusion de telles images sans consentement préalable était de nature à porter atteinte à l’intimité de la vie privée."

Le CSA ne précise pas de qui doit venir le consentement... de Vincent Lambert lui-même ? de son épouse ? de ses parents ? Dans une vidéo diffusée dans Zone Interdite en 2014, qui vise à légitimer sa mise à mort, on voit Vincent Lambert, le visage flouté, juste derrière le Dr Kariger parlant de lui au passé. On voit aussi son épouse lui rendre visite. Le CSA n'a envoyé aucun courrier à M6.

 Posté le 18 juin 2015 à 17h53 par Louise Tudy | Catégorie(s): Culture de mort : Euthanasie
 


http://www.tugdualderville.fr/image-pudeur-et-dignite
Image, pudeur et dignité
par Tugdual Derville le 11 juin 2015


Depuis mardi 9 juin, en quelques plans vidéo, avec des millions de Français, j’ai pu découvrir Vincent Lambert tel qu’il est aujourd’hui : vivant. Scandale ! Faut-il crier à l’indignité et à l’impudeur ? Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a été saisi. L’ancien médecin de Vincent dénonce une manipulation.

L’organe de régulation de l’audio-visuel n’avait pourtant pas réagi quand le même médecin traitant s’était laissé interviewer en 2014 par M6, devant le même patient alité, pour légitimer son choix controversé de stopper son alimentation et son hydratation.

http://www.dailymotion.com/video/x2a5tr5_zone-interdite-droit-de-mourir-le-16-novembre-sur-m6-2_tv

Que révèle la comparaison de ces deux séquences ?

Couvrez ce visage…

Dans la version tournée par la télévision, le visage de Vincent est flouté, mais pas ses avant-bras et ses mains qui sont rétractées, comme souvent après des années d’immobilité, dans une posture qui peut impressionner les néophytes. Le patient apparaît en fond, seul sur son lit médicalisé. Il n’a pas vraiment figure humaine. La façon dont le praticien en blouse blanche donne, debout, à voix haute, son avis sur le destin de celui qui est couché dans son dos, en parlant de lui au passé, achève ou préfigure – inconsciemment – son exclusion totale. Il n’a pas sa place dans la conversation. Heureusement, la séquence s’achève par un « Bonne journée Vincent ! » qui contraste avec ce qui vient d’être exprimé. Devant un homme diagnostiqué en état de conscience minimale, faire le pari de la présence est un principe de précaution. S’abstenir de discourir de lui devant lui, d’une façon qui pourrait le blesser, c’est le b.a.-ba du respect. Trop de soignants l’oublient. Au retour de certains comas, des patients l’ont révélé, à l’image d’Angèle Lieby (auteur de Une Larme m’a sauvée) qui fut témoin, impuissante, du choix de son cercueil, avant de recouvrer sa capacité de communication.

Dans les séquences filmées le 5 juin 2015, c’est seulement le visage de Vincent que l’on découvre, en gros plan. Signe d’identification, reflet de la personne. Un visage sans voile, avec un regard qui parait mobile et réceptif, tout en gardant une insondable part de mystère. Je ne me permettrais pas de l’interpréter davantage. Ce qui est notable dans ces plans qui ont, justement, la pudeur de ne montrer que le visage et les mains, ce sont les relations d’ultra-proximité et de tendresse avec ses proches : ces corps qui le touchent, ces voix qui s’adressent à lui, ces regards qui cherchent le sien l’humanisent, et humanisent nos propres regards en attestant sa valeur et sa dignité. Les corps de ces proches ne sont pas debout devant l’homme couché mais penchés sur lui. « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime, tel que tu es ! » : voilà ce dont chaque humain a un besoin vital, quel que soit son état. En toute logique, l’ami de Vincent a la délicatesse de nous donner son témoignage personnel de l’extérieur de la chambre.

Nous avons tous besoin d’ambassadeurs de la dignité d’autrui, de médiateurs aptes à nous approcher des personnes ou communautés qui nous angoissent. Pour dépasser nos peurs, nous devons commencer par nous regarder. Si possible, dans les yeux. C’est le seul moyen d’abandonner les fausses-images, les caricatures et, notamment, cette propension à imaginer les personnes handicapées qu’on nous décrit en monstres inhumains. Quand tant de personnes éprouvent de l’effroi à l’idée de la grande dépendance, couvrir « pudiquement » le visage de Vincent, c’est presque attester son retrait du monde, à la façon dont on remonte un linceul sur la face d’un défunt.

Au contraire, ceux qui ont découvert, grâce à un ami de son enfance, que Vincent n’est aucunement un spectre bardé de tuyaux, se débattant pour mourir, mais une personne vivante et paisible malgré son ultra-dépendance, sont stupéfiés. La vidéo ne permet pas d’ajuster un diagnostic sur son degré de conscience, mais elle atteste au moins que Vincent est éveillé et aucunement en fin de vie. Son visage dit simplement : « Je suis comme je suis, mais je suis là ». Incitation au respect de sa vie car, selon l’expression d’Emmanuel Levinas, philosophe du visage par excellence : « Autrui est visage » et « Le visage, c’est ce qui nous interdit de tuer ».

Au nom de quoi faudrait-il pousser Vincent vers la sortie ? Avec le professeur Emmanuel Hirsch, directeur de l’espace éthique des Hôpitaux de Paris, interviewé sur Europe 1, dont il faut écouter l’avis, nous devons nous rappeler que Vincent a déjà survécu à 31 jours d’arrêt d’alimentation, et de réduction drastique de l’hydratation ! N’y a-t-il pas là une stupéfiante preuve d’exceptionnelle vitalité ? Car ce n’est pas la société qui empêche Vincent de mourir : c’est bien lui qui ne meurt pas. C’est son droit. Notre devoir n’est-il pas d’en prendre soin, dans un lieu adapté comme le demandent ses parents ?

Des loups sortent du bois

Paradoxe de la controverse, la saisine du CSA a été effectuée « au regard de l’application du principe de respect de la dignité humaine » par ceux-là même qui affirment qu’un patient en état neurovégétatif ou pauci-relationnel a déjà perdu sa dignité… Les promoteurs de l’euthanasie ont coutume d’abuser de la dialectique de l’émotion et n’hésitent pas à brandir des images frappantes. Je l’ai décrypté dans mon livre La Bataille de l’euthanasie à propos de sept autres affaires qui ont bouleversé l’opinion. N’aurait-on le droit de s’émouvoir que dans un sens ? Nous savons tous que certaines images fortes, de personnes et de visages (je pense à la petite fille brûlée du Vietnam), ont contribué à d’utiles prises de conscience au service de l’humanité.

Pourtant, je comprends la gêne, voire la peine, que ces images peuvent provoquer pour certains membres d’une famille divisée par l’épreuve. Je sais bien, également, que Vincent n’est pas en mesure de donner son consentement. Des circonstances exceptionnelles peuvent-elle légitimer que les « protecteurs naturels » que sont désormais les parents de Vincent aient accepté ce moyen pour répondre au reste de la société qui les accusent de s’acharner à forcer leur fils à vivre ? C’est peut-être à leurs yeux l’ultime façon de nous faire revenir à la réalité, et de le protéger de cette mort par arrêt d’alimentation et d’hydratation qui le menace.

Je m’interroge enfin sur l’acharnement de certaines personnes extérieures à attester, sans l’avoir vu, que la vie de Vincent n’en est pas une et qu’il doit donc mourir. La séquence qui fait débat aura eu le mérite de faire sortir quelques loups du bois : la menace d’exclusion des patients pauci-relationnels et neurovégétatifs est bien réelle quand on entend la façon dont certains déconsidèrent publiquement leur existence. Je préférerais qu’ils reviennent aux sages paroles du docteur Bernard Wary, co-fondateur de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) : il témoignait n’avoir jamais vu un légume dans un lit d’hôpital, et même n’avoir jamais soigné aucun « mourant » mais toujours des patients 100% vivants.

Image, pudeur et dignité 4.74/5 (94.81%) 27 votes Posted by: Tugdual Derville // FIN DE VIE, NOUVEAU, REFLEXIONS // dignité, pudeur, vincent lambert, visage // juin 11, 2015



Communiqué des avocats des parents de Vincent Lambert du 16 juin 2015

"Ce 16 juin 2015, devant la représentation nationale au Sénat, Madame le Ministre de la Santé, après avoir à deux reprises publiquement pris parti pour Madame Rachel Lambert, a officiellement reconnu :

• Que Vincent Lambert « n’est pas en fin de vie, il faut le préciser »,

• Que « l’expression de la volonté de Vincent Lambert fait l’objet d’interrogations et de débats ».

C’est là un aveu, de la part du Gouvernement, que son analyse devant la Cour européenne des droits de l’Homme de la situation médico-juridique de Vincent Lambert était erronée. Non, Vincent Lambert n’est pas en fin de vie, et arrêter son alimentation et son hydratation revient à une euthanasie. Non, à ce jour, aucune preuve sérieuse de la volonté de Vincent Lambert n’a été apportée. Les seuls éléments étaient des interprétations de sa prétendue volonté.

Depuis maintenant deux ans, l’épouse de Vincent Lambert a quitté Reims pour refaire sa vie en Belgique. Désormais, après cet aveu, il n’est plus possible d’engager une nouvelle procédure collégiale aux fins d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation au motif des prétendues volontés de Vincent LAMBERT dont Madame le ministre de tutelle du CHU de REIMS reconnaît elle-même qu’elles font l’objet « d’interrogations et de débats ». On ne peut invoquer la prétendue volonté d’un homme pour provoquer sa mort quand ses volontés sont déclarées incertaines par le supérieur hiérarchique direct du CHU de REIMS.

Dès lors, le transfert de Vincent LAMBERT vers l’établissement spécialisé qui lui a réservé une place et qui l’attend est la seule solution éthique, médicale, juridique et humaine. Nous attendons la réponse du CHU de REIMS à la demande que nous lui avons faite en ce sens au nom des parents de Vincent, qui sont quotidiennement au chevet de leur fils."

Avocats de Viviane et Pierre Lambert, parents de Vincent Lambert, le 16 juin 2015

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15 juin 2015 1 15 /06 /juin /2015 06:14

« Les frontières du bien sont incertaines, alors que les commandements fondamentaux sont clairs. » (Paul Ricœur).


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Quelques jours après la décision de la CEDH sur l’avenir de Vincent Lambert, le débat national sur la fin de vie refait surface. Cette fois-ci, au Sénat.

La discussion parlementaire en première lecture de la loi Claeys-Leonetti revient en effet dans l’actualité avec deux journées de discussion en séance publique au Sénat les 16 et 17 juin 2015. Auparavant, la réunion du 27 mai 2015 de 9 heures 35 à 12 heures 30 à la commission des affaires sociales du Sénat présidée par Alain Milon avait amendé une partie du texte adopté le 17 mars 2015 à l’Assemblée Nationale. Or, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, c’est le texte modifié par la commission qui sert de base à la discussion en séance publique.

C’est l’objet de cet article, la présentation des principales modifications effectuées en commission qui « tendent à limiter le caractère automatique des décisions qui concernent la fin de vie et à accroître ainsi la sécurité juridique des dispositifs » (Michel Amiel).

Ces modifications issues de treize amendements des rapporteurs sont de deux ordres, d’une part, des améliorations rédactionnelles qui ne prêtent pas au débat et qui seront probablement reprises en séance publique puis par les députés en seconde lecture, et d’autre part, des modifications substantielles, qui ont tendu à dissiper quelques inquiétudes suscitées par le texte adopté au Palais-Bourbon mais qui risquent de ne pas être confirmées en seconde lecture dans la mesure où elles pourraient rompre le très subtil équilibre voulu par le gouvernement socialiste. Néanmoins, cette version du texte me paraît nettement plus pertinente que celle adoptée le 17 mars 2015 par l’Assemblée Nationale.

Un équilibre que la commission sénatoriale souhaite toujours maintenir : « Nous en partageons l’esprit car [le texte] propose un juste équilibre entre la volonté des patients et le pouvoir du corps médical, entre l’obligation de préserver la vie humaine et celle de permettre à chacun de décider des conditions dans lesquelles il souhaite qu’elle s’éteigne. » (Michel Amiel).

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Comme à l’Assemblée Nationale, le Sénat avait désigné le 11 février 2015 deux rapporteurs pour présenter cette proposition de loi, les sénateurs Michel Amiel et Gérard Dériot.


Le titre de la loi

La commission sénatoriale a précisé le titre qui était à l’origine : « loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie » pour se transformer en : « loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie » (amendement COM-17).


Formation aux soins palliatifs

Dans l’article 1, au lieu d’indiquer que les personnels soignants « ont droit à une formation aux soins palliatifs », la commission sénatoriale a eu raison de vouloir transformer ce droit en obligation : « La formation initiale et continue des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des aides-soignants, des aides à domicile et des psychologues cliniciens comporte un enseignement sur les soins palliatifs. » (amendement COM-18).


L’obstination déraisonnable

L’article 2 a été modifié ainsi éviter des « conséquences qui ne correspondent pas aux objectifs poursuivis » : « Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et à l’issue d’une procédure collégiale. Cette procédure collégiale réunit l’ensemble de l’équipe soignante et associe la personne de confiance ou, à défaut, les membres de la famille ou les proches qui le souhaitent. » (amendement COM-19).

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Une modification très importante du texte a été adoptée avec la suppression du troisième alinéa de l’article 2 voté par les députés qui affirmait : « La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement. ». Cette disposition avait choqué beaucoup de sénateurs (et beaucoup de députés aussi), et en particulier les médecins, elle a été supprimée au dernier moment au cours de la discussion.


Les conditions du recours à la sédation profonde et continue

L’article 3 a été modifié pour « mieux distinguer » les différents cas et pour supprimer l’expression très maladroite "ne pas prolonger inutilement sa vie" : « Une sédation profonde et continue jusqu’au décès associée à une analgésie et à l’arrêt des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre dans le cas suivants (…) » et suivent les deux cas déjà prévus par le texte des députés, mais exprimés plus précisément : « 1° Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui présente une souffrance réfractaire à tout autre traitement, exprime la volonté d’éviter toute souffrance ; 2° Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté et sauf si ses directives anticipées s’y opposent, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie au titre de l’obstination déraisonnable et que la souffrance du patient est jugée réfractaire. » (amendement COM-20).

J’ai mis toute la citation (sauf le paragraphe concernant la procédure collégiale) car chaque mot et ponctuation compte dans sa signification, tant en droit qu’en médecine. C’est le cœur de la proposition de loi. Dans la version des députés, trois cas avaient été énumérés, quand le patient présente une souffrance, quand le patient décide d’arrêter son traitement et quand le patient ne peut pas exprimer sa volonté, la version sénatoriale a rassemblé les deux premiers cas dans la volonté d’éviter toute souffrance.

Ce qui est troublant, c’est que le second cas ne précise pas que le patient doit être "atteint d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme" mais seulement qu’il est "hors d’état d’exprimer sa volonté". C’est clair que cette modification est d’une importance capitale, réalisée le 27 mai 2015, donc avant le 5 juin 2015, car si elle était adoptée, elle donnerait toutes les bases juridiques pour l’arrêt d’alimentation de Vincent Lambert qui, lui, ne présente aucune affection "dont le pronostic vital est engagé à court terme" (l’appréciation de la souffrance restant une chose très subjective). Je regrette donc cette absence de précision qui peut juridiquement élargir le champ d’application du texte plus que dans l’esprit annoncé.

Par ailleurs, l’amendement COM-21 a récrit l’article 4 de la proposition de loi sur les conditions de soulager la souffrance sans en changer le sens mais pour une meilleure clarté de le forme.

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L’amendement COM-22 a supprimé le rajout par les députés d’un article 4 bis qui prévoyait un rapport annuel exhaustif et actualisé des agences régionales de santé sur la situation en fin de vie qui n’était pas présent dans le texte d’origine. L’amendement COM-29 a supprimé également un autre rajout des députés, l’article 14, sur la remise d’un autre rapport par le gouvernement au Parlement sur l’application de cette loi (l’article 15 de la loi du 22 avril 2005 prévoit déjà cette obligation de rapport). Ces rapports feraient en effet double emploi avec d’autres rapports déjà obligatoires par la réglementation ou la loi et la remise de tels rapports pourrait faire resurgir chaque année le thème de la fin de vie alors que l’idée de cette proposition de loi est justement d’atteindre un équilibre juridique durable.


Le respect des directives anticipées

La commission a voulu étendre le recours à procédure collégiale (qui est actuellement à valeur réglementaire) et renforcer la place de la personne de confiance dans l’article 8. Elle a rétabli la possibilité de rédiger les directives anticipées selon un modèle particulier. Le modèle est donc facultatif et n’est plus obligatoire comme dans la version précédente du texte (notons au passage que la personne pourra indiquer si elle se sait atteinte d’une affection grave ou pas, la volonté en connaissance de cause ayant plus de poids).

L’expression "manifestation inappropriées" a été supprimée car trop vague, dans le cas où le médecin s’oppose aux directives anticipées : « Le médecin n’est pas tenu de se conformer aux directives anticipées du patient lorsque sa situation médicale ne correspond pas aux circonstances visées par ces directives ou en cas d’urgence vitale (…). » et c’est suivi d’un complément qui impose la procédure collégiale : « La possibilité d’appliquer les directives anticipées au regard de la situation médicale du patient est examinée dans le cadre d’une procédure collégiale (…). » (amendement COM-25). Il a été prévu l’inscription de cette décision au dossier médical et sa communication à la personne de confiance ou à un proche.

Pour les corapporteurs, la tournure de cet article a réduit le poids du médecin par rapport à la précédente version parce que le texte précise mieux les exceptions.


La personne de confiance

Il a été proposé aussi de modifier l’article 9 pour rendre obligatoire la cosignature par la personne de confiance de sa désignation comme telle, afin d’être sûr qu’elle acceptera de remplir cette mission : « Cette désignation est faite par écrit et cosignée par la personne désignée. » (amendement COM-26 ; à noter pour l’anecdote que ma version du tableau comparatif présente une faute d’orthographe "désignation et faite" au lieu de "est faite", ce qui devrait nécessiter une nouvelle modification en séance publique).

Un autre rajout donne un poids supplémentaire à la personne de confiance : « Lorsque le patient qui a désigné une personne de confiance est hors d’état d’exprimer sa volonté, cette personne rend compte de la volonté du patient. L’expression de cette volonté prévaut sur tout autre élément permettant d’établir la volonté du patient à l’exclusion des directives anticipées. » (amendement COM-26). Cette disposition aura pour effet de départager une famille divisée dans l’appréciation de cette volonté. Ainsi, en fonction de la personne de confiance qu’aurait désignée Vincent Lambert, son épouse ou sa mère, le "témoignage" de cette personne de confiance aurait été déterminant sur l’arrêt de son alimentation.

J’ai utilisé le mot "témoignage" mais les rapporteurs ont préféré l’idée de "mandataire" à l’idée de "témoin" qui est surtout utilisée dans les procédures judiciaires.


Les débats en commission le 27 mai 2015

Les sénateurs de la commission des affaires sociales du Sénat ont préparé la discussion en séance publique de cette proposition de loi.

La sénatrice Annie David, qui aurait souhaité "aller plus loin", a précisé l’objet de cette proposition : « Cette proposition de loi ne concerne pas les personnes malades qui veulent mourir mais celles qui vont mourir. Là est toute la différence avec l’euthanasie active. ».

Le corapporteur Michel Amiel a fait part de sa propre expérience : « "Docteur, faites tout ce que vous voulez mais je ne veux pas souffrir" entend-on souvent. Tout change lorsque l’on se trouve au seuil de la mort. En trente-cinq ans de pratique médicale, j’ai accompagné de très nombreuses personnes en fin de vie. Je n’ai reçu que quatre demandes d’euthanasie active. De nombreux collègues peuvent citer des chiffres équivalents. Cette demande d’aide à mourir s’étiole au fur et à mesure que l’on approche de la fin, hormis quelques cas marginaux qui persistent à vouloir l’euthanasie ou le suicide assisté. » et il a ajouté : « Cette proposition de loi protège le médecin, la société, la famille et l’entourage, ainsi que le patient lui-même. Sédation profonde et continue et geste d’euthanasie active sont cliniquement et pharmacologiquement différents. ».

Michel Amiel a annoncé que c’est le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité d’éthique, qui a été chargé par la Haute Autorité de santé de proposer un modèle de formulaire pour la rédaction des directives anticipées.

Le sénateur Bruno Gilles a buté sur l’article 2 qui considère que « la nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement » alors que le Comité d’éthique avait donné une autre vision dans son avis du 5 mai 2014 : « Le seul fait de devoir irréversiblement, et sans espoir d’amélioration, dépendre d’une assistance nutritionnelle pour vivre ne caractérise pas à soi seul un maintien artificiel de la vie et une obstination déraisonnable. » (on voit l’importance de cet avis pour la situation de Vincent Lambert).

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Répondant aux critiques de certains sénateurs qui assimilaient la sédation profonde à une euthanasie masquée, Michel Amiel a réfuté cette idée : « Je ne crois pas que la sédation profonde et continue soit une euthanasie déguisée. (…) Il s’agit d’accompagner la fin de vie. C’est très important d’un point de vue émotionnel. Les familles n’appréhendent pas de la même manière le fait que l’on endorme un patient jusqu’à la mort ou qu’on lui fasse une piqûre létale. Les substances et les effets sont différents. Par doctrine du double effet, on suggère l’idée que le geste pratiqué entraîne la mort, sans que ce but soit recherché. À ceux qui la critiquent, je rappelle que cette doctrine philosophique efficace est due à saint Thomas d’Aquin, au XIIIe siècle. (…) Je ne voudrais pas non plus que l’euthanasie soit une solution expéditive pour passer à autre chose. Cette loi n’est ni fade ni tiède ; elle protège la dignité humaine du patient, la responsabilité juridique du médecin, l’entourage et la société. ».

La sénatrice Catherine Génisson a évoqué, elle aussi, les risques d’arrêt de l’hydratation artificielle : « J’ai entendu un professeur de médecine qui travaille sur les chemins de la conscience dire que même en situation végétative, on n’est pas sans conscience. En ce cas, le manque d’hydratation peut être une torture atroce pour le malade. L’hydratation n’assure pas la survie mais garantit une qualité de fin de vie essentielle dans le maintien de la dignité humaine. ».


Un texte nettement amélioré

La commission sénatoriale a fait un grand travail d’amélioration en éliminant la plupart des aspérités du texte voté en première lecture par les députés, à savoir des expressions qui faisaient polémiques comme "prolonger inutilement la vie", "manifestement inappropriés" ou encore sur la norme juridique énoncée par le Conseil d’État le 24 juin 2014 qui voudrait que l’hydratation et la nutrition artificielles seraient des "traitements" (dont le patient peut demander l’arrêt comme tout traitement médical) et pas des soins.

Les deux rapporteurs ont aussi refusé les amendements tendant à légaliser l’euthanasie ou le suicide assisté et ont maintenu les dispositions voulues par le gouvernement afin de pérenniser le texte en seconde lecture, en particulier le fait que ce soit le juge des tutelles qui soit saisi du cas des personnes placées sous sa protection : « Le juge devra vérifier qu’une personne placée sous sa protection ou sous celle du conseil de famille est bien en capacité de s’exprimer sur cette question et n’est pas abusée. » (Claire-Lise Campion le 27 mai 2015).

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Le corapporteur Gérard Dériot a admis que ce texte « n’apporte pas de modifications substantielles à la loi Leonetti » mais seulement des « précisions utiles pour éclairer les familles et le monde médical ». Il a rappelé qu’il y a dix ans, les sénateurs avaient eu la « volonté farouche d’adopter [la loi Leonetti] par un vote conforme à la suite du vote unanime de l’Assemblée Nationale » (c’est-à-dire, sans amender le texte pour préserver cette unanimité). Pour cette proposition-ci, comme l’unanimité n’a pas pu être obtenue au Palais-Bourbon, les sénateurs se sont donné la possibilité de perfectionner le texte et donc de provoquer une seconde lecture.

Plus exactement, pour l’instant, c’était la position de la commission, la discussion en séance publique aura donc lieu au Sénat ces mardi 16 et mercredi 17 juin 2015 et pourra reprendre, le cas échéant, le mardi 23 juin 2015. Toute modification adoptée par le Sénat, pour qu’elle soit utile, devra être admissible par l’Assemblée Nationale lorsque la discussion repassera en seconde lecture.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 juin 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Chaque vie humaine compte.
Discussion de la loi Claeys-Leonetti en commission au Sénat.
Le rapport du 27 mai 2015 du Sénat sur la loi Claeys-Leonetti (à télécharger).
Euthanasie et construction européenne.
Le modèle républicain en question.
L’arrêt de la CEDH du 5 juin 2015 sur requête n°46043/14 (à télécharger).
Société barbare ?
Débrancher ?
La Cour européenne des droits de l'Homme.
La peine de mort.
Les sondages sur la fin de vie.
Les dix ans de la loi Leonetti.
Le vote de la loi Claeys-Leonetti en première lecture.
La loi Claeys-Leonetti en débat parlementaire.
Verbatim de la proposition Claeys-Leonetti en commission.
La proposition Claeys-Leonetti modifiée en commission.
L'euthanasie, une fausse solution.
François Hollande et la fin de vie.
Commentaire sur la proposition Claeys-Leonetti.
La consultation participative du Palais-Bourbon.
La proposition de loi n°2512 (texte intégral).
Le débat sur la fin de vie à l'Assemblée Nationale du 21 janvier 2015.
Les directives anticipées.
L'impossible destin.
La proposition Massonneau.
Présentation du rapport Claeys-Leonetti (21 janvier 2015).
Le rapport Claeys-Leonetti du 12 décembre 2014 (à télécharger).
Vidéo de François Hollande du 12 décembre 2014.
Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie du 21 octobre 2014 (à télécharger).
Le verdict du Conseil d'État et les risques de dérives.
Le risque de la GPA.
La décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 (texte intégral de la déclaration de Jean-Marc Sauvé).
L'élimination des plus faibles ?
Vers le rétablissement de la peine de mort ?
De Michael Schumacher à Vincent Lambert.
La nouvelle culture de la mort.
La dignité et le handicap.
Communiqué de l'Académie de Médecine du 20 janvier 2014 sur la fin de vie (texte intégral).
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national d’éthique.
Le CCNE refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de Valence ?
L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre 2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.

_yartiFinDeVie2015AE02


http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150615-loi-claeys-leonetti-2015AQ.html

http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/loi-claeys-leonetti-les-168423

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/06/15/32202321.html


 

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11 juin 2015 4 11 /06 /juin /2015 06:10

« Une telle prise en charge, qui équivaut à une véritable politique de solidarité fondée sur la reconnaissance des personnes que la maladie, l’âge et le handicap ont reléguées à la périphérie de la société, implique que l’on ait accepté que l’humanité de l’homme n’est pas subordonnée aux capacités cognitives permettant de s’affirmer dans un monde où l’on fait valoir ses désirs et ses valeurs, sa valeur, en opposition à ceux des autres. (…) Un tel changement dans la manière de concevoir l’humanité de l’homme et même de penser le bonheur humain, de penser une vie de qualité, qui peut renvoyer à des normes présentes, à l’individu tel qu’il se définit au présent, va de pair avec une véritable redéfinition de la justice. Celle-ci n’est pas limitée aux personnes autonomes ni définie seulement en termes d’allocation de ressources permettant à chacun de faire des choix et d’en changer, mais elle intègre essentiellement notre considération pour tout autrui qui a besoin d’un autre pour conserver son estime de soi et s’intégrer, d’une manière ou d’une autre, à la société. » (Corine Pelluchon, agrégée et docteur en philosophie, maître de conférences à Poitiers, dans "Lévinas et l’éthique médicale", Cahier d’Études Lévinassiennes, n°9, 2010, pp.239-256).


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Peut-on être, comme moi, à la fois contre l’euthanasie et pour la construction européenne ? La question, posée dans l’une des réactions à mes précédents articles sur la situation douloureuse de Vincent Lambert, m’a paru étonnante mais avait néanmoins sa cohérence que je souhaite analyser.

L’idée à laquelle je souscris, c’est que la légalisation de l’euthanasie est une mesure "ultralibérale" en ce sens qu’elle dérégulerait complètement l’acte de tuer. L’autre idée sous-jacente, à laquelle je ne souscris pas, cette fois, c’est que la construction européenne serait le vecteur de l’ultralibéralisme et, par une voie de conséquence à laquelle je ne souscris pas non plus, le vecteur de l’asservissement des peuples.

La question posée est étonnante car je considère (et ce sera aussi ma conclusion) que la position sur l’euthanasie et la position sur la construction européenne sont deux sujets très différents, découplés, indépendants, à tel point d’ailleurs qu’on trouve dans "l’opinion publique" les quatre cas de figure (pour/contre) sans compter les indifférents ou sans opinion.


Le principe de subsidiarité

D’ailleurs, il y a un principe fondamental qui avait été érigé dans la construction européenne (et inscrit dans les traités), mais qui semble de plus en plus oublié, notamment par ceux-là même qui font vivre aujourd’hui les institutions européennes, c’est le principe de subsidiarité qui veut que la résolution d’un problème doit se faire à l’échelon géographique le plus petit possible (le plus élémentaire). Ainsi, l’éducation n’a aucune vocation à être européenne, elle est nationale (voire régionale en Allemagne). En revanche, le seul échelon valable pour toute politique environnementale efficace est forcément supranational (et même supraeuropéen).

Ainsi, la France, très spécifique et minoritaire pour certains sujets, comme la laïcité, le refus des communautarismes, et qui considère que l’éthique doit garder une place majeure dans les développements économiques, technologiques et sociaux, fait figure parfois d’incompris au sein du "concert" européen.

Et les question d’éthique font partie de ces enjeux nationaux même si l’on comprend bien que la circulation au-delà des frontières permet des entorses au droit national, comme pour une GPA (gestation pour le compte d’autrui) effectuée à l’étranger.

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Chaque pays doit conserver évidemment sa culture, ses traditions, ses valeurs et l’idée d’universaliser certaines valeurs n’est pas sans raison, parce que les valeurs de l’humain sont universelles, mais c’est moins évident d’y trouver l’accord de tous les États, européens ou au-delà. Pour l’abolition de la peine de mort, par exemple, cette convergence des valeurs a eu lieu, mais que très récemment, au début des années 2000 (on revient de loin).


L’euthanasie et le handicap

Mais revenons à l’euthanasie. Est-elle un acte foncièrement libéral ? Probablement que oui. Libertaire en tout cas, et il suffit de connaître le principal argument de ceux qui militent pour sa légalisation : avoir la liberté de choisir sa mort. C’est le mot liberté qui l’emporte sur l’égalité (un argument peu développé mais qui existe cependant, en disant que l’euthanasie se fait déjà, mais seulement pour certaines personnes privilégiées et que la légalisation en ferait "profiter" tout le monde, également). La liberté est un argument qui porte, assurément.

C’est un argument d’une grande prétention : comme si les être humains pouvaient maîtriser leur mort, à défaut de maîtriser leur naissance voire leur vie tout entière.

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Est-ce que la légalisation de l’euthanasie va dans le sens de la libéralisation d’une économie mondialisée ? Probablement que oui aussi : les principes d’une "économie naturelle" (c’est-à-dire sans régulation) tendent vers l’élimination des individus qui ne sont pas productifs. Je préciserais, qui ne sont plus productifs, puisque les enfants ont encore cette promesse de devenir productif dans le futur et les éduquer, s’en occuper peut, d’un point de vue purement comptable, être considéré comme un investissement. On imagine les dérives de telles idées sur les personnes malades, les personnes qui ont un handicap, les personnes âgées, et même, parce qu’ils sont très nombreux et parfois stigmatisés (scandaleusement), les demandeurs d’emploi, voire d’autres catégories de personnes qui seraient considérés comme "socialement inutiles". Ravage de l’esprit comptable et marchand sur l’éthique.

Une objection peut cependant survenir à ce développement : l’euthanasie pourrait aussi être le bras armé d’une dictature qui voudrait "homogénéiser" une société. Cela signifie qu’au contraire d’être porteuse de libéralisme, l’euthanasie pourrait être porteuse d’un dirigisme étatique massif, celui de contrôler au mieux la population. Cette objection me paraît recevable.

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Au-delà de l'euthanasie, il y a les personnes qui ont un handicap lourd et qu'il faut protéger et pas tuer, c'est une question de solidarité qui va peu, effectivement, dans le sens de la marchandisation de la société. Ceux qui se scandalisent d'une atteinte à la dignité de Vincent Lambert en raison de son droit à l'image lors de la diffusion d'une vidéo ont une drôle de conception de la dignité alors qu'ils militent et font pression pour laisser mourir Vincent. Ils présentent un aspect assez pourri de l'éthique d'une certaine partie de la société sur les rapports qu'on doit avoir auprès des personnes les plus vulnérables. La première dignité de l'être humain, c'est d'avoir le droit de vivre, même avec une infirmité lourde, et si cette vidéo a pu contribuer à faire comprendre que Vincent est bien vivant et, contrairement à ce qu'affirment ceux qui veulent le faire affamer, il n'est pas à débrancher car il n'est pas "branché" pour se maintenir en vie.


Et l’Europe, c’est d’abord la paix

Passons maintenant à la construction européenne. Elle est aujourd’hui constamment dénigrée et rarement défendue, comme si c’était honteux d’être pour l’Europe. Je m’honore en tout cas à vouloir la défendre, et si c’était publiquement plus facile dans les années 1980 que dans les années 2010, sa nécessité n’a pas pour autant varié : l’union de tous les pays européens qui se faisaient la guerre depuis trois mille ans a permis soixante-dix ans de paix, et rares sont les périodes de l’histoire qui n’ont pas connu de guerre sur le territoire de l’Union Européenne (prenons seulement les six pays fondateurs) pendant une durée aussi longue.

On croit que le retour à la guerre n’est pas possible et que la paix a d’autres raisons que l’unification européenne. Pourtant, personne n’aurait imaginé la guerre en ex-Yougoslavie lors des jeux olympiques de Sarajevo en 1984. Personne n’aurait non plus imaginé la guerre fratricide en Ukraine (qui, je le précise, n’est pas membre de l’Union Européenne) il y a seulement quelques années (une guerre qui est un non-sens pour la population). Il suffit de regarder l’Europe il y a deux siècles (celle du Congrès de Vienne) ou il y a un siècle (celle de Sarajevo) pour comprendre à quel point cette paix est une exception historique.

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Il existe toujours mille germes au sein de l’Europe qui pourraient engendrer des conflits armés. Que ce soie,t les revendications basques, irlandaises, bretonnes, l’opposition entre les Flamands et les Wallons, entre les Hongrois et les Roumains, etc. bref, il y a plein de capacité de dissension territoriale ou de population qui peut surgir du jour au lendemain par l’action de nationalistes ou de politiques irresponsables.

On peut aussi noter, sans aller au-delà dans les comparaisons, que les grands ensembles qui laissent une certaine autonomie intérieure permettent la coexistence pacifique, c’était le cas dans l’ex-Union Soviétique et dans l’ex-Yougoslavie, mais aussi dans l’actuelle Allemagne, l’actuelle Italie et même l’actuelle Espagne. Quant à l’actuel Royaume-Uni, s’il devait y avoir une séparation, ce serait par les urnes (le référendum écossais pourrait très bien être renouvelé) et pas par les armes, au même titre que la séparation entre Tchèques et Slovaques. Il est vrai aussi que la prospérité et la croissance sont peu compatibles avec la guerre, ce que certains pays belligérants devraient savoir.


L’Europe, c’est aussi la puissance économique

À la différence d’il y a soixante-cinq ans et de la déclaration de Robert Schuman le 9 mai 1950 annonçant les fondements de la construction européenne, il y a eu une évolution sur le plan économique. Aujourd’hui, les marchés sont mondiaux, l’économie est globalisée et Internet, depuis vingt ans, a renforcé cette évolution déjà en cours antérieurement. Il est possible d’acheter des produits aussi bien en Australie, au Japon, qu’en France, aux États-Unis, etc. sans quitter son fauteuil. Le consommateur y trouve son intérêt mais le producteur et le salarié un peu moins.

Dire que les institutions de l’Union Européenne sont vouées à "asservir" les nations à un système "ultralibéral" me paraît non seulement exagéré mais inexact, pour plusieurs raisons.

D’une part, les institutions européennes ne sont qu’une coquille, qu’un contenant, qu’un outil, comme toutes les institutions, et ne préjugent pas du contenu, des politiques suivies, qui, elles, sont le fait d’hommes (et de femmes bien sûr) et depuis mai 2014, les institutions se sont beaucoup démocratisées, cela s’est passé sans doute très discrètement pour ne pas attiser les réactions nationalisantes, mais la Commission Juncker est issue d’un véritable processus démocratique dans la mesure où le parti qui a gagné les élections européennes du 25 mai 2014 (à savoir le PPE) avait clairement annoncé qu’en cas de victoire, ce serait Jean-Claude Juncker qui présiderait la Commission Européenne. Il avait présenté son programme et, pour l’heure, il semble s’y tenir.

D’autre part, c’est avoir une vision très eurocentrique de ne pas pouvoir imaginer le monde sans les Européens. Les institutions européennes ne sont pas responsables de l’économie mondiale actuelle et de sa globalisation. C’est l’émergence de pays comme l’Inde et la Chine qui a bouleversé la donne économique mondiale. Et comme maintenant, les Chinois sous-traitent auprès de pays comme le Laos, la Thaïlande ou encore l’Éthiopie, il faut s’attendre que dans une vingtaine d’années, ces pays auront, eux aussi, leurs justes revendications.

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Au contraire, c’est l’absence totale d’organisation qui laisserait le champ à la financiarisation de l’économie mondiale (car le problème est bien là, sa financiarisation). L’existence de l’Union Européenne répond donc plus à une logique de régulation qu’à une logique de libéralisation. Limiter le temps de travail à 50 heures par semaine comme le proposait le Traité constitutionnel européen, cela ne réduisait pas les acquis sociaux en France, mais cela limitait les abus sociaux dans certains pays comme la Grande-Bretagne et la Pologne.

L'Europe est devenue le bouc émissaire de la crise économique structurelle que connaissent la France mais aussi ses voisins européens. Pourtant, l'Europe a contribué à réduire les effets néfastes de la crise. En septembre 2008, quelle aurait été la situation financière et sociale de la France sans l'euro ? Cela ne signifie pas que l'Union Européenne soit parfaite, mais au contraire qu'il faut continuer à l'améliorer au lieu de vouloir la détruire.


Le statu quo n’est pas possible

D’ailleurs, il y a un véritable paradoxe chez les personnes qui rejettent la construction européenne telle qu’elle s’est bâtie historiquement, à avoir voté pour le "non" le 29 mai 2005 sans se rendre compte qu’en votant "non", ils votaient pour le statu quo. Or, le statu quo est une impasse. C’est comme si l’on était au milieu du gué et que l’on restait immobile, apeuré comme un hérisson sans savoir quoi faire, avancer ou reculer, alors que le flux du ruisseau devient violent.

C’est le plus gros reproche qu’on peut faire d’ailleurs aux gouvernants depuis vingt ans, c’est de n’avoir aucune vision européenne. D’avoir géré en notaires de province les institutions européennes et de devoir sans arrêt coller des rustines à chaque "crise" depuis le grand élargissement (en 2004). C’est d’ailleurs la volonté de la Commission Juncker de s’occuper de moins de choses (pas de la longueur des bananes !) mais des choses les plus importantes et plus efficacement (on va voir ce que cela va donner pour l’immigration, par exemple, qui est un sujet européen et pas national, bien sûr). C’est ce que j’ai appelé la débarrosoïsation (José Manuel Barroso fut effectivement un dirigeant très libéral qui visiblement n’a jamais compris les subtilités de la politique intérieure française).

Alors, pointer du doigt les défauts de l’Europe actuelle, c’est facile et tout le monde peut le faire. Avec d’ailleurs un petit plus pour les gouvernants français qui, de gauche comme de droite, ont toujours joué sur une malhonnête schizophrénie intellectuelle de dénoncer Bruxelles à Paris et de prendre activement part aux décisions de Bruxelles à Bruxelles (justement, sur l’immigration, le double langage du gouvernement actuel est effarant, avec un Premier Ministre qui dénonce à Menton ce que son Ministre de l’Intérieur, pourtant présent à Menton, avait construit à Bruxelles quelques heures auparavant. Ce double langage n’a qu’un but électoraliste et provient de la lâcheté de refuser d’assumer sa propre politique nationale.

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Mais au-delà de critiquer, que proposer de constructif ? Les partisans de la construction européenne sont au moins cohérents : ils ne sont pas satisfaits de la situation actuelle, et ils veulent une véritable gouvernance politique de la zone euro afin d’éviter que la Banque centrale européenne (BCE) prenne seule toutes les décisions concernant l’euro, et ils veulent plus de démocratie dans les institutions européennes, ce qui commence par une clarification des centres de pouvoir et l’élection au suffrage universel direct d’un véritable Président de l’Union qui présiderait également la Commission Européenne avec une légitimité populaire qui manque aujourd’hui.


Faire confiance en l’humain

Par ailleurs, être favorable à la liberté économique, c’est d’abord faire confiance à la personne humaine avant de la soupçonner, avant de la contrôler, c’est d’abord la croire responsable. Cette liberté ne peut être totale (on appellerait cela la loi de la jungle), il est nécessaire d’avoir des entités qui régulent (des États avec des lois, des organisations internationales avec des traités, etc.) mais cette intervention ne doit pas se faire en s’opposant à l’humain. Jamais une économie planifiée ou collectiviste n’a été favorable à l’humain, elle a toujours privilégié la survie du système à l’individu. La liberté d’entreprendre et de consommer est une règle de base, avec des limites et des normes qui doivent avoir leur propre utilité (sociale, environnementale, économique, politique, éthique, etc.) et qui doivent aussi montrer leur efficacité.

Quel rapport avec l’humain ? Rien ou au contraire, tout. Ceux qui ont jeté les bases de la construction européenne étaient des personnalités qui se reconnaissaient dans le courant démocrate-chrétien, historiquement dans le "personnalisme communautaire" (j’en ai présenté une partie ici), et même Jacques Delors, socialiste, s'est inscrit dans ce christianisme qui a agi au service de la société. En d’autres termes, l’Europe actuelle est le fruit de ces responsables historiques pour qui la valeur d’un être humain est supérieure à toute autre considération, et vaut donc bien plus que n’importe qu’elle préoccupation marchande (cela a même été réaffirmé par le pape François à Strasbourg). Je n’en dirais peut-être pas la même chose pour ceux qui, aujourd’hui, font vivre ces institutions. Mais faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ?


Le collectif et l’intime

Aujourd’hui, les États-Unis, la Russie, la Chine, le Japon, tous souhaitent l’échec de l’unité européenne parce que tous savent qu’une puissance de cinq cent millions de personnes convergeant vers les mêmes objectifs aurait une force redoutable. L’erreur actuelle est d’avoir voulu instaurer la concurrence à l’intérieur des frontières européennes alors qu’il aurait au contraire fallu instaurer la solidarité à l’intérieur pour faire face à la concurrence économique à l’extérieur. Or, c’était aux gouvernements de faire cette impulsion. Aucun ne l’a faite et aujourd’hui, il faut bien reconnaître que le seul dirigeant européen qui a vraiment compris l’enjeu historique est le Premier Ministre britannique David Cameron qui, pour des raisons électorales, pourrait déclencher un électrochoc salutaire dans les institutions européennes.

Refuser la légalisation de l’euthanasie et promouvoir la construction européenne, cela me paraît donc, en ce qui me concerne, cohérent en ce sens que la personne est mise en avant au-delà de toutes autres considérations, mais la réalité est que ce sont deux sujets très différents, l’un qui ressort de l’intime et qui devrait même le rester, et l’autre, qui ressort d’un destin collectif et qui fait état d’une réalité économique globalisée sur laquelle l’Europe a peu d’influence sinon en s’organisant en profondeur.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 juin 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Chaque vie humaine compte.
Euthanasie et construction européenne.
Le modèle républicain en question.
Société barbare ?
La peine de mort.
Les sondages sur la fin de vie.
L’euthanasie, une fausse solution.
Le TCE.
L’Europe, c’est la paix.
La France est-elle libérale ?
Le pape pour le renouveau de l’Europe.
Le monde multipolaire.
La honte.

_yartiFinDeVie2015AE03


http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150611-vincent-lambert-2015AP.html

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/euthanasie-et-construction-168387

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/06/11/32198199.html

 

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10 juin 2015 3 10 /06 /juin /2015 06:46

À partir de quel seuil de handicap lourd la société se permettrait-elle d’éliminer une personne ? Argument économique, argument utilitariste… Il ne faut pas se tromper ; l’évolution actuelle va gravement entamer les droits humains des plus vulnérables sous prétexte de "compassion".


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Les réactions à la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) du 5 juin 2015 concernant la situation de Vincent Lambert ont été multiples et très diversifiées. Beaucoup malheureusement tiennent peu compte de l’état de Vincent Lambert et profitent de cette affaire judiciaire (Jean Leonetti a parlé improprement d’acharnement judiciaire) pour l’instrumentaliser au profit de leur volonté de légaliser l’euthanasie. Et pourtant, même si l’euthanasie était légalisée, l’arrêt des soins de Vincent Lambert serait tout aussi scandaleux qu’aujourd’hui.

Pourquoi ?
Parce qu’il n’y a jamais eu aucun acharnement thérapeutique à le maintenir en vie.


1. Vincent n’est pas maintenu artificiellement en vie

Vincent n’est pas maintenu artificiellement en vie : il vit sans aucune machine. Il est capable de respirer seul, sans respirateur artificiel, de voir, même de remuer parfois une jambe sans aide de machine. S’il est encore vivant presque sept ans après son accident, ce n’est pas grâce au progrès de la médecine, ou du moins, excepté les soins qu’il a reçus en réanimation, sa longévité ne provient pas de machines médicales mais simplement de sa capacité naturelle à survivre. Il est capable de digérer seul : « la voie gastro-intestinale est intacte et fonctionne », comme le remarquent cinq juges de la CEDH. Il n’est pas un légume, il n’est pas dans un état végétatif. Il est capable de suivre quelqu’un du regard. Il est une personne humaine à part entière !

Cette vidéo prise le 5 juin 2015 et mise en ligne le 9 juin 2015 montre à quel point Vincent est capable de suivre ses interlocuteurs qu'ils soient présents ou qu'ils soient au téléphone.

https://www.youtube.com/watch?v=x5wBOz627wU





Le seul impératif qui est valable aussi pour des milliers de patients dans les hôpitaux ou dans des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), c’est qu’il est nécessaire de donner à manger à Vincent car sa paralysie motrice l’empêche de le faire lui-même. Ses parents d’ailleurs ont vu une lente évolution depuis plusieurs mois et il serait capable de déglutir mais avec de grosses difficultés, ce qui lui permettrait de se passer d’une alimentation directement reliée à l’estomac. J’aurais pu aussi comparer avec les nourrissons mais la grande différence, évidemment, c’est que l’état des nourrissons évoluera de manière à devenir autonome, ce qui n’est pas le cas des personnes soit qui ont un handicap lourd comme Vincent, soit qui sont malades ou très âgées, dont la dépendance est pratiquement définitive (du moins pour la grande majorité d’entre elles).

Les parents de Vincent avaient d’ailleurs fait état de leurs observations devant la CEDH le 16 octobre 2014 : « La Cour doit savoir que [Vincent], comme toutes les personnes en état de conscience gravement altérée, est néanmoins susceptible d’être levé, habillé, placé dans un fauteuil, sorti de sa chambre. De nombreuses personnes dans un état similaire à celui de [Vincent], sont habituellement résidentes dans un établissement de soins spécialisé, et peuvent passer le week-end ou quelques vacances en famille (…). Et précisément, leur alimentation entérale permet cette forme d’autonomie. Le docteur Kariger avait d’ailleurs donné son accord en septembre 2012 pour que ses parents puissent emmener [Vincent] en vacances dans le sud de la France. C’était six mois avant sa première décision de lui supprimer son alimentation… et alors que son état de santé n’avait pas changé ! ».

Faut-il le préciser ? Les personnes incapables se nourrir tout seules sont généralement incapables d’aller aux toilettes tout seules. Cela peut être impressionnant pour une personne bien-portante mais c’est le quotidien de très nombreuses personnes travaillant dans les équipes de soins. Ce n’est pas la chose la plus grave pour une personne dépendante.

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Autre question cruciale : Vincent souffre-t-il ? Selon la plupart des spécialistes de cet état de santé, la réponse semble négative. D’ailleurs, lorsque Vincent est en situation d’inconfort, il est capable de remuer sa jambe gauche pour le signaler. Tout porte à croire qu’une souffrance du moins physique serait signalée de la même manière. Quant aux souffrances psychiques, elles existent sûrement (qui ne les aurait pas ?) mais il n’est pas possible de déterminer le niveau de conscience réelle de son propre état. Le seul indice, c’est que privé d’alimentation et avec une faible hydratation, Vincent a montré une véritable force de rester en vie pendant trente et un jours (du 10 avril au 11 mai 2013), ce qui donne une indication à ne pas vouloir se laisser mourir.

Et j’en viens au troisième point qui est l’essentiel de l’argumentation du Conseil d’État dans sa décision du 24 juin 2014 : Vincent aurait-il souhaité mourir dans l’état où il se trouve ? Et une autre question : Vincent veut-il aujourd’hui mourir dans l’état où il se trouve ?

La première question n’a pas reçu de réponse très certaine. Seul, le témoignage de son épouse, qui l’a quitté pour vivre en Belgique aujourd’hui (au contraire de ses parents qui ont déménagé de la Drôme pour venir auprès de lui), quatre années après l’accident, pourrait faire foi, mais sa mère infirme un tel témoignage. Dans tous les cas, il n’a rédigé aucune directive anticipée avant l’accident alors qu’il était déjà sensibilisé à ce sujet puisqu’il était infirmier.

La seconde question est encore plus difficile puisqu’il est impossible aujourd’hui de savoir ce qu’il se passe  actuellement dans l’esprit de Vincent. Le seul indice, c’était sa détermination à ne pas se laisser mourir malgré l’arrêt de son alimentation. C’est juste un indice qui en dit long sur son amour de la vie (ceux qui se laissent mourir ne tiennent généralement pas plus de dix jours).


2. L’État doit protéger les citoyens les plus faibles

C’est ce qui m’a choqué dans la décision de la CEDH qui considère que l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme n’est pas mis à mal malgré l’autorisation de l’État à arrêter purement et simplement de nourrir un patient qui ne vit pas artificiellement, qui n’est pas en fin de vie, qui n’est pas malade (seules situations dans lesquelles s’applique la loi Leonetti du 22 avril 2005).

Dans cet article 2, il est proclamé : « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. ». En autorisant l’arrêt de l’alimentation, l’État ne protège plus la vie d’une personne faible et incapable de se défendre.

La décision de la CEDH du 5 juin 2015 (on peut télécharger le texte intégral de l’arrêt ici) n’a pas évoqué le fond mais indique seulement que les procédures décisionnelles ont été régulièrement respectées au regard de la loi pour aboutir aux conclusions du Conseil d’État. La Cour européenne estime qu’elle ne peut pas se prononcer sur le fond (l’article 2 a-t-il ou pas été violé ?) tant qu’il n’y a pas consensus de tous les pays membres sur ce sujet (il y en a quarante-sept !) et qu’à défaut, elle « [accorde] une marge d’appréciation (…) quant à la façon de ménager un équilibre entre la protection du droit à la vie du patient et celle du droit au respect de sa vie privée et de son autonomie personnelle » (§148 de l’arrêt du 5 juin 2015) à l’État concerné (ce qui devrait ravir tous ceux qui sont inquiets par une justice supranationale).

En clair, la Convention européenne des droits de l’Homme ne protège rien puisque la Cour européenne botte en touche et renvoie aux interprétations nationales des États membres.

Or, la situation de Vincent est grave : et s’il souhaitait encore vivre ? A-t-on la certitude que non ? C’est difficile de le savoir et le moindre doute devrait suffire à arrêter tout le processus d’arrêt de l’alimentation.

Citée par l’excellent avocat blogueur (Koztoujours) dans son billet du 6 juin 2015, une étude franco-allemande et belge de D. Lulé and al. ("Life can be worth living in locked-in syndrom") publiée en 2009 dans la revue scientifique "Progress in Brain Research" (vol. 177) a montré que la vie avec un locked-in syndrom pouvait malgré tout valoir la peine d’être vécue. Cette étude fait état des témoignages de personnes paralysées qui ne pouvaient communiquer qu’avec des codes particuliers et qui expliquaient qu’elles avaient encore une certaine qualité de vie.

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Au contraire du blogueur cité, cela ne m’étonne pas pour avoir connu une personne proche de cet état et qui savait au contraire savourer les moindres plaisirs que la vie lui offrait quand même. Dans le même billet de Koztoujours, une personne a réagi très sainement en posant bien l’enjeu humain : « Quel est cet acharnement suspect à vouloir mettre à mort une pauvre vie dont nous ne savons rien ? (…) Nous sommes là, tous bien-portants, réduits à imaginer ce que signifie "vivre" dans l’état de Vincent Lambert. "Dans ce cas, il faudrait me piquer" entend-on ! Mais que savons-nous de ce que nous voudrions vraiment ? Ne chercherions-nous pas à nous raccrocher au moindre lambeau de vie ? ».

Philippe Pozzo di Borgo, devenu tétraplégique à l’âge de 42 ans après un accident, et auteur du livre "Le Second Souffle" qui a servi de scénario à l’excellent film "Intouchables", a été particulièrement touché par Vincent : « Si vous m’aviez demandé lors de mes quarante-deux ans de "splendeur", avant mon accident, si j’accepterais de vivre la vie qui est la mienne depuis vingt ans, j’aurais répondu sans hésiter, comme beaucoup : non, plutôt la mort ! Et j’aurais signé toutes les pétitions en faveur d’une légalisation du suicide assisté ou de l’euthanasie. Quel "progrès" ! Mais quelle violence faite aux humiliés, à la vie aux extrémités ; comme s’il n’y avait de dignité que dans l’apparence et la performance. La dignité, nous la trouvons dans le respect dû à toute personne, dans l’accompagnement avec tendresse et considération, dans l’acceptation de la fragilité inhérente à la création. Qu’il est surprenant d’adhérer à la lutte pour la survie des espèces menacées et de me la refuser ! Redonnons un peu de fraîcheur au mot de dignité, ne réduisons pas la dignité à la dignité d’apparence. (…) La dignité est le respect dû à la personne : ne touchez pas l’Intouchable ! » ("Ouest France" du 23 juin 2014).


3. Dans les questions d'éthique, quand l’argent arrive, l’humain part

Ce qui est effrayant aussi dans les réactions qui ont pu être entendues dans les médias les jours qui ont suivi l’arrêt de la CEDH, c’est l’argument pécuniaire : cela coûte cher de maintenir en vie Vincent.

Là encore, je le répète, Vincent n’a pas besoin d’être maintenu en vie, il a juste besoin d’être nourri et hydraté, exactement comme 100% des individus de cette planète. Et le coût actuel (je suis bien incapable de le savoir précisément) est certainement négligeable par rapport aux gros traitements dont heureusement certaines personnes ont bénéficié à la suite d’un accident ou par maladie et qui sont aujourd’hui guéries.

C’est là que vient le modèle républicain évoqué dans mon titre : c’est même l’essence du modèle social français de faire en sorte que l’État soigne tous ceux qui en ont besoin sans prendre en priorité la question du coût. Certes, cela nécessite des choix, des priorités budgétaires, de cotisations sociales. C’est un modèle, qu’il s’agit de défendre et surtout, de protéger en le pérennisant financièrement (et c’est un autre sujet plus politique), mais ce modèle, c’est de dire que toutes les personnes vulnérables doivent être protégées par l’État au nom de la solidarité nationale.

Et pourquoi modèle "républicain" ? Parce qu’on ne doit pas tenir compte justement du type de vulnérabilité, et qu’il ne faudrait pas penser que certaines personnes vulnérables ne "mériteraient" plus de vivre (l’argument économique surgit alors très rapidement mais cela peut cacher un autre train, bien plus effrayant, celui de l’eugénisme et de l’utilitarisme).

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J'en profiter pour proposer une citation de Kant à garder à l’esprit : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, jamais simplement comme un moyen mais toujours en même temps comme une fin. » ("Fondement de la métaphysique des mœurs, 1785).


4. Quelle est la raison impérieuse qui empêche la protection de la vie de Vincent ?

Les cinq juges (Hajiyev, Sikuta, Tsotsoria, De Gaetano et Gritco) qui se sont opposés aux conclusions de la CEDH ont rédigé une "opinion en partie dissidente".

Et ils n’ont pas mâché leurs mots : « À présent que les distinctions juridiques les plus subtiles ont été établies et que les cheveux les plus fins ont été coupés en quatre, ce qui est proposé revient ni plus ni moins à dire qu’une personne lourdement handicapée, qui est dans l’incapacité de communiquer ses souhaits quant à son état actuel, peut, sur la base de plusieurs affirmations contestables, être privée de deux composants essentiels au maintien de la vie, à savoir la nourriture et l’eau, et que de plus la Convention est inopérante face à cette réalité. Nous estimons non seulement que cette conclusion est effrayante, mais de plus (…) qu’elle équivaut à un pas en arrière dans le degré de protection que la Convention et la Cour ont jusqu’ici offerte aux personnes vulnérables. ».

Ces cinq juges "dissidents" estiment qu’il est possible aux proches de Vincent de s’occuper de lui, à charge pour un établissement hospitalier d’élaborer la préparation alimentaire appropriée, et que le CHU de Reims peut être "déchargé" de sa responsabilité de Vincent en acceptant le transfert dans une clinique spécialisée (la maison de santé Bethel). Et de poser la véritable question : « Vincent est vivant et l’on s’occupe de lui. (…) Nous posons donc la question : qu’est-ce qui peut justifier qu’un État autorise un médecin (…) à cesser ou à s’abstenir de le nourrir et de l’hydrater, de manière à, en fait, l’affamer jusqu’à la mort ? Quelle est la raison impérieuse (…) qui empêche l’État d’intervenir pour protéger la vie ? Des considérations financières ? Aucune n’a été avancée en l’espèce. La douleur ressentie par Vincent Lambert ? Rien ne prouve qu’il souffre. Ou est-ce parce qu’il n’a plus d’utilité ou d’importance pour la société, et qu’en réalité il n’est plus une personne mais seulement une "vie biologique" ? ».

Ils sont très affirmatifs sur les obligations de l’État : « À notre sens, toute personne se trouvant dans l’état de Vincent Lambert a une dignité humaine fondamentale et doit donc, conformément au principe découlant de l’article 2, recevoir des soins ou un traitement ordinaires et proportionnés, ce qui inclut l’apport d’eau et de nourriture. ».

Et de critiquer également le refus de se prononcer sur le fond de la Cour : « Certes, la Cour (…) doit respecter le principe de subsidiarité, mais pas jusqu’à s’abstenir d’affirmer la valeur de la vie et la dignité inhérente même aux personnes qui sont (…) lourdement paralysés et dans l’incapacité de communiquer leurs souhaits à autrui. ».


5. La mort soulagerait-elle de la vie ?

Les cinq juges "dissidents" n’hésitent pas à donner le nom réel de ce que propose implicitement l’arrêt qu’ils ont refusé d’approuver : « Cette affaire est une affaire d’euthanasie qui ne veut pas dire son nom. (…) Il est certainement extrêmement contradictoire pour le gouvernement défendeur de souligner que le droit français interdit l’euthanasie et que donc l’euthanasie n’entre pas en ligne de compte dans cette affaire. Nous ne pouvons être d’un autre avis dès lors que, manifestement, les critères de la loi Leonetti, tels qu’interprétés par la plus haute juridiction administrative, dans les cas où ils sont appliquées à une personne inconsciente et soumise à un "traitement" qui n’est pas réellement thérapeutique mais simplement une question de soins, ont en réalité pour résultat de précipiter un décès qui ne serait pas survenu autrement dans un avenir prévisible. (…) On peut ne pas avoir la volonté de donner la mort à la personne en question mais, en ayant la volonté d’accomplir l’action ou l’omission dont on sait que selon toutes probabilités elle conduira à cette mort, on a bien l’intention de tuer cette personne. Il s’agit bien là, après tout, de la notion d’intention positive indirecte, à savoir l’un des deux aspects de la notion de dol en droit pénal. ».

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Car effectivement, ce sont les déclarations de Philippe Douste-Blazy, Ministre des Solidarités, de la Santé et de la Famille à l’époque de la discussion sur la loi Leonetti, qui ont beaucoup influencé les juges de la Cour européenne : « La différence est éthique, elle est dans l’intention qui préside à l’acte. Permettre la mort, c’est s’incliner devant une réalité inéluctable, et si le geste d’arrêter un traitement, qui s’accompagne presque toujours d’administration d’antalgiques ou de sédatifs, entraîne la mort, l’intention du geste est de "restituer à la mort son caractère naturel" et de soulager ; elle n’est pas de tuer. C’est particulièrement important pour les soignants, dont le rôle n’est pas de donner la mort. C’est également essentiel pour la confiance qui lie le patient à ceux qui le soignent. » (séance au Sénat du 12 avril 2005).

Mais cette déclaration s’appliquait à l’administration de sédatifs et pas à l’arrêt de l’alimentation. Les juges de la Cour européenne ont pris connaissance de cette déclaration seulement de la manière dont l’a citée le rapporteur public du Conseil d’État dans son audience du 13 février 2014, avec une partie tronquée, précisément sur l’administration des sédatifs : « Si le geste d’arrêter un traitement (…) entraîne la mort, l’intention du geste [n’est pas de tuer : elle est] de restituer à la mort son caractère naturel et de soulager. C’est particulièrement important pour les soignants, dont le rôle n’est pas de donner la mort. » (lire §31 et §122 de l’arrêt du 5 juin 2015).

Comme on le voit, le rapporteur public a pris une citation hors contexte avec une certaine malhonnêteté intellectuelle pour l’appliquer à la situation de Vincent et influencer les juges du Conseil d’État et indirectement (et involontairement), douze des dix-sept juges de la Cour européenne appelés à se prononcer.

Les cinq autres juges de la Cour européenne, qui s’opposent à l’arrêt rendu, insistent : « Tant le Conseil d’État que la Cour ont accordé beaucoup d’importance à cette déclaration [la citation tronquée]. Nous ne sommes pas de cet avis. (…) Cette déclaration ne serait exacte que si une distinction était convenablement établie entre des soins (ou un traitement) ordinaires et des soins (ou un traitement) extraordinaires. Le fait d’alimenter une personne, même par voie entérale, est un acte de soins et si l’on cesse ou l’on s’abstient de lui fournir de l’eau et de la nourriture, la mort s’ensuit inévitablement (alors qu’elle ne s’ensuivrait pas autrement dans un futur prévisible). ».


Un véritable rétablissement de la peine de mort ?

Les phrases citées dans les deux parties précédentes, à part celles concernant Philippe Douste-Blazy, émanent toutes du seul "contre-rapport" de cinq des dix-sept juges chargés de l’affaire. C’est donc une situation très étonnante de voir un arrêt contesté assez durement au sein même de l’instance européenne.

Cette dureté fait miroir à la violence de la décision de l’hôpital d’arrêter l’alimentation et l’acceptation de celle-ci par le Conseil d’État et maintenant la Cour européenne des droits de l’Homme.

C’est un vrai clivage sur la conception qu’on se fait d’une société et sur l’idée qu’on se fait d’une personne humaine. En ce qui me concerne, même vulnérable, même socialement improductive, inutile, toute vie mérite d’être vécue, tant que tout soit fait pour son confort. Affamer à mort Vincent, ce serait pour moi un crime et je ne doute pas que la famille mettrait cet acte scandaleux et inhumain au pénal si par malheur l’hôpital allait jusqu’au bout de la décision, au mépris de ses propres missions.

Pour l’heure, les parents de Vincent ont entamé une procédure pour transférer Vincent dans un établissement spécialisé habitué à ce genre de handicap lourd et prêt à le soigner dans de meilleures conditions qu’actuellement. C’est de loin la meilleure solution que pourrait trouver Vincent dans son aventure médiatique qu’il n’a jamais voulue.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (10 juin 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Chaque vie humaine compte.
Le modèle républicain en question.
L’arrêt de la CEDH du 5 juin 2015 sur requête n°46043/14 (à télécharger).
Société barbare ?
Débrancher ?
La Cour européenne des droits de l'Homme.
La peine de mort.
Les sondages sur la fin de vie.
Les dix ans de la loi Leonetti.
Le vote de la loi Claeys-Leonetti en première lecture.
La loi Claeys-Leonetti en débat parlementaire.
Verbatim de la proposition Claeys-Leonetti en commission.
La proposition Claeys-Leonetti modifiée en commission.
L'euthanasie, une fausse solution.
François Hollande et la fin de vie.
Commentaire sur la proposition Claeys-Leonetti.
La consultation participative du Palais-Bourbon.
La proposition de loi n°2512 (texte intégral).
Le débat sur la fin de vie à l'Assemblée Nationale du 21 janvier 2015.
Les directives anticipées.
L'impossible destin.
La proposition Massonneau.
Présentation du rapport Claeys-Leonetti (21 janvier 2015).
Le rapport Claeys-Leonetti du 12 décembre 2014 (à télécharger).
Vidéo de François Hollande du 12 décembre 2014.
Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie du 21 octobre 2014 (à télécharger).
Le verdict du Conseil d'État et les risques de dérives.
Le risque de la GPA.
La décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 (texte intégral de la déclaration de Jean-Marc Sauvé).
L'élimination des plus faibles ?
Vers le rétablissement de la peine de mort ?
De Michael Schumacher à Vincent Lambert.
La nouvelle culture de la mort.
La dignité et le handicap.
Communiqué de l'Académie de Médecine du 20 janvier 2014 sur la fin de vie (texte intégral).
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national d’éthique.
Le CCNE refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de Valence ?
L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre 2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.

_yartiFinDeVie2015AH01



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150610-vincent-lambert-2015AO.html

http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/intouchables-le-modele-republicain-168313

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/06/10/32186761.html

 

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6 juin 2015 6 06 /06 /juin /2015 00:06

La Cour européen des droits de l'Homme a rendu son arrêt le 5 juin 2015 à Strasbourg concernant l'arrêt de l'alimentation de Vincent Lambert. Cet arrêt a été décidé par douze juges sur dix-sept. L'ensemble de l'arrêt ainsi que l'opinion "dissidente" des cinq juges est accessible sur le site de la CEDH.

Cliquer sur le lien pour télécharger l'arrêt de la CEDH (fichier .pdf) :
http://hudoc.echr.coe.int/webservices/content/pdf/001-155264?TID=xldmhzaukt

Sur le sujet, lire :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150610-vincent-lambert-2015AO.html

SR
 

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5 juin 2015 5 05 /06 /juin /2015 11:15

Il n’y a malheureusement pas d’autre mot que "barbare" pour qualifier une société qui accepte juridiquement le principe de faire mourir intentionnellement une personne présentant un handicap sans capacité de se défendre. Une acceptation que les impératifs économiques généraliseront à terme. C’est effrayant !


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Ce vendredi 5 juin 2015, la Cour européenne des droits de l’Homme a validé la décision du Conseil d’État du 24 juin 2014 d’autoriser le CHU de Reims à arrêter l’alimentation de Vincent Lambert. Elle l’a fait loin d’être unanime puisque cinq juges  sur les dix-sept se sont opposés à cet avis.

Cet avis me scandalise, me bouleverse, me renverse car il autorise au plus haut niveau du droit la peine de mort pour des personnes sans défense (et innocentes). C’est un tournant très grave qui surgit où le "droit à la vie" de l'article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme ne protège plus les plus faibles. La Cour européenne a autorisé aujourd’hui la mort intentionnelle d’une personne handicapée qui n’est ni malade ni en fin de vie.

Le Conseil d’État s’était appuyé le 24 juin 2014 sur quatre arguments dont aucun ne tient l’analyse. Premièrement, en se basant sur la loi Leonetti du 22 avril 2005 ; pourtant, la situation de Vincent n’est pas concernée par cette loi car il n’est ni malade ni en fin de vie. Deuxièmement, en se basant sur une triple expertise médicale ; pourtant, les trois médecins avaient conclu qu’il ne fallait justement pas laisser mourir Vincent. Troisièmement, en se basant sur la collégialité de la décision de l’hôpital ; pourtant, les parents de Vincent n’avaient même pas été prévenus et s’étaient par la suite fermement opposés à cette décision, tandis que l’épouse de Vincent est partie vivre en Belgique loin de Vincent (les parents passent toutes leurs après-midi à s’occuper de Vincent). Quatrièmement, en se basant sur la supposée volonté de Vincent ; pourtant, Vincent n’a laissé aucune directive anticipée et a résisté au printemps 2013 à la première tentative de mise à mort en restant trente et un jours sans manger et presque sans boire, montrant une volonté exceptionnelle de rester en vie, et de plus, l’épouse de Vincent n’a fait part de cette volonté seulement quatre ans après l’accident, jamais avant, pourquoi ?

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Cette décision du Conseil d’État du 24 juin 2014 n’a donc pas enu compte des arguments développés par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui avait à deux reprise annulé la décision du CHU de Reims.

Il est clair que la situation de Vincent a été instrumentalisée par tous ceux qui voudraient légaliser l’euthanasie et qui, à terme, amèneraient une société soumise à l’eugénisme qui éliminerait les plus faibles.

Mais au-delà de l’aspect juridique, c’est surtout l’aspect humain et médical qui est révoltant. Les parents de Vincent se battent depuis deux ans et demi pour que leur fils puisse bénéficier des soins minimaux que son état requiert, à savoir des séances de kinésithérapie, des exercices pour stimuler ses sens, et aussi (cela va ensemble), un fauteuil moulé pour pouvoir apercevoir autre chose que le plafond de sa chambre. Pire, il est enfermé et sous surveillance quasi-policière et l’hôpital refuse tout transfert alors qu’un hôpital alsacien qui connaît bien le handicap dont souffre Vincent est prêt depuis longtemps à l’accueillir et à le soigner.

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Aujourd’hui, deux inquiétudes sont grandes : d’une part, sur Vincent lui-même qui est pourtant capable d’avoir quelques échanges relationnels (il est capable de remuer une jambe pour exprimer un inconfort) et qui se verrait mourir une nouvelle fois ; d’autre part, sur toutes les personnes qui ont un handicap grave et leur entourage dévoué, qui voient leur combat quotidien anéanti par cette volonté à rouleau compresseur de vouloir éliminer les plus faibles.

Parce que le médecin qui s’était acharné à vouloir arrêter l’alimentation sans l’accor de la famille a quitté l’hôpital (et s’est même reconverti dans l’activité éditoriale en paradant dans les médias sur le dos de Vincent), j’espère que le CHU de Reims saura réagir humainement à cette situation qui devrait révolter tous ceux qui sont chargés de soigner des patients et dont le but n’est pas d’éliminer les personnes affaiblies mais de rendre leur existence le plus confortable possible.

Ce n’est pas anodin que l’avocat des parents de Vincent ait mis sur le même plan la vie de Vincent et celle de Serge Atlaoui dont l’existence est, elle aussi, soumise à des aléas judiciaires particulièrement éprouvants.

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Tout le monde est concerné par cette décision. Tout le monde peut un jour être confronté à cette douloureuse situation. "Le Soleil vert" sera bientôt la réalité si les citoyens que nous sommes laissent faire… On n’aura peut-être que ce qu’on mérite. Et tant pis pour ceux qui ne pourront pas se défendre face au rouleau compresseur des impératifs économiques…


Aparté

Je reviens aussi sur quelques commentaires de mon précédent article.

L’une des raisons qui amèneraient à précipiter la mort de Vincent Lambert serait qu’il coûterait cher de le maintenir en vie. Cet argument n’a jamais été évoqué officiellement mais tout le monde peut le penser très fortement, pour y souscrire ou s’y opposer.

D’une part, c’est faux de dire qu’il coûte cher : il n’a aucune assistance artificielle pour rester en vie, il est seulement en manque d’autonomie comme des centaines de milliers de personnes dépendantes, ce qui nécessite une action extérieure pour tous les soins y compris l’alimentation et l’hydratation. Bien des personnes qui ont vécu certains graves ennuis de santé et qui ont aujourd’hui retrouvé une vie normale (ou presque) ont coûté bien plus cher que ce que Vincent coûte à la sécurité sociale même en vivant très longtemps.

D’autre part, c’est là un choix grave et réel de société. Le Royaume-Uni, par exemple, laisserait entrevoir un choix qui voudrait que si le patient n’avait pas suffisamment d’argent, il aurait plus de difficulté de se faire soigner dans les meilleures conditions. La France, elle, est basée sur la solidarité nationale et l’égalité de tous les citoyens : elle soigne d’abord et elle réfléchit après. Cela fait certes des déficits mais les gens sont soignés au moins, tout le monde en principe. Les déficits, c’est une question de budget, et de priorité budgétaire. L’euthanasie est une mesure économique effrayante dans une époque de crise financière : sa logique irait très loin si on la mettait en pratique. Ce n’est pas mon idée de l’humain : chaque vie compte, les plus faibles comme les autres, et ceux qui ont besoin d’aide doivent pouvoir l’obtenir d’un État garant de la sécurité et de la solidarité de ses citoyens.

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Autre argument évoqué, son état est incapable de maîtriser ses organes principaux. Et alors ? Il est très loin d’être le seul dans ce cas et c’est le quotidien de tous les hôpitaux et les maisons de retraite et heureusement qu’on n’élimine pas les personnes qui ont un anus artificiel ou qu’on nourrit comme des nourrissons parce qu’elles ne peuvent plus tenir une cuillère ! Quant aux escarres, c’est évitable si le personne bénéficie de séances de kinésithérapie qui compensent l’immobilité de leur corps, mais Vincent en a injustement été privé contrairement à ce qu’impose la circulaire n°2002-288 du 3 mai 2002.

Par ailleurs, toujours concernant mon précédent article ou celui-ci, j’évite de diffuser des photographies de Vincent Lambert par respect pour lui parce qu’il n’a rien demandé, qu’il n’est pas lui-même en mesure d’accepter ou de refuser cette médiatisation d’une partie de sa vie privée. D’ailleurs, son apparence n’apporte rien à la réflexion ou alors, faudrait-il détruire tous les hôpitaux et toutes les maisons de retraite puisque leurs occupants, au visage souvent fatigué et sans expression, seraient selon certains "indignes" de vivre par délit de sale gueule ?


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (5 juin 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Chaque vie humaine compte.
La décision de la CEDH.
Débrancher ?
La Cour européenne des droits de l'Homme.
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Les sondages sur la fin de vie.
Les dix ans de la loi Leonetti.
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Vidéo de François Hollande du 12 décembre 2014.
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De Michael Schumacher à Vincent Lambert.
La nouvelle culture de la mort.
La dignité et le handicap.
Communiqué de l'Académie de Médecine du 20 janvier 2014 sur la fin de vie (texte intégral).
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national d’éthique.
Le CCNE refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de Valence ?
L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre 2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
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Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.

_artiVL2015AN02



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150605-vincent-lambert-2015AN.html

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4 juin 2015 4 04 /06 /juin /2015 06:39

« Reims, 29 avril 2013. Le plus gros choc de ma vie. Je suis au chevet de mon fils. (…) Vincent n’a rien mangé depuis vingt jours. (…) Il est là, devant moi, dans un lit d’hôpital à Reims, amaigri, affaibli, et il va mourir. Dans un jour ? Dans cinq jours ? Je ne sais pas… Mais il va mourir parce que quelqu’un l’a décidé. Un médecin lui a supprimé toute nourriture, presque toute hydratation, pour le mettre sur un chemin de "fin de vie". Je parle à Vincent, mais il ne peut pas me répondre : il est en "état de conscience minimale", comme le disent les spécialistes. Il peut ressentir des émotions, mais il est incapable de s’exprimer. Il me regarde, et il pleure. Des larmes coulent le long de ses joues. Il va mourir. Il souffre, je le sais : je suis sa mère ! » (Viviane Lambert, le 7 mai 2015).



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Je reviens sur la situation très douloureuse de Vincent Lambert. Elle avait été très médiatisée au printemps de l’année dernière et elle va le redevenir très prochainement (hélas pour lui et sa famille) car une décision très importante de la Cour européenne des droits de l’Homme va être rendue publique ce vendredi 5 juin 2015. Il aura fallu une année pour que cette instance supranationale statue sur une situation de vie ou de mort.


Une affaire de justice qui mine la vie d’une famille

Vincent Lambert a été victime d’un accident de la circulation le 29 septembre 2008 et est soigné depuis le 16 novembre 2011 au CHU de Reims (l’hôpital Sébastopol).

Je reviens très succinctement sur l’aspect judiciaire : au printemps 2013, le médecin de Vincent Lambert a convaincu la jeune épouse de Vincent d’arrêter l’alimentation et de réduire l’hydratation à partir du 10 avril 2013, sans en informer les parents (le père de Vincent venait par ailleurs d’être hospitalisé à Marseille pour une opération du cœur). L’épouse a témoigné d’une volonté d’en finir dans un pareil cas alors que pendant cinq ans, elle n’avait jamais évoqué cette supposée volonté dont il ne reste aujourd’hui aucune preuve. Pendant plusieurs semaines, Vincent Lambert a lutté pour ne pas mourir et le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a ordonné le 11 mai 2013 de reprendre l’alimentation à la demande de ses parents qui sont, eux, fermement opposés à l’arrêt de l’alimentation. Le 16 janvier 2014, le même tribunal administratif a annulé la seconde tentative de l’hôpital d’arrêter l’alimentation, mais après un recours de son épouse fortement encouragée par la ministre Marisol Touraine, le Conseil d’État a infirmé le 24 juin 2014 la décision du tribunal administratif sans tenir compte de l’avis des trois spécialistes mandatés à cet effet, qui ont mené des examens approfondis sur Vincent du 7 au 11 avril 2014 et qui ont fait part de leur ferme opposition à le faire mourir car il n’y avait aucune "obstination déraisonnable". Cette décision a pourtant ouvert la voie rapide d’un nouvel arrêt de l’alimentation. Pour s’y opposer en urgence, ses parents ont alors fait un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme qui, dans un premier temps, a immédiatement demandé de poursuivre l’alimentation le temps d’étudier le fond de la situation. Dans un second temps, après l’audience du 7 janvier 2015, la Cour européenne va rendre public son avis sur le fond le 5 juin 2015 en confirmant ou infirmant la décision de l’instance administrative suprême de la France.


Une décision sur la vie ou la mort d’une personne

Ce qui est frappant, c’est qu’il s’agit ici de décision de justice sur la vie ou la mort d’une personne, et qu’il ne s’agit en France que de la justice administrative, qui n’est évidemment pas préparée à prendre des décisions d’une telle importance, où la vie d’une personne est en jeu. Ce ne sont pas des cours d’assise à l’époque où la peine de mort était encore applicable.

Curieusement, il en est aujourd’hui de même en Indonésie pour la situation très précaire et cauchemardesque de Serge Atlaoui, condamné à mort, qui cherche à échapper à son exécution par un recours devant, là aussi, une cour administrative (l’audience vient d’être à nouveau reportée au 8 juin 2015).


Trois raisons d’être choqué par la décision du 24 juin 2014

Mais revenons à la situation de Vincent Lambert. La décision du Conseil d’État m’avait particulièrement choqué pour au moins trois raisons.

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La première raison de fond sur la valeur de la vie humaine et son "utilité" malgré un état de santé très faible (à partir de quel seuil de faiblesse faudrait-il éliminer les plus faibles ?), ce qui contredit toutes les valeurs de solidarité nationale.

La deuxième raison, et c’est l’objet de cet article, c’est que la personne concernée n’est ni malade ni en fin de vie et que la loi Leonetti du 22 avril 2005 ne peut donc pas s’appliquer à sa situation.

Enfin, la troisième raison moins morale mais de logique et de bon sens, qui veut que si deux très proches de la personne concernée, à savoir son épouse et ses parents ne se sont pas mis d’accord (qui de l’épouse ou de la mère peut le mieux le représenter en l’absence de toute autre consigne ?), dans l’impossibilité de connaître la volonté actuelle de la personne, aucune action définitive, irréversible ne devrait pouvoir être entreprise dans tous les cas : ni l’euthanasie ni le suicide assisté ne sont aujourd’hui autorisés et ces deux actes s’apparentent à un assassinat ou à une complicité d’assassinat.


Le désespoir d’une maman

Cette décision du Conseil d’État avait pourtant été saluée par de nombreuses personnalités, en premier lieu par le député UMP Jean Leonetti lui-même qui voyait là la reconnaissance de toute la richesse de la loi du 22 avril 2005 dont il était à l’origine et qui montrait donc l’inutilité de légiférer à nouveau (le gouvernement avait finalement choisi une voie différente, acceptée par Jean Leonetti lui-même avec la proposition de loi Clayes-Leonetti dont j’ai déjà abondamment écrit et qui sera de nouveau sous la lumière de l’actualité lors de sa discussion en première lecture au Sénat prévue les 16 et 17 juin 2015). Cette décision avait par ailleurs été applaudie par tous les militants lobbyistes de l’euthanasie et du suicide assisté qui veulent imposer à la France leur culture de la mort et leur conception eugéniste de la société.

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Désespérée sur l'absence de pérennité du maintien en vie de son fils et craignant que la Cour européenne des droits de l’Homme n’ait trouvé aucun argument juridique suffisamment solide pour pouvoir contredire la magistrature administrative suprême d’un grand pays de libertés, Viviane Lambert, la mère de Vincent, a publié un livre de témoignage le 7 mai 2015 ("Pour la vie de mon fils" chez Plon) et a même fait un sitting devant l’Élysée le jour du troisième anniversaire de l’élection pour être reçu par le Président de la République François Hollande (à ce jour, il ne l’a pas reçue).


Vincent n’est pas branché !

Mon titre évocateur était volontairement faussé par la réalité en reprenant une idée reçue souvent colportée par les médias et Internet. Débrancher Vincent Lambert ? Mais il n’est pas branché ! C’est là tout le nœud du problème. Vincent vit tout seul, sans branchement, sans rien, si ce n’est que son incapacité motrice nécessite forcément qu’on l’aide à se nourrir et à boire, qu’on l’aide à se laver, qu’on l’aide dans tous les petits gestes quotidiens qui paraissent banals pour les personnes bien-portantes. Comme les nourrissons, comme de nombreuses personnes dépendantes, en fin de vie ou pas.

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Vincent Lambert n’est pas malade, il n’est pas en situation de fin de vie ; il est en situation de handicap. Handicap très "lourd", c’est indéniable, et personne, moi le premier, ne voudrait se retrouver à sa place ou à la place d’un de ses proches. Mais il vit, son cœur palpite, il ressent des émotions, il garde, même très faiblement, une conscience d’homme. Nul ne peut présumer de sa volonté d’aujourd’hui, qu’elle soit suicidaire ou au contraire, qu’il trouve malgré tout un équilibre de vie avec ses hauts et ses bas.


Attention aux réflexions "à froid" !

Combien de personnes bien-portantes ai-je entendu dire qu’elles préféreraient mourir à rester en fauteuil roulant toute le restant de leur vie ? Et pourtant, juste en fauteuil roulant, ceux qui y sont, veulent-ils toujours mourir ? Non, parce que malgré les épreuves qui ne sont souhaitables à personne, l’humain peut reprendre pied, l’amour de la vie peut vaincre le reste, l’amour des autres aussi, une famille et des amis attentionnés.

C’est d’autant plus impressionnant que la personne n’est plus capable de s’exprimer, car elle s’apparente à une personne qui n’aurait rien à dire, qui ne ressentirait rien, qui ne penserait à rien, alors que c’est probablement faux.

Ces problèmes d’impossibilité de communiquer ont déjà fait l’objet d’une belle littérature et même de quelques films comme "Le scaphandre et le papillon" sorti le 23 mai 2007 à partir d’une œuvre de Jean-Dominique Bauby publiée le 6 mars 1997 (l’auteur a disparu trois jours plus tard, victime du locked-in syndrome acquis à la suite d’un AVC survenu le 8 décembre 1995 et qui ne lui laissa que le clignement de sa paupière gauche pour dicter lettre après lettre son livre).


Quitter les potagers et revenir à l’humain

Vincent Lambert n’est pas un "légume", il n’est pas dans un "état végétatif". Il respire sans aucune machine, il est capable parfois de remuer sa jambe gauche pour attirer l’attention, de déglutir sa salive. Il est nourri par un tiers, ici une machine, parce qu’il ne peut pas se nourrir par lui-même, mais avec beaucoup d’effort et de patience, il pourrait certainement manger par la bouche, il l’a déjà fait, mais il ne reçoit pas de rééducation pour ces gestes. Il vit, il est une personne humaine, et il a droit au même respect, à la même prévenance, que n’importe quelle personne sur cette Terre.

Les parents qui ont spécialement déménagé de la Drôme à Reims pour venir au chevet de Vincent six heures par jour sont particulièrement effondrés par la tournure médiatique : « Les médias le traitent comme un légume, mais c’est absolument faux. Comme tout être humain, il s’endort le soir, se réveille le matin, il reconnaît nos voix, il nous suit du regard quand on lui parle, il va manifester un contentement ou un inconfort. Quand on lui met de la musique qu’il aime, il cherche d’où elle vient en tournant la tête. (…) Vincent est certes handicapé mais il est vivant. Il n’est ni un légume, ni totalement sans conscience. Et pourtant, au prétexte qu’il ne peut plus avoir de relations, on veut le faire mourir. Faut-il donc également provoquer la mort (…) de tous ceux qui ne peuvent s’exprimer ? (…) Il ne souffre pas et ne fait l’objet d’aucun acharnement thérapeutique pour être maintenu en vie puisqu’il a juste besoin de recevoir des aliments et de l’hydratation comme tout être humain. Il n’a pas laissé de directives anticipées alors qu’en tant qu’infirmier, il en connaissait l’existence. Il n’a pas désigné de personne de confiance conformément à la loi (…). » (27 février 2015).

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Les parents accusent le CHU de Reims d’avoir obstinément refusé depuis octobre 2012 les soins de base qui lui auraient accru son confort de vie, en particulier un fauteuil adapté pour éviter de rester en permanence au lit, des sorties pour stimuler ses sens et des séances de kinésithérapie pourtant imposées par la circulaire n°2002-288 du 3 mai 2002. Depuis le 17 janvier 2014, il est enfermé à clef et surveillé nuit et jour par une caméra et un hublot : « Le temps est comme suspendu, et Vincent est traité comme un mort en sursis… ». Vincent n’a pas été examiné récemment en présence de ses proches, c’est pourtant essentiel quand on veut savoir quel est son niveau de conscience. Il n’a pas non plus eu d’examen poussé (IRM fonctionnelle par exemple). Mais un échange relationnel est malgré tout possible avec lui.

Les parents affirment également que certains établissement spécialisés pour des patients comme Vincent lui ont déjà proposé une place mais les parents ne peuvent pas l’y transférer : « On nous refuse ce transfert et Vincent est pris en otage par le CHU de Reims qui se comporte comme son propriétaire et qui l’a enfermé dans sa chambre comme un condamné dans le couloir de la mort. ». Les faits, depuis deux ans et demi, c’est que Vincent ne fait pas l’objet d’un acharnement thérapeutique mais d’un abandon de soins.

Anne, la sœur de Vincent, et son demi-frère David s’angoissent de la même manière : « Nous sommes profondément meurtris (…) par la volonté délibérée et les manœuvres pour l’euthanasier à toute force (…). Comme vous, nous sommes infiniment navrés de voir notre frère dans son état. (…) Aucun d’entre nous n’a envie de se retrouver dans une telle situation, c’est évident, de même que la situation de Vincent est un fardeau que nous ne souhaitons à personne. Mais ce n’est pas parce que le fait d’entourer Vincent est pénible pour son entourage que Vincent, qui ne demande rien à personne, doit être mis à mort. Ce n’est pas parce que Vincent a une conscience altérée qu’il n’est plus un homme. À ce compte, il faudrait se débarrasser des handicapés mentaux et des déments au lieu d’en prendre soin. (…) Une société qui met à mort ceux qui ne peuvent pas se défendre renie tous ses principes et est appelée à sombrer dans la barbarie. (…) Nous avons vu qu’après trente et un jours passés sans manger, sa force de vie l’a emporté : il n’a pas lâché psychologiquement, alors qu’il serait mort en dix jours en avril 2013 s’il s’était laissé aller. » (25 février 2015).


Une décision aux conséquences très importantes

La décision de la Cour européenne des droits de l’Homme de ce 5 juin 2015 va donc être très importante. Elle ne concerne d’ailleurs pas seulement la vie de Vincent Lambert mais celle d’environ mille sept cent personnes dans la même situation de vie que lui en France.

Dans le cas où elle laisserait sa vie filer dans la mort, la société aurait franchi un pas irréparable, celui d’une euthanasie de fait des personnes considérées comme trop faibles pour vivre "parfaitement". Elle autoriserait la voie eugénique qui mènerait vers des abus inévitables sur des personnes qui voudraient encore vivre malgré leur faiblesse et surtout vers une considération de la vie humaine qui me serait totalement étrangère et qui m’effrayerait, et je ne serais certainement pas le seul.

Je termine sur quelques paroles poignantes des parents de Vincent qui, j’espère, sont allés droit au cœur des juges de la Cour européenne des droits de l’Homme : « Qui peut avoir assez peu de cœur pour prétendre que nous nous battrions par idéologie ? C’est juste par amour et parce que notre fils est bien vivant mais sans défense que nous défendons sa vie menacée par les bien-portants et les tout-puissants. (…) Protéger Vincent, c’est aussi protéger toutes ces personnes vulnérables contre ceux qui veulent se débarrasser d’eux car ils les encombrent en décrétant qui est digne de vivre, en les rendant ainsi otages du combat pour l’euthanasie. » (Viviane et Pierre Lambert). Espérons que les juges de la CEDH seront bien inspirés...


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (4 juin 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Chaque vie humaine compte.
Débrancher ?
La Cour européenne des droits de l'Homme.
La peine de mort.
Les sondages sur la fin de vie.
Les dix ans de la loi Leonetti.
Le vote de la loi Claeys-Leonetti en première lecture.
La loi Claeys-Leonetti en débat parlementaire.
Verbatim de la proposition Claeys-Leonetti en commission.
La proposition Claeys-Leonetti modifiée en commission.
L'euthanasie, une fausse solution.
François Hollande et la fin de vie.
Commentaire sur la proposition Claeys-Leonetti.
La consultation participative du Palais-Bourbon.
La proposition de loi n°2512 (texte intégral).
Le débat sur la fin de vie à l'Assemblée Nationale du 21 janvier 2015.
Les directives anticipées.
L'impossible destin.
La proposition Massonneau.
Présentation du rapport Claeys-Leonetti (21 janvier 2015).
Le rapport Claeys-Leonetti du 12 décembre 2014 (à télécharger).
Vidéo de François Hollande du 12 décembre 2014.
Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie du 21 octobre 2014 (à télécharger).
Le verdict du Conseil d'État et les risques de dérives.
Le risque de la GPA.
La décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 (texte intégral de la déclaration de Jean-Marc Sauvé).
L'élimination des plus faibles ?
Vers le rétablissement de la peine de mort ?
De Michael Schumacher à Vincent Lambert.
La nouvelle culture de la mort.
La dignité et le handicap.
Communiqué de l'Académie de Médecine du 20 janvier 2014 sur la fin de vie (texte intégral).
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national d’éthique.
Le CCNE refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de Valence ?
L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre 2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150604-vincent-lambert-2015AM.html

http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/debrancher-vincent-168148

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/06/04/32161800.html




 

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3 juin 2015 3 03 /06 /juin /2015 06:44

« Je tiens de ma patrie un cœur qui la déborde et plus je me sens Français, plus je me sens humain. » (René Cassin).


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Depuis plusieurs années, la Cour européenne des droits de l’Homme fait régulièrement parler d’elle dans les actualités françaises. Encore récemment, elle a pris des décisions contre l’État français à propos des enfants nés à l’étranger par GPA (gestation pour le compte d’autrui) interdite en France. Elle donnera également un avis particulièrement marquant le 5 juin prochain sur la malheureuse situation de Vincent Lambert (j’y reviendrai).

L’irruption de la Cour européenne des droits de l’Homme dans la justice nationale n’est évidemment pas une atteinte à la souveraine nationale. Elle est au contraire une protection supplémentaire aux droits des citoyens. Une échelon supplémentaire dans l’architecture judiciaire sophistiquée qui protège les droits fondamentaux du citoyens.


Une émanation du Conseil de l’Europe

Il faut d’abord rappeler aux europhobes que la Cour européenne des droits de l’Homme n’est pas une émanation de l’Union Européenne, mais du Conseil de l’Europe.

Le Conseil de l’Europe, créé par le Traité de Londres du 5 mai 1949, regroupe aujourd’hui la quasi-totalité des pays du continent européen, ceux de l’Union Européenne, mais aussi les autres, comme la Russie (membre depuis le 28 février 1996), l’Ukraine (membre depuis le 9 novembre 1995), la Moldavie (membre depuis le 13 juillet 1995), et même la Turquie (membre depuis le 9 août 1949). Seuls trois pays européens, la Biélorussie (candidate depuis le 12 mars 1993), le Kosovo (candidat) et le Vatican (observateur depuis le 7 mars 1970) ne sont pas membres du Conseil de l’Europe et cela va même au-delà du continent européen puisque le Kazakhstan est candidat à l’adhésion et le Mexique, le Japon, le Canada et les États-Unis sont des pays observateurs depuis la fin des années 1990, et même la Palestine, Israël, le Kirghizstan et le Maroc sont également des pays observateurs. En tout, quarante-sept États en sont membres à part entière, rassemblant une population de huit cent millions de personnes.

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Pour qu’un pays puisse être membre du Conseil de l’Europe, il faut que ses institutions soient basées sur l’État de droit, soient démocratiques et libres, et enfin, qu’il ratifie et respecte la Convention européenne des droits de l’Homme. La Cour européenne des droits de l’Homme a donc pour objectif de vérifier, si des citoyens viennent à le lui demander, que les États membres respectent bien cette Convention et les droits rattachés à celle-ci au profit des citoyens.


Mode d’emploi de la CEDH

Concrètement, les affaires dont est saisie la Cour européenne des droits de l’Homme sont les conflits entre les citoyens d’un pays et l’État de ce même pays, qui n’aurait pas respecté (ou si) la Convention européenne des droits de l’Homme. Deux langues de travail ont été définies : l'anglais et le français.

Il convient donc de bien différencier cette Cour européenne de la Cour de justice de l’Union Européenne siégeant à Luxembourg, créée le 23 juillet 1952 (avec la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) et chargée actuellement de régler les conflits concernant l’Union Européenne, ainsi que de la Cour internationale de justice siégeant à La Haye et qui, elle, émane de l’article 92 de la Charte des Nations Unies (ONU) adoptée par la Conférence de San Francisco le 26 juin 1945 dont le but est de régler les conflits juridiques entre les différents États de l’ONU.

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La Cour européenne des droits de l’Homme a tenu sa première session du 23 au 28 février 1959 à Strasbourg où elle siège et son premier arrêt a été rendu le 14 novembre 1960 (concernant l’Irlande). En tout, la Cour a rendu plus de douze mille arrêts en cinquante-cinq ans, ce qui a conduit certains pays à modifier (améliorer) leur législation pour être compatible avec la Convention européenne des droits de l’Homme. Ses décisions ont donc une des conséquences importantes et confortent l’État de droit au sein des quarante-sept pays signataires.


Composition

Chaque État propose une personnalité pour siéger à la Cour, en fait, une liste de trois noms et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en élit un. L’attribution des sièges de juge est particulièrement contraignante, nécessitant de hautes compétences pour remplir la mission, et le juge une fois confirmé (il est élu après audition auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe) n’est pas censé représenté l’État dont il vient.

L’actuel juge français s’appelle André Potocki (64 ans), ancien vice-président du tribunal de grande instance de Paris en 1990 et ancien président de la chambre commerciale de la Cour de cassation de 2005 à 2011. Il a été élu le 21 juin 2011 et est entré en fonction le 4 novembre 2011 pour un mandat de neuf ans non renouvelable. À l’origine, Nicolas Sarkozy avait voulu y envoyer Michel Hunault, député de Loire-Atlantique de 1993 à 2012, dont les compétences juridiques avaient été jugées trop faibles par la sous-commission de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui avait demandé à la France de lui reproposer une nouvelle liste de trois noms sans la présence de Michel Hunault (ce fut un véritable camouflet pour l’Élysée qui avait voulu "libérer" la circonscription à un proche du Président de la République, mais en 2012, la circonscription a finalement été conquise par la gauche).

Le premier Président de la Cour européenne des droits de l’Homme fut le Français René Cassin (1887-1976), professeur agrégé de droit, résistant condamné à mort par le régime de Vichy, Vice-Président du Conseil d’État de 1944 à 1960, président de l’ENA de 1946 à 1960, Président du Conseil Constitutionnel provisoire en 1958 puis membre permanent de cette instance du 11 juillet 1960 au 2 mars 1971. Diplomate, cofondateur de l’UNESCO, il fut le représentant de la France à l’ONU de 1946 à 1958, membre de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU et à ce titre, il participa à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme proclamée le 10 décembre 1948 (résolution 217 de l’Assemblée générale des Nations Unies). Enfin, il présida la Cour européenne des droits de l’Homme de 1965 à 1968. Il fut Croix de guerre 1914-1918 et Compagnon de la Libération. Son existence fut doublement honorée avec le Prix Nobel de la Paix en 1968 et le transfert de ses cendres au Panthéon le 5 octobre 1987 (le premier transfert depuis Jean Moulin en 1964). De très nombreux collèges et lycées portent son nom, en France mais aussi à l’étranger comme les Lycées René-Cassin à Fianarantsoa, grande ville universitaire de Madagascar, à Oslo et à Jérusalem.

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Un autre Français présida également la Cour, Jean-Paul Costa (73 ans), le prédécesseur d’André Potocki, énarque au Conseil d’État, directeur de cabinet du Ministre de l’Éducation nationale de 1981 à 1984, juge à la Cour du 1er novembre 1998 au 4 novembre 2011 et élu à la Présidence de la Cour le 29 novembre 2006 et réélu le 15 novembre 2009 pour un mandat allant du 19 janvier 2007 au 4 novembre 2011 (démissionnaire à cause de la limite d’âge de 70 ans).

L’actuel Président est le Luxembourgeois Dean Spielmann (52 ans), avocat, enseignant le droit pénal à Louvain, Luxembourg et Nancy (de 1997 à 2008). Il est juge à la Cour depuis 24 juin 2004 et a été élu à sa Présidence en octobre 2012 ; son mandat s’achèvera le 31 octobre 2015.


Des droits fondamentaux protégés pour tous

Le point de référence de la Cour repose entièrement sur la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés, plus courtement appelée Convention européenne des droits de l’Homme signée le 4 novembre 1950 à Rome et entrant en application le 3 septembre 1953. La France n’a ratifié la Convention qu’en 1974 et n’a permis à ses résidents de saisir la Cour qu’en 1981. Cela signifie qu’il n’est même pas nécessaire d’être citoyen européen pour saisir la Cour.

Le texte comporte cinquante-neuf articles et actuellement, quinze protocoles (rajoutés par la suite) ont été adjoints dont les deux derniers non appliqués encore (ceux du 24 juin 2013 et du 2 octobre 2013).

Parmi les articles plus importants, l’article 2 proclame le droit à la vie : « Le droit de toute personne à la vie est protégée par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. » (à l’époque de sa rédaction, la peine de mort était encore "autorisée").

Et justement, parmi les protocoles les plus importants, le Protocole n°6 (signé le 28 avril 1983 à Strasbourg) qui interdit la peine de mort en période de paix et le Protocole n°13 (signé le 3 mai 2002 à Vilnius) qui interdit la peine de mort aussi en période de guerre. L’abolition de la peine de mort a juridiquement en France non seulement une valeur constitutionnelle mais aussi la valeur d’un Traité international.


Des dizaines de milliers de requêtes chaque année

La Cour est de plus en plus saisie de requêtes au fil du temps. Pour être recevable, une requête doit être formulée seulement après l’épuisement de toutes les voies de recours nationales (article 35 de la Convention qui assure le principe de subsidiarité). N’importe qui peut saisir la Cour, même des étrangers aux États contractants mais seulement dans les cas où c’est un État contractant qui est accusé de ne pas avoir respecté la Convention.

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En 2014, la Cour a été saisie de 56 250 requêtes, certes, en baisse par rapport aux 65 800 requêtes de 2013, mais dans un mouvement général de croissance : 35 000 requêtes en 2002, 5 000 requêtes en 1990. En 2011, les États les plus souvent condamnés furent la Turquie (159 condamnations), la Russie (121), l’Ukraine (105) et la Grèce (69). Pour les dix dernières années, la Turquie et la Russie ont été parmi les plus souvent condamnés, mais la France, entre autres, est également régulièrement condamnée (en 2004, 59 condamnations ; en 2011, 23 condamnations ; soit un total de plus de 600 depuis le début de l’activité de la Cour).

Parmi les décisions les plus marquantes, celles du 10 février 1995 et du 7 août 1996 concernant le respect de la présomption d’innocence (article 6 de la Convention) qui a condamné la France car Michel Poniatowski, Ministre de l’Intérieur, avait mis en cause publiquement une personne considérée comme l’auteur de l’assassinat de l’ancien ministre Jean de Broglie (assassiné le 24 décembre 1976) mais qui fut finalement mise hors de cause par la justice française (bien plus tard).


Affiner les règles juridiques

La condamnation de la France sur ce cas était évidente (la victime a reçu de l’État français une indemnité de deux millions de francs en dédommagement) mais parfois, il y a des situations plus ambiguës. Ainsi, la décision du 24 novembre 1994 a condamné la France toujours en raison de l’article 6 de la Convention, sur l’obligation de l’indépendance des tribunaux nationaux. Or, un tribunal français, au lieu de faire lui-même l’interprétation d’un accord international, avait adopté l’interprétation du Ministre des Affaires étrangères. C’est pour cette raison que la France fut condamnée pour une autre requête.

L’une des plus récentes décisions de la Cour qui fut très médiatisée fut celle du 26 juin 2014 qui a condamné la France pour violation de l’article 8 de la Convention à cause du refus par la France de reconnaître la filiation entre un enfant conçu par GPA et ses parents reconnus dans le pays de naissance, en estimant : « Cette contradiction porte atteinte à l’identité des enfants au sein de la société française. ». Une décision qui ne se place pas dans le champ de la morale ni de la souveraineté, reconnaissant à la France le droit d’interdire la GPA, mais qui pourrait encourager la GPA de couples français en éliminant le principal obstacle, celui de la reconnaissance juridique de la filiation. (On voit à quel point il y a nécessité de concevoir des règles supranationales pour éviter ce genre de contradiction).

En France, la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 relative à la présomption d’innocence a même créé au sein de la Cour de cassation une instance spéciale, la Commission de réexamen d’une décision pénales consécutif au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme composée de sept juges : « C’est une voie de recours extraordinaire qui doit être ajoutée au pourvoi en cassation et aux demandes de révision. (…) C’est une révision fondée uniquement sur des éléments de droit et non sur des éléments de faits. ».


Le triomphe des Lumières

Tout le dispositif juridique de la Cour repose donc sur la Convention européenne des droits de l’Homme. Une Convention que la France a signée et ratifiée dans sa pleine et entière souveraineté (aucun État étranger ne l’y a contraint), par ses représentants librement désignés au cours d’élections libres et sincères. Je suis insistant sur ce sujet car je veux répéter et insister sur le fait que la Convention européenne des droits de l’Homme n’est en rien une atteinte à la souveraineté nationale mais un bouclier juridique de niveau supérieur, suprême même, au profit des citoyens qui sont déjà protégés par de nombreuses lois, par la Constitution de la Ve République qui repend elle-même le préambule de la Constitution de la IVe République, aussi par la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations Unies.

Bref, tout ce montage juridique permet à un citoyen, après le dernier recours auprès de la justice de son pays, d’avoir encore un nouveau recours pour faire admettre son point de vue. Et qu’un État, dans sa complétude, autant dans son corpus législatif que dans la manière dont est rendue la justice, accepte d’être condamné par une instance qu’il a lui-même contribué à mettre en place, c’est vraiment le triomphe du citoyen et de l’État de droit sur l’arbitraire et le dirigisme étatique. C’est le triomphe des Lumières et des idées révolutionnaires dont les États signataires sont tous les heureux héritiers.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (3 juin 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Marine Le Pen et la CEDH.
L’Union Européenne.
Le pape au Conseil de l’Europe.
La peine de mort.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-124050423.html

http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/la-cour-europeenne-des-droits-de-l-168115

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/06/03/32159222.html
 

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18 mai 2015 1 18 /05 /mai /2015 06:51

« Quand la suprême justice donne seulement à vomir à l’honnête homme qu’elle est censée protéger, il paraît difficile de soutenir qu’elle est destinée, comme ce devrait être sa fonction, à apporter plus de paix et d’ordre dans la cité. Il éclate au contraire qu’elle n’est pas moins révoltante que le crime, et que ce nouveau meurtre, loin de réparer l’offense au corps social, ajoute une nouvelle souillure à la première. » (Albert Camus, "Réflexions sur la peine capitale", 1957).


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Ce long week-end de l’Ascension a apporté son lot d’inhumanité dans le monde. Et la justice de deux pays, voire de quatre pays, n’a pas fait le pont : la justice des États-Unis et de l’Égypte ont encore prononcé des sentences de mort. Quant à la Corée du Nord, à l’Indonésie et plus primairement, le Daech, ils n’ont jamais eu que du sang chaud dans la bouche.


Boston

Le vendredi 15 mai 2015, les douze jurés américains se sont mis d’accord à l’unanimité, après quatorze heures de délibération réparties sur trois journées, sur un verdict très sévère en condamnant à mort le terroriste tchétchène Djokhar Tsarnaïev (21 ans), l’un des deux auteurs des attentats du marathon de Boston, le 15 avril 2013, qui avaient tué trois personnes et en blessé deux cent soixante-quatre autres. L’autre auteur était son frère Tamerlan Tsarnaïev qui avait été tué le 19 avril 2013 au cours de sa fuite (à 26 ans).

Si la culpabilité semble bien établie et reconnue, il n’en demeure pas moins que la sentence ajoute de la souillure à l’horreur des crimes incriminés, comme l’expliquait Albert Camus.


Le Caire

Le samedi 16 mai 2015, la justice égyptienne a condamné à mort l’ancien Président égyptien Mohamed Morsi pour deux affaires différentes, pour espionnage et pour des évasions de prison. Il y a une telle démesure entre les faits reprochés et le verdict qu’il n’y a aucun doute sur l’iniquité de ce jugement. Il avait déjà été condamné à vingt ans de prison pour une autre affaire.

Mohamed Morsi (63 ans), l’un des leaders politiques des Frères musulmans, avait été élu démocratiquement le 17 juin 2012, proclamé vainqueur le 24 juin 2012 et investi le 30 juin 2012. L’élection avait été la seule démocratique en Égypte, avec des résultats très partagés voire serrés. Au premier tour le 24 mai 2012, Mohamed Morsi avait obtenu 24,8% tandis que son rival représentant l’ère Moubarak, son dernier Premier Ministre, Ahmed Chafik 23,7% et il avait vaincu son concurrent au second tour avec 51,7%. Mohamed Morsi a été destitué et arrêté le 3 juillet 2013 par un coup d’État qui a installé un militaire au pouvoir, Abdel Fattah Al-Sissi, qui a engagé depuis deux ans une large et sanglante répression contre les islamistes.

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En même temps que Mohamed Morsi, des centaines d’autres islamistes ont également été condamnés à mort, ce qui n’est pas la première fois puisque le 25 mars 2014, après un procès expéditif de deux jours, un tribunal égyptien avait déjà condamné à mort collectivement cinq cent vingt-neuf partisans du Président déchu Mohamed Morsi, dont trois cent quatre-vingt-dix-huit par contumace, pour la mort d’un policier dans la province d’Al-Minya, en août 2013, l’appartenance à la confrérie musulmane, l’incitation à la violence, le vandalisme et les rassemblements illégaux.

À l’époque, lors d’une conférence de presse à Genève, Rupert Colville, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, avait violemment réagi : « Le grand nombre de personnes condamnées à mort est tout à fait étonnant et cela n’a pas de précédent dans l’histoire récente. Imposer la peine de mort collectivement suite à un procès truffé d’irrégularités constitue une violation des normes internationales des droits de l’Homme. (…) Toutes les accusations sont liées aux événements du mois d’août 2013, après la déposition du gouvernement du Président Mohamed Morsi, donc plusieurs mois avant que les autorités égyptiennes aient qualifié la confrérie musulmane d’organisation illégale. Les accusations individuelles restent vagues puisqu’elles n’ont pas été précisées par le tribunal. (…) Les avocats de la défense affirment qu’ils n’ont pas eu un accès suffisant aux accusés et que le tribunal a refusé de prendre en compte les preuves qu’ils ont apportées. Selon des sources présentes lors du procès, il y a eu un certain nombre d’irrégularités, dont le fait que le président du tribunal n’a pas appelé chaque accusé par son nom, le fait que certains accusés en détention n’ont pas été transférés au tribunal ou encore que le président n’a pas demandé si les accusés étaient représentés par des avocats. (…) Il est particulièrement inquiétant qu’il y ait des milliers d’autres personnes détenues et accusées des mêmes chefs d’accusation. » (25 mars 2014). Autrement dit, Al-Sissi, le Robespierre du Nil.

Pour le procès de Mohamed Morsi qui vient de s’achever, les mêmes irrégularités ont été constatées, notamment l’impossibilité de son avocat Abdel-Moneim Abdel-Maqsoud à communiquer avec son client !

L’emballage d’une supposée justice est donc ici, en Égypte, un pur trompe-œil qui ne trompe personne sur l’objectif du pouvoir militaire actuel de réprimer le plus sévèrement possible toute expression islamiste. Là encore, l’opposant naturel à l’islamisme politique pour des raisons d’éthique humanitaire est amené paradoxalement à se ranger derrière ces condamnés à mort pour les mêmes raisons de défense des droits humains.


Palmyre

Ce week-end aussi, le 15 mai 2015, les terroristes du Daech ont "exécuté", selon l’impropre expression des dépêches des agences de presse, vingt-trois civils en arrivant à la cité antique de Palmyre en Syrie, dont neuf enfants. Le mot "exécution" est très mal approprié puisqu’il ne s’agit pas de justice mais clairement d’assassinats comme les islamistes du Daech ont l’habitude de commettre depuis au moins deux ans, y compris contre des otages. Trois cents personnes auraient péri dans les heures qui ont suivi.

Depuis le saccage des Bouddhas géants en Afghanistan par les talibans, la réflexion se pose sur le clivage entre l’humain et l’historique. Qu’est-ce qui serait le plus grave, le plus révoltant : qu’on assassine aveuglément une grande partie de la population locale, ou qu’on détruise à jamais des trésors de l’histoire du monde ? Je n’ai malheureusement pas de réponse toute faite, mais à bien y réfléchir, une seule vie humaine d’aujourd’hui vaut beaucoup plus que toutes les vieilles pierres de tous les bijoux de toutes les civilisations anciennes. Je l’écris avec assurance malgré mon grand intérêt pour toutes les nouvelles découvertes archéologiques (qui sont assez nombreuses en ce moment). Cela me navre donc de voir s’indigner plus bruyamment lorsque des musées sont pillés que lorsque des peuples sont massacrés (en particulier les chrétiens d’Orient).


Jarkarta

En Indonésie, échappant de peu à la journée d’exécution du 29 avril 2015 où huit condamnés à mort avaient été fusillés (debout, les yeux ouverts, en chantant leur hymne national), le condamné à mort français Serge Atlaoui a vu sa demande de contestation recevable le 13 mai 2015, mais rien n’est réglé pour lui (un tweet le 13 mai 2015 à 11h16  : « Coupable ou pas, c’est quand même un jeu du chat et de la souris qu’on ne souhaite à personne. ») : la Cour administrative de Jakarta a accepté qu’un expert examine la procédure judiciaire. La contestation portait sur le rejet de la grâce présidentielle. La cour recevra le 20 mai 2015 les arguments écrits de la défense et entendra le 26 mai 2015 les experts et témoins convoqués par la défense, et statuera le 28 mai 2015. Pour l’instant, seulement un petit mois a été gagné, sur dix ans déjà de réclusion criminelle dans une prison-île très isolée.


Pyongyang

Ce même 13 mai 2015, les services de renseignements sud-coréens informaient les parlementaires sud-coréens que le Ministre nord-coréen des Forces armées du peuple Hyon Yong-Chol aurait été "exécuté" fin avril 2015 au "canon antiaérien", protocole réservé aux plus fidèles serviteurs du roitelet Kim Jong-Un). Les raisons de la disgrâce et de l’élimination physique ? S’être assoupi pendant un défilé et avoir émis quelques réticences aux idées pharaonesques du dictateur, une exécution faisant suite à des dizaines d’autres de hauts dignitaires du régime depuis quelques années.


La peine de mort, une négation des droits humains…

Supprimer des vies humaines pour asseoir son pouvoir politique ou sanctionner un crime, que ce soit fait dans des conditions régulières sur des prévenus jugés coupables après un débat contradictoire et un code de procédure pénale respecté (États-Unis) ou que ce soit fait de manière très expéditive et approximative, parfois collectivement et probablement sur des innocents au regard des actes qu’on leur reproche (Égypte, Corée du Nord, mais aussi Indonésie), à moins qu’on ne leur reproche même rien sinon de vivre (Daech), le fond reste identique : c’est la négation d’État du caractère sacré de la vie humaine au nom d’intérêts prétendument supérieurs.

Heureusement, en France, la peine de mort a été abolie. Elle l’a été hélas tardivement, le 9 octobre 1981 (article 1 de la loi n°81-908 du 9 octobre 1981 : « La peine de mort est abolie. »), par l’un des actes les plus honorables du Président François Mitterrand qui, malgré son arrivisme légendaire, avait quand même démontré quelques convictions fortes. Mais il faut aussi saluer l’un des derniers actes du Président Jacques Chirac pour avoir constitutionnalisé l’abolition de la peine de mort le 19 février 2007 (article 66-1 de la Constitution : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort. »).

Par ailleurs, la ratification par la France des protocoles 6 (le 17 février 1986) et 13 (le 10 octobre 2007) de la Convention européenne des droits de l’Homme (émanation du Conseil de l’Europe et pas de l’Union Européenne ; la Russie et la Turquie en font partie aussi) et celle du deuxième protocole facultatif du Pacte international des droits civils et politiques (le 2 octobre 2007) renforcent aussi considérablement le statut juridique de l’abolition de la peine de mort en France.

L’abolition avait été pourtant sur le point d’être votée au début du XXe siècle (en 1906, les députés français avaient voté la suppression des crédits de fonctionnement de la guillotine !), notamment grâce aux arguments développés par Jean Jaurès mais un fait divers sordide (une fillette de 11 ans violée, poignardée et empaquetée dans une consigne de gare) a dissuadé la majorité des députés à franchir le pas le 8 décembre 1908, lors du vote du projet de loi d’Aristide Briand, à l’époque Ministre de la Justice du gouvernement de Georges Clemenceau, soutenu par Jean Jaurès mais fustigé par Maurice Barrès (330 voix contre 221).

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Pour arriver à ce niveau de protection des droits humains en France, il a fallu aussi un certain nombre de ce qu’on pourrait appeler "intellectuels" pour faire évoluer non seulement l’opinion du peuple mais aussi l’opinion des gouvernants. Je citerai les deux plus connus, Victor Hugo (1802-1885) et Albert Camus (1913-1960).


Victor Hugo

Victor Hugo, dont on fêtera le 22 mai prochain le 130e anniversaire de la disparition, a été célèbre dans son combat abolitionniste par la publication de son roman "Dernier Jour d’un condamné" en 1829 mais aussi par la publication de "Claude Gueux" en 1834.

Élu député, Victor Hugo avait prononcé devant l’Assemblée Constituante qui allait aboutir à la Seconde République un discours abolitionniste le 15 septembre 1848 : « Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n’appartiennent pas à l’homme : l’irrévocable, l’irréparable, l’indissoluble. Malheur à l’homme s’il les introduit dans ses lois. Tôt ou tard, elles font plier la société sous leurs poids, elles dérangent l’équilibre nécessaire des lois et des mœurs, elles ôtent à la justice humaine ses proportions ; et alors il arrive ceci, réfléchissez-y, Messieurs, que la loi épouvante la conscience. ».


Albert Camus

Albert Camus a lui aussi pris, plus d’un siècle plus tard, la tête intellectuelle de ce combat abolitionniste et cela a même valu le Prix Nobel de Littérature qui lui a été attribué le 17 octobre 1957 « pour l’ensemble d’une œuvre qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant mes problèmes qui se posent de nos jours à la conscience humaine ».

Parmi les ouvrages qui montrent cette éthique de l’humain, il y a "L’Étranger" (1942) et surtout "Réflexions sur la peine capitale" (1957) rédigé en deux parties dont une par Arthur Koestler (1905-1983). Arthur Koestler, journaliste d’origine hongroise de langue anglaise, avait été condamné à mort par les franquistes puis expulsé d’Espagne.

Dans cet essai, Albert Camus a énuméré de nombreux arguments contre la peine de mort.

Il était parti de l’expérience de son père, qu’il n’avait pas connu : « Peu avant la guerre de 1914, un assassin dont le crime était particulièrement révoltant (il avait massacré une famille de fermiers avec leurs enfants) fut condamné à mort à Alger. Il s’agissait d’un ouvrier agricole qui avait tué dans une sorte de délire du sang, mais aggravé son cas en volant ses victimes. L’affaire eut un grand retentissement. On estima généralement que la décapitation était une peine trop douce pour un pareil monstre. Telle fut, m’a-t-on dit, l’opinion de mon père que le meurtre des enfants, en particulier, avait indigné. L’une des rares choses que je sache de lui, en tout cas, est qu’il voulut assister à l’exécution, pour la première fois de sa vie. Il se leva dans la nuit pour se rendre sur les lieux du supplice, à l’autre bout de la ville, au milieu d’un grand concours de peuple. Ce qu’il vit, ce matin-là, il n’en a dit rien à personne. Ma mère raconte seulement qu’il rentra en coup de vent, le visage bouleversé, refusa de parler, s’étendit un moment sur le lit et se mit tout d’un coup à vomir. Il venait de découvrir la réalité qui se cachait sous les grandes formules dont on la masquait. Au lieu de penser aux enfants massacrés, il ne pouvait plus penser qu’à ce corps pantelant qu’on venait de jeter sur une planche pour lui couper le cou. Il faut croire que cet acte rituel est bien horrible pour arriver à vaincre l’indignation d’un homme simple et droit et pour qu’un châtiment qu’il estimait cent fois mérité n’ait eu finalement d’autre effet que de lui retourner le cœur. » (1957).

Albert Camus avait présenté un bref aperçu historique de la peine de mort, et notamment contre des enfants : « En 1801, Andrew Brenning âgé de treize ans, fut pendu en public pour être introduit par effraction dans une maison et avoir volé une cuillère. En 1808, une petite fille de sept ans fut pendue à Chelmsford pour avoir mis le feu à une maison, et une autre petite fille de treize ans fut pendue à Maidstone. » (1957). Aux États-Unis en 1944, un garçon de 14 ans a été exécuté pour deux meurtres alors qu’il était certainement innocent. Aux Maldives en 2015, les enfants peuvent être condamnés à mort

Albert Camus avait un peu moins de statistiques sur les périodes plus récentes depuis la fin des exécutions publiques (décidée par le décret-loi du 24 juin 1939 signé par Édouard Daladier, Président du Conseil) : « De tels sondages ne peuvent plus être exécutés en France, à cause du secret qui entoure les exécutions. Mais ils autorisent à penser qu’il devrait y avoir autour de mon père, le jour de l’exécution, un assez grand nombre de futurs criminels qui eux, n’ont pas vomi. » (1957).

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L’un des arguments d’Albert Camus est évidemment l’incohérence intellectuelle de la peine de mort : « On tue un assassin précisément parce qu’il ne faut pas tuer. » (1957). Un argument repris également par l’excellent dessinateur Franquin dans ses "Idées noires" où l’on voit une multitude de bourreaux rappeler à leur prédécesseur que la loi est de tuer celui qui tue.

Albert Camus rejetait tout effet dissuasif de la peine de mort : « La peine capitale ne saurait intimider d’abord celui qui ne sait pas qu’il va tuer, qui s’y décide en un moment et prépare son acte dans la fièvre ou l’idée fixe, ni celui qui, allant à un rendez-vous d’explication, emporte une arme pour effrayer l’infidèle ou l’adversaire et s’en sert alors qu’il ne le voulait pas, ou ne croyait pas le vouloir. Elle ne saurait en un mot intimider l’homme jeté dans le crime comme on l’est dans le malheur. Autant dire alors qu’elle est impuissante dans la majorité des cas. » (1957).

L’argument repris de celui de Victor Hugo qui veut que l’État ne se substitue pas à Dieu : « L’État n’a pas le droit de juger en dernier ressort du destin ultime de la personne humaine. (…) Au fond de chaque homme civilisé se tapit un petit homme de l’âge de pierre, prêt au vol et au viole, et qui réclame à grands cris un œil pour œil. Mais il vaudrait mieux que ce ne fût pas ce petit personnage habillé de peaux de bêtes qui inspirât la loi de notre pays. » (1957). Le rôle de l’État est plusieurs fois évoqué par Camus : « Il faut abolir la peine capitale pour protéger l’individu contre un État livré aux folies du sectarisme et de l’orgueil. » (1957).

En donnant une condition nécessaire à la sérénité d’une société, Albert Camus n’en a pas donné pour autant toutes les conditions suffisantes : « Ni dans le cœur des individus, ni dans les mœurs des sociétés, il n’y aura de paix durable tant que la peine de mort ne sera pas mise hors-la-loi. » (1957).


Ni anarchie, ni confusion…

Enfin, je fais mienne la propre conclusion d’Albert Camus, percutante et subtile : « Au moment de conclure, je voudrais répéter que ce ne sont pas des illusions sur les bontés naturelles de la créature, ni la foi dans un âge doré à venir, qui expliquent mon opposition à la peine de mort. Au contraire, l’abolition me paraît nécessaire pour des raisons de pessimisme raisonné, de logique et de réalisme. Non que le cœur n’ait pas de part à ce que j’ai dit. (…) Je ne crois pas qu’il n’y ait nulle responsabilité en ce monde et qu’il faille céder à ce penchant moderne qui consiste à tout absoudre, la victime et le tueur, dans la même confusion. Cette confusion purement sentimentale est faite de lâcheté plus que de générosité et finit par justifier ce qu’il y a de pire en ce monde. (…) Mais justement l’homme du siècle demande des lois et des institutions de convalescence qui le brident, qui le conduisent sans l’écraser. Lancé dans le dynamisme de l’histoire, il a besoin d’une physique et de quelques lois d’équilibre. Il a besoin pour tout dire d’une société de raison et non de cette anarchie où l’ont plongé son propre orgueil et les pouvoirs démesurés de l’État. » (1957).

Trente-trois ans après l’abolition de la peine de mort, c’est cette société d’équilibre qui manque encore tant en France où le moindre fait divers continue toujours à alimenter… l’anarchie et la confusion dont parle Albert Camus. Il faut à tout prix éviter que « la loi épouvante la conscience », pour reprendre Victor Hugo. Pas sûr que la loi sur le renseignement rassure les esprits.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 mai 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Encore la peine de mort.
Chaque vie humaine compte.
Rapport d’Amnesty International "Condamnation à mort et exécutions en 2014" (à télécharger).
Il n’y a pas d’effet dissuasif de la peine de mort (rapport à télécharger).
Serge Atlaoui.
Peshawar, rajouter de l’horreur à l’horreur.
Hommage à George Stinney.
Pourquoi parler des Maldives ?
Maldives : la peine de mort pour les enfants de 7 ans.
Pour ou contre la peine de mort ?
La peine de mort selon François Mitterrand.
La peine de mort selon Barack Obama.
La peine de mort selon Kim  III.
La peine de mort selon Ali le Chimique.
Troy Davis.
Les 1234 exécutés aux États-Unis entre 1976 et 2010.
Flou blues.
Pas seulement otage.
Pas seulement joggeuse.
Nouveau monde.
Le 11 septembre 2001.
Chaos vs complot.

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30 avril 2015 4 30 /04 /avril /2015 06:22

« L’appartenance à la famille humaine confère à toute personne une sorte de citoyenneté mondiale, lui donnant des droits et des devoirs, les hommes étant unis par une communauté d’origine et de destinée suprême. La condamnation du racisme, la protection des minorités, l’assistance aux réfugiés, la mobilisation de la solidarité internationale envers les plus nécessiteux, ne sont que des applications cohérentes du principe de citoyenneté mondiale. » (Jean-Paul II, le 1er janvier 2005, trois mois avant sa mort).


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Huit des dix condamnés à mort pour trafic de drogue en Indonésie ont été exécutés dans la nuit du 28 au 29 avril 2015 par un peloton d’exécution composé de douze hommes : deux Australiens, Myuran Sukumaran (33 ans) et Andrew Chan (31 ans) ; trois Nigérians, Sylvester Obiekwe Nwolise alias Mustafa (49 ans), Okwudili Oyatanze (45 ans) et Raheem Agbaje Salami (42 ans) ; un Ghanéen, Martin Anderson alias Belo (50 ans) ; un Brésilien, Rodrigo Muxfeldt Gularte (42 ans) ; et un Indonésien, Zainal Abidin bin Mahmud Badarudin (49 ans). Aucun n’a voulu porter de bandeau aux yeux. Petit miracle de courte durée, la condamnée philippine, Mary Jane Veloso (30 ans), a obtenu au dernier moment quelques jours de sursis comme le Français Serge Atlaoui (51 ans). Mais leur situation est toujours jugée "préoccupante".

Le 18 janvier 2015, une autre série d’exécutions contre les trafiquants de drogue a eu lieu pour six condamnés à mort : un Néerlandais (Ang Kiem Soei), un Brésilien (Marco Archer Cardoso Moreira), un Nigérian (Daniel Enemuo), un Malawien (Namaona Denis), un Vietnamien (Tran Bich Hanh) et un Indonésien (Rani Andriani). Selon Amnesty International, il y a au moins 130 personnes qui ont été condamnées à mort en Indonésie à ce jour.

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À 77 kilomètres au nord-ouest de Katmandou, la capitale du Népal, a eu lieu, le samedi 25 avril 2015 un séisme de magnitude 7,8 (suivi de plusieurs dizaines de répliques dont une le lendemain de magnitude 6,7), provoquant au moins 5 238 morts, 10 348 blessés et 8 millions de sinistrés (statistiques au 29 avril 2015).

Chaque semaine, chaque jour même, l’actualité déverse son lot effroyable de drames humains. Ils peuvent être d’origine naturelle, ce sont les plus meurtriers où les victimes se comptent par centaines de milliers, des tremblements de terre (Haïti le 12 janvier 2010 ; Katmandou le 25 avril 2015), des tsunamis (Sumatra le 26 décembre 2004 de magnitude 9,3 ; Fukushima le 11 mars 2011 de magnitude 9,0), ou avoir une cause humaine, plus ou moins volontaire, des accidents automobiles, des accidents d’avion, ou d’hélicoptère, des attentats (Paris, Copenhague, Tunis, Nigeria, Afghanistan, Pakistan, Irak, etc.), des guerres (Ukraine, Syrie, Irak, Yémen, Libye, Gaza, etc.), des naufrages en mer (Méditerranée), des catastrophes industrielles (Bangladesh, etc.), des exécutions sommaires (Daech), des assassinats…

Mon propos, ici, est de faire porter l’attention sur deux remarques.

La première, c’est que tout drame humain mérite émotion et indignation. Chaque vie humaine compte, qu’elle soit célèbre ou anonyme, qu’elle soit nationale ou étrangère, qu’elle soit riche ou pauvre, qu’elle soit instruite ou pas, qu’elle soit influente ou exclue, qu’elle soit petite ou grande… L’émotion et l’indignation sont des moteurs indispensables aux changements du monde et à la solidarité, des ressorts de l’amélioration et du progrès. Elles ne sont évidemment pas suffisantes, mais elles sont absolument nécessaires.

L’année 2015 est déjà bien chargée en drames humains dès la fin de son quatrième mois et il est difficile de faire une comptabilité macabre qui pourrait simplement reprendre les titres des journaux depuis janvier, même si parfois, certaines informations sont plus discrètes que d’autres. Des dizaines de vies perdues par des assassinats, des dizaines voire des centaines de vies perdues par des attentats terroristes, des centaines voire des milliers de vies perdues par des accidents, crashs, des centaines voire des milliers de vies perdues par des exécutions, des milliers voire des dizaines de milliers de vies perdues par des guerres, des naufrages, des tremblements de terre… Ces lourds tributs sont marquants parce qu’ils sont maintenant immédiatement connus par tous les citoyens du monde.

Le tremblement de terre au Népal double à lui seul le bilan en vies humaines des attentats du World Trade Center du 11 septembre 2001. Numériquement, on est loin des attentats de "Charlie Hebdo" et pourtant, l’émotion populaire très vive suscitée par les assassinats des 7 au 9 janvier 2015 à Paris était légitime et nécessaire.

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La nécessité de l’émotion, parce qu’elle est le point de départ de l’action. Le point de départ éventuel, pas forcément systématique. Mais sans émotion, pas d’action, pas de projet d’action, pas même d’idée d’action. L’indifférence. Or, ce projet d’action, il est multiple, en fonction des drames. Pour les catastrophes naturelles de grande ampleur, qu’on pourrait qualifier de "fatalité" planétaire, l’action a pour synonyme la solidarité : la tragédie au Népal n’est pas terminée, il y a encore de nombreux survivants à secourir, des rescapés à soigner, à héberger, à nourrir, à aider. Pour les actes d’origine humaine, il y a aussi ce même "service après-vente" d’aide humanitaire dans les guerres, dans les crashs d’avion etc. mais il peut aussi y avoir des actions en amont, pour éviter ces guerres, pour éviter ces attentats, pour éviter ces exécutions, même si la plupart du temps, cela correspond principalement à une action diplomatique car cela concerne souvent d’autres pays souverains, mais cela signifie aussi que le choix de ceux qui représentent notre pays est essentiel, donc, cette émotion doit aussi faire réfléchir aux choix électoraux futurs.

J’en viens à ma seconde remarque.

Il est souvent constaté qu’on oppose un drame à un autre drame. Comme si l’on ne pouvait pas s’indigner plusieurs fois, comme s’il fallait être exclusif, comme si l’un chassait l’autre (c’est un peu vrai dans le traitement médiatique assez insupportable). Certes, et c’est bien humain, on ne peut pas s’indigner de toutes les misères du monde, parce qu’on n’a qu’un seul cœur et que l’émotion est d’autant plus grande qu’elle touche de près (un drame national plus qu’un drame à l’étranger ; des personnalités connues, que ce fussent Cabu, Wolinski, Charb, Tignous et Honoré ; ou Florence Arthaud, Camille Muffat et Alexis Vastine ; etc.), mais justement, c’est l’intérêt qu’il y ait plusieurs à s’indigner parce que leur émotion sera différente, modulée, pas focalisée sur les mêmes événements, rappelée.

S’émouvoir des attentats de "Charlie Hebdo" de janvier 2015 n’était pas incompatible avec l’émotion suscitée par l’attentat de Peshawar du 16 décembre 2014 ou encore celui du Caire du février 2009 (pris parmi tant d’autres). Les opposer est s’opposer aux valeurs universelles les plus élémentaires.

Certaines personnes qui nourrissent un antiaméricanisme d’autant plus primaire qu’elles ont oublié les leçons du passé (1944 par exemple), aiment parler des États-Unis quand on s’indigne de la peine de mort dans d’autres pays. Oui, évidemment, les États-Unis sont scandaleusement en retrait sur ce sujet, dans un archaïsme qui étonne par rapport au modernisme affiché, notamment démocratique (la démocratie américaine est plus ancienne que la démocratie française). J’avais évoqué la situation de la peine de mort au début du premier mandat de Barack Obama, puis la situation dramatique de Troy Davis, encore plus dramatique de George Stinney qui n’est quasiment pas connu alors qu’il mériterait d’être l’incarnation non pas du mal américain mais du mal de la peine de mort. Mais la Chine, l’Iran, la Corée du Nord, l’Arabie saoudite, même les Maldives (pensez-y quand vous allez prendre vos vacances) et beaucoup trop d’autres pays sont bien plus cruels avec la peine de mort que les États-Unis (voir le dernier rapport d’Amnesty International sur le sujet). Inutile de jouer au classement des cadavres, tous sont indéfendables de pratiquer encore la peine de mort, et d’exécuter ne serait-ce qu’un seul condamné.

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Avec un goût certain au glauque, certains autres internautes se plaisent même à balancer l’assassinat (toujours horrible) de la petite Chloé du 15 avril 2015 pour répondre à l’exécution programmée de Serge Atlaoui (et de Mary Jane Veloso). Serge Atlaoui qui, rappelons-le, n’a été qu’un simple ouvrier de maintenance de machines qu’il ne savait pas destinées à la production d’ecstasy (il n’est donc ni un meurtrier, même si, indirectement, il a aidé à contribuer à la diffusion de la drogue dans la population, ni un violeur, ni un pédophile, mais plutôt un fraudeur du fisc assez vénal pour avoir accepté un travail au noir bien rémunéré).

Je passe ici sur l’odieuse instrumentalisation de la petite Chloé qui doit être insupportable pour ses parents (il faudrait d’ailleurs que les journalistes imaginent toujours le point de vue des proches des victimes dont ils parlent dans les médias, pour réduire le niveau de nausée qu’ils alimentent eux-mêmes en permanence dans l’information continue).

Mais récuser l’émotion suscitée par l’exécution probable d’un homme visiblement qui n’est que la victime d’un pouvoir politique qui veut montrer sa fermeté à son opinion publique (rappelons que l’Indonésie n’est pas une dictature mais une démocratie et que son Président de la République a été élu dans les règles démocratiques il y a neuf mois) en affichant une autre émotion, celle suscitée par la mort cruelle de Chloé, ce n’est que de la manipulation politicienne de première puanteur et de grande facilité démagogique.

La question de fond est de savoir quelles sont ses propres valeurs. Il ne s’agit pas ici de les afficher mais de les comprendre, de les connaître, et surtout de les défendre. Entre l’ignorance, l’indifférence, l’égoïsme, le nombrilisme et les drames humains qui dévastent la planète, où sommes-nous ? Où en sommes-nous ? Où nous situons-nous ? Où sont les valeurs humaines ? Où est l’humanisme, la solidarité humaine, simplement humaine, entre humains. Être humain, c’est peut-être cela, la définition, c’est de rester disponible à l’émotion et à l’indignation ; c’est d’être perméable à cette indignation qui ne sera jamais sélective mais parfois négligée, oubliée, ignorée ; c’est de ne pas se refermer égoïstement en se disant : "chacun sa m…", car oui, chacun peut, un jour, je ne le souhaite pas, mais c’est possible, être une victime, innocente, ou proche d’une victime, d’un crash, d’un accident de la circulation, d’un attentat, d’une guerre …et même d’une condamnation à mort dans un pays qui n’a pas encore compris que la peine de mort n’a jamais empêché la criminalité de se développer.

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Alors, à défaut de soutien, on peut juste demander un peu de compassion pour Serge Atlaoui ainsi que pour Mary Jane Veloso, une compassion qui n’enlèvera rien à celle qu’on doit aussi avoir pour la petite Chloé et à toutes les victimes des drames humains qui secouent les cœurs, quels qu’ils soient partout dans le monde, et si ce n’est pas pour des valeurs humanistes ou de solidarité humaine, cela peut tout simplement être par pur égoïsme : un jour, ce sera peut-être vous qui serez dans le même cas, par un simple et malheureux concours de circonstances, après avoir commandé vos vacances à Bali, heureux d’avoir fait une bonne affaires avec une compagnie aérienne low cost, sur Internet, chez vous, dans votre fauteuil, aussi tranquillement que vous pourrez rédiger un commentaire à cet article…

« L’inviolabilité de la vie humaine est le droit des droits. »
(Victor Hugo)


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 avril 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La peine de mort, barbarie humaine.
Être républicain.
Valeurs républicaines.
L’esprit du 11 janvier.
Le gaullisme.
La leçon d’ouverture de Jean-Paul II.
Penser d’abord à l’humain.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20150430-vie-humaine.html

http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/chaque-vie-humaine-compte-166790

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/04/30/31977935.html

 

 

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