« Nous venons donc de franchir le troisième obstacle de ce parcours qui, non sans raison, paraîtra interminable à certains. » (François Bayrou, le 10 février 2025 dans l'hémicycle).
Dans l'indifférence médiatique générale, la quatrième motion de censure déposée par le groupe insoumis à l'encontre du gouvernement Bayrou a été rejetée ce lundi 10 février 2025 vers 16 heures 15. Elle était consécutive à l'engagement de la responsabilité, selon l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, du Premier Ministre François Bayrou déclaré le 6 février 2025 sur la deuxième partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (PLFSS), la partie Recettes.
Au fil des motions de censure, le nombre de votes se réduit de plus en plus. Ainsi, seulement 115 députés (sur 576 au total) ont voté cette motion de censure, alors qu'il fallait au moins 289 votes. L'analyse du scrutin (n°739) montre que ces 115 députés se sont répartis ainsi : 71 insoumis (sur 71), 31 écologistes (sur 38), 12 communistes (sur 17) et 1 socialiste (sur 66). Il y a un visible relâchement dans la gauche non socialiste, par lassitude sans doute.
De toute façon, le résultat ne laissait planer aucune incertitude dans la mesure où les groupes PS et RN avaient annoncé qu'ils ne voteraient pas la censure. François Bayrou peut être satisfait de cette avant-dernière étape de ce long marathon budgétaire.
C'est Nadège Abomangoli, députée insoumise et par ailleurs vice-présidente de l'Assemblée, qui a présenté cette nouvelle motion de censure, et elle a commencé par dire n'importe quoi : « Nous sommes ici pour censurer le gouvernement le plus antisocial et le plus réactionnaire de la Cinquième République. ». Ce qui est excessif est toujours insignifiant, et il ne faut pas oublier que François Bayrou est un centriste démocrate chrétien et n'a rien d'antisocial ni de réactionnaire. Pour les insoumis, le niveau de "sociabilité" d'un budget se mesure au nombre de prélèvements obligatoires ; plus les impôts, les taxes, les cotisations sont élevés, plus le gouvernement est social !
Au contraire, tout l'enjeu du gouvernement Bayrou, c'est de réduire les dépenses publiques, sans pour autant supprimer le modèle social, pour lui permettre de poursuivre le modèle social, qui ne peut être durable que s'il est financé complètement, hors de l'endettement et hors de prélèvements obligatoires supplémentaires dont la France est déjà championne du monde.
L'oratrice de FI en a profité pour critiquer la neutralité des socialistes : « Certains, au parti socialiste, expliqueront que des compromis ont été trouvés et que le texte est plus acceptable que celui présenté par Michel Barnier. Balivernes ! Ce budget multiplie les trompe-l’œil. Ainsi, on nous indique que l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) augmentera de 3,3% ; néanmoins, c’est moins que l’évolution tendancielle ! En définitive, cette prétendue augmentation revient à opérer une coupe budgétaire de 4 milliards. On nous explique aussi que le reste à charge pour les soins ne sera pas revu à la hausse, mais les cotisations des complémentaires santé, elles, augmenteront, puisque 1,1 milliard d’euros seront prélevés sur les mutuelles. Vous donnez d’une main et reprenez de l’autre. Bref, vous ne changez rien ! Nous savons que nous pouvons faire autrement et qu’un autre budget de la sécurité sociale est possible. (…) Il faut gouverner en partant des besoins. Pour vivre mieux. ».
Et Nadège Abomangoli vit toujours sur son petit nuage du rêve de la nouvelle farce populaire (NFP) : « Au fond, la question qui se pose n’est pas tant celle du budget de la sécurité sociale que celle du respect de la volonté du peuple. Car ce budget est le fruit d’un péché originel : le vol des élections législatives des 30 juin et 7 juillet derniers. Des élections au cours desquelles le nouveau front populaire l’a emporté et au cours desquelles le peuple a balayé le macronisme ainsi que l’extrême droite. Et voilà qu’après un tour de passe-passe, nous nous retrouvons avec un gouvernement macroniste, soutenu par l’extrême droite, et qui a obtenu le soutien sans participation du Parti socialiste. Jamais nous n’accepterons un tel déni de démocratie ! La question qui est posée, c’est celle de la défense de la République contre un pouvoir qui la piétine ; un pouvoir qui parle et qui agit comme le Rassemblement national. (…) Ne pas censurer, c’est laisser un gouvernement illégitime agir. C’est accepter le hold-up antidémocratique contre le résultat des élections législatives, renier l’engagement pris devant les électeurs en juillet dernier, choisir une nouvelle forfaiture après le référendum de 2005 et après le quinquennat de M. Hollande, discréditer de nouveau la gauche et cracher au visage du peuple. Ne pas censurer, c’est laisser faire ceux qui détruisent la République, divisent le peuple et rabougrissent la France. ».
Réalité alternative ! Ce n'est pas parce que Jean-Luc Mélenchon l'a proclamé le dimanche 7 juillet 2024 à 20 heures 01 que c'est vrai. Rappelons inlassablement que l'ensemble des formations macronistes et de LR représente plus de députés que l'ensemble NFP, d'une part, et que le NFP n'existe plus puisque les socialistes se sont désolidarisés de leurs partenaires insoumis dans leurs votes, d'autre part. La preuve, c'est que si le NFP avait gagné comme la députée FI l'a prétendu, son candidat commun au perchoir André Chassaigne aurait été élu le 18 juillet 2024, ce qui n'a pas été le cas. Il existe donc une majorité relative EPR, HOR, MoDem et LR, certes très faible, mais suffisante pour sauvegarder, temporairement, ce gouvernement, et pour voter, bientôt, l'ensemble des budgets pour 2025.
L'orateur suivant était Jérôme Guedj, député socialiste, qui a expliqué les raisons de sa non-censure, en donnant un exemple, entre autres, de convergence avec la politique de l'actuel gouvernement : « Année après année, nous expliquons à cette tribune que le projet de loi de financement de la sécurité sociale n’est plus le bon outil pour réfléchir aux besoins de solidarité et d’intervention publique en matière de politique familiale, de vieillesse, d’assurance maladie ou encore d’accidents du travail. Cette logique exagérément comptable fait peser une chape de plomb sur les besoins de la population. (…) Le PLFSS n’est donc plus le bon outil. Dans votre discours de politique générale, monsieur le Premier Ministre, vous avez indiqué qu’il fallait le dépasser et vous avez ouvert la piste d’une loi de programmation pluriannuelle en matière de santé. C’est heureux, car elle est demandée sur tous ces bancs. Nous devons désormais savoir comment nous nous y prendrons pour élaborer ce qui sera non pas une loi calicot, j’ai lu dans la presse que vous n’aimiez pas les grandes lois, les lois "banderoles" ou "calicots". Pourtant, nous avons besoin d’un cadre, en particulier en santé, afin de partir des besoins de la population, de disposer d’indicateurs de santé publique ou de réduction de la prévalence pour, en face, dégager les moyens correspondants. (…) Monsieur le Premier Ministre, nous avons négocié ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous n’avons pas la négociation honteuse, nous n’aurons donc pas la non-censure honteuse. Ce texte est moins mauvais que celui de votre prédécesseur, mais il n’est pas bon pour autant. La censure et la négociation ont abouti à des évolutions à hauteur de 6 milliards d’euros. ».
Mais cela n'a pas empêché que le PS soit resté dans l'opposition : « Votre projet de loi ne part pas suffisamment des besoins et se focalise exagérément sur les moyens. Lorsque vous appréhendez la sécurité sociale sous le seul prisme des moyens, vous n’avez comme seules solutions que de dégager des ressources ou de faire des économies. Vous avez opté de manière brutale et indifférenciée pour la logique des économies sans que celles-ci soient ciblées ou intelligentes, oserais-je dire. Nous ne sommes pas hostiles à questionner l’efficience de la dépense publique, comme il se doit pour toute dépense publique. Assurément, des économies sont possibles. Il y a des rentes de situation et une financiarisation du monde de la santé et du secteur médico-social. Il n’est pas acceptable que l’argent public permette à certains opérateurs de dégager des marges de profit. Certaines prescriptions sont redondantes et la pertinence de certains soins n’est pas questionnée. Nous sommes prêts à travailler sur tous ces sujets, mais le chantier n’est pas ouvert comme il devrait l’être. (…) Nous avons besoin, même si je n’aime pas les termes grandiloquents, d’un Grenelle du financement de la sécurité sociale pour poser tous les sujets sur la table. ».
Et de lâcher un petit mot pour faire plaisir à ses camarades insoumis, une menace même : « Le compte n’y est toujours pas, cependant. Ce budget n’est pas juste, c’est juste un budget. C’est la raison pour laquelle nous ne le censurerons pas. Mais nous vous le disons les yeux dans les yeux, monsieur le Premier Ministre : à tout moment, nous pouvons censurer votre gouvernement s’il s’éloigne de votre promesse originelle de construire un compromis avec celle des forces qui le veulent bien, mais sans céder une seule parcelle de terrain à l’extrême droite qui veut prendre le point dans la période. Nous ne censurons pas mais nous demeurons vigilants et exigeants. ».
Pour les écologistes, Sandrine Rousseau est restée sur le registre de politique politicienne qui n'intéresse pas les Français : « Monsieur le Premier Ministre, vous jouez avec la démocratie comme un chat joue avec une souris. Je vous en veux d’agir ainsi. Je vous en veux d’avoir comme seul et premier objectif de fracturer la gauche, comme si c’était le seul horizon de vos ambitions politiques : fracturer la gauche pour gagner de l’espace. Quel est votre projet politique, mis à part celui de durer ? Quelle est votre ambition politique, si ce n’est votre ambition personnelle ? Qui représentez-vous, si ce n’est l’ersatz d’un Président en perte de vitesse ? (…) Mais qu’en est-il de votre cap ? Qu’en est-il de votre camp ? Qu’en est-il des glissades, plus rapides que celles des pingouins sur la banquise, vers l’extrême droite ? Vous jouez. Depuis le premier mandat d’Emmanuel Macron, c’est votre marque principale : vous jouez. Vous jouez avec les articles de la Constitution qui vous permettent de contourner le Parlement ; vous jouez avec le Parlement et la démocratie ; vous jouez avec la gauche ; vous jouez avec l’extrême droite. Au fond, vous jouez avec le peuple et à la fin, vous vous jouez de lui. ».
Quant à Laurent Jacobelli, pour le groupe RN, il a rappelé que non-censure pouvait rimer avec opposition : « Les jours se suivent et se ressemblent : une fois de plus, nous sommes réunis pour statuer sur une nouvelle prolongation de votre période d’essai, monsieur le Premier Ministre, la période d’essai d’un gouvernement sans cap ni vision, construit de bric et de broc, dépourvu d’assise démocratique et donc réduit à l’impuissance politique. (…) La situation est tellement critique, monsieur le Premier Ministre, que vous avez vous-même parlé d’Himalaya budgétaire pour faire adopter vos textes. Pour arriver au sommet de cet Himalaya, en plein cœur de l’hiver technocratique dans lequel Emmanuel Macron nous a plongés, vous avez fait de bien curieux choix en prenant François Hollande comme sherpa et le parti socialiste comme boussole. L’histoire a prouvé que le socialisme ne pouvait mener qu’à une montagne de dettes, à un gel des investissements et à une fonte accélérée du pouvoir d’achat des Français. ».
L'orateur du RN s'est permis le luxe de citer les fondateurs de la Cinquième République : « Maintenant que ce constat est fait, maintenant que nous savons que votre budget est un mauvais budget, vous le dites vous-mêmes, la vraie question n’est pas de savoir si l’on doit censurer ce budget, nous aurions mille raisons de le faire et, pour ne rien vous cacher, nous en aurions très envie... Non, la vraie question est la suivante : pouvons-nous espérer un meilleur budget dans les semaines à venir, si jamais nous décidions de censurer ? Chers collègues, soyons lucides : la réponse est non. Nous savons que censurer ce gouvernement et ce budget désastreux ne ferait que plonger à nouveau le pays dans un interminable vaudeville, avec son lot de courtisans prêts à tous les compromis, son lot de partis moribonds prêts à vendre leurs électeurs, je pense à M. Wauquiez et à M. Faure, son lot de vieilles gloires déchues, avides de retrouver la lumière. Un spectacle ridicule, dont on connaît déjà la chute : la constitution d’un gouvernement sans queue ni tête, le bricolage d’une majorité introuvable, la négociation d’un budget sans cap ni cohérence. Soyons francs : aucun Français ne veut revivre cette mascarade. À quoi bon voter une censure qui changerait le casting de ce mauvais mélo, mais pas son scénario, un scénario macroniste, dont les Français ne veulent plus. Je sais, chers collègues d’extrême gauche, que notre décision de ne pas censurer vous irrite, mais laissez-moi vous rappeler une vérité que vous semblez oublier. La différence fondamentale entre le Rassemblement national et le nouveau front populaire, ou ce qu’il en reste, c’est que, contrairement à vous, nous n’avons pas la censure expiatoire ! Nous n’avons pas à nous racheter du péché originel qui vous hante : celui d’avoir fait élire Emmanuel Macron en 2017, puis en 2022, puis de l’avoir sauvé, lors des législatives, en vous désistant pour M. Gérald Darmanin et Mme Élisabeth Borne. Honte à vous ! Oui, c’est la vérité ! D’ailleurs, une censure aujourd’hui serait impossible à cause de vos alliés socialistes, ceux-là mêmes que vous avez fait élire dans des dizaines de circonscriptions, avant qu’ils ne se précipitent pour vendre leur âme contre un plat de lentilles à Emmanuel Macron. Aviez-vous oublié qu’avec les socialistes, c’est la grande braderie permanente ? Convictions en solde, principes au rabais ! L’histoire du PS n’est qu’un éternel recommencement : toujours socialiste trahit, bien fol est qui s’y fie ! Prenons soin de notre Cinquième République, celle du général De Gaulle et de Michel Debré. La censure n’est pas un jouet politique que l’on agite comme un enfant capricieux. On ne la manie pas à la légère ; on ne la brandit pas pour le spectacle, aussi piteux soit-il ! On ne s’en saisit qu’avec la main tremblante, conscient de la gravité de l’acte et du poids qu’il fait peser sur la stabilité du pays. Nous, nous sommes une opposition déterminée et responsable, et les Français savent pouvoir compter sur le Rassemblement national pour les défendre. ».
Mais Laurent Jacobelli s'est permis aussi de fustiger ses adversaires insoumis : « Contrairement aux cheguevaristes d’opérette,aux révolutionnaires subventionnés, aux porte-voix du Hamas, des Comores ou de l’Algérie, nous nous sommes battus pour sortir les Français des griffes fiscales qui rongent leur pouvoir d’achat et sclérosent leurs initiatives. Vous, collègues d’extrême gauche, si vous votez cette censure, c’est parce que vous voulez toujours plus noyer les Français sous les taxes, les tondre jusqu’à la dernière mèche. Pour vous, la prospérité est suspecte, le mérite est un sacrilège, la réussite est un délit. Vous ne voyez dans le peuple qu’une masse à cornaquer, un contribuable à ponctionner. (…) Votre modèle à tous ne semble pas être l’enrichissement collectif, mais la misère partagée. ».
La réponse de François Bayrou a été assez simple : « À entendre les orateurs qui ont présenté cette motion avec modération et nuance, on n’avait guère le sentiment d’un enjeu immédiat touchant la totalité de nos concitoyens, en particulier les plus fragiles, en difficulté ou frappés par la maladie. Eux ont un besoin urgent, immédiat que les dépenses sociales soient financées. Tel est exactement le but du travail conduit par le gouvernement, par les parlementaires de la majorité et par ceux qui, sans faire partie de la majorité, ont accepté de dialoguer, de sorte que nous obtenions enfin le texte et les décisions dont nous avons besoin. ».
Les nouvelles mesures du PLFSS sont notamment : « une nouvelle étape des allégements généraux concernant les bas salaires, pour 1,6 milliard ; une hausse des taxes sur les boissons sucrées, qui, si la part du sucre dans certaines boissons ne diminue pas, rapportera 200 millions ; une hausse également, pour le même produit, des taxes sur les jeux ; enfin une imposition portant sur les attributions d’actions gratuites, pour environ 500 millions. Ces montants nous permettent d’envisager un effort important en matière de prévention, une politique déterminée de lutte contre la fraude, une meilleure mutualisation des informations entre organismes de sécurité sociale, un élargissement du droit de communication aux organismes de recouvrement, notamment afin de lutter contre le travail dissimulé. Comme cela a été dit plusieurs fois, le gouvernement n’a pas souhaité reprendre la proposition, émise au Sénat, d’une nouvelle journée de solidarité, en dépit du fait que celle-ci aurait rapporté 1,8 milliard : nous n’aimons pas l’idée d’un travail non rémunéré. Il nous faudra toutefois poser un jour réellement la question, non résolue, du financement de l’autonomie et de la dépendance. Enfin, en raison de ce que l’on appelle en termes parlementaires la règle de l’entonnoir, nous n’avons pu intégrer au texte le prélèvement sur les complémentaires santé qui visait à compenser la hausse des tarifs de ces dernières, conséquence du projet d’augmentation du ticket modérateur. Cette question, elle aussi, sera de nouveau posée lorsque nous considérerons l’avenir de notre système de santé. ».
Le Premier Ministre a rappelé que dans le texte présenté, le montant des recettes s'élève à 644,5 milliards d'euros et le montants des dépenses à 666 milliards d'euros, soit un déficit de 22,2 milliards d'euros. Ce qui lui a fait dire : « Ce constat me permet de donner raison à tous ceux qui, à la tribune, ont plaidé pour que notre vision soit différente à l’avenir, que nous envisagions autant que possible des trajectoires de retour à l’équilibre, du moins de quête d’un équilibre d’année en année amélioré et non détérioré. Je l’affirme avec certitude, nous devrons entamer ce travail dès le lendemain de l’adoption du texte. Nous avons devant nous une tâche immense : penser pour l’avenir, je le répète, des trajectoires budgétaires différentes de celles que nous avons connues jusqu’à présent. ».
Après le vote et le rejet de cette motion de censure, François Bayrou a engagé une quatrième fois la responsabilité de son gouvernement selon l'article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter la troisième et dernière partie du PLFSS, celle des Dépenses : « Ce cycle s’est avéré aussi difficile que long, mais les efforts de dialogue qui ont été consentis ont porté leurs fruits et abouti à un meilleur équilibre. On peut en retenir trois points saillants. D’abord, en matière de dépenses, il n’y a pas eu de désindexation des pensions de retraite sur l’inflation. Ensuite, il n’y a eu déremboursement ni des consultations médicales ni des médicaments. Enfin, madame la ministre Catherine Vautrin, le soutien aux hôpitaux publics et aux EHPAD a été acquis par une augmentation de l’Ondam, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, de 3,4% et même, pour les hôpitaux, de 3,6%. La discussion parlementaire a permis à d’autres avancées, par exemple un effort en faveur des personnes victimes de violences sexuelles, un accès facilité à la kinésithérapie et une amélioration de la pertinence des soins ou encore de la lutte contre les pénuries de médicaments. Cette ultime étape est très importante. Si elle n’était pas franchie, tous les efforts consacrés à l’élaboration du budget de la sécurité sociale seraient vidés de leur sens. ».
La dernière étape de ce marathon budgétaire devrait donc avoir lieu mercredi 12 février 2025 avec l'examen d'une nouvelle motion de censure contre le PLFSS. En cas de rejet de celle-ci, le budget de la Sécurité sociale sera réputé avoir été adopté par l'Assemblée Nationale et François Bayrou aura rempli complètement sa première mission, doter d'un budget l'État et la Sécurité sociale avant la fin du mois de février 2025 (après l'adoption également par le Sénat).
« Ce que je veux vous dire ce soir, c'est qu'on est dans une nouvelle ère de progrès. La France, l'Europe peuvent y être championnes ! » (Emmanuel Macron, le 9 février 2025 sur France 2).
Quoi ?! Panique dans les salles de rédaction : Emmanuel Macron allait s'exprimer dimanche soir à la télévision, qu'allait-il annoncer ?! Tout de suite, la piste d'un référendum était suivie. Un référendum sur quoi ? L'immigration ? Cela ne signifierait rien, avec quelle question : êtes-vous pour ou contre l'immigration ? C'est comme poser la question : êtes-vous pour la pluie ou pour le soleil ? Alors, les services de l'Élysée ont mis les journalistes sur la voie : le référendum porterait sur l'intelligence artificielle. Silence dans les rangs.
C'est vrai que le Président de la République semble s'ennuyer. Répondre à un internaute sur le paiement par smartphone dans les péages d'autoroute, évoquer la rénovation du Louvre, insister sur le financement du sport, et ce dimanche 9 février 2025 à 20 heures 30, sur France 2, présenter l'important Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle les 10 et 11 février 2025 au Grand Palais à Paris. Il a pourtant raison de se préoccuper, et avec lui la France, l'Union Européenne et la plupart des pays du monde, des avancées de l'intelligence artificielle et l'importance stratégique d'innover rapidement dans ce domaine. Aux États-Unis, Donald Trump a réuni les grandes entreprises de son pays pour des investissements massifs, de l'ordre de 500 milliards de dollars, c'est dire l'importance !
C'était donc le thème de l'interview présidentielle diffusée après le journal du dimanche soir. Le Président de la République était interrogé par le journaliste Laurent Delahousse, et aussi par Palki Sharma Upadhyay, journaliste indienne vedette de First Post, qui a une très forte audience en Inde. L'interview de trente-sept minutes s'est déroulée dans le cadre splendide du Grand Palais où se tient le Sommet pour l'intelligence artificielle.
Ce sommet a été un dada du Président français. En colère que le premier sommet n'ait pas été organisé par la France en 2023 (le Royaume-Uni l'a organisé en 2023 et la Corée du Sud en 2024), Emmanuel Macron voudrait capitaliser sur ce troisième sommet. C'est un moyen également de revenir dans le jeu diplomatique puisque ce sera l'occasion de retrouver ses homologues qui feront le déplacement, en particulier Narendra Modi (Premier Ministre de l'Inde), Olaf Scholz (Chancelier allemand), Justin Trudeau (Premier Ministre canadien), Zhang Guoqing (Vice-Premier Ministre chinois), J. D. Vance (Vice-Président des États-Unis), Ursula von der Leyen (Présidente de la Commission Européenne) et Antonio Guterres (Secrétaire Général de l'ONU).
Au-delà de l'aspect pédagogique sur les enjeux de l'intelligence artificielle et les atouts de la France (que Sam Altman, le patron d'OpenIA, a reconnus dans une tribune au journal "Le Monde"), Emmanuel Macron voulait annoncer l'information capitale du jour : la France investira dans les années venir 109 milliards d'euros pour des projets d'innovation sur l'intelligence artificielle. Il ne faut pas se méprendre sur l'annonce, il s'agit généralement d'argent extérieur au budget de l'État, soit privé (grandes entreprises) soit de pays étrangers (comme le Qatar) finançant des projets français.
Pour Emmanuel Macron, cette somme est à la hauteur des enjeux actuels : « Pour nous, la France, on a annonce demain, à ce Sommet, 109 milliards d'euros d'investissement dans l'intelligence artificielle sur les prochaines années. Qu'est-ce que c'est ? C'est exactement l'équivalent, pour la France, de ce que les États-Unis ont annoncé avec Stargate, c'est 500 milliards. C'est le même rapport. 109 milliards ! ». Le rapport par rapport à la population, à la différence près qu'il me semble qu'il y a erreur sur l'unité monétaire (non précisée par le Président), car les investissements américains, ce sont 500 milliards de dollars et pas d'euros.
Mais revenons au début. Emmanuel Macron a tenu surtout à préciser que la France était capable de relever le défi mondial de l'intelligence artificielle : « D'abord, on doit être dans la course ! (…) Avant de savoir comme on régule, il faut savoir se dire : nous, on veut en être et on veut inventer des solutions, des technologies, sinon, on va dépendre des autres. ».
C'est sans doute l'un des points les plus importants de chercheurs et des industriels, la régulation tue l'innovation : « Le défi des Européens, c'est quoi ? (…) Si on régule avant d'innover, on n'aura pas d'innovation. Et on dira : on a une super-régulation en Europe, mais on n'a pas un seul acteur. (…) Dans ce cas-là, on se coupera de l'innovation. C'est tout le dilemme qui est le nôtre. (…) Nous, notre première bataille en tant qu'Européen, c'est investir, investir, investir. ». D'où les 109 milliards d'euros.
La petite blague aux États-Unis, c'est : l'innovation se fait aux États-Unis, les Chinois la copie, et les Européens la régulent (à la grande joie des Américains, bien sûr !).
C'est vrai que pour toute innovation, il faut réguler car il faut protéger les personnes et les entreprises. Pour l''intelligence artificielle, il y a de nombreuses menaces, bien sûr, mais peut-être que les plus grandes menaces ne sont pas encore totalement connues. Les dangers sur les mensonges, la désinformation, la haine et, accessoirement, les droits d'auteur sont classiques et ne devraient pas différer de sanction avec d'autres supports, la loi reste la loi.
D'ailleurs, Emmanuel Macron avait publié quelques heures avant la diffusion de son interview une petite vidéo humoristique où il a pris ce que les réseaux sociaux avaient fait de son image, acceptant simplement ce dénigrement gentillet, pour lancer le débat et donner la mesure des possibilités qu'offre l'intelligence artificielle générative et donc également ses risques. Un humour pas du tout du goût de Palki Sharma qui a lâché : « Ce n'est pas drôle, ce n'est pas drôle ! ».
Le Président de la République a surtout voulu montrer tout l'intérêt de l'intelligence artificielle dans tous les domaines. Son credo, c'est que c'est un outil, et comme tous les outils, c'est la manière de s'en servir qui est importante.
Il a ainsi désamorcé les mythes en réduisant son importance intrinsèque : « Il faut les penser comme des assistants. Et donc l'intelligence artificielle, ça ne va jamais remplacer l'homme, ce n'est pas vrai, je ne crois pas du tout à cela. (…) Il faut s'y préparer, donc, d'abord, il faut se former (…). En France, aujourd'hui, on forme 40 000 jeunes par an, on va monter à 100 000 jeunes par an. ».
De même, Emmanuel Macron a affirmé que cela ne créerait pas de chômage, pas plus que toutes les innovations. Il en a même donné la preuve avec une précédente révolution, celle des robots dans l'industrie : « Je ne fais pas du tout partie de ceux qui pense que ça va tout remplacer. Je fais une parenthèse. On a déjà vécu ce débat. Quand les robots sont arrivés, on a eu ce débat dans les années 90 en France. On a dit : les robots vont remplacer les salariés. On a beaucoup plus bloqué les robots dans nos industries qu'ailleurs. Et bien, ce faisant, on a plus désindustrialisé. Là où on a mis le robot, et d'ailleurs, on est en train de corriger cet écart depuis quelques années en France, là où on met le robot, eh bien, nos ouvriers, nos salariés, qui sont formés, ils pilotent le robot, ils ont beaucoup moins de troubles squelettiques, ils ont un temps qui est dégagé, ils regardent la qualité, ils permettent d'avoir dans notre pays beaucoup plus de valeur qui est créée. ».
Bien sûr, certains métiers vont disparaître, mais d'autres vont apparaître, comme dans toute évolution. Après tout, l'électricité a exclu les allumeurs de réverbères, et bien d'autres innovations, le tracteur, la calculatrice voire le logiciel Excel, etc. Pour autant, il y a toujours des agriculteurs, des comptables, etc.
Le message du Président, c'était donc de dire qu'une fois le professionnel déchargé de tâches sans intérêt, il pourra se concentrer sur des fondamentaux. Ainsi, l'avocat ne fera plus de recherche de jurisprudence (lourdes et longues) dans une affaire qu'il a à traiter, il pourra se consacrer plus intensément à certains sujets difficiles, prendre plus de temps pour les explications, ou pour comprendre son client. Idem pour tous les professions médicales, le radiologue prendra moins de temps à lire un cliché IRM et il pourra passer plus de temps avec ses patients.
En résumé, cela va transformer, mais pas supprimer de nombreux emplois : « Ça va transformer nos métiers. (…) Ça va donner plus de temps, aux personnes, pour encadrer le robot, mais pour aussi être plus présent humainement. (…) Ça va redonner de l'espace pour mieux faire. (…) L'intelligence artificielle, elle va permettre de déléguer certains de ces tâches, mais elle permettra de remettre de l'humain. Ce n'est pas un robot ou un assistant d'intelligence artificielle qui aura la bienveillance d'un appel téléphonique, d'un contact physique, du soin qu'on met avec une personne qui est âgée ou qui est en situation de handicap. ».
Devenu ambassadeur de la technologie française (il a encouragé très vivement à utiliser le chat de Mistral au lieu de ChatGPT), le locataire de l'Élysée a analysé les besoins de la France en matière d'intelligence artifcielle : « Nous, c'est simple, c'est de dire : la France, l'Europe sont crédibles sur l'intelligence artificielle, nous y croyons, on veut aller beaucoup plus vite et beaucoup plus fort. On est la cinquième puissance sur l'intelligence artificielle, nous, Français. Donc, on a des atouts formidables. (…) La France a des talents, c'est une très grande chance. Derrière, on est en retard sur les data centers, c'est-à-dire, les capacités de calculs. Pour faire tout ça, il faut des supercalculateurs qui vont prendre plein de données et aller très vite. ».
Et c'est pour cela qu'il faut investir massivement notamment dans les semi-conducteurs pour qu'ils soient les plus puissants et les plus réduits possible. Il y a deux éléments majeurs pour réussir à se doter de supercalculateurs : augmenter la puissance des composants (mais on arrive bientôt à un seuil), et avoir une alimentation en énergie fiable.
Ce qui a donné l'occasion à Emmanuel Macron d'insister sur la chance du programme nucléaire français (en se trompant un peu sur les dates, puisque ce n'est pas dans les années 1960 que la France a lancé le programme des centrales nucléaires mais en 1974, à l'époque du Premier Ministre Pierre Messmer) : « Nous, en France, on a une avance extraordinaire, c'est qu'on produit l'électricité parmi les plus décarbonées au monde, les plus pilotables et les plus sûres, on a un réseau le plus sûr et le plus stable, et on est exportateur de cette électricité décarbonée. ». Et de rappeler que la France exporte 90 TWh (térawatt heure, 1 téra = 1 000 milliards).
D'où un avantage compétitif de la France sur les États-Unis, par exemple : « Il n'y a aucun pays européen qui produit autant d'énergie décarbonée en surplus de sa consommation. Donc, nous, quand on fait des data centers en France. Ce n'est pas pareil aux États-Unis, aujourd'hui, ces data centers tournent beaucoup avec du pétrole et du gaz. Ce n'est pas pareil dans plein de pays d'Europe, qui sont encore au charbon et au gaz (…). Quand vous allez faire des data centers chez nous, eh bien, c'est simple, ce sont des data centers propres, parce que notre électricité, elle est propre. (…) Et on ne va pas le faire aux dépens de nos industriels, de nos ménages, de notre consommation, parce qu'on est exportateur. ».
Il faut néanmoins mettre un bémol sur cet enthousiasme élyséen lorsque le Président a parlé de « data centers propres ». Je ne crois pas du tout qu'ils soient propres, c'est-à-dire écologiques, même alimentés par de l'électricité d'origine nucléaire. En effet, ces centres de calculs sont également très coûteux en eau de refroidissement et leur consommation d'eau est énorme, pouvant mettre à mal l'organisation de certaines villes. La logique serait d'ailleurs d'installer ces grands centres dans des zones d'Arctique ou d'Antarctique.
En revanche, Emmanuel Macron avait raison lorsqu'il parlait de consommation d'énergie moindre avec les projets français : « Nous, on croit à l'intelligence artificielle plus frugale. C'est ce que les innovations récentes ont montré. Nos modèles consomment moins de données car ils se sont spécialisés. ».
Aidé du journaliste de France 2, le Président de la République a quand même abordé en fin d'interview des sujets plus politiques et économiques. Il n'a pas hésité à s'inquiéter de certains débats budgétaires : « J'entends beaucoup de débats en France qui paraissent fous. Quand on dit : il faut taxer les entreprises... ».
Mais la tirade de Bernard Arnault contre la France l'a visiblement agacé. Emmanuel Macron a voulu donc délivrer un message clair à ces grands patrons français : « Soyez patriotes vous-mêmes ! Menez le débat. Expliquez. Je ne vous ai pas assez entendus ces sept dernières années quand on menait des réformes des retraites. Expliquez plutôt tout ce qu'on a bien fait pendant sept ans. Parce que c'est trop facile d'être planqué dans son bureau et de dire : c'est bien, le travail, mais on ne le dit pas trop fort. (…) Et donc je dis : cela fait sept ans qu'on mène une politique de l'offre. Ça veut dire quoi ? On croit à la relance par l'innovation. On n'a jamais autant réindustrialisé le pays. On n'a jamais autant recréé autant d'emplois. On est le premier pays d'Europe sur les start up, l'innovation. On est le premier pays d'Europe sur l'intelligence artificielle. C'est tout notre boulot ! Ça, on va le mettre au service des services publics, de la redistribution, mais il faut surtout, pas seulement le préserver, l'accélérer. ».
Si on comprend entre les lignes, Emmanuel Macron en a marre du France bashing et si on expliquait un peu mieux les réussites économiques de la France (comme les étrangers savent faire), on aurait peut-être un peu moins de populismes et d'extrémismes à l'Assemblée et on aurait peut-être moins l'obligation de freiner cette politique économique qui, depuis 2017, a rendu la France très attractive économiquement.
En tout cas, le sujet de la semaine qui vient est bel et bien l'intelligence artificielle. C'était déjà le sujet des derniers Prix Nobels de Physique, de Chimie et de Médecine en octobre 2024. Autant en profiter, car c'est très rare que les médias français s'intéressent (vraiment) à de la science !
« Nous voici à l’heure de vérité. Nous voici même à la semaine de vérité et de responsabilité. Aucun pays ne peut vivre sans budget. La France le peut moins que tout autre. Pour la première fois depuis la fondation de la Ve République, depuis presque soixante-dix ans, notre pays est toujours sans budget au début du mois de février. L’image de la France, grande démocratie, pilier de l’Union Européenne, en est affectée, mais elle n’est pas la seule victime : l’action publique en pâtit également, puisqu’elle est incapable de faire face à ses obligations. » (François Bayrou, le 3 février 2025 dans l'hémicycle).
Bien que cavalière, cette double utilisation était nécessaire dans la mesure où aucune majorité absolue n'existe à l'Assemblée Nationale. Ne pas utiliser ces outils constitutionnels auraient entraîné soit un nouveau rejet du budget par les députés, soit l'obligation, pour certains députés de l'opposition, de voter pour le budget ce qui, pour eux, aurait été difficile à justifier politiquement. L'idée de permettre une adoption sans vote sauf vote d'une motion de censure permet aux députés de l'opposition responsables de ne pas voter le budget tout en permettant à la France d'avoir un budget (et un gouvernement par la même occasion).
Les mêmes causes font-elles les mêmes effets ? Le gouvernement de Michel Barnier avait chuté par l'utilisation de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, grâce à une collusion entre les députés de la nouvelle farce populaire (NFP) et du RN, une collusion RNFP !
François Bayrou a expliqué pourquoi il fallait un budget : « La production est paralysée dans de nombreux domaines. Songez aux agriculteurs, au BTP, bâtiment et travaux publics, à l’investissement ! Songez aux presque 500 000 foyers auxquels des taux de fiscalité vont s’appliquer alors qu’ils étaient exonérés jusqu’à présent, et aux 18 millions de foyers fiscaux qui verront leur impôt augmenter ! Songez à tous ceux qui doivent construire ou acheter leur logement, qui verront les taux d’emprunt augmenter du fait de l’incertitude, sans même parler, nous y viendrons ensuite, du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Telle est la situation depuis la censure du gouvernement de Michel Barnier. C’est la réalité. ».
Pourquoi François Bayrou a-t-il peu de chance de voir son gouvernement renversé à l'issue du débat des deux motions de censure déposées ce lundi 3 et discutées ce mercredi 5 février 2025 par Mathilde Panot, la présidente du groupe insoumis à l'Assemblée ? Les historiens se pencheront sur cet aspect de cet épisode politique et historique que nous vivons. Est-ce parce que certains députés de l'opposition ont enfin compris qu'une censure du gouvernement coûterait très cher à la France (celle du gouvernement Barnier au moins autour de 15 milliards d'euros) ? Est-ce que la méthode Bayrou est très différente de celle de Michel Barnier ? Un peu des deux.
Malgré des débuts à Matignon un peu maladroits, François Bayrou a tout de suite su aller à l'essentiel : il n'y aurait pas de stabilité si les députés socialistes restaient arrimés au navire amiral mélenchoniste. Pour cela, il avait besoin d'une pièce maîtresse dont il s'est doté dès la formation de son gouvernement : Éric Lombard, le nouveau Ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Éric Lombard, haut fonctionnaire réputé de gauche (il a été dans plusieurs cabinets ministériels à l'époque de la gauche au pouvoir) est un ami du premier secrétaire du PS Olivier Faure, cela aide un peu pour négocier le budget. On imagine ce qu'il en aurait été si Laurent Wauquiez avait eu sa place !
La première grande différence avec Michel Barnier, c'était donc de chercher une non-censure plus du côté du PS que du RN. La seconde grande différence, c'était aussi d'avoir nommé des ministres qui sont des poids lourds politiques, et même si certains n'étaient pas connus (comme Éric Lombard), ils le sont devenus. En d'autres termes, le Premier Ministre laissent faire ses ministres dans tous les domaines, ce qui lui permet de se focaliser sur les points critiques.
La méthode Bayrou, c'était de faire participer tous les groupes politiques à la discussion budgétaire, puis de trancher. Nous sommes à ce moment de décision : « Depuis l’entrée en fonction de ce gouvernement, le 23 décembre, nous n’avons pas ménagé nos efforts pour sortir de cette impasse. Nous avons travaillé avec les ministres, que je remercie : Éric Lombard, Amélie de Montchalin et Catherine Vautrin, qui s’exprimera tout à l’heure. Nous avons travaillé avec toutes les forces politiques, toutes ont été invitées à Matignon et celles qui ont été reçues ont été entendues, avec tous ceux qui participent au gouvernement et le soutiennent, avec tous ceux qui ont accepté, bien que n’appartenant pas à la majorité, de s’inscrire dans le dialogue, c’est-à-dire dans une perspective positive, et qui ont pu proposer des améliorations. La bonne foi et la bonne volonté ont été au rendez-vous. Le texte qui vient de vous être présenté a trois auteurs, j’allais dire trois géniteurs : d’abord, le gouvernement de Michel Barnier, avant la censure du 4 décembre ; ensuite, le gouvernement que nous avons constitué depuis le 23 décembre ; enfin, les deux chambres du Parlement, lors de toutes les séances qui s’y sont tenues, en particulier celles de la commission mixte paritaire. Ce budget va libérer l’action de l’État et de ses opérateurs, jusqu’au montant de 662 milliards d’euros. Il va libérer l’action des collectivités locales jusqu’à 342 milliards. Quant au PLFSS que nous examinerons tout à l’heure, il prévoit un budget pouvant aller jusqu’à 800 milliards d’euros. Conformément aux orientations fixées par le gouvernement, le déficit a été limité à 5,4% du produit intérieur brut, en dépit de la correction apportée, transparence et loyauté obligent, au taux de croissance : l’hypothèse retenue pour cette dernière est de 0,9%, celle retenue pour le taux d’inflation de 1,4%. L’augmentation de la dépense publique a été contenue à 1,2%, soit un taux inférieur à l’inflation. Ce budget est-il parfait ? Non. Aucun d’entre nous ne le trouve parfait (…). J’ajouterai néanmoins, fort de mon antériorité, que je n’ai jamais connu de discussion budgétaire accouchant d’un budget reconnu comme parfait. Il s’agit de trouver un équilibre. Nous sommes désormais, tous ensemble, devant notre devoir. Si vous en décidez ainsi, puisque la décision est entre vos mains, à force de bonne volonté, de pas des uns vers les autres, d’efforts et de compréhension, la France disposera dans les dix jours d’un budget, de ses budgets, ce qui enverra un signal de responsabilité et de stabilité aux premiers concernés, à ceux qui s’inquiètent à juste titre, à nos concitoyens. C’est de cela que vous aurez à décider. C’est pourquoi, sur le fondement de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, j’ai l’honneur d’engager la responsabilité du gouvernement sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2025, dans sa version résultant des travaux de la commission mixte paritaire, modifiée par des amendements techniques et de coordination. ».
Le débat budgétaire a donc été interrompu par l'utilisation de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. Est donc venu à l'ordre du jour le débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (PLFSS) qui avait fait chuter Michel Barnier en décembre. La Ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles Catherine Vautrin (à la tête d'un immense ministère) a pris la parole pour rappeler les priorités du gouvernement en matière de santé.
Les voici : « Première priorité : l'hôpital. L'objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) connaîtra en 2025 une hausse de 3,4%, soit 9 milliards d’euros supplémentaires par rapport à 2024. (…) Deuxième priorité : développer les soins palliatifs. Lorsque j’avais défendu devant l’Assemblée Nationale, au premier semestre 2024, la stratégie nationale des soins palliatifs, j’avais pris l’engagement que leur budget soit abondé de 100 millions d’euros supplémentaires chaque année durant dix ans. Cet engagement sera tenu dès l’exercice 2025 et l’augmentation budgétaire correspondante servira au déploiement de la stratégie décennale des soins d’accompagnement. Il s’agit de renforcer l’offre de soins palliatifs dans chaque territoire, au sein des établissements de santé et médico-sociaux comme à domicile, ainsi que de développer une filière de formation universitaire en soins palliatifs. Troisième priorité : repenser le système de santé depuis les territoires. C’est à l’échelle de leur bassin de vie que nos concitoyens attendent des réponses concrètes. Nous poursuivrons la stratégie consistant à aller vers les populations, en ciblant principalement les territoires ruraux à faible densité médicale, ou qui connaissent une forte proportion de patients touchés par une affection de longue durée (ALD) ou dépourvus de médecin traitant. Nous continuerons à lutter contre les déserts médicaux et à améliorer les soins non programmés, en consacrant davantage de moyens aux services d’accès aux soins. (…) Quatrième priorité : renforcer l’attractivité des métiers de la santé et améliorer les conditions de travail des professions médicales. Il s’agit notamment de financer la convention médicale qui a relevé, dès décembre 2024, le tarif de la consultation chez le médecin traitant à 30 euros. Certaines spécialités bénéficient également d’une revalorisation des consultations, comme la gynécologie. Nous devons investir davantage dans la prévention. Nous améliorerons le suivi médical de l’enfant grâce à l’évolution du calendrier des examens obligatoires et à la refonte du carnet de santé. (…) Le nouveau carnet de santé accordera une place centrale à la prévention. En outre, les examens bucco-dentaires seront désormais annuels entre 3 et 24 ans, dans le cadre de la politique "génération sans carie". Enfin, la santé mentale est érigée en grande cause nationale de l’année 2025 et près de 100 millions d’euros seront ainsi mobilisés cette année. (…) Le dispositif de prévention du suicide VigilanS sera étendu aux mineurs. (…) Les financements de la branche autonomie atteindront 43 milliards d’euros et permettront d’accélérer le déploiement des 50 000 nouvelles solutions d’accompagnement pour les personnes en perte d’autonomie, tout en renforçant le soutien aux proches aidants et aux établissements médico-sociaux. Le soutien aux personnes en situation de handicap connaîtra en 2025, alors que nous célébrerons les vingt ans de la loi du 11 février 2005, des avancées concrètes, je pense en particulier à la prise en charge intégrale des fauteuils roulants.Les EHPAD bénéficieront d’un effort budgétaire significatif, incluant des investissements immobiliers supplémentaires pour moderniser les structures et améliorer les conditions d’accueil des résidents. Par ailleurs, 6 500 professionnels seront recrutés dès 2025 afin d’atteindre plus rapidement l’objectif de 50 000 postes supplémentaires d’ici à 2030. Il s’agit de garantir ainsi une meilleure prise en charge et un accompagnement renforcé. Le financement des EHPAD sera simplifié et sécurisé grâce à la fusion des sections "soins" et "dépendance", souvent réclamée sans jamais être réalisée. Le Sénat avait voté la création d’un fonds d’urgence doté de 100 millions d’euros. Face à la situation difficile des EHPAD, que le gouvernement et de nombreux députés reconnaissent, nous prévoyons de tripler la dotation de ce fonds, pour la porter à 300 millions d’euros. ».
Un peu plus tard, François Bayrou a rappelé le caractère exceptionnel de notre modèle social : « Depuis la seconde Guerre mondiale et le Conseil national de la Résistance, il est fondé sur un pacte social unique au monde. Aucun pays n’a assuré les individus autant que le nôtre, depuis l’éducation des jeunes enfants jusqu’à la présence dans les dernières années de la vie, en passant par la santé, l’assurance contre le chômage, la retraite ou d’autres formes de solidarité. Aucun autre pays n’a choisi, comme le nôtre, le principe "Un pour tous, tous pour un". Tous ont fondé en grande partie ou en totalité leur pacte social sur la logique du "Chacun pour soi", que ce soit pour lui-même, pour sa famille, pour les siens : chacun assure l’éducation de ses enfants, son assurance sociale, sa retraite. La volonté de faire qu’aucun d’entre nous ne soit abandonné à un moment de sa vie se manifeste dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. ».
Parmi les améliorations du PLFSS, François Bayrou en a énuméré quelques-unes : « Je ne retiendrai que deux ou trois d’entre elles. Premièrement, les budgets des hôpitaux ont bénéficié d’une augmentation de 3,8%, soit 4 milliards d’euros supplémentaires. Cela leur permettra, je l’espère, de retrouver un meilleur équilibre, d’engager des personnels, de mieux rémunérer les soignants et d’améliorer l’accueil aux urgences. Sur l’autonomie et la dépendance, nous prévoyons 6 500 personnels soignants en plus dans les EHPAD et 300 millions supplémentaires pour qu’ils puissent faire face à des difficultés financières parfois immenses. Avec l’ensemble du gouvernement, je reprends l’engagement de Michel Barnier de faire de la santé mentale la grande cause nationale pour l’année 2025. L’amélioration des retraites agricoles, attendue depuis si longtemps, mérite d’être mentionnée à cette tribune. Enfin, nous ouvrons une réflexion sur la nécessité de ne plus aborder des problèmes aussi lourds et aussi graves seulement de façon annuelle, lors de l’examen des textes budgétaires, mais aussi dans un cadre pluriannuel pour le faire de manière sérieuse et utile. ».
Enfin, comme pour le PLF : « C’est pourquoi, sur le fondement de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, j’engage la responsabilité du gouvernement sur l’article liminaire et la première partie du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 dans leur version adoptée par le Sénat et modifiée par les amendements déposés par le gouvernement et figurant en annexe du courrier que j’ai adressé à la Présidente de l’Assemblée Nationale. ».
On sait bien qu'en politique, tout est posture, mais justement, pour un parti de gouvernement, la posture de responsabilité et de raison devrait l'emporter sur la posture du mauvais joueur. Les cérémonies des vœux sont passées aussi par là, où tous les députés ont entendu les doléances des citoyens qui en ont ras-le-bol que les responsables politiques prennent en otage le pays !
Cela a été annoncé le lundi 3 février 2025, dans l'après-midi, après une réunion du bureau national du PS : les députés PS ne voteront pas la censure pour les deux textes budgétaires. Cette annonce a été confirmée et précisée à la suite d'une réunion du groupe socialiste à l'Assemblée : aucun député ne votera de censure. Cette précision était importante car la discipline des députés PS était assez laxiste : lors de la motion de censure du 16 janvier 2025, 8 députés PS sur les 66 du groupe avaient quand même voté la censure. Il suffirait de 21 députés socialistes pour renverser le gouvernement si le groupe RN la votait aussi.
Pour permettre aux socialistes de garder la face, ils déposeront plus tard, après les débats budgétaires, une motion de censure pour s'indigner contre le mot "submersion", afin de râler comme il se doit (et de s'opposer). Rien n'empêcherait toutefois les députés RN de la voter, même si c'est pour des valeurs qu'ils rejetteraient.
Mais parlons justement des députés RN : ils ont été incapables de se mettre d'accord ce lundi 3 février 2025, un déjeuner a même été organisé entre Marine Le Pen et Jordan Bardella. La décision a été reportée à la réunion du groupe RN mercredi 5 février 2025 à 15 heures, soit juste avant l'examen des deux motions de censure. Toutefois, Jordan Bardella a déclaré ce mardi 4 février 2025 dans la matinée que le RN souhaitait rester dans l'opposition mais qu'il fallait aussi de la stabilité et donc, a priori, le RN s'acheminerait lui aussi vers une non-censure.
Ce serait alors assez cocasse que pour les textes budgétaires, seuls les insoumis, les communistes et les écologistes votent la censure. En refusant de négocier avec le RN pour privilégier le PS, François Bayrou obtiendrait mieux que Michel Barnier qui négociait pourtant avec le RN ! Je laisse au conditionnel car rien n'a été encore officiellement annoncé.
Ce qui paraît probable, c'est que François Bayrou aura réussi sa première mission, doter la France d'un budget. Et c'est tout ce qu'on lui a demandé prioritairement. Emmanuel Macron lui en saura gré. Si, ensuite, François Bayrou pouvait commencer quelques grandes réformes de l'État, afin de réduire drastiquement les dépenses de l'État, alors, ce serait Byzance ! Mais nous n'y sommes pas encore.
« On y est. On est au pied du mur. Et comme disait un de mes amis, c'est au pied du mur qu'on voit le mieux le mur ! » (François Bayrou, le 27 janvier 2025 sur LCI).
Le Premier Ministre François Bayrou était l'invité de Darius Rochebin ce lundi 27 janvier 2025 sur LCI pendant près de deux heures, l'occasion d'évoquer les principales affaires du pays avant une semaine décisive, celle du budget qui pourrait le faire tomber par une nouvelle motion de censure.
Dans cette émission, deux mots viennent à l'esprit : cohérence et pacification. Cohérence de ce qu'a toujours dit François Bayrou depuis des décennies, sur l'importance de réduire le déficit, sur le besoin de rassembler les Français. Il est maintenant aux manettes et il doit prendre les mesures pour rassembler. Pacification du débat politique : en deux heures, pas une seule petite phrase contre un adversaire, contre un opposant, contre un rival. L'éditorialiste Patrick Cohen en a même été étonné dans sa chronique du 28 janvier 2025 sur France Inter : « Il y avait hier soir quelque chose de rafraîchissant, d'inattendu, à entendre une si longue interview sans la moindre critique, sans la plus petite pique envers quiconque. ».
Évidemment, François Bayrou a une raison cruciale d'agir ainsi : il a besoin de tous les groupes politiques pour pouvoir continuer à gouverner sans majorité. Il doit donc à la fois respecter tous les groupes politiques et rester un peu dans le flou sur le projet de loi de finances pour 2025 qu'il voudra soumettre à l'Assemblée d'une manière ou d'une autre (vote solennel après commission mixte paritaire ou article 49 alinéa 3 de la Constitution ; en principe, si la commission mixte paritaire est un succès, il y aura un vote du projet la première semaine de février 2025).
Je propose ici quelques éléments de cette interview. François Bayrou a exprimé sa conception du chef d'orchestre comme ceci : « Moi, j'ai confiance dans le sentiment de responsabilité de tous. (…) Il faut que chacun ait la certitude qu'il est entendu. Et il faut que les aspirations des uns deviennent compatibles avec les aspirations des autres. Et c'est ma responsabilité. ». Autant dire que c'est la musique de "Mission impossible" !
Sa mission est herculéenne : « J'ai décrit l'urgence dans laquelle nous sommes. On n'a pas de budget. On n'a pas de majorité. Il est vital pour le pays qu'on ait un budget et qu'il soit adopté. Mais ça ne veut pas dire qu'il faut s'arrêter là. J'avais employé l'expression de l'Himalaya lorsque je suis entré... mais l'Himalaya, c'est une chaîne de montagnes qui fait plus de deux mille kilomètres de long et qui comporte, je crois, huit sommets de plus de 8 000 mètres. Eh bien, il faut partir à l'assaut de tous ces sommets. Nous ne pouvons pas baisser les bras et nous trouver dans une situation où nous constatons la gravité des problèmes du pays et où nous attendons pour les régler. Et la détermination qui est la nôtre, qui est celle du gouvernement et la mienne, c'est que, une fois le budget adopté, alors nous allons partir à l'assaut, sans exception, sans exception, de tous les problèmes que nous identifions et qui font aujourd'hui l'extrême difficulté du pays. ».
Sur l'immigration, François Bayrou a voulu regarder la situation avec un regard à la fois humaniste, mais lucide : « Vous voyez le sentiment de blocage qu'il y a d'un certain nombre de gens... Mais il y a des métiers qui ouvrent à la possibilité d'une intégration. Et je vous répète que pour moi, c'est le travail, la langue et les principes de vie qui sont les trois conditions pour que cette intégration se fasse. ». Un article spécifique est proposé pour parler de l'expression qui a créé une polémique sémantique de la part du PS, le « sentiment d'une submersion ». Devant un mot, il faut se rappeler les actes : François Bayrou a refusé une nouvelle loi Immigration et il a refusé la suppression de l'aide médicale d'État (AME). Il est donc très loin des positions du RN !
La laïcité peut concerner autant la politique que la religion : « L'identité de la France, c'est la tolérance et, au-delà de la tolérance, un jour, la compréhension mutuelle. (…) On a découvert les vertus de la laïcité pour la religion ou la philosophie. C'est-à-dire, ce n'est pas parce que vous ne croyez pas la même chose que moi que je vous dénie la qualité d'être un citoyen français. Eh bien, je suis persuadé que cet effort de laïcité, on doit aussi le faire en politique. Ce n'est pas parce qu'il y a des gens qui ne croient pas la même chose que moi que je peux leur dénier le droit d'être Français. ». Le fidèle du roi Henri IV ne pouvait que promouvoir une telle laïcité.
Justifiant l'aide qu'il a apportée à Marine Le Pen pour ses parrainages en 2022 au nom de la démocratie, le chef du gouvernement a confirmé qu'il en était toutefois un adversaire politique résolu : « Je pense que la lutte contre les extrêmes (…), en tout cas le combat contre les extrêmes, le fait qu'on refuse de leur céder le terrain, je pense que ce combat-là, il ne peut être conduit qu'en montrant qu'on n'est pas soi-même dans la violence.(...) Je pense à la France sous l'abord du respect que j'ai pour les citoyens français quels qu'ils soient. Je combats les idées. Je combats encore davantage les arrière-pensées. Je n'ai jamais manqué une seule fois à ce combat-là. J'ai participé au front républicain parce qu'on était en train de voir un des deux extrêmes, l'extrême droite, prendre le pouvoir. Et pour moi, ce n'est pas acceptable. ».
Il serait aussi choqué par une peine d'inéligibilité exécutoire avant la condamnation définitive : « La responsabilité du gouvernement ne peut pas porter sur la justice. Mais je pense qu'il est très dérangeant que des jugements soient prononcés sans qu'on puisse faire appel. Et deuxièmement, je considère que cette accusation-là, c'est-à-dire, l'idée que l'aide que le Parlement Européen mobilise pour aider les parlementaires européens à faire leur travail, il est une accusation injuste que de penser que le parti politique ne les aide pas. Le parti politique, ça fait élire un député européen, puisque c'est sur une liste, c'est lui qui les choisit, ça les aide à défendre leurs idées surtout quand ils sont minoritaires. Et enfin, troisièmement, c'est le seul vecteur pour les faire réélire. (…) Mais je ne trouve pas que ce soit juste. ».
Dans sa chronique déjà citée, Patrick Cohen a modéré son enthousiasme initial en disant : « Qualifier "d’accusation injuste" le procès qui est fait à la leader du RN sur l’usage de ses assistants européens est une faute. Qui revient à délégitimer par avance une décision de justice. C’est un très mauvais coup au pouvoir judiciaire. Un Premier Ministre ne devrait pas dire cela. ».
Sur le budget, François Bayrou a différencié le budget 2025 qu'il faut faire dans l'urgence, et le budget 2026 où il a le soutien d'une personnalité comme Alain Madelin (invité de LCI juste avant lui) pour remettre tout à plat. Par exemple, il a donné le nombre, peut-être incomplet, de 1 244 agences de l'État pour un budget de 83 milliards d'euros en 2024. Certaines agences sont indispensables, mais d'autres devront justifier leur existence et leurs coûts.
La préparation du budget 2026 se fera très en amont : « Je crois que le budget 2026 doit être très différent du budget 2025, parce que je compte bien que nous allons, ensemble, construire une action publique de l'État qui sera très différente de la situation que nous avons aujourd'hui. Je pense qu'il faut que nous reprenions, comme sur une page blanche, les politiques publiques que nous adoptons et que nous examinions les moyens que nous y mettons. ».
Le Premier Ministre voudrait avant tout que les Français retrouvent leur dynamisme et leur optimisme : « Réveillez-vous ! Les Européens et les Français, réveillez-vous ! Nous avons les chercheurs en intelligence artificielle les plus reconnus de la planète entière. Ils partent aux États-Unis parce qu'on les paie. Eh bien, qu'on se ressaisisse ! ».
Et sur les retraites, il a répété qu'il n'y aurait pas de problème de financement de notre système s'il y avait autant de travailleurs que chez nos voisins : « Si nous avions le taux d'emploi de nos voisins, il n'y aurait, à l'heure actuelle, pas de problème de financement des retraites. Si nous avions la production, la productivité, la capacité du pays par personne à produire, nous n'aurions pas de problème de financement des retraites. Et si nous avions le taux d'emploi des seniors comparable aux autres pays, eh bien, il n'y aurait pas de problème de financement des retraites. (…) D'autres organisations du travail, d'autres créations d'emplois et d'autres progrès de la productivité peuvent faire que nous ne soyons plus devant ce mur de dettes que les retraites représentent. Je suis persuadé qu'on peut y arriver (…). J'espère qu'on peut y arriver par des accords qui feront qu'il y aura plus de départs à la carte. Je pars plus tôt avec moins, je pars plus tard avec plus. (…) [J'étais favorable à] la retraite à points. Qu'est-ce que c'est la retraite à point ? C'est une retraite plus souple, à la carte, où chacun peut aménager son temps de travail de manière à la fois à équilibrer les régimes de retraite et à garantir sa vie personnelle. ». Son objectif, c'est donc de rehausser l'appareil productif, comme l'Allemagne l'avait fait dans les années 2000 malgré l'absorption monétaire très compliquée de l'Allemagne de l'Est. C'était aussi l'objectif du Président Emmanuel Macron.
Pas question de demander aux retraités de payer la dette : « Vous voyez très bien ce qu'on risque de faire. Vous avez une société qui a déjà des problèmes formidables et vous voulez insécuriser tout le monde, y compris les retraités. Peut-être qu'un jour il faudra qu'on pose ce type de questions, mais je n'ai pas envie que cette émission fasse penser dans la tête de tous ceux qui ont travaillé toute leur vie et qui ont des pensions, je n'ai pas envie qu'on leur fasse penser qu'on va vous cibler et c'est vous qui allez payer tout ça. Je ne crois pas ça. Je pense que notre problème, le premier de nos problèmes, c'est que nous ne produisons pas assez, nous n'avons pas assez d'emplois, je l'ai déjà dit, nous avons pas assez de capacité agricole, industrielle, intellectuelle. Nous ne valorisons pas ce que nous sommes. Et tout le but qui est le mien, c'est qu'on sorte de la dépression générale, qu'on sorte de cet abattement dans lequel on se trouve, et qu'on trouve des raisons d'y croire, parce qu'il y a plein de raisons d'y croire. ».
François Bayrou a aussi été interrogé sur la fin de vie, cela fera l'objet d'un article ultérieur.
Celui qui a une expérience d'engagement politique de cinquante et un ans savait de quoi il parlait quand il tentait une définition de l'action politique : « Qu'est-ce que c'est, faire de la politique ? C'est accepter d'être citoyen. C'est-à-dire, accepter qu'on est en partie responsable, aussi faible qu'on soit, on est en partie responsable de ce qui se passe. On n'est pas des spectateurs assis sur le bord de la route qui regardent les coureurs passer en disant : pédale, fainéant ! Moi, j'ai vu ça assez souvent dans les cols des Pyrénées. Le mec, il est sur un transat, il a le Ricard à côté de lui, et les coureurs cyclistes passent, et il dit : pédale, fainéant ! Être citoyen, c'est le contraire de ça ! ». En clair, au lieu de dénigrer, venez aider le gouvernement ! Ou : la critique est aisée, l'art est difficile.
Réfutant énergiquement l'idée émise par Édouard Philippe que les deux prochaines années (2025-2027) seraient inutiles car on ne pourrait faire aucune réforme, François Bayrou pense exactement l'inverse, en citant De Gaulle et Pierre Mendès France : « Non seulement on peut, mais on doit [faire quelque chose pendant ces deux ans]. Vous comprenez bien ce que je décris. Un pays désespéré qui a le devoir de retrouver de l'espoir, de l'optimisme, de la volonté, du savoir-faire, et de l'inventivité. (…) Je pense que c'est très difficile, que, honnêtement, si on était raisonnable, on n'aurait pas relevé ce pari, je n'aurais pas relevé ce pari, mais je pense qu'il y a un chemin ! (…) De Gaulle était seul face à l'envahissement de l'armée allemande qui venait d'écraser notre armée et il était un pauvre colonel qui a été promu général à titre temporaire, et il a dit : on ne laissera pas tomber tout ça ! Et Mendès, il a dit : écoutez, on n'a peut-être aucune chance, mais je vais le faire ! (…) C'est dans ce camp-là que je me range, c'est-à-dire ceux qui pensent que ce n'est pas parce qu'il n'y a aucune chance qu'il ne faut rien faire ! Je pense (…) que précisément, on se taille un chemin, à la serpe, à la machette, au sabre d'abordage, je ne sais quoi, mais il faut le faire avec un minimum de compréhension. ».
Enfin, François Bayrou s'est fait un promoteur très engagé de la Cinquième République, ce qui me réjouit : « Les partis ont le droit et le devoir d'exister. Je crois même qu'ils sont d'utilité publique. Mais le devoir du gouvernement est de ne pas être prisonnier des partis. (…) La Cinquième République est vitale parce que la Cinquième République apporte une réponse à ce que vous décrivez de ce qui est inquiétant, c'est-à-dire le fait que les uns empêchent les autres d'avancer. La Cinquième République, comme elle a élu un Président au suffrage universel, ce Président, il organise les choses pour que le pluralisme ne soit pas paralysant. Et c'est ce qu'on essaie de faire. ».
Durant cette longue émission, dont l'animateur écoutait peu son invité et l'interrompait sans cesse (c'est vrai que l'invité en question parlait lentement), François Bayrou a montré beaucoup d'assurance et de vision sur la politique à tenir. Il ne craint pas les épreuves et il l'a réaffirmé, la raison aurait dû lui commander de ne pas relever le défi, mais dans cette période politiquement très difficile, il est vrai que François Bayrou a une carte maîtresse : il n'a dénigré personne !
« Je n’ai aucune connivence avec personne : ni avec ceux qui exagèrent les réalités ni avec ceux qui les nient. Nous sommes engagés au service des Français pour résoudre les problèmes qui se posent, non pas pour les nier, non pas pour les exagérer, mais pour leur apporter, j’y insiste, des réponses. C’est notre responsabilité de républicains. » (François Bayrou, le 28 janvier 2025 dans l'hémicycle).
Tempête dans un verre d'eau ? Orage sémantique ? Prémices d'une lepénisation des esprits ? En tout cas, la probabilité d'une censure vient d'augment d'un cran ce mardi 28 janvier 2025 après les propos du Premier Ministre François Bayou lors de sa longue interview du 27 janvier 2025 dans une émission animée par Darius Rochebin sur LCI.
Et surtout, le résultat, c'est que les socialistes ont suspendu leurs négociations avec le gouvernement sur le projet de loi de finances pour 2025. Il y a pourtant une urgence puisque la commission mixte paritaire devra en établir la version définitive les 30 et 31 janvier 2025. La cause ? Des propos que les socialistes ont jugé inadmissibles (mais qui n'ont aucune incidence sur le budget 2025).
Reprenons les mots du 27 janvier 2025. François Bayrou s'est permis de déclarer, répondant à une question que j'ai trouvée très mal posée : « Je ne crois pas que ce soit mieux d'être métissé que de ne pas l'être. Je pense que les apports étrangers sont positifs pour un peuple à condition qu'ils ne dépassent pas une proportion. Je pense que la rencontre des cultures est positive. Mais dès l'instant que vous avez le sentiment d'une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, de ne plus reconnaître les modes de vie ou la culture, dès cet instant-là, vous avez rejet. (…) Un certain nombre de villes ou de régions sont dans ce sentiment-là. Je répète : pour moi, c'est une question de proportion. Et cette question de proportion, elle est très rapidement et très souvent atteinte. Je reprends l'exemple de Mayotte, il est très intéressant. (…) Mayotte (…), ce sont des rejets qui deviennent violents et avec des tas d'exclusion et de racisme, alors que ce sont les même culture, même religion, même langue et même famille. Simplement, les apports des îles voisines sont ressenties comme une agression. ».
Ce qui me choque vraiment dans cet échange avec Darius Rochebin, c'est que ce dernier considérait que la couleur de la peau donnait une idée de la culture d'une personne, ce qui n'a rien à voir (il se fiait à une photo de classe de l'écolier Bayrou dans les années 1950). Et ce qui peut être choquant, c'est que François Bayrou ne l'a pas relevé et est entré dans le jeu du présentateur-souriant à propos du "métissage" alors que toutes les populations humaines sont des mélanges et des métissages depuis les débuts de l'homo sapiens. En d'autres termes, il n'existe pas de groupe ethnique "pur" ! En revanche, François Bayrou a rappelé que l'arrivée massive des immigrés comoriens à Mayotte entraînait un rejet tout aussi massif alors que cette population est de même culture et religion.
Mais ce n'est pas cela qui a choqué la "bien-pensance" socialiste. C'est le mot "submersion". Quand on parle d'immigration, c'est un mot subversif, comme "invasion" (Valéry Giscard d'Estaing), "bruit et odeurs" (Jacques Chirac) et surtout "grand remplacement" (extrême droite). Même la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet a confié sa gêne sur BFMTV à la matinale du 28 janvier 2025. Elle n'est pas la seule dans la classe politique.
Pourtant, François Bayrou a parlé, non pas de « submersion » mais d'un « sentiment de submersion », ce qui est très différent : le Premier Ministre exprimait ainsi un sentiment qui est vécu comme tel, un fait, sans forcément le prendre pour lui. Un constat. Darius Rochebin, très friand de la moindre chose de son émission qui puisse faire du buzz, a bien entendu saisi la balle au bond pour faire expliciter le mot.
François Bayrou a développé ainsi l'idée, sans reprendre le mot : « Je pense que beaucoup de Français, et beaucoup de quartiers ou beaucoup de villes ont le sentiment que ce n'est plus maîtrisé. Et il suffit de voir les faits-divers pour mesurer que les manquements, les délits, se concentrent et on ne voit plus que ça. Ceux qui regardent vos écrans, ne voient plus que ça. Ils ont le sentiment que c'est forcément des étrangers ou des immigrés qui manquent aux devoirs que nous avons. Et tant que nous n'aurons pas garanti l'ordre sur notre sol, c'est-à-dire la certitude que quand quelqu'un est en situation irrégulière, celui-là, eh bien, on peut le raccompagner chez lui avec le respect qu'on doit aux personnes humaines, mais pour garantir que notre loi est respectée, que nos décisions sont respectées... ».
Alors, le "binôme" Bruno Retailleau (à l'Intérieur) et Gérald Darmanin (à la Justice) est-il le symbole d'un changement de politique ? La réponse du chef du gouvernement : « En tout cas, il a été voulu comme ça. Ça fait des temps immémoriaux que la police dit : nous, on les arrête, mais les juges les libèrent. Et on les retrouve le lendemain matin dans les quartiers. "Les", ça veut dire, les jeunes, c'est souvent des jeunes, délinquants, et souvent, en effet, culturellement, en situation de rupture. ». Le langage est clair, il est crû, il est ressenti par de nombreux Français. Ce n'est pas de la langue de bois.
Le journaliste vedette est allé alors plus loin en poussant François Bayrou dans un procès en manipulation. Ce mot, serait-ce pour racoler des voix du RN ? Réponse de l'intéressé : « C'est la plus mauvaise manière de réfléchir. Si vous faites les choses pour gagner des parts de marché sur des adversaires politiques, alors c'est que vous n'avez pas de convictions personnelles. Moi, j'ai une conviction personnelle. C'est que l'ordre, c'est pour les plus fragiles. L'ordre, c'est pour les plus pauvres. L'ordre, c'est pour ceux qui ne peuvent pas se défendre tout seuls. Autrement, vous vous trouvez dans une société de type américain dans laquelle vous constituez un quartier avec une milice, avec une sécurité privée que vous payez pour être tranquille dans votre quartier. C'est le contraire de la République française. ».
On peut ne pas aimer François Bayrou ni ce qu'il dit, tout se discute, mais on ne peut pas lui retirer les convictions qu'il a toujours exprimées depuis des années. Ce "sentiment de submersion", il a été rencontré, presque généralisé à Mayotte lorsque les ministres sont allés voire la population après la tempête Chido. François Bayrou a une "doctrine" qui est assez claire : il n'est pas contre le principe d'une immigration, mais il constate qu'il y a une proportion au-delà de laquelle ce n'est plus possible de vivre ensemble, il y a un rejet. C'est le fameux "seuil de tolérance" évoqué dans les années 1980. Ce que dit François Bayrou, c'est que ce sentiment de "submersion" a été atteint à Mayotte et aussi dans d'autres territoires, comme la Guyane.
Déjà dans sa déclaration de politique générale le 14 janvier 2025, François Bayrou énonçait ce principe : « J’ai la conviction profonde que l’immigration, qui, je le répète, se développe sous toutes les latitudes, est une question de proportion. L’installation d’une famille étrangère dans un village pyrénéen ou cévenol, c’est un mouvement de générosité qui se déploie, des enfants fêtés et entourés à l’école, des parents qui reçoivent tous les signes de l’entraide. Que trente familles s’installent, le village se sent menacé et des vagues de rejet apparaissent. Telle est exactement la situation que nous connaissons à Mayotte, où les illégaux représentent 80 000 habitants sur 300 000. C’est comme si Paris intra-muros comptait 500 000 illégaux établis dans des bidonvilles : nos compatriotes mahorais ne le supportent pas. Nier que cette immigration illégale soit pour la société mahoraise un facteur de déstabilisation, c’est se voiler la face, se mentir et leur mentir ! ».
Le lendemain de l'émission de LCI, lors de la séance des questions au gouvernement du mardi 28 janvier 2025 à l'Assemblée, le président du groupe socialiste Boris Vallaud a voulu bien comprendre ce qu'avait voulu dire le Premier Ministre. La question de Boris Vallaud s'est placée dans le registre de la morale et pas de la politique : « "Submersion" : (…) C’est un mot qui blesse autant qu’il ment. (…) La question migratoire est une affaire sérieuse pour les Français, trop sérieuse pour se laisser dicter par l’extrême droite les termes dans lesquels on l’aborde. Ce débat mérite mieux que cette funeste coalition de l’ignorance, des préjugés et de l’opportunisme au prix de tous nos principes républicains. Tout plutôt que cet ordre qui puise ses pouvoirs dans la haine de l’autre, que la corruption de nos principes ! Monsieur le Premier Ministre, je vous appelle au sursaut : montrez-vous républicain et fidèle à votre famille politique, celle des démocrates chrétiens. Je vous demande d’être clair : maintenez-vous ce mot de submersion ? ».
La réponse de François Bayrou a été très combative, ce qui a pu surprendre le dirigeant socialiste. Concrètement, le Premier Ministre n'a pas répondu précisément à la question, il n'a pas repris l'expression "sentiment de submersion" mais il ne l'a pas non plus réfutée puisqu'il a répété le mot lui-même "submersion" : « Quiconque s’est rendu à Mayotte, a parlé avec ses habitants, s’est confronté à la situation de ce département, d’autres endroits de France en connaissent de comparables, mesure que le mot de submersion est le plus adapté. C’est le plus adapté parce que tout un pays, toute une communauté de départements français doit faire face à des vagues d’immigration illégale telles que les populations migrantes représentent jusqu’à 25% de la population des territoires concernés. Cela suscite le désespoir. Qui parmi nous peut dire que ce n’est pas vrai ? ». On pourra toujours reprocher à François Bayrou un vocabulaire maladroit : "vagues d'immigration" et même "illégaux" (au lieu de personnes en situation irrégulière) alors qu'il s'agit de personnes humaines. Mais la réalité est là et refuser de la voir est le principal facteur de la montée de l'extrême droite.
François Bayrou a poursuivi sa réponse au milieu des exclamations de la gauche : « Ce ne sont pas les mots qui sont choquants mais la réalité. (…) Cette réalité est celle que ressentent nos compatriotes. Notre responsabilité est de changer les choses. (…) L’immigration n’est pas la cause des problèmes de la France, ce sont les problèmes de la France qui sont la cause de ce que l’immigration est désormais une impasse parce qu’il n’y a pas d’intégration, comme nous le voulons, par le travail, par la langue et par les principes. Notre responsabilité, quelle que soit notre appartenance politique, c’est de changer la situation du pays, celle qui conduit à des vagues de xénophobie qui sont pour nous, républicains, insupportables. ».
Boris Vallaud a pu reprendre très brièvement la parole parce qu'il lui restait un peu de temps de parole, en citant Jean-Jacques Rousseau : « Je ne peux qu’être consterné par votre réponse et même "submergé" par la consternation. (…) Si vous gouvernez avec les préjugés de l’extrême droite, nous finirons gouvernés par l’extrême droite et vous en aurez été le complice. ».
Ce procès en supplétif de l'extrême droite, c'est une très ancienne tactique manipulatoire de la gauche pour empêcher les autres partis de s'attaquer à un véritable problème des Français. François Bayrou l'a rejeté fermement en y mêlant conviction et ambition : « Les préjugés sont nourris par le réel. Et ceux qui, ici, considèrent qu’on doit faire de ces sujets des sujets d’affrontement, à mon avis trahissent notre mission. Je n’ai aucune connivence avec personne : ni avec ceux qui exagèrent les réalités ni avec ceux qui les nient. Nous sommes engagés au service des Français pour résoudre les problèmes qui se posent, non pas pour les nier, non pas pour les exagérer, mais pour leur apporter, j’y insiste, des réponses. C’est notre responsabilité de républicains. ».
Les députés RN ont fortement applaudi le Premier Ministre, même si, dans les médias, ils ont estimé que ce n'étaient que des mots non suivis des faits. François Bayrou, au contraire, veut prouver que la politique de Bruno Retailleau est un changement radical dans la manière de traiter le sujet par les autorités. Le fait que la politique vienne du choix des mots du Premier Ministre et pas de son Ministre de l'Intérieur fera sans doute encore beaucoup couler d'encre.
À court terme, le PS a refusé de poursuivre les discussions qu'il avait avec le gouvernement pour élaborer la dernière version du projet de loi de finances, alors que cela n'a rien à voir. Est-ce un moyen commode (et hypocrite) de revenir à la niche de Jean-Luc Mélenchon, ayant eu trop peur de son audacieuse liberté ? Cela a permis de montrer un Premier Ministre déterminé, qui sait où aller, et surtout, indépendant. Mais peut-être plus pour longtemps.
« Pas moins de 84% des Français jugent, paraît-il, que le gouvernement ne passera pas l’année. Il m’arrive même de me demander où les 16% restants puisent leur optimisme. » (François Bayrou, le 14 janvier 2025 dans l'hémicycle).
Dès la nomination de François Bayrou à Matignon, le 13 décembre 2024, on se posait tous la question : son gouvernement durera-t-il plus longtemps que celui de Michel Barnier ? Sera-t-il censuré ? Et les plus pessimistes : quand sera-t-il censuré ?
Le 14 janvier 2025, à l'issue de la déclaration de politique générale de François Bayrou et de la discussion parlementaire qui a suivi, le groupe des insoumis a déposé une motion de censure qui sera examinée ce jeudi 16 janvier 2025 (le même jour que la cérémonie d'hommage à Jean-Marie Le Pen à Paris !).
Mais avant de m'appesantir sur la situation du gouvernement Bayrou, reprenons d'abord les fondamentaux de la Constitution. D'un point de vue théorique, le principe de la censure, c'est-à-dire de renversement d'un gouvernement par une motion de censure lorsqu'il y a une majorité absolue de députés qui le rejette, me paraît être un pilier essentiel de notre démocratie parlementaire et permet d'affirmer, même sans vote d'investiture (comme sous la Quatrième République), même sans vote de confiance (facultatif), que tous les gouvernements sont légitimes et démocratiques, car ils pourraient être renversés.
La censure est l'une des deux armes des relations entre l'exécutif et le législatif. Avant 2024, elle n'a été utilisée qu'une seule fois en 1962 (dans des conditions bien particulières, je n'y reviens pas) sous la Cinquième République. L'autre arme, c'est la possibilité de réponse, par le Président de la République, d'une censure par l'Assemblée : sa dissolution. Les deux armes peuvent être utilisées bien sûr l'une indépendamment de l'autre. En 1962, la dissolution avait suivi immédiatement la censure du gouvernement de Georges Pompidou. Mais elle a été utilisée aussi de nombreuses fois, soit à la suite d'une élection présidentielle (1981 et 1988), soit pour répondre à des crises politiques (1962 et 1968), soit encore à froid (1997). Je laisse les historiens classer la dissolution de 2024 (crise ? à froid ?). Le jeu de la censure est donc un jeu d'équilibre de la terreur : les députés qui censurent risquent leur propre dissolution. Cela ne fonctionne plus en 2024, car l'Assemblée ne peut pas être dissoute avant une année pleine après les dernières élections anticipées.
D'où la situation doublement nouvelle de la XVIIe législature, celle issue des urnes de l'été 2024 : non seulement l'Assemblée bénéficie d'une impossibilité (temporaire) d'être dissoute (un gros avantage pour les générateurs de chaos politique), mais aussi les électeurs (et eux seuls ! pas Emmanuel Macron, je précise !) ont élu une Assemblée éclatée en trois blocs incompatibles et équivalents, d'où l'impossibilité d'y trouver une majorité même relative. Dans cette situation inédite sous la Cinquième République, les groupes parlementaires devraient s'entendre sur un programme minimal pour permettre à la France d'être gouvernée. Aucun groupe ne peut prétendre avoir gagné et appliquer son programme politique. Une censure, dans ce contexte, est aussi improductive qu'inutile, voire génératrice de chaos.
Et puis, il y a la pratique. La réalité, c'est que la censure du 4 décembre 2024 a été un choc politique très violent. Quasiment aussi violent pour les Français que le choc de la dissolution le 9 juin 2024. Un effet de sidération et des conséquences désastreuses malgré tous ces professionnels de la censure qui prétendaient à tort que cela n'aurait aucun impact. Bien sûr que si que l'instabilité politique de la France aurait un impact direct.
D'abord sur les Français eux-mêmes qui perdent un temps fou pour avoir des solutions parfois consensuelles : les agriculteurs, les nouveaux emplois à pouvoir dans la fonction publique (gendarmes, juges, etc.) qui ne pourront pas être pourvus faute de vote budgétaire, les entreprises (qui attendent au lieu d'investir), les consommateurs (qui préfèrent épargner avant de savoir comment ils seront mangés) et même les contribuables dont certains, à bas revenus, seront nouvellement imposés à cause des barèmes 2024 qui ont été reconduits par la loi spéciale sans ajustement de l'inflation, etc.
Ensuite, des conséquences extérieures, non seulement l'image de la France à l'étranger, mais surtout sa crédibilité financière, le risque d'augmentation des taux d'intérêt sur la dette (la France empruntera 350 milliards d'euros cette année 2025), car l'instabilité politique engendre systématiquement une instabilité économique et une incertitude fiscale et sociale, d'autant plus que la stabilité politique restait l'un des derniers atouts de la France par rapport à ses voisins européens.
Je n'aurais pas imaginé une telle violence ressentie par la censure du 4 décembre 2024 qu'on pourrait comparer à Hiroshima et Nagasaki pour la dissuasion nucléaire. Si le RN et la nouvelle farce populaire (NFP) ont prouvé qu'ils étaient capables de s'allier pour jouer au chamboule-tout, leur collusion irresponsable n'a rien apporté à la France, n'a rien construit, n'a apporté aucune solution, aucun gouvernement, n'a en rien aidé les Français, y compris leurs propres électeurs.
C'est dans ce contexte postapocalyptique dont a fait les frais le gouvernement Barnier que la question de la censure se pose pour son successeur. Le gouvernement Bayrou a ainsi deux avantages sur le gouvernement Barnier : celui de montrer qu'une censure n'est pas un acte à prendre à la légère et les électeurs seront très sévères face à l'irresponsabilité destructive des mouvements populistes (il faut lire les sondages actuels ou aller écouter les Français dans les multiples cérémonies des vœux dans tous les territoires) ; et la méthode qui a changé, ne serait-ce qu'en nommant un Ministre de l'Économie et des Finances compatible avec les socialistes, donc pas macroniste (en l'occurrence Éric Lombard est un grand ami d'Olivier Faure qui l'avait même proposé comme Premier Ministre en décembre dernier !).
Il semble à peu près certain que François Bayrou ne doit pas craindre la motion de censure du 16 janvier 2025 car elle devrait être rejetée, le groupe RN ayant annoncé qu'il refuserait de censurer à froid le gouvernement. Mais la question se pose sur la décision du groupe socialiste car François Bayrou a noué des relations avec lui ces dernières semaines dans un cadre de non-censure : si François Bayrou veut pouvoir faire adopter les deux lois de finances 2025 (État et sécurité sociale), il lui faut absolument la neutralité bienveillante du PS pendant quelques mois au moins, puisque celle du RN n'est pas fiable.
Or, le groupe PS est traversé par deux impératifs contradictoires : l'impératif électoral, qui nécessite une alliance avec les insoumis qui ne manqueraient pas de les traiter de traîtres et de présenter des candidats contre ceux qui ne voteraient pas la censure (d'où le retour à la niche de Jean-Luc Mélenchon des communistes et des écologistes, plus trouillards que les socialistes), et l'impératif de responsabilité, car le PS veut encore rester un parti gouvernemental avec un fort courant interne qui pourrait renverser Olivier Faure au prochain congrès du PS en cas de nouveau vote de censure.
François Bayrou a bien compris la problématique et la question est de savoir s'il veut être sincère ou tromper les socialistes. Beaucoup de socialistes doutent et ils ont raison dans l'absolu, mais la sincérité de François Bayrou, ici, ne peut pas être mise en doute car l'ancien candidat avait déjà montré de signes de socialo-compatibilité assez nets, notamment à l'élection présidentielle de 2012 avec le soutien à François Hollande et dans certaines municipalités dès 2008, en particulier à Dijon.
En clair, les socialistes ne veulent plus censurer le gouvernement car ils ne sont pas prêts pour une crise de régime qui pourrait aboutir à une élection présidentielle anticipée. Ils ont besoin d'un temps long, bien au-delà de l'été 2025, pour se crédibiliser politiquement hors d'une alliance avec l'extrême gauche. Ainsi, les dirigeants hésitent à franchir le pas, le pas de la non-censure. Dans la matinée juste avant la déclaration de politique générale, ils estimaient que le gouvernement les avait écoutés et qu'ils ne le censureraient pas. Mais après le grand oral, comme rien ne leur a été apparemment donné, pas de suspension de la réforme des retraites, ils reculaient et envisageaient sérieusement de revenir à la censure (du reste, comme la veille au soir). On leur a dit que la journée du mercredi 15 janvier 2025 pourrait leur apporter des garanties supplémentaires.
En effet, à deux occasions, François Bayrou pouvait un peu évoluer sur la réforme des retraites : au débat de politique générale au Sénat, une sorte de redite de la veille à l'Assemblée, mais pas forcément identique, et juste avant, en début d'après-midi, une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée.
Au Sénat, François Bayrou est intervenu trente minutes au lieu des quatre-vingt-dix minutes de la veille. Il a fait plus du commentaire que du déclaratif solennel. En revanche, à l'Assemblée, il a répondu clairement à une question du premier secrétaire du PS un peu ennuyé de ne pas avoir de prétexte clair vis-à-vis de leurs électeurs pour ne pas censurer le gouvernement.
Olivier Faure a clairement indiqué son positionnement : « Nous sommes dans l’opposition mais nous avons fait un choix : celui de néanmoins rechercher un compromis. ».
Et sa question a posé le problème tout aussi clairement : « Au cours de la semaine passée, nous avons beaucoup discuté avec vos ministres et avec vous-même et cherché à avancer sur nombre de questions qui touchent à la vie quotidienne des Français : la santé, le service public, les jours de carence… Autant de sujets qui les inquiètent et sur lesquels vous êtes en partie revenus hier, lors de votre déclaration de politique générale. Vous le savez : la clef de voûte de cette discussion est la réforme des retraites, cette réforme restée comme une blessure à la fois sociale et démocratique. Le départ à la retraite des Françaises et des Français va être progressivement reporté, jusqu’à l’âge de 64 ans. Ce sont les classes populaires, les femmes, les personnes avec des carrières longues, hachées, pénibles, qui seront les premiers pénalisés. Vous avez déclaré hier que cette réforme pouvait être "plus juste". Voilà un point d’accord entre nous car la réforme est selon nous terriblement injuste. Vous avez annoncé une conférence sociale ; c’est un premier pas. Cette conférence devra, en toute sincérité et transparence, tout mettre sur la table : l’âge légal de départ à la retraite, la durée de cotisation, la pénibilité du travail, les carrières des femmes, les sources de financement. Je vous le dis : elle ne pourra pas se clore par un retour à la réforme de 2023. Pour les socialistes, le statu quo n’est pas possible. Dans l’hypothèse où syndicats et patronat ne trouveraient pas d’accord, il reviendra à la démocratie parlementaire de s’exprimer. Dans ce cas, le Parlement doit avoir le dernier mot. Voilà notre position. Elle est claire. Elle est publique. À ce stade, le compte n’y est pas. Vous le savez : votre réponse à cette question conditionnera notre vote sur la motion de censure demain. ».
La perspective d'un échec de la conférence sociale qui maintiendrait la réforme en l'état inquiète les socialistes. C'est toutefois ne pas croire aux négociations sociales alors que c'est le leitmotiv du PS depuis des décennies. François Bayrou a évolué depuis le début puisqu'il a proposé que cette conférence sociale se fasse immédiatement (dès vendredi 17 janvier 2025 à 11 heures, gare à ceux qui la censureraient la veille !) et rapidement (elle ne durerait que trois mois, sous forme d'un conclave : on boucle tout jusqu'à ce qu'il y a un accord ! pas exactement, mais c'est l'idée).
La réponse de François Bayrou a été celle-ci : « S'agissant de la réforme des retraites, nous avons décidé de demander aux partenaires sociaux et au gouvernement, qui a la responsabilité de l’emploi public, de se réunir pour examiner les voies de progression identifiées après la réforme qu’Élisabeth Borne, après tant d’autres chefs du gouvernement, a conduite, je signale au passage que votre groupe ou votre courant de pensée, bien que s’étant opposé aux réformes précédentes, n’est jamais revenu dessus, car la réalité s’impose à nous tous. Je vais vous répondre clairement. Cette conférence sociale permettra, nous le croyons, de déboucher sur un accord. Nous le croyons parce que nous croyons, tout comme vous, j’imagine, à la capacité des partenaires sociaux à progresser. La démocratie sociale est un des piliers de la démocratie française et je peux attester, à la suite des conversations qu’ils ont eues avec moi, que les partenaires sociaux sont déterminés à avancer. Ils ont eux aussi identifié des marges de succès. ».
Et le chef du gouvernement a essayé de se montrer pédagogue sur les possibles issues de cette conférence sociale : « Il y a donc trois possibilités. La première est qu’un accord se dégage. Il fera alors l’objet d’un texte soumis au Parlement. S’il n’y a aucune sorte d’accord, c’est la réforme précédente qui continuera à s’imposer. Excusez-moi mais c’est la moindre des choses ! Il peut néanmoins arriver, et c’est même probable, qu’on se trouve dans une situation où des marges de progression, des mouvements, des changements, des adaptations auront été identifiés sans qu’il y ait un accord général. Si c’est le cas, nous proposerons un texte qui reprendra ces adaptations et nous le soumettrons à l’Assemblée. Il n’y a rien de plus simple, de plus clair, de plus franc. Nous ne pouvons considérer à l’avance que les partenaires sociaux sont incapables de progression, je crois exactement le contraire. Je prends l’engagement devant vous que si nous identifions des possibilités de changements positifs, dans lesquels on discernerait des progrès, nous les présenterons au Parlement dans le cadre d’un projet de loi. ».
Dans cette réponse, il y a à boire et à manger, et c'est sans doute la grande habileté de François Bayrou. Lui-même doit préserver la crédibilité financière de la France qu'il perdrait en cas de suspension ou d'abrogation de la réforme des retraites, ainsi que la crédibilité politique, éviter la perte d'un allié utile, LR, dont le principal ministre Bruno Retailleau est une pièce maîtresse dans son gouvernement.
On pourrait penser que la conférence sociale se solderait soit par un succès (alors un projet de loi serait déposé pour appliquer l'accord) soit par un échec (alors ce serait le statu quo). Cette deuxième possibilité inquiète les socialistes car ils se disent que le Medef pourrait faire capoter la conférence sociale. Alors, François Bayrou casse cette dualité, cette bipolarité en proposant une troisième possibilité, une troisième voie, la plus probable : pas d'accord global mais quelques points d'accord sur des sujets particuliers, et dans ce cas-là aussi, le gouvernement déposerait un projet de loi.
La probabilité qu'il puisse y avoir quelques points d'entente est quand même très élevée. Qu'importe lesquels, finalement, car pour les socialistes, l'élément majeur, c'est que le gouvernement puisse déposer un projet de loi qui amenderait la réforme des retraites. Car à partir de ce texte, tout serait possible à l'Assemblée en sachant qu'il y a une majorité absolue de députés favorables au retour à l'âge légal de 62 ans. C'est donc une grande concession pour François Bayrou qui, de son côté, lui permet de gagner du temps pour faire adopter le budget.
Du côté des socialistes, on parle d'un réel changement, mais très petit changement, et pour certains, faisant le procès de l'hypocrisie, cela n'empêcherait quand même pas la censure. En fait, tout va dépendre du courage des dirigeants socialistes et de leur décision dépendra certainement leur avenir comme parti gouvernemental aux yeux des Français.
Dans la soirée du mercredi 15 janvier 2025, les socialistes réunis en bureau n'ont pas réussi à adopter une position claire sur la motion de censure du lendemain : la voteront-ils, ne la voteront-ils pas ? La logique voudrait qu'une discipline de groupe soit appliquée dans cette décision, car la réponse collective éviterait de parler de "trahison" de quelques individus. Une nouvelle réunion est prévue jeudi matin. À court terme, François Bayrou ne risque pas grand-chose. Mais le risque est pour les semaines à venir et les prochaines discussions budgétaires. L'éthique de responsabilité est difficile à accoucher. Il faut souligner le courage des socialistes prêts à quitter le giron mélenchonien pour s'occuper réellement de l'intérêt des Français. Allez, encore un petit effort !
« Cette œuvre de réconciliation à laquelle nous sommes appelés ne deviendra possible que si nous offrons une perspective à notre pays. Nos efforts doivent être tendus vers un but qui suppose la lucidité et le courage que je décrivais à l’instant : une nouvelle promesse française. » (François Bayrou, le 14 janvier 2025 dans l'hémicycle).
Démarrage en fanfare pour le grand oral du Premier Ministre : « En vérité, contrairement à ce que beaucoup pensent, la situation de ce gouvernement présente un avantage considérable. Sur ces bancs, même parmi ceux qui sont violemment hostiles à ce que nous pensons ou à ce qu’ils croient que nous pensons, pas un ne trouve notre position enviable. Pas moins de 84% des Français jugent, paraît-il, que le gouvernement ne passera pas l’année. Il m’arrive même de me demander où les 16% restants puisent leur optimisme. Eh bien, au risque de vous surprendre, j’y vois un atout : quand tout va bien, on s’endort sur ses lauriers, mais quand tout paraît aller mal, on est contraint au courage. Le gouvernement dispose d’un deuxième atout décisif. C’est le besoin, l’exigence, l’injonction que le pays nous assigne : retrouver la stabilité. Tous les Français en ont besoin. Ils comprennent bien que nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais ils nous enjoignent de joindre nos forces pour forcer les issues. ».
Ce mardi 14 janvier 2025 à 15 heures, François Bayrou est donc venu devant les députés prononcer sa déclaration de politique générale (on peut lire ou écouter cette déclaration ici). Un discours de quatre-vingt-dix minutes. Pour le leader centriste, cette journée a été à son image. Un fond très travaillé, une aisance dans ses fonctions et dans son environnement, l'Assemblée, malgré un peu de désordre (mélange des feuilles de son discours), et quelques pincées d'humour, plus de l'autodérision (« Les pages de mon discours sont un peu mélangées, parce que je suis un néophyte. Je suis donc bien obligé d’apprendre ce métier. ») que l'ironie pince-sans-rire et grinçante de son prédécesseur Michel Barnier.
Comme dans toute déclaration de politique générale, il y a une forte densité de fond, sans pour autant devenir un catalogue à la Prévert de mesures gouvernementales. Au contraire, à la fin, on lui a reproché d'être resté trop vague. Mais justement ! Lui ne vient pas en service commandé du Président de la République. Il ne vient pas en bénéficiant d'une majorité absolue à l'Assemblée. Il ne se dresse pas devant les députés en conquérant, en imperator. Au contraire ! Il arrive sur un terrain miné, sans majorité et avec un risque très fort de censure (comme son prédécesseur). Alors, il est venu avec quelques idées claires, mais sans apporter les solutions toutes faites. Ce sera au Parlement de préciser les choses. Ceux-là même qui critiquent l'autoritarisme du Président Emmanuel Macron reprochent à François Bayrou son manque de dirigisme gouvernemental, allez comprendre !
Car la méthode Bayrou, ce n'est pas d'apporter des solutions toutes faites, déjà packagées, avec l'ultimatum, à prendre ou à laisser. L'ultimatum, dans une Assemblée sans majorité, est voué à l'échec rapide. François Bayrou préfère la méthode de la négociation et de la concertation.
On ne s'étonnera donc pas qu'il ait commencé sa déclaration par l'importance de la dette publique. C'était son leitmotiv depuis la campagne présidentielle de 2002. À l'époque, toute le monde s'en moquait, on empruntait, on payait, on faisait du clientélisme, on empruntait, on s'endettait. Lui, François Bayrou, était le petit caillou de la chaussure, le sparadrap du capitaine Haddock, la mauvaise conscience : pensez à nos enfants ! On ne peut pas vivre à crédit et endetter notre jeunesse. Il l'a répété cette après-midi : « Jamais nous n’avons fait l’effort de partager avec les Français cette évidence que la dette contractée par notre pays concerne leurs propres enfants, nos propres enfants, que la charge que nous leur laissons sera trop lourde pour être supportée. (…) La dette est injuste et elle est insupportable si elle met à la charge de nos enfants nos dépenses courantes. ».
Ce problème supplante toutes ses préoccupations de chef du gouvernement : « Les sujets d’inquiétude sont innombrables, mais il en est un, criant, qui émerge avec force : le surendettement du pays. Nos compatriotes, surtout les plus fragiles, savent ce qu’est (…) le surendettement et quelles incertitudes et difficultés il suscite. Depuis la guerre, la France n’a jamais été aussi endettée qu’elle l’est aujourd’hui. J’affirme qu’aucune politique de ressaisissement et de refondation ne pourra être conduite sans tenir compte de ce surendettement et sans se fixer pour objectif de le contenir et de le réduire. Pourquoi cette situation nous oblige-t-elle tous, collectivement ? C’est parce que tous les courants politiques dits de gouvernement y ont eu part. Quand François Mitterrand a été élu, en 1981, la France était l’un des pays les moins endettés du monde : sa dette s’élevait à peine à plus de 20% de la production nationale. En 1995, ce rapport était de 52% ; l’endettement a donc progressé de plus de 30 points en quatorze ans. À la fin des années 1990, la santé économique de la France, sur tous les points, était nettement supérieure à celle de l’Allemagne. Son commerce extérieur était largement excédentaire et son endettement inférieur à celui de ses voisins. Puis en 2000, sous le gouvernement de Lionel Jospin, les courbes se sont brutalement infléchies et ont commencé une descente que rien ne paraît pouvoir arrêter. Entre 2007 et 2012, sous Nicolas Sarkozy, l’endettement s’est accéléré, augmentant de 25 points de produit intérieur. Entre 2012 et 2017… Il y en aura pour tout le monde, je vous le promets ! Entre 2012 et 2017, sous François Hollande, l’endettement a augmenté de 10 points. Enfin, depuis 2017, sous Emmanuel Macron, il a augmenté de 12 points. Je n’en fais pas un motif d’accusation, car j’en connais les raisons. Quand François Mitterrand a été élu, en 1981, c’était l’alternance : il fallait que les Français, comme on disait à l’époque, y trouvent leur compte. Pour Nicolas Sarkozy, c’est la crise des subprimes. Emmanuel Macron a fait face, coup sur coup, à une cascade de crises jamais vue et jamais imaginée. En voici la liste : à partir de 2018, les gilets jaunes, puis le covid-19, qui a mis le pays à l’arrêt, puis la guerre en Ukraine, qui a provoqué l’inflation et l’explosion du prix de l’énergie. J’affirme donc que tous les partis de gouvernement, sans exception, ont une responsabilité dans la situation créée ces dernières décennies. J’affirme également que tous les partis d’opposition, en demandant sans cesse à cette tribune des dépenses supplémentaires, ont dansé aussi le tango fatal qui nous a conduits au bord de ce précipice. Cette dette est une épée de Damoclès au-dessus de notre pays et de notre modèle social. ».
Le Premier Ministre a ensuite expliqué que le contexte international était mauvais, les États-Unis évoluant mal comme d'autres grands blocs comme la Russie, l'Iran, bref : « Nous avons basculé dans un monde nouveau et dangereux : nous sommes passés de la force de la loi à la loi de la force. ».
D'où la nécessité de l'Europe pour garder une influence dans le monde : « Pour que la France fasse vivre son trésor de civilisation et continue de le partager avec le monde entier, l’Europe doit devenir une communauté stratégique, une puissance politique et de défense à la dimension de la puissance économique qu’elle devrait être. Une seule condition est pour cela nécessaire : nous devons accepter de nous définir et de nous affirmer ensemble. La construction d’une communauté politique pour faire vivre cette communauté de civilisation est la question qui domine notre vie publique depuis 1945. À cette construction ont contribué, chacun à leur manière, le Général De Gaulle, Jean Monnet, Robert Schuman, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Delors et Emmanuel Macron. Tous ont partagé la conviction selon laquelle l’indépendance de la France tient à celle de l’Europe et réciproquement. La prospérité de la France dépend de celle de l’Europe qui est capable, si elle le veut, de devenir le premier marché de la planète, de parler technologie, industrie, agriculture, à égalité avec les États-Unis et la Chine. C’est la raison pour laquelle nous soutenons de toutes nos forces le rapport présenté récemment par Mario Draghi, dont nous tirons la conclusion que nous devons nous battre tous ensemble pour un investissement à la hauteur de nos besoins. ».
François Bayrou a articulé son action dans trois parties : « Nous devons en effet faire face à trois échéances. D’abord, nous devons répondre à l’urgence : il faut nous ressaisir pour adopter sans tarder les deux budgets, de l’État et de la sécurité sociale. En effet, nous payons tous au prix fort la précarité budgétaire, qui affecte aussi bien les entreprises et les investisseurs que les familles, les contribuables ou les emprunteurs. Nous devons relever un deuxième défi, celui de rétablir les conditions de la stabilité, qui impose de se réconcilier, ce dont le pays a tant besoin, et ce que ses citoyens ne cessent de réclamer. Enfin, le troisième défi s’inscrit dans le long terme : notre pays doit refonder son action publique, ce qui exige que nous nous attaquions sans tarder à tous les problèmes qui sont devant nous, et non à certains à l’exclusion des autres. ». En d'autres termes, le budget, une rénovation démocratique et une réforme de l'État pour restructurer en profondeur les dépenses publiques.
Ce plan pourrait oublier beaucoup d'éléments. En fait, non, mais il répond d'abord à ce contexte spécial d'un mi-janvier encore sans vote du budget qui est sa première priorité absolue. Sans vote du budget, l'incertitude économique et sociale régnera et la France perdra beaucoup de crédit et d'argent à cause des taux d'intérêt qui monteront.
Il a développé la méthode Bayrou comme procédé de déblocage : « Au cœur de ce blocage, il y a notre incapacité à vivre le pluralisme, à être en désaccord sans constamment nous menacer du pire. Les réquisitoires et les invectives minent la confiance des citoyens. Il est temps de changer de logiciel démocratique, donc de méthode, pour se confronter mais aussi se respecter et trouver des voies de passage, sans abdiquer ce que l’on est. Le lieu de la diversité où ces différences se transforment en capacité d’action, c’est le Parlement. C’est précisément sur ces bancs que, grâce à l’expression des différences, nous parvenons à dégager une volonté, une stratégie et des plans d’action pour le pays. ».
Énumérons maintenant un certain nombre de sujets qui seront inscrits dans ses feuilles de route ministérielles (François Bayrou a aussi justifié le choix de ses ministres, ce qui est rare pour une déclaration de politique générale).
Celui qui est sur toutes les lèvres depuis un mois, c'est la réforme des retraites. D'abord, un constat : « Le déséquilibre du financement du système de retraites et la dette massive qu’il a creusée ne peuvent être ignorés ou éludés. (…) Notre système de retraite verse chaque année quelque 380 milliards d’euros de pensions. (…) Or les employeurs et les salariés privés et publics versent à peu près 325 milliards par an. (…) Faites le calcul, restent 55 milliards, versés par le budget des collectivités publiques, au premier chef le budget de l’État, à hauteur de quelque 40 ou 45 milliards. Or, ces 40 ou 45 milliards annuels, nous n’en avons pas le premier centime. Chaque année, cette somme, le pays l’emprunte. Autrement dit, il a choisi de mettre à la charge des générations qui viennent ou qui viendront une partie du montant des pensions que nous versons aux retraités actuels. Les retraites représentent 50% des plus de 1 000 milliards de dette supplémentaires accumulés par notre pays ces dix dernières années. ».
Puis, la proposition, celle de la "remise en chantier" (pas le mot "suspension") et d'un conclave : « Ce problème social et moral, le gouvernement n’entend pas le laisser sans réponse. La réforme des retraites est vitale pour notre pays et notre modèle social : bien des gouvernements successifs s’y sont engagés, depuis Michel Rocard jusqu’aux efforts courageux du gouvernement d’Élisabeth Borne. Je note dans ce débat passionnel un progrès considérable : plus personne ne nie qu’il existe un lourd problème de financement de notre système de retraites. En même temps, nombre de participants à ces discussions, notamment les organisations du dialogue social et les organisations syndicales, ont affirmé qu’il existait des voies de progrès et qu’on pouvait obtenir le même résultat par une réforme plus juste. Je choisis donc de remettre ce sujet en chantier, avec les partenaires sociaux, pour un temps bref et dans des conditions transparentes, selon une méthode inédite et quelque peu radicale. (…) La loi de 2023 a prévu que l’âge légal de départ passerait à 63 ans fin 2026. Une fenêtre de tir s’ouvre donc. Je souhaite fixer une échéance à plus court terme : celle de notre automne, où sera discutée la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. J’ai la conviction que nous pouvons rechercher une voie de réforme nouvelle, sans aucun totem ni tabou, pas même l’âge de la retraite, à condition qu’elle réponde à l’exigence fixée : nous ne pouvons pas laisser dégrader l’équilibre financier que nous cherchons et sur lequel presque tout le monde s’accorde. Ce serait une faute impardonnable contre notre pays. Plusieurs partenaires sociaux ont indiqué qu’ils avaient identifié des pistes pour que la réforme soit socialement plus juste et cependant équilibrée. Ces pistes méritent toutes d’être explorées. Toutes les questions doivent pouvoir être posées. Chacun des partenaires sociaux aura le droit de faire inscrire à l’ordre du jour de ces discussions et négociations les questions qui le préoccupent : rien n’est fermé. (…) Je proposerai aux représentants de chaque organisation de travailler autour de la même table, de s’installer dans les mêmes bureaux, ensemble, pendant trois mois, à dater du rapport de la Cour des Comptes. Si, au cours de ce conclave, c’est ce qu’on dit quand on ferme les portes, cette délégation trouve un accord d’équilibre et de meilleure justice, nous l’adopterons. Le Parlement en sera saisi lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, ou avant, et si nécessaire, par une loi. Je souhaite que cet accord soit trouvé, mais si les partenaires ne s’accordaient pas, c’est la réforme actuelle qui continuerait à s’appliquer. ».
Sur le budget 2025, François Bayrou a fixé ses objectifs : 5,4% du PIB de déficit public (au lieu de 5,0%) avec une croissance revue à la baisse de 0,9% (au lieu de 1,1%). Mais l'objectif final de 3% en 2029 reste inchangé. Toutefois, les réductions des dépenses publiques sont restées vagues dans cette déclaration : « Des économies importantes seront proposées. Pour la suite, c’est un puissant mouvement de réforme de l’action publique qu’il faut conduire. Il faudra trouver des méthodes d’organisation de l’État qui ne requerront pas d’augmentation de nos dépenses publiques. Il nous faut repenser tous nos budgets, non pas à partir du prolongement de ce qui se faisait l’année précédente, augmenté d’un pourcentage d’inflation, mais de ce qu’exige le service ou l’action à conduire. Ces budgets redéfinis et repensés, je demanderai à tous les ministres de les préparer dès le printemps. C’est un effort dont personne ne devra s’exclure, chacun à sa manière, dans l’exercice quotidien de ses missions. Cet exercice devra interroger notre organisation. (…) Les parlementaires seront pleinement associés à cet effort d’organisation et de rationalisation. C’est la fonction du Parlement, qui s’exprimera à son degré le plus éminent : contrôler et évaluer. Cet effort devra être prolongé et inventif. Il devra être soutenu dans le temps, parce que souvent, la réforme prend du temps et, au début, coûte cher. ».
Dans le deuxième chantier, celui de la réconciliation, François Bayrou a souhaité redonner plus de pouvoir d'initiative au Parlement (il a cité le projet de loi sur la fin de vie). Pour revivifier la démocratie, il veut favoriser le pluralisme politique en créant une banque de la démocratie chargée de financer les partis politiques et les campagnes électorales : « Je suis partisan, quand je vois l’état de la démocratie américaine, que nous échappions à cette contrainte : la vie politique tenue par l’argent. ».
Il a promu également la proportionnelle comme mode de scrutin aux élections législatives supposé garantir le pluralisme politique (ce auquel je suis très fermement opposé, j'y reviendrai) : « Il faut également que chacun puisse trouver sa place au sein de la représentation nationale, à proportion des votes qu’il a reçus. C’est la seule règle qui permettra à chacun d’être lui-même, authentiquement, et non prisonnier d’alliances insincères. Je propose que nous avancions concernant la réforme du mode de scrutin législatif. Chacun exprimera alors sa position : il y a une option à prendre sur ce principe, une discussion à avoir sur ses modalités. On voit bien quels sont les principaux choix. C’est mon opinion que ce mode de scrutin doit rester enraciné dans les territoires, qu’il ne doit pas créer plusieurs catégories de citoyens ayant des droits différents. Cette adoption du principe proportionnel pour la représentation du peuple dans nos assemblées nous obligera en outre probablement, comme l’a dit le Président du Sénat, à reposer la question de l’exercice simultané d’une responsabilité locale et nationale. ».
Un petit commentaire sur ce projet de proportionnelle : les députés LR seront très opposés à ce mode de scrutin (et ils auront raison), mais il est possible qu'il existe une majorité favorable dans l'Assemblée actuelle. Toutefois, associer ce mode de scrutin (apprécié des sondés) au cumul des mandats (très impopulaire dans les sondages), c'est le meilleur moyen de faire échouer une telle réforme (ce qui ne serait pas pour me déplaire !!).
Intégrée dans cette partie, la réforme de l'audiovisuel public amorcée par Rachida Dati, à savoir la création d'une holding qui chapeauterait France Télévisions et Radio France, sera poursuivie : « La réforme de l’audiovisuel public, bien commun des Français, devra être conduite à son terme. ».
Dans le troisième volet, il y a la réforme de l'État. François Bayrou a proposé que les collectivités territoriales fassent un effort de 2,2 milliards d'euros (au lieu de 5) pour contribuer au redressement des finances publiques : « J’ai tout à fait confiance dans la capacité des élus à mener cet effort. ». Lui-même sait de quoi il parlait puisqu'il est (encore) maire de Pau.
Friand de créativité et de nouvelles idées, François Bayrou a annoncé qu'il relirait les cahiers de doléances remis lors du grand débat des gilets jaunes, qu'on a négligés selon lui : « Il y a six ans, sur nos ronds-points, ils dénonçaient l’état de notre société, tel qu’ils le ressentaient : la division du pays entre ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas, ceux qui passent à la télévision et ceux qui regardent l’écran, ceux qui appartiennent aux milieux de pouvoir (…) et les autres qui se sentent oubliés, négligés.. ».
François Bayrou a aussi évoqué le statut institutionnel de la Corse, de la Nouvelle-Calédonie, Mayotte, l'immigration et l'application des obligation de quitter le territoire français, les agriculteurs (« Aujourd’hui, on les accuse de nuire à la nature, et c’est une blessure profonde. Quand les inspecteurs de la biodiversité viennent inspecter les fossés ou les points d’eau avec une arme à la ceinture dans une ferme déjà mise à cran par la crise, c’est une humiliation ; c’est donc une faute. »), la transition écologique et l'adaptation au changement climatique, la culture, l'accès à la lecture autrement que sur des écrans, le sport, la solidarité pour les personnes en situation de handicap (« Je tiens à confirmer à l’Assemblée Nationale le remboursement intégral des fauteuils roulants dès 2025. »), le grand âge, la protection de l'enfance, le logement, etc.
Le maire de Pau a fait une ode à l'esprit d'entreprise, en prenant la fable de la poule aux œufs d'or de La Fontaine : « Soutenir l’esprit d’entreprise, tel est le chantier suivant. Il existe chez nous un réflexe nuisible, déjà ancien : prendre pour cible, dans le débat, les entreprises, plus spécialement les entreprises françaises, et en particulier celles qui réussissent le mieux à l’exportation. Les entreprises que l’on dit multinationales sont en réalité celles qui, par leur savoir-faire, leur recherche, leur esprit de conquête, ont réussi à être sélectionnées pour la compétition mondiale. Elles font honneur à la France et contribuent à sa richesse. J’ai la conviction que, dans toutes les conditions fixées par la démocratie sociale, nous devons faciliter la tâche de nos entreprises. Elles doivent être prémunies contre des augmentations exponentielles d’impôts et de charges, sans quoi nous nous retrouverions dans la situation que décrit la fable de La Fontaine intitulée "La poule aux œufs d’or". Vous le savez, le propriétaire d’une poule qui pondait un œuf d’or chaque matin "crut que dans son corps elle avait un trésor. / Il la tua, l’ouvrit, et la trouva semblable / À celles dont les œufs ne lui rapportaient rien, / S’étant lui-même ôté le plus beau de son bien". L’entreprise produit les richesses et l’emploi, pour tout le pays, grâce à ses dirigeants, ses chercheurs, ses cadres, ses salariés ; mais si elle se voit surchargée de prélèvements et de normes, elle cesse de produire. Le trésor est dans l’activité, la créativité, la souplesse. ».
Il a également longuement évoqué l'éducation, souhaitant en particulier que la sélection ne se fasse pas quand l'élève est trop jeune, prêt à revoir Parcoursup : « C’est pour moi le plus grand de nos échecs [les résultats médiocres de l'école], dont sont victimes en particulier les plus faibles. Car ceux qui sont issus des milieux qui n’ont pas les codes, ceux qui ne connaissent personne, comme on dit, et n’ont accès ni à l’influence, ni au pouvoir, se voient écartés sans recours, faute d’avoir les armes nécessaires pour affronter la traversée des formations supérieures. J’ajoute que l’obligation d’orientation précoce les perturbe et les met en danger. ». Puis est venue cette expression maladroite qui ne m'a pas paru très opportune : « Les enfants ne sont pas comme les poireaux : ils ne poussent pas tous à la même vitesse. ». Pour ajouter : « Vouloir sélectionner précocement, sans que l’esprit et les attentes aient mûri, est une erreur, ou en tout cas une faiblesse. Notre système scolaire et universitaire doit accepter, si ce n’est favoriser, les réorientations et les changements de formation. ».
Ce sujet de l'éducation a été la seconde occasion pour louer l'action du Président de la République (la première occasion pour louer la parole haute de la France dans les relations internationales) : « Permettez-moi de rappeler l’intuition fondatrice que le Président de la République a présentée au pays en 2017 : combattre l’assignation de la naissance, du quartier, de la religion, de la consonance du nom, de l’accent, des difficultés nées de familles éclatées, de l’adolescence solitaire et offrir à tous ceux-là, tout au long de la vie, de nouvelles chances. ».
François Bayrou a fait l'éloge du génie français dans la science et le développement : « Venons-en maintenant à la méthode que nous suivrons pour retrouver la production, l’innovation et l’industrie. On voudrait nous condamner au déclassement, alors que la Silicon Valley déroule ses tapis rouges à nos ingénieurs du numérique et de l’intelligence artificielle. Nous sommes, nous Français, des géants de la recherche informatique, algorithmique et automatique ; ne nous laissons pas devenir des nains de la nouvelle économie, qui sera précisément fondée sur le numérique. Il en est de même pour l’espace ou les énergies décarbonées. Le gouvernement est attaché à la trajectoire d’investissement dans la science définie par la loi de programmation de la recherche. Cette dernière se fait dans les universités et les laboratoires, mais aussi dans les entreprises. La stratégie nationale pour l’intelligence artificielle, dont je ne sais si elle est intelligente ni si elle est artificielle, mais elle est un changement d’être pour notre humanité, doit entrer dans sa troisième phase. Cette stratégie ambitieuse pour la diffusion de l’intelligence artificielle dans l’industrie, l’action publique, la formation et la recherche, s’appuie sur un programme d’investissement dans les infrastructures. Le sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, qui se tiendra à Paris en février, traduira cette ambition. Dans ces domaines, il nous faut définir des politiques de filière, produit par produit, en partant des faiblesses et des manques de notre balance commerciale. Chaque filière réunira les grandes entreprises, les sous-traitants, l’État et les régions autour d’un enjeu de production. Les géants mondiaux présents sur notre sol et qui ont des racines en France, Dassault Systèmes, Safran, Total, Airbus, Saint-Gobain ou Danone, ont un potentiel de partage des capacités de mise au point et de soutien à des entreprises nouvelles, notamment pour les produits et les secteurs dont nous sommes absents. ».
Autre thème très important, la santé et l'hôpital : « Il faut aussi retravailler sur l’enjeu clef de la démographie médicale, en impliquant notamment les élus territoriaux et en menant de front le travail sur la question, jusqu’ici irrésolue, de la formation des soignants. Je confirme que la santé mentale sera la grande cause nationale en 2025, comme l’avait décidé mon prédécesseur Michel Barnier, je l’ai soutenu et lui adresse mon amitié. Dans ce cadre, pour faire face à l’enjeu de la soutenabilité de l’hôpital, le gouvernement proposera une hausse notable de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), ce qui permettra d’améliorer les conditions de travail des soignants et de protéger les plus fragiles. À cette fin, la mesure de déremboursement de certains médicaments et consultations ne sera pas reprise. ».
Comité interministériel de contrôle de l'immigration, comité interministériel des Outre-mer, comité interministériel du handicap, délégation permanente de la réforme des retraites, fonds spécial entièrement dédié à la réforme de l'État... autant de comités Théodule que le Premier Ministre veut créer ou réinstaurer, alors qu'il se demandait pourtant : « Est-il nécessaire que plus de 1 000 agences, organes ou opérateurs exercent l’action publique ? Nous connaissons le rôle précieux de plusieurs d’entre eux, comme France Travail, mais ces 1 000 agences ou organes, sans contrôle démocratique réel, constituent un labyrinthe dont un pays rigoureux et sérieux peut difficilement se satisfaire. Les parlementaires seront pleinement associés à cet effort d’organisation et de rationalisation. ».
La conclusion de François Bayrou a fait la part belle à son lointain prédécesseur, investi par des députés très différents sous la Quatrième République, Pierre Mendès France, après avoir cité Marc Sangnier : « Nous n’allons pas vivre le grand soir. Mais, si nous parvenons à nous faire entendre de vous, élus de la nation, alors nous pourrons passer du découragement à un espoir ténu mais raisonnable. C’est ce projet que j’ai voulu présenter devant vous. Je connais tous les risques. Si nous nous trompons, nous corrigerons. Mais le risque, c’est la vie. Pierre Mendès France, la référence n’est pas choisie au hasard, aurait dit : "Il n’y a pas de politique sans risque, il n’y a que des politiques sans chance". Ce sont ces chances que nous voulons saisir. J’ai foi dans le peuple français et dans ses représentants. Je sais les ressources d’intelligence, de bravoure et de droiture de notre Nation lorsqu’elle choisit de surmonter l’épreuve. ».
Dans sa longue réponse faite aux orateurs qui ont participé à la discussion générale dans l'hémicycle, François Bayrou a notamment confirmé qu'il était favorable à l'instauration d'une allocation sociale unique, comme l'a souhaité Laurent Wauquiez, mais sans y mettre un plafond qui serait profondément injuste pour certaines personnes.
Une motion de censure, déposée par le groupe insoumis (Jean-Luc Mélenchon a assisté à la séance publique) sera examinée par l'Assemblée le jeudi 16 janvier 2025. En principe, les députés RN, quoique très remontés contre le gouvernement, ne devraient pas la voter. Les écologistes, eux, sont revenus à la niche mélenchoniste et voteront la censure. Et les socialistes s'interrogent encore.
DÉCLARATION DE POLITIQUE GÉNÉRALE
DU PREMIER MINISTRE FRANÇOIS BAYROU
LE MARDI 14 JANVIER 2025 À 15h00
À L'ASSEMBLÉE NATIONALE
XVIIe législature
Session ordinaire de 2024-2025
Séance du mardi 14 janvier 2025
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle une déclaration du gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique. (Les députés du groupe Dem et de nombreux députés des groupes EPR et HOR se lèvent et applaudissent. – Quelques députés du groupe DR applaudissent également.)
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Le gouvernement, par ma voix, se joint aux vœux que vous avez formulés à l’égard de la représentation nationale et de tous les fonctionnaires qui servent dans cette maison.
En vérité, contrairement à ce que beaucoup pensent, la situation de ce gouvernement présente un avantage considérable. (Murmures.) Sur ces bancs, même parmi ceux qui sont violemment hostiles à ce que nous pensons ou à ce qu’ils croient que nous pensons, pas un ne trouve notre position enviable. Pas moins de 84 % des Français jugent, paraît-il, que le gouvernement ne passera pas l’année. (« Eh oui ! » et applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Il m’arrive même de me demander où les 16 % restants puisent leur optimisme. (Sourires. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
M. Alexis Corbière
C’est vrai !
M. François Bayrou, premier ministre
Eh bien, au risque de vous surprendre, j’y vois un atout : quand tout va bien, on s’endort sur ses lauriers, mais quand tout paraît aller mal, on est contraint au courage. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem. – M. Florent Boudié applaudit également.)
Le gouvernement dispose d’un deuxième atout décisif. C’est le besoin, l’exigence, l’injonction que le pays nous assigne : retrouver la stabilité.
Mme Ségolène Amiot
Non, la démocratie !
M. François Bayrou, premier ministre
Tous les Français en ont besoin. Ils comprennent bien que nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais ils nous enjoignent de joindre nos forces pour forcer les issues.
Un grand pays, un pays digne de ce nom, est un pays capable de regarder en face ses chances – nous croyons qu’elles sont grandes – et ses difficultés qui ne le sont pas moins. Les sujets d’inquiétude sont innombrables, mais il en est un, criant, qui émerge avec force : le surendettement du pays. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem. – Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Nos compatriotes, surtout les plus fragiles, savent ce qu’est le désendettement, pardon, le surendettement et quelles incertitudes et difficultés il suscite. Depuis la guerre, la France n’a jamais été aussi endettée qu’elle l’est aujourd’hui.
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
La faute à qui ?
M. François Bayrou, premier ministre
J’affirme qu’aucune politique de ressaisissement et de refondation ne pourra être conduite sans tenir compte de ce surendettement et sans se fixer pour objectif de le contenir et de le réduire.
Un député du groupe LFI-NFP
Merci, Bruno Le Maire !
M. François Bayrou, premier ministre
Pourquoi cette situation nous oblige-t-elle tous, collectivement ? C’est parce que tous les courants politiques dits de gouvernement y ont eu part. Quand François Mitterrand a été élu, en 1981, la France était l’un des pays les moins endettés du monde : sa dette s’élevait à peine à plus de 20 % de la production nationale. En 1995, ce rapport était de 52 % ; l’endettement a donc progressé de plus de 30 points en quatorze ans.
M. Aurélien Rousseau
Merci Balladur !
M. François Bayrou, premier ministre
À la fin des années 1990, la santé économique de la France, sur tous les points, était nettement supérieure à celle de l’Allemagne. Son commerce extérieur était largement excédentaire et son endettement inférieur à celui de ses voisins. Puis en 2000, sous le gouvernement de Lionel Jospin, les courbes se sont brutalement infléchies et ont commencé une descente que rien ne paraît pouvoir arrêter. Entre 2007 et 2012, sous Nicolas Sarkozy, l’endettement s’est accéléré, augmentant de 25 points de produit intérieur.
M. Pierre Cordier
Il y a eu la crise de 2008, quand même !
M. François Bayrou, premier ministre
Entre 2012 et 2017… (« Ah ! » sur les bancs du groupe RN.) Il y en aura pour tout le monde, je vous le promets ! (Sourires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem. – « Pas pour nous ! » sur plusieurs bancs du groupe RN.) Entre 2012 et 2017, sous François Hollande, l’endettement a augmenté de 10 points. Enfin, depuis 2017, sous Emmanuel Macron, il a augmenté de 12 points. (« Ah ! » sur les bancs du groupe RN.)
M. Laurent Jacobelli
Les chiens ne font pas des chats !
M. François Bayrou, premier ministre
Je n’en fais pas un motif d’accusation, car j’en connais les raisons. Quand François Mitterrand a été élu, en 1981, c’était l’alternance : il fallait que les Français, comme on disait à l’époque, y trouvent leur compte. Pour Nicolas Sarkozy, c’est la crise des subprimes. Emmanuel Macron a fait face, coup sur coup, à une cascade de crises jamais vue et jamais imaginée. (Vives exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS, GDR et sur quelques bancs du groupe RN.) En voici la liste : à partir de 2018, les gilets jaunes,…
M. Emeric Salmon
Ce n’est pas une crise, ça !
M. François Bayrou, premier ministre
…puis le covid-19, qui a mis le pays à l’arrêt,…
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. François Bayrou, premier ministre
…puis la guerre en Ukraine, qui a provoqué l’inflation et l’explosion du prix de l’énergie. J’affirme donc que tous les partis de gouvernement, sans exception, ont une responsabilité dans la situation créée ces dernières décennies. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et Dem.)
M. Emeric Salmon
Ça, c’est vrai !
M. François Bayrou, premier ministre
J’affirme également que tous les partis d’opposition, en demandant sans cesse à cette tribune des dépenses supplémentaires, ont dansé aussi le tango fatal qui nous a conduits au bord de ce précipice. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem. – Exclamations sur quelques bancs des groupes RN et LFI-NFP.)
M. Emeric Salmon
Ça, c’est faux !
M. François Bayrou, premier ministre
Cette dette est une épée de Damoclès au-dessus de notre pays et de notre modèle social. Cela est d’autant plus grave que nous avons basculé dans un monde nouveau et dangereux : nous sommes passés de la force de la loi à la loi de la force.
M. Aurélien Le Coq
C’est profond !
M. François Bayrou, premier ministre
Le 24 février 2022, au vu et au su de la planète et avec l’indulgence de certains courants d’opinion, une des principales puissances géographiques et militaires du monde, la Russie de Vladimir Poutine, a jeté son dévolu sur un pays souverain, l’Ukraine, pour l’annexer. Un pays de la taille de la France. C’est un fait sans précédent sur le sol européen depuis soixante-quinze ans.
Cette agression a été un signal : celui du règne de la force brutale. C’était rampant, c’est désormais affiché. Immédiatement et significativement, l’Iran et la Corée du Nord ont apporté leur soutien à l’agression de Vladimir Poutine. Ce sont les autres maillons de cette chaîne de puissances décidées à ne plus se laisser arrêter par des règles que nous respections et dont ils contestent désormais la légitimité même.
Naturellement, les dirigeants chinois ne sont pas en reste. En faisant à juste titre l’éloge d’un monde multipolaire, la Chine tisse en réalité le réseau de sa domination économique, technologique, diplomatique et militaire. L’excédent commercial chinois vient de franchir le cap des 1 000 milliards de dollars. C’est le résultat d’une stratégie programmée depuis dix ans, dont la visée est de remplacer purement et simplement notre industrie.
M. Damien Maudet
Heureusement que vous étiez haut-commissaire au plan !
M. François Bayrou, premier ministre
Pour défendre ces règles bafouées, nous avions un grand allié, les États-Unis. Or ceux-ci ont choisi, par d’autres voies – heureusement pas par la violence –, la même politique de puissance et de domination : l’offensive monétaire, la captation de la recherche mondiale, la poursuite de l’application extraterritoriale de leur droit, la domination technologique par des entreprises de taille planétaire et le pouvoir que tout cela donne d’intervenir dans la vie démocratique d’autres États.
Ce nouvel ordre mondial, ou plutôt ce nouveau désordre mondial, qui menace tous les équilibres et toutes les règles de la décence, est incarné sans complexe par certaines figures comme celle de M. Elon Musk. Le président réélu des États-Unis lui-même, fait inédit, articule des menaces d’annexion de territoires souverains : le Groenland, le canal de Panama et même le Canada.
Il est temps de regarder les choses en face. C’est à nous de signifier à ces grandes puissances qui nous sommes car, si nous ne sommes pas capables d’exprimer notre détermination, elles l’oublieront et le négligeront. (M. le premier ministre interrompt son propos.)
M. Pierre Cordier
C’est déjà fini ?
M. François Bayrou, premier ministre
Les pages de mon discours sont un peu mélangées, parce que je suis un néophyte. Je suis donc bien obligé d’apprendre ce métier. (Sourires.)
Dans le nouveau monde de la force brutale, la France a ses atouts : sa diplomatie, la force et la présence de son armée, l’engagement de ses militaires auxquels je veux rendre ici hommage. (Applaudissements sur tous les bancs.) Ils nous protègent collectivement dans un monde brutal.
Je tiens également à évoquer le sort de nos concitoyens retenus en otage par le Hamas ainsi que celui de tous les otages français dans le monde, dont nous exigeons la libération. (Mêmes mouvements.)
Cependant, pour que la France fasse vivre son trésor de civilisation et continue de le partager avec le monde entier, l’Europe doit devenir une communauté stratégique, une puissance politique et de défense à la dimension de la puissance économique qu’elle devrait être. Une seule condition est pour cela nécessaire : nous devons accepter de nous définir et de nous affirmer ensemble.
La construction d’une communauté politique pour faire vivre cette communauté de civilisation est la question qui domine notre vie publique depuis 1945. À cette construction ont contribué, chacun à leur manière, le général de Gaulle, Jean Monnet, Robert Schuman, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Delors et Emmanuel Macron. (Murmures sur les bancs du groupe RN.) Tous ont partagé la conviction selon laquelle l’indépendance de la France tient à celle de l’Europe et réciproquement. La prospérité de la France dépend de celle de l’Europe qui est capable, si elle le veut, de devenir le premier marché de la planète, de parler technologie, industrie, agriculture, à égalité avec les États-Unis et la Chine. C’est la raison pour laquelle nous soutenons de toutes nos forces le rapport présenté récemment par Mario Draghi, dont nous tirons la conclusion que nous devons nous battre tous ensemble pour un investissement à la hauteur de nos besoins. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem ainsi que sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Toutefois, l’Europe est travaillée elle aussi par des ferments inutiles de division. Si nous ne reconstruisons pas notre unité, comme le président de la République le fait jour après jour, en renforçant à la fois la place de la France en Europe et la vision française de ce que doit être l’Europe, nous serons contraints à la soumission. Je salue le fait que toutes les sensibilités rassemblées au sein de l’équipe gouvernementale sont unies par cette conviction commune. C’est dans cet esprit que j’ai constitué notre équipe gouvernementale. Elle reflète l’union des grandes sensibilités du pays…
Une députée du groupe LFI-NFP
C’est faux !
M. François Bayrou, premier ministre
…avec de l’expérience et de l’enracinement, et s’appuie sur de fortes personnalités. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Cette équipe défend un message : comme aux heures où le sort même de notre nation est en question, l’intérêt général oblige à dépasser les préférences partisanes pour que le pays se ressaisisse.
Je doterai chaque ministre d’une feuille de route ; chacune d’entre elles sera communiquée et partagée avec les commissions compétentes du Parlement et du Conseil économique, social et environnemental. En effet, je soutiens que la société civile organisée doit avoir pleinement voix au chapitre. J’illustrerai notre confiance entière dans les partenaires sociaux dans un instant : elle est centrale, car je crois qu’ils ont entre les mains une part décisive de l’avenir national. (Mêmes mouvements.)
L’équipe gouvernementale reflète des choix révélateurs. L’éducation nationale est à sa place, c’est-à-dire à la première place. (Mêmes mouvements.) Elle est confiée à une personnalité, Élisabeth Borne,…
Une députée du groupe LFI-NFP
Elle n’y connaît rien !
M. François Bayrou, premier ministre
…ancienne première ministre, exemple de méritocratie républicaine et de service de l’État (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Elle sera assistée de l’ancien président du Centre national d’études spatiales et spécialiste des universités.
M. Sébastien Chenu
Spécialiste de rien du tout !
M. François Bayrou, premier ministre
Les outre-mer viennent ensuite. L’engagement dans les outre-mer n’a jamais été porté aussi haut dans aucun gouvernement de notre histoire. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Emeric Salmon
C’était le programme de Marine !
M. François Bayrou, premier ministre
J’ai considéré que les outre-mer et nos compatriotes qui y vivent, à un moment de notre histoire commune qui présente tant de risques et de dangers, devaient être promus au rang de toute première préoccupation de la nation. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.) Je remercie Manuel Valls, ancien premier ministre, d’avoir accepté d’en prendre la lourde et passionnante responsabilité. (Mêmes mouvements. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Un député du groupe EPR
Il aime la République, lui, au moins !
M. François Bayrou, premier ministre
Les questions de sécurité sont brûlantes pour nos concitoyens. J’ai souhaité une coopération étroite entre les ministères de la justice et de l’intérieur pour leur confier la restauration de l’autorité de l’État, qui est indissociablement celle de l’État de droit. Deux ministres d’État, chacun avec son tempérament, mais dont on sait la résolution commune, mèneront à bien cette action. La réponse au narcotrafic ou à la délinquance des mineurs, sur laquelle Gabriel Attal et son groupe ont déposé une proposition de loi, ainsi que la présence des forces de sécurité sur le terrain, à travers de nouvelles brigades de gendarmerie, par exemple, devront confirmer à nos concitoyens que l’État de droit n’est pas l’État de faiblesse. (Applaudissements et « Très bien ! » sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR, ainsi que sur quelques bancs du groupe DR.) Nous devrons précisément être sans faiblesse pour lutter contre le terrorisme et tous les séparatismes. De même, chacun d’entre nous le sait, il faudra repenser notre projet pénitentiaire à travers un plan d’urgence se fondant sur une nouvelle approche mieux adaptée aux différents types de détention.
Pour tous les pans de l’action du gouvernement, aussi bien dans les domaines économique, social, territorial, écologique, culturel ou agricole, que pour les armées, l’Europe et les affaires étrangères, la transformation publique ou les sports, chacun de ses membres agira avec le sens de la responsabilité que le moment que nous traversons exige. Nous devons en effet faire face à trois échéances.
D’abord, nous devons répondre à l’urgence : il faut nous ressaisir pour adopter sans tarder les deux budgets, de l’État et de la sécurité sociale. En effet, nous payons tous au prix fort la précarité budgétaire, qui affecte aussi bien les entreprises et les investisseurs que les familles, les contribuables ou les emprunteurs.
Une députée du groupe LFI-NFP
À qui la faute ?
M. François Bayrou, premier ministre
Nous devons relever un deuxième défi, celui de rétablir les conditions de la stabilité, qui impose de se réconcilier, ce dont le pays a tant besoin, et ce que ses citoyens ne cessent de réclamer.
Enfin, le troisième défi s’inscrit dans le long terme : notre pays doit refonder son action publique, ce qui exige que nous nous attaquions sans tarder à tous les problèmes qui sont devant nous, et non à certains à l’exclusion des autres. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Clémence Guetté
Parlez plus fort, on ne comprend rien !
M. François Bayrou, premier ministre
Je sais bien que ce n’est pas là votre habitude, mais je vous conseille de ne pas crier, car les micros sont coupés et on ne vous entend pas. (Mêmes mouvements.)
Mme Clémence Guetté
On n’est pas au conseil municipal, ici !
M. Pierre Cordier
Il ne faut pas leur répondre, monsieur le premier ministre !
M. François Bayrou, premier ministre
Nous devons d’abord nous ressaisir. Si nous sommes dans une situation de blocage, ce n’est pas seulement sur un plan financier, mais aussi sur un plan politique. Le budget de la sécurité sociale a été censuré, le budget de la nation entièrement a été repoussé en première lecture à l’Assemblée, puis son examen a été interrompu au Sénat. Tous les secteurs d’intervention publique sont entravés : éducation, sécurité, santé, solidarité, agriculture, commerce extérieur. Des milliers de recrutements, par exemple dans la justice, sont suspendus.
M. Erwan Balanant
Eh oui !
M. François Bayrou, premier ministre
Les mesures de soutien à la Nouvelle-Calédonie sont empêchées. Le déploiement de la loi de programmation militaire est entravé. Le fonds Vert des collectivités est bloqué. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Les investisseurs s’inquiètent. L’épée de Damoclès de la motion de censure paraît avoir installé la précarité au sommet de l’État.
M. Alexis Corbière
La faute à Macron !
M. François Bayrou, premier ministre
Au cœur de ce blocage, il y a notre incapacité à vivre le pluralisme, à être en désaccord sans constamment nous menacer du pire. Les réquisitoires et les invectives minent la confiance des citoyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.)
Il est temps de changer de logiciel démocratique, donc de méthode, pour se confronter mais aussi se respecter et trouver des voies de passage, sans abdiquer ce que l’on est. Le lieu de la diversité où ces différences se transforment en capacité d’action, c’est le Parlement. C’est précisément sur ces bancs que, grâce à l’expression des différences, nous parvenons à dégager une volonté, une stratégie et des plans d’action pour le pays.
La première urgence est de répondre à la question des retraites qui occupe le débat public depuis longtemps. (« Ah ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous voyons combien cette question continue de tarauder notre pays.
M. Aurélien Le Coq
En fait, tout le monde est d’accord !
M. François Bayrou, premier ministre
Le déséquilibre du financement du système de retraites et la dette massive qu’il a creusée ne peuvent être ignorés ou éludés. Je résume les chiffres que nous avions établis au commissariat au plan en 2021 (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS), en rappelant que la situation s’est probablement aggravée depuis. Notre système de retraite verse chaque année quelque 380 milliards d’euros de pensions.
Un député du groupe LFI-NFP
Très bien !
M. François Bayrou, premier ministre
D’après le principe du système par répartition que nous affichons, chaque année, les actifs devraient assumer le versement de ces pensions. Or les employeurs et les salariés privés et publics versent à peu près 325 milliards par an. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Aurélien Le Coq
Combien d’exonérations ?
M. François Bayrou, premier ministre
Cette somme s’obtient en additionnant les cotisations salariales et patronales du privé et du public, estimées au même taux, et les impôts versés par les contribuables et affectés aux retraites. Faites le calcul, restent 55 milliards, versés par le budget des collectivités publiques, au premier chef le budget de l’État, à hauteur de quelque 40 ou 45 milliards.
M. Ugo Bernalicis
40 ou 45 milliards ? Il faut savoir !
M. François Bayrou, premier ministre
Or, ces 40 ou 45 milliards annuels, nous n’en avons pas le premier centime. Chaque année, cette somme, le pays l’emprunte. Autrement dit, il a choisi de mettre à la charge des générations qui viennent ou qui viendront une partie du montant des pensions que nous versons aux retraités actuels.
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Mais non !
M. François Bayrou, premier ministre
Les retraites représentent 50 % des plus de 1 000 milliards de dette supplémentaires accumulés par notre pays ces dix dernières années.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. François Bayrou, premier ministre
Jamais nous n’avons fait l’effort de partager avec les Français cette évidence que la dette contractée par notre pays concerne leurs propres enfants, nos propres enfants, que la charge que nous leur laissons sera trop lourde pour être supportée. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe EPR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Entendez-moi bien, je ne dis pas que la dette soit toujours immorale. Si nous construisons des infrastructures ou finançons la recherche, il est légitime que nous partagions la charge de ces investissements avec ceux qui utiliseront ces équipements ou profiteront de ces connaissances. S’endetter pour construire une université ou un hôpital dont l’usage, par les générations qui viennent, durera cinquante ou quatre-vingts ans est légitime. En revanche, la dette est injuste et elle est insupportable si elle met à la charge de nos enfants nos dépenses courantes. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
Loin d’être seulement un problème financier ou social, cette dette est d’abord un problème moral. Quand on est l’héritier d’une famille, on peut toujours refuser l’héritage qui comporte trop de dettes ; mais quand on est citoyen d’un État, on ne le peut pas.
M. Alexis Corbière
L’État, ce n’est pas une famille !
M. François Bayrou, premier ministre
Ce problème social et moral, le gouvernement n’entend pas le laisser sans réponse. La réforme des retraites est vitale pour notre pays et notre modèle social : bien des gouvernements successifs s’y sont engagés, depuis Michel Rocard jusqu’aux efforts courageux du gouvernement d’Élisabeth Borne. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem.) Je note dans ce débat passionnel un progrès considérable : plus personne ne nie qu’il existe un lourd problème de financement de notre système de retraites.
M. Philippe Gosselin
Pas tout à fait personne !
M. François Bayrou, premier ministre
En même temps, nombre de participants à ces discussions – notamment les organisations du dialogue social et les organisations syndicales – ont affirmé qu’il existait des voies de progrès et qu’on pouvait obtenir le même résultat par une réforme plus juste. Je choisis donc de remettre ce sujet en chantier, avec les partenaires sociaux, pour un temps bref et dans des conditions transparentes, selon une méthode inédite et quelque peu radicale. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – MM. François Hollande et Aurélien Rousseau applaudissent aussi. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
La démarche s’appuiera sur un constat et des chiffres indiscutables. Je vais demander à la Cour des comptes une mission flash de quelques semaines, afin de nous donner l’état actuel et précis du financement du système de retraites. Le gouvernement communiquera son résultat à tous les Français. (Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et EPR.)
La loi de 2023 a prévu que l’âge légal de départ passerait à 63 ans fin 2026. Une fenêtre de tir s’ouvre donc. Je souhaite fixer une échéance à plus court terme : celle de notre automne, où sera discutée la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. J’ai la conviction que nous pouvons rechercher une voie de réforme nouvelle, sans aucun totem ni tabou – pas même l’âge de la retraite –, à condition qu’elle réponde à l’exigence fixée : nous ne pouvons pas laisser dégrader l’équilibre financier que nous cherchons et sur lequel presque tout le monde s’accorde. Ce serait une faute impardonnable contre notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Danielle Simonnet
Est-ce qu’il y aura un vote ?
M. François Bayrou, premier ministre
Plusieurs partenaires sociaux ont indiqué qu’ils avaient identifié des pistes pour que la réforme soit socialement plus juste et cependant équilibrée.
M. Emeric Salmon
Parce qu’elle n’est pas juste aujourd’hui ?
M. François Bayrou, premier ministre
Ces pistes méritent toutes d’être explorées. Toutes les questions doivent pouvoir être posées. Chacun des partenaires sociaux aura le droit de faire inscrire à l’ordre du jour de ces discussions et négociations les questions qui le préoccupent : rien n’est fermé. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Une délégation permanente sera donc créée. Je la réunirai dès vendredi.
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Extraordinaire !
M. François Bayrou, premier ministre
Je proposerai aux représentants de chaque organisation de travailler autour de la même table, de s’installer dans les mêmes bureaux, ensemble, pendant trois mois, à dater du rapport de la Cour des comptes. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Si, au cours de ce conclave – c’est ce qu’on dit quand on ferme les portes –, cette délégation trouve un accord d’équilibre et de meilleure justice, nous l’adopterons. Le Parlement en sera saisi lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, ou avant, et si nécessaire, par une loi. Je souhaite que cet accord soit trouvé, mais si les partenaires ne s’accordaient pas, c’est la réforme actuelle qui continuerait à s’appliquer. (Exclamations sur les bancs des groupes RN et LFI-NFP. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Après les retraites, le budget. L’adoption d’un budget est indispensable pour les Français, pour l’action de la France, pour son image et pour son crédit. Cette orientation vers un retour à l’équilibre, qui sera pluriannuelle et respectueuse de nos engagements européens, passera nécessairement par des efforts de l’État lui-même. Nous ne changerons pas l’objectif de retour à 3 % de déficit public en 2029.
Un député du groupe LFI-NFP
Avec Macron, on ne change rien !
M. François Bayrou, premier ministre
Cette contrainte se présente dès maintenant : les prévisions de croissance, en particulier à la suite de la crise née du vote de la motion de censure, ont toutes été revues à la baisse.
Mme Mathilde Panot
C’est aussi lié à l’évolution de la démographie !
M. François Bayrou, premier ministre
Nous ne voulons pas ignorer ces avertissements. Le gouvernement a donc décidé de revoir sa prévision de croissance pour 2025. Avant la censure, celle-ci était de 1,1 % ; nous la fixons à 0,9 %, conformément aux prévisions de la Banque de France. Il sera proposé de fixer l’objectif de déficit public pour 2025 à 5,4 % du PIB.
M. Thibault Bazin
C’est encore très optimiste !
M. François Bayrou, premier ministre
Des économies importantes seront proposées. Pour la suite, c’est un puissant mouvement de réforme de l’action publique qu’il faut conduire. Il faudra trouver des méthodes d’organisation de l’État qui ne requerront pas d’augmentation de nos dépenses publiques. Il nous faut repenser tous nos budgets, non pas à partir du prolongement de ce qui se faisait l’année précédente, augmenté d’un pourcentage d’inflation, mais de ce qu’exige le service ou l’action à conduire. Ces budgets redéfinis et repensés, je demanderai à tous les ministres de les préparer dès le printemps. (Mme Maud Petit applaudit.) C’est un effort dont personne ne devra s’exclure, chacun à sa manière, dans l’exercice quotidien de ses missions.
Cet exercice devra interroger notre organisation. Est-il nécessaire que plus de 1 000 agences, organes ou opérateurs exercent l’action publique ? (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, DR et Dem.) Nous connaissons le rôle précieux de plusieurs d’entre eux, comme France Travail, mais ces 1 000 agences ou organes, sans contrôle démocratique réel, constituent un labyrinthe dont un pays rigoureux et sérieux peut difficilement se satisfaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et Dem.)
Les parlementaires seront pleinement associés à cet effort d’organisation et de rationalisation. C’est la fonction du Parlement, qui s’exprimera à son degré le plus éminent : contrôler et évaluer. Cet effort devra être prolongé et inventif. Il devra être soutenu dans le temps, parce que souvent, la réforme prend du temps et, au début, coûte cher.
J’annonce la création d’un fonds spécial, entièrement dédié à la réforme de l’État. Il sera financé en réalisant une partie des actifs, en particulier immobiliers, qui appartiennent à la puissance publique. L’objectif est de pouvoir investir, par exemple, dans le déploiement de l’intelligence artificielle dans nos services publics. (Vives exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Ces sommes ne pourront pas être utilisées pour des dépenses courantes, pour abonder tel ou tel budget ; elles resteront donc uniquement consacrées à ces efforts de réorganisation. Cette manière de rendre actif un patrimoine aujourd’hui inactif nous permettra peut-être un jour d’initier le scénario de réduction de notre endettement.
Deuxième grand objectif, se réconcilier. J’ai la certitude que nous avons devant nous une grande œuvre de réconciliation : réconcilier les Français entre eux, réconcilier les Français avec leur État et leurs élus, et réconcilier les Français avec les entreprises. L’unité du pays, nous ne la ferons pas à coups d’incantations. Elle passe par l’association effective de tous, de manière continue, aux affaires qui les concernent. Cette association porte un nom qu’on utilise souvent sans lui donner sa vraie portée : c’est la démocratie – pas seulement la démocratie électorale, avec ses surenchères et ses éléments de langage. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Un député du groupe LFI-NFP
Et le résultat des urnes ?
M. François Bayrou, premier ministre
Marc Sangnier, philosophe qui siégea après la guerre sur ces bancs, a défini la démocratie comme l’organisation sociale qui porte à son plus haut la conscience et la responsabilité du citoyen. Or il n’y a pas de citoyens conscients et responsables si l’on ne partage pas avec eux les vérités les plus fondées, même les plus brutales.
Mme Alma Dufour
Et si on ne respecte pas leur vote ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. François Bayrou, premier ministre
La politique du gouvernement, c’est la vérité partagée. Le gouvernement considérera les Français comme des partenaires des décisions à prendre et non pas comme les sujets d’une monarchie, qui n’auraient d’autre choix que d’obéir ou de se révolter. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous ne laisserons aucun problème hors de notre champ. Pour chacun d’entre eux, nous partagerons les diagnostics avec les Français, afin d’établir la délibération sur des bases indiscutables.
Un député du groupe EcoS
C’est audacieux !
M. François Bayrou, premier ministre
Selon moi, la démocratie, c’est aussi la question de la Ve République : concilier la capacité d’action de l’État avec le pluralisme. Cette capacité d’action passe par une coopération entre les pouvoirs. De ce point de vue, le Parlement a des prérogatives qui doivent être pleinement respectées – et elles le seront.
M. Alexis Corbière
Alors, on vote !
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Censure !
M. François Bayrou, premier ministre
Je pense, en particulier, à son pouvoir d’initiative, qu’il ne manquera pas d’exercer sur des sujets importants dans notre société, comme la fin de vie. Notre société n’est plus enfermée dans l’impasse de la bipolarisation – et c’est heureux. On sait à présent que, sur un sujet donné, il n’y a pas que deux options définies à l’avance.
Mme Émilie Bonnivard
C’était mieux avant !
M. François Bayrou, premier ministre
Il y a plusieurs sensibilités, en contraste, qui ne s’excluent pas. À mes yeux, le but de la démocratie n’est pas qu’une idée triomphe sur les autres ; c’est que les différentes sensibilités puissent vivre ensemble. Pratiquement, la question est celle de la reconnaissance du pluralisme.
Un député du groupe LFI-NFP
Et la reconnaissance des élections ?
M. François Bayrou, premier ministre
Dans la vie politique française actuelle, il y a une pluralité de courants – peut-être cinq ou six principaux. Je respecte la réflexion de ceux qui estiment que cela doit être source d’affrontements – je connais bien Jean-Luc Mélenchon, depuis longtemps.
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Nous aussi ! Vous ne nous achèterez pas comme ça !
M. François Bayrou, premier ministre
Je sais qu’il est un homme cultivé et un esprit stratège, mais je n’approuve pas la stratégie, définie très précisément et explicitement, qui consiste à « tout conflictualiser », à faire de tout sujet un conflit. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Jean-Michel Jacques
C’est irresponsable !
M. François Bayrou, premier ministre
Je me dis qu’à voir nos divisions, ceux qui veulent soumettre notre pays doivent se frotter les mains. Depuis longtemps, depuis des siècles, d’Henri IV aux grands républicains, notre pays reconnaît la tolérance et la laïcité, c’est-à-dire l’idée qu’on n’a pas besoin, parce qu’on croit quelque chose, d’obliger les autres à abandonner leurs idées. Acceptées depuis longtemps en matière religieuse et philosophique, ces idées peuvent aussi s’imposer dans la vie politique.
M. Bastien Lachaud
Ça n’a rien à voir avec la laïcité !
M. François Bayrou, premier ministre
Si, ça a tout à voir. Ce qu’on appelle la laïcité – dont la racine grecque signifie « faire un seul peuple » – a droit de cité aussi bien dans la vie politique que dans la vie religieuse et philosophique. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Plusieurs députés des groupes LFI-NFP et EcoS
N’importe quoi !
M. François Bayrou, premier ministre
Faire un seul peuple, c’est reconnaître que le pluralisme est légitime. Ce dernier doit être organisé. Je suis un défenseur des partis politiques et des syndicats…
Mme Marie Pochon
Ça s’appelle l’État de droit !
M. François Bayrou, premier ministre
…et souhaite qu’ils puissent être un jour reconnus comme des mouvements d’utilité publique. Ils doivent pouvoir se financer sans avoir besoin de passer par des stratégies de contournement. C’est pourquoi je souhaite la création d’une banque de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. Philippe Gosselin applaudit aussi.)
L’objectif est que le financement des partis politiques et des campagnes ne dépende plus de choix de banques privées, mais puisse éventuellement, et en recours, être le fait d’organismes publics, placés sous le contrôle du Parlement.
Mme Sophia Chikirou
Vous l’avez déjà promis en 2017 !
M. François Bayrou, premier ministre
Je suis partisan, quand je vois l’état de la démocratie américaine, que nous échappions à cette contrainte : la vie politique tenue par l’argent.
M. Alexis Corbière
C’est une farce !
M. François Bayrou, premier ministre
L’argent a sa place, notamment dans le monde des affaires, mais il ne doit pas diriger les consciences, ni prendre le pas sur la libre volonté des citoyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, Dem et HOR.) C’est pourquoi la banque de la démocratie traitera le problème du financement de ces organisations, de vos organisations. Il faut également que chacun puisse trouver sa place au sein de la représentation nationale, à proportion des votes qu’il a reçus.
M. Erwan Balanant
Bravo !
M. François Bayrou, premier ministre
C’est la seule règle qui permettra à chacun d’être lui-même, authentiquement, et non prisonnier d’alliances insincères. (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Hervé de Lépinau
Quel aveu !
M. François Bayrou, premier ministre
Je propose que nous avancions concernant la réforme du mode de scrutin législatif. Chacun exprimera alors sa position : il y a une option à prendre sur ce principe, une discussion à avoir sur ses modalités. On voit bien quels sont les principaux choix. C’est mon opinion que ce mode de scrutin doit rester enraciné dans les territoires, qu’il ne doit pas créer plusieurs catégories de citoyens ayant des droits différents. Cette adoption du principe proportionnel pour la représentation du peuple dans nos assemblées nous obligera en outre probablement, comme l’a dit le président du Sénat, à reposer la question de l’exercice simultané d’une responsabilité locale et nationale. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Enfin, la démocratie suppose un accès à une information fiable. Les conclusions des états généraux de l’information, lancés par le président de la République, devront être traduites. De même, la réforme de l’audiovisuel public, bien commun des Français, devra être conduite à son terme.
Une députée du groupe LFI-NFP
Oh là là !
M. François Bayrou, premier ministre
Je voudrais ensuite parler de l’État. (M. Jean-Paul Lecoq s’exclame.) Je suis le premier à mesurer la qualité de notre fonction publique. Nous le constatons à chaque catastrophe : la présence de l’État force le respect. Je le répète, ce que plusieurs d’entre nous, comme Mme la présidente, ont vu à Mayotte force le respect. Reste que notre bureaucratie est trop lourde, incroyablement nuisible au développement du pays.
M. Sylvain Maillard
Il a raison !
M. François Bayrou, premier ministre
Un document récemment publié, fondé sur les études du centre de réflexion Bruegel, montre que le poids des normes, qui pénalise la croissance, est de 0,8 % du PIB en Italie, 0,3 % en Espagne, 0,17 % en Allemagne et de près de 4 % en France, soit dix fois plus que chez nos voisins. Cette contrainte dont chacun connaît la lourdeur constitue un frein insupportable à l’activité de notre pays, de toutes ses disciplines. Le gouvernement s’engagera donc dans un puissant mouvement de débureaucratisation.
Le projet de loi de simplification de la vie économique, dont l’examen a commencé, devra être adopté rapidement ; mais il faut agir plus en profondeur et dans la durée. Selon quelle méthode ? Je n’en connais qu’une : rendre du pouvoir au terrain. (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – M. Laurent Croizier applaudit.) Grâce à France Expérimentation, les acteurs de terrain devront redéfinir eux-mêmes, en partenariat avec l’État, les simplifications, suppressions, allégements d’obligations, utiles dans le domaine de l’agriculture, par exemple. Les collectivités locales doivent avoir une place centrale dans ce projet. Elles assurent 70 % de l’investissement de notre pays, beaucoup plus que l’État ! Quand l’activité fléchit, c’est cet effort de leur part qui soutient le bâtiment, les travaux publics, l’équipement de nos villes. Ce sont elles qui soutiennent l’implantation d’entreprises, se tiennent aux côtés des associations, maintiennent le tissu social dans ses dernières mailles.
Cet effort d’investissement est précieux pour le pays. (Mme Nathalie Oziol s’exclame.) Mon gouvernement confortera les avancées sur des sujets très attendus comme l’eau, l’assainissement, le statut et la protection des élus. Les initiatives parlementaires en ce sens devront aboutir. Sur le plan financier, l’effort demandé aux collectivités sera ramené, comme proposé lors des débats parlementaires, de 5 milliards initialement à 2,2 milliards en 2025. J’ai tout à fait confiance dans la capacité des élus à mener cet effort.
Avoir confiance dans la responsabilité des collectivités suppose aussi de tenir compte des spécificités de certaines. C’est le cas, qui me tient à c?ur, pour la Corse ; c’est le cas, que nous allons explorer et travailler, pour les collectivités d’outre-mer. S’agissant de la Corse, un calendrier a été fixé, conformément aux orientations déterminées par le président de la République, afin d’aboutir à une évolution constitutionnelle fin 2025 : ce calendrier sera respecté.
Soutenir l’esprit d’entreprise, tel est le chantier suivant. Il existe chez nous un réflexe nuisible, déjà ancien : prendre pour cible, dans le débat, les entreprises, plus spécialement les entreprises françaises, et en particulier celles qui réussissent le mieux à l’exportation. Les entreprises que l’on dit multinationales sont en réalité celles qui, par leur savoir-faire, leur recherche, leur esprit de conquête, ont réussi à être sélectionnées pour la compétition mondiale. Elles font honneur à la France et contribuent à sa richesse. (Mme Nathalie Oziol et M. Aurélien Le Coq s’exclament.)
J’ai la conviction que, dans toutes les conditions fixées par la démocratie sociale, nous devons faciliter la tâche de nos entreprises. Elles doivent être prémunies contre des augmentations exponentielles d’impôts et de charges (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR), sans quoi nous nous retrouverions dans la situation que décrit la fable de La Fontaine intitulée « La poule aux ?ufs d’or ».
M. Pierre Cordier
Et « La cigale et la fourmi » ?
M. François Bayrou, premier ministre
Vous le savez, le propriétaire d’une poule qui pondait un œuf d’or chaque matin « crut que dans son corps elle avait un trésor. / Il la tua, l’ouvrit, et la trouva semblable / À celles dont les œufs ne lui rapportaient rien, / S’étant lui-même ôté le plus beau de son bien ».
L’entreprise produit les richesses et l’emploi, pour tout le pays, grâce à ses dirigeants, ses chercheurs, ses cadres, ses salariés ; mais si elle se voit surchargée de prélèvements et de normes, elle cesse de produire. Le trésor est dans l’activité, la créativité, la souplesse. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem. – M. Philippe Juvin applaudit également.) Cette œuvre de réconciliation à laquelle nous sommes appelés ne deviendra possible que si nous offrons une perspective à notre pays. Nos efforts doivent être tendus vers un but qui suppose la lucidité et le courage que je décrivais à l’instant : une nouvelle promesse française.
Je vous propose là d’examiner une œuvre de refondation républicaine. Cette promesse française, c’est celle qui offre à chacun les conditions de sa dignité, en tant que citoyen et en tant que personne. Pour cela, la France ne s’en remet pas à la seule loi du marché. Elle a toujours porté en elle un idéal de fraternité et de solidarité.
Un député du groupe GDR
Jusqu’à Macron !
M. François Bayrou, premier ministre
La solidarité envers chacun, quels que soient son milieu de naissance, son accent, sa couleur de peau, sa condition d’origine, c’est pour tous la possibilité de s’affirmer, d’avoir une deuxième chance si l’on échoue, une troisième chance si l’on rencontre encore des difficultés. C’est l’intuition fondatrice que le président de la République a défendue en 2017 et dont je veux réaffirmer ici la nécessité.
La promesse française, c’est aussi l’attention portée à l’égalité entre les femmes et les hommes. Il s’agit d’un combat de civilisation, que nous devons mener ici et ailleurs, partout où les femmes subissent l’intolérable. Je pense en particulier au sort des Afghanes et des Iraniennes, enfermées vivantes (Applaudissements prolongés sur tous les bancs) : interdiction d’aller à l’école, à l’université, de chanter, de sortir de chez soi. Chez nous, cette égalité suppose une lutte sans merci contre les violences sexuelles ou sexistes, mais aussi pour l’égalité salariale et professionnelle.
Mme Marie-Charlotte Garin
Avec quel argent ?
M. François Bayrou, premier ministre
Je voudrais m’arrêter un instant à un mouvement que nous avons tous connu et, à mon sens, négligé : celui des gilets jaunes. (Murmures sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Il y a six ans, sur nos ronds-points, ils dénonçaient l’état de notre société, tel qu’ils le ressentaient : la division du pays entre ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP), ceux qui passent à la télévision et ceux qui regardent l’écran, ceux qui appartiennent aux milieux de pouvoir, par exemple aux arrondissements centraux de Paris, et les autres (Mme Mathilde Panot s’exclame),…
M. Sylvain Maillard
On n’attaque pas Paris !
M. François Bayrou, premier ministre
…qui se sentent oubliés, négligés. Je suis certain que la promesse française suppose que nous puissions abattre le mur séparant les uns des autres. C’est la raison pour laquelle il nous faudra reprendre l’étude des cahiers de doléances présentés par les gilets jaunes (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe DR. – M. Philippe Brun applaudit également), de manière que s’expriment dans notre société (Brouhaha)…
M. Ugo Bernalicis
Et après ?
M. Thibault Bazin
Au moins, cela servira à quelque chose !
M. François Bayrou, premier ministre
J’imaginais que vous pouviez adhérer à cette idée ! De manière que s’expriment dans notre société, disais-je, les attentes, souvent les plus inexprimées, des milieux sociaux exclus du pouvoir.
Chercher une forme d’harmonie, c’est aussi accepter d’évoquer les craintes et les réalités que, dans notre pays, suscite l’immigration. Cela ne date pas d’hier. La misère, les conflits, les bouleversements climatiques se conjuguant, l’immigration est devenue une question brûlante sur toute la planète. Elle l’est pour ceux qui supportent les vagues migratoires, pour ceux qui craignent d’être menacés par de prochaines vagues ; les réseaux sociaux attisent cette crainte tous les jours. (Murmures sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Un député du groupe LFI-NFP
C’est surtout M. Retailleau qui attise les haines !
M. François Bayrou, premier ministre
J’ai la conviction profonde que l’immigration, qui, je le répète, se développe sous toutes les latitudes, est une question de proportion. L’installation d’une famille étrangère dans un village pyrénéen ou cévenol, c’est un mouvement de générosité qui se déploie, des enfants fêtés et entourés à l’école, des parents qui reçoivent tous les signes de l’entraide. Que trente familles s’installent, le village se sent menacé et des vagues de rejet apparaissent. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Mme Sophie Taillé-Polian
N’importe quoi !
Un député du groupe LFI-NFP
Jean-Marie Le Pen s’est réincarné !
M. François Bayrou, premier ministre
Telle est exactement la situation que nous connaissons à Mayotte, où les illégaux…
Mme Marie Mesmeur
Ce ne sont pas des illégaux, mais des humains !
M. François Bayrou, premier ministre
…représentent 80 000 habitants sur 300 000. C’est comme si Paris intra-muros comptait 500 000 illégaux établis dans des bidonvilles : nos compatriotes mahorais ne le supportent pas. Nier que cette immigration illégale soit pour la société mahoraise un facteur de déstabilisation, c’est se voiler la face, se mentir et leur mentir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe DR.)
Bien sûr, la différence de niveau de vie entre Mayotte et les Comores est considérable : la richesse par habitant est dix fois moins élevée aux Comores qu’à Mayotte, où le niveau de vie est déjà quatre à cinq fois inférieur à celui de la métropole.
Une députée du groupe LFI-NFP
Et vous trouvez cela normal ?
M. Bastien Lachaud
Hexagone ! Pas métropole ! Mayotte est un département !
M. François Bayrou, premier ministre
Mayotte est un département et nous n’avons pas le droit de laisser se développer dans un département français un désordre aussi profond que celui qui déchire actuellement la société mahoraise. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes EPR et DR. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Voilà pourquoi il est de la responsabilité du gouvernement de maintenir et de faire respecter l’ordre, à Mayotte comme en métropole.
Bien sûr, dans l’humanité, c’est la misère qui pousse les gens à fuir leur pays : nous le savons bien, nous les Basques, les Béarnais, les Bretons qui avons, au XIXe siècle, fourni tant de contingents d’émigrés.
M. Inaki Echaniz
Bravo !
M. François Bayrou, premier ministre
Néanmoins, la volonté de protéger et d’appliquer nos lois doit être sans faille, tout en étant respectueuse de ceux que les vagues de la vie ont conduits jusqu’à nous. Respecter ces personnes, c’est les intégrer dans un ordre dans lequel elles peuvent se reconnaître. Il est donc de notre devoir de conduire une politique de contrôle, de régulation et de retour dans leur pays de ceux dont la présence met en péril, par leur nombre, la cohésion de la nation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Comment faire, alors que 93 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) ne sont pas exécutées ? Arrêtons-nous un instant sur ces chiffres : sur 140 000 OQTF prononcées chaque année, 7 % seulement sont exécutées – 93 % ne le sont donc pas. Leur absence d’exécution découle d’ailleurs moins de la volonté du gouvernement que du refus des pays d’origine d’accueillir leurs ressortissants lorsqu’ils sont obligés de quitter notre territoire.
M. Thibault Bazin
Comme l’Algérie !
M. François Bayrou, premier ministre
Si nous ne résolvons pas cette question, toutes nos déclarations d’intention seront vaines. Cette politique ferme que doivent mener les ministères de l’intérieur et de la justice suppose également l’action de tous les autres ministères. C’est pourquoi je réactiverai le comité interministériel de contrôle de l’immigration. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Je sais que les parlementaires ne manqueront pas de prendre des initiatives à ce sujet. Il nous appartiendra de les articuler avec la nécessaire transposition du pacte européen sur la migration et l’asile. Nous devrons aussi renforcer l’aide publique au développement, en retrouvant dès 2026 une trajectoire dynamique. (Mme Sabrina Sebaihi s’exclame.)
Notre cap, c’est l’intégration.
M. Emeric Salmon
Non, c’est l’assimilation !
M. François Bayrou, premier ministre
Notre cap, c’est l’incorporation à la nation de ceux qui sont amenés à la rejoindre : par le travail, qui crée des liens et donne la reconnaissance ; par la langue, qui est une patrie ; par l’apprentissage et l’acceptation des modes de vie et des valeurs qui nous guident dont, en particulier, le respect de la liberté des femmes et de ceux qui croient différemment ou qui ne croient pas.
En revanche, nous serons sans faiblesse vis-à-vis de tous ceux qui prônent l’inverse. La République n’existe que si elle se fait respecter. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
M. Emeric Salmon
Mme Vautrin dit l’inverse !
M. François Bayrou, premier ministre
Je ne me lancerai pas dans un catalogue de mesures, comme c’est souvent le cas lors des déclarations de politique générale. (« Si ! » sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Néanmoins, les grandes politiques doivent être inspirées par l’idée du long terme, l’esprit du plan, que je veux voir présents dans tous les ministères. Il ne peut y avoir ni partage des grands choix avec les citoyens, ni débat sérieux au Parlement sans vision de long terme.
C’est particulièrement évident s’agissant de grandes questions qui engagent nos orientations sur plusieurs décennies, telles que la transition écologique. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe EcoS.) Contrairement à ce que certains pensent, l’écologie n’est pas le problème, mais la solution – c’est en tout cas cette approche que nous privilégions.
Mme Sandrine Rousseau
Ce sont de belles paroles, mais il faut de l’argent !
M. François Bayrou, premier ministre
La France a engagé son effort en matière d’adaptation au changement climatique – sujet crucial – mieux et davantage qu’aucun autre pays au monde. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Cette ardente obligation doit être poursuivie et amplifiée : nous devons planifier la transition en finalisant notre stratégie bas-carbone, en préservant la biodiversité et en produisant de façon décarbonée, grâce à des technologies nouvelles. Je pense notamment à la politique énergétique, qui a pour but de rendre accessible à tous une énergie décarbonée. Pour y parvenir, la production d’électricité d’origine nucléaire est un axe essentiel, tout comme la géothermie, réservoir inépuisable, sous nos pieds, de calories gratuites et de frigories. (M. Romain Daubié applaudit.)
Nous devons saisir la question de l’eau à bras-le-corps, à travers une grande conférence nationale déclinée dans les régions.
La transition écologique, c’est aussi favoriser les mobilités les mieux adaptées, de l’hydrogène au plan vélo, qui doit être poursuivi avec les moyens qui lui sont nécessaires.
Dans la refondation de notre projet, l’éducation nationale, l’enseignement supérieur et la recherche sont également des sujets essentiels.
Mme Julie Laernoes
Vous n’avez plus rien à dire sur l’énergie ? C’est déjà fini ?
Mme Danielle Simonnet
C’est particulièrement court en matière d’écologie !
M. François Bayrou, premier ministre
L’une des fiertés de ma vie est d’avoir été un enseignant de l’éducation nationale et d’avoir des enfants qui sont eux-mêmes enseignants. L’une des fiertés de ce gouvernement est d’avoir placé le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche au premier rang et de l’avoir confié à une femme au parcours exemplaire, qui se trouve en ce moment au Sénat, en train de lire cette déclaration de politique générale. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe RN.)
Toutefois, comment accepter que l’école française, qui était la première du monde, soit désormais classée au rang qui est le sien en mathématiques comme en lecture ? Les enseignants de l’université dépeignent des étudiants de première année, qui viennent de passer treize, quatorze ou quinze ans sur les bancs de l’école, ne parvenant pas à écrire un texte simple, compréhensible, avec une orthographe acceptable. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Dieynaba Diop
Arrêtez de réduire les heures d’enseignement chaque année !
M. François Bayrou, premier ministre
C’est pour moi le plus grand de nos échecs, dont sont victimes en particulier les plus faibles. Car ceux qui sont issus des milieux qui n’ont pas les codes, ceux qui ne connaissent personne, comme on dit,…
Mme Marie Mesmeur
C’est l’école de la République ou pas ?
M. François Bayrou, premier ministre
…et n’ont accès ni à l’influence, ni au pouvoir, se voient écartés sans recours, faute d’avoir les armes nécessaires pour affronter la traversée des formations supérieures. J’ajoute que l’obligation d’orientation précoce les perturbe et les met en danger.
Un député du groupe LFI-NFP
Supprimez Parcoursup !
M. François Bayrou, premier ministre
Les enfants ne sont pas comme les poireaux : ils ne poussent pas tous à la même vitesse. (Brouhaha sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, RN, SOC, EcoS et GDR.) Vouloir sélectionner précocement, sans que l’esprit et les attentes aient mûri, est une erreur, ou en tout cas une faiblesse. Notre système scolaire et universitaire doit accepter, si ce n’est favoriser, les réorientations et les changements de formation.
Mme Marie Mesmeur
Supprimez Parcoursup ! Et réformez les bourses, enfin !
M. François Bayrou, premier ministre
Vous avez raison, la question de Parcoursup se pose ; c’est précisément ce que je suis en train d’expliquer. Il faut ouvrir les portes, sans doute en inventant une année d’articulation entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur.
Mme Marie Mesmeur
Il faut y octroyer de l’argent !
M. François Bayrou, premier ministre
Ce qu’on appelait autrefois la propédeutique, c’est-à-dire la préparation à un enseignement dont on ne maîtrise ni les bases ni les compétences, devrait devenir une préoccupation majeure dans l’organisation du système éducatif. En écartant certains jeunes dès la classe de seconde, on rend à la nation le plus mauvais des services. Combien sur ces bancs étaient, à 13, à 14 ou à 15 ans, davantage en rupture d’école que dans un parcours de succès scolaire ? Combien ont trouvé dans la vie des chemins jusqu’alors inimaginables pour eux ? Ce qui est regrettable dans notre système éducatif, c’est que les choses se jouent très tôt, trop tôt même, pour ceux qui n’appartiennent pas aux milieux les plus favorisés. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Alexis Corbière
C’était le projet d’Attal avant !
M. François Bayrou, premier ministre
Ma conviction est que les gisements de progrès sont du côté des enseignants. Tous ici, nous avons en mémoire les visages et les voix d’enseignants qui nous ont révélés à nous-mêmes, qui, parce que leur regard s’est posé sur l’enfant que nous étions, ont changé notre vie. Ces enseignants magnifiques existent et ils sont nombreux. Mais l’organisation de l’éducation nationale ne parvient pas à les repérer, ou les repère si peu, et les trésors de pédagogie qu’ils ont élaborés sont perdus.
Permettez-moi de rappeler l’intuition fondatrice que le président de la République a présentée au pays en 2017 : combattre l’assignation de la naissance (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem), du quartier, de la religion, de la consonance du nom, de l’accent, des difficultés nées de familles éclatées, de l’adolescence solitaire (M. Ugo Bernalicis s’exclame) et offrir à tous ceux-là, tout au long de la vie, de nouvelles chances.
M. Aurélien Le Coq
C’est combien d’argent en plus pour l’université ?
M. François Bayrou, premier ministre
Parmi les combats à mener, il faut promouvoir la lecture contre le monopole des écrans. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
M. Vincent Descoeur
Très bien !
M. François Bayrou, premier ministre
Je sais qu’un chemin est possible, notamment en formant davantage nos professeurs afin de mieux les préparer. Je suis conscient des difficultés, car les écrans ont pris le pas sur tout autre mécanisme de transmission des connaissances. Néanmoins, il s’agit d’un enjeu national et je proposerai d’y répondre en mobilisant toutes les compétences créées au profit de la lecture, telles que, par exemple, l’intelligence artificielle. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Enfin, il nous faudra poursuivre la grande réforme de l’enseignement professionnel engagée par les gouvernements précédents.
La culture joue également un rôle essentiel dans la promesse française. La défense et l’affirmation d’une politique culturelle est une politique sociale. L’émerveillement partagé devant la beauté d’un monument, d’une ville que l’on restaure, d’une pièce de théâtre ou d’un concert : tout cela élève, rend fier et rassemble. C’est pourquoi la défense du beau, madame la ministre de la culture, est un devoir de l’État. Cela passe par une politique du patrimoine ambitieuse, car le patrimoine est l’une de nos principales fiertés. Cela passe aussi par un soutien à la création.
Permettez-moi d’évoquer, dans cette promesse française, les outre-mer. Nous avons présenté le plan Mayotte debout lors de notre venue sur l’île. C’est un plan ambitieux non seulement pour traiter de l’urgence, mais aussi pour refonder Mayotte. J’ai mentionné la crise migratoire que connaît ce département : un débat doit être ouvert sur ce sujet, notamment sur les conditions nouvelles d’exercice du droit du sol – que vous avez évoquées, madame la présidente, dans vos vœux.
Je pense également à la Nouvelle-Calédonie, qui doit construire son avenir. Les événements de mai 2024 ont plongé ce territoire dans un profond marasme. Je souhaite que le processus politique reprenne, avec des négociations qui devront aboutir à la fin du trimestre.
J’inviterai en janvier les forces politiques à venir à Paris pour ouvrir ces négociations, en demandant au ministre des outre-mer de suivre particulièrement ce dossier. Je crois là encore que femmes et hommes de bonne volonté sauront trouver des voies novatrices pour le bien de tous les Calédoniens. Mais je pense à tous nos outre-mer, qui sont une fenêtre ouverte sur le monde, que nous vantons souvent, et qui nous enrichissent par leur identité propre. Chaque territoire a sa situation, ses chances et ses difficultés. Nous définirons pour chacun un plan de développement et de financement, dans le cadre d’un nouveau comité interministériel des outre-mer que le ministre d’État préparera avec les élus de ces territoires.
Venons-en maintenant à la méthode que nous suivrons pour retrouver la production, l’innovation et l’industrie. On voudrait nous condamner au déclassement, alors que la Silicon Valley déroule ses tapis rouges à nos ingénieurs du numérique et de l’intelligence artificielle. Nous sommes, nous Français, des géants de la recherche informatique, algorithmique et automatique ; ne nous laissons pas devenir des nains de la nouvelle économie, qui sera précisément fondée sur le numérique. Il en est de même pour l’espace ou les énergies décarbonées.
M. Aurélien Le Coq
Et les licenciements chez Thales ?
M. François Bayrou, premier ministre
Le gouvernement est attaché à la trajectoire d’investissement dans la science définie par la loi de programmation de la recherche. Cette dernière se fait dans les universités et les laboratoires, mais aussi dans les entreprises.
M. Aurélien Le Coq
Avec quel argent ?
M. François Bayrou, premier ministre
La stratégie nationale pour l’intelligence artificielle – dont je ne sais si elle est intelligente ni si elle est artificielle, mais elle est un changement d’être pour notre humanité – doit entrer dans sa troisième phase. Cette stratégie ambitieuse pour la diffusion de l’intelligence artificielle dans l’industrie, l’action publique, la formation et la recherche, s’appuie sur un programme d’investissement dans les infrastructures. Le sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, qui se tiendra à Paris en février, traduira cette ambition.
Dans ces domaines, il nous faut définir des politiques de filière, produit par produit, en partant des faiblesses et des manques de notre balance commerciale. Chaque filière réunira les grandes entreprises, les sous-traitants, l’État et les régions autour d’un enjeu de production. Les géants mondiaux présents sur notre sol et qui ont des racines en France – Dassault Systèmes, Safran, Total, Airbus, Saint-Gobain ou Danone – ont un potentiel de partage des capacités de mise au point et de soutien à des entreprises nouvelles, notamment pour les produits et les secteurs dont nous sommes absents.
Retrouver la production, c’est aussi tourner nos regards vers l’agriculture. Je veux avoir un mot particulier pour les filières agricoles. Quand nous évoquons leur crise, nous voyons ce qui saute aux yeux : la crise des revenus et le sentiment qu’ont nos agriculteurs de ne pas être respectés. À l’origine de cette situation, il y a une crise morale : les agriculteurs, les paysans – le monde dont je viens –, avaient jusqu’à il y a peu la certitude d’être les meilleurs connaisseurs et les meilleurs défenseurs de la nature. Aujourd’hui, on les accuse de nuire à la nature, et c’est une blessure profonde. Quand les inspecteurs de la biodiversité viennent inspecter les fossés ou les points d’eau avec une arme à la ceinture dans une ferme déjà mise à cran par la crise, c’est une humiliation ; c’est donc une faute. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
M. Julien Dive
Qu’allez-vous faire ?
M. François Bayrou, premier ministre
Le principal enjeu pour notre agriculture est celui de l’égalité des armes. À l’intérieur même de l’Europe, on impose à nos agriculteurs des normes et des obligations qui ne sont pas imposées à nos voisins européens, et je ne parle même pas de ceux qui sont très au-delà de nos frontières (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR), en particulier en Amérique du Sud – je fais évidemment référence à l’accord avec le Mercosur.
M. Sébastien Chenu
C’est votre construction !
M. François Bayrou, premier ministre
De très grandes injustices risquent aussi d’être commises dans la gestion des ressources en eau. Je ne suis pas d’accord pour qu’on assimile la gestion de l’eau de surface au pompage des nappes profondes, comme si c’était la même chose. (M. François Jolivet applaudit.) Nos agriculteurs vivent cela comme une injustice. Sur la question de l’eau, j’ai dit que je souhaitais que des conférences soient organisées au plan national et régional pour définir une stratégie de long terme.
M. Jean-Paul Lecoq
Il ne faut pas supprimer les agences de l’eau !
M. François Bayrou, premier ministre
Toutes ces questions seront traitées dans la loi d’orientation agricole. Je m’engage à ce que pour les entreprises agricoles, comme pour les entreprises et les familles, nous remettions en question les pyramides de normes en donnant l’initiative aux usagers. Ceux que l’on contrôle doivent avoir leur mot à dire sur les contrôles – et s’il faut des remises en cause, nous les conduirons avec eux dans un temps bref. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
L’obligation de revaloriser le travail est évoquée sur tous les bancs. Je souhaite qu’une concertation sur le travail et les salaires aborde la qualité de la vie au travail, la rémunération et le sens du travail, la santé au travail, la prévention et la prise en charge des arrêts de travail, ainsi que la situation des travailleurs pauvres et l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Il faudra poursuivre les efforts en matière de revalorisation salariale, notamment par la mise en place de dispositifs d’épargne salariale, d’intéressement et de participation dans tous les secteurs.
Enfin, le territoire français doit être plus équilibré. En 1947 paraissait un livre qui a fait beaucoup de bruit à l’époque, Paris et le désert français. Aujourd’hui, il y a Paris, les grandes métropoles et le désert français ; et à chaque étape, il y a un gouffre. Le reste du tissu national, éloigné géographiquement, disparaît médiatiquement et politiquement. L’aménagement du territoire est l’une des grandes questions devant nous. Il touche aux conditions de vie de nos concitoyens, aux services publics, aux transports et au logement. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Sylvain Maillard
Et pourtant, Paris va mal !
M. François Bayrou, premier ministre
Le grand ministère que nous avons construit autour de François Rebsamen incarne l’objectif qui est le nôtre : que chaque personne ait sa chance et que chaque territoire ait sa reconnaissance et sa chance.
Un député du groupe EcoS
Avec quel argent ?
M. François Bayrou, premier ministre
Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Tant d’esprits, de volontés, d’initiatives, de capacités provinciales et issues des quartiers périphériques ont le sentiment, ou plutôt la certitude, d’être écartés et oubliés.
Je veux m’arrêter sur le sujet du logement. Si l’on ne peut pas se loger, on ne peut pas se faire reconnaître. Nous avons besoin d’une politique du logement repensée et de grande ampleur. Je salue les efforts menés par les précédents gouvernements pour lever les contraintes en matière de construction de logements. Nous pouvons aller plus loin encore en réduisant les délais, en allégeant les demandes d’autorisation, en favorisant la densification et en facilitant les changements d’usage.
Mme Justine Gruet et M. Philippe Gosselin
Et le ZAN ?
M. François Bayrou, premier ministre
Cela suppose de relancer l’investissement locatif et l’accession à la propriété et de soutenir les élus bâtisseurs par un système d’encouragement à l’investissement, y compris privé.
M. Philippe Gosselin
Très bien !
M. François Bayrou, premier ministre
Quant au transport, qui est la condition même de l’égalité des droits sur le territoire, nous avons devant nous de nombreux défis en matière de financement des infrastructures et des équipements nouveaux. Pour se préparer à les relever, une conférence sur son financement durable sera organisée avec les collectivités locales et les professionnels.
La santé, qui est l’une des toutes premières préoccupations des Français, que ce soit en urgence ou au quotidien, se situe au cœur de notre modèle social. Nous avons tous été confrontés, pour nous ou pour un proche, à l’impossibilité de trouver un médecin généraliste, un spécialiste, un dentiste pour se faire soigner. Quant à l’hôpital, il connaît aussi une crise, en particulier financière, plus que préoccupante. L’absence d’une vision pluriannuelle des ressources consacrées à notre système de santé le prive de facto de la capacité à se doter de projets à moyen et à long terme et complique ainsi sa capacité à anticiper les besoins de santé futurs des Français. Il faut passer, madame la ministre, d’une logique budgétaire annuelle à une logique de financement pluriannuel. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem.)
M. Aurélien Le Coq
Cela fait vingt ans qu’on nous l’explique !
M. François Bayrou, premier ministre
Il faut aussi retravailler sur l’enjeu clé de la démographie médicale, en impliquant notamment les élus territoriaux et en menant de front le travail sur la question – jusqu’ici irrésolue – de la formation des soignants.
Je confirme que la santé mentale sera la grande cause nationale en 2025, comme l’avait décidé mon prédécesseur Michel Barnier (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.) – je l’ai soutenu et lui adresse mon amitié. Dans ce cadre, pour faire face à l’enjeu de la soutenabilité de l’hôpital, le gouvernement proposera une hausse notable de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), ce qui permettra d’améliorer les conditions de travail des soignants et de protéger les plus fragiles.
M. Jérôme Guedj
Enfin quelque chose !
M. François Bayrou, premier ministre
À cette fin, la mesure de déremboursement de certains médicaments et consultations ne sera pas reprise. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
M. Aurélien Rousseau
Ah !
M. François Bayrou, premier ministre
Le sport est, comme la culture, un puissant facteur de cohésion, d’épanouissement et de fierté. Nous avons vécu une année olympique historique et avons devant nous le projet Alpes 2030. Nous savons que c’est à l’école que se joue l’avenir du sport. Dans le cadre des parcours de soins pour les maladies chroniques, nous proposerons par exemple une nouvelle offre dans les maisons sport-santé. 100 000 bilans d’activité physique seront proposés aux personnes atteintes de telles maladies.
Nous devons aussi nous mobiliser en faveur de la politique du handicap, alors que nous allons fêter le vingtième anniversaire de la loi de 2005. L’école pour tous est en crise ; il faut l’améliorer, la politique de l’école inclusive ayant atteint une masse critique. Un comité interministériel du handicap sera organisé dans les meilleurs délais, et je tiens à confirmer à l’Assemblée nationale le remboursement intégral des fauteuils roulants dès 2025. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC, DR, EcoS et Dem. – Plusieurs députés des groupes EcoS, SOC et GDR se tournent vers M. Sébastien Peytavie.)
Mme Sandra Regol
Bravo Sébastien Peytavie !
M. François Bayrou, premier ministre
Dans le cadre de la grande politique démographique qui s’impose à nous, il nous faut avancer sur la question du grand âge. L’objectif de permettre aux personnes de bien vieillir en ayant le choix de leur domicile suppose l’ouverture d’un dialogue avec le Parlement et les départements. Je réaffirme aussi la priorité qui s’attache pour moi à la protection de l’enfance.
Mme Isabelle Santiago
Ah !
Mme Dieynaba Diop
Et le repas à 1 euro ?
M. François Bayrou, premier ministre
La création du haut-commissariat à l’enfance inscrira cette politique dans la continuité.
Parmi les personnes en situation de précarité, il y a aussi des étudiants, en particulier lorsqu’ils doivent se loger dans des grandes villes où les loyers dépassent les moyens de leurs familles. C’est pourquoi la carte universitaire et le réseau des universités sont non seulement une question académique, mais une grande question sociale. Nous lancerons parallèlement la construction de 15 000 logements par an pendant trois ans, en mobilisant le foncier disponible de l’État.
Voilà le projet que nous appelons la promesse française. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous n’avons pas le droit, au nom de nos passions politiques, d’hypothéquer la vie de nos concitoyens. Ils attendent des actes, et c’est sur nos actes qu’ils jugeront de nos paroles, de nos promesses et de nos indignations. C’est sur nos actes qu’ils nous jugeront, tout simplement.
M. Fabien Di Filippo
Quels actes ?
M. François Bayrou, premier ministre
Le but de cette déclaration de politique générale est de permettre à nos concitoyens de passer de la plus extrême inquiétude à la conviction que, même si nous ne sommes pas certains de les résoudre tous, nous traiterons tous les problèmes qui se posent avec toutes nos forces et tous nos moyens. Nous n’allons pas d’un seul coup passer de l’ombre à la lumière.
Mme Dieynaba Diop
Ça c’est sûr !
M. François Bayrou, premier ministre
Nous n’allons pas vivre le grand soir. Mais si nous parvenons à nous faire entendre de vous, élus de la nation, alors nous pourrons passer du découragement à un espoir ténu mais raisonnable. C’est ce projet que j’ai voulu présenter devant vous. Je connais tous les risques. Si nous nous trompons, nous corrigerons. Mais le risque, c’est la vie. Pierre Mendès France – la référence n’est pas choisie au hasard – aurait dit : « Il n’y a pas de politique sans risque, il n’y a que des politiques sans chance ». Ce sont ces chances que nous voulons saisir. J’ai foi dans le peuple français et dans ses représentants. Je sais les ressources d’intelligence, de bravoure et de droiture de notre nation lorsqu’elle choisit de surmonter l’épreuve.
J’ai la certitude que notre peuple et notre pays, avec leur histoire, ont la capacité de se ressaisir. Je n’en veux que deux preuves vérifiables : nous sommes aujourd’hui le plus jeune des pays européens, en dépit du fléchissement de notre démographie qu’il nous faudra mesurer et corriger ; sur le plan de la croissance, au cours des quarante dernières années, la France a été devant l’Allemagne, en particulier lors des sept dernières années. (Mme Danielle Brulebois applaudit.) Nous sommes un peuple de ressources, à la condition qu’il trouve l’unité qui si souvent lui manque. Il l’a trouvée bien des fois au cours de son histoire ; c’est à nous aujourd’hui que cette mission, cette charge et cette chance reviennent. (Les députés des groupes EPR et Dem se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes DR et HOR.)
Une députée du groupe LFI-NFP
Vous êtes illégitime !
Mme la présidente
Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes. La parole est à M. Stéphane Peu. Chers collègues, merci à ceux d’entre vous qui quittent l’hémicycle de le faire en silence !
M. Stéphane Peu (GDR)
Après vous avoir écouté attentivement, nous devons d’emblée vous dire notre déception, même si nous ne nous attendions pas à grand-chose. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Gérard Leseul et Mme Julie Ozenne applaudissent également.) Il faut reconnaître que votre tâche n’était pas aisée puisque votre gouvernement, comme celui de M. Barnier, est le produit de l’aveuglement du président de la République, de son refus de considérer et d’admettre le vote des Français de juin et juillet derniers. Ils ont pourtant massivement rejeté les politiques menées depuis 2017 : l’injustice fiscale, la dégradation des services publics, la précarisation du travail, la smicardisation du salariat et les attaques répétées contre notre modèle social sont vécues à juste titre comme un affaiblissement de la France.
Au moment où le monde traverse un épisode réactionnaire sans précédent, où la logique guerrière s’installe sur tous les continents, où certains multimilliardaires prétendent se substituer aux démocraties et aux États pour diriger les affaires du monde, les Français ont le sentiment que notre pays est aux abonnés absents et s’inquiètent, dans ce monde anxiogène, du silence de la France. (Mme Soumya Bourouaha et M. Emmanuel Maurel applaudissent.) Notre peuple est plein d’angoisse et de colère. Il ne cesse d’exprimer ses attentes et de réclamer de l’écoute, mais rien n’y fait, même pas son vote. Emmanuel Macron s’obstine, s’isole et se complaît dans l’autosatisfaction. C’est dans ce déni, qui n’est rien d’autre que l’expression d’un mépris du peuple, que résident les causes de la crise politique que connaît notre pays.
Mme Clémence Guetté
Tout à fait !
M. Stéphane Peu
C’est donc d’un changement majeur de cap politique que notre pays a besoin ; mais à ce stade, vous n’en prenez pas la direction. Au contraire, vous adressez deux premiers signaux qui nous inquiètent. Le premier est la composition de votre gouvernement, dont plus de la moitié des membres appartenaient au gouvernement censuré de Michel Barnier et dont les deux tiers ont été membres, à un moment ou à un autre, d’un gouvernement sous la présidence d’Emmanuel Macron. Le second est votre choix étonnant et décevant de ne pas rouvrir le débat budgétaire, en poursuivant la navette des lois de finances présentées par le gouvernement Barnier (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe EcoS), ce qui interdit à notre assemblée la construction d’un budget nouveau, socialement plus juste, qui préserve les plus fragiles et assure la justice sociale dans notre pays. Ce choix nous interdit d’augmenter les recettes du budget (Mêmes mouvements) en renforçant la fiscalité sur le capital et les plus hauts revenus sans augmenter les impôts des Français. Il nous interdit également de doter nos hôpitaux publics et nos écoles des ressources dont ils ont urgemment besoin. (Mêmes mouvements.) Nous craignons que votre statu quo politique continue à nourrir l’instabilité dans notre pays.
M. Antoine Léaument
C’est vrai !
M. Stéphane Peu
Vous le savez et vous avez pu le constater ces derniers jours, les députés communistes sont constants et seront toujours prêts au dialogue. Nous ne refuserons jamais de discuter et de négocier pour gagner des avancées sociales au service de nos concitoyens. À cet égard, après vous avoir écouté au sujet des retraites, nous regrettons votre refus de convoquer une conférence sociale – notre souhait nous semblait pourtant une espérance raisonnable. En cas d’échec de ce que vous nommez le conclave, nous vous demandons donc que sur la base de ses travaux, le Parlement puisse travailler collectivement à un projet de loi abrogeant et remplaçant la réforme Borne de 2023, sans recourir au 49.3. Il ne peut y avoir de statu quo sur ce sujet.
Enfin, toujours sur le plan social, les Français s’inquiètent beaucoup, et à juste titre, de la question de l’emploi. Nous demandons au gouvernement de prendre l’initiative d’une table ronde des partenaires sociaux pour stopper l’hémorragie en cours des 300 000 emplois menacés par 300 plans sociaux. Nous avons bien d’autres sujets de préoccupation : les salaires et le pouvoir d’achat, l’avenir de l’école, de l’hôpital public ou des territoires dits d’outre-mer. Dans ces domaines, le contenu des lois de finances constituera l’heure de vérité : nous jugerons alors la sincérité de votre déclaration et de vos intentions. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti (UDR)
Monsieur le premier ministre, nous nous connaissons depuis longtemps. Des moments politiques nous ont réunis, comme votre soutien à Édouard Balladur, votre combat contre l’erreur historique de la création de l’UMP,…
M. Antoine Léaument
La bataille d’Alésia, aussi !
M. Éric Ciotti
…mais peut-être plus encore vos alertes sur la dette, votre attachement à l’histoire de France et aux territoires de notre nation. D’autres moments, hélas beaucoup plus nombreux, nous séparent, notamment votre contribution déterminante à la victoire de François Hollande en 2012 et surtout d’Emmanuel Macron en 2017,…
M. Sylvain Maillard
C’était bien, ça !
M. Ludovic Mendes
Mieux vaut soutenir Macron que Le Pen !
M. Éric Ciotti
…à chaque fois contre la droite, et surtout contre la France.
Mme Christine Arrighi
Vous n’êtes pas la France !
M. Éric Ciotti
Par là même, vous portez une responsabilité écrasante et lourde dans le bilan de leur échec et dans le déclin accéléré de notre nation. Après treize ans de hollandisme et de son fils spirituel macroniste, le bilan est en effet terrifiant : la dette publique atteint 3 300 milliards d’euros – 118 % du PIB –, les taux d’intérêt s’envolent et la signature de la France se dégrade de façon affolante. Les déficits dépassent allègrement les 6 %, l’économie française entre en récession, les faillites et les plans sociaux explosent et le chômage repart à la hausse.
M. Charles Sitzenstuhl
C’est faux ! Mensonges !
M. Éric Ciotti
La France aura emprunté cette année 340 milliards d’euros et elle emprunte plus cher que la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Allemagne, naturellement – avec presque un point d’écart.
Vous l’avez dit vous-même et les Français le vivent chaque jour : l’ensauvagement gangrène notre société. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) L’insécurité est devenue le quotidien de millions de Français. Chaque jour, on compte 3 homicides, 1 000 agressions violentes, 600 cambriolages, 330 vols avec armes : une France « Orange mécanique » nourrie par le flux grandissant d’une immigration de masse de plus en plus incontrôlée. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.) Pas moins de 3,5 millions d’étrangers sont entrés légalement sur notre territoire depuis l’élection d’Emmanuel Macron.
Mme Christine Arrighi
Ça faisait longtemps !
M. Éric Ciotti
Un million de clandestins sont présents en France – l’équivalent de la population de la ville de Marseille. Pendant ce temps, l’Algérie, selon les mots mêmes du ministre de l’intérieur, nous humilie en emprisonnant Boualem Sansal, à qui nous devons penser aujourd’hui (Mêmes mouvements), et en refusant de reprendre ses ressortissants délinquants, comme cet influenceur qu’elle nous a renvoyé. Notre voix s’éteint en Afrique et se discrédite en Europe.
C’est dans ce contexte délétère que vous prononcez votre déclaration de politique générale. Oui, la tâche qui vous attend est difficile. L’Everest que vous évoquez est bien réel et doit être attaqué par son versant droit, car son versant gauche est jonché des cadavres du socialisme. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UDR.) Dans cette ascension, deux écueils vous guettent. Le premier est votre penchant naturel à l’immobilisme. En écoutant votre discours, je n’ai pu m’empêcher de penser à deux grandes figures du centrisme ou du radicalisme : Edgar Faure d’abord,…
M. Emmanuel Mandon
Ah, il y a un peu de ça !
M. Éric Ciotti
…qui, avec ses formules toujours aiguisées, soulignait que l’immobilisme est en marche et que rien ne pourra l’arrêter ; Henri Queuille ensuite, qui affirmait qu’« il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout ». En effet, l’immobilisme en marche nous menace. J’ai entendu beaucoup de constats, mais peu de réponses ou de solutions. Vous avez même évoqué, à juste titre, le nombre totalement insupportable des agences et des comités Théodule, comme les appelait le général de Gaulle, mais une des seules dispositions concrètes de votre discours a été l’annonce de trois comités supplémentaires qui vont s’ajouter à la longue liste de ces pesanteurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Le deuxième écueil qui vous guette est la dérive à gauche, dans l’objectif de durer dans une forme de négociation ou plutôt de compromission. Nous vous invitons à éviter et à contourner ces écueils. Vous avez le choix : vous pouvez être un artisan du redressement, mais vous pouvez aussi être l’accélérateur du déclin français. Nous vous mettons en garde. Ne reproduisez pas les erreurs de votre prédécesseur : taxer et imposer pour dépenser plus et s’endetter davantage.
Renoncer à couper dans les 1 600 milliards de dépenses publiques fut une erreur tragique du précédent budget. C’est pour cette raison que nous l’avons censuré.
Or nous redoutons que vous choisissiez de tremper le « en même temps » dans l’acide du socialisme. Ce compromis malheureux et ces alliances contre-nature ne feront qu’aggraver le mal. Cotiser à nouveau aux erreurs historiques de la gauche ne pourra qu’accélérer le naufrage français. Dans cette coalition des contraires, vos alliés issus de la droite ne pourront décemment pas – je l’espère, mes chers collègues du groupe DR – être les complices et les otages de cette situation.
À l’UDR, nous avons toujours été clairs : il est impossible de guérir le mal français en adhérant aux vieilles lunes de la gauche ou en communiant aux valeurs du macronisme agonisant.
M. Sylvain Maillard
Oh là là…
M. Éric Ciotti
Renoncez aux pistes budgétaires les plus délétères : n’augmentez pas les impôts sur les sociétés alors que les défaillances d’entreprise augmentent de façon préoccupante ; renoncez à taxer le patrimoine et la réussite ; renoncez à augmenter les prélèvements obligatoires, qui sont déjà les plus élevés au monde ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.) Le courage appellerait au contraire la réforme de l’État, la baisse des impôts et des dépenses publiques, la suppression des normes – une suppression concrète, pas simplement verbale ou théorique.
Vous avez rouvert le chantier des retraites, gage de l’accord caché conclu avec le Parti socialiste pour le dissocier de ses alliés Insoumis. Si vous avez de l’audace, osez la capitalisation, qui s’adosserait à une retraite de base par répartition. C’est la seule solution pour sauver le système ! L’UDR se veut le parti des propositions, notamment de la capitalisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR.) Soutenez l’entrepreneuriat, ceux qui travaillent et ceux qui cherchent ! Allégez la fiscalité, simplifiez les normes !
Il vous faut aussi ouvrir un immense chantier pour restaurer l’autorité de l’État, l’ordre, la justice, la sécurité dans nos rues. Mettez fin à l’immigration de masse ! Rendez la justice rapide et efficace ! Et lavez l’humiliation algérienne, en abrogeant les accords de 1968 et de 2013 ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.) Je vois que le ministre de l’intérieur approuve ; nous lui faisons confiance pour aller dans ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR et sur quelques bancs du groupe RN. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Ces combats doivent être prioritaires, libérés des compromis du « en même temps ». Le gouvernement ne peut plus compter des ministres souhaitant restreindre l’AME – aide médicale de l’État – et d’autres, militants d’une AME sans limite ; des ministres soutenant la fin du droit du sol à Mayotte et d’autres, zélateurs de ce droit ; des ministres favorables à l’interdiction du voile à l’université et lors des sorties scolaires et d’autres, promoteurs du voile. Ne voyez-vous pas que les Français sont à bout et que ce grand écart idéologique est le premier carburant du chaos ?
Faites le choix de la clarté et du courage ! La France a besoin d’un sursaut. Pas de renoncements ! (Les députés du groupe UDR se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs du groupe RN, dont quelques députés se lèvent aussi.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN)
Clemenceau avait pour usage de dire que pour enterrer un problème, il fallait créer une commission. À vous entendre, monsieur le premier ministre, je crains que vous n’ayez enterré votre gouvernement mort-né à force de le submerger de conférences, de comités, de commissions, de gros machins et de petits bidules qui ne feront rien, sinon amplifier la bureaucratie que vous avez condamnée. Quelle déception, monsieur Bayrou, je dois le dire !
Pourtant, la censure du gouvernement Barnier, le 5 décembre 2024, avait tout d’un événement historique. Pour la première fois depuis 1958, l’Assemblée nationale avait pu déjouer un 49.3 illégitime. Pour la première fois, la censure était soutenue par le peuple français contre un gouvernement minoritaire dans les urnes, dans les esprits et dans les cœurs. Pour la première fois, l’exercice par les députés du plus légitime de leurs droits ralentissait l’emprise corruptrice du parti unique sur la souveraineté du peuple.
M. Pierre Cordier
Mais quelle alliance avec La France insoumise !
M. Jean-Philippe Tanguy
Enfin se manifestait la rupture historique que nos concitoyens avaient voulue aux élections européennes et législatives en soutenant massivement Marine Le Pen et Jordan Bardella !
Oui, la censure arbitrée par le Rassemblement national et l’UDR a rempli son office politique : nous avons protégé les Françaises et les Français en retournant contre vous les alliances cyniques, manipulatoires et antidémocratiques que vous aviez nouées avec la gauche extrémisée pour barrer la route à notre victoire écrasante, de 11 millions de voix. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur quelques bancs du groupe UDR.)
M. Philippe Vigier
Tout dans la nuance !
M. Jean-Philippe Tanguy
Oui, la censure a interdit au macronisme de continuer à tondre les classes moyennes et populaires, de spolier les retraités et les travailleurs, d’accabler les entreprises et les entrepreneurs, de solder encore et toujours notre parc nucléaire à nos voisins européens.
Une députée du groupe DR
Respire !
M. Jean-Philippe Tanguy
Si vos manipulations électorales ont réussi, sans doute pour la dernière fois, à faire barrage à la volonté du peuple au nom de l’oligarchie, nous, le Rassemblement national, avons enfin fait barrage à l’oligarchie au nom du peuple ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe RN.)
Oui, tout relevait, dans cette censure, de l’évènement historique ; tout aux yeux des Français, mais rien aux vôtres. Qu’avez-vous fait de cette censure et du message politique inédit qu’elle portait ? Rien. Fidèle à la nature nihiliste du macronisme, vous n’avez fait que détourner la prophétie de Nietzsche : tout ne vaut rien ; tout arrive et, cependant, il ne se passe jamais rien, tant cela vous est indifférent.
L’ultime mérite de la censure et des semaines pitoyables qui l’ont suivie aura été de confirmer aux Français votre vraie nature. D’un événement historique, vous ne voyez rien. Du peuple souverain, vous n’écoutez rien. D’une rupture démocratique, vous ne dites rien. Avec cette censure, la Ve République aurait-elle tremblé sans qu’aucun macroniste ici ne sente la moindre secousse ni aucune réplique ?
Encore aurait-il fallu que vous vous soumettiez au sens profond de la Ve République : le pouvoir du peuple, pour le peuple et par le peuple. Encore aurait-il fallu que vous obéissiez, chers collègues, à une certaine idée de la République, à une certaine idée de la nation, à une certaine idée de la France. Mais vous n’êtes gouvernés que par une idée certaine de vous-mêmes !
Avec cette censure, le chef de l’État aurait pu embrasser enfin, au bout de sept ans, son véritable rôle constitutionnel, celui de garant de nos institutions. Encore aurait-il fallu qu’Emmanuel Macron soit un chef. Encore aurait-il fallu qu’il reste un État. En somme, encore aurait-il fallu qu’Emmanuel Macron n’apparaisse pas pour ce qu’il est : le vide du pouvoir pour un pouvoir avide ; le vide de l’âme pour une âme avide. (Exclamations sur les bancs du groupe EPR.)
Le macronisme n’est qu’un trou noir dévorant l’identité de la France pour que notre nation se perde dans son déclin civilisationnel et social ; un trou noir dont la France ne pourra ressortir, espère le président de la République, qu’à travers une Union européenne stérile, ce « berceau vide où il n’y a pas d’enfant » annoncé par Marie-France Garaud.
Après cette déception, monsieur le premier ministre, une seule question vaut, et elle est simple : êtes-vous enfin du côté du peuple français, de sa dignité, de son identité, de sa liberté ? Ou bien êtes-vous encore du côté d’Emmanuel Macron ?
Vous aviez pourtant tout prévu. En 2017, vous vous disiez « absolument sceptique » sur « l’hologramme » qu’était Emmanuel Macron. Vous ajoutiez que derrière Emmanuel Macron, il y avait de grands intérêts financiers, incompatibles avec l’impartialité exigée par la fonction politique. Vous précisiez : « On a essayé en 2007 avec Nicolas Sarkozy, et ça n’a pas très bien marché. On a essayé en 2012 avec Dominique Strauss-Kahn… »
Vous étiez alors prophète, monsieur Bayrou. Hélas, vous avez choisi le pire : Emmanuel Macron, puis les amis de Nicolas Sarkozy, et maintenant, vous courez derrière ce qu’il reste de socialistes défroqués que n’aurait pas reniés Dominique Strauss-Kahn. En un sens, je vous comprends : ils n’ont pas l’air de coûter cher, les socialistes ; ils se sont soldés aux Insoumis et désormais, tout doit disparaître dans leur héritage !
M. Philippe Vigier
Bois un coup !
M. Jean-Philippe Tanguy
Au terme de sept ans d’erreur, après avoir choisi le pire, allez-vous enfin choisir le meilleur des biens ?
Mme Prisca Thevenot
Faites donc des propositions !
M. Jean-Philippe Tanguy
Nous pensons que vous en êtes capable, car la famille de pensée que vous représentez, les chrétiens-démocrates, a les valeurs nécessaires au sursaut. Nous n’oublions pas que le Modem a toujours défendu en paroles, et souvent en actes, une démocratie saine et pluraliste, une moindre injustice sociale et fiscale, une vision fraternelle et humaniste pour notre pays.
Vous avez, par le passé, eu la force de dénoncer les oligarques du régime et le pillage des biens publics, comme la privatisation des autoroutes. Vous avez, avant d’autres, dénoncé la ruine de l’État, la spoliation des classes moyennes et des entrepreneurs, le tonneau des Danaïdes de la bureaucratie. Il serait injuste de ne pas porter ces combats à votre crédit, mais il serait d’autant plus impardonnable que vous ne mettiez pas aujourd’hui ces principes au bénéfice de la nation, alors que vous avez le pouvoir en main.
Hélas, à écouter votre discours ce jour, je nourris des espoirs bien rachitiques. Dans l’attente de votre décision de rompre avec le macronisme, nos compatriotes ont tiré, à une large majorité, leurs propres conclusions de leurs désillusions. Vous ne bénéficiez d’aucun état de grâce : à peine 20 % des Français soutiennent une action qui n’a même pas commencé, car ils craignent qu’elle n’ait déjà que trop duré.
La France et nos concitoyens tiennent debout et avancent malgré vous, en dépit de vous, et même désormais contre vous. Hélas, nos compatriotes ne se détournent pas seulement de la macronie : ils se demandent si la France dispose encore d’un État capable de les protéger. Peut-on leur donner tort ?
À Mayotte, face à la tragédie de l’ouragan Chido et de la tempête Dikeledi, existe-t-il encore un État ? Au Rassemblement national, nous croyons qu’il existe, à travers les fonctionnaires, les agents, les soignants, les enseignants, les forces de l’ordre, les élus locaux. Cet État existe, à travers les deux admirables députées de Mayotte : notre sœur de combat, députée Rassemblement national, Anchya Bamana (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR), et notre collègue du groupe LIOT, Estelle Youssouffa (Mêmes mouvements), deux parlementaires éminemment courageuses qui portent haut les valeurs de la France. Toutes et tous sont l’honneur de notre pays, un honneur à la hauteur de l’amour des Mahorais pour notre nation, Français par le cœur, par la volonté et par l’histoire depuis 1841.
Or vous, macronistes, qu’avez-vous fait de cet amour ? Faut-il que notre pays soit insulté, qu’on veuille l’humilier et le submerger comme le fait le régime comorien pour mériter votre respect ? Faut-il des émeutes, des violences, des crachats sur les valeurs de la République pour obtenir le respect de la part d’un pouvoir indigne de la France ? En réalité, les Mahorais ressentent le même mépris que tous les honnêtes gens sur nos territoires, cette immense douleur de l’abandon, de l’injustice et du désordre.
Face à la pire des tragédies, votre gouvernement et vous continuez de mentir sur la population à Mayotte – vous venez encore de le faire dans votre discours. Vous mentez, avec des visites Potemkine et des annonces médiatiques rassurantes pour l’Hexagone, mais qui dissimulent en réalité la détresse, la tragédie que vivent les Mahorais. Vous mentez sur tout : sur l’électricité, sur les vivres, sur l’eau, sur l’école, sur les soins, sur la sécurité, sur la submersion migratoire, et même – c’est sans doute le pire – sur la gravité du bilan humain de cette catastrophe.
Comment est-il possible que la sixième puissance mondiale ne soit toujours pas capable de dire aux Françaises et aux Français combien nous devons pleurer de morts à Mayotte ? Il est inacceptable qu’au bout d’un mois, la situation soit encore celle-là ! Nulle part ailleurs sur le territoire les Français n’accepteraient d’ignorer à quel point nous sommes endeuillés, combien nous devons pleurer de disparus.
Nous n’acceptons pas, monsieur Bayrou, ces mensonges d’État, le plan au rabais que vous avez proposé et ces promesses jamais tenues. Nous n’acceptons pas que le contrôle total de l’immigration, la suppression du droit du sol à Mayotte et la destruction définitive des bidonvilles ne soient pas le préalable à tout véritable plan de redressement pour l’île. Force est de constater que seule Marine Le Pen aura la détermination d’appliquer l’égalité républicaine à Mayotte ; la priorité nationale est le seul principe à même de restaurer un ordre juste et de bâtir un avenir pour toute la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Notre exigence de fraternité, de solidarité et de dignité envers Mayotte est une ligne rouge. Si elle n’est pas scrupuleusement respectée, le groupe Rassemblement national vous censurera. Pour le reste, les lignes rouges que notre groupe avait fixées avec Marine Le Pen et Jordan Bardella demeurent les mêmes ; elles n’ont jamais varié et ne varieront pas. Nous n’acceptons pas que se poursuivent et s’aggravent l’effondrement régalien de la France, la submersion migratoire et l’ensauvagement de la société, qui a fait bien trop de victimes. Les titres ronflant des grands ministres d’État n’y feront rien, si la politique que vous menez ne change pas de dimension.
Bien sûr, les mots de Bruno Retailleau sont les nôtres et ceux de Gérald Darmanin nous débordent parfois même sur notre droite (Exclamations sur les bancs des groupes EcoS et GDR), avec les excès de zèle des nouveaux convertis ou des réminiscences de leur lointaine jeunesse. Hélas, les actes ne suivent pas, puisque vous avez les pieds et les poings liés par votre propre majorité, par un gouvernement abusif des juges et par une démocratie européenne qui ne cesse de s’immiscer dans nos affaires.
À cet égard, la pitoyable mascarade de l’expulsion ratée de l’agent de haine Doualemn est l’humiliation de trop. Elle a la même cause que la prise d’otage que constitue l’enfermement abject de Boualem Sansal et, avec lui, de ses idées lumineuses, qui devraient être le véritable lien avec le grand peuple algérien.
Mais quel respect pourriez-vous espérer des gérontes du régime d’Alger, Emmanuel Macron ayant alterné en quelques mois, en 2017, l’éloge de la colonisation et l’insulte à notre histoire en prétendant que la France avait commis des crimes contre l’humanité ?
Mme Sabrina Sebaihi
C’est pourtant vrai !
M. Jean-Philippe Tanguy
Quel respect espérer quand un ministre de l’intérieur, désormais garde des sceaux, dépose une gerbe bleu, blanc, rouge devant la stèle du FLN – Front de libération nationale –, qui a assassiné tant d’innocents ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Croyez-vous que vous serez plus respecté en copiant le programme de Marine Le Pen, à savoir la dénonciation des accords de 1968 ? Même sur un tel sujet, ceux qui hier insultaient le Rassemblement national – dans l’ordre, Laurent Wauquiez, Édouard Philippe et Gabriel Attal – se soumettent maintenant à nos diagnostics et à nos solutions.
Ainsi, la ligne rouge que Marine Le Pen avait tracée pour Michel Barnier reste inchangée : nous exigeons une véritable loi de contrôle de l’immigration, une vraie politique contre l’insécurité, une vraie diplomatie qui fasse respecter la France, trois sujets dont personne, à part les fanatiques de gauche, n’ose persister à affirmer qu’ils ne sont pas intimement liés.
Reste la mère des batailles parlementaires : le budget, dont dépend le financement de toute votre politique – ou, en l’occurrence, de votre inertie. Vous vous accrochez à tous les tabous qui, depuis cinquante ans, expliquent les déficits budgétaires ; comment pouvez-vous sérieusement penser obtenir un résultat différent ?
Le tabou de la submersion migratoire, d’abord. Votre obsession à défendre l’AME à tout prix alors qu’il existe sur ces bancs une majorité pour la remplacer par une aide médicale d’urgence confine au fanatisme immigrationniste.
Le tabou de notre contribution à l’Union Européenne, ensuite, celui – qui lui est lié – de la facture énergétique et du marché européen de l’électricité, celui du coût délirant de la bureaucratie.
S’agissant de ce dernier, vous avez annoncé la création d’un fonds de modernisation de l’État. Il existe depuis 2017 ! Lui adjoindre de l’intelligence artificielle ne le rendra pas plus efficace !
Le seul frémissement observé, depuis quelques mois, concerne le tabou de la fraude, contre lequel une autre victoire – bien mince – a été remportée avec les quelques mesures prises sous la pression du Rassemblement national. Nos lignes rouges demeurent donc.
Le Rassemblement national se félicite de l’indexation des retraites, de l’abandon du déremboursement des médicaments – annoncé aujourd’hui – et de l’octroi de moyens pour nos soignants et pour l’hôpital. C’est une grande victoire de Marine Le Pen qui, seule, a respecté sa parole envers les Français quand vous tous, macronistes et Républicains, l’aviez trahie. (Applaudissement sur les bancs du groupe RN.)
M. Antoine Léaument
Menteur ! Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Philippe Tanguy
Nous refusons encore et toujours toute hausse d’impôt globale tant que de vraies économies structurelles ne sont pas réalisées ! Restaurer la justice fiscale ne consiste pas seulement à faire contribuer davantage les plus privilégiés, mais aussi et surtout à baisser à due proportion la fiscalité des classes moyennes et populaires !
Les gilets jaunes, que vous avez évoqués, étaient en rupture de ban avec votre politique fiscale confiscatoire, notamment avec la fiscalité sur le carburant, le fioul et le gaz. Pour répondre à leurs demandes, il convient de vous aligner sur nous et de faire passer le taux de la TVA sur ces énergies de 20 à 5,5 %. S’il ne s’agit pas d’une des lignes rouges que nous avions tracées, c’est une évidence que vos propos nous permettent de rappeler. Plutôt que d’étudier les cahiers de doléances, baissez la TVA et les dépenses contraintes afin que la France du travail puisse vivre ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)
Nous déplorons que vous ne présentiez rien, désespérément rien, à la France du travail. La Macronie avait promis que la suppression des allégements de charges mènerait à la disparition des trappes à bas salaires et à l’augmentation des salaires. Il n’en sera rien !
La Macronie avait promis de favoriser l’industrie en baissant les impôts de production et en réformant les règles ineptes du marché européen de l’électricité. Il n’en sera rien !
La Macronie avait promis aux agriculteurs qu’ils bénéficieraient enfin de prix rémunérateurs, qu’ils seraient libérés de la bureaucratie et que les interdictions de produits phytosanitaires, qui mènent à l’extinction de filières entières sur notre sol, seraient levées. Il n’en sera rien !
M. Pierre Cordier
Il n’en sera rien à cause du vote de la motion de censure !
M. Jean-Philippe Tanguy
La France du travail, les Français qui produisent des richesses sont à l’agonie, monsieur Bayrou. Le fossé entre l’économie réelle et la spéculation a rarement été aussi profond. Alors que les défaillances d’entreprises se multiplient et que nous subissons une énième vague de désindustrialisation, les multinationales affichent un niveau record de dividendes versés et de rachats d’actions frôlant les 100 milliards d’euros, soit une hausse de plus de 60 % depuis 2019. Les surprofits ne sont plus exceptionnels : ils sont devenus la norme, au détriment de l’investissement, de la recherche et des salaires.
Le désordre régalien macroniste engendre immanquablement un désordre économique et social. Autrement dit, monsieur le premier ministre, pour commencer à redresser la France, il faut enfin rompre avec le macronisme. Le voulez-vous ? Le pouvez-vous ? Je crois que non !
« Ce n’est rien », disait Henri IV, ne voyant pas que le coup de Ravaillac était hélas mortel. Même le meilleur des rois ne peut maîtriser des tragédies qui dépassent sa personne. Ainsi que le disait Charles de Gaulle, dans un drame où chaque peuple joue sa vie, il faut que des hommes de cœur aient le courage de voir les choses en face, de les dire avec franchise, et surtout d’agir. Aussi disons-nous aux Français : tenez bon, on arrive ! (Les députés du groupe RN se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs du groupe UDR, dont quelques députés se lèvent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Gabriel Attal.
M. Gabriel Attal, (EPR)
Que retiendront les Français ? Que retiendront les Français de ces derniers mois, durant lesquels il a été demandé aux responsables politiques de sortir de leurs postures pour agir, travailler et avancer ? Que retiendront les Français de cette période singulière où, au lieu de s’opposer matin, midi et soir, la politique française pourrait enfin s’élever à la hauteur du moment ? Que retiendront les Français de cette période inédite où toutes nos certitudes ont été remises en question ?
L’avenir le dira, mais si j’ai aujourd’hui une certitude, c’est celle-ci : la politique, les Français nous le disent et nous le répètent, est un champ de ruines.
Mme Christine Arrighi
À qui la faute ?
M. Gabriel Attal
Je l’ai déjà dit à cette tribune, le bilan de ces derniers mois n’est pas à l’avantage du jeu politique et de ceux qui l’alimentent. Je ne reviendrai pas sur les causes de tout cela : elles mériteraient que chacun d’entre nous fasse son introspection.
M. Pierre Cordier
C’est le droit d’inventaire…
M. Gabriel Attal
Mais en politique, rien n’est jamais définitif, rien n’est jamais impossible, pour peu qu’on ait envie d’y croire et qu’on soit sincère. Ainsi ces temps incertains nous offrent-ils une occasion historique : celle de nous hisser à la hauteur du moment et d’agir dans l’intérêt du pays.
Quel est-il aujourd’hui ? Plus encore aujourd’hui qu’hier, l’intérêt du pays, c’est la stabilité. Non comme un fantasme, un concept vide ou une obsession, mais parce que la stabilité, c’est l’assurance-vie de la France. Sans elle, rien ne tient, ni notre économie, ni nos institutions, ni l’avenir que nous voulons construire pour notre pays.
La France n’a été forte que lorsque la stabilité lui a permis d’accomplir son destin, qui est grand, tellement grand.
M. Antoine Léaument
Ce n’est pas vrai !
M. Gabriel Attal
La France a été forte au sortir de la seconde guerre mondiale lorsque l’union nationale a permis de relancer et de rebâtir un pays miné, traumatisé, défiguré par la guerre. La France a été forte avec le général de Gaulle, bâtisseur en chef d’une France moderne, qui a inventé la Ve République pour nous débarrasser du chaos de l’instabilité.
M. Antoine Léaument
Ce n’est pas une réussite !
M. Gabriel Attal
La France a été forte lorsqu’elle a vécu des traumatismes. Nous commémorons cette année les dix ans de Charlie Hebdo et des attentats de 2015 : malgré ce séisme et malgré les coups de boutoir de l’islamisme, nos institutions ont tenu, notre peuple et notre pays ont tenu. Je veux redire que le combat contre l’antisémitisme, le racisme et les discriminations – qui est un combat pour les valeurs de la République et pour l’universalisme – doit continuer à nous rassembler le plus largement possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs des groupes DR et Dem.)
La France est forte quand elle est stable. Redonner à la France sa force, voilà l’objectif que depuis 2017, nous poursuivons inlassablement avec mon groupe, animés par la conviction que nous l’atteindrons à force de travail et par le travail. Valoriser le travail, toujours et partout. À la différence d’autres groupes de cet hémicycle, nous pensons que c’est avec plus de travail, plus d’activité, plus d’emplois que nous nous en sortirons et non par le droit à la paresse, une réduction de la quantité de travail ou la retraite à 60 ans. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et DR.)
Mme Justine Gruet
Eh oui !
M. Gabriel Attal
La valeur travail est devenue une ligne de frontière de la politique française. Ma famille politique et moi assumons de la défendre vraiment face à l’extrême droite qui s’oppose, avec la plus absolue des constances, à tout ce qui permet de travailler plus.
Mme Justine Gruet
Les députés du Rassemblement national sont partis !
M. Gabriel Attal
La réforme de l’assurance chômage ? L’extrême droite s’y est opposée. La réforme des retraites ? L’extrême droite n’a qu’une obsession, la mettre à terre. La création de quinze heures d’activité pour les bénéficiaires du RSA ? L’extrême droite la refuse, quand bien même la moitié de ses bénéficiaires ont pu trouver un emploi grâce à cet accompagnement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR. – Mme Justine Gruet applaudit également.)
Les mesures de soutien à nos entreprises, de baisse de la fiscalité pour rendre nos entreprises plus compétitives ? L’extrême droite a voté contre ! Avec constance, le Rassemblement national s’est systématiquement opposé à tout ce qui permet de valoriser le travail et de sortir des centaines de milliers de Français du chômage et de la précarité – mais cela, jamais il ne le dira aux Français des classes moyennes qui triment et qui n’ont que leur travail pour s’en sortir.
Mme Prisca Thevenot
Ils n’aiment pas le travail !
M. Gabriel Attal
Je veux aussi dire à la gauche…
Mme Justine Gruet
Où est-elle ?
M. Gabriel Attal
…que beaucoup de Français ne la comprennent plus, car le « travailler plus », c’est aussi un héritage de la gauche ! La réforme des retraites, c’est aussi un héritage de la gauche !
Mme Olivia Grégoire
Eh oui !
M. Gabriel Attal, Président EPR
En 2013, cette gauche réaliste, cette gauche moderne, qui ne craignait pas le travail, a réformé les retraites avec Marisol Touraine, car elle savait qu’il n’y avait pas d’alternative au fait de travailler davantage. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe DR. – Protestations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Puisque nous parlons de travail et de retraites, j’ai bien entendu, monsieur le premier ministre, vos mots sur la réforme des retraites. Je veux saluer sincèrement votre position courageuse : le compromis consiste à pouvoir s’entendre malgré les différences.
Notre groupe a défendu courageusement la réforme des retraites, alors même que c’était difficile et que cette réforme était impopulaire – et même très impopulaire. Je veux rendre hommage aux députés de nos groupes,…
M. Hervé Berville
À Olivier Dussopt !
M. Gabriel Attal
…mais aussi à tous ceux qui, dans cet hémicycle, l’ont soutenue et à tous ceux qui, sans l’avoir soutenue hier – ayant préféré à l’époque contraindre le gouvernement à utiliser l’article 49.3 puis voter la motion de censure – ont aujourd’hui fait le choix de la défendre, avec une ardeur qui ne peut que nous réjouir. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.)
C’était impopulaire, c’était difficile. Pourtant, nous l’avons fait, parce que les chiffres sont têtus. Avant d’être une question politique, les retraites posent une simple question mathématique : comment financer de plus en plus de retraites et de déficits avec une population active qui a cessé de croître ?
Certains disent que si nous ne faisons rien, nos retraites ne pourront plus être financées dans quelques années. La réalité est que nos retraites ne sont déjà plus financées aujourd’hui ! Elles sont en grande partie payées par la dette. Les pensions de nos retraités ne sont pas seulement financées par les cotisations de ceux qui travaillent, mais par une dette contractée sur chaque enfant qui naît aujourd’hui en France. Qui peut accepter cette situation au nom d’une prétendue égalité entre les citoyens ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Mme Prisca Thevenot
Pas nous !
M. Gabriel Attal
La réforme de 2023, qui est entrée en vigueur, correspond à la logique que je viens d’énoncer : plus de travail et moins de déficits. Tout en défendant cette réforme, qui était vitale, je reconnais que toute réforme est par nature perfectible. Je sais qu’en politique, les certitudes sont des prisons. Dès lors, monsieur le premier ministre, nous participerons assurément à un travail sur l’amélioration de cette réforme. Nous saluons votre sens des responsabilités et du dialogue, et nous sommes nous aussi ouverts à la discussion.
Si des améliorations sont possibles, notamment pour les carrières longues ou hachées et pour la retraite des femmes, nous les soutiendrons. Mais, je le dis à ceux qui veulent purement et simplement abroger cette réforme, ou la suspendre sans alternative crédible immédiate et sans se soucier des répercussions d’un tel scénario, dans ma famille politique, nous ne sommes pas des adeptes du saut en parachute, surtout lorsqu’il n’y a pas de parachute. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – Mme Justine Gruet applaudit également.)
Notre pays ne peut tout simplement pas se le permettre. Je sais que tout cela peut porter à confusion pour les Français qui voient défiler des mots – suspension, abrogation, annulation – dont personne ne sait vraiment à quoi ils correspondent.
Pour notre part, nous essayons d’être clairs, c’est-à-dire d’éviter de polluer le débat public. Avec les députés Ensemble pour la République, nous avons fait le choix de privilégier l’efficacité au sensationnalisme, la discussion sincère à la politique spectacle. Voilà pourquoi ces derniers jours, nous n’avons pas campé matin, midi et soir sur les plateaux de télévision pour multiplier les oukases, les lignes rouges et les menaces avant même que le premier ministre ne se soit exprimé.
Mme Olivia Grégoire
Exactement !
M. Gabriel Attal
Être clair, c’est être responsable. Nous faisons le choix d’être responsables politiquement et économiquement.
Être responsable économiquement, c’est avoir le courage de dire qu’on ne peut pas se permettre d’abroger ou même de suspendre sans alternative cette réforme : nous n’en avons tout simplement pas les moyens. (Mme Olivia Grégoire applaudit.)
Être responsable politiquement, c’est avoir le courage de dire qu’aucune réforme n’est parfaite et accepter de discuter et de faire des compromis pour améliorer celle-ci.
La clarté consiste aussi à dire la vérité aux Français : c’est par le travail et par le rétablissement de nos comptes que nous redeviendrons le pays le plus prospère d’Europe, ce qui doit être notre objectif. Ce n’est que par le travail et par le rétablissement de nos comptes que nous amplifierons la réindustrialisation,…
M. Arnaud Le Gall
Vous avez tout vendu !
M. Gabriel Attal
…la baisse du chômage et la croissance de l’activité qui étaient enfin revenus au cœur du modèle français avant que l’instabilité et l’incertitude ne viennent menacer ces acquis. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Gabriel Attal
Dire la vérité aux Français, c’est aussi leur expliquer qu’il n’existe pas de solution alternative au fait de travailler davantage – ou plutôt si, il en existe deux : baisser le niveau des retraites ou augmenter les cotisations. Dans les deux cas, c’est du pouvoir d’achat en moins.
Par conséquent, ceux qui, à gauche ou à l’extrême droite, veulent en finir avec cette réforme doivent avoir le courage de dire aux Français que cela se traduira par des impôts plus élevés ou par des pensions de retraite plus basses.
La clarté oblige aussi à poser un constat fondamental : nous devons aller de l’avant et agir avec méthode. Cela signifie qu’il faut sauver ce qu’il y a à sauver – notre budget et notre système de protection sociale – et avancer sur quelques chantiers vitaux pour les Français.
Je le dis avec humilité, mais aussi avec sincérité : ne perdons pas de temps à discuter de l’abrogation ou de la suspension, sans solution alternative, de réformes vitales pour le pays ; car à la fin, nous laisserions de côté les urgences des Français.
Ne perdons pas de temps pour nos agriculteurs, qui, il y a tout juste un an, se rejoignaient sur les barrages et sur les autoroutes…
Mme Prisca Thevenot
Il a raison ! Il est bon !
M. Gabriel Attal
…pour manifester leur mal-être et leur impatience.
M. Paul Vannier
Surtout pour manifester contre vous !
M. Gabriel Attal
À l’époque, nous avions pris des engagements. Une grande partie d’entre eux ont été tenus – ils pouvaient l’être par décret. Les autres doivent l’être à la fois dans le budget et dans la loi agricole que nous avions fait voter à l’Assemblée nationale. La dissolution, puis la censure, ont fait perdre un temps précieux, vital pour nos agriculteurs (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Arnaud Le Gall
Vous accusez les autres, comme d’habitude !
M. Gabriel Attal
Nous le disons solennellement : reprenons au plus vite la loi agricole. Je sais tout le travail que vous accomplissez, madame la ministre, mais dans les corps de ferme, les agriculteurs ne peuvent plus attendre.
Ne perdons pas de temps pour nos concitoyens qui n’en peuvent plus de l’insécurité et de l’impunité. Voilà dix-huit mois, des émeutes ont traumatisé les Français tant par la violence des images que par la jeunesse des délinquants impliqués. Un mineur reste un mineur et doit être jugé comme tel. Cependant, il y a urgence à être plus ferme, plus sévère, plus dur avec ceux qui ne respectent plus rien ni personne.
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Comme Emmanuel Macron !
M. Gabriel Attal
J’assume de le dire : un agresseur récidiviste de 16 ou 17 ans doit, comme celui de 18 ans, être jugé et sanctionné immédiatement et non un an plus tard. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.) Je sais que le garde des sceaux partage ce combat et vous remercie, monsieur le premier ministre, d’avoir annoncé que vous le mèneriez.
Ne perdons pas de temps pour la simplification ni pour la réforme de l’État, qui nécessite du courage politique et des économies de structure. À cet égard, je veux rendre hommage au travail de notre collègue Guillaume Kasbarian. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Prisca Thevenot
Excellent !
M. Gabriel Attal
Alors ministre de la fonction publique, il avait lancé un ambitieux chantier pour lutter contre l’absentéisme dans la fonction publique et rétablir les jours de carence.
Mme Mathilde Panot
L’admirateur de Musk !
M. Gabriel Attal
Ce que nous avons entendu s’agissant de l’avenir de cette mesure nous inquiète, car cela ressemble à un renoncement à l’action qui avait été amorcée. C’est le courage de la réforme qui doit nous guider. Or nous estimons que cette mesure va dans le bon sens, celui des économies, de la justice et de la réforme.
Ne perdons pas non plus de temps pour conduire différents chantiers qui ont fait l’objet de discussions et qui ont mûri, parfois depuis plusieurs années. Je pense à la question de la fin de vie.
M. Olivier Falorni
Ah ! Très bien !
M. Gabriel Attal
Oui, il est urgent d’aller de l’avant. Avançons pour les Français. Nous y sommes prêts et plus que jamais déterminés. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.)
Je le dis à chacun, notamment à mes collègues socialistes – ils sont absents, mais je les excuse, car ils doivent être en réunion de groupe (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP) : si vous vous engagez à ne pas voter la censure, les Français pourront reprendre espoir.
M. Jean-François Coulomme
Ce sont vos amis !
M. Thibault Bazin
Espérons qu’ils vous entendent !
M. Gabriel Attal
Espoir d’une vie politique française responsable, qui se hisse à la hauteur des événements et ne soit plus l’otage d’une extrême droite qui tente d’imposer ses diktats à notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme Prisca Thevenot
Excellent !
M. Gabriel Attal
C’est la conviction de mon groupe depuis le premier jour et je la partage avec sincérité et honnêteté : oui, la politique en sortirait grandie si vous choisissiez de vous détacher de la gauche la plus radicale pour œuvrer enfin au service de l’intérêt général. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
La France est dans une période à risque, à très haut risque. Il suffirait d’un rien – d’un presque rien – pour que le pays bascule. Ne soyons pas les artisans de ce basculement. Dans un tel contexte, trois chemins s’offrent aux députés que nous sommes.
Le premier chemin est celui du chaos, du « après moi le déluge ». C’est celui qu’empruntent les extrêmes, aux deux bouts de cet hémicycle,…
Mme Marie Mesmeur
C’est vous qui avez provoqué le déluge !
M. Gabriel Attal
…eux qui, il y a quelques semaines à peine, ont uni leurs voix pour renverser le gouvernement et plonger le pays dans l’instabilité.
M. Sébastien Delogu
Avec vos amis du PS !
M. Gabriel Attal
Ce chemin est définitivement celui de l’extrême gauche, qui n’a qu’un seul projet : saborder nos institutions pour instaurer son chaos, plonger le pays dans le malheur pour installer son projet délirant, piétiner nos valeurs les plus élémentaires, celles de la liberté, de l’égalité, de la fraternité et de la laïcité pour y substituer le communautarisme et le séparatisme politique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Sébastien Delogu
Va travailler, tu parleras après !
M. Gabriel Attal
Toujours nous vous combattrons, aussi bien dans les urnes, comme en ce moment même dans la première circonscription de l’Isère, qu’ici, à l’Assemblée nationale, et partout dans le pays.
M. Paul Vannier
Ensuite, il faut accepter le résultat des élections !
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Ça ne peut pas être à géométrie variable !
M. Gabriel Attal
Le deuxième chemin est celui du dépit, de l’abandon, du « on n’y arrivera jamais ». C’est celui des lignes rouges qu’on se jette à la figure, du refus de dialoguer sous prétexte qu’on n’est pas d’accord au départ,…
M. Paul Vannier
Du 49.3 ?
M. Gabriel Attal
…celui de l’insincérité et du chacun pour soi. De notre côté, nous n’abandonnerons jamais tant que nous n’aurons pas trouvé une solution, une voie, un chemin pour s’entendre et pour aller de l’avant.
Car entre le chaos et le dépit, il existe un troisième chemin : celui du courage. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Le courage de dire la vérité aux Français. Le courage de leur dire que nous n’y arriverons pas et que notre pays ne s’en sortira pas si nous renonçons à travailler plus et à dépenser moins. (Mêmes mouvements.) Le courage de dire que nous n’avons pas tout bien fait mais aussi, quand la France avance, de le reconnaître.
Mme Alma Dufour
Le courage de la mise au vote ?
M. Gabriel Attal
Le courage de parler à ceux avec qui l’on n’est pas d’accord, celui d’être fidèle à ses valeurs et donc de continuer à les porter haut et fort.
Le courage de faire des pas vers l’autre, des compromis pour s’entendre. Celui d’être responsables et clairs.
Alors, monsieur le premier ministre, autour de la feuille de route que vous venez de présenter, nous allons emprunter, avec tous les députés de mon groupe, ce troisième chemin : celui de l’action et du courage. Car il n’y a pas une minute à perdre. Derrière les orientations que vous avez tracées, derrière le compromis pour lequel vous vous battez, mon groupe sera toujours du côté de l’action et des solutions.
La France et les Français attendent des actes.
M. Paul Vannier
La démission de Macron !
M. Pierre-Yves Cadalen
L’abrogation de la réforme des retraites !
M. Gabriel Attal
Soyons à la hauteur des attentes des Français et des mandats qu’ils nous ont confiés.
M. Paul Vannier
Acceptez le résultat des élections !
M. Gabriel Attal
Soyons à la hauteur de la situation de la France et des défis qui se présentent à nous. Car nous devons écrire l’avenir – un avenir français. Dans cet avenir, la France montre le chemin de la transition écologique et de la protection de notre biodiversité.
Mme Sandrine Rousseau
Le réchauffement climatique, toujours pas ?
M. Gabriel Attal
Dans cet avenir, la France est à la pointe de l’intelligence artificielle, pionnière des technologies de demain.
Dans cet avenir, nos services publics se redressent, la santé innove et notre école forme des générations de jeunes prêts à faire briller le pays. Dans cet avenir, on cesse de penser le travail comme il y a trente, quarante ou cinquante ans.
Mme Clémence Guetté
Vous ne croyez rien de tout ce que vous racontez !
M. Gabriel Attal
Dans cet avenir, dessiné par l’exception culturelle française, notre pays montrera qu’il est capable, une fois de plus, de se rassembler, de s’unir et d’éblouir le monde.
Mme Sandrine Rousseau
Vous savez qu’il y a une catastrophe qui arrive ?
M. Gabriel Attal
Car j’en suis sûr, et je le sais : la France a encore ses plus belles pages à écrire.
Mme Marie Mesmeur
Elle ne veut plus de vous !
M. Gabriel Attal
Alors, ressaisissons-nous ! Donnons à notre pays la stabilité dont il a besoin. Donnons aux Français la liberté et les opportunités qu’ils attendent.
Monsieur le premier ministre, comptez sur nous. Nous serons au rendez-vous de la responsabilité. Pensons à la France avant de penser à nous. (Les députés du groupe EPR et de nombreux députés du groupe Dem se lèvent pour applaudir. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes DR et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Mathilde Panot.
Mme Mathilde Panot (LFI-NFP)
Présidente, ministres, collègues. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes EPR et DR.)
Mme Justine Gruet
Et pourquoi pas des onomatopées ?
Mme Mathilde Panot
Monsieur le premier ministre, vous attendiez désespérément votre heure. Elle est venue et vous ne respectez rien – ni le résultat des urnes, ni la souveraineté du peuple.
Mme Justine Gruet
Vous n’êtes pas majoritaires ! Est-ce que ça va finir par rentrer ?
Mme Mathilde Panot
Votre gouvernement recycle les artisans du malheur de la France pour jouer dans la morosité le requiem de la Macronie. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Nous n’avions jamais vu un gouvernement avec un premier ministre imposé, deux anciens premiers ministres figurant à ses côtés. L’un est tristement connu pour la déchéance de nationalité et la loi travail, mais aussi pour avoir déjà trahi le résultat d’un vote. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Battu en France, il s’en était allé perdre les élections en Catalogne avant de revenir dans votre gouvernement de défaites et de défaits. L’autre est réputée pour le passage en force de l’indigne réforme des retraites – menée contre l’Assemblée nationale, contre les syndicats et contre le peuple – et la répression du plus grand mouvement social depuis Mai 68. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Jean-Luc Bourgeaux
Le disque est rayé !
Mme Mathilde Panot
À eux deux, ils ont battu, quelque quarante ans après, le record du nombre d’utilisations du 49.3.
Votre ministre de l’intérieur s’est illustré par ses déclarations racistes en qualifiant une partie de nos concitoyens de « Français de papier ». Il s’improvise en diplomate avec l’Algérie mais n’est finalement qu’un piètre agitateur. (Mêmes mouvements.)
M. Pierre Cordier
Écoutez ce que les Français disent sur le terrain !
Mme Mathilde Panot
Pour qui se prend Bruno Retailleau, à vouloir provoquer une tension insupportable pour des millions de Français qui vivent une relation directe d’affection et de fraternité respectueuse avec le peuple algérien ? (Mêmes mouvements.)
M. François Cormier-Bouligeon
Mais bien sûr…
M. Pierre Cordier
Il faudrait sortir un peu le dimanche !
Mme Mathilde Panot
Autour de vous figurent les acteurs d’une Ve République finissante, arc-boutée sur la défense du monarque présidentiel contre l’expression du suffrage universel et la souveraineté populaire. La leçon de l’été dernier a pourtant le mérite de la clarté : Macron doit partir après la troisième élection perdue depuis 2022. (Mêmes mouvements.)
M. Emeric Salmon
Vous avez voté pour lui !
Mme Mathilde Panot
Son fameux « projet » – comme il le hurlait en 2017 – est massivement rejeté par les Français. Démanteler la République sociale, affaiblir les services publics, comprimer davantage les salaires, gouverner par la matraque, ignorer l’urgence écologique, concentrer le pouvoir et les richesses dans une poignée de mains, humilier la France à l’international : le pays est épuisé de ce président et de sa politique.
Mme Olivia Grégoire
Et de vous !
Mme Mathilde Panot
Vous ne respectez pas le suffrage universel et vous abaissez la France. Lorsque des membres de votre gouvernement et vous-même rendez plus ou moins discrètement hommage à Jean-Marie Le Pen, vous vous asseyez sur le sens du scrutin du 7 juillet dernier. (Mêmes mouvements.)
Mme Sophia Chikirou
Bon retour à la maison, les censeurs !
Mme Mathilde Panot
Le peuple de France a battu l’extrême droite car il se rappelle de quel bois elle est faite.
M. Pierre Cordier
Hors sujet !
Mme Mathilde Panot
Nos concitoyens se rappellent que Jean-Marie Le Pen a fondé son parti avec d’anciens Waffen-SS, qu’il a qualifié à de multiples reprises la Shoah de « détail de l’histoire », qu’il a torturé en Algérie (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS) et qu’il était un raciste patenté et un ennemi de la République. La participation de quinze députés du Rassemblement national à deux groupes Facebook ouvertement et profondément racistes nous rappelle qu’ils n’ont pas rompu avec cette origine. (Mêmes mouvements.)
M. Philippe Vigier
Et vous avez voté eux une motion de censure !
M. Pierre Cordier
Un peu de décence ! Vous avez voté la motion avec eux !
Mme Mathilde Panot
Non, monsieur le premier ministre, Jean-Marie Le Pen n’est pas un « combattant » dont on peut saluer la disparition comme si l’on perdait un partenaire de jeu. C’était un adversaire résolu des principes qui fondent la République et notre devise universelle : Liberté, égalité, fraternité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Peut-être cette devise ne sied-elle plus au président de la République, qui, selon le journal Le Monde, considère que le problème des urgences tient au nombre de « Mamadou » qui s’y trouvent…
M. François Cormier-Bouligeon
Et alors ? Qu’avez-vous contre les Mamadou ? Vous êtes raciste ?
Mme Mathilde Panot
…ou confie au rédacteur en chef de Valeurs actuelles que le terrain de l’extrême droite est celui qu’il préfère. On comprend mieux pourquoi le président de la République a été déçu des résultats de la dernière élection : contrairement au pays, c’est l’extrême droite qu’il souhaitait voir arriver au pouvoir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Quant à vous, ancien centriste repenti, dernier des radicalisés de la Macronie, vous voici à animer la dernière ligne de défense d’une politique sans partisan ni avenir. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.) La fête sera de courte durée.
Car le bilan de sept ans de Macronie est déjà connu : vous avez ramené la France à l’état d’un pays qui a faim. Une personne sur trois se prive régulièrement de repas pour nourrir ses enfants. Le nombre de personnes ayant besoin de solliciter l’aide alimentaire a triplé en dix ans. J’ajoute que le scorbut est de retour. On compte en effet des centaines de cas alors que nous sommes au XXIe siècle. Je rappelle que cette maladie de la misère et de la malnutrition se développe chez des enfants lorsqu’ils n’ont mangé aucun fruit et légume pendant deux mois.
Mme Marie Mesmeur
Quelle honte !
Mme Mathilde Panot
Or vous n’avez jamais daigné bloquer les prix des aliments de première nécessité. Cette maladie est le symbole de votre politique de malheur. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également.)
M. Laurent Croizier
Si vous étiez au pouvoir, tous les Français seraient touchés !
Mme Mathilde Panot
Vous incarnez le pays dans lequel se soigner est devenu presque impossible. Après un siècle de lutte pour établir la solidarité universelle, on fait mourir sur des brancards et partout, on prive de soins.
Vous incarnez le pays dans lequel l’école ne permet plus à la majorité des enfants d’étudier sans avoir le ventre vide ou être confrontés à des murs qui s’effondrent, ou tout simplement en ayant un enseignant devant eux.
M. François Cormier-Bouligeon
Arrêtez ! C’est n’importe quoi !
Mme Mathilde Panot
Décidément, vous ne respectez rien, pas même quand Mayotte connaît la pire catastrophe de son histoire. Votre premier acte, monsieur le premier ministre, aura été de voler vers Pau alors qu’une réunion d’urgence se tenait pour planifier l’aide à apporter aux Mahorais.
Vous avez mis la Nouvelle Calédonie-Kanaky à feu et à sang. Vous avez réprimé de la pire manière les mobilisations populaires contre la vie chère en Martinique. Avez-vous entendu le président de la République s’adresser aux Mahorais en leur disant qu’ils seraient « dix mille fois plus dans la merde » s’ils n’étaient pas en France ? Qui peut accepter que le chef de l’État parle ainsi ? Qu’il s’en aille une bonne fois pour toutes et qu’on ne le revoie plus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
L’hôpital est en ruines, l’école en lambeaux, Mayotte à terre. Dans ce département, la population, composée pour moitié d’enfants, se retrouve à manquer de tout : d’eau, de nourriture, d’électricité et d’un toit sur la tête. Pendant ce temps, vous pensez encore à faire 50 milliards d’économies dans le cadre d’un budget pire que celui de M. Barnier.
Pire budget, même tarif : la censure. (Mêmes mouvements.)
M. Pierre Cordier
Mme Panot trouve que M. Barnier n’était pas si mal, finalement !
Mme Mathilde Panot
Vous ne respectez rien au point d’ignorer parfois jusqu’au sens des mots que vous employez. Vous dites avoir été responsable de la planification. Alors que le XXIe siècle impose ses cyclones et ses déserts, ses sécheresses et ses inondations, où est votre plan ?
La crise écologique est au c?ur des bouleversements majeurs qui nous frappent. Quand comprendrez-vous que l’humanité avance vers la destruction du seul écosystème compatible avec la vie humaine ? La preuve par Mayotte en France, la preuve par Los Angeles ailleurs.
Cette année 2024 fut la plus chaude et la plus pluvieuse de l’histoire de France. Pourtant, votre programme reste celui de l’impuissance organisée face à cette tragédie contemporaine et vos paroles sont autant de renoncements. Le dérèglement climatique a plus que commencé : il est omniprésent. Ce sont les structures de production et de consommation qu’il faut changer, des investissements d’avenir qu’il faut consentir ; et il faut financer tout cela par le partage des richesses.
Enfin, il nous faut gouverner en nous fondant sur les besoins sociaux et écologiques. Tous ceux qui préfèrent protéger les puissances de l’argent plutôt que de préparer la société tout entière à s’en préserver portent une lourde responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Vous ne respectez pas ce qu’est la France devant l’histoire. Où est-elle alors que le génocide se poursuit à Gaza ? Ce n’est pas la Palestine seule qui est en cause, mais l’humanité tout entière et les principes du droit international que la France se doit, parmi toutes les nations, de défendre avec le sens de l’histoire et de sa responsabilité morale et politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe GDR.) Il faut que le génocide cesse ! Il faut arrêter les ventes d’armes à Israël, suspendre l’accord d’association Union européenne-Israël, sanctionner Netanyahou et appliquer le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale. Il faut reconnaître tout de suite l’État de Palestine !
Non, vous ne respectez rien : ni les élections, ni le peuple, ni la grandeur de la France sur la scène internationale. Obsédé par votre propre destin, vous ne servez en réalité que le dessein obstiné d’Emmanuel Macron, qui s’accroche à un pouvoir que le peuple français lui a pourtant ôté lors des dernières élections. Monsieur le premier ministre, vous ne vous honorez pas à servir ce projet néfaste.
Plus tôt vous serez parti, mieux ce sera, car plus tôt vous serez parti, plus tôt le président s’en ira et plus tôt nous pourrons partager les richesses au service du peuple et de la République sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP, dont de nombreux députés se lèvent.) Une fois Emmanuel Macron parti, alors, la VIe République sera plus que jamais à l’ordre du jour !
Bien entendu, vous ne demandez pas la confiance à l’Assemblée nationale, car vous ne l’avez pas davantage que celle du peuple.
Mme Sophia Chikirou
Vous n’avez même pas celle de Macron !
Mme Mathilde Panot
Nous vous censurerons et nous en finirons avec la réforme qui a repoussé l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Nous sommes majoritaires dans le pays et au Parlement. Une réforme passée en force, qui frappe dans leur chair des millions de gens, ne s’amende pas, ne se suspend pas, ne se gèle pas : elle s’abroge ! (Mêmes mouvements.)
S’agissant du programme qu’il vous reste, nous ne sommes pas dupes : ce sera un budget austéritaire puis une énième loi sur l’immigration. Gare à celles et ceux qui vous assisteront dans cette tâche en acceptant des miettes !
En défenseurs déterminés de l’unité du peuple et de l’égalité humaine, nous reprenons les mots du grand Victor Hugo.
M. Pierre Cordier
Hugo n’a jamais été de gauche !
Mme Mathilde Panot
« Au fond des cieux un point scintille.
Regardez, il grandit, il brille,
Il approche, énorme et vermeil.
Ô République universelle,
Tu n’es encor que l’étincelle,
Demain tu seras le soleil ! » (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud (SOC)
Je m’exprime devant vous avec la solennité qu’exige la gravité du moment, animé de la seule préoccupation d’être utile aux Françaises et aux Français.
En vous nommant, monsieur le premier ministre, et en refusant obstinément à la gauche, qui le revendiquait légitimement, l’exercice du pouvoir, le président de la République a pris le risque d’aggraver la crise politique et institutionnelle qu’il a lui-même ouverte par la dissolution.
Plusieurs députés du groupe DR
Vous pouvez retirer « légitimement » !
M. Boris Vallaud
Le mal ne réside pas en ce que le pouvoir lui échappe mais en ce qu’il refuse de l’accepter.
Ce gouvernement n’est assurément pas le nôtre, non plus que votre politique, et votre budget n’est pas celui que nous aurions défendu à gauche.
Mme Marie-Christine Dalloz
Après vos cinq ans au pouvoir, on l’a vu !
M. Boris Vallaud
Les socialistes ne tairont jamais leurs désaccords. Quelque chose opposera toujours nos visions respectives du monde, nos conceptions de l’homme, de la justice, de la liberté, de la question sociale mais aussi du mérite, de l’ordre et de l’autorité.
Pour nous, les choses sont claires. Nous devons cette clarté à nos électeurs, car nous n’avons pas été élus sur le fondement des mêmes projets, des mêmes convictions. Nous demeurons dans l’opposition et ne sommes pas à la recherche d’une coalition nouvelle, ni de nouvelles alliances. Nous ne voulons aucun portefeuille ministériel et refusons les combines autant que les combinaisons. Nous ne vous rejoignons pas.
M. Pierre Cordier
Ce sont des mots nouveaux pour les socialistes !
M. Boris Vallaud
Nous avons notre destin, qui est de toujours marcher vers l’avènement de la raison et de la justice, et nombreux sont aujourd’hui les Français qui l’espèrent. Demain, ils seront plus nombreux encore.
Je le dis avec gravité, comme vous l’avez dit vous-même : l’époque gronde.
M. Hervé Berville
Allez !
M. Boris Vallaud
L’égoïsme des nations, la remise en cause du droit international et, in fine, la guerre menacent le monde. On peine à imaginer toutes les conséquences du dérèglement climatique, mais on observe déjà leur grande violence. L’humanité est percluse d’inégalités et rongée par la désespérance. Partout, des ennemis de la démocratie sont prêts à toutes les promesses pour faire advenir tous les mensonges.
M. Hervé Berville
Et ?
M. Boris Vallaud
Nous vivons dans un monde au bord du basculement, dans ce « clair-obscur d’où surgissent les monstres ». Ici comme partout, l’extrême droite menace désormais d’abattre tout ce que l’homme, la France, la République ont fait de grand dans leur histoire, le plus souvent sans elle, même contre elle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. Pierre Cordier
Tu as voté la censure avec eux !
M. Boris Vallaud
Au moment de renverser le gouvernement de Michel Barnier, nous nous sommes adressés à nos collègues du socle commun comme je m’adresse à vous désormais, leur posant une question aussi simple que déterminante : que préférez-vous ? La laisse et le bâton des maîtres-chanteurs du Rassemblement national ou la responsabilité républicaine, au prix de négociations exigeantes avec la gauche ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Exclamations sur les bancs du groupe DR.) Notre conviction est inébranlable : on ne s’allie pas avec l’extrême droite, de même qu’on ne saurait accepter qu’elle inspire la loi ou, pire encore, dicte sa loi. Tout plutôt que la corruption de nos principes communs !
Monsieur le premier ministre, mes chers collègues du socle commun, n’imaginez pas qu’il nous soit facile ou naturel de négocier avec celles et ceux dont nous combattons les orientations depuis sept ans et demi. (Exclamations sur les bancs du groupe DR.)
M. Hervé Berville
Calimero !
M. Boris Vallaud
Nous continuerons de les combattre au cours des mois et des années à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Je sais la méfiance qu’inspire d’instinct le compromis mais, instruit de l’histoire, je sais aussi qu’il ne constitue pas la part maudite de la politique, dès lors que chacun reste à sa place, nous dans l’opposition, vous dans le soutien au gouvernement.
À celles et ceux qui s’interrogent voire dénoncent, parfois avec beaucoup de véhémence et de virulence, le principe même de la négociation, j’adresse ces mots du grand Jaurès, volant au secours du gouvernement Waldeck-Rousseau : « Il nous plaît [que notre parti] ne soit pas composé de ces éternels impuissants qui critiquent, chicanent, disputent et jamais n’agissent et combattent toujours trop tard. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EPR et Dem. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Pour nous, les choses sont claires. Personne dans cette assemblée ne dispose d’une majorité absolue. Mais voilà : le monde grince, la menace de l’extrême droite est lourde et, face aux urgences économiques, sociales, environnementales et démocratiques, il est de notre devoir d’être utiles partout et tout le temps aux Françaises et aux Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.) Nous devons être utiles à cette majorité introuvable ici, mais qui existe bien dans notre pays : la majorité des vies difficiles, de celles et ceux qui se désespèrent de leurs conditions de travail, de leur salaire, de leurs factures, de leur santé, de leur sécurité, de leur retraite, de leurs enfants, de leurs libertés individuelles comme de l’avenir de la planète. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Monsieur le premier ministre, tout ce que vous ne consentirez pas aujourd’hui et demain à la gauche pour bâtir la stabilité dans la justice qu’elle appelle de ses vœux, dans le cadre des négociations que nous avons acceptées, vous finirez par le consentir à l’extrême droite sur d’autres terrains, au prix de la mise en cause de valeurs qui nous sont communes.
Mme Nadège Abomangoli
Ils le font déjà !
M. Boris Vallaud
Je voudrais dire à la représentation nationale et, par son intermédiaire, aux Français, l’esprit qui nous a animés dans les discussions engagées avec le gouvernement. Nous n’avons eu qu’un objectif : servir le pays, être utile aux Français dans leur vie quotidienne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Philippe Vigier applaudit également.)
Quelques principes simples nous ont guidés : épargner les efforts demandés à celles et ceux qui n’ont que leur travail pour vivre, les retraités, les classes moyennes, les malades, les fonctionnaires ; demander à celles et ceux qui peuvent les consentir, aux multinationales, aux grandes entreprises, les efforts que la situation exige.
Voilà pourquoi, dès la présentation du budget de Michel Barnier, nous avons réclamé des mesures de justice comme la réindexation des pensions – elle est acquise grâce à la gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Nous avons aussi refusé l’augmentation du prix de l’électricité et du ticket modérateur, le déremboursement de médicaments et l’instauration de trois jours de carence dans la fonction publique.
Voilà pourquoi nous avons demandé des mesures de justice fiscale au nom de la solidarité nationale et parce qu’il faut bien financer les cadeaux fiscaux qui ne l’ont jamais été depuis 2017 : à chacun selon ses moyens de satisfaire chacun selon ses besoins. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Avec la même force, nous avons pris la défense de nos services publics, au premier chef l’hôpital, mais aussi l’éducation nationale. Nous demandons davantage de moyens pour le premier et refusons les suppressions de postes qui menacent la seconde.
Nous avons besoin d’un budget qui ne soit pas récessif et vienne en particulier au secours du secteur du logement, qui s’effondre au moment même où le nombre de ceux qui veulent se loger et en sont incapables ne cesse d’augmenter.
Voilà encore pourquoi nous avons demandé la suspension et la remise en chantier, la renégociation de la réforme des retraites. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Mme Clémence Guetté
Vous ne l’avez pas eue !
M. Boris Vallaud
Nous avons la possibilité de réparer une injustice sociale infligée aux classes populaires, aux carrières longues, hachées, pénibles, à de nombreuses femmes. C’est également l’occasion d’une réparation démocratique, puisque la loi prévoyant cette réforme a été adoptée dans la brutalité politique et institutionnelle, sans débat ni dialogue social et contre l’avis des Français.
Vous avez annoncé que tout était négociable, même l’âge légal de départ en retraite fixé à 64 ans. Nous demandons que cet âge change et approuvons la perspective du vote d’une loi à ce sujet avant l’été. Nous faisons confiance au dialogue social. Personne ne se déshonore à revenir devant les partenaires sociaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Je veux dire aussi que notre objectif demeure l’abrogation de la réforme des retraites et que nous ne saurions nous satisfaire, faute d’accord, d’un retour à la loi antérieure. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC. – Mme Stella Dupont applaudit également.) Il y aura des négociations et des propositions.
M. Jérôme Legavre
Ce ne sont pas des négociations !
M. Boris Vallaud
Il n’y aura peut-être pas de consensus, mais nous demandons que cette réforme soit de nouveau examinée par la représentation nationale, afin qu’avance une cause juste. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe GDR. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également.) Nous en sortirions tous grandis.
Justice, solidarité, soutien à l’activité économique, relance du débat démocratique dans un parfait esprit de responsabilité : il n’y a rien dans nos demandes de déraisonnable ou d’excessif. Pourtant, monsieur le premier ministre, vous n’en avez pas dit un mot.
Mme Mathilde Feld
C’est ça le pire !
M. Boris Vallaud
Je voudrais vous interroger et j’ai besoin que vos réponses soient claires. Plusieurs de vos ministres, lors des discussions que les écologistes, les communistes et nous-mêmes avons eues avec eux, ont fait des pas en avant dans le sens de l’intérêt des Français.
Où en est le projet d’instaurer une contribution pérenne sur les hauts patrimoines qui ferait reposer les efforts nécessaires sur ceux qui peuvent les supporter et sont aujourd’hui les passagers clandestins de la solidarité nationale ?
Où en est l’augmentation du taux de la taxe sur les transactions financières, et plus généralement du niveau de la fiscalité nouvelle par rapport à 2024 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Où en est l’augmentation des dépenses d’assurance maladie, en particulier en faveur de l’hôpital public, et qu’implique-t-elle en termes de maintien ou de création de postes et de lits ? (Mêmes mouvements.)
Où en est la suppression du jour de carence que vous avez évoquée ?
Où en est l’annulation de la suppression de 4 000 postes d’enseignants dans l’éducation nationale ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC. – M. Emmanuel Maurel applaudit également.)
Où en est l’augmentation considérable du budget consacré aux outre-mer que vous avez annoncée ? Nous savons l’état dans lequel se trouvent ces territoires, qui souffrent de la vie chère.
Où en sont les moyens consacrés à la transition écologique, en particulier le fonds Vert, le fonds Eau, le fonds Chaleur ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
M. Pierre Cordier
Avec quelles recettes ?
M. Boris Vallaud
Qu’en est-il de l’augmentation du taux des droits de mutation à titre onéreux, du bonus automobile, du prêt à taux zéro pour la construction, de cette prime pour les bailleurs bâtisseurs, de l’absence de hausse de la fiscalité sur l’électricité, de l’évolution de la fiscalité sur les rachats d’actions ?
M. Hervé Berville
Ce n’est pas Noël !
M. Boris Vallaud
Monsieur le premier ministre, à vous écouter, je dois vous dire que le compte n’y est pas. Où sont vos engagements, vos compromis, les avancées que les Françaises et les Français attendent et grâce auxquelles ils pourront dire de nous que nous avons été utiles à quelque chose, que nous avons servi l’intérêt général et le pays ?
L’avenir politique et institutionnel de la France est entre vos mains, mesdames et messieurs du bloc central. Monsieur le premier ministre, mesdames et messieurs du gouvernement, nous avons pris nos responsabilités. À vous de prendre les vôtres. (Les députés du groupe SOC se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Wauquiez.
M. Laurent Wauquiez (DR)
Nous avons écouté la troisième déclaration de politique générale en un an, et la France a connu quatre premiers ministres, ce qui n’était pas arrivé depuis un siècle. Et pour quel résultat ? Que de temps perdu…
Mme Justine Gruet
Très juste !
M. Laurent Wauquiez
…et que d’incertitudes pour les Français, pour nos entreprises, pour les agriculteurs, pour les artisans, pour les commerçants et pour nos communes ; que de projets reportés ! Cette situation n’est pas le fruit du hasard : elle est le fruit d’irresponsables, le résultat d’artisans du chaos, depuis la France insoumise…
M. Jean-François Coulomme
Jusqu’à Emmanuel Macron !
M. Laurent Wauquiez
…jusqu’au Rassemblement national, qui ont choisi de sacrifier la stabilité gouvernementale. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.) Leur responsabilité est d’autant plus lourde que notre pays est au bord de la ruine :…
M. Jean-François Coulomme
À cause de vous !
M. Laurent Wauquiez
…l’État s’endette à des taux supérieurs à ceux du Portugal…
M. Jean-François Coulomme
À cause de vous !
M. Laurent Wauquiez
…et nous sommes perçus comme moins sérieux que la Grèce. Chaque point de taux d’intérêt en plus, c’est moins d’argent pour nos services publics et plus de charges pour payer nos créanciers ; jamais autant de PME n’ont fait faillite depuis trente ans ; notre pays est au bord d’un gouffre financier où il risque de perdre tout à la fois sa crédibilité et sa souveraineté. Je tiens à rendre hommage ici à Michel Barnier (Applaudissements sur les bancs du groupe DR), qui est le premier à avoir eu le courage de tenir un tel discours de vérité. Mesure t-on bien ce que représente le décrochage de notre pays, un décrochage industriel, éducatif, sécuritaire et même maintenant démographique ? Et pourtant toute une part de la classe politique préfère faire le pitre, détourne le regard (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe DR), et plutôt que de travailler à la reconstruction, continue de jouer l’instabilité.
Mme Alma Dufour
C’est vrai que 1 000 euros le repas, c’est un peu cher !
M. Laurent Wauquiez
Quand je vois la façon dont vous vous comportez avec tellement de légèreté,…
Mme Anne-Laure Blin
C’est une honte !
M. Laurent Wauquiez
…ce n’est pas sans me rappeler certains moments de notre histoire, notamment le Ve siècle et la chute de l’empire romain, Rome étant tombée dans la décadence.
M. Hadrien Clouet
Vous n’êtes pas César !
M. Laurent Wauquiez
Par contre, vous et les vôtres jouez assez bien le rôle de Brutus (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et SOC),…
M. Arthur Delaporte
Un grand républicain !
M. Laurent Wauquiez
…le rôle de ceux qui sont incapables de respecter la démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe DR), de protéger la République, et qui s’amusent sur les bancs et font les pitres pendant que les Français s’inquiètent d’un tel comportement. (Mêmes mouvements.) Et puis il y a ceux qui voient la médiocrité de la France insoumise dans cet hémicycle, et toutes les trahisons auxquelles vous êtes prêts en votant avec le Rassemblement national pour faire tomber les gouvernements. (Mêmes mouvements.) Telle est l’image que vous montrez, celle de la médiocrité d’une époque que vous avez choisi de soutenir. Voilà ce qu’est votre vérité ! (Mêmes mouvements. – Protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Elle est à l’image de ces factions dont vous êtes bien le reflet, qui sur le mont Palatin préféraient faire tomber les empereurs. Vous avez définitivement choisi d’être du côté de ceux qui ne défendent pas la République, mais préfèrent la fragiliser. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. Alexis Corbière
Vous n’êtes pas crédible !
M. Laurent Wauquiez
Les périodes d’instabilité politique, celles que vous alimentez, sont toujours, ne l’oublions jamais, les prémisses de grands chaos pour notre pays.
Face à cette situation inédite, nous avons tous un choix à faire : le pari de l’instabilité ou l’esprit de responsabilité, c’est-à-dire le poison de l’incertitude ou le remède de la stabilité, les petits intérêts des partis…
M. Hadrien Clouet
Ou les intérêts des petits partis !
M. Laurent Wauquiez
…ou l’intérêt du pays. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Mme Sophie Taillé-Polian
Vous vous y connaissez !
M. Michel Herbillon
Vous feriez mieux d’écouter !
M. Laurent Wauquiez
Les Français, que vous n’écoutez pas, aspirent à la stabilité, ils nous la demandent pour le pays. Et c’est pourquoi nous, parlementaires de la Droite républicaine, avons fait le choix de la responsabilité. Elle prendra, monsieur le premier ministre, la forme d’un soutien exigeant à votre gouvernement. « Soutien » signifie que nous ne voterons pas de motion de censure – contrairement à ceux qui n’ont de cesse d’agiter cette menace –,…
M. Arthur Delaporte
Encore heureux ! Vous êtes au gouvernement !
M. Laurent Wauquiez
…mais « exigeant » signifie, vous l’avez compris, que nous jugerons, texte par texte, si les orientations prises sont conformes à l’intérêt du pays. Nous prenons nos responsabilités. Nous attendons donc que vous preniez les vôtres. Et votre première responsabilité est d’éviter à notre pays de s’enfoncer dans la crise financière.
M. Hadrien Clouet
Et dans les notes de frais !
M. Laurent Wauquiez
Je n’oublie pas que vous avez été le premier à vous emparer du sujet de la dette ; et c’est désormais l’heure des actes.
M. Paul Vannier
À table !
Mme Alma Dufour
C’est servi !
M. Laurent Wauquiez
Nous avons déjà les impôts et les charges sociales les plus élevés du monde. La France n’a pas un problème de recettes insuffisantes, mais un problème de dépenses excessives.
Mme Sophie Taillé-Polian
C’est faux !
M. Laurent Wauquiez
Et si l’on veut baisser les impôts, il faut baisser la dépense. Nous payons aujourd’hui le « quoi qu’il en coûte » pour les autres, et à la Droite républicaine, notre position est constante : des baisses de dépenses et pas de nouvelles hausses d’impôts. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.) Au cours du débat budgétaire, nous ne ferons donc aucune proposition de dépense nouvelle ni de fiscalité nouvelle, aucune proposition de nouveau chèque gouvernemental, mais uniquement des propositions d’économies.
Au cours des derniers jours, nous vous avons alerté sur le risque d’une fuite en avant dans l’irresponsabilité budgétaire. Le débat politique compte suffisamment de pitres, d’illusionnistes qui promettent de travailler moins et de dépenser plus, quitte à fracasser notre pays sur le mur du réel. Démosthène parlait d’ailleurs du danger des paroles qui plaisent plutôt que des paroles qui sauvent.
Ainsi, s’agissant des retraites, faire une réforme qui aboutirait à plus de dépenses, sans aucune piste de financement, serait irresponsable. Ceux qui prétendent que c’est possible mentent : une telle réforme conduirait soit à aller chercher l’argent chez les retraités, et donc à les paupériser, soit à augmenter les charges pesant sur ceux qui travaillent, soit très probablement aux deux à la fois. La réforme des retraites, nous l’avons toujours dit, peut être améliorée, mais cela ne doit en aucun cas se traduire par des dépenses supplémentaires qui seraient payées par les retraités ou par ceux qui travaillent.
Si on veut baisser la dépense, il y a des marges d’économies partout. Non pas sur les services publics, dont notre pays a besoin, mais sur la bureaucratie administrative.
M. Michel Herbillon
Absolument !
Un député du groupe DR
Elle est énorme !
M. Laurent Wauquiez
La Droite Républicaine, avec Véronique Louwagie, mène ce combat contre le millier de comités, d’opérateurs et d’agences : leur budget a doublé en dix ans.
M. Fabrice Brun
Il est temps de faire le ménage !
M. Laurent Wauquiez
L’ANCT – Agence nationale de la cohésion des territoires –, l’Ademe – Agence de la transition écologique –, France Stratégie… Autant d’organismes à l’utilité douteuse et au coût bien réel.
M. Hadrien Clouet
Combien de dîners ?
M. Laurent Wauquiez
Il faut baisser leur budget et les fusionner, donc en supprimer une large partie : non seulement ces organismes coûtent cher, mais ils sont à l’origine de normes qui épuisent notre pays et ils aboutissent à déposséder le politique de la décision, ce qui va à l’encontre d’une exigence fondamentale dans le fonctionnement d’une démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.) Ces économies sont nécessaires pour investir dans notre santé, cher Yannick Neuder, indispensables pour relancer l’investissement dans nos transports, et nous serons à cet effet aux côtés de Philippe Tabarot,…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Serez-vous à ses côtés jusque dans les prétoires ?
M. Laurent Wauquiez
…fondamentales pour protéger notre patrimoine et faire rayonner la culture française, chère Rachida Dati. Il faut mener à bien ces économies si on veut pouvoir soutenir nos agriculteurs et accompagner nos entreprises, chère Sophie Primas, chère Annie Genevard, chère Véronique Louwagie. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Par ailleurs, je voudrais revenir sur un sujet que vous n’avez pas mentionné. Vous connaissez notre volonté de créer une aide sociale unique – car nous sommes convaincus qu’il faut conserver le social pour ceux qui en ont vraiment besoin, revenir sur l’assistanat et revaloriser le travail. Nous souhaitons que soient fusionnées les quelque trente aides existantes pour créer une aide sociale unique plafonnée à 70 % du Smic, ce qui ferait gagner en clarté et surtout en justice. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Enfin, et c’est une évidence, notre système social ne peut demeurer ouvert au monde entier. On parle souvent de l’AME, mais on oublie le titre de séjour qui permet de venir en France pour bénéficier de soins gratuits. Nous demandons seulement que l’accès à la solidarité nationale soit conditionné à un minimum de trois ans de résidence régulière comme dans la très grande majorité des pays européens. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.) Je suis convaincu que cette proposition n’est pas conflictuelle, mais consensuelle, car elle peut être soutenue par une très grande majorité de Français. Et s’il n’y a pas de majorité ici pour la voter, il faudra aller au référendum (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe DR) et nous vous demandons déjà, monsieur le premier ministre, d’en faire la proposition au président de la République. C’est l’esprit de la Ve République. Le président lui-même a exprimé, lors de ses vœux aux Français, le souhait qu’il y ait plus de consultations et de référendums. C’est en effet aux Français de trancher cette question, et nous serons vigilants pour que cela puisse avancer dans les mois qui viennent.
Autre axe essentiel et que vous avez mentionné : la suppression des normes. ZAN – zéro artificialisation nette –, DPE – diagnostic de performance énergétique –, ZFE – zone à faibles émissions –… autant de sigles qui pavent l’enfer bureaucratique français. Cela ne coûterait rien à l’État de les supprimer et apporterait de l’oxygène au pays. Laissons vivre les Français ; laissons vivre les artisans, les agriculteurs, les entreprises, les commerçants et les professions libérales, aujourd’hui épuisés par toutes ces règles. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Au-delà de l’urgence économique et budgétaire, il y a deux chantiers de fond dont votre gouvernement doit se saisir.
Tout d’abord, il s’agit de rétablir l’ordre. Nous voyons encore, avec les derniers chiffres, l’explosion de la délinquance partout en France. Bruno Retailleau y fait face avec beaucoup de courage. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe DR.) Il a tout notre soutien. Pour mettre fin au laxisme, il faut un principe simple, que nous avons toujours défendu : à chaque infraction, une sanction. Ne nous payons plus de mots : contrairement à ce que certains disent, il n’y a pas en France une surpopulation carcérale, mais une sous-capacité carcérale. Dès lors, comment comprendre qu’alors que nous avons adopté une loi de simplification pour les Jeux olympiques, nous ne soyons pas capables d’adopter une loi d’exception pour la construction de prisons afin d’assurer la sécurité de nos compatriotes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
S’agissant, cher François-Noël Buffet, du département de Mayotte, si durement dévasté, il ne pourra être reconstruit sans mettre fin à la submersion migratoire. Ce n’est pas un sujet de débat, puisque nos compatriotes mahorais le demandent. Nous proposerons donc dès le mois prochain, dans le cadre de la niche parlementaire de la Droite Républicaine et en lien avec le ministre de l’intérieur, d’y supprimer le droit du sol pour les immigrés illégaux. Il faut que cette question puisse enfin être tranchée. (Mêmes mouvements.)
Enfin, et vous savez à quel point ce sujet est important pour nous, il faut revaloriser le travail. La plus grande injustice dans notre pays, c’est la situation des travailleurs pauvres ; c’est de travailler et de ne pas pouvoir en vivre dignement, c’est que règne aujourd’hui le « travailler plus pour payer plus », car travailler signifie trop souvent payer plus d’impôts et bénéficier de moins d’aides. Curieuse reconnaissance pour ceux qui ont le sens de l’effort et du mérite ! Notre groupe proposera donc que les heures supplémentaires soient exclues du revenu fiscal de référence. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – Mme Danielle Brulebois applaudit également.) Celui qui travaille doit pouvoir vivre du fruit de ses efforts. Celui qui a travaillé toute sa vie doit être reconnu. Et je le dis clairement, celui qui abuse de la solidarité nationale doit être sanctionné. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.) Les quinze heures d’activité en contrepartie du RSA, que la France Insoumise et le Rassemblement national ont rejetées de concert, comme ils le font bien souvent en votant ensemble (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP), donnent aujourd’hui des résultats et montrent ce que doit être la refondation nécessaire de notre système social.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Avec vos repas, combien d’allocataires du RSA pourraient vivre ?
M. Laurent Wauquiez
Le vrai social, c’est le travail. Pas d’aides sans devoirs : voilà la justice d’un système social refondé. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Face à ces enjeux, qui peut croire sérieusement que l’instauration de la proportionnelle soit une priorité ?
Plusieurs députés du groupe DR
En effet !
M. Laurent Wauquiez
En 1958, le général de Gaulle a mis fin à l’instabilité de la IVe République. Notre responsabilité à tous est de protéger notre pays de l’image pitoyable qu’offre aujourd’hui trop souvent cet hémicycle. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.) La proportionnelle serait la garantie que le désordre politique exceptionnel que nous connaissons aujourd’hui deviendra la règle. (M. Jean-Pierre Vigier applaudit.) Elle ancrerait au cœur de nos institutions l’instabilité politique et la primauté des intérêts partisans sur l’intérêt général. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe DR.) Nous nous y opposerons, la Droite républicaine assumera ses responsabilités. (Mêmes mouvements.)
Vous aurez compris, monsieur le premier ministre, que vous aurez notre soutien, mais un soutien exigeant et accordé texte par texte. Telle sera la feuille de route de la Droite républicaine, que nous veillerons, dans les semaines qui viennent, à traduire en actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR, dont les membres se lèvent.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS)
Le 7 janvier, un mégafeu démarrait à Los Angeles. Le 14 décembre 2024, le cyclone Chido frappait Mayotte avec une ampleur sans précédent. Le 17 octobre, de fortes pluies s’abattaient sur Givors et le sud du département du Rhône. Au mois de mai dernier, l’Inde connaissait la vague de chaleur la plus longue de son histoire.
Il n’y a plus d’orage mais des tempêtes, plus d’épisodes pluvieux mais des inondations. Les incendies succèdent aux vagues de chaleur ; les sinistres, aux catastrophes. Ici comme ailleurs, les récoltes sont détruites, les arbres sèchent sur pied, les coulées de boue emportent les maisons et les souvenirs, les routes sont défoncées, les terres, saccagées et les vies, abîmées. Et nous pleurons les morts, toujours plus nombreux, bien trop nombreux. J’ai en cet instant une pensée particulière pour les Mahorais et les Mahoraises, qui ont été frappés de plein fouet par le cyclone et par l’abandon de l’État.
Dans l’ère de l’anthropocène, ce n’est pas la nature qui se déchaîne mais l’action humaine qui réchauffe le climat, broie les plus faibles et tue nos semblables. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.) Les responsables sont les grandes compagnies pétrolières qui forent inlassablement nos sols pour enrichir leurs actionnaires, les agro-industriels qui détruisent nos forêts, entassent les animaux et font disparaître les paysans, ou Bernard Arnault qui, à deux heures quinze du matin le 1er janvier, avait déjà consommé le budget carbone annuel moyen d’un Français.
Mme Dominique Voynet
Hou !
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS)
Et puis il y a vous, membres et soutiens des gouvernements successifs d’Emmanuel Macron. Vous qui avez laissé s’installer le port méthanier du Havre, vous qui défendez l’A69, vous qui avez assoupli la mise en œuvre du zéro artificialisation nette des sols, vous qui vous saisissez de chaque texte pour amoindrir encore un peu plus le droit de l’environnement et qui, maintenant que la criminalisation des militants écologistes ne vous suffit plus, attaquez l’Ademe !
Disons-le : vous ne faites rien pour l’écologie. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – M. Emmanuel Tjibaou applaudit également.) La transition écologique est toujours la première sacrifiée sur l’autel de l’austérité. Dans le projet de budget pour 2025, que vous allez reprendre, les moyens de la mission Écologie diminuent de 10 %, dont une baisse du fonds Vert d’au moins 1,5 milliard d’euros.
Les aides écologiques subissent au moins 1,9 milliard de baisses. Ces aides sont celles qui, très concrètement, permettent à tous les ménages, y compris les plus modestes, d’habiter des logements confortables et non des passoires thermiques ou des bouilloires. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – M. Marcellin Nadeau applaudit également.) Ces aides permettent aussi aux Français, y compris les plus modestes, d’acheter des voitures moins polluantes.
Sur les 7 milliards d’euros qui manquent au budget Barnier pour être dans la bonne trajectoire, pour espérer tenir les engagements climatiques de la France, vous nous dites pouvoir trouver environ 200 millions.
Mme Marie-Charlotte Garin
Des cacahuètes !
Mme Cyrielle Chatelain
C’est bien charitable, mais nous ne nous contenterons pas de miettes. Nous demandons simplement les moyens de faire face au plus grand défi que connaissent nos concitoyens. Alors que la France est à la croisée des chemins de son ambition écologique, nous faisons fausse route ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
Car une politique écologiste, c’est une politique qui protège tous les citoyens, en particulier les plus précaires, du réchauffement climatique ; c’est une politique de réindustrialisation forte, qui sécurise les emplois et la production, avec des normes sociales et environnementales ambitieuses ; c’est une politique qui permet aux agriculteurs de vivre de leur travail et qui réduit les profits records de l’agro-industrie. Vous ne voulez rien de tout cela. Pourtant, pour nos concitoyens, le chaos causé par le réchauffement climatique, ça commence à bien faire.
Pour vous, l’écologie n’est qu’un slogan de campagne, une promesse toujours trahie. Pourtant, monsieur le premier ministre, je vous invite à la prudence. En effet, dans une société française usée par les fausses promesses, fatiguée des mots creux, exaspérée par la politique spectacle, se contenter de déclarations sans lendemain et d’effets de communication ne suffira pas. Bien au contraire, cela aggravera la défiance des Français envers leurs dirigeants et accroîtra le sentiment de honte que ces derniers leur inspirent. La confiance envers un mandat qui débute se construit ou se délite selon l’efficacité des engagements pris. Or, pour le moment, nous ne voyons que des écrans de fumée.
Pour dire les choses clairement, la méthode que vous proposez pour le budget est simple et lisible : vous reprenez presque intégralement le projet de M. Barnier. Vous proposez donc la saignée des services publics et l’appauvrissement des collectivités locales. Les discussions sur le budget reprendront cette semaine au Sénat avant d’avoir lieu en commission mixte paritaire (CMP), où je ne doute pas que vous vous serez organisé pour disposer d’une majorité. Ensuite, l’Assemblée devra de nouveau se prononcer sur un budget dont elle n’aura pas débattu, un budget dans lequel nous n’aurons pas pu intégrer de nouvelles recettes, un budget comportant 50 milliards d’euros d’économies. C’est donc toujours un budget ultra-austéritaire qui sera soumis au vote. (Mêmes mouvements.)
Cette austérité ne pourra que fragiliser notre économie. Car abuser des coupes budgétaires revient à gripper l’activité et à détruire l’emploi. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le projet de Michel Barnier risquait d’aboutir à la suppression de plus de 50 000 emplois. Reprendre une telle copie est une erreur.
Mais votre copie sera-t-elle exactement la même que celle de Michel Barnier ? Probablement pas tout à fait. Tout d’abord parce que l’Assemblée et le Sénat ont fait leur travail. En fin d’année dernière, nous avons empêché l’augmentation de la taxe sur l’électricité et le déremboursement des médicaments, nous avons réduit le nombre de suppressions de poste, nous avons quelque peu diminué les coupes prévues dans les dotations des départements. J’espère que vous reprendrez ces avancées que les parlementaires ont obtenues. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – M. Inaki Echaniz applaudit également.)
M. Marc Fesneau
Pas obtenues, votées !
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS)
Ensuite, la censure a permis d’autres avancées. Certes, elle a été une déflagration, mais une déflagration indispensable pour, enfin, après trois ans de pouvoir exercé sans discuter, vous rappeler que, dans une démocratie, l’expression de la volonté populaire est un garde-fou nécessaire contre le sectarisme des gouvernements.
Alors, nous nous sommes assis pour discuter avec vous. Et nous avons défendu bec et ongles l’augmentation du budget de l’hôpital et des Ehpad, l’instauration de nouvelles recettes et le rétablissement des moyens de l’école ou de la politique du logement. Malheureusement, vous nous proposez finalement que les choses restent globalement telles qu’elles sont et que, lentement, les conditions de vie des Français se dégradent. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.) Je vous pose la question : trouvez-vous que l’école va bien ? que l’hôpital fonctionne ? qu’on vit correctement de son salaire ? Si vous pensez répondre positivement à ces questions, je vous invite à aller rencontrer les salariés de la plateforme chimique de Pont-de-Claix, dont les emplois sont menacés, les infirmières de Vizille ou les agriculteurs de Saint-Jean-de-Vaux pour qu’ils vous racontent les efforts qu’ils font déjà. (Mêmes mouvements.)
L’un des efforts les plus importants que vous avez imposés aux Français est d’avoir à travailler deux années de plus. Deux années volées, brutalement, par un 49.3 et par la répression des manifestations. La réforme des retraites est donc devenue en tout premier lieu une question démocratique, celle du respect de la démocratie sociale, celle du respect de la démocratie parlementaire et, enfin, celle du respect du peuple souverain qui, le 7 juillet, a clairement dit qu’il voulait un changement de politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – M. Inaki Echaniz applaudit également.)
J’ai écouté votre discours avec attention et je suis en désaccord avec vous quand vous dites que le gouvernement considérera les Français comme des partenaires des décisions à prendre. Les Français ne sont pas vos partenaires mais vos patrons, dont les élus sont les serviteurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – Mme Mathilde Feld et M. Marcellin Nadeau applaudissent également.) Vous ne dirigez pas les Français. Vous dirigez la France en leur nom, et votre seul devoir est d’appliquer leurs choix. Votre vision bien restrictive de la démocratie et de la place du peuple explique pourquoi vous vous obstinez à considérer la retraite à 64 ans comme la norme légitime qui doit prévaloir.
Vous nous proposez une mission flash de la Cour des comptes puis une conférence sociale. Nous vous invitons à enfin écouter les syndicats, que nous soutiendrons. Reconnaissez toutefois que le mécanisme que vous avez imaginé ne leur est pas favorable, puisque vous avez d’ores et déjà annoncé que, s’il n’y avait pas d’accord, la retraite à 64 ans continuerait à s’appliquer. Cela risque de nous entraîner dans un voyage dont on connaît déjà la destination : le retour à la réforme Borne. La seule manière de mettre patronat et syndicats sur un pied d’égalité dans ces négociations est de vous engager à ce qu’une loi soit présentée au Parlement quels que soient les résultats de la discussion. Soyons très clairs : rien ne rendra légitime la réforme repoussant l’âge de départ à la retraite à 64 ans, et nous continuerons à la combattre.
Sur le budget comme sur les retraites, vous prenez le même chemin que Michel Barnier.
M. Pierre Cordier
Il est très bien, le chemin de Michel Barnier !
Mme Cyrielle Chatelain
C’est le cas également pour la complaisance envers le RN. Ces dernières semaines, votre gouvernement a émis plusieurs signes d’indignité qui nous inquiètent. Quand, à Mayotte, les secours cherchaient encore les survivants, vous flattiez déjà les xénophobes aux relents les plus vils, tournant le dos à la détresse des professeurs et des citoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – M. Marcellin Nadeau applaudit également.) Alors que la situation se tend avec l’Algérie, vous laissez vos ministres jeter de l’huile sur le feu au lieu de chercher le dialogue et l’apaisement. Enfin, votre ministre de l’intérieur veut dévoyer la laïcité pour en faire un outil de discrimination envers les musulmans. (Mêmes mouvements.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
Quelle honte !
Mme Cyrielle Chatelain
Je vous le dis : les Français sont attachés à la liberté de croire ou de ne pas croire et à l’égalité de tous les citoyens, quelle que soit leur religion. Ils ne vous laisseront pas faire ! (Mêmes mouvements.) Ne comprendrez-vous donc jamais que reprendre les termes de l’extrême droite la fait progresser ? que reprendre sa logique d’exclusion revient à abîmer la cohésion sociale et à fracturer les Français ?
Nous ne pouvons rien accepter de tout cela. Tant que vous vous obstinerez à ne rien changer, nous n’aurons d’autre choix que de continuer à vous censurer. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP, dont les membres se lèvent. – M. Marcellin Nadeau applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Marc Fesneau.
M. Marc Fesneau (Dem)
Il y a parfois une forme d’injustice quand on veut servir l’intérêt général, celui du pays, et quand les crises, ou les circonstances, viennent contrarier vos intentions sincères. C’est pourquoi je veux commencer mon propos en rendant hommage à Michel Barnier et à son gouvernement pour l’action conduite avant la censure. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
Pourtant, et comme c’est toujours le cas, je n’ai nulle intention aujourd’hui de nourrir de vaines querelles ou polémiques avec ceux qui, par la censure, ont un peu plus plongé notre pays dans la crainte, le doute et l’inconnu alors qu’il n’en avait vraiment pas besoin.
Je veux parler de ceux qui nous regardent ou non, de ceux qui se désespèrent – ils sont nombreux – ou non, de ceux qui sont d’accord avec nous ou non, de ceux qui attendent – je ne dirais pas « espèrent », tant ils doutent – un chemin vers un cap collectif et vers – j’ose le mot – une espérance.
Je veux donc simplement essayer de parler des Français et des Françaises, et du chemin que nous devons leur proposer pour rassurer et convaincre. Les lignes rouges, vraies ou fausses, les chantages réciproques, les concessions que l’on entend arracher comme un trophée, les postures, rien de cela ne les intéresse. Cela les mène avant tout à considérer qu’ils ne seraient en fait qu’en arrière-plan d’un théâtre où se joue un dialogue de sourds. Cela les éloigne chaque jour un peu plus de la politique, et c’est un drame.
Ainsi voudrais-je vous dire avec humilité, monsieur le premier ministre, ce que nous percevons des attentes des Français, qu’elles concernent les urgences du quotidien, leur avenir ou celui de nos enfants.
M. Fabrice Brun
Le pouvoir d’achat, la sécurité, l’agriculture !
M. Marc Fesneau
Je voudrais vous dire ce que nous percevons du sens qu’ils donnent à leur vote de juillet dernier, ce qu’ils attendent de ces élections législatives sans vainqueur, de votre gouvernement et de notre assemblée sans majorité.
La France a aujourd’hui le visage d’une jeune enseignante qui a choisi la plus admirable des missions, celle d’être le passeur qui conduit chacun des enfants de la République sur les rives du savoir et éveille sa conscience citoyenne. Mais aussi le visage d’une jeune enseignante qui s’interroge profondément sur ce que l’école devient et sur ce qu’elle peut faire quand on lui demande de répondre à toutes les fragilités de la société, le tout malgré une absence de reconnaissance et, parfois, une forme de démagogie blessante, dont elle souffre terriblement.
La France a le visage d’un agriculteur, fier de son métier et de sa vocation – l’une des plus essentielles, celle de nous nourrir –, dont il n’arrive pourtant pas à vivre, qui a le sentiment d’être comme mis au ban de la société tout entière et livré aux concurrences les plus déloyales, et qui se sent de plus en plus impuissant face aux bouleversements climatiques dont il est la première victime.
Elle a le visage du chef d’entreprise, artisan ou commerçant, qui ne peut exercer son métier avec sérénité à cause d’un climat d’incertitude permanente, d’instabilité organisée et de « surnormation » galopante.
Elle a le visage de ces jeunes qui s’inquiètent de la planète que nous leur laisserons ou qui se disent qu’ils ne bénéficieront pas d’un modèle de solidarité que nous leur demandons pourtant de financer. Ils se sentent parfois trahis ou abandonnés car ils ont le sentiment que les générations futures sont sacrifiées sur l’autel du court terme, des petits calculs et des grands renoncements.
La France a également le visage de milliers de salariés qui ne parviennent pas à vivre correctement de leur travail ou qui n’y voient plus aucun sens. Le visage de ces Français qui ne trouvent pas assez par leur travail les voies de leur épanouissement ou de l’ascension sociale ni – et c’est peut-être pire encore pour l’esprit public – les moyens de permettre à leurs enfants d’agrandir le champ des possibles.
Elle a le visage de ces patients qui doivent attendre des mois avant de trouver un médecin, avec parfois l’angoisse de la maladie qui progresse, et qui finissent par renoncer aux soins.
Elle a le visage de ces soignants dévoués, au service de leurs patients et de nos aînés, qui font face comme ils le peuvent à la dégradation de notre système de soins et à celle de l’hôpital public, malgré – et cela devrait nous pousser à nous interroger – les moyens colossaux qui y ont été consacrés ces dernières années. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
Elle a le visage de tous ceux qui s’inquiètent, en matière de sécurité et de justice, de ce qu’ils perçoivent comme un affaissement de l’autorité de l’État et de sa capacité à les protéger ; de ceux qui pensent que la justice n’est pas la même pour tous ou qu’elle est trop lente.
Elle a enfin le visage de celles et ceux qui voient, inquiets, leurs repères ou leurs identités bouleversés par ce qu’ils perçoivent comme de nouvelles menaces, qu’elles soient mondiales et globales ou qu’elles émergent en remettant en cause leur vie quotidienne ou leur mode de vie.
Ce n’est donc pas uniquement à cette assemblée qu’il faudra s’adresser, monsieur le premier ministre ; c’est à la France – à cette France.
De quoi les Français ont-ils besoin ? Ils attendent, me semble-t-il, un pacte de bon sens visant à mettre le pays en ordre de marche, en vue de répondre aux urgences et de redonner du sens. Ils attendent un budget, qui permette d’abord de tenir les engagements pris par les gouvernements précédents – je pense en particulier à ce qui avait été promis en matière d’inclusion et a ce qui avait été dit aux collectivités locales et aux agriculteurs. Ils attendent que nous avancions sur les sujets qui peuvent faire consensus, notamment le projet de loi relatif à la fin de vie. Ils attendent aussi un cap. Pour tout cela, nous avons besoin de stabilité, de lucidité et de confiance.
Nous avons besoin de stabilité, et d’abord de stabilité institutionnelle et politique. Je ne crois pas que les Français soient fascinés par le chaos. Le désordre organisé méthodiquement à l’Assemblée nationale comme à l’extérieur les désespère et les exaspère.
M. François Cormier-Bouligeon
Eh oui !
M. Marc Fesneau
La censure du gouvernement précédent a marqué les esprits. Elle nous a fragilisés (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et EPR. – Mme Justine Gruet applaudit également),…
M. Philippe Vigier
Absolument !
M. Marc Fesneau
…non seulement parce qu’elle a privé la France d’un budget, mais aussi parce qu’elle a démontré notre incapacité à dialoguer et à nous entendre lorsque nous nous trouvons dans une situation critique. Elle nous a fragilisés en Europe et face à des puissances étrangères qui ont des intérêts contraires aux nôtres, en démontrant notre incapacité à faire face à l’avenir.
Nous avons aussi impérativement besoin de stabilité économique et sociale, afin que les acteurs puissent créer de l’activité, donc de la croissance. Nous avons la conviction qu’il faut soutenir massivement des secteurs essentiels.
Je pense au logement et à la construction, par la mobilisation des logements vacants, par le développement de nouvelles formes d’accès à la propriété, par la libération de la construction de logements, par la facilitation du recours aux prêts ; c’est d’abord une question de justice sociale.
Je pense à l’agriculture, pour l’aider à affronter les bouleversements géopolitiques et climatiques actuels, la montée en puissance des impérialismes qui, de part et d’autre de l’Europe, font de l’alimentation une arme. L’agriculture est l’un des piliers de notre souveraineté ; d’elle dépend notre capacité à décider de notre destin, à l’instar de l’énergie. Il y a une urgence vitale au renouvellement des générations et au soutien de toutes les démarches de transition, les deux exigences étant étroitement liées.
Je pense à l’emploi et au travail, qui sont, depuis 2017, des priorités. La production et l’activité économiques sont la clé de voûte du fonctionnement de l’État, de sa capacité à protéger, à agir sur la sécurité, sur la justice, sur l’accès au service public, sur l’accès aux soins ou à l’école. La prospérité est le gage de la perpétuation de notre modèle social.
La stabilité, ce n’est pas pour autant l’immobilisme ou le conservatisme ; ce n’est pas non plus l’addition de lignes rouges qui confine à l’inertie ; c’est la volonté d’avancer en tenant compte des priorités des Françaises et des Français.
Pour cela, nous devons doter d’un budget reposant sur trois piliers. Le premier est l’attractivité économique et la compétitivité. Notre groupe considère qu’il ne faut pas que les décisions à venir remettent en cause ce qui a été réalisé depuis 2017 afin de conforter le dynamisme des entreprises, tout simplement parce que cela a fonctionné.
Le deuxième pilier est la justice sociale et fiscale, que le groupe Les Démocrates a toujours défendue. Elle permet en effet de rendre les efforts acceptables et de lutter contre les situations de rente ou de suroptimisation. Il est juste que le travail, l’ingéniosité et la prise de risques paient plus que la rente ou la spéculation. Que l’on verse 100 milliards de dividendes doit nous conduire à nous interroger.
Troisième pilier, la responsabilité : nous devons réaliser des économies budgétaires importantes et crédibles, dans une logique – vous l’avez dit, monsieur le premier ministre – de profonde réforme de l’État. Et pour que cette réforme soit profonde, il faut qu’elle soit pluriannuelle. Or reconnaissons-le : ces dernières années, nous n’avons pas souvent entendu présenter à cette tribune autre chose que des dépenses supplémentaires.
Pour garantir cette stabilité, il nous faudra faire preuve de lucidité.
Lucidité concernant la gravité des enjeux, qui devrait nous conduire tout naturellement à nous éloigner des considérations partisanes, tant la situation budgétaire est périlleuse, tant les ingérences étrangères et l’émergence d’un nouvel impérialisme doivent nous interpeller, tant notre modèle d’intégration et notre pacte républicain semblent se déliter sous nos yeux.
Lucidité aussi quant au fait que nous ne parviendrons pas à relever ces défis si nous n’admettons pas que la politique n’a pas seulement à répondre à des considérations immédiates, mais qu’elle doit aussi obéir à des logiques de long terme, et que la réussite d’une politique publique ne dépend pas seulement des moyens qui lui sont consacrés.
Pour cela, il nous faut développer une culture de la concertation, afin de définir des trajectoires collectives partagées ; une culture de l’évaluation ainsi que de la contractualisation et de la discussion à l’échelon pertinent, selon un principe de subsidiarité. Les collectivités doivent y être encouragées, dans une logique de responsabilité réciproque, de même que les partenaires sociaux et le réseau associatif.
S’agissant de lucidité, je voudrais évoquer l’avenir de notre système de retraites. Nous croyons qu’il n’est ni possible ni souhaitable de réinterroger la question des retraites en mettant sous le tapis celle de son financement et celle de la justice pour les plus fragiles ou fragilisés. L’un ne va pas sans l’autre – c’est ce qu’avaient compris nos pairs au sortir de la guerre. Nous devons rouvrir le débat et remettre le sujet en chantier, sans totem ni tabou, mais sans non plus passer par pertes et profits les réalités démographiques qui s’imposent à nous ; à défaut, nous nous rendrions coupables d’une faute morale à l’égard de notre jeunesse.
Enfin, la France a besoin de confiance. Pour cela, nous devons tracer les perspectives sur lesquelles il peut y avoir un accord entre les femmes et les hommes de bonne volonté, dans cet hémicycle et au-dehors.
Je ne reviendrai pas sur ce qu’il faudra faire en matière d’institutions pour construire la confiance et favoriser une pratique démocratique nouvelle ; je m’en tiendrai aux questions de fond.
Je pense à notre école, qui est une priorité nationale.
Je pense à la santé, pour laquelle nous avons besoin d’une visibilité pluriannuelle. Je salue, monsieur le premier ministre, l’annonce de l’institution d’une loi de programmation pluriannuelle, conformément à ce que demandait le groupe Les Démocrates. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
Je pense à l’accès aux services publics dans nos territoires, en particulier ultramarins – vous me permettrez d’avoir en cet instant une pensée pour nos compatriotes Mahorais – ou ruraux.
M. Fabrice Brun
Il est vrai qu’il faut agir pour la ruralité !
M. Marc Fesneau
Ils ont besoin de modèles mieux adaptés à leurs singularités et aux évolutions démographiques et sociales, et qui épousent leurs réalités propres, en laissant une place plus importante à l’expérimentation.
Je pense enfin à l’écologie. Je suis persuadé qu’il existe un chemin pour répondre à l’urgence climatique tout en s’assurant de l’adhésion la plus large possible et de la soutenabilité des trajectoires que nous définissons, afin que l’écologie ne pèse pas, en premier lieu, sur les plus modestes et ne soit pas vécue comme une punition.
Ces priorités, nous devons y répondre avant tout pour notre jeunesse. Son indifférence, si ce n’est sa défiance, nous oblige et devrait collectivement nous inviter à nous ressaisir.
Pour que ce triptyque « stabilité, lucidité, confiance » ne repose pas que sur du sable, nous avons besoin d’un ciment, celui de la coopération. Notre groupe en sera, comme toujours, le fer de lance.
La coopération, c’est accepter que personne, ici, n’est majoritaire et que nul ne peut, seul, imposer ses vues.
La coopération, c’est accepter d’assumer les mesures difficiles ou impopulaires prises dans l’intérêt du pays, et pas seulement revendiquer les victoires faciles ou populaires. S’il ne s’agit que de plaire, que de voguer dans le sens du courant, nul besoin de coopération : c’est la facilité du populisme !
La coopération, c’est accepter que l’opposition soit respectée, y compris dans sa différence et pas seulement quand elle est d’accord avec nous.
La coopération, c’est, pour ceux qui ont fait le choix – que je respecte – de ne pas participer à un gouvernement pour ne pas être comptable de son action,…
Mme Justine Gruet
Quel sens des responsabilités !
M. Marc Fesneau
…de se demander, à chaque instant, pour chaque vote, de bonne foi, ce qu’ils feraient s’ils étaient demain aux responsabilités.
La coopération, c’est accepter qu’au sein du gouvernement puissent s’exprimer des nuances, voire des divergences, mais sous réserve que l’on respecte les arbitrages et que l’on se concentre sur les sujets qui nous rassemblent – et ils sont nombreux. Que chacun se rassure : le temps de l’expression des différences viendra – ce sera en 2027 ! Je propose que, d’ici-là, nous soyons utiles au pays et ne perdions pas de temps.
Ce n’est que par la coopération que nous sortirons la France de l’ornière, puis que nous lui donnerons de nouveau de l’espoir. La coopération est la conviction profonde que personne ne peut y arriver à moins que tout le monde n’y arrive – par la stabilité, la lucidité et la confiance, par une éthique du dialogue.
Les Français nous jugeront aux actes.
Mme Julie Laernoes
Ils l’ont déjà fait !
M. Marc Fesneau
Nous ne pourrons agir à leur service qu’en construisant des compromis par la coopération. Nous serons pour notre part au rendez-vous de cette coopération, dont l’unique objet est l’intérêt du pays, donc celui des Français. C’est pour nous la seule chose qui vaille. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et EPR, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Sylvain Berrios.
M. Sylvain Berrios (HOR)
Le 5 décembre, les députés issus notamment du Rassemblement national et des groupes qui composent le Nouveau Front populaire ont fait le choix de s’allier pour censurer le gouvernement, ouvrant la voie à une instabilité inédite dans l’histoire de la Ve République.
Personne n’a gagné les élections.
Mme Marie-Charlotte Garin et Mme Sandra Regol
Mais certains les ont perdues !
M. Sylvain Berrios
Il n’y a pas de majorité établie, c’est un fait. Nous pouvons continuer à nous regarder en chiens de faïence et feindre d’ignorer les conséquences désastreuses du choix de l’instabilité.
Mme Marie-Charlotte Garin
On peut aussi appeler le NFP à former un gouvernement !
M. Sylvain Berrios
Les députés du groupe Horizons & indépendants ont fait un autre choix, celui de la responsabilité, en veillant aux intérêts du pays avant de veiller à ceux des coteries.
« L’unité, la cohésion, la discipline intérieure du gouvernement de la France doivent être des choses sacrées, sous peine de voir rapidement la direction même du pays impuissante et disqualifiée. » Par ces mots, lors du discours fondateur de Bayeux, en 1946, le général de Gaulle montrait le chemin existentiel qu’il nous faut suivre.
La direction du pays est une chose sacrée car, aussi étonnant que cela puisse paraître, les jeux d’alliances au Parlement français n’intéressent pas la Russie, qui poursuit sa guerre contre l’Ukraine ; ils n’intéressent pas Donald Trump, qui manifeste des velléités de reléguer l’Europe au rang de supplétif ; ils n’intéressent pas non plus la Chine, qui intensifie ses pressions commerciales ; ils intéressent probablement encore moins les acteurs régionaux du Levant, qui traverse des bouleversements profonds. En revanche, ils intéressent la présidente de la Commission européenne : les députés censeurs lui offrent une occasion inespérée d’accélérer l’accord avec le Mercosur.
En ce début d’année, les députés du groupe Horizons & indépendants forment le vœu que nous trouvions le courage collectif de sortir des querelles pour enfin parler aux Français des moyens à mobiliser pour résoudre leurs problèmes.
Mme Sandra Regol
Commencez par respecter leur vote !
M. Sylvain Berrios
En effet, si beaucoup de nos concitoyens ne savent pas ce qu’est une commission mixte paritaire, ils savent tous en revanche que les plans sociaux se multiplient. Ils sont nombreux à vouloir que l’accès à la santé ne soit plus un chemin de croix, à attendre que leur travail leur permette de bénéficier d’un pouvoir d’achat à la hauteur de leurs efforts, à se demander si la crise du logement aura une fin, à être inquiets de l’insécurité du quotidien, anxieux de la gangrène du narcotrafic et préoccupés par une immigration subie.
Pour pouvoir agir, nous avons besoin d’un budget. Saluons à cette occasion le travail de votre prédécesseur, Michel Barnier, car il a établi des constats clairvoyants, dont la censure du 5 décembre ne nous exonérera pas. La France ne peut plus se payer le luxe de creuser davantage son déficit. L’accroissement indéfini de la dette est un poison.
À cet égard, le débat sur les retraites est éclairant : seule une réforme systémique, à l’instar de celle proposée en 2019, reposant sur un mécanisme de points, pourrait nous permettre de sortir de l’ornière.
Imaginer, en revanche, qu’un système de retraite par répartition resterait viable en revenant à la retraite à 62 ou 60 ans relève de l’aveuglement. La conférence sociale que vous proposez de réunir est une bonne chose : oui, il faut discuter, avec tout le monde – avec chacun des groupes et chacun des parlementaires notamment. Nous devons toutefois regarder la réalité en face : perdre du temps, revenir en arrière ne ferait qu’accélérer la crise financière et budgétaire.
De même, alors que notre pays connaît des taux d’imposition parmi les plus élevés au monde, nous ne pourrons pas accepter la création d’impôts nouveaux. Pour assainir nos comptes publics et retrouver des marges de manœuvre, nous devons donc travailler à une baisse significative de la dépense publique et agir sur la structure même de l’État. Je salue, à cet égard, la présence à vos côtés, monsieur le premier ministre, de Laurent Marcangeli qui saura, j’en suis sûr, relever le défi de la simplification et de l’efficacité de l’action publique, au cœur des choix budgétaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
Pas de placement de produit !
M. Sylvain Berrios
Chaque euro investi doit répondre à cet impératif d’efficacité. Nous avons bien entendu l’annonce, et nous nous félicitons du travail qui sera engagé en vue de la réforme de l’État, de ses structures centrales ; pour autant, nous ne pouvons oublier les collectivités locales.
Prenons un exemple : en Île-de-France, en moins de dix ans, nous avons réussi l’exploit d’ajouter deux nouvelles strates politico-administratives aux trois strates existantes, dans un enchevêtrement de compétences inextricable !
Les collectivités locales ne sont néanmoins pas à l’origine du désastre budgétaire. Vous l’avez rappelé : elles réalisent près de 70 % des investissements publics et leurs comptes – vous le savez, monsieur le maire de Pau – sont à l’équilibre. Elles constituent aussi les principaux, et souvent les seuls, guichets accessibles de la République.
Les élus locaux sont disposés à participer à l’effort collectif de redressement des finances publiques, mais non au prix de tous les sacrifices. Pour cela, nous devons rebâtir avec les collectivités une relation contractuelle de confiance, reposant sur la simplification des normes qui leur sont imposées, sur un nouvel acte de décentralisation et de déconcentration ainsi que sur le respect de leur autonomie financière. Du reste, l’effort budgétaire demandé aux collectivités ne peut pas être supérieur à celui l’État.
Votre gouvernement, monsieur le premier ministre, devra prioritairement répondre aux préoccupations urgentes et immédiates des Français. L’urgence, c’est, bien sûr, le projet de loi pour Mayotte, en cours d’examen dans notre assemblée ; mais le budget devra aussi apporter des solutions politiques et économiques à la Nouvelle-Calédonie.
Quant aux préoccupations immédiates, il y a d’abord le coût de l’énergie, source d’inquiétudes pour nos entreprises, parfois contraintes à des choix stratégiques cornéliens. Il y a aussi le logement : l’élargissement du prêt à taux zéro, que défend le groupe Horizons & Indépendants, est attendu par des milliers d’acquéreurs. La mesure pour faciliter les donations et successions en vue d’un premier achat que nous proposons donnerait, quant à elle, une bouffée d’oxygène à un secteur qui en a cruellement besoin. Nous devons aussi sortir notre pays du fétichisme du quota en matière de logements aidés, afin de mieux accompagner les élus et de desserrer le carcan administratif qui pèse sur le secteur de la construction. N’oublions pas l’agriculture : ces femmes et ces hommes qui travaillent sans compter leurs heures pour nous nourrir, tous, et ne demandent qu’une chose à l’État, le respect de la parole donnée.
Parmi nos priorités, certains chantiers nécessitent une vision et des engagements de long terme. Je pense en particulier aux lois de programmation des ministères de l’intérieur et de la justice. Les Français attendent des actes forts, en particulier dans la lutte contre le narcotrafic et la délinquance du quotidien. (M. Bertrand Bouyx applaudit.) Nous souhaitons que votre gouvernement réussisse à relever ce défi avec Gérald Darmanin et Bruno Retailleau.
L’immigration ne doit plus être un sujet tabou. Notre relation avec l’Algérie doit être remise à plat, comme le proposait Edouard Philippe dès juin 2023. Nous n’avons aucune raison de supporter menaces et chantages touchant une matière aussi profondément humaine que l’immigration. Tant que cette relation ne sera pas refondée, il nous faut suspendre les accords de 1968. De la même manière, les accords du Touquet de 2003 doivent être réinterrogés.
En matière environnementale, notre action ne peut viser le seul objectif, nécessaire mais insuffisant, de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La sauvegarde et le développement de la biodiversité – constitutive de nos paysages – doivent faire l’objet d’un ambitieux projet de protection de nos terres, de nos rivières, de nos fleuves. J’ai pris bonne note de votre souhait d’élaborer une loi sur l’eau, démarche dans laquelle nous vous accompagnerons. C’est ainsi qu’une politique environnementale peut tisser un lien charnel avec le pays et ses paysages.
Il nous faut aussi poursuivre l’effort engagé en matière de solidarité, d’insertion et de handicap. Permettez-moi de saluer le travail réalisé par Paul Christophe, Marie-Agnès Poussier-Winsback et par Charlotte Parmentier-Lecocq, qui continuera à œuvrer au gouvernement.
D’autres défis nous attendent dans le domaine de l’école, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Au moment où le pouvoir de l’intelligence humaine est en passe de dessiner notre avenir face aux révolutions numériques et à la montée de l’intelligence artificielle, la loi de programmation pour la recherche doit être menée à son terme.
Dans les prochains mois, notre pays aura à affronter le monde tel qu’il a l’inconvénient d’être. La souveraineté de la France dans le monde doit être réaffirmée : notre diplomatie a été mise à rude épreuve, de même que nos armées. Alors que l’arc des crises internationales se développe, la mise en œuvre de la loi de programmation militaire est indispensable ; nous serons aux côtés de Sébastien Lecornu pour remplir cette mission.
Pour conclure, monsieur le premier ministre, permettez-moi de rappeler notre attachement aux institutions de la Ve République.
M. Jean-Yves Bony
Très bien !
M. Sylvain Berrios
Nous ne pensons pas opportun de rompre le lien charnel unissant les élus aux Français au profit des partis : le passage à la proportionnelle n’apporterait pas de réponse à la crise actuelle du régime, née du chaos et œuvre de ceux qui veulent le chaos.
Monsieur le premier ministre, le groupe Horizons & indépendants aura à cœur de vous apporter un soutien exigeant et vigilant, tel que le souhaitent l’ensemble des Français. (Les députés du groupe HOR se lèvent et applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Lenormand.
M. Stéphane Lenormand (LIOT)
Il y a quelques mois nous écoutions, dans ce même hémicycle, le discours de politique générale de votre prédécesseur, monsieur le premier ministre. Nous avions tous fait le même constat, une France plus divisée que jamais, alors que les crises se multiplient : des comptes publics qui dévissent ; une dette qui devient impossible à maîtriser ; une économie qui s’enlise ; des PME qui se demandent si elles passeront l’année ; des hôpitaux qui ne se relèvent pas, et l’éducation nationale qui peine à offrir des solutions tant aux enseignants qu’aux élèves. Et la France n’a toujours pas de budget pour 2025, ce qui n’offre de perspectives positives ni sur le plan extérieur ni sur le plan intérieur.
Les Français sont inquiets et s’interrogent. Leur confiance en leurs élus continue de s’étioler. La France des territoires regarde un microcosme parisien faire des promesses sans lendemain et, parfois, prendre des décisions coupées des réalités et du quotidien des Français, qu’elles concernent l’accès aux soins et la situation des hôpitaux, la vie chère et le pouvoir d’achat, l’éducation nationale ou les petites et moyennes entreprises.
Méfions-nous d’une colère sourde qui, née de la perte de confiance dans nos institutions et de la résignation de nos compatriotes, pourrait aboutir dans la rue. Nos territoires ultramarins ont déjà été le théâtre d’événements révélateurs de cette situation.
Le message des Français aux élus nationaux depuis la dissolution voulue par le président de la République était pourtant clair : abandonner les oripeaux dogmatiques pour travailler dans l’intérêt général, écouter les citoyens et les territoires.
À l’annonce de la composition du gouvernement, la perplexité s’est emparée de beaucoup d’entre nous : quasiment les mêmes ministres, de nombreux retours et les mêmes cabinets ministériels. Pensons-nous réellement obtenir un résultat différent en utilisant toujours les mêmes recettes ? Élections perdues, dissolution ratée : les Français ont rejeté, en partie, les politiques menées ces dernières années.
Mme Marie Pochon
Pourquoi en partie ?
M. Stéphane Lenormand
C’est un fait ; il faut en tirer des conclusions.
Monsieur le premier ministre, une véritable rupture est nécessaire, tant sur le fond que sur la forme : davantage d’écoute, de dialogue et de respect du Parlement. Il est nécessaire de dégager des objectifs partagés et d’abandonner un centralisme déconnecté. L’humilité – vous en avez parlé –, la responsabilité et la transparence doivent guider vos pas, monsieur le premier ministre, et ceux de votre gouvernement.
Au groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, composé de députés venant de la gauche, du centre et de la droite, c’est la méthode qui nous caractérise et qui nous permet, par le dialogue, de dégager des consensus. Nos différences sont notre richesse, notre ancrage territorial est notre atout, le dialogue notre force.
Fidèle à ce qui est sa ligne depuis le début, le groupe LIOT continuera à se positionner comme un groupe indépendant, d’opposition mais constructif, au service de l’intérêt général.
M. Pierre Cordier
Nous aussi !
M. Stéphane Lenormand
Nous nous prononcerons sur les textes de loi en ne pensant qu’à l’intérêt de nos concitoyens ; le souci de répondre à leurs urgences constituera notre seule boussole.
La première des urgences est d’engager des réformes permettant d’améliorer le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Une conférence sociale nationale sur le partage de la valeur est indispensable. Il convient de réfléchir aux pistes permettant aux entreprises françaises de toutes tailles de générer plus de résultat afin de permettre ce partage. Nous sommes convaincus que le travail doit être plus rémunérateur. Or comment accroître le pouvoir d’achat des Français quand notre système fiscal crée des trappes à bas salaires ? Un chef d’entreprise qui veut augmenter son salarié de 100 euros net doit en débourser 480. C’est à de tels problèmes qu’il faut apporter des réponses.
Par ailleurs, n’oublions pas nos agriculteurs, qui attendent d’urgence des mesures concrètes et conformes aux engagements pris il y a un an. Qu’il s’agisse des revenus, de la loi Egalim, du prix des produits agricoles, de la taxation du gazole, des aides européennes, de la politique agricole commune (PAC), du pacte vert pour l’Europe, du plan Écophyto, ou encore des accords de libre-échange – vous les avez évoqués –, il nous faudra répondre à leurs attentes.
Quant au domaine du logement, premier poste de dépense des ménages, il est symptomatique des problèmes français : surréglementation, manque de visibilité, éparpillement des moyens, spéculation galopante et, finalement, absence de résultat probant.
Lorsque l’on parle de pouvoir d’achat, nous ne pouvons passer sous silence le sort de nos concitoyens d’outre-mer, singulièrement oubliés ces dernières années. Sur la continuité territoriale des biens et des personnes, ils attendent des réponses précises.
Le terrible drame qui a frappé Mayotte nous oblige à reconstruire durablement ce territoire français pour permettre aux Mahoraises et Mahorais de regarder l’avenir avec confiance : il est impératif d’adopter une loi pour Mayotte, qui réponde aux problèmes spécifiques rencontrés par nos concitoyens mahorais, avec une programmation budgétaire fixant un calendrier de développement. Des adaptations sont également attendues pour y lutter contre l’immigration clandestine.
Un autre territoire insulaire – sans parler de la Nouvelle-Calédonie que vous avez évoquée –, la Corse, attend, depuis le début de la nouvelle législature, que reprenne le processus dit de Beauvau, dont le groupe LIOT estime fondamental qu’il débouche rapidement sur un statut d’autonomie, attente majeure exprimée par le peuple corse depuis de nombreuses années.
Les Françaises et les Français mettent encore, en ce début d’année 2025, la santé au premier rang de leurs priorités, en particulier dans nos territoires ultramarins et nos territoires ruraux. Nombre d’entre eux rencontrent des difficultés pour obtenir un rendez-vous auprès d’un médecin spécialisé, voire une simple consultation chez un médecin généraliste ; des services hospitaliers ferment ; les personnels soignants sont toujours en souffrance. La suppression des agences régionales de santé (ARS) permettrait de réaliser des économies tout en laissant les personnels soignants se concentrer sur les patients plutôt que les statistiques. Vous avez eu le mot juste, monsieur le premier ministre : nous avons besoin de débureaucratiser la santé !
Rappelons l’importance de mieux prendre en compte le vieillissement de notre population et ses conséquences au travers d’un plan « grand âge », maintes fois repoussé et pourtant si nécessaire à notre pays.
S’agissant toujours des questions sociales, le groupe LIOT s’était opposé à l’adoption de la réforme des retraites, notamment à cause de la mesure d’âge. Nous espérons que la conférence de financement, que vous venez d’annoncer et que nous considérons comme un premier pas, permettra d’aboutir à la suspension de cette mesure, que nous avons toujours considérée comme injuste.
La lutte contre la délinquance, contre le trafic de stupéfiants en particulier, constitue également une priorité pour nos compatriotes. Il est devenu clair aux yeux de tous qu’il faut plus de moyens et personnels actifs et visibles sur le terrain, mais aussi une exécution effective des peines et une lutte efficace contre la récidive. À propos de lutte contre le trafic de stupéfiants, j’appelle l’attention du premier ministre sur la situation des Antilles : véritable porte d’entrée de la drogue, il faudra y consacrer les moyens nécessaires à endiguer ce fléau.
La question du contrôle et de la limitation effective des flux migratoires est aussi une source d’interrogations et d’inquiétudes fortes pour nos concitoyens. Des mesures concrètes doivent être déployées avec pragmatisme, réalisme, rigueur mais aussi humanité.
Comme son nom l’indique, le groupe LIOT est attaché aux libertés fondamentales. Nous ne pouvons pas accepter de mettre entre parenthèses les fondamentaux de notre démocratie et, en premier lieu, l’État de droit, qui ne peut souffrir aucune remise en cause.
Toujours en matière de fondamentaux, l’enjeu majeur du redressement des comptes publics, particulièrement dégradés, doit être abordé dans un esprit de justice fiscale et sociale, en particulier par le rééquilibrage des charges entre les revenus du travail et ceux du capital. Le financement de notre modèle social repose quasi uniquement sur le travail des Français. Si une telle vision était pertinente à la sortie de la seconde guerre mondiale, un nouveau modèle est à inventer pour pérenniser notre système social.
Permettez-moi de rappeler encore une fois que les collectivités, qui supportent 70 % de l’investissement public et sont soumises à la règle d’or, ne sont pas responsables du déficit de l’État. Il faut arrêter d’en faire les coupables, faute du courage nécessaire pour engager l’État dans de réelles économies de fonctionnement. Suppression d’agences et d’opérateurs de l’État, réel audit des 200 milliards d’aides publiques aux entreprises, taxe sur les rachats d’actions et les plus hauts revenus : nous avons défendu des propositions responsables pour réaliser des économies et dégager des recettes supplémentaires justes, ne reposant pas sur les plus modestes, dans le cadre d’un effort partagé et sans détruire l’appareil de production ou nos très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME).
Les membres de mon groupe sont convaincus que la centralisation exacerbée de notre pays est un facteur de tensions sociales et de dégradation démocratique, et qu’elle pèse lourdement sur nos déficits budgétaires et sur la situation de nos services publics. Nous regrettons que vous n’ayez pas annoncé un nouveau mouvement de décentralisation politique, qui attribue un pouvoir réglementaire aux élus locaux dans leurs domaines de compétence et qui fasse advenir une véritable autonomie fiscale en renforçant la démocratie locale. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LIOT.)
En conclusion, notre priorité, au cours de cette législature, est d’être dans l’opposition tout en demeurant force de proposition, dans le dialogue et le respect de tous, pour donner une chance à notre pays et à nos concitoyens d’aborder l’avenir de manière plus sereine.
Monsieur le premier ministre, vous vous trouvez sur un chemin de crête étroit ; le groupe LIOT, lui, favorisera toujours, de manière responsable, la stabilité dont notre pays a besoin. Vous aurez l’obligation de développer une réelle méthode de travail, en concertation avec l’ensemble des forces politiques. Les Français nous regardent : l’immobilisme est un danger ; l’action, une nécessité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur quelques bancs des groupes SOC et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Émeline K/Bidi.
Mme Émeline K/Bidi (GDR)
C’est en ma qualité de coprésidente du groupe de la Gauche démocrate et républicaine que je m’exprime devant vous. Vous connaissez la particularité de notre groupe, composé pour moitié d’ultramarins, et c’est justement sur l’outre-mer que je concentrerai mon propos.
Vous avez indiqué tout à l’heure vouloir faire de l’outre-mer une des principales préoccupations de la nation. Je souhaite donc partager avec vous une interrogation qui tiraille les 2,6 millions d’habitants de ces territoires et, je l’espère, au vu des images qui nous sont parvenues de Mayotte, quelques-uns de nos concitoyens de l’Hexagone : qu’est-ce que la France d’outre-mer ? C’est la France des océans, celle sur laquelle le soleil ne se couche jamais, celle de ce que l’on appelait autrefois les « colonies ». Quelle place et quelles politiques – au pluriel ! – doivent être réservées à ces territoires si différents et néanmoins unis, unis par la pauvreté, le sous-développement et la cherté de la vie ? Ce sont autant de problèmes que l’éloignement du territoire hexagonal ne peut suffire à expliquer.
Si la France est la septième puissance mondiale et le pays des droits de l’homme, alors qu’est-ce que la France d’outre-mer ? À La Réunion, 36 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, mais les loyers y sont parmi les plus chers de France ; 50 000 personnes y sont dans l’attente d’un logement social et 19 % de la population est au chômage.
En Martinique, les prix de l’alimentation sont 38 % plus élevés qu’en Hexagone : la vie chère, c’est ce problème qui touche l’ensemble des outre-mer et qui condamne des milliers de gens à la pauvreté. En Guyane, 52 % des jeunes ont des difficultés de lecture ; il y manque des routes, il n’y a toujours pas de centre hospitalier universitaire (CHU) et l’espérance de vie y est moindre qu’en Hexagone, alors que la réforme des retraites s’y applique de façon indifférenciée. En Nouvelle-Calédonie, l’économie a été détruite, suite à la décision inconsciente, prise par un homme, de faire passer la loi sur le dégel du corps électoral. Il faut désormais tout reconstruire et reprendre sans attendre les discussions sur l’avenir institutionnel de l’archipel.
Quant à Mayotte, elle a été meurtrie et endeuillée par le cyclone Chido, qui a révélé au monde entier l’ampleur du sous-développement de ce département français. Avant le passage de la tempête, 77 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté, 37 % des Mahorais étaient au chômage, 30 % d’entre eux n’étaient pas raccordés à l’eau, et un quart des logements étaient en tôle. Qu’en est-il aujourd’hui ? L’horreur a laissé place à la colère pour les uns, tandis que, pour d’autres, la honte semble s’être rapidement muée en opportunisme. Mayotte, c’est ce département français où l’on ne compte pas les morts, mais où le préfet a limité la vente de tôle aux particuliers munis de pièces d’identité. Si l’immigration est assurément un fléau à Mayotte, le manque d’investissements de l’État en est un autre.
Qu’est-ce que la France d’outre-mer ? Des sous-territoires de la République ? Des îlots de pauvreté maintenus sous giron français pour des raisons économiques ? Je vous vois relever la tête, monsieur le premier ministre : peut-être mes propos vous choquent-ils ? Je l’espère ; tant mieux ! Si vous êtes au moins aussi choqué par les conditions de vie de mes concitoyens d’outre-mer que par mes propos, alors peut-être changerez-vous de politique. J’emploie des morts forts car je souhaite que les choses changent !
En outre-mer, les besoins sont immenses et la crise est partout. Ce sont des crises aux origines et aux conséquences diverses, en fonction des territoires, qui nécessitent des mesures fortes ; des crises qui, pour être résolues, exigent, au plus haut sommet de l’État, considération, respect, dialogue et écoute. Stop au parisianisme hors-sol qui sévit dans nos territoires ! Stop au commerce exclusif avec l’Hexagone, qui nuit à notre développement économique. Nous ne sommes pas des enfants ignorants ! Nous avons de nos territoires une connaissance certaine, et nous avons pour eux des propositions concrètes, que les différents gouvernements Macron ont successivement balayées d’un revers de main.
Serez-vous l’un de ceux-là ? Changerez-vous de méthode et de politique ? Romprez-vous avec la ligne du président de la République ? Aurez-vous le courage de dénoncer ses propos méprisants lorsqu’il s’adresse aux ultramarins, comme dernièrement à Mayotte ? Monsieur le premier ministre, je n’ai qu’une question : qu’est-ce que c’est, pour vous, la France d’outre-mer ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS et sur quelques bancs des groupes LIOT et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. Sacha Houlié.
M. Sacha Houlié (NI)
C’est dans un style assez littéraire que vous êtes venu nous présenter, monsieur le premier ministre, votre « promesse française », votre déclaration de politique générale. Cette signature vous offre le confort du flou, un abri précieux face à l’instabilité qui règne ici depuis la dissolution.
Nous ne disposions jusqu’alors – depuis près d’un mois – que de votre casting ; à l’heure où nous sillonnons la France, de communes en communes et de vœux en vœux, l’honnêteté m’oblige à vous dire qu’il n’avait pas parfaitement convaincu. Ces derniers jours, vous avez pris une première décision notable par rapport à votre prédécesseur : vous n’avez pas placé votre destin dans les mains du Rassemblement national. Vous avez fait mine, avec M. le ministre de l’économie – que je salue tout particulièrement –, de privilégier le front républicain. En somme, vous semblez tirer les conséquences du second tour des élections législatives de juillet dernier, et je souhaite que cette main tendue à la gauche soit durable.
Vous avez d’abord proposé de remettre sur le métier la réforme des retraites. Vous tentez aujourd’hui, tardivement, d’en corriger le premier écueil, relatif aux besoins de financement – la réforme n’avait pas convaincu sur ce point. Vous proposez de saisir les partenaires sociaux pour trouver une autre solution. L’une des plus connues et la meilleure, c’est celle que nous aurions déjà dû choisir il y a cinq ans : c’est la retraite par points.
Au-delà de cette annonce, vous avez égrené des orientations davantage que des mesures ou un calendrier parlementaire. Parmi celles-ci, j’ai noté que vous placiez l’éducation au-dessus de tout. J’ai aussi apprécié la façon dont vous repreniez à votre compte la lutte contre ce mal qu’est l’assignation à résidence, principale cause du désespoir et du sentiment de relégation. J’ai relevé la juste autocritique que vous avez formulée – parfois maladroitement, en faisant référence au jardinage – à propos du tri social que constitue l’orientation précoce des élèves.
Je n’ai en revanche pas compris si vous comptiez renoncer à la suppression de 4 000 postes d’enseignant, soit 100 classes de moins pour un département comme le mien. Je ne sais pas si vous comptez retravailler sur le déficit d’attractivité de la profession d’enseignant et notamment sur la question des revenus. J’ignore ce que vous comptez faire en matière de mixité scolaire et à propos du choc des savoirs, qui est un fiasco – il faut l’avouer.
Vous avez fait du budget l’urgence ; son adoption est en effet une urgence pour tous. J’ai été attentif à votre plaidoyer contre les hausses d’impôts ou de cotisations sociales : ces déclarations me semblent en décalage avec la demande profonde de justice fiscale qui gronde dans notre pays. Que ferez-vous des légitimes efforts demandés, dans les précédentes copies du texte, aux plus fortunés et aux plus grandes entreprises ? Quelles sont vos intentions au sujet de la bonne idée, pourtant venue de vos rangs, consistant à introduire une fiscalité plus juste sur le patrimoine, par exemple en relevant le taux du prélèvement forfaitaire unique (PFU) ?
Nous avons obtenu à peine plus de réponses en matière de santé. Je prends néanmoins acte, avec bienveillance, de la hausse notable annoncée de l’Ondam, du refus de dérembourser certains médicaments ou de la consécration de la santé mentale comme grande cause nationale. Naturellement, nous devons en savoir plus sur vos intentions.
Nous avons aussi pu mesurer votre ambition écologique, qui s’avère supérieure à celle présentée devant nous il y a quatre mois – vous me direz que ce n’était pas difficile. Cela n’occulte pas les questions que vous avez posées, sans forcément y répondre, sur le financement de nos infrastructures de transports ou en matière de rénovation urbaine et de construction de logements. En faisant votre déclaration d’amour aux territoires et à la différenciation, vous vous êtes gardé de nous exposer votre ambition sur ces sujets. Tout juste nous avez-vous fait part, et c’est une bonne chose, de votre intérêt pour les territoires ultramarins. Au fond, c’est en matière régalienne que vous avez cédé à la facilité.
Je note cependant votre attachement à l’autorité de l’État et à l’État de droit, ce qui n’était pas si clair pour la précédente équipe ; il reste toutefois à prouver, si l’on considère la confiance que vous maintenez à M. le ministre de l’intérieur. Un tel attachement impliquerait d’ailleurs un engagement ferme à respecter les lois d’orientation et de programmation des ministères de l’intérieur et de la justice, ainsi que la loi de programmation militaire. Garantissez-vous l’emploi de magistrats, de greffiers, de policiers ou de gendarmes à la hauteur promise ? Dans le précédent budget, nous avions constaté que les schémas d’emplois, pour ces catégories, étaient nuls.
Vous avez donné quitus au groupe de l’ex-majorité quant à sa proposition de loi sur la justice des mineurs ; ignorez-vous que celle-ci a été largement réécrite par la commission des lois de notre assemblée, pour sauvegarder les principes fondateurs de l’ordonnance de 1945 et du code de la justice pénale des mineurs ?
Vous vous êtes inquiété de la manière dont nos concitoyens se représentent l’immigration, en faisant référence à son importance dans certains territoires. J’aurais préféré que vous évoquiez la baisse de 38 %, en 2024, du nombre d’entrées irrégulières sur le territoire européen, qui a été annoncée par l’agence Frontex ; le chiffre est au plus bas depuis 2021, c’est-à-dire depuis la crise du covid.
Pourquoi flatter la droite, qui ne nous a jamais aidés et qui laisse planer la perspective d’une nouvelle loi « immigration » dont personne n’a véritablement besoin ? Devons-nous par ailleurs comprendre, quand vous dites soutenir l’intégration, que vous souhaitez finalement régulariser les travailleurs dans les métiers en tension, comme nous le proposions dans la version initiale de la loi « immigration » ?
Quant à Mayotte, il y a mille choses à faire avant d’aborder le droit du sol et je vous invite à relire un auteur parfois brillant, bien qu’inconstant, qui écrivait il y a un an dans Le Monde : « Croire que le droit du sol est responsable de la situation […] que connaît Mayotte est une erreur d’analyse. »
Monsieur le premier ministre, votre déclaration de politique générale n’était finalement pas totalement lisible. C’est peut-être une stratégie pour durer, mais il vous faudra sortir de l’ambiguïté ; c’est à l’aune de vos actes que nous pourrons vous juger. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et LIOT. – Mme Stella Dupont applaudit également.)
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures dix.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
La parole est à M. le premier ministre.
M. François Bayrou, premier ministre
Je vais essayer de répondre succinctement à chacun d’entre vous.
Monsieur Peu, vous avez regretté et même condamné ce que vous avez appelé le refus de convoquer une conférence sociale sur les retraites. En vérité, c’est bien ce que nous faisons : nous convoquons à partir de vendredi une conférence sociale au mandat très large. Nous demandons aux partenaires sociaux de produire leurs analyses et les propositions, dont certaines ont déjà été exposées ou identifiées. Chacun s’accorde à reconnaître qu’il existe en la matière des marges de progrès qui n’ont pas été exploitées. Pourtant, Dieu sait que le gouvernement d’Élisabeth Borne avait fait tous ses efforts !
M. Jean-Paul Lecoq
Dieu le sait peut-être, mais pas nous !
M. François Bayrou, premier ministre
Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage, dit le proverbe. Je confirme en tout cas que nous donnons aux partenaires sociaux un mandat de négociation très étendu, sans aucun interdit. Vous pouvez y voir le signe d’ouverture que vous appeliez de vos vœux et que vous regrettiez de ne pas avoir entendu.
M. Ciotti a évoqué, me concernant, une dérive à gauche.
M. Thibault Bazin
C’est vrai qu’il s’y connaît en dérives !
M. François Bayrou, premier ministre
Lors de ce débat, je n’ai pas eu le sentiment que ce diagnostic était partagé. Je souhaite cependant donner droit à l’appel à la sécurité et à la défense de l’ordre qu’a prononcé M. Ciotti. Je pense que, dans la crise où nous sommes, il sera impossible de conduire le pays si tous les citoyens n’ont pas la certitude que l’ordre est défendu sans faiblesse. Nous devons garantir à tous, en particulier aux plus faibles, qui sont les plus fragilisés par tous les désordres, la présence de l’État et la défense de ses principes.
Le gouvernement estime qu’il n’y a aucune contradiction entre la garantie des droits fondamentaux et la défense de l’ordre. On a l’habitude d’opposer les deux ; à notre sens, c’est se tromper. La garantie de l’ordre constitue la politique sociale la plus indispensable.
Mme Danielle Brulebois
Exactement !
M. François Bayrou, premier ministre
Quand, au sein d’une société, le désordre, les atteintes à la propriété, aux biens et aux personnes se multiplient, alors ce sont les plus fragiles qui trinquent (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem) et qui, dès lors, dérivent. C’est peut-être le seul point sur lequel je suis d’accord avec M. Ciotti. D’ailleurs, je ne m’attendais pas à ce que nous ayons de nombreux points de rencontre ; comme il l’a souligné, il y a eu une période dans son engagement politique où nous pouvions avoir des opinions en commun, mais il me semble qu’il a depuis changé d’engagement.
Monsieur Tanguy, je ne polémiquerai pas sur Mayotte, car nos concitoyens mahorais ont droit à autre chose. Ils veulent que leurs préoccupations les plus urgentes et brûlantes soient prises en considération. Les deux préoccupations majeures sont la reconstruction, ou plus exactement la sauvegarde de ce qui existe encore et la mise à l’abri des personnes, des familles et des biens. Nous avons présenté le plan Mayotte debout, qui a été accueilli par les élus mahorais et la partie de la population qui participe à ces débats comme étant positif.
Ils attendent, c’est vrai, qu’on traite de la question de l’immigration clandestine et des bidonvilles. Ces deux points feront l’objet de textes et de décisions. Premièrement, un texte sera soumis pour qu’une personne ne puisse plus avoir accès à la nationalité française par la naissance si les deux parents ne sont pas français et présents à Mayotte depuis plus d’un an. Il faut entendre cette attente ardente de la population. Comme je l’ai dit à la tribune, si la même proportion de la population vivait dans l’illégalité et dans des bidonvilles à Paris intra-muros, 500 000 personnes seraient dans une telle situation.
M. Thibault Bazin
Ce serait énorme !
M. François Bayrou, premier ministre
Qui le supporterait ? Qui, parmi ceux qui se flattent de savoir comment faire et soutiennent que la question de l’immigration illégale à Mayotte n’est pas un problème, le supporterait ? Sur tous les bancs de cette assemblée et à la tribune, on entendrait alors les mêmes revendications qu’à Mayotte.
M. Davy Rimane
Vous l’avez déjà dit !
M. François Bayrou, premier ministre
Deuxièmement, nous devons parler non seulement de reconstruction mais aussi de construction. Comme cela a été dit à plusieurs reprises à la tribune, la situation de Mayotte auparavant n’était ni idyllique ni simplement recommandable. Mme K/Bidi a employé le mot « sous-développement », qui décrit exactement cette situation, laquelle vient de loin, de l’histoire. L’appartenance à la République française et le choix de cette appartenance sont récents : ils remontent à peine à quelques dizaines d’années.
M. Davy Rimane
Non ! C’était au XIXe siècle !
M. François Bayrou, premier ministre
J’ai participé, aux côtés des élus de Mayotte, aux combats pour Mayotte française. Ce sont des personnalités éminentes qui étaient de surcroît mes amis.
Il ne s’agit pas seulement sauver ce qui peut l’être à Mayotte, mais tracer un avenir sur de nombreux sujets, par exemple en matière d’urbanisme. Nous venons de connaître une catastrophe écologique sans précédent : des millions d’arbres ont été abattus à Mayotte, presque la totalité des arbres adultes. Un grand plan de reforestation est nécessaire, en choisissant des essences susceptibles de résister à des catastrophes de cet ordre. Comment utiliser les millions de mètres cubes de bois des arbres abattus par la tempête ? Ils pourraient être transformés en pellets, c’est-à-dire en granulés de bois, pour alimenter par exemple une usine de production d’électricité à partir de la biomasse. Toutes ces questions participent non pas de la reconstruction et de la sauvegarde de ce qui existait, mais de l’avenir, de l’idée que les Mahorais s’en feront, les Mahorais décisionnaires et travailleurs. C’est avec eux, dont beaucoup ne sont pas encore formés mais doivent l’être, que la reconstruction pourra avoir lieu. Vous voyez qu’il s’agit d’un énorme effort.
Je dois ajouter que du point de vue de l’équilibre économique, la décision de faire de Mayotte une zone franche globale est très importante.
M. Jean-Paul Lecoq
Pour permettre à Total de s’y installer !
M. François Bayrou, Premier ministre
Je pense qu’elle intéressera une grande partie de l’outre-mer : c’est une décision pour Mayotte mais, à mon sens, nous devons poser cette question pour beaucoup de ces territoires, auxquels nous sommes attachés.
Monsieur Attal… (M. le premier ministre le cherche du regard.) Je ne suis pas encore familier de la position des uns et des autres. Vous êtes au centre, monsieur Attal ; cela ne m’étonne pas.
Plusieurs députés du groupe GDR
Non, il est à droite !
M. Thibault Bazin
Le Modem est à gauche ! (Sourires.)
M. François Bayrou, premier ministre
Il est un peu plus centré ! (Sourires.)
M. Thibault Bazin
Il a dérivé !
M. François Bayrou, premier ministre
Non seulement l’appel à la responsabilité que vous avez lancé ne m’étonne pas de votre part, mais j’y souscris. Vous avez plaidé pour la stabilité,…
M. Nicolas Sansu
L’ordre établi, pas la stabilité !
M. François Bayrou, premier ministre
…pour l’ouverture et la cohérence sur les retraites. Vous avez plaidé pour la valeur travail, la sécurité, avec la lutte contre la délinquance des mineurs, sur laquelle vous avez déposé une proposition de loi dont j’ai indiqué que le gouvernement souhaitait qu’elle soit examinée et adoptée. Vous avez parlé de l’école, à laquelle votre expérience au ministère de l’éducation nationale a montré à quel point vous étiez attaché. Vous avez appelé au courage de la vérité ; j’y souscris, et nous avons essayé tous ensemble à la tribune d’établir la dimension réelle des défis qui se présentent à nous. Comme vous l’avez dit vous-même, j’ai la certitude qu’il n’y a pas une minute à perdre. En tout cas, je vous remercie pour le soutien clair et ferme que vous avez exprimé, et je vous donne la garantie que nous travaillerons ensemble,…
M. Emmanuel Maurel
Personne n’en doutait !
M. François Bayrou, Premier ministre
…avec votre expérience de premier ministre, sur ces sujets.
Madame Panot, je veux d’abord rendre hommage à votre sens de la nuance. (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe Dem.) Je vous remercie pour la modération de vos propos – nous en avons besoin par les temps qui courent. Je répondrai sur quelques points.
Mme Mathilde Panot
Sur le fond !
M. François Bayrou, premier ministre
Vous avez assez bien illustré ce que je dénonçais dans mon discours, la stratégie de conflictualisation sur tous les sujets. J’ai dit que je connaissais Jean-Luc Mélenchon depuis longtemps.
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Vous répondez à la présidente de groupe, pas à Jean-Luc Mélenchon !
M. François Bayrou, premier ministre
J’ai cru comprendre que la présidente Panot n’avait pas d’hostilité à l’égard de Jean-Luc Mélenchon. Je ne réponds pas à une personne mais à une stratégie. Se saisir de tous les sujets du pays pour en faire des sujets de conflit peut servir une volonté politique ou électorale, mais nous croyons que cela ne sert pas le pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe DR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Il y a suffisamment de puissances dans le monde qui espèrent que la France s’affaiblisse et s’efface pour que nous ne leur servions pas nos divisions comme un atout pour cette prise de contrôle. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
M. Nicolas Sansu
Allez-y ! Parlez du parti de l’étranger, tant que vous y êtes !
Mme Mathilde Panot
Ça s’appelle la démocratie !
M. François Bayrou, premier ministre
Je l’ai dit, la démocratie pour moi, c’est la conscience et la responsabilité du citoyen.
Mme Mathilde Panot
Et la souveraineté populaire ! Le respect du résultat des urnes !
M. François Bayrou, premier ministre
Vous avez ici un assez bon exemple des équilibres, or je ne crois pas que la stratégie que vous avez défendue à la tribune soit majoritaire dans cette assemblée. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Un député du groupe LFI-NFP
Et la vôtre ?
M. Éric Coquerel
Vous avez été battus par les électeurs !
M. François Bayrou, premier ministre
Je défendrai donc l’idée que, aussi différents que nous soyons, nous sommes responsables et coresponsables, vous y compris, de l’avenir du pays. Si vous n’en jugez pas ainsi, je pense en effet qu’il y a entre nous une différence assez profonde et fondamentale. Notre vision nous pousse à tâcher de faire se rejoindre les forces du pays avec des sensibilités différentes. Je respecte donc les sensibilités représentées sur tous les bancs de cet hémicycle. À titre d’observateur, de citoyen, de militant, je n’ai pas approuvé qu’une partie des élus de cette assemblée soit ostracisée et qu’on refuse de leur donner des places dans les instances de l’Assemblée. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est une remise en cause du barrage républicain !
M. Paul Vannier
Ici, ce sont les députés qui décident !
M. François Bayrou, premier ministre
Je ne suis pas parlementaire ; cependant je l’ai été, et je me suis toujours battu pour que tous les élus soient considérés à égalité de dignité,…
M. Arthur Delaporte
Dites-le à vos ministres !
M. François Bayrou, premier ministre
…pour qu’on ne refuse pas de serrer la main des uns ou de promouvoir les autres aux responsabilités. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
M. Inaki Echaniz
Certains députés RN n’ont pas serré la main d’autres députés non plus !
M. François Bayrou, premier ministre
Monsieur Vallaud, vous avez eu raison d’évoquer la solennité du moment. Je crois, comme vous, que c’est un moment important de notre histoire politique. Nous sommes en accord sur un point : il est légitime que vous vous revendiquiez de l’opposition et que vous affirmiez clairement que vous ne rejoignez pas la majorité. Selon moi, il n’y a là aucun problème.
M. Inaki Echaniz
Il n’y a pas de majorité !
M. François Bayrou, premier ministre
D’autres formations politiques soutiennent le gouvernement ; c’est plus clair ainsi. J’ai moi-même distingué trois cercles illustrant la composition de cette assemblée : ceux qui participent, ceux qui dialoguent et ceux qui s’opposent radicalement.
Vous avez raison d’évoquer les menaces qui pèsent sur notre démocratie ; c’est tout à fait vrai. J’essaierai de répondre aux questions précises que vous avez posées. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SOC.) Vous avez soutenu qu’il n’y avait aucune prise de position claire sur la fiscalité des hauts revenus et des hauts patrimoines, ce qui est faux.
Une taxe sur les hauts revenus a été votée au Sénat, mais cette taxe ne pas être mise en application sur les revenus perçus en 2025 car elle ne peut être rétroactive. Ce point est certain.
M. Éric Coquerel
Non, c’est faux !
M. Nicolas Sansu
Il faut un projet de loi de finances rectificatif !
M. François Bayrou, premier ministre
Nous sommes en train de travailler sur une taxe anti-optimisation pour les hauts patrimoines, ce qui est une manière de prendre en compte la dimension de ces patrimoines et de vérifier qu’ils n’échappent pas à l’impôt.
M. Nicolas Sansu
Il y a déjà eu des travaux sur ce sujet !
M. François Bayrou, premier ministre
Oui. Nous proposons que le débat budgétaire que vous allez conduire permette de l’évoquer.
M. Nicolas Sansu
Passons aux actes !
M. Éric Coquerel
Ce ne sera pas possible !
M. François Bayrou, premier ministre
Il semble d’après notre analyse juridique que ce sera possible sur ce point. Nous en discuterons, monsieur Coquerel. Pour le budget 2025, une évolution vers ce type de contribution sera envisagée.
M. Nicolas Sansu
En seconde lecture ?
M. François Bayrou, premier ministre
Puis-je rappeler que c’est le Parlement qui vote le budget ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe EPR.) Cela relève des cours d’éducation civique, et cela ne me paraît pas une difficulté.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Parlez-en à Mme Borne !
M. François Bayrou, premier ministre
Deuxièmement, pour répondre à votre question précise sur l’Ondam, nous avons fait le choix d’une évolution de 3,3 %, sensiblement au-dessus de la proposition faite par le gouvernement précédent, qui s’élevait à 2,9 %.
M. Jérôme Guedj
Non, à 2,8 % !
M. François Bayrou, premier ministre
Je vous remercie, monsieur Guedj. Il s’agit d’une évolution considérable : des milliards supplémentaires sont accordés aux hôpitaux et aux Ehpad.
Troisièmement, s’agissant des jours de carence, la question s’est posée de renoncer aux trois jours ou de modifier le pourcentage de remboursement – 90 % au lieu de 100 %. Nous essayons de trouver un équilibre sur ce point, qui sera évidemment intégré au débat budgétaire. (Murmures sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Nicolas Sansu
Quel débat ?
M. François Bayrou, Premier ministre
Ce sera avant la commission mixte paritaire.
Autre point, nous avons décidé de transformer 2 000 postes de l’éducation nationale en postes d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH).
M. Arthur Delaporte
C’est déjà le cas !
M. Erwan Balanant
Vous pouvez écouter un peu ? Pour une fois qu’un premier ministre répond précisément aux questions !
M. François Bayrou, premier ministre
Cela veut dire qu’il n’y a plus que 2 000 postes mis en question.
M. Paul Vannier
Les AESH et les enseignants, ça n’a rien à voir !
M. François Bayrou, premier ministre
Si, pour une raison très simple : nous n’arrivons pas à recruter le personnel suffisant pour les postes que nous créons. (Murmures.)
M. Sylvain Berrios
On n’est pas dans une conversation privée !
Mme la présidente
Chers collègues, veuillez laisser le premier ministre s’exprimer en réponse à toutes vos interventions.
M. François Bayrou, premier ministre
On ne peut pas imaginer durablement que le nombre d’élèves baisse sans adapter modérément…
M. Jérôme Legavre
Donc, vous supprimez des postes !
M. François Bayrou, Premier ministre
…et organiser différemment le système. Le nombre d’enseignants devant les classes sera préservé. Le nombre de postes offerts en concours ne baissera donc pas. Je tiens à la vérité : nous savons tous que ces offres, si elles sont affichées, ne sont pas toutes pourvues. Le manque d’attractivité du métier d’enseignant est devenu le problème majeur – je parle en tant qu’ancien enseignant et ancien ministre de l’éducation nationale. L’effondrement injuste et choquant de l’image des enseignants dissuade les jeunes étudiants d’embrasser le métier.
M. Rodrigo Arenas
Les salaires sont trop bas !
M. Jean-Paul Lecoq
Pourquoi y a-t-il de plus en plus d’écoles privées ?
M. François Bayrou, premier ministre
Si M. Vallaud souhaite participer à la définition d’une politique d’attractivité du métier d’enseignant, je suis d’accord pour y travailler.
M. Jean-Paul Lecoq
Augmentez les salaires !
M. François Bayrou, premier ministre
Tout à l’heure, j’ai reconnu que les questions de salaire, d’organisation du travail et de formation étaient cruciales. Le bilan de la situation des cohortes qui s’inscrivent en première année d’université est désastreux et profondément choquant pour notre éducation nationale : au bout de quatorze ou quinze années d’enseignement, certains ont toujours de grandes difficultés d’écriture ou ne sont pas capables d’écrire un texte sans fautes d’orthographe.
M. Pierre Cordier
Et on n’a jamais mis autant d’argent dans l’éducation !
M. Paul Vannier
C’est à cause de votre politique !
Mme Mathilde Panot
Cela fait sept ans que vous êtes au pouvoir !
M. François Bayrou, premier ministre
Non, madame. L’éducation nationale est en crise depuis au moins vingt-cinq ans. Il s’agit d’un véritable effondrement. Monsieur Vallaud, si vous êtes intéressé par un travail sur l’attractivité du métier d’enseignant, je vous donne mon accord pour y participer ensemble.
Je le répète, au total, il n’y aura pas de baisse des postes ouverts en concours. Ici, nous évoquons un faible nombre de postes par rapport à l’ensemble des postes – plus de 1 million. Nous nous battons donc contre des fantasmes.
M. Inaki Echaniz
La fermeture des classes, c’est un fantasme ?
M. Jean-Luc Bourgeaux
On peut s’en aller ?
M. François Bayrou, premier ministre
Qui souhaite s’en aller ?
M. Thibault Bazin
Il plaisantait ! Vous avez trop de considération pour les socialistes, nous sommes jaloux ! (Sourires.)
M. François Bayrou, premier ministre
Je vous confirme qu’il n’y aura pas de baisse des postes devant les élèves de l’éducation nationale. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et Dem.) Cependant, n’oubliez pas que nous n’arrivons pas à recruter. Le nombre de postes que nous affichons est théorique, car il n’est pas atteint par le nombre de candidats aux concours.
M. Idir Boumertit
Alors, revalorisez les salaires !
M. François Bayrou, premier ministre
S’agissant de la taxe sur les transactions financières, le texte adopté au Sénat prévoit une augmentation de 0,4 point, alors que les socialistes demandaient 0,5 point. Nous ne sommes pas si loin, à supposer qu’on souhaite trouver des points de rencontre.
Malgré les contraintes, le budget du fonds Chaleur est stabilisé à 820 millions. Là encore, nous pouvons trouver des points de rencontre dont les acteurs se félicitent. Le ministre des relations avec le Parlement me rappelle que le fonds Vert et le fonds Eau sont, eux, en augmentation. (Protestations sur les bancs du groupe SOC.)
Il s’agit d’une augmentation de 150 millions pour le fonds Vert. La ministre de la transition écologique rappelle qu’il y aura plus de crédits de paiement en 2025 qu’en 2024.
Quant à votre demande sur le prêt à taux zéro, elle a déjà été validée, de même que la taxe sur le rachat d’actions. Cela fait huit points de rencontre sur les dix évoqués.
M. Pierre Cordier
Ce n’est pas mal, monsieur Vallaud !
Un député du groupe RN
Ça sent les fiançailles !
M. François Bayrou, premier ministre
Comme je l’ai dit à M. Peu, je vous confirme que la négociation et le travail en commun qui vont s’ouvrir sur les retraites ne sont pas tabous. Un certain nombre de partenaires sociaux et de responsables syndicaux me recommandent de ne pas m’obstiner sur une loi, car on peut faire beaucoup de choses par décret. Je traduis exactement leurs mots mais, s’il y a un accord pour une nouvelle loi, celle-ci sera évidemment examinée devant notre assemblée et au Sénat. Cela se fera rapidement, puisque je vais fixer le délai à trois mois, à la demande de plusieurs sensibilités dont vous êtes…
M. Jérôme Guedj
Avant l’été ?
M. François Bayrou, premier ministre
Oui, avant avril. En cas d’accord, une loi pourra être examinée avant l’été.
M. Laurent Jacobelli
C’est la liste de mariage ? La dot ? (Sourires.)
M. Thibault Bazin
Voici les témoins ! (Il montre les bancs du groupe RN.)
M. François Bayrou, premier ministre
Monsieur Vallaud, vous avez dit que vous étiez un homme libre et que vous l’aviez toujours été. Je vous en donne acte.
Mme Mathilde Panot
Arrêtez, monsieur le premier ministre ! Plus vous parlez, plus les socialistes risquent de voter la censure !
Mme la présidente
Je souhaite que M. le premier ministre puisse répondre à chacun des intervenants. Ceci est une discussion générale : nous ne sommes ni aux questions au gouvernement ni dans un débat ou une négociation. Veuillez écouter M. le premier ministre. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
M. François Bayrou, premier ministre
C’est de bonne méthode, madame la présidente. S’agissant de la question légitime posée sur le budget des outre-mer, celui-ci sera maintenu, hors Mayotte et la Nouvelle-Calédonie. Les dépenses, probablement considérables, à mobiliser pour Mayotte et peut-être pour la Nouvelle-Calédonie se feront en sus du budget sanctuarisé des outre-mer, ce qui est positif.
Monsieur Wauquiez, vous avez évoqué le décrochage de notre pays. Pour vous comme pour nous, cette question est obsédante. Je vous donne raison d’appeler à prendre de la hauteur pour évoquer la stabilité et la responsabilité. En effet, cette exigence doit nous conduire à penser à la refondation de l’État, sur laquelle vous avez beaucoup insisté– je partage votre sentiment.
Vous avez appelé à réduire les dépenses inutiles. Nous nous y sommes engagés. Ce budget va probablement va plus loin dans ce sens que tous les budgets présentés précédemment. Il prendra la forme d’un chantier pour limiter les achats et s’attaquer à toutes les questions de réorganisation. J’ai annoncé la création d’un fonds, notamment alimenté par le patrimoine immobilier considérable – supérieur à 2 000 milliards – de nos administrations publiques. Ce patrimoine doit être activé au bénéfice de la réforme de l’État, à laquelle vous êtes attaché.
Vous avez soulevé la question de l’aide sociale unique. Je l’ai beaucoup défendue, mais votre proposition me pose un problème : sa limitation à 70 % du smic. Si une jeune femme perçoit l’aide sociale à l’hébergement, l’allocation pour adulte handicapé – cette dernière d’environ 1 015 euros par mois – et les allocations familiales – elle a deux enfants –, il est impossible de lui verser en tout et pour tout 70 % du smic, soit environ 960 euros, pour la bonne raison que son revenu serait largement diminué.
M. Thibault Bazin
On a exclu le handicap du périmètre de cette aide !
M. François Bayrou, premier ministre
Alors ce n’est plus une allocation unique ! Si je suis d’accord avec vous sur le principe, c’est parce que cette allocation permettrait d’y voir clair dans l’aide apportée, d’en finir avec un certain nombre de désordres et de labyrinthes ; mais, encore une fois, 70 % du smic serait profondément injuste pour des situations sociales auxquelles je ne peux accepter que l’on porte atteinte.
M. Xavier Breton
Il faut regarder !
M. François Bayrou, premier ministre
Concernant la proportionnelle, nous avons provisoirement une divergence.
M. Thibault Bazin
Profonde !
M. François Bayrou, premier ministre
Je vous propose que nous en prenions acte, et qu’ensuite nous approfondissions : l’expression des divergences permet quelquefois de progresser. Je ne suis pas sûr de vous convaincre, mais nous pouvons dialoguer à ce sujet.
Madame Chatelain, j’ai beaucoup évoqué la décarbonation de notre énergie, de notre industrie ; j’y ajoute celle des moyens de transport, ayant moi-même été le promoteur de la première ligne au monde de transport en commun à haut niveau de service, qui fonctionne – un certain nombre d’élus, ici, peuvent le confirmer, j’invite les autres à venir s’en assurer – pour le plus grand bonheur des Palois, ainsi qu’en témoigne l’augmentation de la fréquentation. C’est la même chose pour la bicyclette : on peut tout à fait progresser sur ce point.
Le Parlement a fait bouger les lignes des budgets ; vous dites que celui du fonds Vert ne suffit pas, mais nous pouvons en discuter. Celui de l’Ademe, dont je salue le président-directeur général, s’élève à 3,4 milliards : c’est conséquent. Nous aurons ainsi, je l’espère, des débats fructueux, mais non sur des déclarations de principe : s’agissant de développement durable, c’est au rendez-vous du concret que nous devons nous trouver.
Monsieur Fesneau,…
M. Stéphane Peu
Là, ce sera long !
M. François Bayrou, premier ministre
…j’aurais du mal à faire état entre nous de divergences, d’oppositions ou de confrontations, étant donné l’estime – peut-être pourrait-on parler d’affection – que j’ai pour le groupe que vous présidez, ainsi que pour vous-même. Vous avez eu raison d’illustrer dans votre propos les questions quotidiennement associées à la vie de nos compatriotes, et j’ai aimé votre idée des visages de la France.
Élargir pour les enfants le champ des possibles, en dépit des assignations, des impasses déterminées par l’origine, constitue le problème principal d’une société, voire d’une civilisation. S’il existe un point sur lequel nous constatons, sinon un échec absolu, du moins une interrogation, c’est le suivant : lorsque vous ne naissez pas dans le bon milieu, que vous n’avez pas les codes, que votre famille ne vous offre pas de chances d’obtenir, par exemple, un stage en entreprise – en la matière, même les élèves de troisième ne sont pas égaux : il y a ceux dont un proche connaît quelqu’un de bien placé, et les autres –, le champ des possibles se réduit. Cette interrogation centrale, je le répète, fixe votre cap : j’y souscris. Vous voulez faire de la lucidité, vertu à laquelle, comme vous, je suis attaché, le moteur principal de notre action.
Monsieur Berrios, en prenant pour thème le choix de la responsabilité, vous avez fait de votre propos un appel à tous les bancs de cette assemblée. J’ai été très heureux que vous citiez le discours de Bayeux, dont je me suis fait une spécialité – on pourrait y ajouter celui d’Épinal…
M. Laurent Wauquiez
Ce n’était pas la proportionnelle !
M. François Bayrou, premier ministre
Vous vous trompez, monsieur Wauquiez ; je vous croyais pourtant historien ! Permettez-moi de vous rappeler qu’en 1946, lorsque le général de Gaulle prononce ces deux discours, la France est soumise à la proportionnelle. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
M. Erwan Balanant
Exactement !
M. François Bayrou, premier ministre
Elle l’est encore, en 1958, lorsqu’il fonde la Ve République.
M. Laurent Wauquiez
Il lutte contre !
M. François Bayrou, premier ministre
Pas du tout ! Il existe – je vous les passerai, si cela vous intéresse – de nombreux textes datés de 1946, 1947, 1948, où de Gaulle défend la proportionnelle. Rappelez-vous que le parti qu’il avait créé, le Rassemblement du peuple français avait été exclu de la représentation nationale par une alliance des contraires, grâce au système des apparentements… Je vois que la mémoire vous est revenue sur ce point ! En 1958, donc,…
M. Laurent Wauquiez
Il s’en débarrasse !
M. François Bayrou, premier ministre
…la proportionnelle reste en vigueur ; c’est en 1962, en raison de la censure du gouvernement Pompidou – cela devrait vous inspirer, monsieur Wauquiez –, qu’est changé le mode de scrutin aux législatives. Ce qui a été modifié dans un sens peut être modifié dans l’autre ; la preuve en est le refus du général de Gaulle de constitutionnaliser ce mode de scrutin, qu’il décida de fixer par une simple loi, afin que des adaptations demeurent possibles.
Pour en revenir à vous, monsieur Berrios, vos propos au sujet de la dette sont aussi les nôtres, et je vous remercie de ce que vous avez dit touchant la nécessité d’agir sur la structure même de l’action publique. Je ne peux qu’apporter mon soutien à votre affirmation du caractère crucial, central, de l’action des collectivités locales, en matière aussi bien d’investissement que de modération du fonctionnement, puisqu’elles ne peuvent investir que si leur budget de fonctionnement est excédentaire – c’est ce garde-fou que vous avez appelé une règle d’or implicite. Quant à l’outre-mer, je suis, là encore, d’accord avec vous. Merci de ce que vous avez appelé votre vigilance, et de votre exigence ; elles nous seront utiles.
Monsieur Lenormand, non seulement je partage votre appel à l’humilité, mais avouez que, dans la situation où je me trouve, celle-ci s’impose. Ceux qui croiraient que l’on peut assumer ces fonctions avec le sentiment de dominer les événements, les sensibilités, les groupes, seraient légèrement présomptueux !
Vous avez également raison de défendre la richesse de la diversité. Je suis en désaccord sur ce point avec Laurent Wauquiez : la diversité est une chance, à condition que l’on apprenne à vivre avec. Le problème de ce moment démocratique, de nos assemblées, tient à ce que nous ne savons pas le faire. On échange des invectives, des injures, du moins des méta-injures ; personne n’imagine que de la diversité, du pluralisme, nous puissions faire une richesse. C’est à cela que nous appelons ; au sein du gouvernement, cette diversité est entière et assez forte. Nous avancerons dans ce sens.
Quant aux urgences, vous avez cité à juste titre l’agriculture – nous sommes nombreux à être attachés à ce secteur, mais vous conviendrez que mon histoire personnelle m’y lie particulièrement –, le pouvoir d’achat et le logement. Je répète ici ce que j’ai déclaré à la tribune : la vraie question du logement est celle de la destruction, tout au moins de l’affaiblissement du lien social entre ceux qui arrivent à en trouver un et ceux qui n’y parviennent pas. Il constitue l’une des deux politiques sociales prioritaires. Nous devons faire en sorte que l’investissement dans le logement, privé ou public, devienne plus attractif.
M. Inaki Echaniz
Et concrètement ?
M. François Bayrou, premier ministre
Ne nous barrons pas, par des normes excessives, la route de la reconstruction du pays grâce aux centaines de milliers de logements nécessaires chaque année, ne serait-ce, je l’ai dit tout à l’heure, que pour les étudiants.
Au sujet de l’outre-mer, j’ai répondu. Tout ce que vous avez évoqué, comme les membres de votre groupe, nous importe beaucoup. Vous avez abordé le sujet de la Corse : j’ai indiqué dans mon discours que l’évolution, ou la résolution, de la question institutionnelle en Corse constitue une étape indispensable, dont je me suis souvent entretenu avec les élus de l’île.
J’ai trouvé votre intervention, madame K/Bidi, émouvante et profonde. Vous avez raison de poser la question de ce qu’est l’outre-mer pour la République et la République en outre-mer. Je ne suis pas sûr que la réponse soit écrite à l’avance ; nous devrons la découvrir ensemble. C’est précisément la raison pour laquelle, j’y insiste, Manuel Valls a été choisi et nommé ministre d’État, ministre des outre-mer, placé aux tout premiers rangs dans l’ordre protocolaire du gouvernement. Ce choix profond n’avait jamais été fait dans l’histoire.
S’agissant de Mayotte, vous avez parlé de sous-développement, question qui devra bien sûr être traitée. Néanmoins, tous les territoires ultramarins méritent que l’on trouve une réponse pour garantir leur équilibre économique à l’avenir. Est-ce que nous y sommes ? Pas du tout. Pouvons-nous progresser ? Je pense que oui, grâce à un travail partagé et approfondi, notamment sur les priorités que vous avez mentionnées et qui méritent d’être rappelées.
Vous avez souligné que vous n’étiez pas des « enfants ignorants ». Je vous assure que l’admirateur de la littérature créole et de sa descendance dans la littérature française que je suis ne l’a jamais pensé une seule fois. J’étais présent aux obsèques d’Aimé Césaire, que j’avais souvent rencontré par le passé et qui a d’ailleurs écrit des propos sympathiques sur notre relation. J’avais pour lui une immense admiration. Notre chance, c’est que cette culture que vous défendez a irrigué la création française. Nous ne le disons pas suffisamment : elle est probablement une source bien plus féconde que d’autres régions qui semblent, pourtant, culturellement plus homogènes avec ce que nous sommes.
Je ferai en sorte que le gouvernement soit à la hauteur des enjeux et je suis prêt à en discuter avec vous, pour définir un programme de réflexion et de travail. Manuel Valls se tient également à votre disposition.
Quant à M. Houlié (« Il est assis en haut ! » sur quelques bancs du groupe Dem),…
M. Erwan Balanant
Il est puni !
M. François Bayrou, premier ministre
Vous avez souligné, monsieur Houlié, défenseur de l’État de droit, que mon destin n’était entre les mains de personne – et vous avez raison. Les mains que vous évoquez sont fermes, mais elles sont ouvertes. Je pense comme vous depuis longtemps, nous en avons souvent parlé ensemble, que les frontières dans lesquelles nous sommes enfermés sont des murs qui nous empêchent de travailler les uns avec les autres.
Vous défendez les valeurs qui sont les vôtres et ce n’est pas facile tous les jours. Cependant, ce n’est pas parce que l’on traverse, dans la vie politique, des moments difficiles ou que l’on siège parmi les non-inscrits qu’on n’est pas au cœur de l’actualité ou de la vie politique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem.) J’ai moi-même siégé parmi les non-inscrits, tout comme François Mitterrand ou Aimé Césaire pendant longtemps. Il faut le prendre comme une préparation (« Ah ! » sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem), une propédeutique, un travail à conduire aussi bien sur soi-même que sur le reste de l’opinion.
Vous avez notamment évoqué, en matière d’éducation, la réforme de la formation initiale des enseignants : je voudrais y ajouter celle de la formation continue. J’ai tenté d’illustrer à la tribune cette réalité incroyable, qui constitue une véritable perte de chances : certains enseignants ont développé des stratégies pédagogiques inédites et obtenu des réussites exceptionnelles ; malheureusement, personne ne les repère ni ne sait qui ils sont et, surtout, personne ne s’inspire de leur travail pour le partager avec les autres. C’est pourquoi la formation continue est, à mes yeux, aussi importante que la formation initiale des enseignants.
Je vous remercie d’avoir participé à ce débat et je remercie madame la présidente de l’avoir présidé avec constance, rigueur et compréhension. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
Merci, monsieur le premier ministre. Le débat est clos.