Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 janvier 2024 3 10 /01 /janvier /2024 04:56

« La culture est un élément stratégique du développement de la France. Il ne s’agit pas de la marchandisation de la culture, il s’agit de comprendre que dans cet écrin extraordinaire, dans ce geste architectural extraordinaire, on va pouvoir à partir d’ici organiser la renaissance de Metz et la renaissance de la Lorraine. » (Nicolas Sarkozy, le 11 mai 2010 à Metz).




_yartiRauschJeanMarie01

L'ancien sénateur-maire de Metz Jean-Marie Rausch est mort le vendredi 5 janvier 2024 à l'âge de 94 ans (il est le 24 septembre 1929). Ses obsèques sont prévues le mercredi 10 janvier 2024 en la cathédrale de Metz. Avec Jean-Marie Rausch est disparu un mastodonte de la politique française, ou plutôt, de la politique lorraine plus que nationale. Sa principale marque aura été d'avoir dirigé le destin de la ville de Metz pendant près de quatre décennies, ce qui va devenir de plus en plus rare, et de l'avoir dirigé avec une vision, celle de faire de Metz une ville du futur alors qu'elle était perçue comme une ville du passé.

À l'origine, Jean-Marie Rausch était un chef d'entreprise, l'entreprise familiale, il dirigeait le moulin de Woippy qu'il avait repris de son grand-père puis père, après avoir suivi des études de meunier. Cette activité professionnelle l'a amené à prendre de nombreuses responsabilités professionnelles, présidant la chambre syndicale départementale de la meunerie, président de l'Union meunière de la Moselle, président du Centre des jeunes dirigeants d'entreprises de la Moselle, etc.

Son engagement professionnel s'est prolongé dans l'engagement politique. Catholique social et centriste, Jean-Marie Rausch s'est présenté à la mairie de Metz en mars 1971 pour la succession du maire et Ministre des Transports Raymond Mondon mort le 31 décembre 1970. Non seulement il a gagné ces élections de 1971, mais il a été réélu en mars 1977, mars 1983, mars 1989, juin 1995 et mars 2001, ce qui fait qu'il est resté maire de 1971 à 2008, soit trente-sept ans. Il a présidé la structure intercommunale de l'agglomération de Metz (d'abord district puis, en 2002, communauté d'agglomération de Metz Métropole) de 1975 à 1979, de 1984 à 2008.

Jean-Marie Rausch a réussi à transformer en profondeur la ville de Metz, ancienne ville de garnison et ancien ville industrielle, en une ville ouverte sur le monde, où le tertiaire devenait une part importante, avec la création d'écoles d'ingénieurs, en encourageant la compétence informatique et télécom bien avant que ce fût la mode, et en réussissant à faire venir le Centre Pompidou dans un site quasi-archéologique (il a été le président d'honneur du Centre Pompidou de Metz inauguré par Nicolas Sarkozy le 11 mai 2010). En ce sens, il a été une sorte de René Monory du Bassin lorrain, même s'il avait une importance nationale beaucoup plus faible que celui qui est devenu le deuxième personnage de l'État. Entre 1971 et 1983, Jean-Marie Rausch avait intégré dans son équipe municipal le botaniste Jean-Marie Pelt comme adjoint au maire de Metz, qui a notamment sauvegardé et valorisé le centre historique en restaurant plusieurs bâtiments antiques et médiévaux (en particulier le cloître des Récollet et l'église Saint-Pierre-aux-Nonnais) et en créant l'Institut Européen d'Écologie en 1973.

Dans la lancée de la mairie de Metz, Jean-Marie Rausch a eu un appétit électoral très grand, dévorant tout sur son passage : élu conseiller général du canton de Metz-3 de 1970 à 1988, président du conseil général de Moselle de 1979 à 1982, conseiller régional de Lorraine de 1974 à 1992, président du conseil régional de Lorraine de 1982 à 1992, il cumula ces mandats locaux avec une fonction nationale, puisqu'il a été élu sénateur en septembre 1974, réélu en septembre 1983, septembre 1992 et en fonction jusqu'en septembre 2001.


Entre-temps, Jean-Marie Rausch, centriste rocardo-compatible, n'a pas pu résister aux sirènes de l'ouverture mitterrandienne de 1988 : il a accepté d'entrer au gouvernement alors qu'il avait soutenu Raymond Barre à l'élection présidentielle. Il a eu ainsi une belle carrière ministérielle en utilisant ses compétences de dirigeant d'entreprise : il fut nommé Ministre du Commerce extérieur du 28 juin 1988 au 15 mai 1991 dans les gouvernements de Michel Rocard (et du Tourisme entre le 6 et le 17 juillet 1990), Ministre délégué chargé des Postes et Télécommunications du 15 mai 1991 au 2 avril 1992 dans le gouvernement d'Édith Cresson, enfin, Ministre délégué chargé du Commerce et de l'Artisanat du 2 avril 1992 au 2 octobre 1992 dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy.

Il faut noter que la loi sur le cumul des mandats en 1988 imposait de ne garder que deux mandats importants (chef d'exécutif local important, parlementaire, etc.), mais la fonction ministérielle n'était pas comprise dans ces cumuls. Ainsi, entre 1988 et 1992, il aurait dû choisir deux de ses trois mandats : maire de Metz, sénateur de Moselle et président du conseil régional de Lorraine. Devenu ministre, il a dû démissionner du Sénat (Jean-Éric Bousch lui a succédé au Sénat) et a "gardé" Metz et la Lorraine (pour info, Metz était le chef-lieu de l'ancienne région Lorraine, mais Nancy en était la capitale historique, celle des ducs de Lorraine).

La greffe de l'ouverture a cependant pénalisé Jean-Marie Rausch sur le plan régional puisqu'il n'a pas pu se faire réélire, ou plutôt, si, il a été réélu mais avec une forte polémique et, finalement, refusant les indispensables voix des élus FN, il a démissionné le 4 avril 1992, laissant son concurrent meusien, l'ancien ministre Gérard Longuet, lui aussi de l'UDF, lui succéder (en 1988, Jean-Marie Rausch avait été exclu de l'UDF et du CDS, son parti d'origine, pour avoir accepté d'être ministre du gouvernement socialiste). Réélu sénateur de Moselle en septembre 1992, il a quitté le gouvernement pour conserver son mandat de sénateur (ainsi que de maire de Metz), sachant que le PS subirait un désastre électoral aux élections législatives de mars 1993.

En septembre 2001, Jean-Marie Rausch a renoncé à se représenter aux sénatoriales (sous l'étiquette RDSE) et s'est concentré sur la mairie de Metz. Il a probablement fait un combat de trop en sollicitant les électeurs messins pour un septième mandat en mars 2008 à l'âge de 78 ans (il avait placé Jean-Marie Pelt en dernier de liste) : il n'avait pas reçu l'investiture UMP et devait affronter à la fois le candidat du parti socialiste Dominique Gros (représentant la gauche unie), la candidate de l'UMP, la députée Marie-Jo Zimmermann (avec pour numéro deux le député Denis Jacquat, un adjoint sortant), et la candidate du MoDem (qui était auparavant au CDS), la députée européenne Nathalie Griesbeck (ancienne première adjointe chargée des finances et du développement économique). Le résultat du premier tour était très éclaté : Jean-Marie Rausch n'était qu'en deuxième place, avec seulement 24,2%, une gifle pour le vieux maire ; Dominique Gros avait fait le plein des voix avec 34,0%, mais Marie-Jo Zimmermann a eu 16,7% et Nathalie Griesbeck 14,7%, et ces deux listes avec une troisième qui a fait 5,7%, ont fusionné pour faire barrage à la réélection de Jean-Marie Rausch qui, pour le coup, a reçu l'investiture de l'UMP au second tour pour empêcher la victoire de la gauche. Finalement, Dominique Gros l'a emporté avec seulement 48,3%, grâce à la triangulaire ; la liste Rausch a gagné seulement 1 500 voix avec un score très décevant, 27,4% et la liste Zimmermann a presque rejoint le maire sortant avec 24,3%.


Jean-Marie Rausch, élu quand même conseiller municipal de Metz, a démissionné de ce dernier mandat et a pris sa retraite politique (à l'âge de 78 ans, donc). Aux élections municipales de mars 2014, Jean-Marie Rausch a apporté son soutien au maire socialiste sortant Dominique Gros (opposé encore à Marie-Jo Zimmermann), estimant que ce dernier avait bien travaillé au cours de son premier mandat. Dominique Gros a été le seul maire de gauche de Metz depuis la Révolution, et en 2020, le sénateur LR François Grosdidier, qui avait secrètement soutenu Jean-Marie Rausch en 2008, lui a succédé.

_yartiRauschJeanMarie04

Bien plus tard, le 8 juillet 2010, sur son blog, Jean-Marie Rausch a reparlé de l'image très négative de la ville de Metz à son arrivée en 1971 et de l'importance de faire de Metz une ville moderne et culturelle : « Lors de mon élection à la mairie de Metz, je me suis rendu compte de la très mauvaise image de la ville, vue de Paris comme des autres départements français. On disait que c’était une ville "allemande", avec beaucoup de casernes et de militaires, des pollutions d’usines, très sinistrée ; et tout cela avec un climat déplorable ! (…) Après mon élection à la fin du mois de mars 1971, j’ai voulu m’attaquer immédiatement à ce problème d’image. Je suis allé consulter Georges Chetochine qui était un des premiers grands spécialistes de la communication à cette époque. Il est venu plusieurs fois à Metz faire des socioscopies et son verdict était que nous souffrions d’un stéréotype très négatif du fait de notre détachement de la France entre 1871 et 1918, ainsi que de 1940 à 1945. La bourgeoisie messine était partie à Nancy et il n’y avait pas véritablement d’élite à Metz. Mais nous souffrions également de ce que la moitié de la France masculine était passée à Metz pendant la dernière guerre lors d’un des hivers les plus rigoureux du siècle. Quand on parlait de Metz quelque part en France, il se trouvait toujours un ancien combattant pour dire : "c’est vraiment une ville très moche ; j’y étais pendant la guerre". Ajoutez à cela la rénovation urbaine entreprise par mon prédécesseur pour faire face à la très grave crise du logement, avec des chantiers dans de nombreux quartiers. Cela donnait des allures de ville gravement sinistrée. ».


D'où un début de réponse avec les nouvelles technologies : « Georges Chetochine m’a dit à ce moment que l’on ne pouvait pas brutalement changer un tel stéréotype, mais qu’il fallait lui en substituer progressivement un autre. C’est ainsi que j’ai commencé à arrêter toute la politique de rénovation urbaine entreprise et à lui substituer une politique de restauration urbaine afin de sauver tout ce que je pouvais du Vieux Metz. Cela a pu se faire progressivement. À cette époque, au début de la décennie, on commençait à parler de la crise de la sidérurgie et l’on craignait celle du charbon. Je me suis rendu compte que nous allions vers la fin de la Société Industrielle et je m’interrogeais sur la forme de société qui allait suivre. Vers les années 1974-1975, j’ai pensé que ce serait une société basée sur les technologies nouvelles et surtout celles de la communication. Nous vivions le développement rapide du téléphone, grâce à Gérard Théry, l’arrivée de la télévision en couleur et l’utilisation de plus en plus importante, même dans les petites entreprises, de l’informatique. Élu sénateur en 1974, j’ai cherché à me spécialiser et j’ai choisi ce domaine. Je suis devenu président de la commission Télématique et Informatique du Sénat ainsi que rapporteur du budget "Postes et Télécommunication" de la commission des affaires économiques. J’ai pu créer ainsi un Technopôle et attirer une antenne de l’Université américaine Georgia Tech d’Atlanta à Metz. J’ai apuré progressivement le budget de la ville, remboursé les dettes et je n’ai plus augmenté les impôts locaux depuis 1982. Mais je me suis rapidement rendu compte que l’amélioration de l’urbanisme et le redressement des finances ne suffisait pas pour changer de manière significative l’image et le stéréotype. Il fallait aussi que Metz améliore son image culturelle. ».

Une réponse également culturelle : « Lorsque le Président Valéry Giscard d’Estaing a supprimé l’ORTF et les orchestres régionaux qui en dépendaient, j’ai repris l’Orchestre d’Alsace à Metz. Très rapidement j’ai senti la nécessité d’une salle de concert que la ville ne possédait pas (elle avait par contre un très beau théâtre municipal) : j’ai fait construire une superbe salle de concert dans un ancien arsenal militaire par l’architecte catalan Riccardo Bofill. Cela a amélioré la situation sans pour autant suffire. J’avais bien, entre-temps, modernisé le musée de Metz avec l’aide de Robert de Margerie qui était directeur des musées avant de devenir ambassadeur de France. Je souhaitais aller plus loin dans cette voie et posséder un musée d’Art Moderne. Après la mort de Bernard Buffet, j’ai approché son légataire testamentaire pour obtenir en dépôt une centaine de toiles de ce peintre et j’avais proposé de construire un musée à son nom. Mais cette initiative a échoué. ».

Et enfin, la genèse du Centre Pompidou de Metz : « Jean-Jacques Aillagon était, à la fin des années 1990, président du Centre Pompidou de Paris. madame Catherine Trautmann, Ministre de la Culture, l’avait également nommé président d’un comité chargé de l’élaboration des Festivités pour le passage à l’an 2000. Il avait proposé à un certain nombre de villes, dont Metz (son lieu de naissance), de participer à ce comité et à ces festivités. J’avais délégué pour cela mon adjointe, madame Christine Raffin. Mais, lors du remplacement de madame Trautmann par Catherine Tasca, les crédits pour cette opération ont été diminués et Jean-Jacques Aillagon a dû se résoudre à éliminer certaines opérations prévues. Metz était du nombre et quand il l’a annoncé à Christine Raffin, il lui a confié qu’il cherchait aussi à créer une antenne du Centre Pompidou en province, mais qu’il fallait que l’investissement soit pris en charge par une collectivité locale. Il avait contacté en vain Lille, Caen, Montpellier et Nancy, mais les maires concernés avaient tous refusé, essentiellement pour des questions financières. Madame Raffin lui a alors suggéré de venir me voir et, sur sa demande, je les ai tous les deux invités à déjeuner à Metz. Puis cela s’est passé très vite : Jean-Jacques Aillagon m’a expliqué son projet. Je lui ai demandé à combien il estimait le coût d’une telle opération. Il m’a dit : "25 millions d’€". J’ai répondu qu’il fallait au moins doubler ce chiffre. "Alors vous renoncez ?" m’a-t-il demandé. Ma réponse : "Non, je prends, sous la condition de l’accord de mon conseil municipal que je me charge de convaincre". C’est ce qui est arrivé. Mon conseil municipal a adopté le projet à l’unanimité (y compris mon opposition, dont Dominique Gros qui m’a succédé en 2008). La communauté d’agglomération dont j’étais le président a également suivi à l’unanimité. Le conseil régional et le conseil général ont promis de participer à hauteur de 10 millions d’€ chacun. L’opération a pris un peu de temps. Jean-Jacques Aillagon est devenu Ministre de la Culture et certaines villes, comme Nancy, ont alors essayé de faire échouer le projet. En 2002 nous avons conclu. En 2003 un jury que j’ai présidé a retenu parmi plus de 150 projets, celui du Japonais Shigeru Ban associé au Français Jean de Gastines. Les prévisions étaient de 37,5 millions d’€ pour le bâtiment et d’environ 15 millions pour les finitions internes et externes. Très vite, j’ai annoncé que j’estimais le tout à 65 millions d’€, chiffre très proche de la réalité. Le Centre Pompidou de Paris a bien joué son rôle en accueillant l’équipe d’architectes et en nous proposant l’un de ses meilleurs jeunes conservateurs, Laurent Le Bon. L’inauguration par le Président de la République a eu lieu le 11 mai dernier. » (jmr.typad.com).


_yartiGrossmannRobert01

Le jour de l'annonce de la disparition de Jean-Marie Rausch était rendue public la disparition d'un autre grand élu historique du Grand-Est, alsacien et pas lorrain, gaulliste et pas centriste. Robert Grossmann est effectivement mort le 24 décembre 2023 à l'âge de 83 ans (né le 14 octobre 1940). Robert Grossmann a fondé le 13 mai 1965 l'Union des jeunes pour le progrès (UJP), la formation des jeunes gaullistes à l'époque de De Gaulle (considérée comme gaulliste de gauche, « un mélange de christianisme social et de pragmatisme », selon Gérard Larcher, ancien membre de l'UJP), qu'il a présidée de 1965 à 1966 et 1967 à 1972 (et présidée notamment par Jean-Louis Bourlanges en 1967, Georges Tron de 1986 à 1989, Philippe Juvin de 1989 à 1995, Christophe Beaudouin de 1995 à 1997, et Olivier Marleix de 1997 à 2000).

Si Robert Grossmann n'a jamais été maire de Strasbourg ni parlementaire, il a pourtant beaucoup compté en Alsace où il a été élu conseiller municipal de Strasbourg pendant près de cinquante ans, de 1965 à 2014 sans discontinuer, et son mandat de "gloire" fut entre 2001 et 2008 grâce à une alliance avec la centriste Fabienne Keller qui fut élue maire de Strasbourg tandis que lui fut élu premier adjoint au maire ("maire délégué") de Strasbourg ainsi que président de la communauté urbaine de Strasbourg de 2001 à 2008. Ce tandem a cependant échoué pour se faire réélire en 2008 (régulièrement considérée comme ministrable, Fabienne Keller est devenue sénatrice UMP/LR en 2004, puis députée européenne Renaissance en 2019). Robert Grossmann fut également élu conseiller général du Bas-Rhin de 1967 à 1979 et de 1982 à 2001 (vice-président du conseil général de 1994 à 2001) et conseiller régional d'Alsace de 1992 à 2004 (vice-président du conseil régional de 1998 à 2004).


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (05 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Robert Grossmann.
Jean-Marie Pelt.
Jean-Marie Rausch.
René Monory.

René Pleven.
François Bayrou.
Simone Veil.
Bruno Millienne.
Jean-Louis Bourlanges.
Jean Faure.
Joseph Fontanet.
Marc Sangnier.
Bernard Stasi.
Jean-Louis Borloo.
Sylvie Goulard.
André Rossinot.
Laurent Hénart.
Hervé Morin.
Olivier Stirn.
Marielle de Sarnez.

_yartiRauschJeanMarie05





https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240105-jean-marie-rausch.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/jean-marie-rausch-le-duc-de-metz-252386

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2024/01/05/40165023.html




 

Partager cet article
Repost0
24 décembre 2023 7 24 /12 /décembre /2023 20:07

« La culture est un élément stratégique du développement de la France. Il ne s’agit pas de la marchandisation de la culture, il s’agit de comprendre que dans cet écrin extraordinaire, dans ce geste architectural extraordinaire, on va pouvoir à partir d’ici organiser la renaissance de Metz et la renaissance de la Lorraine. » (Nicolas Sarkozy, le 11 mai 2010 à Metz).




_yartiGrossmannRobert01

Le jour de l'annonce de la disparition de Jean-Marie Rausch était rendue public la disparition d'un autre grand élu historique du Grand-Est, alsacien et pas lorrain, gaulliste et pas centriste. Robert Grossmann est effectivement mort le 24 décembre 2023 à l'âge de 83 ans (né le 14 octobre 1940). Robert Grossmann a fondé le 13 mai 1965 l'Union des jeunes pour le progrès (UJP), la formation des jeunes gaullistes à l'époque de De Gaulle (considérée comme gaulliste de gauche, « un mélange de christianisme social et de pragmatisme », selon Gérard Larcher, ancien membre de l'UJP), qu'il a présidée de 1965 à 1966 et 1967 à 1972 (et présidée notamment par Jean-Louis Bourlanges en 1967, Georges Tron de 1986 à 1989, Philippe Juvin de 1989 à 1995, Christophe Beaudouin de 1995 à 1997, et Olivier Marleix de 1997 à 2000).

Si Robert Grossmann n'a jamais été maire de Strasbourg ni parlementaire, il a pourtant beaucoup compté en Alsace où il a été élu conseiller municipal de Strasbourg pendant près de cinquante ans, de 1965 à 2014 sans discontinuer, et son mandat de "gloire" fut entre 2001 et 2008 grâce à une alliance avec la centriste Fabienne Keller qui fut élue maire de Strasbourg tandis que lui fut élu premier adjoint au maire ("maire délégué") de Strasbourg ainsi que président de la communauté urbaine de Strasbourg de 2001 à 2008. Ce tandem a cependant échoué pour se faire réélire en 2008 (régulièrement considérée comme ministrable, Fabienne Keller est devenue sénatrice UMP/LR en 2004, puis députée européenne Renaissance en 2019). Robert Grossmann fut également élu conseiller général du Bas-Rhin de 1967 à 1979 et de 1982 à 2001 (vice-président du conseil général de 1994 à 2001) et conseiller régional d'Alsace de 1992 à 2004 (vice-président du conseil régional de 1998 à 2004)
.

_yartiRauschJeanMarie01

L'ancien sénateur-maire de Metz Jean-Marie Rausch est mort le vendredi 5 janvier 2024 à l'âge de 94 ans (il est le 24 septembre 1929). Ses obsèques sont prévues le mercredi 10 janvier 2024 en la cathédrale de Metz. Avec Jean-Marie Rausch est disparu un mastodonte de la politique française, ou plutôt, de la politique lorraine plus que nationale. Sa principale marque aura été d'avoir dirigé le destin de la ville de Metz pendant près de quatre décennies, ce qui va devenir de plus en plus rare, et de l'avoir dirigé avec une vision, celle de faire de Metz une ville du futur alors qu'elle était perçue comme une ville du passé.

À l'origine, Jean-Marie Rausch était un chef d'entreprise, l'entreprise familiale, il dirigeait le moulin de Woippy qu'il avait repris de son grand-père puis père, après avoir suivi des études de meunier. Cette activité professionnelle l'a amené à prendre de nombreuses responsabilités professionnelles, présidant la chambre syndicale départementale de la meunerie, président de l'Union meunière de la Moselle, président du Centre des jeunes dirigeants d'entreprises de la Moselle, etc.

Son engagement professionnel s'est prolongé dans l'engagement politique. Catholique social et centriste, Jean-Marie Rausch s'est présenté à la mairie de Metz en mars 1971 pour la succession du maire et Ministre des Transports Raymond Mondon mort le 31 décembre 1970. Non seulement il a gagné ces élections de 1971, mais il a été réélu en mars 1977, mars 1983, mars 1989, juin 1995 et mars 2001, ce qui fait qu'il est resté maire de 1971 à 2008, soit trente-sept ans. Il a présidé la structure intercommunale de l'agglomération de Metz (d'abord district puis, en 2002, communauté d'agglomération de Metz Métropole) de 1975 à 1979, de 1984 à 2008.

Jean-Marie Rausch a réussi à transformer en profondeur la ville de Metz, ancienne ville de garnison et ancien ville industrielle, en une ville ouverte sur le monde, où le tertiaire devenait une part importante, avec la création d'écoles d'ingénieurs, en encourageant la compétence informatique et télécom bien avant que ce fût la mode, et en réussissant à faire venir le Centre Pompidou dans un site quasi-archéologique (il a été le président d'honneur du Centre Pompidou de Metz inauguré par Nicolas Sarkozy le 11 mai 2010). En ce sens, il a été une sorte de René Monory du Bassin lorrain, même s'il avait une importance nationale beaucoup plus faible que celui qui est devenu le deuxième personnage de l'État. Entre 1971 et 1983, Jean-Marie Rausch avait intégré dans son équipe municipal le botaniste Jean-Marie Pelt comme adjoint au maire de Metz, qui a notamment sauvegardé et valorisé le centre historique en restaurant plusieurs bâtiments antiques et médiévaux (en particulier le cloître des Récollet et l'église Saint-Pierre-aux-Nonnais) et en créant l'Institut Européen d'Écologie en 1973.

Dans la lancée de la mairie de Metz, Jean-Marie Rausch a eu un appétit électoral très grand, dévorant tout sur son passage : élu conseiller général du canton de Metz-3 de 1970 à 1988, président du conseil général de Moselle de 1979 à 1982, conseiller régional de Lorraine de 1974 à 1992, président du conseil régional de Lorraine de 1982 à 1992, il cumula ces mandats locaux avec une fonction nationale, puisqu'il a été élu sénateur en septembre 1974, réélu en septembre 1983, septembre 1992 et en fonction jusqu'en septembre 2001.


Entre-temps, Jean-Marie Rausch, centriste rocardo-compatible, n'a pas pu résister aux sirènes de l'ouverture mitterrandienne de 1988 : il a accepté d'entrer au gouvernement alors qu'il avait soutenu Raymond Barre à l'élection présidentielle. Il a eu ainsi une belle carrière ministérielle en utilisant ses compétences de dirigeant d'entreprise : il fut nommé Ministre du Commerce extérieur du 28 juin 1988 au 15 mai 1991 dans les gouvernements de Michel Rocard (et du Tourisme entre le 6 et le 17 juillet 1990), Ministre délégué chargé des Postes et Télécommunications du 15 mai 1991 au 2 avril 1992 dans le gouvernement d'Édith Cresson, enfin, Ministre délégué chargé du Commerce et de l'Artisanat du 2 avril 1992 au 2 octobre 1992 dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy.

Il faut noter que la loi sur le cumul des mandats en 1988 imposait de ne garder que deux mandats importants (chef d'exécutif local important, parlementaire, etc.), mais la fonction ministérielle n'était pas comprise dans ces cumuls. Ainsi, entre 1988 et 1992, il aurait dû choisir deux de ses trois mandats : maire de Metz, sénateur de Moselle et président du conseil régional de Lorraine. Devenu ministre, il a dû démissionner du Sénat (Jean-Éric Bousch lui a succédé au Sénat) et a "gardé" Metz et la Lorraine (pour info, Metz était le chef-lieu de l'ancienne région Lorraine, mais Nancy en était la capitale historique, celle des ducs de Lorraine).

La greffe de l'ouverture a cependant pénalisé Jean-Marie Rausch sur le plan régional puisqu'il n'a pas pu se faire réélire, ou plutôt, si, il a été réélu mais avec une forte polémique et, finalement, refusant les indispensables voix des élus FN, il a démissionné le 4 avril 1992, laissant son concurrent meusien, l'ancien ministre Gérard Longuet, lui aussi de l'UDF, lui succéder (en 1988, Jean-Marie Rausch avait été exclu de l'UDF et du CDS, son parti d'origine, pour avoir accepté d'être ministre du gouvernement socialiste). Réélu sénateur de Moselle en septembre 1992, il a quitté le gouvernement pour conserver son mandat de sénateur (ainsi que de maire de Metz), sachant que le PS subirait un désastre électoral aux élections législatives de mars 1993.

En septembre 2001, Jean-Marie Rausch a renoncé à se représenter aux sénatoriales (sous l'étiquette RDSE) et s'est concentré sur la mairie de Metz. Il a probablement fait un combat de trop en sollicitant les électeurs messins pour un septième mandat en mars 2008 à l'âge de 78 ans (il avait placé Jean-Marie Pelt en dernier de liste) : il n'avait pas reçu l'investiture UMP et devait affronter à la fois le candidat du parti socialiste Dominique Gros (représentant la gauche unie), la candidate de l'UMP, la députée Marie-Jo Zimmermann (avec pour numéro deux le député Denis Jacquat, un adjoint sortant), et la candidate du MoDem (qui était auparavant au CDS), la députée européenne Nathalie Griesbeck (ancienne première adjointe chargée des finances et du développement économique). Le résultat du premier tour était très éclaté : Jean-Marie Rausch n'était qu'en deuxième place, avec seulement 24,2%, une gifle pour le vieux maire ; Dominique Gros avait fait le plein des voix avec 34,0%, mais Marie-Jo Zimmermann a eu 16,7% et Nathalie Griesbeck 14,7%, et ces deux listes avec une troisième qui a fait 5,7%, ont fusionné pour faire barrage à la réélection de Jean-Marie Rausch qui, pour le coup, a reçu l'investiture de l'UMP au second tour pour empêcher la victoire de la gauche. Finalement, Dominique Gros l'a emporté avec seulement 48,3%, grâce à la triangulaire ; la liste Rausch a gagné seulement 1 500 voix avec un score très décevant, 27,4% et la liste Zimmermann a presque rejoint le maire sortant avec 24,3%.


Jean-Marie Rausch, élu quand même conseiller municipal de Metz, a démissionné de ce dernier mandat et a pris sa retraite politique (à l'âge de 78 ans, donc). Aux élections municipales de mars 2014, Jean-Marie Rausch a apporté son soutien au maire socialiste sortant Dominique Gros (opposé encore à Marie-Jo Zimmermann), estimant que ce dernier avait bien travaillé au cours de son premier mandat. Dominique Gros a été le seul maire de gauche de Metz depuis la Révolution, et en 2020, le sénateur LR François Grosdidier, qui avait secrètement soutenu Jean-Marie Rausch en 2008, lui a succédé.

_yartiRauschJeanMarie04

Bien plus tard, le 8 juillet 2010, sur son blog, Jean-Marie Rausch a reparlé de l'image très négative de la ville de Metz à son arrivée en 1971 et de l'importance de faire de Metz une ville moderne et culturelle : « Lors de mon élection à la mairie de Metz, je me suis rendu compte de la très mauvaise image de la ville, vue de Paris comme des autres départements français. On disait que c’était une ville "allemande", avec beaucoup de casernes et de militaires, des pollutions d’usines, très sinistrée ; et tout cela avec un climat déplorable ! (…) Après mon élection à la fin du mois de mars 1971, j’ai voulu m’attaquer immédiatement à ce problème d’image. Je suis allé consulter Georges Chetochine qui était un des premiers grands spécialistes de la communication à cette époque. Il est venu plusieurs fois à Metz faire des socioscopies et son verdict était que nous souffrions d’un stéréotype très négatif du fait de notre détachement de la France entre 1871 et 1918, ainsi que de 1940 à 1945. La bourgeoisie messine était partie à Nancy et il n’y avait pas véritablement d’élite à Metz. Mais nous souffrions également de ce que la moitié de la France masculine était passée à Metz pendant la dernière guerre lors d’un des hivers les plus rigoureux du siècle. Quand on parlait de Metz quelque part en France, il se trouvait toujours un ancien combattant pour dire : "c’est vraiment une ville très moche ; j’y étais pendant la guerre". Ajoutez à cela la rénovation urbaine entreprise par mon prédécesseur pour faire face à la très grave crise du logement, avec des chantiers dans de nombreux quartiers. Cela donnait des allures de ville gravement sinistrée. ».


D'où un début de réponse avec les nouvelles technologies : « Georges Chetochine m’a dit à ce moment que l’on ne pouvait pas brutalement changer un tel stéréotype, mais qu’il fallait lui en substituer progressivement un autre. C’est ainsi que j’ai commencé à arrêter toute la politique de rénovation urbaine entreprise et à lui substituer une politique de restauration urbaine afin de sauver tout ce que je pouvais du Vieux Metz. Cela a pu se faire progressivement. À cette époque, au début de la décennie, on commençait à parler de la crise de la sidérurgie et l’on craignait celle du charbon. Je me suis rendu compte que nous allions vers la fin de la Société Industrielle et je m’interrogeais sur la forme de société qui allait suivre. Vers les années 1974-1975, j’ai pensé que ce serait une société basée sur les technologies nouvelles et surtout celles de la communication. Nous vivions le développement rapide du téléphone, grâce à Gérard Théry, l’arrivée de la télévision en couleur et l’utilisation de plus en plus importante, même dans les petites entreprises, de l’informatique. Élu sénateur en 1974, j’ai cherché à me spécialiser et j’ai choisi ce domaine. Je suis devenu président de la commission Télématique et Informatique du Sénat ainsi que rapporteur du budget "Postes et Télécommunication" de la commission des affaires économiques. J’ai pu créer ainsi un Technopôle et attirer une antenne de l’Université américaine Georgia Tech d’Atlanta à Metz. J’ai apuré progressivement le budget de la ville, remboursé les dettes et je n’ai plus augmenté les impôts locaux depuis 1982. Mais je me suis rapidement rendu compte que l’amélioration de l’urbanisme et le redressement des finances ne suffisait pas pour changer de manière significative l’image et le stéréotype. Il fallait aussi que Metz améliore son image culturelle. ».

Une réponse également culturelle : « Lorsque le Président Valéry Giscard d’Estaing a supprimé l’ORTF et les orchestres régionaux qui en dépendaient, j’ai repris l’Orchestre d’Alsace à Metz. Très rapidement j’ai senti la nécessité d’une salle de concert que la ville ne possédait pas (elle avait par contre un très beau théâtre municipal) : j’ai fait construire une superbe salle de concert dans un ancien arsenal militaire par l’architecte catalan Riccardo Bofill. Cela a amélioré la situation sans pour autant suffire. J’avais bien, entre-temps, modernisé le musée de Metz avec l’aide de Robert de Margerie qui était directeur des musées avant de devenir ambassadeur de France. Je souhaitais aller plus loin dans cette voie et posséder un musée d’Art Moderne. Après la mort de Bernard Buffet, j’ai approché son légataire testamentaire pour obtenir en dépôt une centaine de toiles de ce peintre et j’avais proposé de construire un musée à son nom. Mais cette initiative a échoué. ».

Et enfin, la genèse du Centre Pompidou de Metz : « Jean-Jacques Aillagon était, à la fin des années 1990, président du Centre Pompidou de Paris. madame Catherine Trautmann, Ministre de la Culture, l’avait également nommé président d’un comité chargé de l’élaboration des Festivités pour le passage à l’an 2000. Il avait proposé à un certain nombre de villes, dont Metz (son lieu de naissance), de participer à ce comité et à ces festivités. J’avais délégué pour cela mon adjointe, madame Christine Raffin. Mais, lors du remplacement de madame Trautmann par Catherine Tasca, les crédits pour cette opération ont été diminués et Jean-Jacques Aillagon a dû se résoudre à éliminer certaines opérations prévues. Metz était du nombre et quand il l’a annoncé à Christine Raffin, il lui a confié qu’il cherchait aussi à créer une antenne du Centre Pompidou en province, mais qu’il fallait que l’investissement soit pris en charge par une collectivité locale. Il avait contacté en vain Lille, Caen, Montpellier et Nancy, mais les maires concernés avaient tous refusé, essentiellement pour des questions financières. Madame Raffin lui a alors suggéré de venir me voir et, sur sa demande, je les ai tous les deux invités à déjeuner à Metz. Puis cela s’est passé très vite : Jean-Jacques Aillagon m’a expliqué son projet. Je lui ai demandé à combien il estimait le coût d’une telle opération. Il m’a dit : "25 millions d’€". J’ai répondu qu’il fallait au moins doubler ce chiffre. "Alors vous renoncez ?" m’a-t-il demandé. Ma réponse : "Non, je prends, sous la condition de l’accord de mon conseil municipal que je me charge de convaincre". C’est ce qui est arrivé. Mon conseil municipal a adopté le projet à l’unanimité (y compris mon opposition, dont Dominique Gros qui m’a succédé en 2008). La communauté d’agglomération dont j’étais le président a également suivi à l’unanimité. Le conseil régional et le conseil général ont promis de participer à hauteur de 10 millions d’€ chacun. L’opération a pris un peu de temps. Jean-Jacques Aillagon est devenu Ministre de la Culture et certaines villes, comme Nancy, ont alors essayé de faire échouer le projet. En 2002 nous avons conclu. En 2003 un jury que j’ai présidé a retenu parmi plus de 150 projets, celui du Japonais Shigeru Ban associé au Français Jean de Gastines. Les prévisions étaient de 37,5 millions d’€ pour le bâtiment et d’environ 15 millions pour les finitions internes et externes. Très vite, j’ai annoncé que j’estimais le tout à 65 millions d’€, chiffre très proche de la réalité. Le Centre Pompidou de Paris a bien joué son rôle en accueillant l’équipe d’architectes et en nous proposant l’un de ses meilleurs jeunes conservateurs, Laurent Le Bon. L’inauguration par le Président de la République a eu lieu le 11 mai dernier. » (jmr.typad.com)
.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (05 janvier 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Robert Grossmann.
Jean-Marie Pelt.
Jean-Marie Rausch.
René Monory.

René Pleven.
François Bayrou.
Simone Veil.
Bruno Millienne.
Jean-Louis Bourlanges.
Jean Faure.
Joseph Fontanet.
Marc Sangnier.
Bernard Stasi.
Jean-Louis Borloo.
Sylvie Goulard.
André Rossinot.
Laurent Hénart.
Hervé Morin.
Olivier Stirn.
Marielle de Sarnez.

_yartiRauschJeanMarie05




https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20231224-robert-grossmann.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2024/01/10/40169989.html



 

Partager cet article
Repost0
23 mai 2020 6 23 /05 /mai /2020 03:05

« Dans un monde où les drames sont quotidiens et les catastrophes s’enchaînent, un vent d’espoir, et de folie, souffle et dérègle les esprits ; c’est l’irruption soudaine des objets connectés qui donnent au citoyen la fierté d’être plus intelligent grâce à l’intelligence artificielle et d’en faire bénéficier sa santé et sa sécurité. Il est même prêt à croire qu’un jour, la mort sera vaincue ! Le transhumanisme est en marche… » (Claude Huriet, "Journal international de bioéthique et d’éthique des sciences", 2018/3-4, vol.29 pp.7-13).


_yartiHurietClaude01

L’ancien sénateur centriste de Nancy Claude Huriet fête ses 90 ans ce dimanche 24 mai 2020. C’est l’occasion de revenir sur sa trajectoire politique et intellectuelle au niveau national. En fait, n’évoquer que l’aspect politique de Claude Huriet est un tort et donne un aperçu très parcellaire du professeur Huriet : en effet, avant de se lancer dans la vie politique, Claude Huriet était avant tout un médecin, agrégé, professeur des universités, et ancien chef du service de néphrologie du CHU de Nancy. En d’autres termes, Claude Huriet est un éminent "mandarin", qui a goûté un peu de la chose politique.

Il faut dire que la ville de Nancy a une sérieuse tradition d’avoir des médecins parmi ses élus, notamment comme ORL (André Rossinot), dentiste (Jacques Baudot), etc. Il y en a beaucoup et je ne peux donc pas tous les citer (à une certaine époque, on parlait même d’un clan des "arracheurs de dents"). Ce n’est pas propre à Nancy d’ailleurs, Grenoble a eu son "grand" maire également médecin pendant la période gaullienne, plus tard, un chef de service et patron de club de rugby (candidat malheureux), et aujourd’hui, Grenoble a "donné" un Ministre de la Santé (Olivier Véran)…

Et sur le plan national et même international, il y en a aussi pas mal, de médecins passionnés par l’action politique, je n’en cite que quelques-uns qui me viennent à l’esprit mais j’en oublie beaucoup : Marat, Paul Lafargue, Georges Clemenceau, Jean Leonetti, Bernard Debré, Jean-Marie Le Guen, Jean-François Mattei, Claude Malhuret, Philippe Douste-Blazy, Michèle Delaunay, Bernard Kouchner, Alain Bombard, Albert Michallon, Max Micoud, Françoise Paramelle, Jérôme Cahuzac, Alexandre Minkowski, Léon Schwartzenberg, François Bachelot, Michèle Barzach, Philippe Juvin, Xavier Emmanuelli, Bernard Accoyer, Arthur Paecht, Jean-Claude Étienne, Jacques Bompard, Salvador Allende, Félix Houphouët-Boigny, Dominique Voynet (tiens, au fait, savez-vous que Dominique Voynet a été nommée le 1er janvier 2020 …directrice générale de l’Agence régionale de santé de Mayotte, si performante en temps d’épidémie ? cela ne s’invente pas !), etc. Et je n’ose ajouter Marcel Petiot, Joseph Mengele, Bachar El-Assad, Che Guevara… 

Revenons au professeur Claude Huriet. Il a eu une carrière politique assez intéressante, même si ce n’était pas le cœur de son existence, je la résume rapidement : il fut président du conseil général de Meurthe-et-Moselle de mars 1982 à mars 1988 (réélu en 1985), et surtout, il fut sénateur de Meurthe-et-Moselle de septembre 1983 à septembre 2001 (réélu en 1992). Comme il n’était pas, à cette époque, un "politicien", il a eu quelques difficultés à éviter quelques renversements. Il a ainsi été "renversé" au conseil général par un autre élu centriste, Jacques Baudot, à l’époque adjoint à Nancy, qui a conquis la présidence du conseil général (il l’a été de mars 1988 à mars 1998, puis le conseil général est passé à gauche), ce dernier a aussi été élu sénateur à partir de 1992.

Dans les années 1980, au sommet de son influence politique en Meurthe-et-Moselle, Claude Huriet avait nourri aussi quelques ambitions sur la mairie de Nancy mais y a vite renoncé avec l’hostilité de JJSS qui fut un élu influent en Lorraine dans les années 1970. Cassant la grande tradition nancéienne de l’instabilité des maires, André Rossinot est resté maire de Nancy de 1983 à 2014, soit pendant cinq mandats. En mars 1989, Claude Huriet s’est finalement fait élire maire de Vroncourt, une petite commune rurale de 200 habitants, jusqu’en 2005.

Je reviendrai sur son mandat de sénateur et disons-le clairement, il aurait pu, et j’ose, il aurait dû être ministre un jour (évidemment ministre de la santé), mais l’occasion politique lui a manqué. Barriste, membre des réseaux barristes (REEL), il l’aurait été certainement si Raymond Barre avait été élu à l’élection présidentielle de 1988. Il aurait pu être appelé par Édouard Balladur en 1993, mais il avait une concurrente inattaquable pour le ministère de la santé, Simone Veil, numéro deux du gouvernement.

Durant ses mandats de sénateur, Claude Huriet n’était pas un homme d’appareil, il n’était pas membre du CDS (je crois qu’il a même eu un moment l’étiquette d’adhérent direct de l’UDF), mais tous les dirigeants nationaux du CDS le soutenaient à Paris (et il me semble qu'il siégeait même au bureau politique du CDS) car il était un membre influent du groupe de l’Union centriste au Sénat. Cela ne l’a pas empêché d’avoir été victime de ses "amis" locaux, se pensant incontournable, il a été battu aux élections sénatoriales de septembre 2001 (il a alors été nommé Conseiller d’État en service extraordinaire de 2002 à 2006).

Dans "Le Républicain lorrain" du 27 février 2011, Claude Huriet est revenu sur son échec de septembre 2001 : « À l’époque, j’étais très actif pour la bioéthique. On m’a dit que ça m’a éloigné du terrain. C’est faux, je m’occupais beaucoup des maires et des communes. Pendant la campagne, on me répétait à l’envi que j’étais sûr de repasser. Que c’était Philippe Nachbar qui était en danger. Résultat des courses, tous les électeurs de ce bord ont mis le paquet sur lui, et moi, j’ai perdu ! ».

Pour ce fils de pharmacien qui joue de temps en temps du violoncelle, son engagement politique ne peut se concevoir sans la triple carrière de médecin : praticien, chercheur et enseignant. En 1970, il a créé le Centre d’hémodialyse de Nancy, où ont été réalisées les premières transplantations rénales. Il a aussi fondé l’Association lorraine pour le traitement de l’insuffisance rénale.

Les travaux scientifiques de Claude Huriet lui ont apporté une grande réputation, ce qui l’a amené à être élu deux fois président du prestigieux Institut Curie du 6 décembre 2001 au 7 décembre 2013 (fonction qui est bénévole et qui l’occupa très activement après son échec au Sénat). Il est par ailleurs membre de l’Académie lorraine des sciences, président du Cancéropole d’Île-de-France de 2004 à 2007 (puis vice-président de 2007 à 2013). Ainsi que membres d’autres instances plus ou moins utiles. Il fut aussi le premier président de l’Office national des accidents médicaux en 2002, président de l’Union hospitalière du Nord-Est de 1996 à 2016, et vice-président de la Fédération hospitalière de France à partir de 1996.

_yartiHurietClaude02

Je reviens à son mandat de sénateur qui trouvait un véritable sens avec son activité scientifique. Pendant ses mandats de sénateur, Claude Huriet fut membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (comme l’est actuellement Cédric Villani), et vice-président de la commission des affaires sociales (il fut aussi questeur du Sénat).

En dix-huit ans, il fut un parlementaire très actif. Il a été l’auteur d’une vingtaine de propositions de lois et de nombreux rapports parlementaires, notamment un rapport d’information sur la politique de lutte contre le cancer avec Lucien Neuwirth déposé en juin 2001. Claude Huriet a aussi beaucoup travaillé sur l’affaire du sang contaminé (comment l’éviter dans l’avenir), sur la veille sanitaire avec la création de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement en 2000, sur les thérapies géniques et cellulaires, sur la CMU (couverture maladie universelle), sur le don d’organes, sur la PMA et le diagnostic prénatal, sur le clonage…

Là aussi, ne nous cachons pas la vérité : certains sénateurs n’ont pas fait grand-chose de leur mandat au Sénat, plus focalisés par les considérations locales (je n’en citerai pas mais j’ai des noms !), mais d’autres sénateurs sont au contraire très productifs grâce à la nature même de leur mandat sénatorial. Loin des intempéries politiciennes et populaires, loin des postures qui ressemblent à un jeu de rôle stérile, ceux qui veulent bosser peuvent vraiment bosser en profondeur, dans la sagesse du temps, sur des sujets très importants que les députés auraient beaucoup de mal à initier s’ils n’avaient pas une prise directe avec un fait-divers, un point d’actualité, etc. Claude Huriet voulait faire avancer les questions d’éthique médicale dans la législation, et il a réussi.

En effet, Claude Huriet est l’auteur de la première loi de bioéthique, avec un corapporteur (le sénateur socialiste du Rhône Franck Sérusclat), appelée "loi Huriet", la loi n°88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches médicales. Claude Huriet faisait partie de l’opposition au gouvernement socialiste de Michel Rocard mais ce sujet dépasse largement les clivages politiques traditionnels. Le projet de loi de bioéthique actuellement en attente est l’un des lointains textes complémentaires à cette première loi de bioéthique.

L’idée de Claude Huriet était de mettre le patient au cœur du dispositif législatif, en le protégeant et lui donnant des droits, en particulier en définissant la notion de consentement éclairé. Cette loi a été en effet le point de départ de toute une série de lois qui furent adoptées généralement à la quasi-unanimité après un temps de préparation très long pour comprendre l’évolution des techniques, les nouveaux besoins, les risques et les protections du citoyen à renforcer. Avec même la notion de révision périodique des lois de bioéthique, puisque la technologie ne fait que progresser. La suite, ce fut la loi n°94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal (on y parle ainsi de la dignité de la personne) et la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (on ne peut soigner un patient sans son consentement).

En raison de son action sur la bioéthique introduite dans le travail parlementaire, Claude Huriet a été nommé membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de 1995 à 2001, ainsi que du Comité international de bioéthique de l’Unesco de 2002 à 2006. Par ailleurs, l’Académie nationale de médecine l’a élu en 2015 Membre honoris causa, distinction réservée aux "personnalités de mérite exceptionnel" : « Après Jules Hoffmann, Prix Nobel de Médecine 2011, et Alain Carpentier, père du cœur artificiel, l’Académie distingue cette année Claude Huriet pour rendre hommage à l’engagement d’un médecin au service de l’intérêt commun qui a pour la première fois fait voter une loi réglementant la recherche médicale chez l’Homme. ».

Parmi ses combats récents, la loi qui a autorisé l’expérimentation sur l’embryon humain sous le quinquennat Hollande (j’en avais parlé ici et ). En mars 2013, Claude Huriet s’insurgeait ainsi sur la légèreté du texte qui oubliait la situation récente de la science, avec l’abandon dès 2002 de la recherche sur utilisation thérapeutique des cellules souches embryonnaires humaines (aucun patient n’a été traité ainsi). Tandis que le texte évoquait faussement "des résultats scientifiques importants" et affirmait : « La recherche sur les souches embryonnaires est porteuse d’espoir. » en parlant de "résultats très encourageants". Alors que c’était inexact, un texte très passéiste en retard d’une guerre qui ouvrait une véritable boîte de Pandore (que le projet de bioéthique 2020 a d’ailleurs ouverte encore plus grand). Pour Claude Huriet, le texte qui allait être adopté en août 2013, dans la discrétion de la torpeur estivale, était déconnecté du réel car il ne tenait pas compte des avancées de professeurs Yamanaka et Gordon sur la reprogrammation des cellules souches induites (ce qui leur a valu le Prix Nobel de Médecine en 2012).

Malgré son âge, Claude Huriet continue à participer à des colloques et conférences et à poursuivre ses réflexions dans des publications scientifiques.

Par exemple, dans cet article dans le Journal international de bioéthique et d’éthique des sciences publié en 2018 (voir en tête d’article) où il ironisait sur les illusions du transhumanisme : « Comme tout emballement de l’esprit, la vague d’enthousiasme que déclenche toute nouveauté, ne laisse pas de place à l’interrogation sur le sens du progrès, sur les conséquences bénéfiques pour l’individu et pour la société, et, encore moins, sur les risques éventuels, et sur "le prix à payer". ».

Iil replaçait le débat au niveau de l’éthique sur trois aspirations et trois réponses à ces aspirations. Les aspirations : « Qu’il les exprime ou qu’il les refoule au plus profond de soi-même, tout homme a trois aspirations fondamentales : se survivre, à travers sa descendance, entrevoir son futur, vaincre la souffrance et la mort. ».

Et les réponses : « C’est pour répondre à ces aspirations qu’ont été peu à peu "individualisées" la médecine procréative, la médecine prédictive et la médecine régénérative, dans lesquelles, en quelque sorte, le transhumanisme a "pris racine". Ces trois domaines de la médecine ont connu des innovations technologiques et des progrès considérables. Ils ont fait l’objet de débats scientifiques et éthiques (…). ».

Au-delà de la bioéthique, Claude Huriet a aussi beaucoup travaillé sur l’éthique du chercheur, la fiabilité de ses résultats et la confiance que peut inspirer le monde scientifique. Président du Mouvement universel de la responsabilité scientifique (MURS), l’ancien sénateur constatait lors d’un colloque le 29 janvier 2015 à l’Université de Bordeaux : « La course à l’innovation, aux financements, à la publication (…) constitue un cercle vicieux qui mène au plagiat, à l’erreur. ».

Ce thème de la responsabilité scientifique et de l’éthique du chercheur est très actuel avec cette pandémie du covid-19 : autant le dire, les communications et affirmations péremptoires du professeur Didier Raoult et de son équipe ont particulièrement choqué le monde scientifique car elles allaient contre un principe d’éthique bien établi mais qui méritait d’être formulé.

En fait, c’était déjà chose faite justement le 26 janvier 2015 à Bordeaux avec la signature de la "Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche" à l’initiative des plus grands centres de recherche : CNRS, lnserm, INRA, IRD, INED, Institut Pasteur, Cirad, INRIA, Institut Curie, Conférence des présents d’université, etc. On y lit deux choses intéressantes.

D’une part, sur la méthodologie employée : « La description détaillée du protocole de recherche, dans le cadre de cahiers de laboratoire ou de tout autre support, doit permettre la reproductibilité des travaux expérimentaux. Tous les résultats bruts (qui appartiennent à l’institution) ainsi que l’analyse des résultats doivent être conservés de façon à permettre leur vérification. ».

D’autre part, sur la communication au public : « La liberté d’expression et d’opinion s’applique dans le cadre légal de la fonction publique, avec une obligation de réserve, de confidentialité, de neutralité et de transparence des liens d’intérêt. Le chercheur exprimera à chaque occasion à quel titre, personnel ou institutionnel, il intervient et distinguera ce qui appartient au domaine de son expertise scientifique et ce qui est fondé sur des convictions personnelles. La communication sur les réseaux sociaux doit obéir aux mêmes règles. ».

Lors de la conférence inaugurale d’un autre colloque, intitulé "L’intégrité scientifique en action", organisé le 23 février 2017 à la faculté de droit de Nancy, le professeur Claude Huriet a fait un petit historique de l’intégrité des scientifiques, remontant jusqu’à la Conférence générale de l’Unesco en 1974, dans sa 18e session, sa "recommandation concernant la condition des chercheurs scientifiques" : « Les États membres ne devront pas perdre de vue que, pour être efficace, la recherche scientifique exige des chercheurs qui l’accomplissent des qualités d’intégrité et de maturité alliées à d’éminentes qualités morales et intellectuelles. » (article 10).

Il a défini les missions d’un Office pour l’intégrité scientifique en cours de création qui serait l’institution médiatrice pour s’occuper des problèmes d’intégrité dans les activités de recherche (avec notamment des actions de prévention, de dépistage et de sanction). Claude Huriet donnait les différentes possibilités d’atteinte à l’intégrité scientifique : « Un groupe de travail, mis en place dans le cadre du rapport Corvol, a établi une liste qui, excluant les erreurs de bonne foi, comporte une vingtaine de rubriques, depuis la fabrication, l’embellissement ou la falsification de données, les conflits d’intérêts, le plagiat, jusqu’à un management trompeur de la demande de financement, ou le manque de respect dans le traitement des collaborateurs : abus d’autorité, harcèlement, discrimination, diffamation. ».

On peut donc comprendre à quel point Claude Huriet a su anticiper des périodes de crises dans lesquelles peuvent naître, dans les espaces médiatiques du grand public, des polémiques scientifiques d’autant plus stériles et dangereuses qu’elles concernent la santé et surtout la vie de nombreuses personnes touchées par le coronavirus SARS-CoV-2. Une de ces polémiques pourrait d'ailleurs prendre fin avec cette étude publiée le 22 mai 2020 dans une revue scientifique à comité de lecture à la réputation mondiale, "The Lancet", qui affirme : « L'utilisation de l'hydroxychloroquine ou de la chloroquine n'est associée à aucune preuve d'amélioration, mais plutôt à une augmentation du risque d'arythmie ventriculaire. ». En tout cas, l’expérience de l’actualité récente laisse entendre qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir afin d'atteindre ce graal qu'est l'intégrité scientifique…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 mai 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La Charte de déontologie des métiers de la recherche (à télécharger).
Claude Huriet.
André Rossinot.
La dernière loi de bioéthique.
Jean Lecanuet.
Bernard Remy.
Miss Corny.
Sœurs de Saint-Charles.
Joyeux drilles.
Charles Choné.
Bernard Bosson.
Le CDS.
La construction européenne.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Olivier Lejeune.
Roger Mari.

_yartiHurietClaude03




http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200524-claude-huriet.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/claude-huriet-a-l-origine-des-224623

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/05/16/38297806.html




 

Partager cet article
Repost0
29 mars 2020 7 29 /03 /mars /2020 03:24

« Merci de tout cœur de ces belles photos qui prolongent cette bonne et belle rencontre avec vous tous. Vous m’avez rajeuni et j’ai été très heureux de vous retrouver très vous-mêmes. (…) Quand vous revenez à Nancy, vous me prévenez pour une dinette chez moi. » (Bernard Remy, message personnel, le 2 septembre 2019).



_yartiRemyBernard01

La pandémie de coronavirus SARS-CoV-2 poursuit son avancée tragique. Au 29 mars 2020, il y a eu près de 710 000 cas détectés dans le monde et plus de 33 500 décès, dont plus de 2 606 en France. Chaque décès, une tragédie. Ce bébé de 1 an aux États-Unis. Cette hôtesse de caisse de 52 ans chez Carrefour. Ucn homme politique pourtant en bonne santé, Patrick Devedjian… La moitié de la population mondiale est confinée… et l’autre devrait l’être. Quel cauchemar !

Dans mes réflexions d’il y a quelques jours, j’étais assez étonné par certains propos de certains "confinés". On a un grand nombre de "journaux d’un confiné" et l’Internet et le web 2.0 s’y prêtent très facilement. Et souvent, on peut lire : vivement après le confinement qu’on puisse reprendre l’ancienne vie, se revoir, faire la fête… Et dans mon esprit, je me disais que ceux-là n’avaient pas encore mesuré la gravité de cette pandémie.

On ne reviendra au déconfinement que très lentement, la vigilance de distanciation sociale s’appliquera probablement jusqu’à la fin de l’année avec la peur d’un "rebond". Surtout, personne n’aura envie de faire la fête. Le nombre de victimes va se multiplier selon une loi affreusement exponentielle, du moins en France pour au moins deux semaines encore. Tout le monde sera touché de près ou de loin par un décès dû au coronavirus. À peine ai-je pu formuler ce genre de pensée dans mon cerveau que mon intuition m’est revenue en pleine figure. Touché aussi !

Un grand ami est parti du covid-19. Celui qui m’a marié, cela compte. Quelle misère. Je m’inquiétais pour lui, on s’inquiète de tout le monde aujourd’hui, en tout cas, des siens, c’est la solidarité, mais il était déjà hélas parti depuis ce jeudi 26 mars 2020. Alors, évidemment, coup de massue. Effondré. Peine infinie. Comme à chaque fois qu’un être cher quitte ce monde. Hécatombe.

Ne me dis pas qu’il avait 84 ans, il était énergique comme un roc prêt à aller au centenaire. Ne me dis pas qu’il a eu de sérieux pépins de santé il y a quelque temps, il a su faire face, réagir et être "sage" dans sa conduite de vie, au point de me refuser une seconde part de délicieuse tarte aux mirabelles : tu aurais dû me prévenir hier, je n’aurais pas pris mon petit-déjeuner, disait-il avec un large sourire, néanmoins en refusant fermement ma proposition.

_yartiRemyBernard02

C’était l’été dernier, le 19 août 2019 précisément, et quand nous l’avions reconduit chez lui (il conduisait lui-même une voiture mais il avait préféré être conduit de peur de ne pas trouver une place de stationnement), les deux yeux pétillants, il nous avait lancé son invitation : quand vous repasserez à Nancy, faites-moi signe, je vous cuisinerai un repas.  Et le temps était déjà passé.

Bernard Remy était un prêtre ordonné en 1961, comme de nombreux, d’une autre génération, de celle qui a connu Vatican II et qui l’a mis réellement en pratique, dans son esprit. Un ami de très longtemps. Je l’ai connu dans les années 1970, alors curé de la paroisse Sainte-Anne, une paroisse très vivante, aux confins de Nancy et de Laxou, quartier plutôt chic d’ailleurs et grand lycée public.

Lors des messes, il faisait participer beaucoup les fidèles. Il était premier en tout. On l’a imité par la suite. Par exemple, il acceptait naturellement les fillettes comme enfants de chœur. Pour la prière universelle, ce n’était plus sa prière, mais celle de tous ; chaque fidèle, à l’improviste, pouvait s’avancer et proposer une prière. Cela pouvait parler d’actualité (un attentat, par exemple), mais aussi des événements personnels (un deuil, le chômage, un enfant qui s’égare, etc.).

Et puis, deux gestes qui seraient aujourd’hui combattus (à juste titre) pour cause de distanciation sociale : lors du "Notre Père", il invitait tout le monde à se prendre par la main, cela faisait de longues chaînes humaines, qui débordaient les rangées, ceux près des allées se mettaient au milieu pour tenir la main d’une autre rangée, et ainsi de suite. Une énergie commune. La communion, le vrai message du Christ. Et puis, ce fameux geste de la paix : que la paix soit avec vous ! Chacun, à sa place, serrait la main à ses voisins, à droite, à gauche, devant, derrière lui, pour apporter la paix. Geste très fort qui fut finalement adopté par toutes les paroisses…vingt ou trente ans plus tard. Bernard était à l’évidence en avance. Un précurseur de la foi vivante.

Pour lui, il ne s’agissait pas de "brader" la religion, juste l’adapter et surtout la vivre vraiment, sans pharisianisme, dans la plus grande vérité. Car Bernard Remy était un homme de vérité et aussi, surtout, un homme de liberté. Même quand il était au lycée Saint-Sigisbert, où il sonnait les cloches, il était souvent en rébellion avec l’ordre établi…

À sa mort, j’ai découvert par le faire-part publié par l’évêque de Nancy et Toul qu’il était "abbé". Un titre qui, à une certaine époque, en aurait fait un homme puissant. Ce n’était pas son cas, évidemment, du moins matériellement. Il suffisait de voir comment il était habillé : il se moquait bien des vêtements, c’était le genre d’homme à ne regarder que l’âme de ses interlocuteurs. Avec la même reconnaissance, que ce fût pour des petits ou des grands, des humbles ou des aisés. Il lâchait, il écartait de son champ de vision tout ce qui était inutile à parole d’homme.

Cela faisait que je pouvais discuter des heures avec lui et voir son col de chemise à l’envers, et même sa petite et discrète croix de prêtre chavirer à l’envers sur son revers de veste. Quand je lui ai envoyé quelques photos, il m’a répondu avec une grande autodérision : « Mon Jésus à la boutonnière en avait même l’air de plus savoir où donner de la tête… ».

Vu sa pointure intellectuelle et relationnelle, il aurait probablement pu avoir une "carrière" épiscopale (il paraît que maintenant, une grande proportion de prêtres à qui l’Église propose d’être évêques refuse). Le mot "carrière" n’a aucun sens à côté de la religion. Bernard Remy ne pouvait pas être une autorité car il était trop électron libre, trop à tendance à secouer tous les milieux où il évoluait pour retrouver une parole de vérité, sans faux-semblant, sans hypocrisie.

Un prêtre a cette position difficile d’être très indépendant en général, d’avoir une grande culture classique et théologique, une grande capacité à réfléchir, à parler, à écouter. En revanche, il a une obligation (parmi d’autres peut-être plus connues), c’est le devoir d’obéissance à sa hiérarchie. Héritée de l’empire romain, cette hiérarchie est sans appel et parfois cassante.

Je serais bien incapable de faire un commentaire sur le sujet, mais ce que je sais, c’est qu’en juillet 1989, il a dû quitter sa paroisse Sainte-Anne alors que tous les fidèles l’adoraient, et certains de croire qu’ils l’adoraient trop. Pourtant, quel mal cela avait-il ? Ce n’est pas un préfet ou un ambassadeur, qu’il faut permuter assez fréquemment pour éviter des positions acquises, des trafics en tout genre. Que peut trafiquer un prêtre avec ses fidèles, à part la parole de Dieu ?

Bref, refusant de se retrouver dans une nouvelle paroisse, pour protester contre cette éviction sans raison valable, Bernard Remy s’est retrouvé… à l’hôpital, et pas n’importe lequel, au CHU de Nancy-Brabois. Il devenait alors aumônier catholique de l’hôpital. Disons-le clairement, aujourd’hui (29 mars 2020), alors que le CHU de Nancy vient d’être "déchargé" d’une vingtaine de malades par TGV sanitaire vers Bordeaux, il n’y a plus d’aumôniers d’aucune religion à l’hôpital depuis deux semaines, à un moment où il y en aurait sans doute le plus besoin. L’isolement des malades du coronavirus en fin de vie doit être atroce. Bernard a dû lui-même le vivre.

Aumônier, c’était un statut particulier car il était employé de l’hôpital. Il avait pris officiellement sa retraite à l’âge de 80 ans, il y a quelques années, mais continuait comme bénévole à assumer la tâche à mi-temps, pour une raison très simple : il n’avait pas de successeur. Et les autres religions n’étaient pas mieux "fournies". D’ailleurs, personne n’est capable de dire s’il a été contaminé à l’hôpital (il n’y avait pas remis les pieds depuis quinze jours) ou dans un autre contexte (rappelons que pour tout le personnel soignant d’un hôpital, s’il a été contaminé, il n’y a pas d’enquête pour savoir comment, c’est maintenant automatiquement reconnu comme une maladie professionnelle).

_yartiRemyBernard03

À Nancy, d’ailleurs, on parlait de Bernard Remy comme du doyen des aumôniers d’hôpital, car tâche à la fois ingrate et lourde, elle était rarement assumée aussi longtemps. Lui, plus de trente ans ! Sans compter qu’encore récemment, il devait s’occuper de sa mère (ce qui nous empêchait de le voir vraiment, hors cadre "professionnel"). Ce cadre professionnel, d’ailleurs, hélas, ce fut l’occasion de plusieurs enterrements de proches. C’est désormais très difficile de trouver un prêtre pour une cérémonie d’adieu (ils préfèrent le mariage !). Je parle de la période d’avant-pandémie, maintenant, c’est encore pire.

C’est un peu révoltant en soi car après tout, s’il y a bien un moment où un prêtre doit accompagner un fidèle (et même un non fidèle, qu’importe sa foi), c’est bien lors d’un deuil, lors de ce passage qui est espérance pour certains et vide total pour d’autres. Il refusait d’en dire la messe en dehors de sa chapelle de l’hôpital si bien que nous amenions le cercueil jusqu’au CHU de Brabois et certains pensaient que l’être disparu avait succombé à l’hôpital alors qu’il n’en était rien. Malgré la peine, ce fut toujours un rayon de lumière que Bernard Remy nous envoyait à ces occasions. Il était incroyablement vivant quand il parlait de mort. Une parole d’espérance. Un ton très convivial un peu à la Jean Gabin, simple et pourtant si dense et riche. De réflexions qui pourraient être juste des recettes de cuisine et qui sont en fait les fruits de décennies de pratique et d’écoute.

Ma future épouse et moi avons vécu une petite période particulière avec Bernard. C’était évident qu’il nous marierait et d’ailleurs, ma petite fierté a été qu’après le mariage, alors que nous avions traîné quelques amies bouffe-curés jusque dans l’église, l’une d’elles nous a glissé dans l’oreille, à la fin de la cérémonie : il est sensationnel, ton curé, j’ai adoré, il a la parole vraie ! Pas de conversion en perspective, mais la joie qu’un homme vrai, même avec un préjugé défavorable, soit toujours reconnu en tant que tel.

Cette petite période particulière, ce fut environ huit mois de préparation au mariage, ce qui est assez banal pour un mariage à l’église. Mais, ce qui est moins banal, c’est que, habitant à Paris, c’était moins évident de se préparer à Nancy. Pourtant, tous les mois, nous y sommes allés. Rendez-vous généralement pris le samedi en début d’après-midi. Il fallait voir le tableau. Nous étions joyeux, nous allions nous marier, nous entrions dans le grand hall de l’hôpital, croisant pas mal de malades résidents (une jambe cassée, ou d’autres infirmités), rarement joyeux avouons-le, et nous allions à l’accueil. Là, une charmante hôtesse, à l’accent vosgien très prononcé, appelait Bernard pour qu’il nous rejoignît à son bureau (il était rarement à son bureau, il était dans des chambres de patients). Et ce fut deux heures de discussion à bâtons rompus (lui était bavard, moi aussi, cocktail terrible).

Nous parlions bien sûr de l’engagement, du mariage, etc. mais la discussion déviait rapidement vers son propre travail. Quel était son travail d’aumônier dans un hôpital d’adultes où il y a des patients soignés contre un cancer, ou contre d’autres maux, parfois en soins palliatifs ? Il nous expliquait déjà que tout le monde l’appelait, croyants et pas croyants. Ils avaient besoin d’un accompagnement spirituel sinon psychologique. Il y avait des personnes très aisées, ou des personnes très pauvres, mais face à la mort, le résultat était le même. Tout le monde se découvrait ou redécouvrait et acceptait une parole de vérité. Il n’y avait plus de jeu de rôle social. Toutes les paroles étaient vraies, pensées, spontanées, libres, terribles car la mort n’était pas loin.

Un tel travail, moi, cela m’aurait achevé évidemment. Lui, au contraire, je ne sais pas par quelle source de vie, cela lui donnait de l’énergie. Il se sentait utile, terriblement utile. Il donnait à penser aux patients. Ils prenaient ou ils ne prenaient pas, tout était possible, mais il était à l’écoute. Présent. Toujours là. Même aux pires moments. Une disponibilité.

Et comme d’habitude, son comportement avec la hiérarchie était très cavalier. Il n’hésitait pas dire leurs quatre vérités à tel ou tel grand ponte de la médecine, tel chef de service. Il était scandalisé que le patient ne fût pas systématiquement l’unique focalisation des médecins. Il avait d’ailleurs des propos quasiment anti-médecins comme Pierre Desproges développait des propos anti-garagistes ou anti-coiffeurs. Sur le ton de l’humour mais avec une petite dose de sincérité quand même. Il a réussi à faire donner quelques doses de morphine à des malades en fin de vie qu’on avait "oubliés", par exemple… Il secouait les cocotiers quand il le fallait. Et pourtant, personne ne le haïssait, car il ne le faisait pas pour une obscure manœuvre carriériste, une manipulation de bas étage, mais simplement pour une idée haute de l’aide qu’il devait apporter aux patients, surtout lorsqu’ils étaient en fin de vie.

Un exemple d'humour sur le monde médical, Bernard Remy, qui s'était finalement mis à utiliser l'Internet et ses nouvelles technologies comme un pro grâce à l'hôpital, m'avait envoyé il y a quelques mois cette vidéo humoristique de Michel Cymes dont les premières minutes pourraient faire étrangement penser à un diagnostic du covid-19. On y voit aussi l'ancienne ministre Roselyne Bachelot.



Dans la discussion, Bernard pouvait avoir l’air de donner des recettes de cuisine et pourtant, c’étaient des conseils de bon sens et mûrement réfléchis. Par exemple, pour les futurs mariés, il recommandait de toujours discuter en vérité, sans faux-semblant au moins trois minutes tous les jours. Malheureusement, avec moi, cela prend beaucoup de temps, mais l’idée de rester en permanence en communication dès le démarrage d’un couple est d’autant plus pertinente qu’elle est du bon sens mais que, les habitudes naissantes, on pouvait parfaitement oublier. Inutile de dire que chaque fois que nous le revoyions, il nous demandait : alors, ces trois minutes, c’est toujours fait ?

Toutes les histoires qu’il pouvait nous raconter dans sa relation avec les patients en fin de vie étaient particulièrement riches et intéressantes. Je regrette qu’il n’ait pas eu le temps d’en écrire quelques-unes, d’expliquer cet univers si particulier, à la fois angoissant et glauque et aussi, plein d’espérance car l’humain se retrouve vrai et retrouve l’essentiel. Il n’était pas un philosophe comme Maurice Bellet qui tentait de proposer une sorte de mode d’emploi à usage des exclus, des écartés par la détresse. Bernard Remy n’avait pas une vocation intellectuelle même s’il l’était un peu dans sa pensée, il était surtout concentré dans sa relation directe avec l’humain, avec les humains. Libre complètement, fermement, au point de remuer la terre entière lorsqu’un sujet précis le scandalisait (par exemple, quand il découvrait qu’un malade n’avait pas été lavé), mais toujours avec une bonté qui faisait que même ses cibles avaient du mal à le détester.

Dans son message de Noël 2019, Bernard Remy nous avait écrit : « Pour cette nouvelle année 2020 que je vous souhaite grande, belle et bonne, accueillons dans nos cœurs Jésus, qui se fait tout petit avec son amour infini et gratuit. ». Et il avait ajouté ce beau texte du père Jean Debruynne (1925-2006), prêtre, poète, qui fut très longtemps l'aumônier général des Guides de France et des Scouts de France :

« Comment, toi Dieu, qui es mon Père,
Peux-tu être soudain mon frère ?
Comment, toi Dieu, qui es Dieu,
Peux-tu soudain être un homme ?
J'ai beaucoup retourné ces questions
Dans ma tête sans jamais y trouver de réponse.
Je ne saurai donc jamais comment...
Mais à Noël, au lieu de me dire comment,
Mon cœur m'a dit pourquoi.
Il m'a dit : il n'y a que l'Amour ! »

Que Bernard Remy fût la énième victime d’un virus totalement inconnu il y a trois ou quatre mois est une réalité qui a de quoi désespérer. Je sais seulement que sa vie a été d’une richesse humaine incroyable, qu’il a su la naviguer comme il la voulait et que son souvenir restera à jamais ancré dans la mémoire des nombreuses personnes qui ont la grande chance de l’avoir rencontré. Il a été enterré dans l’intimité familiale le 28 mars 2020, conformément aux consignes gouvernementales du confinement. Un détail qui ajoute à la tristesse. Merci Bernard Remy de tout ce que tu nous as apporté. Condoléances à la famille.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 mars 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L’abbé Bernard Remy.
Mgr Roger Etchegaray.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Miss Corny.
Sœur Emmanuelle : respecter et aimer.
Sœurs de Saint-Charles.
Père Gilbert.
Frère Roger.
Jean-Marie Vianney.
Abbé Pierre.
La "peur" de saint Jean-Paul II.
Notre-Dame de Paris : la flèche ne sera pas remplacée par une pyramide !
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Maurice Bellet, cruauté et tendresse.
Réflexions postpascales.

_yartiRemyBernard04



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20200326-bernard-remy.html

https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/bernard-remy-il-regarde-le-soleil-222773

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/03/29/38145568.html



 

Partager cet article
Repost0
4 août 2018 6 04 /08 /août /2018 03:44

« Ferme dans son engagement, lucide et équilibré dans la conduite des affaires publiques, il avait un sens aigu du pragmatisme, hérité de ses origines terriennes. » (André Rossinot, actuel président de la Métropole du Grand Nancy, 9 mai 2018).


_yartiChoneCharles01

Les superlatifs ont fusé dans l’agglomération de Nancy pour cet homme exceptionnel : une « figure emblématique et incontournable de la vie publique de l’agglomération nancéienne durant ces dernières décennies » pour Laurent Hénart, maire de Nancy et ancien ministre ; un « homme moderne et attentionné, empreint d’un profond humanisme » pour André Rossinot, ancien ministre et ancien maire de Nancy ; un « ardent défenseur de la décentralisation, précurseur de l’intercommunalité et des enjeux numériques » pour Mathieu Klein, président socialiste du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle ; un « inlassable militant du développement économique (…), un homme aux convictions solides, humanistes et profondément européennes » pour Jean-François Husson, sénateur et président de la Scalen ; une « référence parmi le personnel politique lorrain (…), précurseur à bien des égards en matière d’aménagement du territoire, d’infrastructures, de nouvelles technologies et de développement économique » selon le journal régional "L’Est Républicain"…

J’ai appris avec tristesse la disparition de Charles Choné le mercredi 9 mai 2018 dans la matinée. Il allait atteindre ses 91 ans dans quelques semaines, affaibli par la maladie et effondré par le deuil : son épouse était partie quelques mois avant lui, en août 2017, après soixante-six ans de mariage. S’il était peu connu au niveau national, il ne pouvait pas ne pas être connu des habitants de l’agglomération de Nancy qui fut en partie dessinée par celui que de nombreux élus appelaient affectueusement "le grand Charles".

Il était l’un des rares élus à m’avoir "introduit" à la vie politique. Je me souviens d’une soirée en pleine semaine, il y a plus de trente ans et demi, où il m’avait accueilli avec d’autres élus. Il m’avait consacré du temps malgré ses très nombreuses responsabilités locales (citer tous ses titres était très long et était même une source de plaisanterie) sous une casquette qui m’avait fait le rencontrer, président du Centre des démocrates sociaux (CDS) de Meurthe-et-Moselle. Le CDS, composante démocrate-chrétienne de l’ancienne UDF, était le seul parti vraiment enthousiaste qui soutenait la candidature de Raymond Barre à l’élection présidentielle de 1988.

Si peu de grands élus croyaient dans cette candidature à cause du verrouillage systématique du RPR et de l’équipe de campagne de Jacques Chirac, alors Premier Ministre de la première cohabitation, beaucoup de sympathisants y croyaient, car la popularité de Raymond Barre reposait sur sa sincérité, sa stature, son sérieux et sa foi en la vérité. Hélas, il fut éliminé dès le premier tour par la conjonction des clivages de la cohabitation conflictuelle et du développement de la fièvre Le Pen, et je reste encore aujourd’hui persuadé que si Raymond Barre avait été élu en 1988, nous n’en serions pas là aujourd’hui sur le plan économique, nous n’aurions pas eu cette dette si élevée qui va encore plomber les générations prochaines. Mais je m’égare dans de l’uchronie.

Charles Choné, lui, sombrait rarement dans les diversions philosophiques. Il voyait la politique non pas comme une thèse de sciences politiques, mais comme une action concrète au service de ses contemporains. D’une voix un peu rocailleuse, celle de l’agriculteur qu’il était depuis 1958, quand son frère et lui ont repris l’exploitation de leur père et de leur grand-père, des yeux qui pouvaient un peu surprendre et interroger au même titre que ceux de Jean-Paul Sartre, mais on ne s’interrogeait pas longtemps en regardant son petit sourire en coin : l’œil brillait par une sorte de tendresse bon enfant.

J’ai d’ailleurs toujours été étonné par le "bon sens paysan" dans la vie politique. En Meurthe-et-Moselle, où beaucoup de conseillers généraux étaient des agriculteurs dans les années 1980 et 1990, j’ai toujours pu remarquer que leurs points de vue étaient souvent pertinents : loin de se laisser conditionner par les pressions médiatiques ou la dictature de l’instantané, ils restaient sur des fondamentaux et voyaient les choses souvent de manière très juste. Comme eux, Charles Choné était d’abord un homme libre, et s’il a eu des responsabilités partisanes sur le plan départemental, il a toujours gardé sa liberté d’action, de réflexion et d’expression, personne du national n’a jamais osé lui imposer des consignes et quand l’UDF s’est émiettée en 2002, il a choisi de rejoindre l’UMP par simple souci d’unité (tétanisé par le résultat du premier tour de l’élection présidentielle le 21 avril 2002), mais sans grand enthousiasme.

_yartiChoneCharles04

Né le 19 juin 1927, Charles Choné, jeune agriculteur, accepta d’entrer au conseil municipal de sa commune, Ludres, en mars 1959 (sollicité par les élus de l’époque). Il fut élu maire de Ludres dès mars 1963 et ne quitta cette fonction qu’en mars 2008, après huit mandats (il a ainsi travaillé avec 106 élus municipaux ludréens). À l’époque, Ludres était une petite commune rurale de 1 100 habitants située à une dizaine de kilomètres au sud de Nancy.

Quand il a quitté ses fonctions politiques en 2008, Ludres comptait 6 700 habitants et faisait pleinement partie de l’agglomération de Nancy. Je me souviens de cette petite ville dans les années 1970, un village en fait, qui n’avait même pas l’eau courante en permanence, qui était une destination de balade dominicale pour les citadins, il y avait de quoi faire de l’équitation, le tout pour se retrouver dans la nature, pas loin de la grande ville.

Ce fut à la fin des années 1970 et au début des années 1980 que Charles Choné a développé considérablement sa ville (entre 1975 et 1982, la population est passée de 1 600 à 5 400 habitants, plus que triplée !). Ce maire historique avait tellement anticipé l’évolution qu’il a fait acquérir ou construire à sa ville des équipements pour une commune de 15 000 habitants (deux écoles maternelles et primaires, un collège, un accueil pour la petite enfance, une résidence autonomie, une médiathèque, une école de musique, une salle de spectacle de 1 000 à 1 500 places où se sont produits notamment Bernard Lavilliers, Francis Cabrel, Jean-Louis Aubert et Yannick Noah, etc.).

Dès 1965, Charles Choné a créé la première zone industrielle privée de France (avant la loi d’orientation foncière). Il a démarché lui-même les entreprises pour qu’elles s’y établissent et celles-ci ont apporté les ressources nécessaires aux ambitions du maire (la zone, appelée Dynapôle, accueille actuellement 310 entreprises, et est directement reliée à Paris, à Lyon, à l’Allemagne, à la Suisse et au Luxembourg, grâce à sa proximité immédiate des autoroutes A33 et A330).

À partir de ce moment-là (1965), il a toujours été en avance d’une guerre technologique. Il a su comprendre l’évolution économique et sociale et préparer sa commune puis l’agglomération de Nancy à se "moderniser". Ce fut à Ludres en 1998 que fut ouvert l’un des premiers complexes de cinéma UGC, avec 14 salles comprenant 3 000 fauteuils (à la ZAC Chaudeau). À l’époque, contesté par de nombreux habitants, ce complexe est maintenant très fréquenté par les Nancéiens. Il faut rappeler que ce cinéma était prévu …dès 1968 !

Avec les nouvelles technologies, il fut parmi les maires les plus en avance avec l’un des premiers réseaux câblés de télédistribution de France, devançant plusieurs fois la loi avec des essais de télévision locale en 1976 et 1985 (avant de lancer télé-Ludres en 1997), et bousculant, au niveau de l’agglomération, le monopole de France Télécom sur Internet et le très haut débit.

Visionnaire, Charles Choné avait fait adopter un plan d’occupation des sols (POS) puis PLU pour répartir de façon réfléchie et organisée le territoire réservé aux habitations, à la zone industrielle et à une aire de loisirs. Seul, son projet de stade de 30 000 places ne fut pas pris en compte.

Charles Choné avait initialement bataillé contre l’organisation régionale d’études et d’aménagement de la Lorraine qui ne voulait développer que le nord de Nancy (vers Frouard, Pompey, etc.) et pas le sud. N’hésitant pas à utiliser ses fonctions de conseiller général (voir plus loin) et même à faire pression sur le rectorat de Nancy (il organisa une manifestation le 17 mars 1984), il a obtenu, au bout de vingt-deux ans d’un combat acharné, l’ouverture en 1988 d’un collège à Ludres, le collège Jacques-Monod.

Avec ses fonctions de maire, il a multiplié les responsabilités dans l’agglomération de Nancy dont faisait partie Ludres et a renforcé son expertise reconnue sur l’intercommunalité, les finances locales, la fiscalité et l’urbanisme. Vice-président du District de l’agglomération nancéienne de 1974 à 1992, Charles Choné fut l’un des fondateurs en 1975, puis élu président de la très stratégique Agence de développement et d’urbanisme de l’agglomération nancéienne (ADUAN, devenue Scalen le 2 mars 2017) de 1980 à 1992 (trésorier de 1975 à 1980, vice-président de 1992 à 2008, puis président d’honneur) qui remodela l’agglomération pendant deux décennies.

Une vidéo montre justement Charles Choné présenter en mars 2017 l’augmentation des compétences de l’ADUAN qui, au départ, était en opposition avec la ville de Nancy et qui a permis de créer un outil de développement économique et urbain pour tout le bassin Nancy Sud Lorraine.







Charles Choné fut élu vice-président de la Fédération des agences d’urbanismes de France de 1989 à 1998, président du Conseil d’architecture de l’urbanisme et de l’environnement de Meurthe-et-Moselle de 1992 à 1998. Au niveau départemental, il fut également président de l’Association des maires de Meurthe-et-Moselle de 1989 à 2001 (président d’honneur après 2001), ce qui lui a permis d’ouvrir un service d’aide à la décision des élus dans les domaines administratif, juridique, financier et informatique.

Sur le plan départemental et régional, Charles Choné fut élu conseiller général du canton de Jarville de mars 1985 à mars 1998 et à ce titre, il fut élu vice-président du conseil général de Meurthe-et-Moselle chargé des affaires scolaires de 1985 à 1988, puis délégué aux grands projets et affaires économiques, et délégué aux transports de 1993 à 1998. Il fut élu aussi conseiller régional de Lorraine de mars 1986 à mars 1998, délégué à l’enseignement secondaire, rapporteur du groupe technique de planification Éducation et apprentissage, président de la commission transports au conseil régional de Lorraine de 1989 à 1998. Parmi les projets qui lui tenaient à cœur, l’autoroute A32, le TGV Est, l’aéroport régional, le diester pour les transports en commun, l’aviation d’affaires, etc.

Son bâton de maréchal fut la tête de l’agglomération de Nancy entre mars 1992 et mars 2001 avec deux objectifs : la solidarité entre communes et le destin partagé, tout en maintenant le respect de l’identité communale. D’abord président du District de l’agglomération nancéienne (créé en 1959), Charles Choné, expert en intercommunalité (domaine souvent compliqué pour certains élus locaux), a compris très vite la grande opportunité (en dotation financière), offerte par le gouvernement de l’époque, de transformer la structure intercommunale unissant les communes du Grand Nancy de district urbain en communauté urbaine. En 1996, il fut donc le premier président de la Communauté urbaine du Grand Nancy, jusqu’en 2001, puis vice-président de 2001 à 2008 (le maire de Nancy de l’époque, André Rossinot, est le président du Grand Nancy depuis 2001 : historiquement, il y a toujours eu une alternance pour la présidence de l’agglomération entre le maire de Nancy et le maire d’une autre commune de l’agglomération).

Engagé aussi au niveau national dans l’intercommunalité, Charles Choné fut vice-président de l’Assemblée des districts et communautés de France de 1992 à 2001, et président de l’Association des communautés urbaines de France de 1996 à 1997.

On aurait pu (à juste titre) reprocher à Charles Choné sa propension aux cumuls des mandats (à l’époque possible) et des responsabilités. Il l’a fait en conscience, considérant que ces nombreux leviers lui apportaient l’efficacité dans la réalisation de ses nombreux projets. Il a été également chargé de mission auprès du Ministre de l’Équipement, des Transports et du Tourisme de 1994 à 1994 (le ministre en question était Bernard Bosson, également secrétaire général du CDS), très honoré d’utiliser ses compétences locales dans l’exercice de ses fonctions ministérielles (Bernard Bosson avait été Secrétaire d’État aux Collectivités locales puis aux Affaires européennes entre 1986 et 1988).

De tempérament centriste (il a voté Jean Lecanuet en décembre 1965), il était fortement marqué par la guerre et était un partisan enthousiaste de la construction européenne et du principe de subsidiarité. Je me souviens de certaines discussions avec lui à propos du référendum sur le Traité de Maastricht une semaine avant les élections sénatoriales, en septembre 1992, au moment où beaucoup de maires ruraux y étaient passablement hostiles (ce qui démontrait d’ailleurs que les ruraux avaient souvent du bon sens, mais pas toujours !). Dans cette optique d’unité du continent, il n’était pas étonnant que le maire Charles Choné cherchât à nouer des jumelages entre sa ville Ludres et des villes européennes : Furth im Wald en Allemagne (en 1987), Domazlice en République tchèque (en 1994) et Furth bei Gottweig en Autriche (en 1999).

Néanmoins, son ambition de devenir sénateur n’a pas pu se concrétiser. Après un premier tour de piste en septembre 1983 (avec son seul mandat de maire), Charles Choné a raté de quelques voix son élection au Sénat en septembre 1992 (il était alors aussi élu départemental et régional). Il était l’un des rares candidats aux sénatoriales à avoir rencontré tous les maires et grands électeurs de Meurthe-et-Moselle, si bien que ses campagnes sénatoriales lui ont permis de renforcer son implantation et son influence locale. Bien plus tard, le 7 juillet 2014 à Ludres, Charles Choné a reçu en présence du sénateur Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier Ministre, la médaille d’honneur du Sénat.

_yartiChoneCharles02

Un internaute qui a travaillé plusieurs années aux côtés de Charles Choné a écrit ces quelques mots très justes en réaction à l’hommage de "L’Est Républicain" : « "Le" Charles, c’était une institution. Évidemment, ses amis et ses ennemis vont se confondre en regrets et compliments. Tu parles ! Il va bien se marrer. Il avait cette manière de rigoler à la Bouvard, en tressautant des épaules, avec le regard malicieux et matois du paysan à qui on ne la fait pas. » (11 mai 2018).

Affirmant que Charles Choné « avait le sens de la formule qui donnait aux situations complexes le caractère d’une évidence presque banale », Jean-François Husson, dans son hommage, a rappelé la conclusion du livre que l’élu écrivit en 1988, "La République dans tous ses états" (livre de témoignage sur la fiscalité et les institutions), avec une formule de Voltaire qui peut être une recommandation avisée pour l’avenir : « C’est n’être bon à rien, de n’être bon qu’à soi. ». Charles Choné manquera beaucoup aux Nancéiens. Condoléances à sa famille et proches.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 mai 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Charles Choné.
Bernard Bosson.
Le CDS.
La construction européenne.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Olivier Lejeune.
Roger Mari.

_yartiChoneCharles03



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180509-charles-chone.html

https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/charles-chone-le-bon-sens-paysan-204294

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/08/04/36401104.html


 

Partager cet article
Repost0
15 décembre 2017 5 15 /12 /décembre /2017 02:26

« Je fais partie d’une espèce en voie de disparition. Comme on est de moins en moins nombreux, il faut crier pour se faire entendre (…). Dans la Résistance, il n’y a pas de légende, seule existe la vérité historique, même si celle-ci peut être cruelle. » ("L’Est Républicain" du 28 octobre 2008).


_yartiMJBJ01

Femme exceptionnelle que fut Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin. Ses obsèques ont eu lieu dans l’intimité familiale il y a juste un an, le 15 décembre 2016 à Nancy, et ses cendres ont été dispersées dans ses Vosges natales. Elle avait 95 ans. Née le 27 janvier 1921.

J’ai eu la grande chance de l’avoir souvent rencontrée à diverses occasions dans les années 1990, et même d’avoir eu chez elle, une après-midi, une longue conversation sur ce passé si héroïque qui l’a forgée définitivement. À cette époque, d’ailleurs, je n’avais pas l’impression qu’elle était beaucoup écoutée. Ses "histoires" n’intéressaient pas beaucoup de monde. J’en étais presque honteusement ravi, car j’appréciais beaucoup la discussion avec elle. Elle venait de se faire "virer" de l’équipe municipale (dirigée par le maire sortant André Rossinot) pour les élections municipales de mars 1989. Entre 1965 et 1989, elle était en effet adjointe au maire de Nancy et sa derrière attribution concernait les jumelages et les relations internationales.. Cette responsabilité avait un sens très fort pour elle.

Avoir 20 ans en l’an 1940, ou un peu moins, c’était un extraordinaire défi pour tous ces jeunes Français. Il est impossible, lorsque l’on ne l’a pas vécu, de pouvoir dire ce qu’on aurait fait à leur place. Résister ? Comme c’est facile de le dire maintenant ! La question se tord quand on connaît l’issue de la guerre. Mais à l’époque ?

Elle, Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin, jeune étudiante de la faculté de droit de Nancy (elle est devenue par la suite avocate, pendant cinquante-deux ans, et même bâtonnière de Nancy, la première femme bâtonnier à Nancy), dans sa fougue, n’a pas beaucoup hésité. Elle-même était déjà "rebelle" et "insoumise".

Dans sa faculté, ses amis et elle ont rejeté la défaite de la France : « À l’époque, nous étions extrêmement patriotes, nos proches avaient déjà vécu la Première Guerre mondiale et le traumatisme était encore bien ancré. Beaucoup avaient connu l’horreur et perdu des membres de leur famille. Entrer dans la Résistance constituait alors un espoir de pouvoir libérer notre pays du joug allemand. » (Interview du 7 octobre 2010 au site Jecrispouvous.com ; les autres citations sans autre précision proviennent de ce même entretien).

En juin 1940, le petit groupe d’étudiants chahutaient ceux de leurs professeurs notoirement collaborateurs et faisaient passer aux nazis des pamphlets contre Hitler. Certains ont échoué à aller en Angleterre. L’appel de De Gaulle, qu’ils n’ont pas entendu directement, a été pour eux une "délivrance". Ils n’étaient pas seuls : « Imaginez que lorsque le Général De Gaulle a appelé les gens à se réunir pour résister, mon engagement fut évident et naturel. Je devais, moi aussi, agir pour mon pays. Nous étions persuadés que cette fois, ça allait bouger et que nous gagnerions la bataille. L’espoir était revenu. ».

À 19 ans, elle a donc répondu à l’appel de la Résistance de De Gaulle. Au départ, elle ne faisait "que" de la propagande contre les nazis et contre la collaboration (ce qui lui faisait risquer sa vie).

Et sa mère qui l’a élevée ? Voici la réaction : « Quand ma mère apprit ce que je faisais, elle eut peur pour moi et me mit en garde. Mais vous savez comme moi que les jeunes écoutent rarement leurs parents quand ils sont dans l’action. Alors, pour me protéger, maman m’envoya à Paris dans un foyer de jeunes filles (…). L’avantage est que les directrices du foyer nous soutenaient dans nos actions de résistance. J’étais donc à la faculté de droit de Paris tout en continuant mon activité de résistance. Je diffusais un journal en provenance de Londres (…), puis des photographies des tombes prises lors des obsèques des aviateurs alliés abattus dans la ciel de France. ». Son séjour à Paris se termina avec ses études en 1943.

Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin a envoyé une lettre à De Gaulle pour lui dire ce qu’elle ressentait en pleine action. Il me semble, d’après ce qu’elle m’a raconté, que la lettre a dû passer par le Brésil pour pouvoir être acheminée à Londres. Cette lettre encourageait les dirigeants de la France Libre à continuer à résister, à combattre. La lettre fut lue par Maurice Schumann, la fameuse voix de la France, au micro de la BBC le 15 août 1943. Mais elle avait adressé cette lettre avec son vrai nom et son adresse. Folie de jeunesse : si la lettre avait été interceptée par les nazis, il aurait suffi de la cueillir chez elle. La BBC a conservé une copie de la lettre : « [La BBC] m’en a adressé un exemplaire certifié conforme. Ils m’ont d’ailleurs exprimé la reconnaissance du peuple anglais pour le soutien que nous leur avions apporté. C’est une grande fierté pour moi. ».

_yartiMJBJ04

En juin 1943, elle regagna Nancy et s’intégra dans un mouvement de résistance. Son nom de guerre : Amouna. Agente de liaison du réseau Brutus rattaché au Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) de la France Libre à Londres. Elle a rempli de nombreuses missions de renseignements et d’espionnage. Elle a assuré de nombreuses liaisons entre Nancy et Paris d’où partait un avion pour Londres. Elle a notamment transmis aux Alliés le plan de localisation des mines dans la forêt de Haye, ce qui fut très utile lors de l’arrivée des troupes allées : « Ces renseignements ont d’ailleurs permis à la 35e division de la 3e armée américaine du 4 au 15 septembre [1944] de limiter largement les pertes dans son avancée vers Nancy et surtout d’éviter la destruction de la ville. ».

On se disait que, comme elle était une femme, les nazis se méfieraient peu d’elle : « Bien entendu, je ne savais jamais quelles étaient les informations que je devais transmettre. Mes chefs m’avaient dit de ne jamais camoufler ce que je transportais. Alors je me déplaçais toujours avec une enveloppe kraft sous le bras. C’est vrai, qui aurait pu soupçonner une jeune fille comme moi ? Je prenais des risques, c’est certain, mais ma jeunesse m’empêchait de réaliser que je me mettais en danger à chacune de mes missions. ».

Ses voyages entre Nancy et Paris se faisaient en train : « Le trajet Nancy-Paris devenait souvent un réel calvaire. Je me souviens d’une fois où je me suis retrouvée avec un couple de Nancy. Les avions ennemis nous survolaient, le train était rempli d’Allemands et nous avions pour compagnes de voyage des vaches. Elles furent d’ailleurs de bonnes alliées, car forte de mes expériences à la ferme dans les Vosges, je savais traire une vache et nous avions donc bénéficié du plaisir de boire du lait pendant le voyage vers Paris. Combien de fois aussi ai-je dû dormir dans des fossés, car les trains ne roulaient pas, ou il était trop dangereux de les emprunter. ».

Nancy a attendu une quinzaine de jours avant d’être libéré. Les nazis étant pris en tenaille le 14 septembre 1944, ils sont partis en faisant exploser les ponts de la Meurthe et du canal. Alors chargée d’informer les Alliés de la localisation des troupes allemandes, Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin raconta à l’hebdomadaire "Le Point" le 16 septembre 2004 : « Je me souviens être allée à Saint-Max pour porter un courrier [Saint-Max et Nancy sont séparés par le canal et la Meurthe]. Devant moi, un résistant se fait arrêter par les Allemands. J’abandonne mon vélo, repasse le pont et rejoins Nancy à pied avec une belle frousse. J’entends alors derrière moi un grand fracas. Le pont venait de sauter ! ». Quand les chars américains arrivèrent Place Stanislas à Nancy le matin du 15 septembre 1944, malgré des tirs isolés, tout le monde était fou de joie, elle aussi : « Je suis sortie avec une robe bleue, un corsage blanc et un chapeau rouge. » (16 septembre 2004). Des bombardements ont cependant encore continué à détruire des immeubles jusqu’à la fin d’octobre 1944.

Elle raconta ainsi sa rencontre "historique" : « Le 25 septembre 1944, le Général De Gaulle est venu à Nancy, accompagné de Maurice Schumann (…). Mes amis et moi étions restés à l’écart de cette fête. Nous célébrions la Libération entre nous. Nous ne voulions pas aller Place Stanislas de peur d’y retrouver la même foule que lors de la venue de Pétain. Mais la tranquillité n’allait pas durer. En effet, quelqu’un vint me chercher, me signifiant que Maurice souhaitait ma présence Place Stanislas. Quand je fus avec lui, il me prit dans ses bras et me dit : "Ah ! Voilà donc celle qui a écrit la lettre au Général !". C’était ma première rencontre avec Maurice qui deviendra, par la suite, un grand ami. Il fut mon témoin de mariage et aussi le parrain de mon fils Jean-Luc. ».

Après la libération de Nancy, comme elle était juriste, le Ministère de la Justice lui confia les enquêtes de collaboration en Meurthe-et-Moselle et dans les Vosges : « Je consultais les dossiers, qui contenaient les preuves de collaboration, et je donnais mon avis, celui-ci n’étant bien entendu que consultatif. Vous savez, beaucoup de prétendus collaborateurs ne l’étaient pas, ces dossiers étant hélas parfois des prétextes de règlement de comptes. Je n’appréciais pas trop ce travail, justement à cause des injustices qu’il pouvait engendrer. ».

Mais la guerre n’était pas encore finie : « Je voulais de l’action. Je me suis donc engagée dans la 1e armée française, que j’ai rejointe à Colmar. Nous sommes entrés en Allemagne par un pont de péniches. ». Elle a fini lieutenant. Elle avait envisagé d’aller suivre les troupes françaises en Indochine, mais elle fut affectée au Ministère de la Guerre, à Paris : « J’étais réellement déçue, je voulais plus que tout être sur le terrain. Du coup, j’ai abandonné l’armée et je suis retournée à mon premier amour, le droit. J’ai donc repris ma carrière d’avocate. J’ai prêté serment à la cour d’appel de Nancy le 17 novembre 1943, et jusque 1995, j’ai exercé en qualité d’avocate. ».

On comprend pourquoi elle était si attachée à son poste électif sur le jumelage (de 1977 à 1989). Parce qu’après la guerre, elle est devenue une promotrice de l’amitié franco-allemande et de la construction européenne : « [Les jeunes] ont beaucoup plus de facilité que nous à l’époque de voyager, rencontrer les populations des pays voisins, c’est une chance. Pourtant, je pense que l’Europe et ses enjeux sont mal expliqués aux jeunes. Au-delà de l’aspect politique, on oublie un peu de parler du rassemblement humain que provoque la réunion de ces pays. Et je trouve cela dommage, nos jeunes restent souvent sur des a priori dictés par les choses qu’ils apprennent, alors que l’union des peuples devraient être considérée comme une véritable richesse. ».

_yartiMJBJ03

Le souvenir des atrocités de la guerre s’estompe avec le temps et avec la disparition des survivants, la construction européenne paraît moins évidente parce que la paix est plus évidente. Elle n’est pourtant pas plus pérenne qu’en 1919. Le 12 juin 1981, Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin a d’ailleurs reçu la médaille d’honneur de la ville de Karlsruhe. Elle a aussi contribué au jumelage de Nancy avec Lublin, en Pologne, et Kiryat Shémona, en Israël.


Ses convictions, c’était la démocratie chrétienne. Après avoir redémarré sa vie professionnelle (très réussie, puisqu’elle a été bâtonnière), Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin, après ce qu’elle a vécu, ne pouvait pas ne pas s’engager politiquement. Ce fut donc naturellement au sein du MRP (Mouvement républicain populaire), parti des résistants, fondé à la Libération par Georges Bidault et Maurice Schumann et l’un des principaux partis de gouvernement sous la IVe République.

Aux élections municipales de mars 1959, Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin fut élue conseillère municipale de Nancy, chargée des questions sociales. Aux élections législatives de novembre 1962, elle fut candidate au poste de suppléante du député sortant de Nancy Est, Roger Devemy, un négociant en matériaux, avec l’investiture du MRP et le soutien des indépendants et paysans. Il ne fut cependant pas réélu. Pour l’élection présidentielle de décembre 1965, elle fut la représentante légale du candidat MRP Jean Lecanuet en Meurthe-et-Moselle. Entre temps, elle s’était fait élire adjointe au maire de Nancy en mars 1965, chargée des écoles (et elle fut réélue à ce poste en mars 1971, mars 1977 et mars 1983). Aux élections législatives de mars 1967, elle fut candidate suppléante aux côtés de Richard Pouille, maire de Vandœuvre-lès-Nancy, la deuxième ville du département, futur sénateur et futur président du district de Nancy, soutenu par le Cendre démocrate, mais il n’a pas été élu. Pour l’élection présidentielle de juin 1969, elle fut l’animatrice départementale de la campagne du Président du Sénat Alain Poher.

Aux élections législatives de mars1973, elle s’est présentée elle-même avec le soutien du Centre démocrate et l’investiture du Mouvement des réformateur. Sa candidature fut ainsi annoncée :  « Pour sa fidélité à ses convictions, pour sa continuité dans l'action, pour sa compétence dans le travail pour son désintéressement au service de tous pour sa persévérance à faire triompher la morale politique du Centre démocrate, le comité directeur du Centre démocrate de Meurthe-et-Moselle, en octobre 1972, après consultation, à l'unanimité, a demandé à Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin de soutenir devant les électeurs le programme du Mouvement réformateur. ». Dans ce programme, il y a notamment :
- « Pour une assemblée régionale élue au suffrage universel ».
- « Pour un Parlement Européen élu au suffrage universel, doté d'un pouvoir réel. ».
- « Pour la constitution d'une monnaie européenne ».
- « Pour moraliser la vie publique ».
C'était le programme des élections législatives de mars 1973, je le rappelle !
Malgré cette vision très anticipatrice de la vie démocratique, elle ne fut pas élue.

Entre 1965 et le début des années 1980, Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin a eu beaucoup de responsabilités politiques dans le cadre départemental. En novembre 1971, elle représenta la fédération de Meurthe-et-Moselle du Centre démocrate lors de la convention nationale du Centre démocrate à Nantes qui a abouti à la fondation du Mouvement des réformateurs (avec les radicaux de JJSS).

_yartiMJBJ02

Après sa longue et brillante carrière d’avocate, elle a consacré sa retraite à témoigner de sa vie de résistante, dans les écoles et dans les associations : « La jeunesse représente l’avenir. Intéressante, pleine d’entrain, un brin révolutionnaire, tout ce qui est nécessaire pour avancer. Je pense qu’il est essentiel de se rapprocher d’eux, d’échanger avec eux, les écouter et surtout les comprendre. Les anciens ont beaucoup de choses à leur transmettre et je les sens très réceptifs. Je suis toujours heureuse au contact des jeunes. ». Elle a été très longtemps présidente de Lorraine-Résistance et était encore très active lors de l’assemblée générale du 9 juin 2013 à l’hôtel Arcole d’Houdemont.

Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin a reçu très tardivement la Légion d’honneur, car elle ne l’avait jamais demandée. Elle a été faite chevalier de la Légion d’honneur le 6 septembre 1995. Je me souviens d’avoir assisté à sa remise de médaille dans le salon d’honneur de l’Hôtel de Ville de Nancy. C’était Maurice Schumann, quelques années avant sa mort, qui lui épingla la médaille en rappelant que cette « gamine intrépide » n’avait pas froid aux yeux. Ce n’était pas la médaille qui lui était destinée que l’ancien ministre lui a accrochée : cette Légion d’honneur lui avait été attribuée par le Ministre de la Justice, mais cela n’avait pas beaucoup de sens pour une ancienne résistante. Alors Maurice Schumann lui épingla sa propre médaille, qu’il avait obtenue à titre militaire, la seule qui valût pour les combattants. Très forte émotion dans la salle. Ce fut plus tard le Président Jacques Chirac lui-même qui lui a remis les insignes d’officier de la Légion d’honneur, attribuée le 14 juillet 2006, en la qualifiant de « grande dame ».

Parmi ses autres distinctions françaises et étrangères, on peut citer : officier de l’ordre national du Mérite, dont la médaille fut remise par Xavier de Villepin (le père de Dominique de Villepin), croix de guerre 1939-1945 avec citation (étoile de bronze), croix du combattant volontaire et du combattant volontaire dans la Résistance, médaille de la France libérée, chevalier des Palmes académiques, médaille d’or de la ville de Nancy, médaille d’argent de la Fédération nationale des anciens mutilés combattants et victimes de guerre, officier du Mérite de l’Allemagne fédérale et médaille d’or de l’American Legion.

Elle fut dans de plusieurs associations d’anciens combattants ou d’anciens résistants. Elle fut membre du comité d’honneur de l’Association France-Israël aux côtés notamment de Maurice Faure, Loïc Bouvard, Pierre-Gilles de Gennes, Emmanuel Le Roy Ladurie, Lucien Neuwirth, Christian Poncelet, Jacqueline de Romilly, Louis Jung, Jean Seitlinger, Jean Ferniot, Charles Napoléon, Joseph Sitruk, Jean-Marie Rausch, etc.

Lors d’une des nombreuses assemblées générales de Lorraine Résistance qu’elle présidait, Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin, avec son excitation intellectuelle habituelle, confia à "L’Est Républicain" du 28 octobre 2008 qu’elle était en train de rédiger ses mémoires qui seraient décapantes : « Mais j’attendrai un peu pour les publier car, si cela devait faire du bruit dans le Landerneau, je serais là-haut à ce moment-là ! ».

Un soir autour d’un pot dans un café nancéien, cette amoureuse de la vie me cita, les yeux pétillants, un extrait des fameuses "Nourritures terrestres" (1897) d’André Gide, un message qui me resta ancré profondément : « Il y a d’admirables préparatifs au sommeil ; il y a d’admirables réveils ; mais il n’y a pas d’admirables sommeils, et je n’aime le rêve que tant que je le crois réalité. Car le plus beau sommeil ne vaut pas le moment où l’on se réveille. ». Sa devise personnelle était : « Le courage, c’est d’aimer la vie, mais de regarder la mort avec calme. ». Le calme est arrivé depuis un an…

« Si mon vêtement dénude autrui, j’irai nu.
La fleur ne vaut pour moi que comme une promesse de fruit.
Ne souhaite pas, Nathanaël, trouver Dieu ailleurs que partout.
Que ta vision soit à chaque instant nouvelle.
Le sage est celui qui s’étonne de tout.
Que l’importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée. ».

(André Gide, dans "Nourritures terrestres")


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 décembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Général Leclerc.
Général De Gaulle.
Maurice Schumann.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Miss Corny.
Marguerite Yourcenar.
Simone Veil.
Marie Curie.
Paula Modersohn-Becker.
Germaine Tillion.
Sœur Emmanuelle.
Mère Teresa.
Diana Spencer.
Jacqueline de Romilly.
Simone Weil.
Hannah Arendt.
Anna Politkovskaia.
Françoise Giroud.
Jane Austen.
Nicole Bricq.
Brigitte Macron.
Michèle Cotta.
Élisabeth II.
Édith Piaf.
Margaret Kean.
Fadwa Suleiman.
Mireille Darc.
Gisèle Casadesus.
Mimie Mathy.
Grace Kelly.
Alice Sapritch.
Christina Grimmie.
Monique Pelletier.



_yartiMJBJ05



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20171215-marie-jeanne-bleuzet-julbin.html

https://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/marie-jeanne-bleuzet-julbin-la-199735

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/12/15/35960854.html



 

Partager cet article
Repost0
24 mars 2017 5 24 /03 /mars /2017 00:21

Des lycéens du lycée Varoquaux de Tomblaine, près de Nancy, ont participé à un clip du dvd 2017 des Enfoirés en langue des signes.



Bravo à tous ces lycéens qui y ont participé, et en particulier, à une lycéenne !!


SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20170309-video-enfoires.html

 

Partager cet article
Repost0
18 décembre 2016 7 18 /12 /décembre /2016 04:46

« Je fais partie d’une espèce en voie de disparition. Comme on est de moins en moins nombreux, il faut crier pour se faire entendre (…). Dans la Résistance, il n’y a pas de légende, seule existe la vérité historique, même si celle-ci peut être cruelle. » ("L’Est Républicain" du 28 octobre 2008).


_yartiMJBJ05

Femme exceptionnelle que fut Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin. Ses obsèques ont eu lieu dans l’intimité familiale il y a juste un an, le 15 décembre 2016 à Nancy, et ses cendres ont été dispersées dans ses Vosges natales. Elle avait 95 ans. Née le 27 janvier 1921.

J’ai eu la grande chance de l’avoir souvent rencontrée à diverses occasions dans les années 1990, et même d’avoir eu chez elle, une après-midi, une longue conversation sur ce passé si héroïque qui l’a forgée définitivement. À cette époque, d’ailleurs, je n’avais pas l’impression qu’elle était beaucoup écoutée. Ses "histoires" n’intéressaient pas beaucoup de monde. J’en étais presque honteusement ravi, car j’appréciais beaucoup la discussion avec elle. Elle venait de se faire "virer" de l’équipe municipale (dirigée par le maire sortant André Rossinot) pour les élections municipales de mars 1989. Entre 1965 et 1989, elle était en effet adjointe au maire de Nancy et sa derrière attribution concernait les jumelages et les relations internationales.. Cette responsabilité avait un sens très fort pour elle.

Avoir 20 ans en l’an 1940, ou un peu moins, c’était un extraordinaire défi pour tous ces jeunes Français. Il est impossible, lorsque l’on ne l’a pas vécu, de pouvoir dire ce qu’on aurait fait à leur place. Résister ? Comme c’est facile de le dire maintenant ! La question se tord quand on connaît l’issue de la guerre. Mais à l’époque ?

Elle, Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin, jeune étudiante de la faculté de droit de Nancy (elle est devenue par la suite avocate, pendant cinquante-deux ans, et même bâtonnière de Nancy, la première femme bâtonnier à Nancy), dans sa fougue, n’a pas beaucoup hésité. Elle-même était déjà "rebelle" et "insoumise".

Dans sa faculté, ses amis et elle ont rejeté la défaite de la France : « À l’époque, nous étions extrêmement patriotes, nos proches avaient déjà vécu la Première Guerre mondiale et le traumatisme était encore bien ancré. Beaucoup avaient connu l’horreur et perdu des membres de leur famille. Entrer dans la Résistance constituait alors un espoir de pouvoir libérer notre pays du joug allemand. » (Interview du 7 octobre 2010 au site Jecrispouvous.com ; les autres citations sans autre précision proviennent de ce même entretien).

En juin 1940, le petit groupe d’étudiants chahutaient ceux de leurs professeurs notoirement collaborateurs et faisaient passer aux nazis des pamphlets contre Hitler. Certains ont échoué à aller en Angleterre. L’appel de De Gaulle, qu’ils n’ont pas entendu directement, a été pour eux une "délivrance". Ils n’étaient pas seuls : « Imaginez que lorsque le Général De Gaulle a appelé les gens à se réunir pour résister, mon engagement fut évident et naturel. Je devais, moi aussi, agir pour mon pays. Nous étions persuadés que cette fois, ça allait bouger et que nous gagnerions la bataille. L’espoir était revenu. ».

À 19 ans, elle a donc répondu à l’appel de la Résistance de De Gaulle. Au départ, elle ne faisait "que" de la propagande contre les nazis et contre la collaboration (ce qui lui faisait risquer sa vie).

Et sa mère qui l’a élevée ? Voici la réaction : « Quand ma mère apprit ce que je faisais, elle eut peur pour moi et me mit en garde. Mais vous savez comme moi que les jeunes écoutent rarement leurs parents quand ils sont dans l’action. Alors, pour me protéger, maman m’envoya à Paris dans un foyer de jeunes filles (…). L’avantage est que les directrices du foyer nous soutenaient dans nos actions de résistance. J’étais donc à la faculté de droit de Paris tout en continuant mon activité de résistance. Je diffusais un journal en provenance de Londres (…), puis des photographies des tombes prises lors des obsèques des aviateurs alliés abattus dans la ciel de France. ». Son séjour à Paris se termina avec ses études en 1943.

Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin a envoyé une lettre à De Gaulle pour lui dire ce qu’elle ressentait en pleine action. Il me semble, d’après ce qu’elle m’a raconté, que la lettre a dû passer par le Brésil pour pouvoir être acheminée à Londres. Cette lettre encourageait les dirigeants de la France Libre à continuer à résister, à combattre. La lettre fut lue par Maurice Schumann, la fameuse voix de la France, au micro de la BBC le 15 août 1943. Mais elle avait adressé cette lettre avec son vrai nom et son adresse. Folie de jeunesse : si la lettre avait été interceptée par les nazis, il aurait suffi de la cueillir chez elle. La BBC a conservé une copie de la lettre : « [La BBC] m’en a adressé un exemplaire certifié conforme. Ils m’ont d’ailleurs exprimé la reconnaissance du peuple anglais pour le soutien que nous leur avions apporté. C’est une grande fierté pour moi. ».

_yartiMJBJ04

En juin 1943, elle regagna Nancy et s’intégra dans un mouvement de résistance. Son nom de guerre : Amouna. Agente de liaison du réseau Brutus rattaché au Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) de la France Libre à Londres. Elle a rempli de nombreuses missions de renseignements et d’espionnage. Elle a assuré de nombreuses liaisons entre Nancy et Paris d’où partait un avion pour Londres. Elle a notamment transmis aux Alliés le plan de localisation des mines dans la forêt de Haye, ce qui fut très utile lors de l’arrivée des troupes allées : « Ces renseignements ont d’ailleurs permis à la 35e division de la 3e armée américaine du 4 au 15 septembre [1944] de limiter largement les pertes dans son avancée vers Nancy et surtout d’éviter la destruction de la ville. ».

On se disait que, comme elle était une femme, les nazis se méfieraient peu d’elle : « Bien entendu, je ne savais jamais quelles étaient les informations que je devais transmettre. Mes chefs m’avaient dit de ne jamais camoufler ce que je transportais. Alors je me déplaçais toujours avec une enveloppe kraft sous le bras. C’est vrai, qui aurait pu soupçonner une jeune fille comme moi ? Je prenais des risques, c’est certain, mais ma jeunesse m’empêchait de réaliser que je me mettais en danger à chacune de mes missions. ».

Ses voyages entre Nancy et Paris se faisaient en train : « Le trajet Nancy-Paris devenait souvent un réel calvaire. Je me souviens d’une fois où je me suis retrouvée avec un couple de Nancy. Les avions ennemis nous survolaient, le train était rempli d’Allemands et nous avions pour compagnes de voyage des vaches. Elles furent d’ailleurs de bonnes alliées, car forte de mes expériences à la ferme dans les Vosges, je savais traire une vache et nous avions donc bénéficié du plaisir de boire du lait pendant le voyage vers Paris. Combien de fois aussi ai-je dû dormir dans des fossés, car les trains ne roulaient pas, ou il était trop dangereux de les emprunter. ».

Nancy a attendu une quinzaine de jours avant d’être libéré. Les nazis étant pris en tenaille le 14 septembre 1944, ils sont partis en faisant exploser les ponts de la Meurthe et du canal. Alors chargée d’informer les Alliés de la localisation des troupes allemandes, Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin raconta à l’hebdomadaire "Le Point" le 16 septembre 2004 : « Je me souviens être allée à Saint-Max pour porter un courrier [Saint-Max et Nancy sont séparés par le canal et la Meurthe]. Devant moi, un résistant se fait arrêter par les Allemands. J’abandonne mon vélo, repasse le pont et rejoins Nancy à pied avec une belle frousse. J’entends alors derrière moi un grand fracas. Le pont venait de sauter ! ». Quand les chars américains arrivèrent Place Stanislas à Nancy le matin du 15 septembre 1944, malgré des tirs isolés, tout le monde était fou de joie, elle aussi : « Je suis sortie avec une robe bleue, un corsage blanc et un chapeau rouge. » (16 septembre 2004). Des bombardements ont cependant encore continué à détruire des immeubles jusqu’à la fin d’octobre 1944.

Elle raconta ainsi sa rencontre "historique" : « Le 25 septembre 1944, le Général De Gaulle est venu à Nancy, accompagné de Maurice Schumann (…). Mes amis et moi étions restés à l’écart de cette fête. Nous célébrions la Libération entre nous. Nous ne voulions pas aller Place Stanislas de peur d’y retrouver la même foule que lors de la venue de Pétain. Mais la tranquillité n’allait pas durer. En effet, quelqu’un vint me chercher, me signifiant que Maurice souhaitait ma présence Place Stanislas. Quand je fus avec lui, il me prit dans ses bras et me dit : "Ah ! Voilà donc celle qui a écrit la lettre au Général !". C’était ma première rencontre avec Maurice qui deviendra, par la suite, un grand ami. Il fut mon témoin de mariage et aussi le parrain de mon fils Jean-Luc. ».

Après la libération de Nancy, comme elle était juriste, le Ministère de la Justice lui confia les enquêtes de collaboration en Meurthe-et-Moselle et dans les Vosges : « Je consultais les dossiers, qui contenaient les preuves de collaboration, et je donnais mon avis, celui-ci n’étant bien entendu que consultatif. Vous savez, beaucoup de prétendus collaborateurs ne l’étaient pas, ces dossiers étant hélas parfois des prétextes de règlement de comptes. Je n’appréciais pas trop ce travail, justement à cause des injustices qu’il pouvait engendrer. ».

Mais la guerre n’était pas encore finie : « Je voulais de l’action. Je me suis donc engagée dans la 1e armée française, que j’ai rejointe à Colmar. Nous sommes entrés en Allemagne par un pont de péniches. ». Elle a fini lieutenant. Elle avait envisagé d’aller suivre les troupes françaises en Indochine, mais elle fut affectée au Ministère de la Guerre, à Paris : « J’étais réellement déçue, je voulais plus que tout être sur le terrain. Du coup, j’ai abandonné l’armée et je suis retournée à mon premier amour, le droit. J’ai donc repris ma carrière d’avocate. J’ai prêté serment à la cour d’appel de Nancy le 17 novembre 1943, et jusque 1995, j’ai exercé en qualité d’avocate. ».

On comprend pourquoi elle était si attachée à son poste électif sur le jumelage (de 1977 à 1989). Parce qu’après la guerre, elle est devenue une promotrice de l’amitié franco-allemande et de la construction européenne : « [Les jeunes] ont beaucoup plus de facilité que nous à l’époque de voyager, rencontrer les populations des pays voisins, c’est une chance. Pourtant, je pense que l’Europe et ses enjeux sont mal expliqués aux jeunes. Au-delà de l’aspect politique, on oublie un peu de parler du rassemblement humain que provoque la réunion de ces pays. Et je trouve cela dommage, nos jeunes restent souvent sur des a priori dictés par les choses qu’ils apprennent, alors que l’union des peuples devraient être considérée comme une véritable richesse. ».

_yartiMJBJ03

Le souvenir des atrocités de la guerre s’estompe avec le temps et avec la disparition des survivants, la construction européenne paraît moins évidente parce que la paix est plus évidente. Elle n’est pourtant pas plus pérenne qu’en 1919. Le 12 juin 1981, Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin a d’ailleurs reçu la médaille d’honneur de la ville de Karlsruhe. Elle a aussi contribué au jumelage de Nancy avec Lublin, en Pologne, et Kiryat Shémona, en Israël.


Ses convictions, c’était la démocratie chrétienne. Après avoir redémarré sa vie professionnelle (très réussie, puisqu’elle a été bâtonnière), Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin, après ce qu’elle a vécu, ne pouvait pas ne pas s’engager politiquement. Ce fut donc naturellement au sein du MRP (Mouvement républicain populaire), parti des résistants, fondé à la Libération par Georges Bidault et Maurice Schumann et l’un des principaux partis de gouvernement sous la IVe République.

Aux élections municipales de mars 1959, Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin fut élue conseillère municipale de Nancy, chargée des questions sociales. Aux élections législatives de novembre 1962, elle fut candidate au poste de suppléante du député sortant de Nancy Est, Roger Devemy, un négociant en matériaux, avec l’investiture du MRP et le soutien des indépendants et paysans. Il ne fut cependant pas réélu. Pour l’élection présidentielle de décembre 1965, elle fut la représentante légale du candidat MRP Jean Lecanuet en Meurthe-et-Moselle. Entre temps, elle s’était fait élire adjointe au maire de Nancy en mars 1965, chargée des écoles (et elle fut réélue à ce poste en mars 1971, mars 1977 et mars 1983). Aux élections législatives de mars 1967, elle fut candidate suppléante aux côtés de Richard Pouille, maire de Vandœuvre-lès-Nancy, la deuxième ville du département, futur sénateur et futur président du district de Nancy, soutenu par le Cendre démocrate, mais il n’a pas été élu. Pour l’élection présidentielle de juin 1969, elle fut l’animatrice départementale de la campagne du Président du Sénat Alain Poher.

Aux élections législatives de mars1973, elle s’est présentée elle-même avec le soutien du Centre démocrate et l’investiture du Mouvement des réformateur. Sa candidature fut ainsi annoncée :  « Pour sa fidélité à ses convictions, pour sa continuité dans l'action, pour sa compétence dans le travail pour son désintéressement au service de tous pour sa persévérance à faire triompher la morale politique du Centre démocrate, le comité directeur du Centre démocrate de Meurthe-et-Moselle, en octobre 1972, après consultation, à l'unanimité, a demandé à Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin de soutenir devant les électeurs le programme du Mouvement réformateur. ». Dans ce programme, il y a notamment :
- « Pour une assemblée régionale élue au suffrage universel ».
- « Pour un Parlement Européen élu au suffrage universel, doté d'un pouvoir réel. ».
- « Pour la constitution d'une monnaie européenne ».
- « Pour moraliser la vie publique ».
C'était le programme des élections législatives de mars 1973, je le rappelle !
Malgré cette vision très anticipatrice de la vie démocratique, elle ne fut pas élue.

Entre 1965 et le début des années 1980, Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin a eu beaucoup de responsabilités politiques dans le cadre départemental. En novembre 1971, elle représenta la fédération de Meurthe-et-Moselle du Centre démocrate lors de la convention nationale du Centre démocrate à Nantes qui a abouti à la fondation du Mouvement des réformateurs (avec les radicaux de JJSS).

_yartiMJBJ02

Après sa longue et brillante carrière d’avocate, elle a consacré sa retraite à témoigner de sa vie de résistante, dans les écoles et dans les associations : « La jeunesse représente l’avenir. Intéressante, pleine d’entrain, un brin révolutionnaire, tout ce qui est nécessaire pour avancer. Je pense qu’il est essentiel de se rapprocher d’eux, d’échanger avec eux, les écouter et surtout les comprendre. Les anciens ont beaucoup de choses à leur transmettre et je les sens très réceptifs. Je suis toujours heureuse au contact des jeunes. ». Elle a été très longtemps présidente de Lorraine-Résistance et était encore très active lors de l’assemblée générale du 9 juin 2013 à l’hôtel Arcole d’Houdemont.

Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin a reçu très tardivement la Légion d’honneur, car elle ne l’avait jamais demandée. Elle a été faite chevalier de la Légion d’honneur le 6 septembre 1995. Je me souviens d’avoir assisté à sa remise de médaille dans le salon d’honneur de l’Hôtel de Ville de Nancy. C’était Maurice Schumann, quelques années avant sa mort, qui lui épingla la médaille en rappelant que cette « gamine intrépide » n’avait pas froid aux yeux. Ce n’était pas la médaille qui lui était destinée que l’ancien ministre lui a accrochée : cette Légion d’honneur lui avait été attribuée par le Ministre de la Justice, mais cela n’avait pas beaucoup de sens pour une ancienne résistante. Alors Maurice Schumann lui épingla sa propre médaille, qu’il avait obtenue à titre militaire, la seule qui valût pour les combattants. Très forte émotion dans la salle. Ce fut plus tard le Président Jacques Chirac lui-même qui lui a remis les insignes d’officier de la Légion d’honneur, attribuée le 14 juillet 2006, en la qualifiant de « grande dame ».

Parmi ses autres distinctions françaises et étrangères, on peut citer : officier de l’ordre national du Mérite, dont la médaille fut remise par Xavier de Villepin (le père de Dominique de Villepin), croix de guerre 1939-1945 avec citation (étoile de bronze), croix du combattant volontaire et du combattant volontaire dans la Résistance, médaille de la France libérée, chevalier des Palmes académiques, médaille d’or de la ville de Nancy, médaille d’argent de la Fédération nationale des anciens mutilés combattants et victimes de guerre, officier du Mérite de l’Allemagne fédérale et médaille d’or de l’American Legion.

Elle fut dans de plusieurs associations d’anciens combattants ou d’anciens résistants. Elle fut membre du comité d’honneur de l’Association France-Israël aux côtés notamment de Maurice Faure, Loïc Bouvard, Pierre-Gilles de Gennes, Emmanuel Le Roy Ladurie, Lucien Neuwirth, Christian Poncelet, Jacqueline de Romilly, Louis Jung, Jean Seitlinger, Jean Ferniot, Charles Napoléon, Joseph Sitruk, Jean-Marie Rausch, etc.

Lors d’une des nombreuses assemblées générales de Lorraine Résistance qu’elle présidait, Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin, avec son excitation intellectuelle habituelle, confia à "L’Est Républicain" du 28 octobre 2008 qu’elle était en train de rédiger ses mémoires qui seraient décapantes : « Mais j’attendrai un peu pour les publier car, si cela devait faire du bruit dans le Landerneau, je serais là-haut à ce moment-là ! ».

Un soir autour d’un pot dans un café nancéien, cette amoureuse de la vie me cita, les yeux pétillants, un extrait des fameuses "Nourritures terrestres" (1897) d’André Gide, un message qui me resta ancré profondément : « Il y a d’admirables préparatifs au sommeil ; il y a d’admirables réveils ; mais il n’y a pas d’admirables sommeils, et je n’aime le rêve que tant que je le crois réalité. Car le plus beau sommeil ne vaut pas le moment où l’on se réveille. ». Sa devise personnelle était : « Le courage, c’est d’aimer la vie, mais de regarder la mort avec calme. ». Le calme est arrivé depuis un an…

« Si mon vêtement dénude autrui, j’irai nu.
La fleur ne vaut pour moi que comme une promesse de fruit.
Ne souhaite pas, Nathanaël, trouver Dieu ailleurs que partout.
Que ta vision soit à chaque instant nouvelle.
Le sage est celui qui s’étonne de tout.
Que l’importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée. ».

(André Gide, dans "Nourritures terrestres")


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 décembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Général Leclerc.
Général De Gaulle.
Maurice Schumann.
Marie-Jeanne Bleuzet-Julbin.
Miss Corny.
Marguerite Yourcenar.
Simone Veil.
Marie Curie.
Paula Modersohn-Becker.
Germaine Tillion.
Sœur Emmanuelle.
Mère Teresa.
Diana Spencer.
Jacqueline de Romilly.
Simone Weil.
Hannah Arendt.
Anna Politkovskaia.
Françoise Giroud.
Jane Austen.
Nicole Bricq.
Brigitte Macron.
Michèle Cotta.
Élisabeth II.
Édith Piaf.
Margaret Kean.
Fadwa Suleiman.
Mireille Darc.
Gisèle Casadesus.
Mimie Mathy.
Grace Kelly.
Alice Sapritch.
Christina Grimmie.
Monique Pelletier.

_yartiMJBJ01



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-67506466.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/12/18/35962432.html


 

Partager cet article
Repost0
20 septembre 2013 5 20 /09 /septembre /2013 07:21

yartiGilbertAntoine01

C'est avec une grande tristesse que j'ai appris ce matin la disparition soudaine, le jeudi 19 septembre 2013 matin, de Gilbert Antoine, "vétéran" de la vie politique de l'agglomération nancéienne dont il est acteur depuis plusieurs décennies. Ancien secrétaire fédéral du CDS de Meurthe-et-Moselle, il avait rejoint naturellement en 2007 le MoDem de François Bayrou, et depuis mars 2008, sur la liste du maire actuel de Laxou, Laurent Garcia, il avait été élu premier adjoint au maire de Laxou, chargé de l'urbanisme et des déplacements, des seniors, de la santé et du handicap, et des anciens combattants.

yartiGilbertAntoine02

Il avait été aussi élu conseiller communautaire du Grand Nancy auprès du Président (André Rossinot) chargé des questions du personnel et de la formation. Sa bonne humeur et sa chaleur communicative manqueront à tous ceux qui l'ont côtoyé. Durant cette période difficile, j'adresse tout mon soutien, cordial et amical, à toute sa famille et plus particulièrement à sa fille Magali. La cérémonie aura lieu lundi 23 septembre 2013 à 10h30 en l'église Saint-Genès à Laxou.


Sylvain Rakotoarison (20 septembre 2013)


Partager cet article
Repost0
24 mai 2013 5 24 /05 /mai /2013 11:36

Né le 16 décembre 1922, Yvon Tondon fut un ouvrier électricien qui fut élu député PS du 24 septembre 1978 au 22 mai 1981 et maire de Pont-à-Mousson de mars 1989 à juin 1995. Il fut élu député à la faveur d'une élection législative partielle à la suite de l'invalidation de l'élection du radical Jean-Jacques Servan-Schreiber (président du conseil régional de Lorraine) qu'il a réussi à battre.

Sur JJSS, lire ceci :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-5595876.html



SR


Partager cet article
Repost0


 




Petites statistiques
à titre informatif uniquement.

Du 07 février 2007
au 07 février 2012.


3 476 articles publiés.

Pages vues : 836 623 (total).
Visiteurs uniques : 452 415 (total).

Journée record : 17 mai 2011
(15 372 pages vues).

Mois record : juin 2007
(89 964 pages vues).