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30 avril 2022 6 30 /04 /avril /2022 03:04

« Bien sûr, ce n’est pas la Seine,
Ce n’est pas le bois de Vincennes,
Mais c’est bien joli tout de même,
À Göttingen, à Göttingen. »

(Chanson et paroles de Barbara, 1967).




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Le titre, du Molière revisité (au pluriel), qui continue ensuite par deux autres vers : « Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées ». À l’évidence, la décision de la municipalité de Göttingen, une ville universitaire de Basse-Saxe en Allemagne (112 000 habitants dont près de 30% sont étudiants et où 42 prix Nobel sont vendus enseigner) en date du 28 avril 2022 a franchi allègrement les frontières de la ville, et du pays, peut-être même du continent européen.

En effet, elle vient d’autoriser les femmes à laisser les seins nus dans les piscines municipales. Cette tolérance du topless entre en vigueur ce dimanche 1er mai 2022 jusqu’au 31 août 2022, mais seulement les week-ends. Pendant les jours de la semaine, parce que les piscines sont réservées surtout aux scolaires, les seins devront être couverts pour ne pas perturber les cours de natation, mais elles sont aussi utilisées par les nageurs professionnels dont le maillot est obligatoire dans les réglementations sportives.

Dans une France entre deux élections nationales de grande importance, dans une Europe inquiète par l’invasion russe en Ukraine et les menaces de guerre nucléaire de la Russie, ce sujet des seins nus dans les piscines publiques peut faire sourire, être dérisoire et très léger, et ce l’est, effectivement. Néanmoins, c’est aussi un sujet très sensible, paradoxalement, car il s’agit d’une règle du vivre ensemble. En été 2016, la France s’était échauffée sur un vêtement de plage, le burkini, que les femmes portaient en couvrant tout leur corps, et que certains auraient voulu interdire.

D’ailleurs, le directeur d’un centre aquatique à Göttingen expliquait qu’il fallait trouver un compromis avec des « usagers issus d’autres cultures » pour qui la nudité dérangerait. Il répondait à d’autres usagers qui avaient fustigé la décision de n’autoriser le topless que les week-ends et pas les jours de la semaine. De toute façon, il y aura toujours des mécontents.

Si c’est une première dans les piscines en Allemagne, ce pays a une approche de la nudité et de la pudeur très différente de la France. Il peut arriver qu’au Grosser Tiergarten, le plus grand parc au centre de Berlin, on puisse voir certaines personnes profiter de leur pause de midi en s’étalant au soleil de manière "intégrale" sans que cela choque. D’ailleurs, la nudité est obligatoire dans la plupart des saunas (pour des raisons d’hygiène) où la mixité est généralisée.

C’est la raison qui justifie la décision que mérite attention : cette autorisation des seins nus vient de l’égalité des femmes et des hommes, en particulier celle d’être torse nu quel que soit son sexe. La mesure a pour origine un incident en automne 2021 : un surveillant avait demandé à un baigneur de recouvrir son torse car il le considérait comme une femme, mais "il" avait refusé car il se considérait comme un homme. Dès lors que le sexe auquel on s’identifie devient différent du sexe reconnu, les différences de règles entre les deux sexes deviennent très difficiles à gérer.

La décision n’est donc pas tombée du ciel mais a fait l’objet de très vifs débats au "sein" des élus et des associations sportives de la ville. La décision paraît raisonnable dans la mesure où elle expérimente pour l’été cette possibilité et la municipalité aurait le loisir de revenir sur la décision si elle créait des problèmes insurmontables.

Mais forcément, cette décision est contestable, dans sa logique en tout cas, car on pourrait aussi imaginer le soutien-gorge ou le bikini obligatoire à tous, y compris les hommes, plutôt que le torse nu à tous (et à toutes). En tout cas, des féministes continuent de militer pour que les seins nus soient autorisés aussi les jours de la semaine, considérant qu’il n’y a pas de raison de considérer les tétons des hommes comme anodins et pas ceux des femmes placés alors comme objets sexuels.

En Suède, il s’est passé la même chose il y a six ans, avec un incident identique dans une piscine de Stockholm. Une personne transgenre a été exclue de la piscine car qu’elle se baignait torse nu alors qu’elle était considérée comme une femme. Mais la personne a saisi le médiateur chargé en Suède de la lutte contre les discriminations (un équivalent du défenseur des droits en France, ou de l’ancienne HALDE, haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), et ce médiateur a donné raison à cette personne le 16 juin 2016 en confirmant le cas de délit constitué de discrimination sexuelle. Néanmoins, le porte-parole du médiateur a précisé : « La décision vaut pour une situation particulière, elle n’édicte pas de règle générale s’appliquant à toutes les piscines. ». Une nuance peu compréhensible car la décision a fait jurisprudence, ce qui a inquiété en particulier la directrice d’une piscine de Stockholm : « Certaine femmes se baignent en maillot intégral (…). Il y a un risque de collision avec les autres cultures et religions, mais même les personnes sans attache religieuse ou culturelle peuvent être offensées par des femmes qui se baignent torse nu. ».

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En Espagne, la même année, la maire de Madrid a créé la surprise en instituant la "Journée sans maillot" également nommée "Journée du maillot optionnel" le 24 juillet 2016 dans toutes les piscines municipales de Madrid, également valable pour les enfants s’ils sont accompagnés d’un adulte. Son promoteur, le président de l’association pour le développement du naturisme, a ainsi expliqué dans "El Pais" : « Le corps n’a rien de criminel, et la meilleure manière que nous ayons trouvée pour transmettre cette idée est de ne pas utiliser de vêtement quand cela n’est pas nécessaire. ». Mais cette initiative n’a rien à voir avec les seins nus autorisés ou interdits, qui, eux, relèvent de la discrimination entre les sexes et pas d’une certaine liberté de comportement en public.

Au Canada, il y a eu le même type d’incident (qu’en Suède) à Cornwall, une ville de près de 50 000 habitant dans l’Ontario, à 100 kilomètres d’Ottawa et 100 kilomètres de Montréal. Une femme a déposé plainte au tribunal des droits de la personne contre la ville pour discrimination, car la ville interdisait les seins nus dans les piscines municipales. Le conseil municipal s’est réuni le 10 juillet 2017 sur le sujet qui a suscité beaucoup de discussions. La maire a admis que la réglementation méritait d’être modifiée car une telle interdiction était effectivement une discrimination sexuelle. Un juriste d’Ottawa, spécialiste en droit civil, a confirmé : « C’est discriminatoire, parce que c’est une interdiction qui s’applique aux femmes et non aux hommes. C’est inconstitutionnel pour cette raison. ». La plainte devrait donc donner raison à la plaignante contre la ville.

En France, la situation est contrastée : s’il y a de très nombreuses plages carrément naturistes sur le littoral atlantique (et aussi méditerranéen) et même un espace naturiste au bois de Vincennes, près de Paris, depuis quelques années, la règle dans les piscines municipales est plutôt à l’interdiction des seins nus. En fait, les situations restent toujours compliquées.

Ainsi, un incident dans une piscine municipale de Toulouse a créé la polémique comme l’a rapporté "La Dépêche" du 5 juillet 2018 : une jeune femme de 35 ans au torse nu, installée au bord de l’eau, s’est fait réprimander par un surveillant qui lui a signifié qu’elle pouvait être seins nus allongée mais pas debout ! En fait, c’est un peu plus subtil que cela : l’article 11 du règlement intérieur des piscines municipales à Toulouse indique que « l’accès au bassin se fait uniquement en tenue correcte de bain (string et seins nus interdits) » et que « tout baigneur doit porter un vêtement de bain spécifique à la pratique d’une activité aquatique et de natation », pour les femmes « un maillot de bain une ou deux pièces traditionnels ». Donc, on peut être seins nus même debout tant qu’on n’entre pas dans le bassin pour s’y baigner. L’adjointe au maire chargée des sports en a profité pour rappeler cette règle aux surveillants : « Il relève de la liberté de chaque femme de bronzer et de s’exposer comme elles le souhaitent. (…) Mais pour se baigner, il faut se couvrir ».

Mais la jeune femme impliquée rejetait aussi cette partie du règlement : « Au nom de quoi peut-on interdire aux femmes d’être seins nus dans l’eau alors que les hommes, eux, y sont autorisés ? Sous prétexte que leur poitrine pourrait susciter le désir et qu’il est incorrect de la montrer ? Le corps de la femme ne lui appartient donc pas ? Elle en est dépossédée, réduite au statut d’objet. ».

L’IFOP a réalisé un sondage publié le 10 août 2017 pour mesurer la baisse du nombre de femmes seins nus : en 1987, 43% des femmes déclaraient qu’elles bronzaient topless et elles n’étaient plus que 22% en 2017, en raison d’une plus grande pudeur, d’un complexe sur son propre corps, et aussi d’une meilleure prévention contre le cancer. Et probablement (car on n’ose pas trop le dire), l’islamisme a pris plus d’influence chez de nombreuses femmes.

Cela dit, cette liberté de pouvoir délaisser le haut dans les lieux de baignades, à mon sens justifiée au-delà de l’acte revendicatif et d’une meilleure esthétique (les traces du maillot au bronzage), ne devrait pas s’alourdir de considérations purement féministes sur l’égalité entre l’homme et la femme, car cette logique poussée à son paroxysme pourrait rendre la vie quotidienne des citoyens complètement folle, ne serait-ce que dans l’occupation des toilettes publiques.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 avril 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Couvrez ces seins que je ne saurais voir !
Le burkini dans tous ses états.
Ne nous enlevez pas les Miss France !
Alexandra Richard, coupable ou victime ?
Dégenrer les Lego.
La PMA pour toutes les femmes désormais autorisée en France.
Genrer la part du Lyon ?
L’écriture inclusive.
Femmes, je vous aime !
Parole libérée ?
L’avortement.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220428-piscine-topless.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/couvrez-ces-seins-que-je-ne-241257

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/04/29/39455738.html












 

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27 avril 2022 3 27 /04 /avril /2022 03:55

« Mettre à mort cette femme serait commettre un sacrilège, manquer au devoir de l’humanité et dans son cas, ajouter l’injustice au malheur social, ce qui serait contraire à l’esprit de générosité et d’humanité de l’État du Texas. » (Robert Badinter, 13 avril 2022).




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L’ancien Ministre de la Justice Robert Badinter, qui a eu 94 ans le mois dernier, ne sort pas souvent de sa réserve, mais il l’a fait deux fois en une semaine, d’abord pour soutenir Emmanuel Macron, ensuite pour soutenir, par une autre sorte de soutien, Melissa Lucio. Cette femme, d’origine hispanique ("latino-américaine" dit-on), est une mère de quatorze enfants qui va bientôt avoir 54 ans ; elle est née le 18 juillet 1968 et la question était de savoir si elle allait fêter son anniversaire. Non, la question n’est pas là, ou un peu quand même. Car en fait, ce mercredi 27 avril 2022, sa mort était programmée. Son exécution. In extremis, le lundi 25 avril 2022, la cour criminelle d’appel du Texas a suspendu son exécution. Ouf, elle a quelques moments de répit.

Cela ne veut pas dire qu’elle est sauvée définitivement, mais au moins, elle n’aura pas été exécutée cette semaine. Son avocate Vanessa Potkin, lors d’une conférence de presse, a précisé : « C’est un premier pas vers l’obtention d’un nouveau procès, mais cela ne signifie pas qu’un nouveau procès a été accordé. ».

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La situation de Melissa Lucio est tellement scandaleuse que depuis plusieurs années, une mobilisation internationale en sa faveur s’est organisée, de nombreuses personnalités sont venues aussi la soutenir (en particulier Kim Kardashian, mais aussi les anciens ministres français Robert Badinter et Christiane Taubira, etc.).

Et probablement que les soutiens les plus symptomatiques proviennent de près d’une centaine d’élus de l’État du Texas, en particulier de nombreux républicains partisans de la peine de mort, comme le sénateur (de l’État, pas fédéral) Jeff Leach qui a déclaré : « Étant moi-même un républicain conservateur, soutien de longue date de la peine de mort pour les crimes les plus atroces, je n’ai jamais vu un cas plus troublant que celui de Melissa Lucio. ».

Ce fut Jeff Leach qui a annoncé la nouvelle au téléphone. Melissa Lucio : « Mais qu’est-ce que cela veut dire ? ». Jeff Leach : « Eh bien, cela veut dire que vous allez vous réveiller jeudi matin. La décision de la cour d’appel était très forte, et il semble que vous aurez au moins un nouveau procès. (…) Nous allons tout faire pour que vous soyez libre. C’est notre objectif. ». On peut comprendre le point de vue de Jeff Leach au-delà de toute considération émotionnelle et humaine : sauver une innocente de l’exécution, c’est conforter la peine de mort aux vraiment coupables.

Effectivement, Melissa Lucio a été condamnée à mort le 12 août 2008 pour avoir tué sa fille de 2 ans, Mariah Alvarez le 17 février 2007 chez elle, à Harlingen, une ville du comté de Cameron, au Texas. L’enfant était recouvert d’ecchymoses et avait aussi plusieurs morsures dans le dos, des touffes de cheveux arrachés et un bras cassé. Lorsque les soignants des urgences sont arrivés chez elle, ils ont découvert une fillette inconsciente qui ne respirait plus et qui est morte peu de temps après son arrivée à l’hôpital. La cause du décès est une hémorragie cérébrale provoquée par un traumatisme crânien. Le rapport d’autopsie fait état d’ecchymoses aux reins, aux poumons et à la moelle épinière.

Melissa Lucio, depuis sa condamnation à mort, est détenue dans le couloir de la mort de la prison de Moutain View Unit à Gatesville, une ville du comté de Coryell, dans le Texas. Un appel du jugement a été rejeté le 14 septembre 2011 par la cour criminelle d’appel du Texas. Cependant, la Cour d’appel fédérale des États-Unis a annulé le verdict du Texas le 29 juillet 2019 car la condamnée n’a pas pu se défendre selon une procédure équitable. Mais l’État du Texas a fait appel et a réussi à faire annuler cette décision d’annulation en février 2021 par la cour d’appel du Texas par 10 voix contre 7 et la condamnation à mort est donc redevenue valide. Enfin, le 18 octobre 2021, la Cour Suprême des États-Unis a refusé de se prononcer car aucun vice de procédure n’avait été démontré.

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Melissa Lucio avait tout contre elle : hispanique, d’un milieu précaire, elle a eu une enfance faite de violences, agressée physiquement et sexuellement dès l’âge de 6 ans, mariée à 16 ans pour fuir sa famille mais son mari l’a également violentée puis abandonnée à leur cinquième enfant. Au décès de Mariah, elle avait neuf enfants et vivait avec un compagnon aussi violent, la menaçant parfois de mort, et condamné à quatre années de prison pour violence conjugale. Très pauvre, tombée dans la dépendance à la drogue, elle était en plus en train de déménager et elle était enceinte, attendant deux jumeaux.

Après sept heures d’interrogatoire sans avocat et avec la menace des armes, elle a avoué avoir battu sa fille après l’avoir nié pendant une centaine de fois (elle a lâché : « Je suppose que je l’ai fait. Je suppose que je l’ai fait. Qu’est-ce que je vais dire ? J’en suis responsable. »). Elle a expliqué plus tard qu’elle ne voulait pas que ses enfants plus âgés, chargés de s’occuper des plus petits, puissent être accusés à tort de cette mort.

Le procès fut bâclé. Le médecin urgentiste qui a ausculté l’enfant à l’hôpital comme le médecin légiste ont considéré que c’était l’un des pires cas de maltraitance d’enfant qu’ils ont connus à cause de tous les bleus. Le procureur était lui-même en cours de réélection et voulait montrer son efficacité contre les criminels. Six ans plus tard, il allait être condamné à treize ans de prison pour corruption et extorsion dans une autre affaire (il est actuellement encore en détention). Beaucoup de pièces à conviction n’ont pas été prises en compte.

Melissa Lucio a été la première femme condamnée à mort au Texas d’origine hispanique. Depuis 1976, il n’y a eu que 17 femmes qui ont été exécutées aux États-Unis, dont 6 au Texas, l’État qui exécute le plus. En effet, depuis 1976, 1 543 personnes ont été exécutées aux États-Unis dont 573 au Texas (plus d’un tiers !). Depuis 1973, au moins 186 personnes condamnées à mort aux États-Unis ont été innocentées par la suite.

La réalité de la mort de Mariah serait pourtant tout autre. Il s’agirait plutôt d’un accident. Imaginez cette mère qui, en plus de la perte d’un enfant, se voit infliger un procès, une condamnation à mort, une détention dans le couloir de la mort et la perspective d’une exécution par injection létale. Et ce calvaire dure depuis plus de quinze ans.

Les faits seraient ceux-ci : le 15 février 2007, après avoir préparé certains enfants pour l’école, le matin, Melissa Lucio a continué à préparer les cartons de son déménagement tout en surveillant sa fille de 2 ans. À cause d’un léger handicap, Mariah avait du mal à marcher et faisait souvent des chutes. Elle aurait ouvert une porte et serait tombée dans les escaliers de plus d’une douzaine de marches. Elle serait restée consciente et pleurait. Sa mère serait venue à son secours, elle a vu une lèvre qui saignait mais ne semblait pas gravement blessée. Elle ne se serait pas inquiétée.

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Probablement que ce fut l’erreur de Melissa Lucio qui aurait dû averti les urgences tout de suite, car à la suite de sa chute, Mariah a eu des lésions internes qui auraient entraîné sa mort. Deux jours plus tard, le 17 février 2007, Mariah ne mangeait plus, dormait et semblait malade. Melissa Lucio a pensé l’emmener chez un médecin mais elle aurait préféré attendre le lendemain. L’état de Mariah s’est considérablement dégradé dans la journée, elle ne respirait plus, et la famille a appelé les urgences. Les soignants n’ont pas réussi à la réanimer. Son corps était couvert d’ecchymoses à divers stades de guérison, selon un rapport. Le bras cassé l’avait été plusieurs semaines auparavant (deux à sept semaines auparavant). Il y avait aussi une trace de morsure sur le dos.

Quand Melissa Lucio a indiqué aux urgentistes que Mariah était tombée dans les escaliers deux jours plus tôt, ils ne l’ont pas crue car la résidence n’avait qu’un seul étage. Mais ils n’avaient pas saisi qu’il s’agissait de l’ancien domicile de la famille et pas du nouveau. Ce malentendu a provoqué une enquête immédiatement à charges, accusant la mère d’avoir menti et d’avoir frappé la fillette jusqu’à entraîner la mort.

Les avocats de Melissa Lucio ont plaidé pour la clémence auprès du gouverneur du Texas, Greg Abbott, demandant au moins une suspension de l’exécution pendant quatre mois afin de faire un nouveau procès et réexaminer les preuves. En effet, dans le dossier d’expertise, il est par exemple indiqué que Mariah souffrait aussi de troubles de la circulation sanguine qui provoquent des bleus à la moindre pression.

Tous les enfants de Melissa Lucio l’ont soutenue. Aucun n’a témoigné de fait de violence sur enfant. Au contraire, ils ont affirmé qu’elle n’avait jamais frappé un enfant, et lorsqu’elle se droguait, elle s’enfermait dans les toilettes pour éviter d’être vue par ses enfants. Deux enfants ont témoigné de la réalité de la chute dans les escaliers qu’ils ont vue de leurs propres yeux. Le 14 janvier 2022, lorsque la date de l’exécution a été fixée au 27 avril 2022 et qu’elle a été immédiatement confirmée, les enfants de Melissa Lucio ont été effondrés. Une fille voulait se suicider, une autre voulait partir comme sa mère, un fils a cherché à mobiliser la communauté hispanique. Les enfants ont écrit un courrier au gouverneur Greg Abbott le 7 avril 2022 pour sauver leur mère : « S’il vous plaît, permettez-nous de nous réconcilier ave la mort de Mariah et de nous souvenir d’elle sans novelle douleur, angoisse et chagrin. S’il vous plaît, épargnez la vie de notre mère. ».

Plus grave encore : cinq des douze jurés qui ont condamné à mort Melissa Lucio le 12 août 2008 ont reconnu que l’erreur judiciaire était manifeste et ont demandé un nouveau procès.

Si, finalement, au dernier moment, la cour criminelle d’appel du Texas a accepté de suspendre l’exécution prévue le 27 avril 2022, c’est grâce à une forte mobilisation non seulement nationale mais internationale. En particulier, la France s’est mobilisée pour sauver Melissa Lucio grâce au film de Sabrina Van Tassel : beaucoup d’Américains et de Français ont envoyé des courriers de soutien à Melissa Lucio alors qu’avant le film, elle n’était pas connue et personne ne l’avait encore interrogée pendant treize ans, car elle était une paria.

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En effet, la journaliste franco-américaine Sabrina Van Tassel a réalisé le un documentaire très efficace sur le sujet "The State of Texas vs. Melissa" sorti en France le 15 septembre 2021, et l’année précédente aux États-Unis. Elle a affirmé le 13 septembre 2021 : « Comme beaucoup de monde, et beaucoup d’Américains, je croyais que quelqu’un qui était condamné à la peine de mort était forcément coupable, qu’il n’était pas possible d’ordonner la mort d’une personne "pour rien". (…) Aujourd’hui, je me rends compte de l’abomination que c’est. Il faut abolir la peine de mort, quelle qu’elle soit, et même pour les coupables. ».

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Et de préciser : « J’avais l’intime conviction que cette histoire était impossible, mais même si Melissa avait été coupable, j’aurais fait ce film. Les gens qui se retrouvent ainsi piégés sont souvent complètement cabossés par la vie, ce n’est pas n’importe qui qui se retrouve dans le couloir de la mort ou à la prison. Généralement, ce sont des personnes qui portent beaucoup de stigmates, qui ont une histoire douloureuse, donc pour ces personnes-là particulièrement, la justice est un rouleau compresseur terrible. » (entretien à ECPM).

C’est cela qui est important : il faut se méfier que le combat contre la peine de mort soit livré seulement pour dénoncer d’éventuelles erreurs judiciaires. Exécuter des personnes innocentes est ce qui a de pire qu’un État puisse faire et cette simple possibilité d’erreur judiciaire devrait interdire tout peine irréversible. Mais avec la technologie actuelle, les analyses ADN par exemple, il est possible de confirmer ou d’infirmer la culpabilité d’un condamné à mort.

Or, en n’insistant que sur la (supposée) innocence d’un condamné à mort, en fin de compte, on favorise encore plus le principe de la peine de mort. Cela explique d’ailleurs pourquoi des dizaines d’élus républicains favorables à la peine de mort soutiennent Melissa Lucio, car, à l’instar de Jeff Leach, ils sont convaincus de son innocence et également des mauvaises conditions de sa défense lors du procès (le procureur en question croupit actuellement en prison).

C’est ce qu’a dit, le 17 mars 2022 à Emmanuelle Skyvington à "Télérama", l’ancienne Ministre de la Justice Christiane Taubira mais en considérant l’innocence de Melissa comme beaucoup plus porteuse : « Je suis favorable à l’abolition de la peine capitale, y compris pour une personne coupable. J’aurais donc la même position même si Melissa était coupable. Mais d’une certaine façon, c’est réconfortant de se rendre compte que la personne accusée et condamnée est innocente. On est confronté, non pas seulement à un principe ou une éthique, mais à une erreur judiciaire. Cette femme risque sa vie. C’est révoltant. ».

Et elle a expliqué la très délicate mission, lorsqu’on est ministre à l’étranger, d’intervenir sur un cas particulier : « C’est alors très exigeant et très frustrant. Il ne faut vraiment pas trébucher. On est sur un fil qui exige de prendre des précautions de langage inimaginables, de faire attention à ne pas crisper, ni brusquer nos interlocuteurs, surtout quand il y a des risques d’exécution. Parce que des vies sont en jeu, parce que des familles se désespèrent… ».

La situation de Melissa Lucio fait penser à celle du Français Serge Atlaoui et de la Philippine Mary Jane Veloso, condamnés à mort en Indonésie depuis 2005 et qui ont failli être exécutés le 29 avril 2015 (huit autres l’ont été à cette date), mais aussi, hélas, à celles de George Stinney et de Troy Davis, condamnés à mort et exécutés aux États-Unis (respectivement le 16 juin 1944 et le 21 septembre 2011).

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C’est pourquoi le combat engagé par Emmanuel Macron, lors de la cérémonie du 40e anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France au Panthéon le 9 octobre 2021, est essentiel : il a en effet relancé le combat pour l’abolition universelle de la peine de mort, c’est-à-dire partout dans le monde, en voulant convaincre les dirigeants des pays pas encore abolitionnistes de son importance et de son urgence.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 avril 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Melissa Lucio.
Serge Atlaoui.
Mary Jane Veloso.
7 pistes de réflexion sur la peine de mort, abolie il y a 40 ans en France.









https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220425-melissa-lucio.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/peine-de-mort-melissa-lucio-sauvee-241190

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/04/26/39451618.html











 

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1 avril 2022 5 01 /04 /avril /2022 19:46

« En se battant pour sa liberté, l’Ukraine se bas aussi pour la nôtre, et ce n’est pas là qu’une figure de style. » (Bernard Guetta, le 23 août 2022).




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Ce mercredi 24 août 2022 marque une double date pour l’Ukraine : c’est la fête nationale des Ukrainiens qui ont acquis leur indépendance de l’URSS le 24 août 1991 (31e anniversaire), mais aussi et surtout, c’est le sixième mois de guerre que la Russie de Poutine impose à l’Ukraine. C’est aussi un autre sinistre anniversaire, qui pourrait paraître très différent des précédents mais peut-être qu’il y a en commun la notion de massacres humains : le 450e anniversaire du massacre de la Saint-Barthélemy.

Avant de poursuivre, rappelons inlassablement que dans ce conflit armé qui a déjà fait des dizaines, peut-être des centaines de milliers de morts, dont beaucoup de civils, les Ukrainiens sont les victimes, pacifiques mais résistantes, et l’armée russe et ses prestataires sont les agresseurs. Et j’insiste aussi là-dessus : il ne s’agit pas de la Russie mais bien de la Russie de Poutine. Le peuple russe, c’est autre chose, il peut être conditionné, mais il n’est pas plus va-t-en-guerre que les autres peuples de l’Europe. C’est pourquoi, d’ailleurs, je comprendrais mal l’interdiction de délivrer des visas de tourisme (français ou européens) aux Russes car l’amitié franco-russe existe, reste forte et doit perdurer.

Le bilan humain est déjà très lourd et il est impossible de le connaître exactement, parce que la guerre n’est pas finie et parce que la désinformation se retrouve dans les deux camps. Selon des approximations à ce jour, sujettes à caution, les forces russes auraient subi 15 000 morts et 45 000 blessés (sur un peu plus de 200 000 hommes) et les forces ukrainiennes 9 000 morts et 30 000 blessés (sur plus d’un million d’hommes mobilisés), sans compter les très nombreux civils, ukrainiens, qui ont péri depuis six mois. Le bilan matériel est subi principalement par l’Ukraine. Quant à l’impact économique, c’est le monde entier qui en subit les conséquences, de manière durable et massive.

Je propose sept dates pour ces six mois. Elles ne sont pas exhaustives, elles sont probablement arbitraires, elles ne sont peut-être pas l’essentiel stratégique de la guerre, mais elles posent comme des jalons dans l’émotion internationale.


1. Jeudi 24 février 2022 : début de l’invasion des troupes russes en Ukraine

C’est la date principale, il y a six mois. Personne n’y croyait… sauf les Américains qui avaient observé précisément la mobilisation des troupes russes à la frontière russe et biélorusse. En fait, on n’y croyait pas parce que c’était impensable dans l’intérêt de la Russie dont l’avenir à long terme est forcément européen et pas chinois (car le clivage historique et économique est ainsi).

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Poutine a commis une immense faute en envahissant l’Ukraine. On pourrait mettre en parallèle la faute, énorme, du Président américain George W. Bush d’envahir l’Irak, mais elle est encore pire. Certes, la guerre en Irak a été une monstrueuse faute qui a eu beaucoup de conséquences désastreuses pour notre vie quotidienne (car cela rejaillit sur la vie quotidienne), en particulier la création de Daech, la multiplication des attentats meurtriers, l’afflux massifs de réfugiés surtout syriens en Europe, et leurs conséquences économiques mais aussi politiques et électorales (montée des extrémismes, des populismes partout dans le monde). Mais au moins, les États-Unis avaient atteint leur objectif avec le calendrier prévu.

Au contraire de Bush, Poutine a tout foiré. C’est ce que Roland Dumas, ancien Ministre des Affaires étrangères, avait d’ailleurs confié à Catherine Nay le 5 avril 2022. Poutine a fait de nombreuses erreurs de discernement. D’abord, il a cru qu’il pourrait conquérir l’Ukraine en trois jours, un peu comme Hitler avec l’Autriche (l’Anschluss). Et il a cru que les Ukrainiens salueraient la "libération" russe. Les Ukrainiens ont su résister dès la première minute. Ensuite, il n’a pas apprécié à sa juste valeur l’état de délabrement de l’armée russe, la vétusté du matériel, ainsi que le manque d’hommes entraînés. L’hypocrisie suprême de parler d’une "opération militaire spéciale" (sans compter l’objectif de "dénazification") empêche de mobiliser les jeunes Russes et impose le volontariat. Enfin, il n’a pas évalué à sa juste prévision la réaction du "camp occidental" (à savoir principalement les États-Unis et l’Europe), qui a su s’adapter après le premier étonnement (car tout le monde a été étonné, pas seulement Poutine) de la résistance ukrainienne.

En épuisant ses forces militaires sur l’Ukraine qui n’était pas pourtant pas un danger pour elle, la Russie se met en grave danger en cas d’agression extérieure : elle n’aurait plus sa capacité de réaction.


2. Mercredi 9 mars 2022 : le bombardement d’un hôpital pour enfants à Marioupol

La guerre est terrible, elle est horrible, elle détruit de nombreuses vies humaines. J’ai toujours du mal avec la notion de "crime de guerre" car pour moi, la guerre elle-même est un crime, ceux qui déclenchent la guerre, en toute conscience, en tout cynisme, sont des criminels. Mais le droit international fait la différence : il y a les troupes militaires, dans les deux camps, qui combattent et peuvent s’entretuer (sauf quand ils sont faits prisonniers auquel cas la Convention de Genève s’applique), et il y a les civils, qu’il faut protéger. Mais a-t-on vu une guerre sans pertes de civils ? La guerre est un massacre organisé et elle est d’autant plus dure qu’elle oppose deux forces de même importance militaire, ce qui semble paradoxalement le cas ici (paradoxalement, car on aurait pu penser que la Russie était bien plus puissante).

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Cela écrit, il y a des actes criminels contre les civils que ne nécessitaient ni la tactique ni la stratégie de guerre. L’un de ces actes qui a suscité l’émotion internationale fut le bombardement d’un hôpital pour enfants et d’une maternité de Marioupol, le "Maternity Hospital n°3", le 9 mars 2022. Une neurologue a affirmé : « Des femmes, des nouveaux-nés et du personnel médical ont été tués. ».

C’était une faute de l’armée russe d’avoir bombardé un tel centre hospitalier, une faute lourde qui a plombé toutes les raisons de faire la guerre (ça ne sert à rien de dénazifier si on renazifie en même temps). Elle a placé Poutine dans la catégorie des criminels de guerre comme un vulgaire Milosevic. Après un long siège, la ville de Marioupol, qui est un port stratégique du Donbass de plus de 400 000 habitants avant la guerre, a été entièrement conquise par les troupes russes le 20 mai 2022, détruite à 90%.


3. Vendredi 1er avril 2022 : découverte des massacres de Boutcha

J’ai évoqué dans le point précédent les crimes de guerre, le bombardement d’un hôpital, par exemple, mais il y a hélas bien pire : des assassinats en masse, des exécutions sommaires de civils, des viols, des actes de tortures, etc. Hélas, c’est ce qui s’est passé en particulier dans les villes de Boutcha, Borodianka, Irpin, Motyjyn et Trostianets, au nord de Kiev, des massacres de civils découverts au début du mois d’avril 2022, après le retrait des troupes russes.

Car effectivement, après l’enlisement de l’armée russe dans le nord de Kiev, Poutine a réaffecté ses troupes en les focalisant sur le Donbass, et a ainsi "libéré" (la libération, c’est quand les troupes russes quittent le territoire ukrainien, pas quand elles l’envahissent, c’est ainsi la signification des mots dans le dictionnaire) plusieurs villes qui ont été occupées par les troupes russes durant le mois de mars 2022.

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Ce qu’ont découvert les troupes ukrainiennes lorsqu’elles sont revenues sécuriser ces villes, à partir du 1er avril 2022, a été absolument abject. Des morts pour le plaisir de tuer, du sadisme à l’état pur. Au moins 1 314 personnes ukrainiennes civiles sont mortes ainsi. Certaine personnes mortes ont été découvertes menottées dans le dos, d’autres écrasées par un char dans leur voiture, certains corps étaient déjà présents au 11 mars 2022 et laissés en décomposition (certains images satellites l’ont prouvé). Certains corps n’ont plus d’oreilles, des dents arrachées, etc. Certains ont été abattus alors qu’ils promenaient leur chien ou qu’ils portaient des sacs de provisions. D’autres corps ont été retrouvés brûlés, en particulier, des corps de femmes dévêtues à moitié calcinés (on avait tenté de les brûler). Des voitures ont été incendiées avec leurs passagers, dont des enfants. Un corps a été retrouvé décapité et la tête brûlée. La plupart des témoignages de ce qu’on a retrouvé dans ces villes libérées sont insoutenables.

Forcément, Poutine paiera un jour ou l’autre. Car il est responsable d’un tel gâchis humain, qu’il contrôle ou qu’il ne contrôle plus ses troupes (auquel cas, c’est bien plus grave).


4. Jeudi 14 avril 2022 : naufrage du croiseur russe Moskva dans la mer Noire

Un autre événement qui a montré la faiblesse de l’armée russe, c’est le naufrage du croiseur russe, le Moskva, le 14 avril 2022. Il a appareillé à Sébastopol avant le début de la guerre et il était déployé comme navire amiral de la flotte russe de la mer Noire. Sa position était stratégique dans la mer Noire.

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Le 13 avril 2022, l’armée ukrainienne a annoncé qu’elle avait touché le croiseur avec au moins deux missiles Neptune, lancés depuis un lieu près d’Odessa, ce qui a provoqué un incendie. Le Moskva a fini par couler le lendemain. L’armée russe a affirmé que l’incendie provenait d’une explosion de munitions à cause d’une négligence humaine (quelqu’un qui fumait), ce qui est peu crédible. Elle a aussi affirmé qu’il n’y aurait quasiment pas eu de pertes d’équipage (510 hommes ?) à l’exception de 1 mort et 27 disparus, mais certains évoqueraient plusieurs centaines de disparus.

Cette perte de navire, le plus grand depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, est particulièrement humiliante pour Poutine. L’impression que David se moquerait de Goliath. Elle montre aussi l’état de la flotte russe, incapable de détecter et d’alerter des attaques par missile. Seul, le gouvernement turc peut autoriser l’arrivée d’un autre navire de guerre russe par les Dardanelles et le Bosphore et dès le 28 février 2022, la Turquie avait annoncé sagement son interdiction du passage de tout navire de guerre, quelle qu’en soit la nationalité. Du reste, la version russe (négligence interne) n’est pas moins humiliante pour l’armée russe, taxée dans ce cas d’incompétence.


5. Jeudi 16 juin 2022 : visite européenne à Kiev

Très attendu à Kiev depuis février 2022, Emmanuel Macron a fait le déplacement pour rencontrer le Président ukrainien Volodymyr Zelensky. Il l’a fait en tant que Président de la République française, mais aussi en tant que Président du Conseil de l’Union Européenne qu’il était jusqu’au 1er juillet 2022.

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Et il n’est pas venu seul, accompagné des deux autres puissances fondatrices de l’Europe, Olaf Scholz pour l’Allemagne et Mario Draghi pour l’Italie, ainsi que de Klaus Iohannis, Président de la Roumanie, pays très exposé par la guerre en Ukraine, tant en termes de sécurité qu’en termes de réfugiés.

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Cette visite européenne a été essentielle sur le plan diplomatique car elle a confirmé le soutien total de l’Union Européenne à la résistance ukrainienne et à sa demande d’adhésion.


6. Samedi 6 août 2022 : inquiétude sur la centrale nucléaire de Zaporijia

C’est probablement la date la plus arbitraire de ces sept dates, car il fallait bien en donner une. J’ai choisi celle-ci car c’est à ce moment-là que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a exprimé le risque d’une véritable catastrophe nucléaire mettant en danger l’Ukraine et l’Europe en raison des bombardements que subit la centrale nucléaire de Zaporijia, la plus puissante des centrales nucléaires européennes avec 6 GW.

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La centrale de Zaporijia est sous le contrôle des troupes russes depuis le 4 mars 2022 et depuis lors, c’est bien les autorités russes qui sont responsables de tout ce qui pourrait survenir dans cette centrale. Je me réjouis d’ailleurs que Poutine ait accepté une visite d’inspection de l’AIEA le 19 août 2022, après la conversation téléphonique avec Emmanuel Macron.

Des troupes russes ont bombardé la centrale le 4 mars 2022. D’autres bombardements ont eu lieu (russes ou ukrainiens, les deux pays s’en défendent), en particulier le 6 et le 11 août 2022.

Ces affrontements près d’une centrale nucléaire sont probablement une source d’inquiétude bien plus forte que le risque d’une agression nucléaire qui reste seulement théorique. Dans le cas de cette centrale, rien ne semble sous contrôle, ni les troupes, ni le personnel de maintenance qui opère dans la centrale et c’est cela qui fait peur. Volodymyr Zelensky a exigé que l’ONU soit responsable de la sécurité de cette centrale qui devra être démilitarisée.


7. Samedi 20 août 2022 : assassinat de la journaliste Daria Douguina

La dernière date est l’assassinat de la journaliste Daria Douguina, qui, revenant d’une manifestation culturelle, a été tuée par l’explosion de la voiture (un Toyota Land Cruiser Prado) qu’elle conduisait dans la nuit du 20 au 21 août 2022 près de Moscou (à une trentaine de kilomètres). Elle avait 29 ans (née le 15 décembre 1992) et son assassinat a suscité beaucoup d’émotion, bien au-delà de la Russie (aussi en France, elle était une amie de Marion Maréchal et plus généralement, d’une certaine extrême droite en France). On ne sait pas vraiment si c’était elle-même ou son père, Alexandre Douguine, qui a été visé dans cet attentat, car elle conduisait la voiture de son père et ce dernier la suivait de peu. C’est clair qu’on peut aussi imaginer l’émotion du père de voir en direct sa fille partir en fumée. Elle a été enterrée le 23 août 2022.

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Disons-le tout de suite : je soutiens fermement l’aspiration du peuple ukrainien à exister et à vivre dans la sécurité et la paix, mais je condamne naturellement ce lâche assassinat qui est aussi moche que les massacres cités plus haut.

Rappelons qui elle était : une journaliste militante, spécialiste de la Grèce antique, avec un doctorat de philosophie de l’Université de Moscou en poche (parlant aussi le français, elle a fait une partie de ses études à l’Université de Bordeaux) qui, comme son père, prêchait pour un nationalisme pan-russe extrême, pour des valeurs de la Sainte Russie comme civilisation à part entière contre l’Occident et contre l’Asie. On a dit que son père était un proche conseiller de Poutine mais il paraît beaucoup plus éloigné qu’il n’était dit, il n’occupe d’ailleurs aucune fonction officielle. Alexandre Douguine, nationaliste russe, est un intellectuel de 60 ans qui a créé (entre autres) le parti national-bolchévique en mai 1993 (son logo était le brassard nazi avec une faucille et un marteau à la place de la croix gammée ; il fut interdit en août 2007), puis le parti Eurasie en juin 2002, dont la philosophie est l’affrontement inévitable entre la Russie et les États-Unis.

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Pour Poutine, qui a exprimé son émotion, c’est une occasion supplémentaire d’être soumis à une forte pression des nationalistes russes. Alors que les autorités ukrainiennes ont rejeté toute responsabilité dans cet attentat et qu’un groupe russe exilé inconnu l’a revendiqué, les autorités russes (en particulier le FSB) a déterminé dans les heures qui ont suivi la supposée responsable de cet assassinat : une jeune femme militaire ukrainienne arrivée en Russie le 23 juillet 2022 avec sa fille de 12 ans, qui aurait espionné Daria Doguina à Moscou et qui serait venue aussi au festival auquel la journaliste a participé, et qui se serait enfouie en Estonie.

Je suis bien incapable de connaître le niveau de véracité de ces informations, mais il me paraît très étrange que cette affaire soit résolue avec une telle rapidité alors qu’on ne connaît toujours pas les responsables de l’assassinat de Boris Nemtsov commis le 27 février 2015.

De plus, quel aurait été l’intérêt de l’Ukraine de faire de Daria Douguina (à défaut de son père) un martyr de la Russie face aux prétendus méchants Ukrainiens ? Hélas, la guerre est monstrueuse en elle-même et sécrète les monstres dans les deux camps qui pouvaient être inhibés par un État de droit. Lorsque la guerre domine, le droit, le respect aux personnes, la justice… toutes ces digues du vivre ensemble sont renversées.


Et maintenant ?

La guerre continuera car elle est devenue une sorte de Vietnam pour la Russie. Poutine a besoin de considération et ne pourrait garder la face s’il se retirait immédiatement de l’Ukraine. Il est donc dans une position impossible, il a compris (car il est intelligent) qu’il a fait une bourde, mais il ne sait pas comment faire machine arrière sans déprécier l’avenir de la Russie.

Pourtant, l’annexion pure et simple de l’Ukraine à la Russie, comme cela avait été fait en Crimée, est impossible. La guerre risque d’être longue car l’Ukraine est un peuple résistant et tenace. Pire pour Poutine, à cause de lui, ou grâce à lui, les Ukrainiens ont su se construire leur propre histoire patriotique. Leur enjeu, c’est l’existence même de la nation ukrainienne. Il y a donc un véritable parallèle avec la situation de la France en juin 1940, quand la nation française était en danger de mort à cause de l’Occupation nazie. À cet égard, Volodymyr Zelensky a montré, contre toute attente, l’âme d’un grand homme d’État qui façonne l’histoire (en revanche, je ne le comparerais pas du tout à De Gaulle, car les contextes sont différents).

Quant à l’OTAN, j’y reviendrai, elle qui était en "mort cérébrale", a été redynamisée par Poutine, au point que la Finlande et la Suède ont demandé leur intégration dans cet ensemble qui a pour seule fonction, défensive, la sauvegarde des territoires nationaux de leurs membres. Incontestablement, la situation géostratégique de la Russie après cette invasion est pire, au regard de sa propre sécurité, qu’avant. Probablement qu’un jour, les Russes eux-mêmes s’en apercevront et en tireront les conséquences qui s’imposeront alors.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 août 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
6 mois de guerre en Ukraine en 7 dates.
Les massacres de Boutcha.
Le naufrage du croiseur russe Moskva.
L’assassinat de Daria Douguina.
Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
L'avis de François Hollande.
Volodymyr Zelensky.
Poutine paiera pour les morts et la destruction de l’Ukraine.
Ukraine en guerre : coming out de la Grande Russie.
Robert Ménard, l’immigration et l’émotion humanitaire.
Ukraine en guerre : Emmanuel Macron sur tous les fronts.
Nous Européens, nous sommes tous des Ukrainiens !

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220401-boutcha.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/09/03/39617393.html






 

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22 mars 2022 2 22 /03 /mars /2022 03:31

« Ce qui s’est passé ici, le 6 février 1998, ne se justifie pas, ne se plaide pas, ne s’explique pas, ce fut un assassinat, un attentat, rien de plus haut, ni de plus noble, on a tué un serviteur de la République, on a arraché un époux et un père à une femme et à deux enfants, deux infamies qui à jamais déshonorent leurs auteurs. Comme l’écrivit son ami, le poète Jean Orizet : ton assassin, cher Claude, est bien plus mort que toi. » (Emmanuel Macron, le 6 février 2018 à Ajaccio).



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Le Président Emmanuel Macron avait vu juste il y a quatre ans : l’assassin assassiné. Ce qui vient de se passer ces trois dernières semaines en Corse et un peu à côté sur le continent est d’autant plus troublant que ces événements sont principalement le résultat du hasard (du moins d’un concours de circonstances) et d’une logique shadok. Mais pour ce qui concerne la Corse, il faut toujours faire attention aux paroles car des vies humaines peuvent être en jeu (c’est une leçon que j’avais apprise du député-maire d’Issy-les-Moulineaux, André Santini).

Les faits sont les suivants. Yvan Colonna vient de mourir de ses blessures ce lundi 21 mars 2022 dans la soirée à Marseille où il était hospitalisé. Grièvement blessé le 2 mars 2022 dans sa prison à Arles par un codétenu, il a été étranglé et asphyxié pendant huit minutes, il était plongé dans le coma et demeurait entre la vie et la mort pendant ces trois semaines, certains évoquent même qu’il était déjà en mort cérébrale dès le début de son hospitalisation.

Nationaliste corse de presque 62 ans, Yvan Colonna a été condamné le 20 juin 2011 pour la troisième fois à la réclusion criminelle à perpétuité par la cour d’assises de Paris, reconnu coupable d’avoir tiré sur le préfet Claude Érignac, assassiné le 6 février 1998 à Ajaccio. Dénoncé par d’autres accusés, Yvan Colonna avait pris la fuite le 23 mai 1999. Longtemps recherché par la police (il vivait comme un berger caché de tous), il a été arrêté le 4 juillet 2003 à Olmeto puis jugé.

Transféré à la prison d’Arles en 2013, c’est là qu’il a croisé son futur assassin, un djihadiste particulièrement violent arrêté en Afghanistan, condamné à neuf ans de prison pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d’acte de terrorisme". Les deux hommes avaient sympathisé jusqu’à la fin de février 2022 où Yvan Colonna a probablement prononcé une parole supposée blasphématoire. Le djihadiste a alors rompu avec l’indépendantiste corse et deux ou trois jours plus tard, il l’a recroisé alors qu’ils étaient seuls tous les deux dans la salle de sports. Il en a profité pour tenter de l’assassiner (et finalement y parvenir).

Il y a eu forcément des fautes commises par l’État dans cette prison, qui devait se préoccuper, avec une surveillance accrue, de deux détenus "signalés". Pouvoir se déplacer presque librement (le djihadiste était même payé pour faire des travaux d’entretien), ne pas être dérangé pendant huit minutes dans une salle en principe sous surveillance vidéo, il y a forcément des fautifs. L’État est responsable de la vie des détenus et doit les protéger des autres codétenus.

Mais la réaction des nationalistes corses était mal venue. Les manifestations parfois violentes qui ont suivi l’agression mortelle d’Yvan Colonna peuvent paraître surréalistes. Cette agression mortelle, qui est odieuse et clairement condamnable, n’a semble-t-il (à confirmer) aucun rapport avec des considérations politiques sur le statut de la Corse. Il est victime, comme d’autres, d’un terrorisme islamique aveugle qui s’en prend (particulièrement) aux "infidèles".

À l’approche de l’élection présidentielle, cette agression mortelle a renforcé la détermination des nationalistes. Ancien avocat d’Yvan Colonna, Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse, a même demandé le 10 mars 2022 au gouvernement un nouveau cycle politique. Le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin est allé en Corse le 16 mars 2022 où il a annoncé que le gouvernement était prêt à accepter "l’autonomie" de la Corse.

Cette annonce a de quoi étonner même si le mot lui-même, "autonomie", ne signifie rien sans la définir précisément, et les négociations pour la définir seront certainement très rudes : comme en Nouvelle-Calédonie ? en Polynésie française ? Faudra-t-il réviser la Constitution pour cela ? Sujet hautement explosif avec une dérive électoraliste possible, qui a déjà fait démissionner le Ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement en désaccord avec le Premier Ministre Lionel Jospin sur la notion de "peuple corse".

Benjamin Morel, maître de conférences en droit public, a noté que c’était très risqué de parler d’autonomie pour une région comme la Corse. Car cela renforce la spirale de la violence. En effet, dans la plupart des régions qui cherchent une certaine autonomie, c’est le cas en Corse mais aussi en Écosse, en Catalogne, etc., il y a un clivage important entre les autonomistes, qui veulent rester dans le pays d’origine, et les indépendantistes, qui veulent en sortir. Or, toute avancée autonomiste renforce les rangs des indépendantistes. (On ne fera pas de parallèle avec des régions séparatistes comme les deux petites pseudo-républiques du Donbass, la Transnistrie, la Crimée, etc.).

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Ce qui reste révoltant à mon sens, ce sont les manifestations qui mettent la figure d’Yvan Colonna en héros alors qu’il est d’abord l'assassin d’un grand serviteur de l’État, que j’ai même eu l’occasion et la chance de connaître à Nancy dans les années 1990 (car il était préfet de Meurthe-et-Moselle), un homme d’une grande compréhension, courtoisie et culture qui avait dû être un interlocuteur efficace et accessible des nationalistes corses.

Tout est négociable sauf la violence, la violence faite à un homme, à une famille, la violence dans la rue. Nous sommes en démocratie et tout doit pouvoir se régler par les urnes. Les violences ne donnent aucune prédisposition pour les libertés et la démocratie, on ne le voit que trop en Ukraine.

Ce mardi 22 mars 2022 sur BFM-TV, l’ancien Premier Ministre Manuel Valls n’a pas osé aller jusqu’au bout de son parallèle avec le terroriste islamiste Mohamed Merah qui a assassiné notamment des enfants il y a dix ans (un hommage à ses victimes a eu lieu le 20 mars 2022 à Toulouse en présence d’Emmanuel Macron, François Hollande et Nicolas Sarkozy). Il voulait sans doute dire que jamais on aurait accepté des manifestations qui mettraient en héros la figure d’un assassin comme Merah.

Il en est de même pour Yvan Colonna. Il est victime d’un djihadiste comme René Bousquet a été victime d’un déséquilibré, mais il est avant tout un assassin. Hommage à Claude Érignac, personne n’oubliera son courage dans l’action ni son assassinat il y a vingt-quatre ans, pensée à sa famille, son épouse et ses deux enfants, et honte à tout ceux qui veulent encenser Yvan Colonna, mort comme vif.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 mars 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Corse (rappel) : Yvan Colonna n’est pas un héros !
Manuel Valls et la Corse en 2012.
Affaire Claude Guéant.
Marie Trintignant.
Alexandra Richard, coupable ou victime ?
Jacqueline Sauvage.
Violences conjugales.
Affajre Bygmalion.
Affaire Benalla.
Affaire Tapie.
Éric de Montgolfier.
L'abolition de la peine de mort.
Les attentats de Merah en mars 2012.
Alisha, victime d’un engrenage infernal.
Yann Piat.
Jo Cox.
John Lennon.
Bob Kennedy.
Martin Luther King.
Rajiv Gandhi.
Mahatma Gandhi.
Indira Gandhi.
L’attentat de Peshawar.
Le Pakistan dans le chaos du terrorisme.
Nicolas II et les bolcheviks : massacre familial.
Raspoutine.
L’attentat de la basilique Notre-Dame de Nice le 29 octobre 2020.
Fête nationale : cinq ans plus tard…

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220321-yvan-colonna.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/corse-rappel-yvan-colonna-n-est-240310

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/03/22/39399136.html










 

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10 mars 2022 4 10 /03 /mars /2022 11:01

« Les bombes ne sont pas différentes quand elles tombent sur mes amis de Kiev que quand elles tombent sur mes amis d’Alep. » (Robert Ménard, le 9 mars 2022 sur LCI).



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Je dois reconnaître que la personnalité de Robert Ménard est intéressante. J’ai rarement les mêmes idées que lui, mais le personnage m'est sympathique et est plus nuancé qu’il n’y paraît, il dit parfois du bon sens et n’hésite pas à aller à contresens de ceux qu’il soutient. Il est libre, et cette liberté est très rafraîchissante dans un pays où la langue de bois n’égale pas bien sûr celle des régimes autocratiques (on le voit en Russie) mais reste très prévisible. En trois mots, Robert Ménard, à sa façon, est sincère, spontané et se veut honnête intellectuellement. C’est peut-être son métier de journaliste qui veut cela, une certaine rigueur déontologique. En ce sens, il se distingue de beaucoup de responsables politiques de tout bord et ce trait de caractère peut expliquer à lui seul qu’il a été élu et réélu maire de Béziers depuis 2014. Bref, personne ne voudrait lui enlever l’idée qu’il veut bien faire.

Je le dis en voulant rester le plus rationnel possible puisque beaucoup de ses prises de position, de ses soutiens, de ses convictions me heurtent l’âme, mais assurément, je pourrais avoir une discussion enrichissante avec lui : il écoute et raisonne, en dehors de tout appareil partisan.

Et ce qu’il a confessé ce mercredi 9 mars 2022 sur le plateau de David Pujadas, sur LCI, est très instructif du personnage, mais plus généralement, de la lente évolution des mentalités, celles de la France voire des pays européens. Avec l’Ukraine en guerre, "on" comprend mieux les guerres dans le monde. "On", c’est moi, c’est nous, c’est l’insaisissable "opinion publique", c’est les responsables politiques… On se disait qu’à Beyrouth, la guerre civile, les bombardements, la misère, c’était consubstantiel au pays. En Syrie, en Irak aussi. L’éloignement, seulement l’éloignement suffit à se dire cela, pour se rassurer : là-bas, c’est loin, "ils" ne sont pas encore "civilisés", "ils" se font la guerre, alors qu’ici, c’est la paix. Oui mais non : déjà parce que la France, par exemple, participe à des guerres, pour des raisons très louables, loin d’elle. Ensuite, parce qu’il n’y a plus d’éloignement avec Internet et les compagnies aériennes, tout pays est à moins d’un jour de vol. Village planétaire.

L’Ukraine en guerre a profondément ému les populations européennes, et en particulier, les Français. Je reviendrai sur l’exceptionnel élan de solidarité, spontané, rapide, intense, avec le peuple ukrainien volontairement bombardé par Vladimir Poutine. Tout le monde est choqué, traumatisé, certains n’en dorment plus. Quoi que ce dernier fasse, quel que soit l’avenir, ce sera une tache indélébile dans l’histoire de la Russie et dans la biographie de Vladimir Poutine. Un jour, cela se paiera. D’une manière ou d’une autre. Cet élan d’émotion et de solidarité, il provient d’une certitude : l’Ukraine, c’est la France. L’hôpital pour enfants bombardé à Marioupol, c’est comme si c’était là, près de chez nous. Cette fillette cyniquement sacrifiée, c’est ma fille.

Il y a bien sûr les informations qui arrivent en direct, à la minute près, qui permet de se sentir impliqué, mais pas seulement, car il y a des guerres lointaines avec les mêmes informations. Et puis il y a ce sentiment européen charnel, identitaire, et ceux qui, en France, ne l’avaient pas, sont en train de l’acquérir (merci Poutine). La plupart des Français s’identifient aux Ukrainiens. Kiev est devenu le centre de l’Europe.

Alors, évidemment, quand on entend au début de cette guerre un Éric Zemmour dire : pas question d’accueillir les immigrés ukrainiens chez nous, cela choque. Il ne recueille pas l’aval de ceux qui ne sont pourtant pas gênés de crier "les étrangers, dehors !" (ou même avec une composante raciste, du genre "les bougn…, dehors !"). Cela choque parce que c’est comme si, devant un grave accident de la route où l’on voit des hommes à terre, ensanglantés, la première réaction était : pas question que je paie la réparation de la voiture, alors qu’il faut d’abord sauver ces hommes, ces vies, tant que possible.

Ces réfugiés ukrainiens, ils sont plus de 2 millions déjà à être sortis de cet enfer, de ce massacre. On parle de 4 millions en tout, mais ce sera probablement plus. Et ceux-là se retrouvent exactement dans la même situation que les Syriens et les Irakiens qui ont dû fuir l’avance rapide des jihadistes de Deach. Certains croyaient que ces réfugiés étaient des pauvres, de la racaille, des germes à problème, certes, c’est toujours difficile de s’adapter à un nouveau pays, inconnu, mais c’est souvent le résultat de l’accueil du pays, pas de ceux qui arrivent. Sommes-nous accueillants ?

Ces réfugiés syriens, c’étaient aussi des ingénieurs, des médecins, des avocats, des commerçants, des ouvriers, des personnes qui avaient une position sociale, une famille, une célébrité locale, que sais-je ? comme chez nous, comme nous avec des réussites et des échecs. Moi, je l’avais bien compris. Il ne faut pas faire beaucoup de voyages dans le monde pour s’apercevoir que tout le monde est pareil, avec plus ou moins de chance, qu’on raisonne pareillement, qu’on est heureux pareillement. Certes, il peut y avoir des idéologies qui lessivent les cerveaux, politiques ou religieuses, mais l’humain, le terreau initial, est fait de la même chair. Nous ne sommes pas si différents.

Il suffit aussi de voir les images de la Seconde Guerre mondiale, les villes détruites par la guerre en France. C’était il y a 80 ans, pas plus. Pourtant, il y a comme un sentiment de ne pas être concerné quand la guerre se passe loin dans le temps ou loin dans l’espace. L’Ukraine, c’est tout le contraire : elle est immédiate et elle est sous nous yeux, à nos portes. C’est aussi la différence avec la guerre en ex-Yougoslavie, il y a trente ans, pourtant encore plus proche de la France : il n’y avait pas cette multiplicité de l’information immédiate et le sentiment européen était beaucoup moins développé que maintenant. L’Europe a fait un grand pas avec cette guerre en Ukraine parce que nous avons enfin conscience que ce n’est pas qu’un slogan quand l’on dit que l’Europe défend vraiment nos valeurs, la paix, le respect, la solidarité, etc. Emmanuel Macron l’a dit le 2 mars 2022 : « Notre liberté, celle de nos enfants, n’est plus un acquis. Elle est plus que jamais un système de courage, un combat de chaque instant. ».

Alors, que vient faire Robert Ménard dans tout cela ?

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D’abord, il est maire, et pour l’Ukraine, les maires ont une position cruciale : c’est à l’échelle des municipalités que la solidarité des gens s’organise pour aider le peuple ukrainien. Et lui, comme les autres maires, observe qu’il y a un énorme besoin d’aider, de se sentir solidaire. Cette question revient sans cesse : que puis-je faire pour alléger la souffrance des Ukrainiens ? Et au-delà des dons, il y a aussi les offres d’hébergement. La France n’est pas la solution idéale des réfugiés qui ne parlent pas le français : la langue est difficile, le pays est très loin et ils préfèrent rester près des frontières ukrainiennes dans l’espoir d’y retourner rapidement. Ne nous leurrons pas, le "problème humanitaire ukrainien" durera très longtemps. Même après la paix retrouvée, le retour se fera dans des conditions difficiles, des centaines de milliers de familles ont tout perdu.

Ensuite, parce qu’en soutien ordinaire de l’extrême droite, en soutien à Marine Le Pen, Robert Ménard s’est toujours prononcé contre l’immigration, contre l’entrée des réfugiés en France, on ne peut pas porter toute la misère du monde etc. Mais avec l’Ukraine en guerre, il s’est rendu compte d’un truc : ce que je disais à propos des Syriens ou des Irakiens, c’était horrible. Je n’oserais pas le dire des Ukrainiens.

Robert Ménard a avoué effectivement : « Moi, je vais plaider coupable. J’ai dit, écrit, publié à Béziers un certain nombre de choses au moment des combats en Syrie, en Irak et l’arrivée des réfugiés chez nous, que je regrette, que j’ai honte d’avoir dit et fait, parce que ce n’était pas bien. ». Honte, le mot est fort. Il n’est pas seulement "pas fier", il est "honteux".

Et il poursuit sur le plan moral : « Moralement, ce n’était pas bien. Il n’y a pas deux sortes de victimes, il n’y a pas des Européens chrétiens qu’il faudrait défendre et des gens (…) qui seraient au Moyen-Orient et musulmans qu’on aurait eu raison de ne pas accepter chez nous. (…) Je crois que cette attitude est une faute, et je me l’applique. Je crois qu’il y a une solidarité de quasiment tout le monde pour les réfugiés, même Éric Zemmour même s’il le fait avec des bémols. (…) Je pense que nous, ce courant de la droite, que moi, j’ai eu tort. ». Le fonds de commerce de l’extrême droite remis en cause ! C’est un bouleversement de paradigme.

Et d’insister comme maire de Béziers : « Aujourd’hui, moi, j’accueille tous les réfugiés qui le demandent, mais il y a trois ans, quatre ans, non, ce n’était pas bien. Les bombes ne sont pas différentes quand elles tombent sur mes amis de Kiev que quand elles tombent sur mes amis d’Alep. Ce deux poids deux mesures n’est pas glorieux pour moi, ni pour nous. Ce n’est pas une erreur, c’est une faute. ».

Robert Ménard a donc profondément regretté ses propos très dur de 2015 et son refus d’accueillir les réfugiés syriens et irakiens et a martelé qu’il ne pouvait pas y « avoir deux poids deux mesures : quand ils nous ressemblent, ils sont les bienvenus, et quand ils nous ressemblent moins, ils ne sont pas les bienvenus. ».

Parce que c’est une grande gueule de la mouvance d’extrême droite, la prise de conscience de Robert Ménard est salutaire. Le refus de l’immigration est un thème de campagne récurrent de la vie politique française depuis 1978 (utilisé systématiquement par l’extrême droite et parfois par les communistes). Cette prise de conscience qui fait simplement appel autant à la raison qu’au cœur, est une énorme inflexion dans le discours des extrêmes depuis une dizaine d’années. Les trois mois de zemmourisme enflammés dans les médias de l’automne dernier seraient peut-être mal digérés et le principe humanitaire, l’humanisme, revenir au galop par contre-réaction. La bouillie zemmourienne revomit.

Décidément, on n’en finit pas de mesurer le réveil de conscience des Français qu’auront au moins provoqué cette guerre en Ukraine et les massacres qui s’y déroulent : indifférence, refus d’accueil des réfugiés, nationalisme, anti-européanisme sont désormais très réprouvés. Nous sommes tous conscients et interdépendants et j’ai beaucoup d’émotion d’observer que cette solidarité, sur le terrain, partout en France, s’exerce quasi-unanimement. Tout le monde veut apporter sa part. Si cela n’arrête pas la guerre, c’est quand même très réconfortant sur notre capacité d’indignation et de réaction : les Ukrainiens ne sont pas seuls au monde et nous ne les oublieront pas ! Les autres peuples victimes des guerres désormais aussi, espérons-le !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (09 mars 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Robert Ménard, l’immigration et l’émotion humanitaire.
La misère du monde.
Ukraine en guerre : Emmanuel Macron sur tous les fronts.
Les réfugiés de Syrie et d'Irak.
François Bayrou, le parrain de Marine Le Pen.
Jean Roucas.
Éric Zemmour et l’obsession de l’immigration.
Faut-il craindre un second tour Éric Zemmour vs Marine Le Pen ?
Jean-Marie Le Pen.
Marine Le Pen et l’effet majoritaire.
Florian Philippot.
Bruno Mégret.
Jean-Frédéric Poisson.
Christine Boutin.
La création de Debout la Patrie.
Marion Maréchal.
Patrick Buisson.
Nicolas Dupont-Aignan.
Choisis ton camp, camarade !
Fais-moi peur !
Peuple et populismes.
Les valeurs de la République.
Être patriote.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220309-robert-menard.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/robert-menard-l-immigration-et-l-240054

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2022/03/10/39381521.html







 

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26 janvier 2022 3 26 /01 /janvier /2022 17:57

« Qu’importe après tout que les mots manquent ou trébuchent, s’ils parviennent, fugitivement du moins, à ramener parmi nous l’Algérie exilée et la mettre, avec ses plaies, à un ordre du jour dont enfin nous n’ayons pas honte. » (Albert Camus).





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Albert Camus était très lié à l’Algérie (c’est un euphémisme) mais il n’a pas eu le temps de connaître la fin de la guerre d’Algérie. Il y a soixante ans, le 5 juillet 1962, l’Algérie est devenue indépendante de la République française. Cette date est la conséquence des Accords d’Évian du 18 mars 1962. A priori, le cessez-le-feu devait être appliqué à partir du 19 mars 1962 et la paix devait régner, mais l’année 1962, après ces accords, fut au contraire marquée par de nombreux massacres entre Algériens et Européens, commis par différents "partis".

Lors de la réception des représentants des rapatriés d’Algérie au Palais de l’Élysée le 26 janvier 2022 à Paris, le Président de la République Emmanuel Macron a prononcé un discours très important où il a rappelé quelques mauvais souvenirs : « J’ai souhaité (…) que vos voix puissent être rassemblées pour transmettre cette mémoire, pour dire l’attachement de la France aux rapatriés, à leurs familles. Et pour continuer de cheminer sur la voie de l’apaisement des mémoires blessées de la guerre d’Algérie, vous savez mon engagement su ce sujet. (…) À cette terre évanouie de vos parents ou de votre enfance, vous devez vos leçons de bonheur. Et votre arrachement, je le sais, à cette terre, fut une peine inconsolable.  (…) L’histoire des rapatriés d’Algérie est l’histoire d’un amour charnel pour cette terre, d’effort, de labeur pour la faire fructifier. Puis l’histoire d’un exode et d’un exil, l’exode contraint et subi de Français nés dans cette France de l’autre côté de la Méditerranée et pris dans la tourmente de la guerre, puis l’exil déraciné au sein de leur propre patrie. ».

Et Emmanuel Macron d’évoquer le souvenir de deux massacres.

Le massacre de la rue d’Isly à Alger le 26 mars 1962 où l’armée française a tiré sur une foule de manifestants, « attisée par l’OAS » pour exprimer son attachement à l’Algérie française : « Ce jour-là, les soldats français déployés à contre-emploi, mal commandés, moralement atteints, ont tiré sur des Français. Il est plus que temps de le dire. Ce qui devait être une opération de maintien de l’ordre s’acheva par un massacre, un massacre dont aucune liste définitive des victimes ne fut établie, qui fit des dizaines de tués et des centaines de blessés. Les familles ne purent pas enterrer dignement leurs morts. Les obsèques religieuses furent interdites. Les corps convoyés directement au cimetière par camions militaires au jour et à l’heure choisis par les autorités. Le choc fut immense pour les citoyens qui se pensaient auparavant protégés par l’armée française et qui voyaient se retourner contre eux le glaive qui devait les défendre. (…) En métropole, le drame fut passé sous silence. Soixante ans après, la France reconnaît cette tragédie. Et je le dis aujourd’hui haut et fort : ce massacre du 26 mars 1962 est impardonnable pour la République. ».

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Puis, après avoir parlé de « ce cycle infernal d’attaques, de vengeance, [qui] faucha sa moisson de morts, des Français, mais aussi des Algériens et des Algériens musulmans », il a évoqué un autre massacre. Car le soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie est aussi celui d’un massacre, celui commis dans les rues d’Oran ce 5 juillet 1962 : « Ce massacre, lui aussi, doit être regardé en face et reconnu. La vérité doit être de mise et l’histoire transmise. Il nous faut aussi raconter ces mois d’adieux, de déchirures où des Français d’origine métropolitaine, européenne, où des populations installées depuis des siècles, comme certains Juifs d’Algérie, furent poussés à cette extrémité insupportable, la valise plutôt que le cercueil. Leur fuite devient un exode brutal, massif, désordonné (…). On quitte sa maison, son appartement ; sans même savoir si l’on a fermé la porte, on se rue vers les navires ou l’aéroport pour se frayer un chemin de survie pour soi, pour sa famille, pour ses proches. ».

À Oran, ce 5 juillet 1962, une foule d’Algériens a manifesté leur joie (comme depuis quatre jours) pour l’indépendance reconnue de leur pays après les atrocités d’une guerre civile. L’ambiance y était détendue et apaisée d’autant plus que les éléments armés de l’OAS s’étaient retirés. L’armée algérienne dirigée par le capitaine Bakhti n’est composée que de quelques centaines d’hommes, tandis que l’armée française dirigée par le général Joseph Katz était présente, composée de 18 000 hommes. Soudain, peu avant midi sur la Place d’Armes, des tirs furent entendus et des Européens furent lynchés. D’autres furent arrêtés et furent tués ou ont disparu.

L’article apparemment bien référencé de Wikipédia parle ainsi des scènes d’horreur : « Les hommes armés se ruent sur les immeubles, enfoncent les portes des appartements, ouvrent le feu dans les restaurants, arrêtent, enlèvent, égorgent, au hasard des rencontres. Des rafales de mitraillette balaient les terrasses des cafés, les porches, les voitures. Sur les atrocités commisses, de nombreux témoignages se recoupent : exécutions sommaires d’Européens et d’Algériens soupçonnés de leur avoir été favorables, scènes de lynchage (…), actes de torture (pendaison, pendaison à un croc de boucher, mutilations, énucléations), il semblerait que cette vendetta véhiculait deux messages, le premier serait un message de vengeance en perpétuant les mêmes sévices qu’ils aient pu subir et le second, celui de prévenir le peuple européen qu’il ne serait plus en sécurité. ».

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En tout, des centaines de Français furent tués, des historiens parlent de 700 à 800 morts ou disparus. Jean-Pierre Chevènement, à l’époque sous-lieutenant et affecté pour son stage de l’ENA auprès su conseil général de France à Oran, a expliqué en 1977 : « Ma principale tâche était de retrouver les huit cents disparus du 5 juillet. ». L’armée française n’est pas intervenue immédiatement et a laissé faire, probablement dans le souci de ne plus impliquer l’armée française après l’indépendance. Beaucoup de corps n’ont pas été retrouvés et le silence fut imposé par les autorités tant algériennes que françaises qui n’avaient pas rempli leur mission de protection. Les auteurs des tirs n’ont pas été identifiés, probablement provenant de l’ALN, l’armée provisoire du FLN.

Malgré cet éloignement dans le temps (deux à trois générations plus tard), la guerre d’Algérie a laissé derrière elle un traumatisme durable et reste un marqueur historique important dans la vie politique. Pour preuve, le tout premier discours de la XVIe Législature prononcé dans l’hémicycle le 28 juin 2022 par le doyen d’âge avant d’élire le Président de l’Assemblée Nationale. C’était le discours du président de la première séance, le nouveau député RN José Gonzalez (79 ans), né à Oran et rapatrié en France métropolitaine dans des conditions difficiles en 1962.

Et il a déclaré, plein d’émotion, aux députés nouvellement élus ou réélus : « En ce lieu sacré de la représentation du peuple français, de l’expression de la volonté nationale, vous voir réunis côte à côte, par ordre alphabétique, au-delà de toutes nos divergences, est un symbole d’unité française. Ce symbole touche l’enfant d’une France d’ailleurs que je suis, arraché à sa terre natale et drossé sur les côtes de Provence par les vents de l’histoire en 1962. J’ai laissé là-bas une partie de ma France et beaucoup d’amis. Je suis un homme qui a vu son âme à jamais meurtrie… Pardonnez mon émotion, je pense à mes amis que j’ai laissés là-bas. (Applaudissements). Je suis un homme qui a vu son âme à jamais meurtrie par le sentiment d’abandon et les périodes de déchirement. Comme nous tous, je n’en doute pas, je sais combien cette exigence d’unité française est nécessaire, notamment dans les temps complexes que nous traversons. J’émets le souhait, mes chers collègues, qu’elle éclaire nos débats et inspire nos décisions. ».

Fortement applaudie, et pas seulement par les 88 collègues du groupe RN du doyen, cette courte allocution d’ouverture de la législature a été fortement critiquée par certains députés FI qui y voyaient une apologie de l’OAS (ce qu’elle n’était pas). Dans tous les cas, même si ceux qui la critiquaient n’étaient pas encore nés à l’époque des faits, les passions politiques demeurent encore très intenses et prégnantes lorsqu’on évoque ce passé très trouble de l’Algérie.

Le cinéma a tardivement honoré de son art ce terrible massacre du 5 juillet 1962 à Oran, passé sous silence pendant si longtemps. En effet, Nicole Garcia a réalisé un très beau film, "Un balcon sur la mer" (sorti le 15 décembre 2010), avec comme acteur principal Jean Dujardin qui a profondément surpris par ce rôle qui n’a rien de comique (aux côtés de Marie-Josée Croze, Sandrine Kiberlain, Michel Aumont, Toni Servillo et Claudia Cardinale). Je recommande très vivement ce film tout en subtilité, très complexe, qui retrace avec authenticité l’attachement de Français européens à l’Algérie et les tragédies humaines des massacres et de l’exode.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 juillet 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le massacre d’Oran, 60 ans plus tard…
José Gonzalez.
Reconnaissance par Emmanuel Macron le 26 janvier 2022 de deux massacres commis en 1962 en Algérie (Alger et Oran).
Pierre Vidal-Naquet.
Jean Lacouture.
Edmond Michelet.
Jacques Soustelle.
Albert Camus.
Abdelaziz Bouteflika en 2021.
Le fantôme d’El Mouradia.
Louis Joxe et les Harkis.
Chadli Bendjedid.
Disparition de Chadli Benjedid.
Hocine Aït Ahmed.
Ahmed Ben Bella.
Josette Audin.
Michel Audin.
Déclaration d’Emmanuel Macron sur Maurice Audin (13 septembre 2018).
François Mitterrand et l'Algérie.
Hervé Gourdel.
Mohamed Boudiaf.
Vidéo : dernières paroles de Boudiaf le 29 juin 1992.
Rapport officiel sur l’assassinat de Boudiaf (texte intégral).
Abdelaziz Bouteflika en 2009.

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19 janvier 2022 3 19 /01 /janvier /2022 03:48

« Avec son visage hiératiquement figé, ses yeux fixant un point indéterminé de l’espace, son père n’appartenait plus tout à fait à l’humanité, il y avait décidément en lui quelque chose du spectre, mais également de l’oracle. » (Michel Houellebecq, "Anéantir", éd. Flammarion, 2022).



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Comme je l’expliquais dans un précédent article, l’écrivain Michel Houellebecq n’en est plus forcément à ruminer du noir dans l’obscurité observée de l’humanité. Dans son dernier ouvrage sorti le 7 janvier 2022, "Anéantir" (chez Flammarion), il imagine au contraire un rebond industriel de la France et même, une industrie automobile fleurissante, concurrençant voire surpassant l’industrie automobile allemande. C’est dire comme le spécialiste du pessimisme est devenu optimiste.

Si l’économiste Bernard Maris appréciait tant ses livres, c’est qu’il pensait, à mon avis à juste titre, que Michel Houellebecq pensait le mieux la société contemporaine, ressentait le mieux ses évolutions, ses aspirations, ses absurdités, ses paradoxes, et en faisait donc une description la plus lucide possible. Bien sûr, comme beaucoup de ces évolutions sont plutôt négatives, ou, du moins, inquiétantes, cela pouvait donner lieu à une narration déprimante.

Avec les quelques idées positives du dernier roman, on pourrait même croire que l’avenir de la France change de trajectoire et reviendrait au beau fixe. Bon, c’est un peu simpliste, mais comme dans toute évolution, il y a du bon et du mauvais, ressenti du reste très subjectivement, car la société est aussi "schizophrène", inquiète des délocalisations à cause du chômage et de la désindustrialisation, mais heureuse de consommer les fruits de cette délocalisation car accessibles aux moins riches et donc, au plus grand nombre, il est heureusement facile de changer de perception selon la perspective d’observateur qu’on prend.

On connaissait aussi quelques "combats" de Michel Houellebecq. L’un, retranscrit dans "Soumission" (2015), est la peur d’une société française se transformant progressivement en société musulmane, peur voire obsession qu’a reprise et amplifiée des personnalités comme Éric Zemmour. Michel Houellebecq, lui, n’a pas exprimé d’opinion politique, il n’a fait qu’imaginer cette transition (en principe pour cette élection présidentielle, ce qui ne semble pas se passer comme le livre, heureusement), et cela avec une certaine dose d’originalité.

On peut aussi parler de "combat" dans ses premiers livres, en particulier "Les Particules élémentaires" (1998), mais aussi "Extension du domaine de la lutte" (1994) et plus encore dans "Plateforme" (2001), qui serait une sorte de droit au sexe, droit plutôt décliné au masculin, car le point de la vue de la femme manquait beaucoup à l’origine, dans ses premiers romans (ce n’est plus le cas maintenant).

On trouve aussi un soutien aux agriculteurs, plutôt aux petits exploitants, dans "Sérotonine" (2019), écartelés entre l’Europe, ses aides et ses normes, les consommateurs, l’État et la concurrence extraeuropéenne, ou encore une critique de la désertification rurale qu’on ressent aussi dans "La Carte et le Territoire" (2010), couronné prix Goncourt.

Plus que dans ses précédents romans, Michel Houellebecq aborde, avec "Anéantir", les thèmes "sociétaux". En fait, je l’attendais depuis longtemps sur ces sujets-là.

On a ainsi une évocation de la GPA, on va dire, une "GPA pas heureuse", dans le sens où l’un des effets plus ou moins volontaire d’une femme qui a demandé cette GPA serat d’humilier son mari (qu’elle n’aimerait pas). Et il faut aussi l’amour des parents : « Elle avait souhaité par ce choix humilier Aurélien, faire savoir à tous dès la première seconde qu’il n’était pas, ne pouvait en aucun cas être le père véritable de l’enfant. Si telle avait été son intention, elle avait pleinement réussi. La paternité biologique n’a aucune importance, l’important c’est l’amour, du moins c’est ce qu’on affirme en général ; mais l’amour, encore faut-il qu’il y en ait, et Paul n’avait jamais eu l’impression qu’il existât une quelconque forme d’amour entre Aurélien et son fils (…). ».

Parmi les sujets de son roman "Anéantir", il y a aussi le chômage des quinquagénaires, et plus particulièrement des cadres, couplé à l’ascenseur social en panne. En effet, parmi les personnages, l’auteur décrit Hervé qui est notaire, mais la crise de l’immobilier a engendré la faillite de l’étude notariale qui l’employait et il se retrouve au chômage avec peu de chance de retrouver un emploi sinon en rebondissant dans un autre métier. Michel Houellebecq montre ainsi qu’on peut avoir fait de belles études et ne pas assurer ses fins de mois. Mais implicitement, il explique cette situation par le fait que ce personnage est fils d’ouvriers.

Cela n’empêche pas non plus le romancier de s’interroger sur l’amour, un peu pour lui-même puisqu’il a eu l’an dernier 65 ans : « Est-ce qu’on peut tomber amoureux à soixante-cinq ans ? Peut-être que oui, tant de choses existent sur cette terre. Il est certain en tout cas que Madeleine était tombée amoureuse de son père (…). Cela pouvait se comprendre, son père était à sa manière un homme impressionnant, d’ailleurs il avait toujours eu un peu peur de lui, mais pas tellement peur non plus parce que c’était un homme bon (…). ». Et cette Madeleine, la cinquantaine à peine entamée, « c’était juste une pauvre sans commentaires, et sa vie jusqu’à présent avait été parfaitement merdique, un bref mariage avec un alcoolique et c’était tout, on n’arrive pas à imaginer à quel point c’est peu de chose, en général, la vie des gens,on n’y arrive pas davantage quand on fait soi-même partie de ces "gens", et c’est toujours le cas, plus ou moins ». En d’autres termes, elle est une "qui n’est rien". On retrouve le Houellebecq un tantinet dépressif. Je pense que l’expression « une pauvre sans commentaires » fera date, au même titre que les « sans dents » de François Hollande.

De tous ces nouveaux combats, je pense qu’il y en a un qui pèse plus lourd que les autres pour Michel Houellebecq, et qui, par celui-ci, révèle un véritable humanisme, certes un peu dépressif, mais un humanisme beaucoup plus vivant que ceux qui célèbrent le culte de la mort "douce", à savoir l’euthanasie.

Michel Houellebecq a été profondément écœuré par la manière dont Vincent Lambert a été (mal)traité de 2014 à 2019, jusqu’à sa mort provoquée qui reste, à mon sens aussi, un véritable scandale de la morale publique (on peut lire une première tribune ici, et une seconde tribune là). Je ne pouvais pas imaginer que Michel Houellebecq, dans un roman ou un autre, ne s’empare pas de ce thème. Avec la "facilité" du romancier : en effet, il ne s’agit pas ici de faire un "essai", d’égrainer les arguments pour ou contre l’euthanasie, il ne fait que raconter une "histoire", et en plus, en tant que "deus ex machina", il maîtrise parfaitement tous les tenants et aboutissants de l’histoire. Il peut donc en faire un modèle à visée philosophique, mais toujours sans prétention, car il n’y a jamais vraiment de moralité dans les romans de Michel Houellebecq, et d’ailleurs, il commence toujours à dépeindre ses personnages sans beaucoup les valoriser ; ils ont tant de défauts au départ qu’ils ne peuvent pas être des modèles de comportement.

Simplement, la simple narration suffit à ensuite changer d’opinion le cas échéant, mais surtout, à connaître d’autres perspectives, à mieux comprendre un contexte qui n’est pas comme on le croyait, à confronter d’autres points de vue.

Car l’euthanasie, au fond, qu’on souhaite pour les autres, car si on veut légaliser l’euthanasie, c’est bien qu’on veut la généraliser, qu’elle soit utilisée aussi pour les autres, sans en comprendre les dangers, c’est un regard sur soi-même, c’est la peur d’affronter soi-même une échéance qui, de toute façon, suprême égalité qui élimine toute classe sociale, arrivera à chacun de nous, et elle arrivera avec de la souffrance, pour nous et pour ceux qui nous aime. Croire qu’on éliminera la souffrance (en particulier psychologique) en avançant l’échéance est un leurre et surtout une prétention immense, prométhéenne. On sait réduire la souffrance physique (c’est l’un des progrès de la médecine) et cela devrait suffire pour justement ne pas vouloir avancer l’échéance.

Alors, Michel Houellebecq ne fait que dans la narration, avec ses personnages, loin d’être parfaits et surtout, loin d’être uniformes, un athée matérialiste qui n’a pas le temps de dépenser son argent, une catho pratiquante qui vote pour l’extrême droite et qui n’a pas beaucoup d’argent, etc. Le père du personnage principal est ainsi "son" Vincent Lambert, sans la caractéristique jeunesse : il a autour de 70 ans, pas d’accident de la route, mais un accident vasculaire cérébral qui, finalement, entraîne le même désordre dans le cerveau. Coma, inquiétude, et puis, éveil, sortie de l’engagement du pronostique vital et, comme Vincent Lambert, état pauci-relationnel.

La différence entre Édouard Raison (le père en question) et Vincent Lambert, c’est qu’il a eu la chance d’être "mieux" traité médicalement, qu’on s’occupe "vraiment" de lui dans une structure spécialisée. C’est là l’invraisemblance du roman : non seulement il existe une structure prête à l’accueillir, mais celle qui est le plus proche du domicile familial a justement une place qui se libère.

Et d’ailleurs, que veut dire "une place qui se libère" ? Car moi aussi, je me suis toujours inquiété de la question : « Édouard Raison entamerait une nouvelle phase de son existence, et tout portait à croire que ce serait la dernière. Si une place s’était libérée, dans cette unité de Belleville-en-Beaujolais, si une chambre avait été vidée, puis allait être nettoyée, c’était de toute évidence qu’un autre résident était "parti", ou, pour le dire plus clairement, qu’il était mort. ».

Les caractéristiques pour pouvoir y entrer sont les suivantes : « "Votre papa y sera parfaitement soigné, j’en ai la certitude. Il n’a pas besoin de trachéotomie pour respirer, et ça c’est déjà énorme. Le point noir, par contre, c’est qu’il n’a aucun mouvement oculaire, ce sont les mouvements oculaires qui permettent de rétablir la communication, et c’est souvent la première chose qu’ils récupèrent". Elle s’abstint d’ajouter que c’était assez souvent, aussi, la dernière, elle gardait à vrai dire un souvenir plutôt angoissé de ce moment de sa visite au centre hospitalier de Belleville-en-Beaujolais (…). ». Eh oui, comme Vincent Lambert, on ne peut pas débrancher Édouard Raison, car il n’est pas branché ! Il est autonome dans la respiration, et seule, l’absence de réflexe de déglutition, qui peut revenir après un long entraînement, l’empêche d’être autonome dans son alimentation et son hydratation.

Et au programme précisé par la médecin-chef du service de réanimation qui va transférer le patient dans cet hébergement spécialisé, tout ce dont Vincent Lambert n’avait pas pu bénéficier alors que plusieurs structures avaient confirmé qu’elles seraient prêtes à l’accueillir : « Ils ont plusieurs séances hebdomadaires de kinésithérapie et d’orthophonie (…), j’ai été impressionnée quand j’y suis allée. Ils sont baignés régulièrement, et ils ont fréquemment des sorties en fauteuil roulant. Il y a un parc, enfin une espèce de petit parc, à l’intérieur de l’établissement, mais souvent ils vont plus loin, jusqu’aux berges de la Saône. ».

Complété par le directeur de l’unité lui-même : « En dehors de la parole [je n’y crois pas trop] l’orthophonie sert aussi à éduquer la déglutition, ce qui peut permettre d’abandonner la gastrostomie pour revenir à une alimentation normale. (…) Tous les aliments sont permis ; à condition de les mixer, de les réduire en purée, il pourra retrouver toutes les saveurs qu’il connaissait. (…) Ensuite (…), il y a la stimulation sensorielle en général. Toutes les semaines, pour ceux qui le souhaitent, on a une séance de musicothérapie. Et puis, là c’est plus récent, c’est une association qui gère ça, il y a les ateliers animaux domestiques (…). Et puis bien sûr on ne les laisse pas allongés toute la journée, ça c’est le plus important à mon avis. Déjà ça évite les escarres, en cinq ans je n’ai pas eu une seule escarre dans mon unité. Tous les matins ils sont levés, mis en fauteuil roulant, très important, le fauteuil roulant (…), et ils restent en fauteuil jusqu’au soir, on peut les déplacer, suivant les disponibilités des soignants bien sûr. (…) On essaie de les promener plus longtemps, on les sort tous les jours, parfois en ville, parfois sur les bords de Saône. C’est important qu’ils puissent voire d’autres choses, écouter des sons différents, sentir d’autres odeurs ; mais évidemment c’est le plus coûteux en personnel, il faut un soignant pour pousser chaque fauteuil, on procède par roulement, on s’arrange pour que chacun puisse avoir sa promenade au moins une fois par semaine. ».

C’était parmi les revendications de la mère de Vincent Lambert : qu’il puisse avoir un fauteuil roulant et ne pas rester sans stimuli allongé dans sa chambre, et qu’il puisse être transféré dans une unité spécialisée chargée de l’accompagner. Je ne saurai jamais pourquoi l’État, et en particulier le Conseil d’État, ont privilégié l’euthanasie alors qu’il existait d’autres solutions. Ou j’ai trop peur de le savoir.

Dans le roman, tous les personnages n’ont pas, non plus, la même appréhension de ce qui est bien pour Édouard Raison et c’est cet entrechoquement des conceptions qui fait aussi la subtilité âpre de l’histoire.

On peut comprendre rapidement que Michel Houellebecq s’est bien documenté sur le sujet. C’est un sujet essentiel, et passionnant, car cet état de semi-conscience, d’une personne qui peut ressentir tous les sens mais qui ne peut plus rien exprimer, plus entrer en communication, peut "s’abattre" sur n’importe qui n’importe quand. Et la société doit savoir répondre à cet enjeu, faire preuve de solidarité auprès de ces patients qui ne souffrent pas mais qui sont en situation de lourd handicap. Certains veulent y répondre par la mort, purement et simplement, j’oserais dire facilement, et, au contraire, pour près de deux mille familles, la réponse, c’est d’accompagner ces personnes avec le plus de soins, le plus d’attention, et surtout, avec le plus d’amour possible.

Oui, Michel Houellebecq, c’est aussi cette culture de la vie face à la culture de la mort. Donc, non, le noir houellebecquien est certainement plus éclairant et porteur d’espérance que bien des opinions mortifères qui se sentent majoritaires dans la société française au point de prétendre régenter celle-ci selon une morale on ne peut plus douteuse. Merci, Michel Houellebecq, d’être l’avocat de ces personnes incapables d’exprimer qu’elles sont encore bien vivantes.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 janvier 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les nouveaux combats de Michel Houellebecq.
Anéantir : du grand Houellebecq !
Rentrée littéraire 2022 : "Anéantir" de Michel Houellebecq.
Michel Houellebecq évoque Vincent Lambert.
Houellebecq a 65 ans.
Lecture de la lettre de Michel Houellebecq sur France Inter (fichier audio).
Michel Houellebecq écrit à France Inter sur le virus sans qualités.
5 ans de Soumission.
Vincent Lambert au cœur de la civilisation humaine ?
Vivons tristes en attendant la mort !
"Sérotonine" de Michel Houellebecq.
Sérotonine, c’est ma copine !

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20220118-houellebecq-aneantir.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/les-nouveaux-combats-de-michel-238722

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17 janvier 2022 1 17 /01 /janvier /2022 03:57

« Je pense que l’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux enfants et à ces enfants-là qui sont, les pauvres, complètement dépassés par les autres enfants, et aux enseignants. » (Éric Zemmour, le 14 janvier 2022).




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Le candidat Éric Zemmour a créé une nouvelle polémique ce vendredi 14 janvier 2022. Il a dû s’autojustifier, revenir sur ses propos, parfois solennellement devant une caméra pendant tout le week-end où il pédalait dans la semoule, mais à chaque explication, il s’enfonçait encore un peu plus, le fond de sa pensée réelle se dévoilant, ouverte à tout vent, plutôt odieux.

À chaque fois, je m’interroge toujours sur l’intérêt de réagir à ces gros pavés dans la mare, comme c’était le cas pour les prénoms, mais le sujet me tient à cœur et je vais donc aborder ce sujet avec une profonde révolte sur la pensée du polémiste Zemmour qui, je veux bien le croire, n’a pas voulu faire dans la provocation, ce qui me paraît d’ailleurs pire.

Dans la classe politique, les réactions étaient unanimes, de l’extrême droite à l’extrême gauche, ce qui, pour Éric Zemmour, invité le 16 janvier 2022 sur France 3, serait le signe qu’il aurait raison (!). Même Marine Le Pen a été choquée, et elle l’est régulièrement avec la candidature de l’éditorialiste, si bien que dans ses interventions, elle se montre plus consensuelle, voire plus présidentielle que précédemment (mais elle n’a rien changé sur le fond). Éric Zemmour serait "l’idiot utile" de Marine Le Pen que cela ne m’étonnerait pas, mais je connais trop l’importance des ego pour que ce soit réellement le cas, en tout cas de manière concertée.

De quoi s’agit-il ? De l’inclusion des enfants en situation de handicap à l’école. Le mot "inclusion" est un gros mot pour Éric Zemmour, donc, il vaut mieux l’éviter. Il s’agit de considérer qu’une personne en situation de handicap, le plus important, dans l’expression, c’est "personne" et pas "handicap". C’est pour cela que je déteste qu’on parle des "handicapés" car cela réduit les personnes à leur seul handicap alors qu’elles sont beaucoup plus riches que cela. Elles sont d’abord des personnes, et doivent être respectées de la même manière que les autres.

Maintenant, les enfants, c’est encore plus important : les enfants en situation de handicap doivent être respectés comme des personnes, mais plus encore doivent être protégés et aidés, comme tous les enfants. Ils sont riches du devenir. Ils sont une promesse, ils sont plus un avenir qu’ils ont un avenir. C’est cela, la République. Dans la phrase qui a suscité tant de réactions, mise en début d’article et mille fois amendée, justifiée, modifiée par son auteur lui-même, en s’enfonçant, je l’ai dit, au point même d’en donner un aspect même pécuniaire… le candidat polémiste (qui n’a pas volé cette caractéristique) a au fond divisé la société, les enfants, en deux catégories, les "enfants", c’est-à-dire, sous-entendu, les "enfants normaux", et "ces enfants-là", c’est-à-dire, les enfants en situation de handicap, je remarque qu’il en parle avec un "respect" qui en dit long.

C’est important d’introduire la notion de "normalité" avec Éric Zemmour, car tout son problème est là : la normalité a évolué depuis les années 1950 (car il s’est à peu près figé à la décennie de sa naissance, peut-être parce qu’il l’a magnifiée, idéalisée dans l’adolescence ou un peu plus tard ?), et ce qui n’était "pas normal" n’est aujourd’hui peut-être pas devenu "normal", mais "banal". Plein de choses de la société : le divorce, l’homosexualité, le non-mariage, le mariage gay, etc.

Faut-il définir le handicap comme une "non-normalité" ? Peut-être. Mais il y a une certitude : autour de 7% voire 10% des personnes ont une "anomalie" génétique à la naissance, et sans doute autant ont, par accident, maladie, etc., acquis un handicap au cours de leur vie, sans compter ceux qui ont eu un handicap temporaire (une jambe cassée par exemple). Cela en fait beaucoup.

Le handicap inné paraît émané d’une statistique irréductible des espèces vivantes. L’anomalie génétique est même le seul moyen pour permettre l’évolution des espèces, au sens darwinien du terme (Darwin a été très visionnaire, puisqu’à l’époque, il ne savait pas que chaque être avait son empreinte génétique, l’ADN). Le handicap acquis provient plutôt du type de la société dans laquelle on évolue. Une société avec peu d’automobiles comporte des personnes handicapées par un accident de la route en moins grand nombre qu’une société très mécanisée, etc.

Dans une bande dessinée de Guy Deslile qui raconte son séjour en Corée du Nord, le dessinateur observateur évoque une discussion avec son guide. Il ne comprend pas pourquoi il ne voit aucune personne en fauteuil roulant dans les rues de Pyongyang. Son accompagnateur gouvernemental lui explique : c’est parce qu’en Corée du Nord, tout le monde naît parfaitement, sans handicap, parce que tout le monde a une vie saine.

C’est évidemment faux, mais la question, une véritable question de société, c’est de savoir si on accepte de "les montrer" ou pas, pas les montrer comme des phénomènes de foire, bien entendu, mais que les personnes en situation de handicap puissent vivre aussi dehors, comme les autres, avec les autres. Il faut évidemment pour cela que les équipements urbains soient adaptés, ce qui était le cas en Suède il y a déjà cinquante ans : mettre les accès au métro à la même hauteur que le quai, faire un petit bruit différent pour indiquer si le feu est rouge ou vert (c’est le cas aux Pays-Bas), installer les notices de musée en braille, etc. Regardez les rues de Paris, regardez le nombre d’entrées dans les habitations surélevées, avec une ou deux marches pour atteindre le hall, c’est pratiquement 100%. C’est systématique. Et dans les vieux immeuble, inutile de dire que l’ascenseur, pas prévu à l’origine, est trop étroit pour les fauteuils roulants.

Bref, veut-on accepter que la société française soit aussi celle des 12 millions de Français qui sont touchés par un handicap ? ainsi que celle de leurs familles, et je pourrais même élargir aux bébés dans les poussettes et même, car je ne sais pas si elles sont considérées comme en situation de handicap, les personnes très âgées en bonne santé mais qui ont besoin d’un déambulateur pour faire leurs courses (quand j’habitais à Paris, je croisais souvent un homme très âgé, très lent à marcher pour faire ses courses, et j’admirais son courage, sa persévérance et son dynamisme ; pas sûr que dans ces conditions, je fasse une sortie moi-même).

Dans un documentaire qui a été diffusé par France 3 il y a huit ans qui retraçait les débuts politiques de Jacques Chirac en Corrèze, il montrait un Chirac adorable, consensuel, apprécié même des communistes en Corrèze alors qu’il était le jeune loup mordant et tueur à Paris, et on le voyait visiter une ferme corrézienne, il quittait ses hôtes pour aller au fond de la grande salle de vie, un peu à l’ombre, il y avait là le fiston dans un fauteuil roulant, il lui a pris la main avec beaucoup de chaleur humaine et a dit à ses parents qu’il fallait le mettre à la lumière, il avait droit à une vie sociale comme un autre.

Ce n’est donc pas étonnant que Jacques Chirac a été sans doute celui qui a le plus fait pour les personnes en situation de handicap, pour que la société s’ouvre, les accepte et les aide comme les autres, avec la solidarité nationale que sous-tend la devise de la République. Le 14 juillet 2002, il en avait fait l’une des priorités concrètes de son second mandat, ce qui a abouti à la loi n°2005-102 du 11 février 2005 qui a été une avancée sociétale très forte, tant dans les choses concrètes que dans la philosophie politique de rendre solidaire toute la société.

La société a toujours évolué très lentement, et si le mot "inclusion" fait peur car préempté par des mouvements vaguement "wokistes" qui anéantissent la raison par leur idéologie, l’insertion des personnes en situation de handicap dans la vie sociale a été une avancée essentielle des vingt dernières années. Et il faut bien insister : tout le monde peut être touché par le handicap, tout le monde peut devenir en situation de handicap, et du jour au lendemain, il "suffit" d’un accident de la route, ou de faire naître un enfant avec des "anomalies".

Bref, se préoccuper des personnes en situation de handicap, ce n’est pas seulement de la solidarité, de la justice sociale, de la générosité, la main sur le cœur, c’est aussi l’intérêt de chacun, c’est aussi l’intérêt égoïste bien compris de chacun, même des "bien portants", des soi-disant personnes "normales", car cette situation peut changer (comme un jeune devient âgé, un salarié peut devenir demandeur d’emploi, une personne en bonne santé peut devenir malade, etc.).

Alors, comme pour d’autres sujets, Éric Zemmour clive, il y a les "bons" et les "méchants", ou les "à protéger" ("à encourager") et les "ceux qui ennuient" (à "laisser de côté"). En gros, Éric Zemmour affirme que les enfants "normaux" sont ennuyés, freinés, plombés, par les enfants en situation de handicap lorsqu’ils partagent la même classe à l’école. L’élitiste voudrait que les enfants parfaits soient dans des classes parfaites pour aller au sommet de leur "perfectude". Et les autres, ma foi, tant pis, ce sont des laissés pour compte de la société zemmourienne, ce sont des "pas d’chance".

Éric Zemmour parle et pense en idéologue. Il considère que les enfants en situation de handicap sont un frein à son élitisme et que mélanger les genres, ça va deux minutes, mais il faut être sérieux, laissez les "normaux" tranquilles, en gros. Et il insiste sur le fait que c’est l’idéologie de l’Éducation nationale qui veut que les enfants en situation de handicap soient dans les classes "normales".

Ce qui est évidemment n’importe quoi. D’ailleurs, si on parle d’une idéologie du genre pédagogisme, il faudrait dire qu’il y a autant d’idéologies que d’enseignants, c’est-à-dire autour de 2 millions ! Et ce n’est pas du tout l’Éducation nationale qui a été à l’initiative de la démarche, c’est la loi qui l’a contrainte. La plupart des enseignants seraient même plutôt contre, s’ils exprimaient discrètement le fond de leur pensée, théoriquement d’accord mais pas pour eux, car en pratique, c’est très compliqué et il y a un manque de moyens, de personnel, ce qui est vrai.

La démarche, au-delà de la loi, elle provient des parents eux-mêmes qui veulent assurer à leurs enfants un apprentissage comme aux autres, tant que c’est possible. Il y a effectivement des handicaps trop lourds qui ne peuvent pas être en "immersion" dans la vie sociale "normale" et qui nécessitent des structures spécialisées, mais beaucoup d’autres enfants peuvent l’éviter d’être "traités" à part.

Un enfant en situation de handicap voit évidemment sa condition s’améliorer s’il est intégré dans une classe ordinaire à l’école. Car il a besoin de l’apprentissage d’une vie sociale, du contact avec les autres, de l’ouverture par les relations. Mais les enfants qui ne sont pas en situation de handicap sont aussi enrichis par ce contact de quelqu’un de différent. Ils apprennent beaucoup à son contact. Bien sûr, au début, ce sera "l’enfant au fauteuil roulant". Mais ensuite, si celui-ci sait mieux les maths qu’un autre camarade, ce sera plutôt celui qui l’aide en maths, ou celui qui plaisante de la prof avec lui, ou plein d’autres choses, de complicités, de ce qui fait la camaraderie, bref, de la banalisation du handicap qui n’est plus l’unique identité, mais l’une parmi d’autres (ce handicap n’est évidemment pas nié, ne serait-ce que parce que pour vivre, ce n’est pas possible de le nier, il faut des personnes aidant à côté de l’enseignant).

Cet enrichissement, même De Gaulle l’a vécu de manière charnelle très fort. Le Président Emmanuel Macron l’a rappelé lors de la 5e Conférence nationale du handicap le 11 février 2020 : « Le Général De Gaulle avait une fille, Anne, qui était atteinte du syndrome de Down et dans ses mémoires, il a un phrase très belle dans laquelle il disait que sans elle, il n’aurait sans doute pas fait ce qu’il a fait. Cela dit quelque chose aussi de tout ce que les blessures les plus intimes apportent mais aussi de tout ce qu’on appelle aujourd’hui la résilience, en tout cas, la capacité à faire d’une morsure du destin une chance ou une possibilité de faire différemment, peut apporter à un homme, une école, une entreprise, une Nation. ».

Toujours est-il que les zélateurs d’Éric Zemmour pourraient toujours affirmer avec leur mauvaise foi habituelle qu’au moins, leur candidat met les pieds dans le plat et aborde ce sujet essentiel. C’est oublier un peu vite qu’on ne l’a pas attendu pour se préoccuper des enfants en situation de handicap. Heureusement pour ces enfants !

En particulier, le Président Emmanuel Macron qui a impulsé, le 11 février 2020 à l’occasion de cette 5e Conférence nationale du handicap, déjà évoquée, une véritable relance de cette politique d’insertion avec trois objectifs à la clef : que chaque enfant en situation de handicap soit scolarisé ; qu’aucun enfant, qu’aucune famille, qu’aucune personne ne soit oublié ; que tous les personnes en situation de handicap puissent avoir accès à une vie libre et digne, et ici, le mot dignité ne signifie pas euthanasie, évidemment.

Le bilan du quinquennat n’est pas mince en la matière, même s’il y a encore beaucoup à faire, et toutes les familles concernées le savent bien : 400 000 enfants en situation de handicap sont scolarisés, selon la députée Coralie Dubost, présidente déléguée du groupe LREM à l’Assemblée Nationale, soit une augmentation de 35%. Le gouvernement a en outre recruté 11 500 accompagnants scolaires supplémentaires (AESH : accompagnants d’élèves en situation de handicap), soit plus de 20% en plus, ainsi qu’a consolidé leur statut et augmenté leur salaire.

Le principe d’Emmanuel Macron est celui-ci : « Nous ne devons jamais nous habituer à ce que des enfants en situation de handicap soient privés (…) de la chance d’aller à l’école, de la joie d’apprendre et du bonheur de tisser des liens. ». C’était le même principe porteur de Jacques Chirac.

Nul doute qu’entre un candidat nostalgique qui souhaite détricoter toutes les solidarités nationales et les innovations sociales et un futur candidat qui, lui, au lieu de polémiquer, agit, et agit efficacement, il n’y a pas vraiment photo sur ce sujet de l’insertion des enfants en situation de handicap. Un candidat nostalgique et qui va probablement être condamné le lundi 17 janvier 2022 sur des propos haineux concernant les mineurs isolés. Décidément, les enfants ne lui vont pas.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 janvier 2022)
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Pour aller plus loin :
Le handicap ? Parlons-en !
Éric Zemmour et les enfants en situation de handicap : la mauvaise conscience ?
Le débat Éric Zemmour vs Bruno Le Maire : victoire de la raison !
Bruno Le Maire.
Éric Zemmour, l’imposture permanente ?
Le Théâtre de Villepinte.
Éric Zemmour, l’adolescent retardé.
Faut-il craindre un second tour Éric Zemmour vs Marine Le Pen ?
Jean-Marie Le Pen.
Marine Le Pen et l’effet majoritaire.
Radio Kaboul dans les sondages : Éric Zemmour au second tour !
Bygmalion : Éric Zemmour soutient Nicolas Sarkozy.
Les prénoms d’Éric Zemmour.
Le virus Zemmour.
Le chevalier Zemmour.

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28 novembre 2021 7 28 /11 /novembre /2021 03:08

« Elle devient très vite un symbole d’émancipation, en acceptant de danser nue. » (Angélique de Saint-Exupéry, qui a racheté le château des Milandes, sur France Culture le 26 novembre 2021).



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Le mardi 30 novembre 2021 à 17 heures 30 commencera une cérémonie qui durera environ une heure trente, la panthéonisation de Joséphine Baker. La "panthéonisation" est un grand mot car dans le cercueil, qui ne sera pas un cercueil mais un cénotaphe puisqu’il sera vide, il n’y aura que de la terre. La famille a refusé de transférer son corps qui repose aujourd’hui à Monaco. Son amie Grace Kelly  l’a accueillie en 1969 à Monaco lorsqu’elle était ruinée et expulsée, après son entreprise d’animation au château des Milandes (en Dordogne). Le choix de la date correspond au quatre-vingt-quatrième anniversaire de son mariage avec un Français qui a eu pour effet immédiat sa naturalisation comme Française.

On peut se poser la question : pourquoi de nombreux médias se sentent obligés de parler de la "première femme noire" à entrer (plus ou moins) au Panthéon ? Pourrait-on dire la première blonde ? ou rousse ? etc. Quel est l’intérêt d’évoquer la couleur de la peau et pas celle des ongles, des cheveux, des yeux, etc. ? Faut-il réduire une personne par sa seule couleur de peau ? Faut-il croire qu’elle entre au Panthéon pour cette raison ?

En revanche, parler de la sixième femme à entrer au Panthéon, oui, cela a un sens. Car elles sont trop peu nombreuses. La première femme n’a été inhumée au Panthéon le 25 mars 1907 que pour accompagner son mari : Sophie Berthelot, la femme de Marcellin Berthelot, l’un des représentants les plus typiques de l’élite de la Troisième République, chimiste renommé et homme politique influent. Les deux étaient morts le même jour. L’ont suivie très tardivement Marie Curie (avec Pierre Curie) le 20 avril 1995, ensuite Germaine Tillion et Geneviève Anthonioz-De Gaulle le 27 mai 2015, enfin, Simone Veil le 1er juillet 2018 (également avec son mari Antoine Veil, toujours ce clin d’œil aux Berthelot).

C’est le 22 août 2021 que l’Élysée a annoncé cette cérémonie. Le premier à avoir proposé l’idée de la panthéonisation de Joséphine Baker a été l’écrivain Régis Debray le 18 décembre 2013 : « Cette sirène des rues pourrait bien nous aider à dégeler les urnes et les statues, à mettre un peu de turbulences et de soleil de cette crypte froide et tristement guindée (…). Légèreté peut rimer avec liberté. ». Il a été suivi bien plus tard par une pétition intitulée de la fameuse chanson d’Alain Bashung "Osez Joséphine" mise en ligne le 8 mai 2021 pour demander la panthéonisation de la star du music-hall des années 1930.

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Joséphine Baker (1906-1975) est venue en France en 1925 et a brillé comme la pépite des années folles à Paris. Sa vie, qu’il ne s’agit pas de rappeler ici, a été d’une richesse colossale. Elle était une Américaine d’origines afro-américaine, espagnole et amérindienne, le résultat d’un métissage complexe, et elle ne se sentait pas libre aux États-Unis, si bien que son arrivée en France a été pour elle une délivrance tant sociale qu’artistique. Initialement objet de curiosité exotique, elle est devenue chanteuse, danseuse (son déhanché est mondialement célèbre), meneuse de revue, actrice… elle a explosé de charisme et de succès pendant cet entre-deux-guerres, elle rivalisait même Mistinguett, elle était la mieux payée des artistes de Paris. Elle a aussi contribué à la promotion de la haute couture à une période où il n’y avait pas de budget publicitaire pour ce domaine (parce qu’elle était l’amie de Christian Dior).

Naturalisée (car mariée) en 1937, elle fut résistante pendant la guerre, elle a répondu à l’appel du 18 juin 1940, elle s’est engagée dans l’armée de l’air et était agente de renseignement (Croix de guerre, Médaille de la Résistance, Volontaire de la France libre, etc.). Elle continuait à faire des tournées, les Allemands lui demandaient des autographes et elle cachait des messages codés dans ses partitions. C’est dès 1939 qu’elle a fait savoir à un haut officier qu’elle devait tout à la France et qu’il pouvait disposer d’elle (elle avait 33 ans).

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Après la guerre, elle a été à l’avant-garde des droits civiques aux États-Unis, elle fut d’ailleurs à la seule femme à avoir prononcé un discours aux côtés de Martin Luther King lors de la Marche sur Washington, le 27 août 1963, où elle portait sa veste militaire avec toutes ses décorations militaires françaises. Elle a aussi fait une conférence à La Havane où elle a sympathisé avec Fidel Castro, et elle a poursuivi ses combats antiracistes un peu partout dans le monde.

Diva aux relations affectives tumultueuses (marié cinq fois, elle aurait été, entre autres, l’amante de Colette et de Frida Kahlo), elle n’était pas forcément appréciée dans la "communauté afro-américaine" car on lui reprochait de reprendre des clichés racistes (comme sa ceinture de bananes), alors qu’au contraire, elle venait les désamorcer par son humour et sa légèreté.

 Dans l’impossibilité de faire des enfants, elle a adopté avec son mari de l’époque (elle en a eu cinq) douze enfants d’origines diverses et a fait du château des Milandes le foyer d’une famille cosmopolite qu’elle appelait sa "tribu arc-en-ciel" aux origines : françaises, marocaine, coréenne, japonaise, colombienne, finlandaise, algérienne, ivoirienne et vénézuélienne (onze de ses douze enfants adoptés sont encore vivants aujourd’hui).

Toutes les facettes de son existence sont intéressantes même si les plus connues suffisaient à l’apprécier, sa capacité à divertir, son corps si remuant, sa beauté très en adéquation avec les canons parisiens de l’époque (on parlait de "négrophilie"), son visage qui inspirait tant la bonne humeur que le bon humour, avec ses grands yeux expressifs (un jour, elle a dansé en louchant, inspirée par le moment, ce qui est devenu très célèbre), une bouche également très expressive, joyeuse, simplement joyeuse. Elle aimait la vie et est passée dans le siècle comme une comète qui soutenait les peuples.

Alors, évidemment, la décision du Président Emmanuel Macron n’est pas anodine. Elle pourrait être politique, elle l’est d’ailleurs car dans tous les cas, on projettera sur cette panthéonisation les arrière-pensées politiques de son organisateur. On pourra au moins lui faire grâce de l’hypothèse d’une éventuelle réponse aux nombreux propos choquants du polémiste Éric Zemmour puisque son envolée dans les sondages a eu lieu après la décision présidentielle.

Joséphine Baker est un exemple plus-que-parfait de la richesse de l’immigration. Elle a apporté mille fois plus à la France qu’elle n’a coûté. Bien qu’étrangère à l’origine, elle a contribué à la culture nationale, à la culture française. Mais aussi à sa défense, à sa Libération. Elle a montré, par son engagement auprès de De Gaulle, dans les FFL, qu’elle a mis sa vie en danger pour son pays d’adoption et en ce sens, elle a été beaucoup plus utile, elle a été beaucoup plus patriote que bien des Français qui sont restés chez eux à attendre en pantoufles que la guerre se terminât.

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Mais probablement que le message le plus important de Joséphine Baker à faire passer à l’occasion de sa panthéonisation, c’est son idée très républicaine, très française, plus française qu’américaine en tout cas, son message principal qui, dans les années 1960, était très moderne, c’était qu’il n’existe qu’une seule race humaine et que le racisme n’a donc que des préjugés aux prémices fausses. La science confirma par la suite cette vérité intuitivement plus sociale que génétique : on ne peut pas distinguer un humain d’un autre par sa seule identité génétique. Probablement que son meilleur déterminant est la culture.

À l’heure où le contraire de l’esprit de Joséphine Baker règne dans les débats politiques, où l’on rejette la fraternité, où le xénophobie est élevée au rang de valeur suprême, où l’immigration est devenue un phénomène à combattre par principe idéologique, la panthéonisation sera peut-être l’occasion de remettre les points sur les i et de reprendre les fondamentaux de l’esprit républicain. Le Président de la République est le gardien de la Constitution et donc, aussi de la République, c’est aussi son rôle de rappeler ces fondamentaux. Près de cinquante ans après sa mort, elle décoiffera encore les aigris et les guindés et c’est tant mieux : Osez Joséphine !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 novembre 2021)
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Pour aller plus loin :
Joséphine Baker.
L’unicité de l’espèce humaine.
Noëlla Rouget.
Thierry Le Luron.
Jean Amadou.
Frédéric Fromet.
Sim.
Georges Brassens.
Yves Montand.
Nicole Croisille.
Philippe Léotard.
Jean-Jacques Goldman.
Marthe Mercadier.
Mylène Farmer.
Louis Armstrong.
Jim Morrison.
Jimmy Somerville.
Ella Fitzgerald.
Serge Gainsbourg.
Fernandel.
Eddie Barclay.
Daniel Balavoine.
Jean Ferrat.
John Lennon.
Kim Wilde.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211129-josephine-baker.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/osez-josephine-baker-237187

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21 novembre 2021 7 21 /11 /novembre /2021 03:10

« Pour que vous puissiez prier pour moi, ainsi que ma chère Noëlla, je suis mort en chrétien, avec l’espoir de vous retrouver, peut-être un jour, dans un au-delà très beau, très pur. » (Adrien Tigeot, le 13 décembre 1943 à Angers).


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L’ancienne résistante et déportée française Noëlla Rouget est morte à Genève il y a un an, le 22 novembre 2020, deux jours après un autre résistant, Daniel Cordier. Elle allait avoir 101 ans le mois suivant, née le 25 décembre 1919 à Saumur. Son histoire est commune à plusieurs centaines ou milliers de jeunes femmes françaises sous l’Occupation, elle n’en est pas moins chaque fois un exploit, une tragédie du passé et une chance pour l’avenir.

Toujours cette génération des 20 ans en 1940. Sa famille était de classe moyenne et catholique pratiquante (son grand frère était prêtre). Elle a passé son enfance à Angers dans un pensionnat et a fait du scoutisme. Elle voulait faire des études de lettres quand la guerre est survenue. En attendant, elle était institutrice quand la France s’est effondrée, à la Débâcle.

Elle a entendu parler de l’appel du 18 juin quelques jours plus tard à Angers par un garçon qui distribuait des tracts appelant à la Résistance. Tout de suite, le courant était passé, Noëlla Rouget s’est engagée dans la résistance, d’abord avec une activité de militante (dactylographie, distribution de tracts). Petit à petit, elle prenait des responsabilités comme agente de liaison, elle transportait des valises sans en connaître le contenu (entre autres, des armes). Les femmes étaient souvent utilisées pour ce genre d’action car les nazis ne les pensaient pas capables d’actes de résistance. À Angers, son réseau Honneur et Patrie était très bien implanté avec un grand nombre de femmes. En 1942, Noëlla Rouget fit partie aussi d’un réseau de résistance anglais, la double appartenance était assez fréquente.

Son contact à Angers était René Brossard. Comme tous les jeunes gens qui résistaient, leur groupe était parfois imprudent et certains avaient même dans leurs affaires la liste de leurs contacts. Beaucoup d’entre eux ont été arrêtés et incarcérés à la prison d’Angers. René Brossard était un jeune instituteur qui fut arrêté et torturé, tué le 23 octobre 1943.

Un de ses collègues Adrien Tigeot, 20 ans, qui aurait bien voulu poursuivre ses études en ethnologie, a été arrêté le 7 juin 1943. On a retrouvé des tracts communistes chez lui, il avait cambriolé avec d’autres les mairies du coin (pour fabriquer des faux papiers d’identité), il avait une arme et s’est enfui de l’école dès qu’il a vu qu’on était venu le chercher (mais il fut arrêté quelques minutes après). Il est mort fusillé le 13 décembre 1943 avec d’autres camarades, après un pseudo-procès expéditif. Peu avant son exécution, Adrien Tigeot avait eu la possibilité de rédiger une lettre à sa famille. À la fin de la lettre, il évoquait Noëlla : « Donnez la lettre à Noëlla seulement quand elle sortira de prison. Merci. Recevez-la comme si elle était ma petite femme adorée, mais laissez-la vivre, m’oublier, aimer… ».

Car effectivement, Noëlla Peaudeau (c’était son nom de naissance) avait été également arrêtée, le 23 juin 1943 et emprisonnée à Angers. Elle était la fiancée d’Adrien et ils avaient même déjà publié les bans. Les derniers mots d’Adrien Tigeot sont très émouvants car tragiques et passionnément amoureux : laissez-la vivre, m’oublier, aimer. Ces drames humains furent très nombreux pendant cette période.

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Elle, au même moment, n’était de toute façon plus à Angers. Elle avait été transférée à Compiègne le 9 novembre 1943, puis, le 31 janvier 1944, elle a quitté Compiègne pour le camp de Ravensbrück (à une centaine de kilomètres au nord de Berlin). C’était un camp d’extermination conçu pour les femmes et les enfants. Noëlla Rouget a mis trois jours pour faire le voyage dans des conditions terrifiantes.

Le séjour à Ravensbrück fut tout aussi terrifiant. Elle a dû travailler dans des conditions très difficiles et au moins deux fois, épuisée, elle a échappé à la chambre à gaz grâce à la solidarité d’autres déportées. À cette occasion, elle a fait la connaissance de Denise Vernay (qui était la grande sœur de Simone Veil), elle était résistante au Plateau des Glières, elle a fait aussi la connaissance de Geneviève Anthonioz-De Gaulle (la nièce du Général De Gaulle) et Germaine Tillion (qui fut panthéonisée le 27 mai 2015, seulement un cercueil vide car la famille s’était opposée au transfert du corps, et qui fait l’objet d’un procès en canonisation). Ces quatre femmes sont devenues des amies avec des liens très profonds, évidemment, après la guerre. Elles avaient vu, entre autres, la mère Germaine, Émilie Tillion partir vers la chambre à gaz. Sans jamais en revenir.

Noëlla Rouget a eu un peu de chance dans son malheur car elle n’a pas attendu la capitulation allemande pour être libérée. Elle a fait partie des 300 femmes françaises qui furent libérées dans le cadre d’un échange de prisonniers. Elle a quitté le camp de Ravensbrück le 5 avril 1945. Après un long voyage qui l’a fait passer par Kreuzlingen en Suisse le 9 avril 1945 et Annemasse le 11 avril 1945, elle est arrivée à la gare de Lyon à Paris le 14 avril 1945 où les attendait, sur le quai de gare, De Gaulle particulièrement ému. Elle a retrouvé sa famille à Angers le 16 avril 1945 après un an et demi d’absence, heureuse que sa famille n’ait pas été touchée par les bombardements.

Profondément malade (elle a eu la tuberculose à Ravensbrück), Noëlla Rouget est partie dans le canton de Vaud, en Suisse, en montagne, le 3 septembre 1945, pour reprendre des forces. Il y avait là aussi d’autres déportées. Elles ont créé l‘Association nationale des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIR). Elle a séjourné trois mois au chalet La Gumfluh à Château-d’Œx où elle a inauguré une plaque commémorative bien plus tard, le 15 juin 2016, pour rendre hommage aux anciennes déportées venues se poser dans ce chalet et aux personnes qui les ont accueillies et aidées. André Rouget, de Genève, l’a rencontrée et ils se sont mariés en 1947. Dès lors, pour Noëlla, la vie fut basée à Genève (pendant tout le restant de sa vie) et elle s’est occupée de leurs deux enfants.

Comme Simone Veil qui l’expliquait très bien dans son autobiographie, et comme la plupart des anciens déportés, Noëlla Rouget n’avait aucune envie de parler de ce qui s’est passé dans son camp d’extermination. Le côté incroyable, sidérant, faisait qu’ils risquaient de ne pas être crus. Ils préféraient regarder l’avenir, sans oublier, mais ne pas rester dans le passé. D’ailleurs, rien que la présenter comme ancienne résistante et déportée laisse entendre qu’après 1945, elle n’a plus jamais rien fait. En fait, elle a vécu surtout à partir de 1945, mais sa vie devenait alors ordinaire.

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Une vingtaine d’années après, les mauvais souvenirs sont revenus en surface à cause de l’arrestation en 1962 et du procès en 1965 de celui qui les avait fait arrêter et avait fait fusiller son fiancé André Tigeot, à savoir Jacques Vasseur, le chef de la gestapo à Angers. Après la guerre, il vivait clandestinement à Lille. Noëlla Rouget avait toutes les raisons d’en vouloir à cet homme qui a doublement détruit sa vie, et pourtant, elle a fait preuve d’une extrême générosité. La cour de sûreté de l’État a condamné à mort Jacques Vasseur, sans surprise puisqu’il avait déjà été condamné à mort par contumace.

Noëlla Rouget a en effet écrit au Président de la République, qui n’était autre que De Gaulle, pour lui demander grâce. Auparavant, elle avait écrit au président du tribunal : « Dans quelques jours, commencera la phase finale du procès : le réquisitoire et la condamnation. Cette condamnation risque d‘être, je le crains, la peine capitale. Devant une telle éventualité, je me sens tenue, en conscience, de vous exprimer ma pensée. Les horreurs vécues sous le régime concentrationnaire m’ont sensibilisée à jamais à tout ce qui peut porter atteinte à l’intégrité tant physique que morale de l’homme et j’ai rejoint les rangs de ceux (…) qui font campagne pour l’abolition de a peine de mort. ». C’est l’un des plus beaux plaidoyers contre la peine de mort. Elle a été écoutée. La grâce a finalement été accordée par De Gaulle, qui était venue l’accueillir à sa libération.

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À partir de 1986, soit plus de quarante après la fin de la guerre, Noëlla Rouget s’est engagée dans une entreprise de présentation de la Shoah aux jeunes générations. C’est à partir des années 1980 que le mouvement négationniste s’est développé, en France mais aussi en Suisse et ailleurs. C’était redoutable lorsqu’il s’agissait d’enseignants négationnistes. Alors, Noëlla Rouget a pris son bâton de pèlerin et a commencé à rencontrer dans les écoles les enfants et les adolescents pour leur expliquer ce qui s’est passé dans les camps d’extermination. Son champ géographique était autour de Genève, y compris en Haute-Savoie et dans l’Ain. Elle est allée aussi dans les paroisses. Elle a ainsi passé trente années de sa vie à témoigner, à faire des conférences, à tout faire pour que cette tragédie ne soit pas oubliée par les jeunes générations.





À son enterrement le 9 décembre 2020 en l’église Sainte-Thérèse de Genève, le gouvernement français était représenté pour honorer la mémoire de Noëlla Rouget, en les personnes de Geneviève Darrieussecq, Ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens combattants ainsi que du consul de France à Genève. Quelques mois auparavant, le 7 février 2020 à Genève, le général Benoît Puga lui avait remis les insignes de Grand-croix du l’Ordre national du Mérite. Méditons son exemple et louons sa bravoure et son courage.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 novembre 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Noëlla Rouget.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.
Daniel Cordier.
Témoignage : mon 11 novembre, le songe de l’histoire.
Lazare Ponticelli, le dernier Poilu.
Chasseur alpin, courageux jusqu’au bout de la vie.
Les joyeux drilles de l’escadrille.
10 et 11 novembre 2018 : la paix, cent ans plus tard.
La Grande Guerre, cent ans plus tard.
Hubert Germain, le dernier Compagnon.
La Libération de Paris.
Fête nationale : cinq ans plus tard…
Les 75 ans de la Victoire sur le nazisme.
La Fête de l'Europe.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211122-noella-rouget.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/honneur-a-la-resistante-noella-237322

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/11/22/38665809.html





 

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