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5 février 2021 5 05 /02 /février /2021 03:22

« Monsieur le Secrétaire d’État, j’ai été très surprise de vous entendre dire tout à l’heure que nous ne voterions jamais telle ou telle disposition. Dans cet hémicycle, personne ne peut prononcer une telle phrase : qui peut savoir ce qui sera voté demain ? La société évolue, et ces évolutions sont l’objet de nos débats. Permettez-moi un clin d’œil : je suis certaine que Victor Hugo, dont nous montrons le siège aux élèves qui viennent visiter le Sénat, n’aurait jamais pu imaginer que nous discuterions des sujets dont nous débattons aujourd’hui ! De même, ni vous ni moi ne savons ce dont nos successeurs débattront  un jour dans cet hémicycle. » (Nadia Sollogoub, sénatrice UDI, à Adrien Taquet, le 2 février 2021 au Sénat).



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Le projet de loi relative à la bioéthique qui notamment introduit l’accès à la PMA (procréation médicalement assistée) pour toutes les femmes est revenu en seconde lecture, en examen en séance publique de nuit ces mardi 2 et mercredi 3 février 2021. Le projet de loi avait été adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale le 15 octobre 2019, puis modifié en première lecture par le Sénat le 4 février 2020, puis adopté en seconde lecture par l’Assemblée Nationale le 31 juillet 2020. Dans la nuit du 3 au 4 février 2021, vers 1 heure 30 du matin, les sénateurs ont adopté une version encore modifiée du projet de loi, qui ne convient pas au gouvernement car ils ont carrément supprimé son article 1er qui autorisait la PMA pour toutes, ce qui fera l’objet d’une commission mixte paritaire pour tenter de trouver un (impossible) accord entre les deux Chambres.

Disons-le clairement : il est inadmissible qu’un projet de loi avec des enjeux scientifiques et éthiques d’une si grande importance puisse être discuté "en catimini", seulement en séances de nuit (à partir de 16 heures 30), sans écho médiatique, dans un contexte de crise sanitaire majeure où environ 500 personnes décèdent chaque jour du covid-19. Les enjeux sont si importants qu’ils mériteraient que la discussion fût retardée pour prendre le temps d’une réflexion hors situation d’urgence, le Sénat d’ailleurs doit discuter dès ce jeudi 4 février 2021 sur la loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire. C’est un peu comme si on voulait choisir une nouvelle chaudière dans une maison, et l’on sait que le choix d’une chaudière est crucial pour le bien-être de ses résidents, mais que cette maison brûle. Il y a d’autres préoccupations à ce jour.

Deux autres éléments aussi en préliminaire. Le Sénat est, avec ce projet de loi de bioéthique, comme avec la plupart des textes, une Chambre qui est cruciale dans l’élaboration des lois en France. Alors que les députés sont soumis aux consignes pour ne pas dire diktats des partis politiques (en gros, la majorité soutient, l’opposition s’oppose), les sénateurs, au contraire, il faut éviter de leur donner des consignes car ils sont jaloux de leur indépendance, et l’on peut le comprendre parce qu’ils sont élus par les élus locaux et pas par des investitures accordées par les partis. Les sénateurs peuvent se permettre d’étudier les textes et de proposer des rédactions qui peuvent s’opposer aux états-majors des partis, quels qu’ils soient.

D’ailleurs, insistons sur ce point : le Sénat est loin d’être une assemblée de vieillards croulants. Au dernier renouvellement, le 27 septembre 2020, a même été élu le plus jeune sénateur de l’histoire, Rémi Cardon à 26 ans. En outre, 34% des sénateurs sont des sénatrices. C’est encore trop peu, mais la tendance heureusement est à la hausse. Le 24 septembre 2017, les deux plus jeunes élus étaient Christine Lavarde à 32 ans (à ne pas confondre avec Christine Lagarde !) et Fabien Gay à 33 ans. 54 sénateurs ont moins de 50 ans. Au renouvellement de 2017 (je n’ai pas les données de 2020), 35% avaient moins de 60 ans (moyenne d’âge de 62 ans), et 25% plus de 70 ans (4 sénateurs seulement avaient plus de 80 ans).

Le dernier point d’introduction concerne l’objet même de ce projet de loi, ou plutôt, les objets car il mêle de façon peu constructive, cela a été dit plusieurs fois par les sénateurs, au moins deux considérations : des considérations purement de bioéthique et des considérations sociétales qui n’ont pas la même logique (une logique plus politique et moins consensuelle). En mélangeant la généralisation de la PMA (elle était déjà autorisée pour les couples de personnes ne pouvant pas avoir d’enfant) à la révision des lois bioéthiques, on pollue doublement les débats, car les deux enjeux sont important, mais différents, et dans tous les cas, techniquement très complexes.

La première soirée (2 février 2021) fut consacrée à l’élargissement de la PMA pour toutes les femmes et la seconde soirée (3 février 2021) aux autres (très nombreuses) dispositions de ce projet de bioéthique. Inutile de dire qu’en mélangeant les sujets, le gouvernement a obtenu plus de confusion que d’efficacité.

Le premier volet, le plus médiatique, à savoir la PMA pour les couples de femmes et les femmes célibataires, a été purement et simplement supprimé par les sénateurs. En effet, l’article 1er n’a pas été adopté : 132 sénateurs étaient contre, 48 pour, sur 332 votants (comme on le voit, beaucoup de sénateurs se sont abstenus).

En revanche, le Sénat a rajouté à la place un article qui dit, très simplement : « Il n’existe pas de droit à l’enfant. ». Principe déjà adopté par le Sénat en première lecture. Le sénateur Dominique de Legge a expliqué ce rajout : « En l’adoptant, nous [montrons], de façon symbolique et forte, que, si nous sommes, chacun et chacune d’entre nous, ouverts au débat, nous savons nous retrouver sur l’essentiel : l’enfant est un sujet de droit et, en aucun cas, un objet de droit. ». Réponse du gouvernement, Éric Dupond-Moretti était opposé à ce rajout : « Évidemment, l’enfant n’est pas un objet de droit, au singulier, mais un sujet de droits, au pluriel. Si la formulation proposée est brutale, c’est aussi qu’elle fait fi du projet parental, qu’elle dénie toute valeur à l’envie d’avoir un enfant. Enfin, le code civil peut-il consacrer un non-droit ? Au fond, cette précision est-elle utile ? Le code civil fixe des règles, pas des non-règles. ».

Parmi les dispositions repoussées par les sénateurs du texte des députés, il y a aussi l’autoconservation des gamètes pour convenance personnelle (par exemple, pour qu’une femme commence sa vie professionnelle avant d’être mère en ayant l’assurance de pouvoir faire un enfant plus tard).

Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat (le plus nombreux) et candidat à la candidature LR à l’élection présidentielle, a justifié ainsi ce rejet : « Cette mesure me semble être un marché de dupes. J’ai rappelé à la tribune le tollé qu’avait suscité, il y a quelques années seulement, la proposition de deux grandes sociétés internationales du numérique aux plus jeunes de leurs collaboratrices de payer la congélation de leurs ovocytes afin que celles-ci puissent se consacrer intégralement à leur carrière professionnelle. Le tollé avait été planétaire et ces entreprises avaient reculé. Une fois de plus, à mon sens, c’est la société de marché qui avance masquée derrière les bonnes intentions sociétales. Cette disposition vise ainsi tout autant, pour des centres privés, à créer un marché nouveau, puisque les femmes concernées seront totalement dépendantes pour leur procréation de ces techniques. Celles-ci sont lourdes et, lorsqu’elles sont utilisées au-delà de 30 ans ou 35 ans, ont un taux de succès souvent inférieur à 20%. (…) Selon moi, nous sommes en train de mettre en place un cadre de pressions sur des jeunes femmes travaillant dans de grandes entreprises, pour lesquelles le refus de l’autoconservation des gamètes apparaîtra comme un refus de se consacrer intégralement à leur vie professionnelle. C’est cela que je crains, derrière cette disposition. ».

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Après cet audacieux refus de la PMA pour toutes, on pouvait donc imaginer l’effervescence des sénateurs le lendemain pour discuter des autres sujets. Les sages qui s’étaient un peu dissipés sont revenus au calme. Le gouvernement a dépêché trois ministres, Adrien Taquet, le Secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles, représentant le Ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran, Éric Dupond-Moretti, le Ministre de la Justice, et Frédérique Vidal, la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

Parmi les dispositions votées le 3 février 2021, les sénateurs ont repris leur position lors de la première lecture en refusant l’obligation pour le donneur de se soumettre à l’accord d’une levée d’anonymat. Je trouve cette position intenable car ils prennent en compte le donneur, qui, effectivement, dix-huit ans plus tard (le droit de connaître ses origines pour des enfants nés d’une PMA commence à partir de leurs 18 ans), peuvent se retrouver dans une situation affective ou matrimoniale complètement différente (et imprévisible) et "l’arrivée" d’un enfant majeur dans sa vie peut créer des problèmes (d’où l’importance d’être d’accord avec cette levée d’anonymat dès le moment du don). Mais la situation de l’enfant me paraît plus importante avec cette nécessité de pouvoir connaître ses origines biologiques.

Éric Dupond-Moretti et la majorité sénatoriales ont trouvé un accord pour refuser la reconnaissance des enfants issus de GPA à l’étranger. On se souvient que le 4 octobre 2019, la Cour de Cassation avait permis la reconnaissance en France d’un lien de filiation avec la mère d’intention dans le cadre d’une GPA réalisée à l’étranger. Une telle décision rendait concrètement autorisée et reconnue la GPA hors des frontières. Or, les sénateurs ont refusé cette transcription d’acte de naissance dans l’état-civil en France. Il ne s’agit pas de jurisprudence mais de faire la loi : la justice ne fait qu’appliquer les lois, ne les conçoit pas, c’est le rôle des parlementaires et les sénateurs ont donc clairement approuvé le refus d’une transcription de la double filiation dans le cadre d’une GPA faite à l’étranger. Les sénateurs considèrent que le parent qui n’est pas biologique (éventuellement) devra passer par la procédure d’adoption comme elle existe déjà, cela afin d’éviter de bâtir un texte qui encourage la fraude du droit français (la GPA restant interdite en France).

Dans leur sagesse, les sénateurs ont rejeté également un amendement assez scandaleux qui voulait instituer le consentement par défaut au don d’organes post-mortem de personnes majeures n’ayant pas la capacité d’accepter ou de refuser un tel don (l’idée affichée étant d’augmenter la possibilité de faire des greffes d’organes, mais dans ce cas-là, aux dépens délibérés de la volonté du donneur éventuel, puisqu’il s’agit de personnes qui ne sont pas capables d’exprimer leur volonté).

Les sénateurs ont repoussé la demande de levée d’interdiction de faire des tests génétiques dits "récréatifs", c’est-à-dire sans nécessité médicale (pour la généalogie par exemple). Ceux qui demandent cette levée (proposée par une sénatrice UDI) ont considéré que la possibilité de le faire à l’étranger rendrait inefficace une telle interdiction. Cependant, le gouvernement, suivi des sénateurs, ont rappelé la nécessité d’un accompagnement médical dans la révélation des tests génétiques dont certains pourraient bouleverser l’équilibre des familles.

Les sénateurs ont également retiré (dans l’article 20) la possibilité d’interruption médicale de grossesse (IMG) pour "détresse psychosociale", motif qui aurait pu s’appliquer à toutes les IVG. La différence entre les deux (IVG et IMG), c’est qu’il n’y a pas de délai pour l’opération avec l’IMG (dans le cas où la grossesse met par exemple en danger la vie de la femme).

La partie la plus importante du projet de loi, à mon sens, porte sur le statut de l’embryon humain et de son "utilisation". Un embryon humain est une personne en devenir. Il n’a pas le statut d’une personne (sinon, l’avortement ne pourra pas être légal), mais il n’est pas non plus un matériau biologique comme les autres. Les cellules des embryons ne sont pas encore spécialisées au début de leur croissance, ce sont des "cellules souches" dites pluripotentes (elles pourraient devenir tout type d’organe). Or, toute utilisation de cellules souches humaines détruit nécessairement l’embryon humain dont elles proviennent.

Deux types de problèmes étaient "sur la table" dans ce projet de loi : les diagnostics préimplantatoires et les recherches sur les cellules souches d’embryon humain.

Les diagnostics préimplantatoires : lorsqu’il y a fécondation in vitro et production d’embryons, pour une PMA par exemple, il est nécessaire d’en produire plus que le nombre nécessaire car il y a un grand pourcentage de pertes. Mais au-delà de ce surnombre d’embryons (que faire des embryons surnuméraires issus d’une intention d’avoir un enfant et que cette intention n’existe plus ?), il y a cette possibilité, que la technologie offre aux humains, de choisir les embryons qui seront implantés dans l’utérus de la mère. Techniquement, on pourrait séquencer chaque embryon et sélectionner selon certains critères qui peuvent ne plus rien avoir avec le médical. C’est le combat du professeur Jacques Testart qui craint que la technologie nous conduise inexorablement à une forme (pour le moment ultraminoritaire) d’eugénisme (on choisit le bébé à naître ; en Californie, on peut déjà choisir le sexe et la couleur des yeux, et en Chine, on espère même sélectionner des embryons supposés très intelligents).

Ainsi, les sénateurs n’ont pas repris ce que les députés avaient aussi rejeté en juillet 2020, à savoir un élargissement du diagnostic préimplantatoire de recherche d’anomalies chromosomiques (DPI-A), avec risque d’évolution eugéniste, mais ils ont quand même accepté (dans l’article 19 bis) l’extension de la DPI-HLA, diagnostic préimplantatoire associé au typage HLA (antigène des leucocytes humains). Ce qui signifie que les parents pourraient sélectionner l’embryon à naître parmi autant qu’ils en produiraient pour que le futur enfant soit compatible avec un frère ou une sœur en attente de greffe (c’est toute la problématique du "bébé médicament", expression horrible ; il y a dix ans, l’un était né ainsi).

Le sénateur Guillaume Chevrollier a décrit le DPI-HLA : « Cette pratique consiste à effectuer une double sélection d’embryons obtenus par fécondation in vitro, d’une part, pour sélectionner les embryons indemnes de la maladie d’un membre d’une fratrie, et, d’autre part, pour choisir parmi ceux-ci les embryons génétiquement compatibles avec lui, afin de greffer les cellules souches de cordon ombilical prélevées sur le nouveau-né à son aîné malade. Il s’agit là en fait de faire naître un enfant pour en sauver un autre, qui serait atteint d’une maladie génétique ; l’enfant serait donc un moyen, non une fin en soi. La constitution de stocks de cellules de sang de cordon, offrant une grande variété de typage, décidée lors de la dernière loi de bioéthique, avait comme objectif notamment d’éviter une telle pratique, hautement controversée du point de vue de l’éthique (…). ». L’amendement (n°62) de Guillaume Chevrollier visant à supprimer cette disposition (DPI-HLA) a été repoussé par 193 sénateurs (82 était pour cet amendement de suppression, sur 314 votants).

L’autre point essentiel, c’est la recherche sur les embryons humains : insistons encore sur le fait que cette recherche est désormais "dépassée" dans la mesure où il est maintenant possible de "créer", à partir d’un échantillon de cellules humaines adultes (par un prélèvement non destructif), des cellules pluripotentes qui se comportent de la même manière que des cellules souches d’embryon humain (j’en avais présenté les travaux il y a quelques années). Or, le texte qui a été adopté, qui met en péril la dignité humaine dans le sens où l’embryon humain est considéré comme un simple matériau utilitaire et pas un être en devenir (parfois sans projet parental), a donc plusieurs trains de retard avec l’évolution de la recherche scientifique dans ce domaine.

En clair, le texte assouplit une nouvelle fois l’utilisation de ces cellules souches d’origine humaine avec un simple statut déclaratif (bien auparavant, c’était le régime dérogatoire sur une interdiction de principe ; ensuite, c’était le régime soumis à autorisation) et surtout, la possibilité de laisser développer l’embryon humain d’expérimentation pendant quatorze jours au lieu de sept jours auparavant (rappelons toujours que si on le laisse se développer neuf mois, cela devient un bébé à naître). Cet assouplissement a été formalisé en distinguant le régime pour les embryons humains du régime pour les cellules souches des embryons humains, ce qui paraît très douteux intellectuellement puisque l’utilisation des cellules souches impose la destruction de l’embryon humain d’où elles proviennent. Seule différence avec le texte de l’Assemblée Nationale votée le 31 juillet 2020, la création d’embryon transgénique et chimérique a été écartée du champ du possible légal.

Le sénateur André Reichardt a posé la bonne question : « Sous couvert de la science, doit-on tout autoriser ? S’agit-il de réaliser des prouesses techniques au service de l’homme… ou de la science ? Les chercheurs et scientifiques ne deviennent-ils pas, en fait, des "apprentis sorciers" lorsqu’ils manipulent ensemble cellules humaines et animales ? Pour moi, poser la question, c’est déjà y répondre ! (…) La proposition visant à sortir les cellules souches embryonnaires humaines du régime légal de la recherche sur l’embryon pour les soumettre à une simple déclaration ne tient pas compte de la réalité ontologique de l’embryon humain. Cela place également les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines hors de contrôle, en les livrant à l’industrialisation. En outre, il est important de souligner que les cellules souches embryonnaires humaines sont obtenues à partir d’embryon au stade blastocyste, c’est-à-dire cinq à sept jours après la fécondation in vitro, de sorte que leur extraction implique inévitablement la destruction de l’embryon. » (3 février 2021).

Guillaume Chevrollier aussi s’est opposé à cette réification de l’embryon humain : « Cet article dispose que la recherche sur l’embryon peut être menée pour la seule connaissance de l’embryon humain et de ses cellules souches, sans qu’il y ait nécessairement un objectif médical, même lointain. On appelle cela l’embryologie. Il s’agit d’aller plus loin dans la chosification de l’embryon humain, pour le considérer comme un matériau de laboratoire et traiter ces cellules comme d’autres cellules servant de matériau biologique. À mon sens, en procédant ainsi, on abandonne le minimum d’éthique. Or il faut respecter la singularité de l’embryon humain. J’ajoute que l’embryologie se passe d’embryon humain depuis plusieurs années : notre connaissance du développement embryonnaire a été acquise grâce à la recherche dédiée à l’embryon animal. » (3 février 2021).

Enfin, parmi les détails que le projet propose, les sénateurs ont prolongé de cinq à sept ans (à partir de sa promulgation) le délai pour un nouvel examen de la loi de bioéthique. Cette clause de revoyure est essentielle car les technologies évoluent et il faut donc adapter le droit aux nouvelles techniques. Mais le délai de cinq ans, initialement proposé, était trop court (ce projet de loi est en discussion depuis dix-huit mois, et malgré cela, le débat est bâclé) et avait pour fâcheuse conséquence que chaque nouveau Président de la République pourrait faire sa petite sauce de bioéthique alors que, comme les institutions, il faut que cela reste des principes stables indépendants des dirigeants et des partis politiques.

Je proposerais plutôt que la révision des lois de bioéthique devrait se faire comme une révision constitutionnelle, avec l’accord des deux Chambres et éventuellement le Parlement réuni en congrès, afin de préserver un minimum de consensus sur des sujets beaucoup trop graves pour qu’ils soient politisés. On voit d’ailleurs ici que le Sénat a pris une position très différente de l’Assemblée Nationale en rejetant la PMA pour toutes, ce qui va avoir pour conséquence la formation d’une commission mixte paritaire puis, le cas échéant (quand il n’y a pas d’accord au sein de cette commission, comme ce sera probable), le vote seul de l’Assemblée Nationale qui aura le dernier mot, ce qui, à mon sens, ne façonne pas le consensus qui devrait être recherché dans ce domaine.

La réponse est à chercher dans cette question posée dans la discussion par le sénateur Roger Karoutchi au secrétaire d’État Adrien Taquet qui n’a pas répondu : « En première lecture, le gouvernement nous avait assuré qu’il entendait les positions que nous défendions au Sénat. Sans pouvoir nous garantir que le texte serait voté en des termes identiques à l’Assemblée Nationale, il s’était engagé à le faire évoluer en favorisant des positions consensuelles. J’ai été très déçu de constater que cela n’avait évidemment pas du tout été le cas, puisque 90% des avancées que nous avions proposées ont été balayées par les députés, avec l’accord du gouvernement. Monsieur le Secrétaire d’État, vous nous avez dit chercher un consensus, et Monsieur le Garde des Sceaux a redit après vous qu’il souhaitait que nous nous exprimions sur toutes les travées, pour qu’un compromis se dégage à partir des idées qui auront été formulées. Par conséquent, soyons clairs : que ferez-vous du texte issu des travaux du Sénat lorsqu’il sera examiné à l’Assemblée Nationale ? Est-ce que vous partez du principe que, quoi que nous votions, vous en reviendrez au texte de l’Assemblée Nationale, parce que c’est ce que vous avez décidé avant même que le débat ait lieu au Sénat ? Ou bien considérez-vous que les textes qui portent sur des sujets comme la bioéthique doivent être l’occasion de construire un consensus, car ils ne s’inscrivent pas dans un cadre strictement politique, mais engagent des évolutions de la société qui exigent que les Chambres trouvent des solutions de compromis ? » (2 février 2021).

La question, malheureusement, semble en effet avoir déjà sa réponse…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 février 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Bioéthique 2021 (9) : le rejet par les sénateurs de la PMA pour toutes.
En quoi le progrès médical est-il immoral ?
Bioéthique 2020 (8) : diagnostic préimplantatoire (DPI) et interruption médicale de grossesse (IMG).
Bioéthique 2020 (7) : l’inquiétante instrumentalisation du vivant.
Document : le rapport approuvé le 3 juillet 2020 de la commission spéciale de l’Assemblée Nationale sur la bioéthique (à télécharger).
Bioéthique 2020 (6) : attention, un train peut en cacher un autre !
Vincent Lambert.
La Charte de déontologie des métiers de la recherche (à télécharger).
Claude Huriet.
Document : le rapport approuvé le 8 janvier 2020 de la commission spéciale du Sénat sur la bioéthique (à télécharger).
Le Sénat vote le principe de la PMA pour toutes.
La PMA et ses sept enjeux éthiques.
Les 20 ans du PACS.
Harcèlement sexuel.
Pédophilie dans l’Église catholique.
Le projet de loi sur la bioéthique adopté par les députés le 15 octobre 2019.
Texte du projet de loi sur la bioéthique adopté le 15 octobre 2019 par l’Assemblée Nationale (à télécharger).
Quel député a voté quoi pour la loi sur la bioéthique ? Analyse du scrutin du 15 octobre 2019.
Attention, les embryons humains ne sont pas que des "amas de cellules" !
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
Chaque vie humaine compte.
L’embryon puis le fœtus est-il une personne humaine ?
La PMA.
Le mariage pour tous.
L’avortement.
La peine de mort.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
Jacques Testart.
Simone Veil.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210203-bioethique.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/bioethique-2020-9-le-rejet-par-les-230738

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/02/02/38793687.html








 

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4 février 2021 4 04 /02 /février /2021 03:19

« Je démens de toutes mes forces et sans ambiguïté ces accusations immondes. Je n’ai jamais eu de relations déplacées ou incestueuses avec Coline, ni avec aucun de mes enfants. » (Richard Berry, Instagram le 2 février 2021).



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Confortant ce démenti, celui de Jeane Manson, dans un communiqué de presse le 3 février 2021 : « Monsieur Berry vient de dénoncer ces accusations invraisemblables. Je m’associe pleinement à son démenti, je réfute et je conteste avec force l’existence de ces faits. (…) Je suis sidérée et profondément blessée d’être prise à partie dans un règlement de comptes familial. ».

De quelles accusations ? De sa fille aînée Coline, aujourd’hui de 45 ans : « C’est cette enfant qui était embrassée par son père sur la bouche avec la langue, (…) celle qui a dû participer à ses jeux sexuels. » (Instagram).

En quelques phrases, le décor est planté, mais il ne s’agit pas d’une pièce de théâtre, il s’agit d’une réalité, une réalité brûlante d’une famille en berne. Le parquet de Paris a confirmé ce mercredi 3 février 2021 qu’une enquête préliminaire confiée à la brigade de protection des mineurs a été ouverte le 25 janvier 2021 contre l’acteur Richard Berry pour "des faits de viols et agressions sexuelles sur mineur de 15 ans par ascendant et corruption de mineur" après la plainte de sa fille Coline.

Richard Berry, qui a eu 70 ans le 31 juillet dernier, est un acteur de cinéma, également un réalisateur, et un comédien de théâtre (élève d’Antoine Vitez, il fut sept ans pensionnaire à la Comédie-Française). J’ai souvent apprécié ses prestations dans nombre de films. Sa réputation élogieuse ne m’a jamais paru usurpée.

La "famille Berry" est une grande famille de la scène. Une de ses filles est actrice (Joséphine Berry), une belle-sœur grande actrice (Josiane Balasko), et aussi une nièce, fille de celle-ci (Marilou Berry). La mère de Coline, comédienne, a été sociétaire de la Comédie-Française (Catherine Hiegel). Les deux demi-sœurs de Coline ont également une mère actrice (respectivement Jessica Forde et Pascale Louange). À elles toutes, il faut rajouter l’actrice Jeane Manson, mise en cause, qui fut l’épouse de Richard Berry entre 1984 et 1986.

Terminons, pour présenter succinctement l’acteur, que Richard Berry est également connu pour sa générosité envers sa sœur à qui il a donné un rein. Il s’est ainsi beaucoup investi dans le soutien à la recherche sur les pathologies rénales.

Le tableau serait donc idyllique sans cette accusation particulièrement grave de sa fille aînée. Coline a expliqué qu’elle venait de déposer une plainte contre son père. Depuis la publication du livre de Camille Kouchner, très à charge contre le politologue Olivier Duhamel, la parole s’est délivrée sur Internet à propos de ce qui restait encore un véritable tabou, l’inceste. Très vite, la mère de Coline, Catherine Hiegel, et la cousine de Coline, Marilou Berry, lui ont apporté leur soutien. Tandis que Jeane Manson, qui est également accusée par Coline d’avoir participé à des "jeux sexuels", soutient Richard Berry dans son démenti.

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Ce dernier a assuré que sa fille avait commencé à l’accuser il y a sept ans, au moment où la dernière demi-sœur était en "préparation". Coline était aussi enceinte et n’aurait pas supporté d’avoir bientôt une sœur de l’âge de sa fille. Selon l’acteur, sa fille aurait changé souvent de version dans ses accusations jusqu’à cette plainte.

Je ne connais pas la vérité intime ni ultime mais il y a un évident drame familial : ou Richard Berry a réellement commis les actes dénoncés par sa fille et c’est dégueulasse, ou ce sont des accusations fausses contre un père, provenant non plus d’une enfant mais d’une adulte de 45 ans apparemment en totale conscience de ses actes, et c’est tout autant dégueulasse. L’immonde dans un sens ou dans l’autre.

Dans ces histoires, il faut toujours se méfier quand il ne reste plus que la parole de l’un ou de l’autre, sans preuve, sans fait concret et établi. Les accusations fausses lors du procès d’Outreau ont de quoi faire réfléchir sur ce qu’est la justice. Une justice qui, dans tous les cas, ne doit pas être médiatique, mais dans tous les cas aussi, dès lors que l’affaire arrive sur le front public, la réputation est là, soit définitivement entachée, soit sérieusement mise en doute.

Il y a deux grandes différences (voire trois) avec les accusations portées contre Olivier Duhamel le mois dernier.

D’une part, Olivier Duhamel a adopté un silence total, s’est retiré de toutes ses fonctions et essaie de se faire tout petit. L’absence de démenti serait-elle un signe d’aveu ? Peut-être mais je n’en sais rien. C’est très significatif que pour Richard Berry, il y a tout de suite eu des dénégations. Formelles et complètes, pas même une erreur d’interprétation, mais la revendication de l’absence totale des faits reprochés. Au même titre que le silence ne signifie pas aveu, le démenti ne signifie pas forcément innocence.

D’autre part, malgré les risques de prescription, Coline Berry a déposé une plainte au contraire de Camille Kouchner. Cette dernière, convaincue que les faits étaient prescrits, ne voulait de toute façon pas assumer la lourdeur d’une procédure judiciaire mais juste sortir publiquement ce qu’elle avait sur le cœur pendant ces décennies de malaise collectif.

La troisième différence entre les deux situations, enfin, c’est que Camille Kouchner n’a été qu’un témoin par procuration et pas une victime (mais en ce sens, elle est aussi une victime). La véritable victime, au contraire, ne voulait plus en parler, voulait l’enfouir au fond de la mémoire et tourner la page. Il a cependant déposé une plainte récemment.

Les réseaux sociaux sont sans état d’âme et la curée va arriver, lynchage ou soutien. Du père ou de la fille. Il y aura des pour, il y aura des contre. La justice aura du mal à juger, et elle ne jugera pas sur la réalité, plus sur le rapport entre une réalité établie (difficilement "établissable" ou "établissible") et les textes législatifs de l’époque.

Sans nul doute que les militantes qui veulent défendre la parole libérée vont soutenir la fille, sans savoir plus que moi la réalité des faits, elles le feront parce qu’elles croiront que leur soutien à Coline (dont je ne remets nullement en cause la véracité des accusations, je n’en sais absolument rien) équivaut au soutien à leur cause, à savoir, libérer toutes ces femmes, ou plus largement (car pour l’affaire Olivier Duhamel, il ne s’agissait justement pas d’une femme), libérer toutes ces victimes de l’inceste, et plus généralement du viol sur mineur, de pouvoir s’exprimer, et aller jusqu’au bout, c’est-à-dire, jusqu’à la plainte judiciaire. Mais si Richard Berry était reconnu innocent, un tel soutien serait contreproductif à leur cause.

Il est nécessaire que la justice s’en mêle : jamais une tribune publique, un plateau de télévision, quelques colonnes dans la presse écrite, un message laconique dans un réseau social ne seront capables de faire la part du vrai et du faux de manière neutre et dépassionnée. Et même pas sûr que la justice soit capable de le faire trente à trente-cinq ans plus tard.

Il est dit qu’il n’existe que très rarement de fausses accusations, surtout si elles sont publiques, car la personne qui dénonce se met autant en danger que la personne accusée. Néanmoins, être dans une sorte de lutte à mort, pas la mort physique, bien heureusement, mais la mort médiatique, c’est-à-dire celle de la réputation, ultime atout d’un personnage public dans son métier, surtout entre père et fille, a de quoi questionner sur le devenir de la société.

On aurait tendance à dire trop naïvement : que les coupables soient condamnés et que les innocents soient mis hors de cause ! C’est malheureusement trop facile. Le pire, c’est que peut-être que les deux croient avoir intimement raison. Au-delà de la pertinence des souvenirs, de la rumination d’une fille contre son père, il y a ce fait indiscutable : l’immonde est là, quelque part, dans cette relation père-fille qui, hélas, fera l’objet d’incessantes discussions, du café du commerce jusqu’aux chaires les plus honorables de psychologie, au-delà des doutes terribles qui continueront à planer encore longtemps sur toute la famille.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 février 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Richard Berry et l’immonde.
Olivier Duhamel et le scandaleux secret de famille de Camille Kouchner.
La faute de Mgr Jacques Gaillot.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Mgr Barbarin : le vent du boulet.
Polanski césarisé au milieu des crachats.
Faut-il boycotter Roman Polanski ?
Pédophilie dans l’Église catholique : la décision lourde de Lourdes.
David Hamilton.
Adèle Haenel.
Mgr Barbarin : une condamnation qui remet les pendules à l’heure.
Pédophilie dans l’Église : le pape François pour la tolérance zéro.
Le pape François demande pardon pour les abus sexuels dans l’Église.
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210203-richard-berry.html

https://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/richard-berry-et-l-immonde-230709

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/02/03/38795835.html









 

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23 novembre 2020 1 23 /11 /novembre /2020 03:03

« Les Éditions du Square, société gérante des titres "Hara-Kiri" et "L’Hebdo Hara-Kiri" et propriétaire du journal mensuel "Charlie", décide, devant le désastre financier que représente pour elle l’interdiction de "L’Hebdo Hara-Kiri", de créer un supplément hebdomadaire au mensuel "Charlie" afin de pouvoir continuer à faire face à ses engagements financiers et de permettre aux collaborateurs de l’ex-"Hebdo Hara-Kiri" ainsi qu’aux autres employés de la Société de ne pas perdre leurs moyens d’existence. » ("Charlie Hebdo" numéro 1 du 23 novembre 1970).



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Il y a exactement 50 ans, le lundi 23 novembre 1970, est paru le premier numéro de l’hebdomadaire satirique "Charlie Hebdo" qu’on pouvait se procurer chez son marchand de journaux préféré pour la modique somme de 2 francs (il est aujourd’hui à 3 euros). Parmi les signatures, des grands : Cabu, Reiser, Wolinski, Willem, le professeur Choron, Gébé, Delfeil de Ton… et bien sûr François Cavanna.

À l’origine, "Charlie" était d’abord un mensuel, "Charlie Mensuel", fondé en février 1969 par Delfeil de Ton comme revue de bandes dessinées (en concurrence notamment avec "Pilote" avec lequel il a fusionné en mars 1986). Le nom "Charlie" provient de Charlie Brown, le garçon des "Peanuts" que publiait le journal (et ne provient pas de Charles De Gaulle). Après la création de son "supplément" hebdomadaire, "Charlie Hebdo", "Charlie Mensuel" a continué à paraître jusqu’en février 1986 alors que "Charlie Hebdo" a fini de paraître en 1982, englouti par l’arrivée de la gauche au pouvoir (manque de lecteurs) et a repris ensuite surface en juillet 1992 sous la direction de Philippe Val (directeur jusqu’en 2009).

De son côté, "Hara-Kiri", journal "bête et méchant", était un magazine satirique mensuel fondé par Cavanna et Choron en septembre 1960 (il a duré jusqu’en octobre 1989) avec Cabu, Gébé, Roland Topor, Wolinski, etc. En février 1969, a été créé, en parallèle, "Hara-Kiri Hebdo" puis (en mai 1969) "L’Hebdo Hara-Kiri" pour mieux coller à l’actualité. Les deux périodiques ont eu parfois des difficultés financières (dépôt de bilan en 1967 par exemple), souvent en raison d’interdictions à cause de certains articles ou dessins.

Comme l’indique le dessinateur Riss (et directeur de la rédaction de "Charlie Hebdo" depuis les attentats de janvier 2015) dans un dessin récent, le Général De Gaulle fut le véritable inventeur de "Charlie Hebdo", certes bien involontairement (et à titre posthume !). La mort de De Gaulle a eu lieu le 9 novembre 1970 en début de soirée mais la famille ne l’a annoncée publiquement que le lendemain.

Dans le numéro 94 sorti le 16 novembre 1970, le premier après l’annonce de la mort de De Gaulle, "L’Hebdo Hara-Kiri" a titré en une la formule-choc qui a fait date : « Bal tragique à Colombey : 1 mort ». C’était la manière du journal satirique de faire son "deuil" du chef de la France libre (pendant toute la période gaullienne, le journal de sensibilité de gauche libertaire était dans l’opposition).

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L’humour était particulièrement caustique puisqu’il faisait référence, au-delà de la mort de De Gaulle, à la mort des 146 jeunes personnes (moyenne d’âge 20 ans) qui ont péri brûlées vif dans la boîte de nuit "5-7" à Saint-Laurent-du-Pont (entre Grenoble et Chambéry par l’ouest), dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1970. C’était une catastrophe qui a particulièrement choqué et ému les Français (et à partir de laquelle une réglementation plus stricte a été adoptée pour prévenir les incendies dans les lieux accueillant le public, même si l’une des causes a été le non respect de la réglementation de l’époque, notamment par le verrouillage insensé des sorties de secours pour éviter des resquilleurs).

J’imagine que si j’avais été l’un des parents de ces jeunes qui sont morts dans cet incendie, j’aurais réagi vivement au titre de "Hara-Kiri". Mais le principe de la satire, c’est de faire de la provocation, de faire réagir, de mettre mal à l’aise, et il faut bien avouer que la formule a été bien trouvée, tellement bien trouvée que beaucoup de monde, depuis cinquante ans, l’a pastichée, parodiée selon les circonstances.

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L’imitation la plus forte, la plus émouvante aussi, une formule satirique qui est revenue comme un boomerang sanguinaire, a été utilisée par certains journaux juste après l’assassinat des douze personnes lors de l’attentat terroriste au siège de "Charlie Hebdo" le 7 janvier 2015 : « Balles tragiques à Charlie Hebdo : 12 morts ».

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Dès le 17 novembre 1970, le Ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin lui-même aurait pris la décision d’interdire de parution de "L’Hebdo Hara-Kiri" pour sanctionner ce manque de respect aux victimes de l’incendie du "5-7".

"Charlie Hebdo" a donc pris la relève au pied levé dès la semaine suivante, afin de contourner l’interdiction administrative qui aurait pu avoir des conséquences économiques très graves sans cette idée. N’hésitant pas à amuser la galerie avec ce sujet, le journal mentionnait : « "L’Hebdo Hara-Kiri est mort. Lisez "Charlie Hebdo", le journal qui profite du malheur des autres. », ou encore : « Comme l’avait signalé notre malheureux confrère "L’Hebdo Hara-Kiri", dont nous déplorons la disparition (…) ».

L’ADN de ces publications ("Hara-Kiri", "Charlie Hebdo"), c’est la liberté de la presse et le droit de se moquer notamment de leurs cibles favorites, à savoir l’extrême droite et les intégrismes religieux, et sur ce dernier point, il faut bien avouer que l’Église catholique a été beaucoup plus "moquée" et tournée en dérision que l’islam.

Quand Philippe Val a décidé de publier le 8 février 2006, dans "Charlie Hebdo", les caricatures de Mahomet du journal danois "Jyllands-Posten", il pensait que toute la presse française allait faire de même par solidarité pour la liberté de la presse. Mais seulement "France-Soir" les avait publiées (dès le 1er février 2006). À cette époque, le dessinateur Charb, le futur successeur de Philippe Val et future victime des attentats, indiquait : « À "Charlie", avant qu’on soit embêtés par les musulmans intégristes, on a eu affaire à l’extrême droite catholique. Ça s’est terminé normalement devant les tribunaux, ils ont perdu et voilà. Ils attaquent pour tester en espérant gagner et que la législation change. ».

Les vives polémiques ont donc commencé à cette date. Le 1er mars 2006 dans "Charlie Hebdo", un manifeste fut publié pour condamner l’islamisme politique que les signataires, parmi lesquels Salman Rushdie, Taslima Nasreen, Philippe Val, Bernard-Henri Lévy, Caroline Fourest, ont considéré comme un nouveau totalitarisme menaçant la démocratie, le comparant au nazisme et au stalinisme. La riposte est provenue de la Ligue des droits de l’homme qui a dénoncé la stigmatisation des musulmans dans "Libération" du 16 mai 2006.

"Charlie Hebdo" a aussi fait un numéro spécial Mahomet le 2 novembre 2011 qui avait été annoncé quelques jours auparavant, ce qui a provoqué un incendie criminel qui a dévasté son siège dans la nuit du 1er au 2 novembre 2011. Voici la différence avec ses précédentes cibles : l’islamisme politique ne contre-attaque pas avec des procès, il attaque tout court. Hélas, on a pu s’en rendre compte le 7 janvier 2015 avec l’attentat qui a visé toute la rédaction du journal. Douze personnes y sont mortes.

Et cela a continué puisque Samuel Paty, le professeur d’histoire qui a utilisé des caricatures publiées dans "Charlie Hebdo"  comme outil pédagogique, a été, lui aussi, horriblement assassiné à la sortie de son collège de Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020.

Depuis 2006, "l’affaire" des caricatures a montré qu’on pouvait mourir de pouvoir dire ce qu’on veut des religions. Jusqu’en janvier 2015, on pouvait ne pas le comprendre, s’interroger sur la motivation de ce qu’on pourrait appeler une "provocation" même si, pour un journal satirique, la provocation est un fonds de commerce consubstantiel. On pouvait même soupçonner le journal de vouloir faire remonter ses ventes en berne depuis quelque temps.

Mais après de tels assassinats, tant en 2015 qu’en 2020, le fameux slogan "Je suis Charlie" a pris un sens très particulier. Il ne s’agit pas d’approuver toutes les provocations parfois obscènes du journal satirique. D’ailleurs, en ce qui me concerne, très peu de dessins me faisaient sourire. Mais il s’agit simplement de militer pour que ce journal, comme d’autres, ait le droit de publier ce qu’il veut, dès lors qu’il reste dans le cadre légal des publications de presse (pas d’appel à la haine, etc.).

Et l’on peut s’interroger sur le "scandale" avec "Charlie Hebdo". Si des journaux généralistes, comme "Le Figaro" ou "Le Monde" avaient publié des caricatures particulièrement provocantes, le scandale aurait pu encore se concevoir car le lectorat était très large. Mais pour "Charlie Hebdo", ceux qui le lisent, ceux qui l’achètent, c’est parce qu’ils veulent lire du satirique, ils veulent lire du provocant. C’est comme être choqué du sexe en se rendant dans un sex-shop. Au lieu d’être choqué, il suffit de ne pas ouvrir un numéro de "Charlie Hebdo". Il y a un certain masochisme à vouloir se faire mal si les dessins font mal. Pourquoi interdire de les publier alors qu’il suffirait de ne pas les lire ?

Qu’est-ce que cela peut bien me faire que des personnes que je ne connais pas pensent différemment de moi et même, se moque de mes propres pensées, de ma foi, de mes opinions ? Ce serait important si ces personnes m’étaient chères. Mais des inconnus ? Dont c’est le métier de tout tourner en dérision ? À partir du moment où l’on peut considérer qu’un large panel de foi  (ou non foi), d’opinions, etc. puisse exister, voire coexister, pourquoi irais-je imposer la mienne ? Il est là le totalitarisme.

Car avec des risques d’attentat, quel va être le comportement des moins courageux, des moins militants, ou plutôt, des plus prudents, ceux qui pensent à leur famille, à leur conjoint, à leurs enfants ? L’autocensure. Tout faire pour éviter de déclencher un acte retour particulièrement horrible. De déclencher la fureur de "fous d’Allah". L’assassinat de Samuel Paty en est une très triste illustration.

Le Président Emmanuel Macron a affirmé avec force le droit au blasphème dans son discours au Panthéon commémorant les 150 ans de la naissance de la Troisième République le 4 septembre 2020. C’était la première fois qu’un Président de la République a eu le courage de le proclamer. Il n’y avait pourtant rien d’exceptionnel ni rien de nouveau : on a le droit de critiquer toute religion dès lors qu’on ne s’en prend pas personnellement à certains fidèles. Au risque de laisser croire à une stigmatisation, l’idée est de refuser toute avancée de l’islamisme politique dans le projet de société est diamétralement opposé à la tradition française et aux valeurs républicaines.

Très inquiétantes ont été, pour moi, certaines réactions provenant de la hiérarchie catholique sur ces dessins de "Charlie Hebdo". Elles sont d’autant plus incompréhensibles que l’Église catholique fait partie très clairement des cibles des terroristes islamistes : l’assassinat du père Jacques Hamel le 26 juillet 2016 dans l’église Saint-Étienne de Saint-Étienne-du-Rouvray (près de Rouen) et l’assassinat de trois fidèles, Nadine Devillers, Vincent Loquès et Simone Barreto  Silva, le 29 octobre 2020 dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice l’ont démontré. En ce sens, l’Église catholique est dans le même navire que "Charlie Hebdo" et que d’autres, en clair, que tous les Français, cible potentielle des tueurs islamistes. Il devrait y avoir une solidarité de fait.

Ainsi, juste après le second attentat de Nice, celui du 29 octobre 2020, l’évêque de Nice a tenu à se désolidariser de "Charlie Hebdo" dans un entretien à "Nice-Matin" : « Non, je ne suis pas Charlie, je suis André Marceau (…). Certes, la liberté d’expression est sacrée en France, mais que chacun s’assume. Il y a des identités qu’on ne peut pas trop bafouer à la légère. ». En tant que catholique, ces propos m’horrifient. C’est comme si l’on disait que telle jeune fille violée a été responsable de son viol parce que décidément, elle s’était habillée un peu trop légèrement. Non, le responsable, c’est le violeur, pas la victime. Si un dessinateur doit systématiquement se demander si son dessin satirique (donc, jamais "gentil") pouvait vexer des personnes au point d’en être violenté, il ne pourra plus dessiner un seul dessin et il n’y aura plus d’autre son de cloche qu’un courant de pensée qui ne gênerait personne, c’est-à-dire un courant de non-pensée.

Pires à mon sens, les déclarations de l’archevêque de Toulouse, Mgr Robert Le Gall le même jour sur France Bleu Occitanie : « On ne se moque pas impunément des religions (…). La liberté d’expression atteint ses limites (…). On jette de l’huile sur le feu. ». Non ! Il ne faut pas être "puni" pour s’être moqué des religions, surtout provenant de non-fidèles (à moins de vouloir imposer une religion à tout le monde). Non ! ce n’est pas jeter de l’huile sur le feu, c’est pointer qu’il y a là le symptôme d’un réel problème sociétal : si des dessins provoquent la mort de dizaines de personnes, c’est qu’il y a un problème qui ne peut pas être résolu par l’autocensure des dessinateurs. Le mal est profond et il fallait en prendre conscience.

Se focalisant plus sur la forme, l’archevêque d’Albi, Mgr Jean Legrez s’est posé la question : « Comment croire que la quintessence de l’esprit français réside dans la vulgarité et la malveillance ? ». Réponse : depuis qu’on tue des dessinateurs français pour leurs dessins, et des enseignants français pour les avoir montrés à leurs élèves.

Je crois rêver quand je lis le texte publié sur le site de son diocèse de l’évêque d’Avignon Mgr Jean-Pierre Cattenoz qui a remis en cause le droit au blasphème et qui s’est senti blessé en voyant des caricatures : « Les caricatures blasphématoires sont[-elles] un droit en démocratie [?] ». Il est « resté sans voix devant les déclarations du Président de la République [lorsqu’il] a justifié au nom même de la démocratie la liberté de dire et de publier tout et n’importe quoi, la liberté au blasphème sous toutes es formes. Je croyais rêver ! ».

Dans une dépêche publiée par Orange le 8 novembre 2020, le sociologue des religions Jean-Louis Schlegel, ancien directeur de la rédaction de la revue "Esprit", expliquait que ces évêques « n’ont pas intégré le fait que la séparation des Églises et de l’État impliquait cette liberté d’aller très loin dans la caricature ou l’insulte anti-religieuse (…). Ils considèrent que le blasphème ne devrait pas être libre dans nos sociétés. ». Et d’ajouter concernant les fidèles : « Ils ne peuvent pas ne pas reconnaître que c’est une liberté fondamentale (…). [Mais ils] ne vont pas applaudir des caricatures que généralement ils trouvent grossières, avec des dessins très vulgaires. ».

Cependant, des fidèles peuvent aussi faire la part des choses, comme cette catholique pratiquante parisienne : « "Charlie Hebdo", ce n’est pas ma revue préférée. [Mais] il ne faut pas que ça renverse notre hiérarchie des valeurs : on ne tue pas des gens pour une caricature ! (…) La liberté d’expression est un peu plus en danger que la protection du sacré des religions. ».

Heureusement, d’autres évêques "repêchent" les précédents. Ainsi, le discours de clôture de l’Assemblée plénière des évêques (en visioconférence) de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France, a su, le 8 novembre 2020, remettre les pendules à l’heure sur le blasphème. Et cela, notamment en trois points.

1° : « Le blasphème consiste surtout à faire maudire le nom de Dieu. Est donc coupable de blasphème qui use du nom de Dieu pour justifier sa violence ou ses injustices. ». En clair, c’est plus celui qui tue et celui qui l’a armé qui sont blasphématoires que leur victime.

2° : « La dérision, la moquerie, me paraît d’un autre ordre. Les convictions fortes en suscitent forcément, parce que l’humanité cherche à se protéger, à esquiver d’avoir à donner à sa vie une portée qui lui paraît trop grande. C’est un gage de maturité que de ne pas s’en laisser démonter. (…) Nous savons, nous, que le Dieu vivant n’a pas craint d’être bafoué. En prenant chair de notre chair, il n’a pas craint d’être méprisé, ni même torturé. Il n’a pas craint non plus, et c’est vertigineux, d’être trahi par les siens. ». Bref, ce ne sont pas quelques dessins inconséquents qui pourraient ébranler Dieu lui-même.

3° : « Le blasphème contre l’Esprit est plus encore le fait de ceux qui usent du pouvoir spirituel reçu du Christ pour établir leur propre pouvoir et, pire encore, assouvir leurs pulsions. Les prêtres coupables d’actes d’agressions sexuelles sur des mineurs ou d’abus de pouvoir sur des jeunes adultes souillent le saint nom de Dieu. ». En d’autres termes, et c’est important que cela provienne d’un évêque, les blasphémateurs, ce sont plutôt les prêtres qui abusent d’enfants que des dessinateurs en mal de provocation.

Le blogueur catholique Koztoujours a commenté cette saine et sage prise de position épiscopale le 9 novembre 2020 : « Il faut reconnaître voire soutenir par principe le droit de blasphémer, celui de critiquer toute religion, et jusqu’au droit de la tourner en dérision. Car Dieu, je le crois, n’attend pas qu’on le respecte par obligation, qu’on l’aime du bout des lèvres tandis qu’on l’ignore dans nos cœurs. Dieu est même prêt à entendre notre rage contre lui et a vu sans colère bien des poings dressés vers le ciel. Il n’attend pas que nous nous abstenions de blasphémer seulement parce que ce serait interdit. Car sans liberté de blasphémer, il n’est pas de louange sincère. ».

Et parlant de l‘obscénité de certaines caricatures : « Ce n’est pas parce que la loi permet un comportement qu’il est nécessairement bon, mais tout ce qui n’est pas bon ne doit pas non plus nécessairement être interdit. L’inverse nous garantirait un régime totalitaire. C’est dans cet espace de liberté entre le légal et le bien que s’exerce le discernement de chacun. ».

Alors, non, je n’apprécie pas spécialement les dessins de "Charlie Hebdo", surtout les plus obscènes, même si je suis prêt à sourire et même à rire quand le jeu de mots est (vraiment) drôle, le dessin en situation, les faits en interconnexion (même odieusement, comme pour le bal tragique). Mais je rends hommage au journal satirique d’avoir pointé du doigt l’une des fragilités sociales des temps actuels, au prix involontaire mais douloureux de plusieurs vies humaines, que des éléments de notre société, pas forcément venus de l’extérieur (cela peut être le cas, mais pas toujours) sont capables de mettre au péril cette liberté de presse.

La Ligue des droits de l’homme qui, en 2006, dénonçait le risque de stigmatisation de l’islam, j’espère qu’en 2020, et plus exactement, que depuis 2015, elle a bien conscience qu’il existe un islamisme politique particulièrement offensif qui veut faire progresser sa cause au détriment des valeurs de notre République et de notre démocratie. Et cet islamisme avance (masqué) depuis l’affaire du voile au lycée en 1989. C’est à la République, portée par les forces politiques, toutes les forces politiques unanimement, de réaffirmer avec constance et fermeté que ces valeurs-là, elles ne sont absolument pas négociables. Bon demi-siècle, "Charlie Hebdo" !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 novembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu



Pour aller plus loin :
50 ans après Charlie Hebdo, toujours la liberté de la presse en question.
Samuel Paty : faire des républicains.
Samuel Paty : les enseignants sont nos héros.
Discours du Président Emmanuel Macron le 2 octobre 2020 aux Mureaux sur le séparatisme (texte intégral et vidéo).
Polémiques indécentes sur la libération de Sophie Pétronin.
10 ans après la loi anti-burqa, la loi masque-obligatoire.
Charlie Hebdo : mortelle indifférence.
Charlie Hebdo en 2015.
Islamo-gauchisme : le voile à l’Assemblée, pour ou contre ?
5 ans de Soumission.
Mosquée de Bayonne : non assistance à peuple en danger ?
La société de vigilance.
N’oublions pas le sacrifice du colonel Arnaud Beltrame !
Strasbourg : la France, du jaune au noir.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201123-charlie-hebdo.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/50-ans-apres-charlie-hebdo-228910

https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/11/22/38665813.html






 

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20 novembre 2020 5 20 /11 /novembre /2020 18:49

« Il était inimaginable de devenir à mon tour un ancien combattant. Alors, quand la guerre est terminée, elle a été terminée pour moi aussi. J’avais quel âge, déjà, en 1945 ? 25 ans… Eh bien, à 25 ans, voyez-vous, je ne voulais pas vivre dans le passé. À cet âge-là, c’est l’avenir qui m’intéressait. J’avais trop souffert d’être "prisonnier" de la guerre de 1914 pour vouloir reproduire ça après 1945. » (Daniel Cordier, "Le Monde" du 9 mai 2018).


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Immense peine cette après-midi, une peine qui lie la personne et l’Histoire. L’ancien secrétaire de Jean Moulin et ancien résistant Daniel Cordier, chancelier d’honneur de l’Ordre de la Libération, vient de s’éteindre ce vendredi 20 novembre 2020 à l’âge de 100 ans. Le Président Emmanuel Macron, qui l’avait rencontré plusieurs fois, a annoncé qu’un hommage national lui sera rendu. S’il y a bien une personne, de notre communauté nationale, qui mériterait le Panthéon, ce serait bien Daniel Cordier, mais une telle décision irait assurément à l’encontre de sa modestie et de son humilité.

Depuis plusieurs années, il n’y avait plus beaucoup de Compagnons de la Libération encore en vie, et son angoisse était d’être le dernier, car il a été dit que le dernier Compagnon de la Libération serait enterré dans la crypte du Mont-Valérien, en hommage à tous les résistants qui ont fait vivre la France libre entre 1940  et 1943. Pierre Simonet, le plus jeune survivant, est mort le 5 novembre 2020 (j’y reviendrai). Depuis quinze jours, il n’en restait alors plus que deux et ce fut encore le plus jeune qui vient de partir. La France n’aura pas à se poser la question entre l’histoire et l’humilité des dernières volontés. Il reste aujourd’hui Hubert Germain, à peine plus âgé (de quatre jours), 100 ans donc, et je ne sais pas quelles sont ses volontés car maintenant, il le sait, c’est lui, et son état ne semble pas très fort.

Daniel Cordier fut une personne qui est mal née puisqu’il avait 19 ans pendant la Débâcle. Le pire, c’est qu’il était maurassien. Enfin, le pire, ce n’est pas d’être maurassien, c’est d’être maurassien, partisan du leader du nationalisme français, Charles Maurras, celui qui plaçait la nation française avant toute autre considération, et qui, en même temps, ce qui fut un choc pour le jeune militant enthousiaste, a soutenu Pétain et l’armistice, bref, a soutenu le fait que la France ne devait plus combattre et accepter sa défaite face à l’ennemi. Comment cela a-t-il pu se passer ?

Certains à sa place auraient peut-être choisi de suivre Maurras, penser que l’homme était plus important que ses choix, quitte à aller jusqu’à l’effondrement de ce qu’il préconisait (c’est assez courant dans la vie politique "ordinaire"). Mais pour Daniel Cordier, il n’était pas question de se coucher devant l’ennemi. Si un leader change d’orientation, il faut changer de "leader".

Pour être franc, Daniel Cordier ne connaissait pas le Général De Gaulle. Il a juste su qu’il cherchait à résister depuis Londres. Il s’y est rendu avec des amis, ils sont partis le 21 juin 1940 de la côte basque, mais tous ses amis ne les ont pas suivis, certains sont restés …et sont devenus pétainistes. Daniel Cordier ne connaissait rien à l’art de la guerre, il s’est retrouvé loin de toutes ses références, loin de sa famille, loin de son pays. Seuls, quelques amis étaient avec lui.

Il a donc rejoint l’Angleterre le 25 juin 1940. Sa première rencontre avec De Gaulle a eu lieu le 6 juillet 1940 à l’Olympia Hall à Londres. Une rencontre très froide : « Je demeure sur place, abasourdi. Désormais, mon chef est cet homme froid, distant, impénétrable, plutôt antipathique. ». Quelques minutes auparavant, l’homme distant lui avait dit, à lui et à ses compagnons : « Je ne vous féliciterai pas d’être venus : vous avez fait votre devoir. (…) Ce sera long, ce sera dur, mais à la fin, nous vaincrons. ». Il fallait vraiment être motivé ! Daniel Cordier l’était, assurément.

Par les "hasards" (?) des affectations, il s’est retrouvé parachuté comme secrétaire de Jean Moulin. Il n’est pas resté longtemps auprès du jeune préfet car Jean Moulin a été arrêté, torturé et tué par la Gestapo sur dénonciation. Daniel Cordier avait un avis bien tranché dans ce mystère de cette brèche historique. Tous les acteurs sont maintenant morts et la question est : faut-il connaître la vérité ? L’histoire de la clandestinité a toujours été émaillée de trahisons, souvent involontaires (la torture fait parler), et c’était le risque de tous les résistants aux postes d’organisation. Il a poursuivi son travail avec le remplaçant, mais les liens n’étaient pas les mêmes.

Jean Moulin avait fait de Daniel Cordier plus que son secrétaire (dont l’étymologie dit bien ce que cela veut dire, homme du secret), son bras droit, sur qui il pouvait se reposer, avec une confiance qui permettait à Daniel Cordier de prendre certaines décisions lui-même à la place du chef de la Résistance.

Je ne me suis "intéressé" à Daniel Cordier, et pour le dire franchement, je n’ai été fasciné par Daniel Cordier qu’il y a onze ans (il était déjà très âgé), lorsqu’il a sorti sa fameuse autobiographie "Alias Caracalla" dont je recommande très vivement la lecture (une nouvelle fois). À cette occasion, Pierre Assouline et Régis Debray auraient voulu lui attribuer le Prix Goncourt mais celui-ci reste réservé à un roman.

Ce livre a même été adapté en un téléfilm (du reste assez médiocre car trop démonstratif et sans épaisseur psychologique). Daniel Cordier avait quitté tout ce "milieu" des anciens combattants pendant longtemps jusque dans les années 1980 où des attaques contre son ancien patron, Jean Moulin, l’ont conduit à devenir historien de la Résistance, avec des ouvrages maintenant de référence pour cette période.

J’ai pu aussi voir (admirer) l’autre face de Daniel Cordier, son métier, et sa vocation dont il est facile de connaître l’origine : Jean Moulin. En effet, la couverture de Jean Moulin à Lyon était galeriste et marchand d’art, mais à l’époque où il travaillait avec lui, Daniel Cordier ne connaissait rien à l’art, encore moins à l’art contemporain, il a été initié par Jean Moulin qui lui avait promis de visiter avec lui, à la fin de la guerre, le Prado, à Madrid. Cela ne s’est pas fait, hélas.

Cette autre face, donc, je l’ai découverte un peu par hasard lors d’un bref passage à Rodez. J’y étais allé pour admirer les vitraux de la cathédrale et surtout, pour visiter le nouveau musée Soulages (100 ans aussi, bientôt 101 même dans un mois), et à l’époque, le musée de Rodez proposait par ailleurs une exposition temporaire d'une très petite partie de la collection Cordier. J'en ai vu aussi à Colmar, aux étages supérieurs du fameux musée Unterlinden, rénové et agrandi. Daniel Cordier a effectivement fait de nombreuses acquisitions après la guerre, d’auteurs (peintres, sculpteurs, etc.) à l’époque peu connus mais qui sont devenus, par la suite, très célèbres (pas tous). On pouvait dire qu’il avait eu "du nez" (lui disait qu’il avait "l’œil sauvage"). Si bien qu’il participa à la constitution de la collection permanente du futur Centre Pompidou d’arts contemporains au début des années 1970 et, comme il n’a pas d’héritier, il a légué toutes ses collections au Centre Pompidou.

Au-delà de la connaissance de certains peintres contemporains que je ne connaissais pas, l’intérêt d’une telle exposition était dans les notices explicatives de chacune des œuvres puisque Daniel Cordier y détaillait les raisons qui l’avaient amené à les avoir acquises.

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Dans une édition spéciale à 18 heures, ce 20 novembre 2020, consacré à l’ancien héros de la France libre, la radio France Inter a invité notamment Jean Lebrun qui l’avait interviewé (le 18 juin 2018 dans "La Marche de l’Histoire" sur France Inter), Marc Voinchet (également intervieweur) et Régis Debray (qui avait fait un documentaire avec lui sur Jean Moulin). Marc Voinchet, actuel directeur de France Musique, était un ami de Daniel Cordier (il avait assisté à son dernier anniversaire) et a raconté que Daniel Cordier l’avait entraîné sur un coup de tête dans un musée néerlandais pour lui montrer les œuvres d’un peintre flamand. Ces trois invités qui l’ont bien connu ont parlé de lui plus avec joie que dans la tristesse, parce que tout sa vie, et il a bien vécu, Daniel Cordier était joie et convivialité, avec ce petit œil malicieux qui l’a gardé jeune si longtemps.

Marc Voinchet l’avait aussi interviewé le 8 mai 2013 à l’occasion de la fête de la victoire. Daniel Cordier avait tenu à rectifier en disant : « Je n’étais pas un résistant, surtout pas. Je suis un Français libre. ». Et de regretter de ne même pas avoir été un combattant : « Pour moi, c’était fini depuis longtemps, la guerre. La guerre, c’était la bataille, c’était le risque. (…) Au fond, je n’ai jamais fait la guerre que je souhaitais. Je voulais tuer des Boches, je n’en avais pas tué un seul. Et ça, c’est affreux. J’avais les moyens, j’ai appris, j’étais un bon tireur. (…) Il y a une suite de circonstances qui m’ont toujours tenu en dehors des combats. Et je ne m’en suis jamais remis, parce que je n’ai jamais fait la guerre. ».

Je recommande aussi d’écouter la série de cinq émissions de "À voix nue" diffusées sur France Culture du 27 au 31 mai 2013, Daniel Cordier interviewé par Jérôme Clément. Dans cette série, il racontait ce qu’il évoquait déjà dans son autobiographie, à savoir sa vie entre 1940 et 1945 et en particulier cet instant décisif qui lui a fait comprendre toute l’horreur du nazisme et de l’antisémitisme : « J’aperçois sur le pardessus la grande étoile jaune, je n’en avais jamais vu. En vrai, vous n’imaginez pas ce que c’est. ».

Enfin, je recommande la lecture de l’article biographique très complet de Philippe-Jean Catinchi publié cette après-midi du 20 novembre 2020 dans le journal "Le Monde", qui rappelle qu’à la fin de la guerre, Daniel Cordier avait été affecté aux services secrets : « À la Direction générale des études et recherches, dont Jacques Soustelle prend la tête en novembre 1944, Cordier découvre le monde des espions et des agents secrets. Il est même envoyé en Espagne évaluer la solidité du régime de Franco pour De Gaulle. Un rapport qu’il conservera comme un trésor. Mais ce milieu n’est pas pour lui. Pas plus que l’autocélébration des anciens résistants à l’heure du retour à la paix. ».

Il a finalement donné sa démission après la démission de De Gaulle de la Présidence du Gouvernement provisoire en janvier 1946. C’est intéressant à noter que le dernier voyage à l’étranger de De Gaulle, en juin 1970, fut de traverser toute l’Espagne (le couple a parcouru 10 000 kilomètres) et ce voyage a fait scandale car il l’a ponctué d’un déjeuner avec le général Franco. Daniel Cordier n’a donc pas dû être beaucoup scandalisé par ce déjeuner, vingt-cinq ans plus tard, puisqu’il savait que l’Espagne avait accepté la traversée de résistants français pour rejoindre l’Angleterre pendant la guerre.

Dans son hommage, l’Élysée a insisté sur le héros mais aussi sur la mémoire qu’était Daniel Cordier : « Avec lui, c’est la mémoire vivante de la Résistance qui s’éteint. Il avait traversé ce que notre histoire a de plus brûlant, de plus douloureux, mais aussi de plus héroïque, et il en avait livré les témoignages les plus exacts et les plus poignants. Toute la vie de Daniel Cordier a été mue par un goût inouï de la liberté, une bravoure impétueuse, une curiosité insatiable, et, par-dessus tout, par un immense amour de la France. (…) Mu par un nouvel amour, celui de l’histoire, Cordier prouva alors qu’il était la mémoire même de la France libre. (…) Aujourd’hui, les ombres glorieuses de la France libre, "l’humble garde solennelle" qu’évoquait Malraux lors de son hommage à Jean Moulin en 1964, semble lui faire escorte. Le Président de la République s’incline avec respect, émotion et affection, devant la mémoire de cet homme dont la vie entière aura conjugué l’amour de la France et la passion de la liberté, le goût du beau et le souci du vrai. » (20 novembre 2020).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 novembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Comment devenir résistant ?
Premier de Cordier.
Cordier, ni juge ni flic.
La collection Cordier.
Jean Moulin.
Hubert Germain.
La France, 50 ans après De Gaulle : 5 idées fausses.
Daniel Cordier.
Pierre Simonet.
La France, 50 ans après De Gaulle : 5 idées fausses.
Edgard Tupët-Thomé.
Seconde Guerre mondiale.
Le courage exceptionnel de deux centenaires, Hubert Germain et Daniel Cordier.
Libération de Paris.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201120-daniel-cordier.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/daniel-cordier-un-homme-dans-l-228846

https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/11/20/38662548.html













 

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20 novembre 2020 5 20 /11 /novembre /2020 15:13

« Une fois de plus, le remords me ronge : si je m’étais engagé dès septembre 1939, la France aurait gagné. Malgré mon départ, cette mauvaise conscience persiste : je dois me "racheter". L’exil incarne le premier acte de ma pénitence. » (23 juin 1940).


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Daniel Cordier vient de mourir à 100 ans. Retour sur son 99e anniversaire... Quatre jours après Hubert Germain, ce samedi 10 août 2019, l’ancien résistant Daniel Cordier fête aussi son 99e anniversaire. Il est l’un des quatre derniers survivants des Compagnons de la Libération. L’histoire de Daniel Cordier est extraordinaire.

Très politisé à 17 ans, il était un militant actif de l’Action française et ne jurait que par Charles Maurras. Lorsque Pétain a pris le pouvoir et a voulu l’armistice, lorsque Maurras, nationaliste, a accepté sans broncher la défaite de la France au point d’accepter de collaborer avec l’ennemi (en fait, il n’a lui-même jamais collaboré mais a encouragé la collaboration dans ses écrits), Daniel Cordier, lui, n’a pas compris et s’est trouvé en porte-à-faux entre une personnalité qu’il admirait et des idées qui s’en éloignaient.

Daniel Cordier n’a pas hésité, et a tout fait pour continuer le combat, pensant trouver dans l’Afrique du Nord des armées encore prêtes à lutter, et finalement, il a embarqué dans un bateau qui l’a amené à l’Olympia Hall de Londres, aux côtés de deux mille très jeunes comme lui, engagés dans la France libre, présentés à un De Gaulle impassible, ne les remerciant pas (vous n’avez fait que votre devoir). Daniel Cordier fut envoyé à Lyon pour devenir le secrétaire de Jean Moulin, il fut chargé notamment d’organiser les réunions secrètes, des échanges de courrier secret, etc.

Contrairement à beaucoup de résistants, Daniel Cordier ne s’est pas senti à l’aise avec l’engagement politique après la guerre. Peut-être que son maurrasisme originel l’a refroidi, puisqu’il a évolué après la guerre vers des positions plutôt socialistes. L’activité de couverture de Jean Moulin était l’art contemporain. Ainsi, Daniel Cordier fut rapidement sensibilisé à l’art contemporain et en a fait son métier. Il a cherché à réaliser quelques œuvres mais il a été surtout un dénicheur d’artistes, notamment lorsqu’il a tenu une galerie d’art.

Sa collection de peintures contemporaines est très riche et il y a déjà quelques décennies, n’ayant pas de descendance, il a fait don à l’État de celle-ci. Il fut d’ailleurs l’un des membres du Centre Pompidou, avant même son ouverture, pour sélectionner les œuvres contemporaines. C’est aussi le Centre Pompidou qui a reçu la collection Cordier.

De la guerre ? de la Résistance ? Peut-être pour être tranquille, Daniel Cordier ne voulait pas vraiment en parler. C’était du passé, il n’avait pas l’esprit "ancien combattant" (le pauvre, le voici l’un des anciens combattants les plus honorés de France et les plus connus aussi !), et lui, il était toujours tourné vers l’avenir, il n’avait que 25 ans après la guerre, il fallait qu’il se trouvât une situation, qu’il vécût.

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Ce fut seulement dans les années 1970 qu’il fut en colère contre des remises en cause concernant Jean Moulin, son ancien patron. Certains anciens résistants (Henri Frenay) l’ont même soupçonné d’avoir été un agent communiste. Ces contrevérités ont fait réagir Daniel Cordier d’une manière très heureuse. Il fallait qu’il témoignât.

Mais en fait, non. Un témoignage n’a jamais été objectif. Au contraire, c’était trop subjectif. C’était normal qu’il défendît son patron. Il fallait qu’il parlât de cette période de la Résistance, mais pas comme témoin, comme historien. Historien sur le tas. Il avait déjà plus d’une cinquantaine d’années, mais il était prêt à faire ce chemin. Il fut contesté par ses camarades car il prenait position. Il exprimait aussi ses soupçons sur qui avait livré Jean Moulin. Remuer un brasier encore chaud, cela pouvait susciter des tensions.

Sans diplôme mais reconnu par la plupart des universitaires, Daniel Cordier fut un historien pragmatique. Sa mémoire pouvait faillir. Il ne voulait rien affirmer sans prouver. Prouver par des documents administratifs, par toutes sortes d’éléments factuels. Il a été un rat de bibliothèque et de salles d’archives. Il a rassemblé de nombreuses informations sur Jean Moulin, ce qui a donné lieu à la publication d’un premier ouvrage sur Jean Moulin en 1983. Il a par la suite, entre 1989 et 1999, publier quatre autres ouvrages sur Jean Moulin.

L’historien était né, et il était très honoré. Sa modestie, son besoin de vérité ont fait de lui un "conteur" écouté et lu. Son chef-d’œuvre fut plus tard, en 2009, avec "Alias Caracalla" (chez Gallimard), qui est la première partie de son autobiographie, entre 1940 et 1943. Son style est fluide, l’histoire est poignante, cela a même déjà fait l’objet d’une adaptation à la télévision, et pour cet ouvrage, son auteur reçut le Prix littéraire de la Résistance et le Prix Renaudot de l’essai. Il a écrit une suite, et a publié en 2014 "Les Feux de Saint-Elme" (chez Gallimard) où il parle (notamment) de son homosexualité.

Je souhaite ici m’arrêter aux premières pages de "Alias Caracalla", au moment où Daniel Cordier a décidé de quitter sa famille pour s’engager dans la France libre. Pour lui, c’était une évidence : on ne pouvait pas rester sans rien faire avec la défaite, avec une France allemande. Ce qui était moins une évidence et même une souffrance intellectuelle et politique pour lui, c’était que son "maître à penser" était de l’avis contraire, il était pour l’arrêt des combats et la collaboration. Toutes les citations ici proviennent de ce livre.

Dans ce livre, Daniel Cordier évoque évidemment son militantisme mais aussi les liens forts d’amitié qui l’unissaient à des camarades qui pouvaient ne pas avoir les mêmes opinions que lui. Cela l’intriguait d’ailleurs : « Existe-t-il entre les êtres un lien plus fort que leurs opinions ? Je me suis déjà posé la question à l’égard d’André Marmissolle, que j’admire. Avec lui, rien ne peut être plus fort que l’amitié. Mais avec cet inconnu ? ».

Peu avant, il expliquait : « À l’exception d’André Marmissolle, je n’ai fréquenté aucun marxiste. Que ce garçon quitte la France pour lutter contre les Boches me surprend. Pourquoi veut-il défendre son pays, puisque l’Internationale exige la ruine des patries ? ». Ce qui est très intéressant dans ce livre, c’est que Daniel Cordier explique le cheminement intellectuel du jeune homme très vindicatif qu’il était. Pour lui, nationaliste, et donc anticommuniste, la première chose à combattre, c’était le communisme, mais aussi le nazisme, car il a défait la France. C’est cette double injonction qu’a saluée plus tard l’écrivain (et académicien) Jacques Laurent dans ce qu’il a appris de Maurras, sauf que Maurras est tombé dans le piège nazi.

L’opinion est en pleine construction par la discussion : « J’écoute sa réponse avec intérêt : il souhaite combattre les fascistes et les nazis, tueurs de liberté (…)."Notre seul espoir, dit-il, est de les détruire". Je suis moi aussi contre Hitler et le nazisme, mais en dépit de la "trahison" de Mussolini (qui a déclaré la guerre à la France en pleine déroute, le 10 juin 1940), je suis en désaccord avec Laborde sur sa condamnation du fascisme. J’écoute toutefois ce garçon sympathique (…) défendre sa cause avec une conviction forgée par l’expérience de la vie. (…) En l’écoutant, il me semble mieux comprendre la révolte des "misérables". Avec Laborde, elle s’incarne dans une présence criant l’injustice de la condition ouvrière. Avec André Marmissolle, l’intelligence la transforme en algèbre d’un futur scintillant, mais glacé. (…) Grâce à eux, l’humanité opprimée sera libérée de l’esclavage de l’argent. La doctrine de l’Action française dit-elle autre chose ? ».

Daniel Cordier, ce 22 juin 1940, s’est posé aussi la question de la trahison de Pétain : « Un point demeure obscur, cependant : Pourquoi Pétain, sauveur de la patrie en 1917, acclamé par Maurras au mois d’avril [1940] pour gagner la guerre, a-t-il changé de camp en acceptant la défaite ? (…) Instinctivement, je suis sûr qu’il a trahi. Mais avant lui, le grand coupable n’est-il pas le Front populaire, qui a désarmé la France ? ».

C’est intéressant de lire ce raisonnement car finalement, "la défaite de la France, c’est à cause de Léon Blum", c’est un argument qui revenait presque à continuer l’antisémitisme même dans le combat contre les nazis. C’était un raisonnement souvent pensé encore dans les années 1980. Il y a eu le même raisonnement en Allemagne après la défaite de 1918, en considérant que la défaite ne provenait pas de l'armée impériale mais des Juifs et des communistes.

La lecture du témoignage d’Hubert Germain, par exemple, permet sans doute de mieux comprendre la situation : par son père général, il avait participé, adolescent, à de nombreuses conversations avec d’autres officiers supérieurs, entre 1934 et 1939, et il avait bien compris qu’aucun ne souhaitait retourner à la guerre, tous étaient des "mous", la défaite fut d’abord une défaite du mental. Personne ne voulait combattre.

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Mais à l’époque, l’anticommunisme prenait le dessus chez Daniel Cordier qui avait noté cette citation de Maurras : « Ou nous abjurerons ces fables menteuses, démolirons ces réalités dangereuses, révélerons la vérité politique et rétablirons la monarchie nationale, ou nous avons de sûres et tristes chances de devoir nous dire avant peu les derniers des Français. ». Intéressante phrase de Maurras qui résonne en 2019 : combien d’extrémistes croient aujourd’hui que la France ne sera plus la France à cause que quelques pourcents d’immigrés en plus ?

Le Daniel Cordier de 17 ans était encore moins dans la nuance, en réagissant à cette phrase de Maurras : « Il a raison : Blum, Cot et Pétain doivent être fusillés sans procès. Responsables de la mort de la France, ils ne peuvent que subir un châtiment à la mesure de leurs crimes. ». Qu’ont donc dit d’autres certains gilets jaunes extrémistes lorsque, sur des ronds-points, ils arboraient odieusement une guillotine à l’intention du Président Emmanuel Macron ?

En réponse à cette réflexion, celle de son camarade Marmissolle, très réaliste : « Tu penses trop à la politique. C’est quand même Gamelin qui était le chef des armées. Il a perdu en quinze jours une guerre qu’il prépare depuis dix ans. Il n’y a pas que les traîtres, il y a aussi les vieux c@ns. ».

Je termine avec cette observation. Le 22 juin 1940, Daniel Cordier était donc en traversée de l’Atlantique. À un moment, lui et ses compagnons ont croisé une barque qui dérivait : « Le cargo s’approche lentement. Lorsque nous la surplombons, j’aperçois un homme mort, gisant nu au fond de la barque. Son corps, gonflé comme une baudruche, exhibe un sexe raidi et noir de mazout, comme ses membres, à l’exception du visage. Je n’ai jamais vu de cadavre. Cette apparition grotesque m’impose l’image des désastres d’une guerre que je fuis. Elle illustre aussi un danger que masquent le temps radieux et l’immensité de la mer. Un long silence nous étreint (…). ».

Pour cet anniversaire, mes vœux de bonne santé vont à Daniel Cordier !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 août 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Hubert Germain.
Daniel Cordier.
Le programme du Conseil National de la Résistance (CNR).
Stéphane Hessel.
Daniel Mayer.
Roland Leroy.
Antoine de Saint-Exupéry.
Joseph Kessel.
Premier de Cordier.
Daniel Cordier, ni juge ni flic.
La collection Cordier.
Georges Mandel.
Jean Zay.
Simone Veil.
Antisémitisme.
Maurice Druon.
Général De Gaulle.
Joseph Joffo.
Anne Frank.
Robert Merle.
L’amiral François Flohic.
Jean Moulin.
André Malraux.
Edmond Michelet.
Loïc Bouvard.
Germaine Tillion.
Alain Savary.
Être patriote.
Charles Maurras.
Philippe Pétain.
L’appel du 18 juin.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Raymond Sabot.
François Jacob.
Pierre Messmer.
Maurice Schumann.
Jacques Chaban-Delmas.
Yves Guéna.
Général Leclerc.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201120-daniel-cordier-0.html

https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/11/20/38662517.html

 

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7 novembre 2020 6 07 /11 /novembre /2020 16:04

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Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211029-attentat-basilique-nice-2020.html



Discours du Premier Ministre Jean Castex le 7 novembre 2020 à Nice en hommage aux victimes de l’attentat du 29 octobre 2020


Votre Altesse Sérénissime,
Madame,
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Vice-Président de l’Assemblée nationale,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Maire de Nice,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président du Conseil Régional,
Monsieur le Président du Conseil Départemental,
Votre Excellence Monsieur l’Ambassadeur,
Messieurs les Préfets,
Mesdames et messieurs les élus,
Monseigneur l’évêque de Nice,
Monsieur le Président du Conseil français du culte musulman

Les prières d’une mère de famille ne condamnent pas à mort.

Des cierges allumés au petit matin ne condamnent pas à mort.

L’humble travail d’un sacristain ne condamne pas à mort.

Et pourtant, jeudi 29 octobre dernier, ici à Nice, un homme est entré dans la Basilique NotreDame de l’Assomption pour semer la mort avec une sauvagerie sans nom. Trois personnes ont été assassinées parce qu’elles pratiquaient paisiblement leur Religion ; deux femmes et un homme.

Deux femmes et un homme qui n’étaient les ennemis de personne. Les familles rassemblées sur la Promenade des Anglais le 14 juillet 2016 n’étaient, elles non plus, les ennemis de personne. Faut-il rappeler, ici et devant vous, que cet attentat terrible a fait ce jour-là 86 morts et 458 blessés ?

C’est la France qui, chaque fois, est la cible du terrorisme, mais Nice aura payé un lourd tribut et je suis venu aujourd’hui dire aux Niçois, en votre personne Monsieur le maire, mon émotion, ma compassion et mon indignation. Ces sentiments, toute la Nation les partage.

A Nice le 29 octobre dernier, le terrorisme s’en est pris à la liberté de Culte comme il l’avait fait à Saint-Etienne du Rouvray le 26 juillet 2016 où un prêtre fut égorgé alors même qu’il célébrait sa Messe. Aucune célébration religieuse n’est une offense dans une République laïque qui respecte la Religion pour ce qu’elle est ; l’expression d’une conviction intime, et qui en garantit la pratique pour ce qu’elle est : l’exercice d’une liberté fondamentale. Sur cette liberté, la République ne transige pas.

Au Bataclan le 13 novembre 2015, comme à Nice le 14 juillet 2016, le terrorisme s’en est pris tout simplement à notre mode de vie. Choisir son mode de vie est aussi une liberté fondamentale. Sur cette liberté, la République ne transige pas.

A Vienne, il y a quelques jours, c’est aussi à nos modes de vie européens que le terrorisme s’en est pris directement.

A Paris le 16 octobre dernier, devant un collège de Conflans Sainte-Honorine, comme le 7 janvier 2015 au siège de Charlie Hebdo, le terrorisme s’en est pris à la liberté d’expression en la personne d’un professeur exemplaire, Samuel PATY. La liberté d’expression est l’une des toutes premières conquêtes de la République et la loi de 1881 fait partie de ces Lois Fondamentales qui ont profondément enracinées la République dans notre pays. Sur cette liberté, la République ne transige pas.

A Toulouse, dès 2012, le terrorisme s’en prenait, encore et toujours, au judaïsme, à un père et à des enfants. Contre l’antisémitisme, la République ne transige pas. Jamais.
Ici, à Nice trois personnes ont été assassinées et une église a été ensanglantée.

Ces trois personnes avaient un nom, une vie, une famille, et aujourd’hui elles sont dans le cœur de tous les Français.

Ces noms, je suis venu ici pour les honorer.

Ces vies, je suis venu ici pour dire qu’elles avaient une valeur incommensurable, celle de toute vie humaine, unique par définition.

Ces familles, je suis venu leur apporter les condoléances de la Nation toute entière.

DEVILLERS habitait à quelques pas d’ici et venait souvent prier dans cette église.

Une femme qui aimait passionnément le théâtre et qui adorait jouer SHAKESPEARE, TCHEKHOV ou FASSBINDER. Une femme qui écrivait en secret et espérait pouvoir être publiée un jour.

Une femme qui partageait, à nouveau, des projets d’avenir avec son mari car après une période de chômage elle devait se rendre à un entretien d’embauche.

Une femme qu’un homme a décidé de sacrifier à son idéologie de mort.

Je veux ici rendre honneur à ce nom, à cette femme et à cette vie.

Simone BARRETO SILVA. Simone n’était pas née à Nice, ni même en France mais, très loin d’ici, à SALVADOR de BAHIA au Brésil. Elle était arrivée chez nous en 1996. A force de détermination autant que de volonté, elle était parvenue à réaliser son rêve car elle venait de décrocher brillamment son diplôme grâce au programme « des étoiles et des femmes » qui lui ouvrait grand les portes des établissements les plus prestigieux.

Le matin du 29 octobre, elle est entrée dans la Basilique pour prier avant de prendre son service d’aide à domicile. Mortellement blessée, elle a néanmoins trouvé la force et le courage d’échapper à son tortionnaire pour appeler à l’aide et donner l’alerte ce qui a permis à la valeureuse police municipale de Nice d’intervenir immédiatement et de neutraliser le terroriste. Sans le courage de Simone, peut-être que son meurtrier aurait continué son parcours sanglant.

Sans elle, peut-être que ce matin nous aurions d’autres victimes à déplorer, d’autres noms à prononcer.

Je veux rendre aujourd’hui honneur à ce nom, à cette femme et à cette vie.

Vincent LOQUES.Vincent, lui, n’était pas de passage ce matin-là. Il était un pilier, presque au sens propre, de la Basilique Notre-Dame et pour une raison simple, il en était le sacristain. C’est lui qui ouvrait les portes chaque matin pour les fermer chaque soir. C’est vers lui que les prêtres se tournaient lorsqu’il fallait régler un problème d’intendance. C’est à lui que les fidèles ou les simples visiteurs venaient s’adresser pour obtenir un renseignement ou une explication. Ancien maçon de métier, il n’avait pas son pareil, me suis-je laissé dire, pour « faire la crèche» de la Basilique. A l’approche de Noël, j’imagine ce que va être ressenti par tous ceux qui vont essayer de le remplacer dans cette tâche.

Vincent était connu et apprécié non seulement des paroissiens mais de tout le quartier. Il faisait partie de ces gens, nous en connaissons tous, que l’on aime à croiser sur les chemins du quotidien et avec lesquels on se plait à échanger quelques mots pour le seul plaisir de la discussion.

Je veux rendre aujourd’hui honneur à ce nom, à cet homme et à cette vie.

Le 29 octobre dernier, ici à Nice, un terroriste a volé trois vies au cœur même d’une église. Cette profanation a été « réparée » selon les rites propres à l’Eglise Catholique. Il ne revient évidemment pas à la République d’intervenir dans le domaine du Sacré, mais si je suis ici ce matin c’est aussi pour dire mon soutien à l’église de Nice, à son évêque, Monseigneur André MARCEAU, aux prêtres de la Basilique, et à ses fidèles. Dire aussi mon soutien à l’Eglise de France et à tous les catholiques de notre pays.

La construction de la Basilique Notre-Dame de l’Assomption à quelques pas de la gare de Nice ne doit rien au hasard. En effet, ses promoteurs voulaient qu’elle soit là pour accueillir le voyageur et l’étranger.

Simone BARRETO SILVA qui venait de si loin l’avait compris, elle qui s’y arrêtait tous les matins.

Le terroriste qui est venu pour y semer la mort n’a pas uniquement profané un lieu de culte, il a aussi profané cet esprit d’accueil et d’hospitalité dont la ville de Nice a fait un idéal. Le terrorisme s’en prend à ce que nous sommes, à ce qui fait notre identité, à notre liberté, à notre culture et enfin à nos vies.

L’ennemi, nous le connaissons. Non seulement il est identifié mais il a un nom, c’est l’islamisme radical. Une idéologie politique qui défigure la Religion musulmane en détournant ses textes, ses dogmes et ses commandements pour imposer sa domination par l’obscurantisme et la haine.

Un ennemi qui bénéficie de soutiens à l’étranger mais qui, hélas, compte aussi dans ses rangs des citoyens français.

Un ennemi qui recueille la complaisance de certains discours qui s’en font les complices.

Un ennemi que le gouvernement de la République combat sans relâche, en se donnant les moyens nécessaires et en mobilisant au quotidien l’ensemble de ses forces.

Il y a longtemps, à Nice, lorsque sa mère tomba malade, un jeune garçon qui avait fui avec elle la Pologne et les persécutions antisémites, se précipite dans la première église rencontrée sur son chemin.

Cette église n’était autre que la Basilique Notre-Dame de l’Assomption.

Cet enfant, qui venait à peine d’arriver en France, c’est Romain Gary, qui parlait de Nice comme de « sa chère ville presque natale ».

Une France où un petit étranger arrivé dans notre pays à 14 ans, naturalisé à 21 ans, Compagnon de la Libération avant de devenir l’un de nos plus grands écrivains vient cacher naturellement son chagrin dans une église alors même qu’il est d’origine juive et n’est pas catholique. Romain GARY, s’était de son propre aveux, simplement converti à la France.

Je ne vois pas, aujourd’hui, de plus belle image pour dessiner, ici à Nice, le véritable visage de la France.

C’est cette France-là, ouverte, diverse et accueillante que l’islamisme radical cherche à abattre.

La France que nous aimons et que nous ne laisserons pas défigurer par ceux qui, le 29 octobre dernier, ont ensanglanté La Promesse de l’aube…

Je vous remercie.

Jean Castex, le 7 novembre 2020 à Nice.


Source : www.gouvernement.fr
https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20201107-discours-castex-nice.html

 

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5 novembre 2020 4 05 /11 /novembre /2020 17:35

« Pierre Simonet était bien un héros : il avait beau refuser ce titre, il en possédait tous les attributs, le courage, la force morale, le sens du devoir. Le Président de la République salue la vie de cet homme animé du souffle de la liberté qui, par-delà les risques et les frontières, fut toujours guidé par son immense amour de la France. » (Communiqué de l’Élysée, le 5 novembre 2020).



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L’un des trois derniers Compagnons de la Libération Pierre Simonet est né il y a 100 ans, le 27 octobre 1921 à Hanoi où son père polytechnicien avait été mobilisé. Il avait donc 18 ans le 17 juin1940, quand il a refusé l’armistice. Il fut le plus jeune des trois derniers et celui qui est parti en premier, le 5 novembre 2020 à Toulon, peu après son 99e anniversaire. À cause de la deuxième vague du covid-19, aucun hommage solennel n’a pu avoir lieu aux Invalides en son honneur pendant cette période, au contraire de Daniel Cordier le 26 novembre 2020 puis Hubert Germain le 15 octobre 2021.

Juste avant la guerre, Pierre Simonet était revenu d’Indochine et sa famille s’était installée à Bordeaux. Il avait 17 ans au début de la Seconde Guerre mondiale, trop jeune pour être mobilisé, il était en classe de "maths spé" au lycée Montaigne de Bordeaux. Dans un communiqué le 5 novembre 2020, le Président Emmanuel Macron a rappelé l’adolescent : « [Il] poursuivait alors ses études de mathématiques, mais cette année 1939-1940 fut surtout celle de l’éveil à la ferveur patriotique : le jour, il défilait avec ses camarades de classe pour manifester leur soutien aux Alliés ; le soir, il aidait à l’hôpital où affluaient les blessés. Lui qui avait aimé cette patrie de loin [d’Hanoi], qui l’aimait plus encore de près, refusait de la voir tomber aux mains d‘une puissance étrangère. On est parfois sérieux quand on a 17 ans. ».

Coïncidence, Hubert Germain, qui vient de mourir, avait fréquenté le même lycée que Pierre Simonet à Hanoi, puis à Bordeaux, et ils ont eu la même réaction, partir le 24 juin 1940 depuis Saint-Jean-de-Luz vers Londres via Liverpool pour rejoindre De Gaulle. Par la suite, ils ont combattu ensemble au sein des FFL dans les mêmes batailles (en particulier celles de Bir Hakeim et d’El Alamein en 1942 sous le commandement du général Pierre Kœnig).

Pierre Simonet a été opérationnel dès le 29 août 1940, envoyé à Sénégal, puis au Cameroun, puis en Syrie, en Libye, en Égypte, etc. En avril 1944, il a participé à la campagne d’Italie, contribuant à libérer Rome et Sienne, puis au débarquement en Provence et à la campagne d’Alsace. Le 27 décembre 1945, son héroïsme pour la France fut reconnue par De Gaulle qui l’a fait Compagnon de la Libération.

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Responsable des transmissions et de l’observation notamment aérienne (durant toute la guerre, il a fait 250 heures de vol et 137 missions de guerre), Pierre Simonet a été un véritable héros, agissant toujours avec courage et bravoure. Dans le même communiqué d’hommage du 5 novembre 2020, Emmanuel Macron a raconté sa périlleuse journée du 16 mars 1942 : « Alors qu’une dizaine de chars allemands approchait à pleine vitesse et que le capitaine avait donné l’ordre de décrocher, il débrancha les fils, attrapa son central téléphonique et, lesté de cinq kilos de matériel, se mit à courir vers son véhicule. À découvert sous les tirs des mitrailleuses allemandes, il put rejoindre la colonne et rentrer indemne au camp. À 21 ans, il avait déjà connu la soif, frôlé la mort, vécu l’enfer des combats, et reçu ses deux premières citations. ». En tout, il en a eu sept, de citations.

Après la guerre, comme Daniel Cordier, Pierre Simonet n’a pas amorcé une carrière politique. Au contraire, il a continué ses études au sein de l’École nationale de la France d‘Outre-mer et de 1948 à 1985, il a eu une carrière de haut fonctionnaire. Comme administrateur de la France d’Outre-mer, il a travaillé un peu partout dans le monde, notamment pour des organisations internationales comme la FAO, l’ONU, l’OCDE et le FMI. Il s’est installé à Toulon pour sa retraite.

Peu avant de mourir, Pierre Simonet a reçu le 20 janvier 2020 les insignes de Grand-croix de la Légion d’honneur, et le 7 juillet 2020, les insignes de l’ordre de l’Empire britannique, une manière qu’a eue le Premier Ministre britannique Boris Johnson de rendre hommage aux résistants français à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de l’appel du 18 juin 1940, en honorant les quatre derniers survivants des Compagnons de la Libération (le quatrième était Edgard Tupët-Thorné, parti quelques semaines avant Pierre Simonet, le 9 septembre 2020).

Parti en pleine vague épidémique, Pierre Simonet a été enterré discrètement le 13 novembre 2020 dans le cimetière d’un petit village de la Drôme où l’attendaient sous terre sa femme et un de ses cinq enfants.

Lorsque le Président Emmanuel Macron a rendu un hommage national au dernier Compagnon de la Libération Hubert Germain, le 15 octobre 2021 aux Invalides, il parlait aussi pour tous ses compagnons d’arme, tous ces résistants qui ont risqué leur vie pour que je puisse aujourd’hui m’exprimer librement et durablement. En particulier : « Avec les 1 037 Compagnons de la Libération qui, voilà 80 ans, ont relevé la France de l’abîme, il forma un ordre fraternel, une phalange de l’idéal. À l’aube comme au crépuscule, il fut le dernier à rendre les armes. Résistant de la première heure et ultime héros de ce cercle de combattant désormais disparu. ».

Conformément à la promesse ultime, Hubert Germain, le dernier des Compagnons de la Libération, sera inhumé le jeudi 11 novembre 2021 au Mont-Valérien, représentant Pierre Simonet et tant d’autres dans la Résistance : « Dernier chancelier d’honneur de l’Ordre de la Libération, [Hubert Germain] en a attisé les braises ardentes jusqu’à son dernier souffle. Elles ne s’éteindront pas avec lui. Hubert Germain reposera dans la crypte du Mont-Valérien, scellant ainsi l’histoire des 1 038 compagnons. Nous avons des convictions philosophiques, politiques et religieuses différentes, voire opposées, mais nous avons su nous rassembler pour la cause sacrée de la liberté de notre patrie. Tels étaient ses mots. Alors, oui, l’Ordre de la Libération lui survivra, indépendant et fidèle à son histoire. J’en fais ici le serment. » (Emmanuel Macron, le 15 octobre 2021).

Ne les oublions jamais et ne brisons pas leur rêve, ils sont nos exemples !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 octobre 2021)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Pierre Simonet.
Hommage national rendu à Hubert Germain le 15 octobre 2021 aux Invalides (texte intégral et vidéo).
Hubert Germain.
De Gaulle.
Daniel Cordier.
La France, 50 ans après De Gaulle : 5 idées fausses.
Edgard Tupët-Thomé.
Seconde Guerre mondiale.
Le courage exceptionnel de deux centenaires.
Libération de Paris.
18 juin 1940 : De Gaulle et l’esprit de Résistance.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201105-pierre-simonet.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/11/06/38634471.html





 

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29 octobre 2020 4 29 /10 /octobre /2020 17:57

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Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20211029-attentat-basilique-nice-2020.html







Déclaration du Président Emmanuel Macron le 29 octobre 2020 à Nice sur l'attentat


Mesdames, messieurs,

Une fois encore, notre pays a été frappé par une attaque terroriste islamiste.

Une fois encore ce matin, ce sont trois de nos compatriotes qui sont tombés à Nice, en cette basilique Notre Dame de Nice et très clairement, c'est la France qui est attaquée. Au même moment, nous avions un site consulaire français qui était attaqué en Arabie saoudite, à Djeddah, au même moment, des interpellations sur notre territoire se faisaient.

Je veux ici dire d'abord et avant tout le soutien de la Nation toute entière aux catholiques de France et d’ailleurs. Après l'assassinat du père HAMEL à l'été 2016, c’est une nouvelle fois les catholiques qui sont attaqués dans notre pays, menacés avant les fêtes de la Toussaint. La Nation toute entière se tient à leurs côtés et se tiendra pour que la religion puisse continuer de s'exercer librement dans notre pays, car notre pays sait cela. Ce sont nos valeurs, que chacun puisse croire ou ne pas croire, mais que chaque religion puisse s'exercer. Aujourd'hui, la Nation toute entière se tient aux côtés de nos concitoyens catholiques.

Le deuxième message que j'ai est pour la ville de Nice, Monsieur le Maire, pour les Niçoises et les Niçois, si durement éprouvés par la folie terroriste et ce terrorisme islamiste. C'est la troisième fois que le terrorisme frappe votre ville, vos habitants. Je sais le choc que votre ville ressent, avec elle tout le pays, et, je crois, le monde entier qui nous regarde. Là aussi, je vous dis le soutien, la solidarité de toute la Nation. Si nous sommes attaqués, une fois encore, c’est pour les valeurs qui sont les nôtres, pour notre goût de la liberté, pour cette possibilité sur notre sol de croire librement et de ne céder à aucun esprit de terreur.

Je le dis avec beaucoup de clarté une fois encore aujourd'hui : nous n'y cèderons rien. Ce matin, nous avons décidé d'augmenter la posture de vigilance partout en France pour nous adapter à la menace terroriste. J'ai décidé que nos militaires seront, dans les prochaines heures, davantage mobilisés, et nous passerons la mobilisation dans le cadre de l'opération Sentinelle de 3 000 à 7 000 militaires sur notre sol. Nous nous mettrons ainsi en situation de protéger tous les lieux de culte, en particulier bien évidemment les églises, pour que la Toussaint puisse se dérouler dans les conditions qui sont dues. Nous protègerons aussi nos écoles pour la rentrée qui vient. Demain se tiendra un Conseil de défense, où nous acterons de nouvelles mesures dans la continuité de ce que nous faisons depuis plusieurs mois, dans la continuité de ce que j'avais annoncé lors du discours des Mureaux et de ce que nous avons ensuite mis en œuvre de manière permanente. Je veux saluer la mobilisation de tout le Gouvernement, et tout particulièrement du ministre de l'Intérieur et du garde des Sceaux qui m'accompagnent. Le procureur RICARD aura dans les prochaines heures à donner tous les détails sur les faits de ce matin, à la fois sur le déroulé des événements, sur l'auteur. Il ne m'appartient pas ici de les commenter, simplement de dire notre détermination absolue et que des actes continueront de suivre pour protéger tous nos concitoyens, pour répliquer. C'est donc un message de fermeté absolue que je veux passer aujourd'hui.

Enfin c'est également un message d'unité. En France, il n'y a qu'une communauté, c'est la communauté nationale. Je veux dire à tous nos concitoyens, quelle que soit leur religion, qu'ils croient d'ailleurs ou qu'ils ne croient pas, que nous devons dans ces moments nous unir et ne rien céder à l'esprit de division. Je sais que tous nos concitoyens sont aujourd'hui profondément choqués, bouleversés de ce qui vient une fois encore de se passer. J'appelle à l’unité de tous. Voilà le message que j'étais venu passer aujourd'hui à Nice et je sais combien la ville, le département sont éprouvés. J'étais à vos côtés il y a quelques semaines à peine à la suite des inondations.

Soutien de la Nation à Nice, aux catholiques de France, fermeté et unité, telle est la ligne que nous devons suivre aujourd'hui et que nous continuerons de suivre demain.

Je vous remercie.

Emmanuel Macron, le 29 octobre 2020 à Nice.


Source : www.elysee.fr
https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20201029-discours-macron-nice.html


 

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23 octobre 2020 5 23 /10 /octobre /2020 03:59

« Il y a tellement de souffrance, de déception et d’oppression que l’on peut supporter… La frontière entre raison et folie se rétrécit. » (Rosa Parks).


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Comme l’a décrite France Culture : « symbole de la féminité noire vertueuse et silencieuse ». Dans la ville de Détroit, dans le Michigan, il y a quinze ans, le 24 octobre 2005, s'est éteinte une dame exceptionnelle, Rosa Parks, à l’âge de 92 ans (née le 4 février 1913 dans l’Alabama). À sa mort, cette citoyenne américaine a eu droit à un honneur très rare aux États-Unis, tellement rare qu’elle fut la première femme à l’avoir reçu : sa dépouille fut exposée au centre de la Rotonde du Capitole à Washington pendant deux jours sur décision du Président George W. Bush (fils de son père)  qui a fait une allocution télévisée pour lui rendre hommage. Elle était l’égale d’un Ronald Reagan dans la mémoire collective américaine. Des centaines de milliers d’Américains sont venus lui rendre hommage du 31 octobre 2005 au 2 novembre 2005, jour des funérailles à Détroit auxquelles a participé la chanteuse Aretha Franklin.

Car Rosa Parks, en 2005, était déjà dans les livres de l’histoire américaine depuis longtemps. Elle fut surnommée la mère du mouvement des droits civiques, autrement dit, celle qui, par un geste fondateur, a fait évoluer la société américaine en supprimant la ségrégation basée sur la couleur de la peau. Critère assez futile s’il en est.

En effet, il y a près de soixante-cinq ans, le 1er décembre 1955, à Montgomery (la capitale de l’Alabama), Rosa Parks a refusé de céder sa place à un passager de couleur de peau blanche dans un autobus. Elle fut arrêtée par la police et sommée de payer une amende : « Au moment où je suis arrêtée, je n’ai aucune idée de comment vont tourner les choses. C’était un jour comme un autre, ce qui l’a rendu important, c’est le fait que de nombreuses personnes se sont jointes à moi. ».

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Elle refusa de payer et au bout de quelques jours, un grand mouvement s’est développé, autour d’elle et d’un jeune pasteur, sociologue, Martin Luther King, qui a consisté en un boycott de la compagnie de bus et a abouti à la décision de la Cour Suprême des États-Unis du 13 novembre 1956 abrogeant les lois ségrégationnistes dans les bus, considérées comme anticonstitutionnelles. Le 20 décembre 1956, la Cour Suprême obligea l’Alabama à supprimer la ségrégation dans les bus (le boycott des bus s’est alors arrêté le lendemain). Cela a abouti aussi à la signature, le 6 août 1965 par le Président Lyndon Johnson, du Voting Rights Act qui a renforcé le 15e amendement de la Constitution des États-Unis en interdisant les discriminations raciales lors des élections.

Le code urbain de Montgomery de 1905, modifié en 1938 et encore en vigueur en 1955, disait très explicitement (cité par France Culture le 6 septembre 2020) : « Toute personne opérant sur une ligne de bus dans la ville devra fournir des services égaux mais séparés aux personnes blanches et aux Nègres sur les bus, en exigeant des employés en charge de ces services d’attribuer les sièges de passagers sur leur véhicule de manière à séparer les personnes blanches des Nègres, quand il y a simultanément des Blancs et des Nègres dans la même voiture. ».

Cette idée de boycott avait germé dans la communauté baptiste et méthodiste noire dès les années 1940 car beaucoup de femmes de couleur de peau noire devaient prendre le bus pour aller au travail. Avant Rosa Parks, deux femmes s’étaient déjà distinguées. Le 2 mars 1955, Claudette Colvin, une adolescente de 15 ans, a refusé de céder sa place dans le bus et s’est même débattue lorsque des policiers sont venues la chercher, mais elle était enceinte et donc "peu présentable" comme égérie des droits civiques.

Le 21 octobre 1955, Mary Louise Smith, une jeune femme de 18 ans, fut elle aussi arrêtée pour la même raison, mais là encore, sa "respectabilité" n’était pas établie (certains journalistes ont évoqué, trente ans plus tard, des rumeurs sur l’alcoolisme de son père, démenties par Mary Louise Smith).

Au contraire de Rosa Parks qui, en décembre 1955, avait déjà 42 ans, couturière, femme mariée, éduquée et femme militante. Caroline Diamond, professeure d’histoire des États-Unis à l’Université Paris-Nanterre et qui dirige actuellement deux thèses sur les femmes afro-américaines, a expliqué : « Sa profession de couturière la rangeait du côté de la classe ouvrière ou de la petite classe moyenne, sa foi notoire, son comportement moral et son hygiène de vie exemplaires faisaient d’elle quelqu’un derrière qui la bourgeoisie noire et les pasteurs de la ville pouvaient aisément se mobiliser. ». Ainsi, inattaquable dans sa vie personnelle, Rosa Parks est devenue le symbole des luttes pour les droits civiques avec Martin Luther King, 26 ans : « Il arrive un moment, mes amis, où les gens en ont marre d’être plongés dans l’abysse de l’humiliation où ils connaissent la désolation d’un désespoir lancinant. ».

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Dans son autobiographie, Rosa Parks a rapporté plus tard : « Les gens racontent que j’ai refusé de céder mon siège parce que j’étais fatiguée, mais ce n’est pas vrai. Je n’étais pas fatiguée physiquement, ou pas plus que d’habitude à la fin d’une journée de travail. Je n’étais pas vieille, alors que certains donnent de moi l’image d’une vieille. J’avais 42 ans. Non, la seule fatigue que j’avais était celle de céder. » (1958).

Au-delà de cet épisode courageux du bus (on a dit souvent qu’elle est restée debout dans sa dignité en restant assise dans le bus), Rosa Parks n’a pas cessé de militer en faveur des droits civiques et de l’égalité des citoyens américains. Elle a été régulièrement honorée de son vivant, notamment par le Président Bill Clinton, et fait désormais partie du mythe américain. À sa mort, le pasteur Jesse Jackson, ancien candidat à l’élection présidentielle, a déclaré le 25 octobre 2005 : « Elle s’est assise pour que nous puissions nous lever. Paradoxalement, son emprisonnement a ouvert les portes de notre longue marche vers la liberté. ». Le bus où elle avait refusé de céder la place est devenu une pièce de musée et à la mort de Rosa Parks, toujours la même formule : « La société de bus RTA rend hommage à la femme qui s’est tenue debout en restant assise. ».

Jeanne Theoharis, professeure émérite de sciences politiques à l’Université de Brooklyn et l’une des biographes de Rosa Parks, a insisté pour ne pas la réduire à l’épisode du bus : « Nous lui rendons hommage, mais nous ne rendons pas justice à la portée politique de son combat. C’est la construction d’une fable, celle de l’autocongratulation. Cette femme qui a été humiliée en 1955, regardez ! Elle a sa statue au Capitole. C’est la seule personne de la société civile en 2013, c’est un immense honneur ! Mais c’est en dépit de ce en quoi Rosa Parks croyait, elle raconte juste la fabrique du récit progressiste américain. » (citée par France Culture).

Quatre États américains ont institué un Rosa Parks Day (Journée Rosa Parks) pour lui rendre hommage, la Californie le 4 février (pour son anniversaire), l’Alabama, l’Oregon et l’Ohio le 1er décembre (pour son geste et son arrestation de 1955). Quant à Claudette Colvin et Mary Louise Smith, octogénaires, elles sont toujours vivantes et vivent retraitées aux États-Unis.

Laissons à Rosa Parks les deux mots de la fin : « Jusqu’à présent, je crois que nous sommes sur la planète Terre pour vivre, nous épanouir et faire notre possible pour rendre ce monde meilleur afin que tout le monde puisse jouir de la liberté. ». Et celui-ci, à méditer : « Chaque personne doit vivre sa vie comme un modèle pour les autres. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 octobre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Site sur Rosa Parks.
Rosa Parks.
Comment salir Danièle Obono ?
Ils sont tombés par terre, c’est la faute à Colbert !
Mort d’Adama Traoré : le communautarisme identitaire est un racisme.
La guerre contre le séparatisme islamiste engagée par Emmanuel Macron.
Deux faces des États-Unis : George Floyd et SpaceX.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201024-rosa-parks.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/rosa-parks-la-madone-de-montgomery-228014

https://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/10/21/38602034.html






 

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22 octobre 2020 4 22 /10 /octobre /2020 03:35

« Samuel Paty fut tué parce que les islamistes veulent notre futur et qu’ils savent qu’avec des héros tranquilles tels que lui, ils ne l’auront jamais. Eux séparent les fidèles des mécréants. Samuel Paty ne connaissait que des citoyens. Eux se repaissent de l’ignorance. Lui croyait dans le savoir. Eux cultivent la haine de l’autre. Lui voulait sans cesse en voir le visage, découvrir l’altérité. Samuel Paty fut la victime de la conspiration funeste de la bêtise, du mensonge, de l’amalgame, de la haine de l’autre, de la haine de ce que profondément, existentiellement, nous sommes. » (Emmanuel Macron, le 21 octobre 2020 à Paris).



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La République française a rendu un hommage national ce mercredi 21 octobre 2020 à la Sorbonne, cœur des Lumières, à l’un de ses hussards, Samuel Paty, tombé sur le champ d’honneur de l’enseignement de ses valeurs. Si une cérémonie ne remplacera jamais la vie, il était important pour les proches qu’il fût honoré comme il se devait. Devenu à titre posthume (ce qui, je le répète, ne lui rendra jamais la vie) commandeur des palmes académiques et chevalier de la légion d’honneur, Samuel Paty était de ces profs qui vous marquaient à vie dans une scolarité.

Regardez la vôtre, combien de profs sont restés, ont été essentiels dans votre développement, dans votre maturité, dans votre cheminement intellectuel et moral ? Il a marqué de son vivant des générations d’élèves parce qu’il voulait leur enseigner quelques valeurs essentielles du vivre ensemble.

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C’est la raison de cette lecture de la lettre très émue du grand écrivain à son instituteur, lorsqu’il a reçu son Prix Nobel de Littérature. L’alpha et l’oméga. L’origine du monde, ou plutôt, l’origine de son monde, l’origine de ce qu’il a été et de ce qu’il est devenu. Albert Camus avait de la reconnaissance pour cet enseignant et je suis sûr que chacun, aussi loin que cela puisse paraître pour certains, a en tête un ou deux noms, peut-être même plus, d’enseignant qui était indispensable, qui a fait faire des connexions, qui a rendu intelligible une partie du monde si compliqué auquel on se préparait. Un peu comme dans Le Cercle des Poètes disparus. Ou cette institutrice

En disant : « Samuel Paty est devenu vendredi le visage de la République. », le Président de la République Emmanuel Macron a voulu, dans un discours assez sobre, saluer une personnalité hors du commun et pourtant si ordinaire, car tous ces enseignants qui se dévouent, cœur et âme, qui sont les vecteurs de cette transmission fondamentale de génération en génération de ce qu’est notre Nation, ils sont nombreux, nombreux, ces héros humbles et inconnus à, chaque jour, tenter de "faire des républicains".

Emmanuel Macron a toujours réfléchi à voix haute. Parce qu’il a été longtemps novice en politique, il a souvent appris sur le tas. Mais il apprend vite. Ce soir, il a reconnu qu’une prise de conscience s’était faite dans son esprit : « Vendredi soir, j’ai d’abord cru à la folie aléatoire, à l’arbitraire absurde : une victime de plus du terrorisme gratuit. ». Mais cela fait plus de huit ans et demi que ce terrorisme-là est loin d’être aveugle :il n’y a pas de hiérarchie dans l’horreur, mais que dire des cibles de cet islamisme radical qui en veut à nos valeurs ? Enfants juifs, militaires musulmans, policiers, dessinateurs satiriques, glandeurs qui se prélassent sur la terrasse d’un café, spectateurs d’un concert, touristes sur le bord de mer, prêtre catholique, etc. et maintenant enseignant d’éducation civique. La liste est longue. Il n’y a rien d’aléatoire.

En fait, cela fait plus de trente et un ans que l’islamisme radical souhaite conquérir nos campagnes, nos esprits, nos institutions. Chaque fois, il a eu quelques petites victoires, quelques petites avancées, au nom de la tolérance, au nom du respect des religions, au nom de la neutralité des pouvoirs publics. Des failles dans le système démocratique. L’histoire du voile à l’école a mis quinze ans à être résolu, par une simple loi, une loi simple, mais quinze ans où le débat public était intense, passionné, parfois haineux. Chaque fois un détail, mais quand on accumule tous les détails, cela fait un mode de vie, un mode de vie différent du nôtre, de celui de la France.

Cette prise de conscience présidentielle est prometteuse. En tout cas salutaire. Les intentions sont maintenant les suivantes : « notre volonté de briser les terroristes, de réduire les islamistes, de vivre comme une communauté de citoyens libres dans notre pays », et aussi : « notre détermination à comprendre, à apprendre, à continuer d’enseigner, à être libres ».

Le programme n’est pas seulement guerrier, il est intellectuel, n’hésitant pas à évoquer les polémiques concernant la pandémie du covid-19 : « Nous aimerons de toutes nos forces le débat, les arguments raisonnables, les persuasions aimables. Nous aimerons la science et ses controverses. ». Il a poursuivi : « Comme vous, nous cultiverons la tolérance. Comme vous, nous chercherons à comprendre, sans relâche, et à comprendre encore davantage ceux-là qu’on voudrait éloigner de nous. Nous apprendrons l’humour, la distance. Nous rappellerons que nos libertés ne tiennent que par la fin de la haine et de la violence, par le respect de l’autre. ».

Les phrases font penser un peu aux "Nourritures terrestres" d’André Gide. Nul doute qu’Emmanuel Macron a été très touché par l’assassinat de Samuel Paty car il sait bien ce qu’est un enseignant. En ponctuant ses phrases par « Nous continuerons, professeur ! », il a affirmé haut et fort que la France ne se coucherait pas devant les islamistes politiques.

Le tout est de ne pas réagir en faisant des gesticulations mais en s’attaquant au vrai problème, au bon endroit : ni démagogie ni affichage, il faut de l’efficacité et l’on ne pourra le juger que sur le temps.

Il y a peut-être une spécificité propre à cet attentat dégueulasse : c’est que l’enquête saura certainement déterminer toutes les circonstances, tous les liens de cause à effet, tous les maillons qui, d’un incident particulièrement banal, une fronde injustifiée de parents d’élève de mauvaise foi, on a pu en arriver à cet assassinat insupportable. Avec toutes les chaînes de responsabilité plus ou moins volontaire. Avec les réseaux sociaux, c’est même assez facile de retracer les choses heure par heure, minute par minute, de retrouver l’origine des contacts, des rencontres, des besoins.

De ce parent d’élève vindicatif, absolument odieux, qui a traité Samuel Paty de "voyou" et qu’il voulait faire radier de la fonction publique, quel est son sentiment aujourd’hui ? Est-il heureux de l’assassinat ? l’assume-t-il même ? ou au contraire, est-il effondré, parce qu’il n’imaginait pas jusqu’où cela irait ? Je n’ai pas la réponse, peut-être qu’elle a déjà été donnée, peut-être qu’on ne la connaîtra jamais dans son écrin de pureté de sincérité.

Peut-être que des personnes proches de l’islamisme radical, mais incapables d’aller jusqu’au passage à l’acte, refusant d’aller au passage à l’acte, vont-elles comprendre que leurs mots, leurs paroles, ont un effet, du moins pour une infime partie de la population, mais il suffit d’une seule personne pour commettre l’irrémédiable, l’irréparable ? Peut-être vont-elles, elles aussi, pas seulement ceux qui les craignent, mais elles aussi, peut-être vont-elles s’autocensurer pour ne pas se rendre complices du terrorisme le plus abject ? Par précaution juridique sinon morale ?

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"Faire des républicains", Emmanuel Macron a eu raison d’insister sur finalement l’objectif pédagogique général de Samuel Paty qui est la mission de l’Éducation nationale. Construire des citoyens libres et autonomes, capables de penser par eux-mêmes, prêts à refuser toute autorité lorsque celle-ci s’érige en violence, haine, terrorisme. Emmanuel Macron a opportunément cité Ferdinand Buisson : « Pour faire un républicain, il faut prendre l’être humain, si petit et si humble qu’il soit (…), et lui donner l’idée qu’il faut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi, ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite d’un maître, d’un directeur, d’un chef, quel qu’il soit. ».

Dans tous les cas, cet hommage national, c’est aussi le meilleur hommage fait par un Président de la République au corps enseignant, à l’ensemble des professeurs, un hommage à leur vocation de transmission qu’Albert Camus avait lui-même traduit le 19 novembre 1957 : « Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. (…) Vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. ».

À son tour, la République est reconnaissante de ses héros, Samuel Paty aujourd’hui, comme Arnaud Beltrame hier. Et son cœur continuera toujours à battre et à faire battre leur souvenir dans la mémoire nationale.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 octobre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Samuel Paty : faire des républicains.
Discours du Président Emmanuel Macron le 21 octobre 2020 à la Sorbonne en hommage à Samuel Paty (texte intégral et vidéo).
Samuel Paty : les enseignants sont nos héros.
Déclaration du Président Emmanuel Macron le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine sur l’assassinat de Samuel Paty (texte intégral et vidéo).
Discours du Président Emmanuel Macron le 2 octobre 2020 aux Mureaux sur le séparatisme (texte intégral et vidéo).
Polémiques indécentes sur la libération de Sophie Pétronin.
10 ans après la loi anti-burqa, la loi masque-obligatoire.
Charlie Hebdo : mortelle indifférence.
Charlie Hebdo en 2015.
Islamo-gauchisme : le voile à l’Assemblée, pour ou contre ?
5 ans de Soumission.
Mosquée de Bayonne : non assistance à peuple en danger ?
La société de vigilance.
N’oublions pas le sacrifice du colonel Arnaud Beltrame !
Strasbourg : la France, du jaune au noir.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201021-samuel-paty.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/samuel-paty-faire-des-republicains-227989

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