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3 mai 2018 4 03 /05 /mai /2018 01:29

« Je ne veux pas d’un peuple juif généreux, libéral, anticolonialiste, anti-impérialiste… et mort ! » (Golda Meir).



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C’était cette intransigeance-là qui pouvait faire frémir lorsqu’on écoutait Golda Meir. Pourtant, l’apparence était trompeuse. Il y a cinquante ans, le 17 mars 1969, cette femme déjà âgée, 70 ans, l’air d’une grand-mère ukrainienne ridée et affaiblie par la vie, fumeuse comme il ne serait plus du tout permis aujourd’hui (il existe peu de photographies d’elle sans une cigarette à la main ou à la bouche), est devenue Premier Ministre de l’État d’Israël.

D’un tempérament très fort, elle a été parmi les (trois) premières femmes dans l’histoire du monde à diriger un gouvernement national. Et même encore maintenant, il n’y en a pas encore eu beaucoup, de femmes chefs de gouvernement ou Présidentes de la République (on peut citer Indira Gandhi, Benazir Bhutto, Margaret Thatcher, Theresa May, Angela Merkel, Michelle Bachelet, Dilma Rousseff, Cristina Kirchner, Eva Peron, Édith Cresson, etc. mais je ne cite pas dans les pays d’Europe du Nord ou de l’Est où elles sont plutôt nombreuses depuis une trentaine d’années).

Golda Meir refusa les propositions de paix du Président égyptien Anouar El-Sadate en février 1971 (accord de paix contre restitution des territoires occupés). Elle avait peu d’affection pour les Palestiniens. Elle se disait d’ailleurs elle-même Palestinienne, en tout cas, elle pouvait prouver qu’elle avait un passeport palestinien à l’époque du mandat britannique. Née à Kiev le 3 mai 1898 dans une famille très pauvre, elle a connu la persécution contre les Juifs en Ukraine. Sa famille a alors décidé d’émigrer aux États-Unis en 1906. Adolescente, elle aidait sa mère à tenir la petite épicerie familiale, mais à l’âge de 15 ans, elle est partie vivre sa vie, s’auto-suffire et faire des études. À 17 ans, elle commença à militer pour soutenir le projet sioniste et à 19 ans, elle s’est mariée.

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En 1921, le jeune couple émigra dans un kibboutz en Palestine alors sous mandat britannique. La vie y fut difficile au point que son mari aurait préféré retourner aux États-Unis, si bien qu’en 1924, ils se sont installés à Tel-Aviv. Elle a pris progressivement de plus en plus de responsabilités dans des organisations sionistes, au point d’être en 1934 membre du comité national de la communauté juive en Palestine, révélant déjà « [une oratrice] habile et une polémiste redoutable » (selon Amnon Kapeliouk).

Juste avant la création de l’État d’Israël, on lui confia quelques missions diplomatiques dont une pour convaincre le roi de Jordanie de ne pas faire la guerre à Israël. Elle a fait partie des vingt-quatre signataires de la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël le 14 mai 1948. Elle fut donc, au regard de l’Histoire, une cofondatrice de l’État d’Israël, une historique. Par ailleurs, elle a obtenu le premier passeport israélien le 15 mai 1948.

Très vite, elle s’est transformée en femme d’État. Représentante d’Israël en URSS en 1948 ("ministre plénipotentiaire"), elle suscita beaucoup d’espoir chez les Juifs d’Union Soviétique. Élue députée en 1949 à la première Knesset (et réélue jusqu’en 1974), elle fut nommée Ministre du Travail et de la Sécurité Sociale du 10 mars 1949 au 19 juin 1956, malgré la réticence des partis religieux qui n’imaginaient pas une femme ministre dans le gouvernement de David Ben Gourion. Au-delà du socialisme (travaillisme) qui leur était commun, Golda Meir partageait la même intransigeance que Ben Gourion contre les pays arabes qui voulaient l’anéantissement d’Israël.

Lorsque Ben Gourion limogea le Ministre des Affaires étrangères Moshe Sharett jugé trop mou, il proposa la succession à Golda Meir qui fut ainsi Ministre des Affaires étrangères de l’État d’Israël du 17 juin 1956 au 12 janvier 1966, pendant presque dix ans. Pourtant, la vie politique intérieure israélienne était (et reste) loin d’être un long fleuve tranquille. Dans les années 1960, Golda Meir entra régulièrement en conflit avec Ben Gourion qui cumulait en même temps le Ministère de la Défense. C’étaient ainsi deux administrations qui étaient souvent en conflit, avec notamment Shimon Peres qui était "directeur général" du Ministère de la Défense et qui se prenait parfois pour le Ministre des Affaires étrangères.

Au sein du futur parti travailliste (Mapai), Golda Meir faisait clairement figure de principale rivale de Ben Gourion et son influence interne augmenta lorsque Levi Eskhol prit, le 26 juin 1963, la succession de Ben Gourion contraint de démissionner à la suite d’un scandale politique. Elle quitta le gouvernement après les élections législatives de novembre 1965 pour devenir secrétaire générale du Mapai, puis secrétaire générale du parti travailliste (avec la fusion de trois partis), en 1968. Mais fatiguée et vieillie, elle démissionna de la tête du parti au pouvoir quelques mois plus tard, le 1er août 1968, et était sur le point de prendre sa retraite politique (d’autant plus que plus personne n’imaginait qu’elle pût encore avoir un avenir politique).

Ce qui a précipité les choses, ce fut la mort soudaine du Premier Ministre en exercice Levi Eshkol, d’une crise cardiaque, le 27 février 1969. La guerre de succession faisait rage chez les travaillistes, avec deux camps : d’une part, Moshe Dayan, à l’époque Ministre de la Défense, et d’autre part, Ygal Allon, Vice-Premier Ministre assurant l’intérim, tous les deux candidats au poste de Premier Ministre. Pour trouver un candidat de consensus, le parti travailliste a choisi finalement Golda Meir qui retrouva le pouvoir après l’avoir quitté quelques années.

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Golda Meir fut Premier Ministre d’Israël du 17 mars 1969 au 3 juin 1974. En raison de la victoire de la Guerre des Six-Jours en 1967, Golda Meir bénéficia d’une grande confiance populaire, ce qui l’encouragea à rester très ferme contre les Palestiniens, au point d’avoir déclaré, selon l’éditorialiste Jean Daniel dans un livre publié en 2008 : « Nous pourrons sans doute un jour vous pardonner d’avoir tué nos enfants. Mais il nous sera beaucoup plus difficile de vous pardonner de nous avoir contraint à tuer les vôtres. La paix viendra quand les Arabes aimeront leurs enfants plus qu’ils nous haïssent . » (sous réserve de véracité).

Comme Premier Ministre sortante, Golda Meir remporta deux élections législatives, celles du 28 octobre 1969 où son parti a obtenu 56 sièges (sur 120) et 46,2% des voix, et celles du 31 décembre 1973, en obtenant 51 sièges (sur 120) et 39,6% des voix.

L’attaque arabe surprise lors du déclenchement de la Guerre du Kippour le 6 octobre 1973 a conduit, malgré la victoire finale, à la démission de Golda Meir le 11 avril 1974 car de sérieux dysfonctionnements ont été constatés dans les services de renseignements. Un général a pris alors le relève, Yitzhak Rabin, qui a dû démissionner trois années plus tard à cause d’un scandale politique.

Retirée de la vie politique depuis cinq années et très malade, Golda Meir est morte à Jérusalem le 8 décembre 1978 à l’âge de 80 ans. Pour le moment, elle fut la seule femme à avoir dirigé un gouvernement israélien.

Successeure d’Ehud Olmert à la tête de Kadima, le parti centriste créé le 21 novembre 2005 par Ariel Sharon, Tzipi Livni, alors Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères sortante, s’était retrouvée en position de devenir très probablement la prochaine Premier Ministre (la seconde femme en Israël) lors des élections législatives du 10 février 2009 où elle avait obtenu 28 sièges (sur 120) et 22,5% des voix, soit le premier parti du pays, devant le Likoud de Benyamin Netanyahou avec 27 sièges et 21,6% des voix. Mais Tzipi Livni n’avait pas pu former de majorité, au contraire de son rival du Likoud allié avec le parti d’extrême droite d’Avigdor Liberman. Elle participa cependant au troisième gouvernement Netanyahou, après les élections législatives du 22 janvier 2013, comme Ministre de la Justice du 18 mars 2013 au 2 décembre 2014.

Après avoir créé sa propre formation politique et fait une alliance avec le parti travailliste (Union sioniste) pour les élections législatives anticipées du 17 mars 2015, Tzipi Livni était revenue sur l’avant-scène politique en devenant la chef de l’opposition à la Knesset du 1er août 2018 au 1er janvier 2019 (jusqu’à la rupture de l’alliance avec les travaillistes, à l’initiative de ces derniers). Discréditée dans les sondages, Tzipi Livni a alors décidé le 18 février 2019 de se retirer de la vie politique et de ne pas participer aux prochaines élections législatives qui auront lieu dans quelques jours, le 9 avril 2019, afin d’éviter la dispersion des voix centristes.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 mars 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Golda Meir.
La lutte contre l’antisémitisme est l’affaire de tous !
Les Accords de Camp David.
La naissance de l’État d’Israël.
Massacre à Gaza.
Emmanuel Macron et le Vel d’Hiv (16 juillet 2017).
Tentative de paix en 1996.
Un géant à Jérusalem.
Shimon Peres.
Israël est une démocratie.
Yitzhak Rabin.
Le Président Peres.
Ariel Sharon.
Ehud Olmert.
Benyamin Netanyahou.
Yasser Arafat.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180503-golda-meir.html

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2019/03/17/37184614.html


 

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24 janvier 2018 3 24 /01 /janvier /2018 18:38

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Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20171221-macron.html


Discours du Président Emmanuel Macron au Forum économique mondial de Davos le 24 janvier 2018


Merci beaucoup Professeur, cher Klaus.

Laissez-moi aussi saluer les vice-présidentes de ce Forum, puisque c’est le choix, je pense, heureux, fort que vous avez fait pour cette année et je salue donc nos vice-présidentes en même temps que les chefs d’État et de Gouvernement ici présents et tous les amis que nous avons dans la salle.

Vous avez parlé de la mondialisation et les paradoxes de cette mondialisation. Et lorsque vous arrivez ici, le paradoxe le plus important, c’est de parler de mondialisation dans un endroit qui est pratiquement isolé du reste du monde par la neige. Alors une chose qui est certaine ici, à Davos, lorsque vous regardez par la fenêtre, surtout lorsque vous arrivez ici, dans ce bâtiment, on a vraiment du mal à croire dans le réchauffement climatique. Heureusement et bien évidemment, vous n’avez invité aucun climato-sceptique cette année.

Vous avez décidé d’évoquer un certain nombre de défis aujourd’hui dans notre environnement et ma première réponse, c’est de parler de ces défis en France et en Europe. Je dois dire que nous avons déjà mis en place un certain nombre de mesures que je vais passer en revue pour vous et nous allons continuer avec la même force.

Mais ne soyons pas naïfs, la mondialisation connaît une crise aujourd’hui, une crise majeure. Et ce défi énorme requiert un effort collectif de la part d’organisations internationales, de la part d’États, d’entreprises, la société civile afin de trouver et de mettre en œuvre des solutions. C’est la raison pour laquelle il me semble que votre décision de choisir le sujet de cette année est tout à fait justifiée et la raison de ma présence ici, c’est un appel à l’action. J’en appelle à tous et à toutes ici, il faut passer à l’action.

La France a été profondément touchée par des changements structurels et son rapport avec la mondialisation, avec l’enjeu en général. Et je suis ici devant vous mais il y a quelques mois, je n’étais vraiment pas sûr de venir et j’ai dû me battre avec un parti nationaliste, pourquoi ? Parce que nous étions dans des craintes, dans des peurs vis-à-vis de la mondialisation dans mon propre pays. Pourquoi cette peur ? Parce qu’il n’y a pas eu les résultats escomptés, les résultats étaient plutôt faibles : chômage, déficit public, manque de croissance. Et d’ailleurs, nous n’avons pas encore tout résolu. Et puis parce que certaines personnes ont quand même proposé aux Français de sortir tout simplement de la mondialisation.

Mais cette alternative, elle est proposée dans tous les pays et ceci me mène à la responsabilité qui est la nôtre, la responsabilité qui consiste à construire une France prospère, ouverte au monde, mais capable aussi de reconnaître et d’accepter et d’intégrer les laissés-pour-compte de la mondialisation.

Il faut pouvoir montrer qu’elle est plus équitable pour les classes moyennes. C’est le défi du « en même temps » que j’ai essayé d’articuler en France et qui fait débat en France à l’heure actuelle. La situation est très claire : il faut rendre la France plus compétitive, plus novatrice pour pouvoir financer justement un système juste. Rendre la France plus compétitive dans un cadre européen, voilà le but pour la France. Et permettez-moi de passer en revue les piliers de cette stratégie.

Tout d’abord, je voudrais parler du capital humain. Notre monde a changé et, aujourd’hui, il nous faut moins de bras et plus de cerveaux, il nous faut des personnes éduquées, formées. Les hommes et les femmes en France doivent pouvoir s’adapter au changement et doivent être formés de façon efficace. Donc nous avons commencé à mener à bien des réformes approfondies de notre système éducatif aujourd’hui, pas plus tard qu’aujourd’hui aussi, pour former, pour éduquer nos citoyens parce que lorsque l’on prend les classements – Angel GURRIA est avec nous –, je suis désolé des dernières années mais bon, en tout cas, nous avions chuté dans les classements.

Donc il nous faut vraiment réformer notre système éducatif, réformer aussi les règles qui régissent les accès à l’université pour faciliter l’accès aux universités. Et de façon plus générale, il s’agit maintenant de réfléchir à la manière dont on peut mieux investir dans ce système éducatif et mieux le réformer. En plus de cette réforme, nous réformerons également le système d’apprentissage et de formation professionnelle. Ce sont deux éléments qui sont vraiment cruciaux dans cette réforme de l’éducation. Pourquoi ? Parce que si on veut accompagner les gens dans ce changement mondial, il faut leur proposer quelque chose. Ces dernières années, à droite et à gauche, on expliquait aux gens : nous allons vous protéger du changement. Mais il nous faut parfois accélérer le changement ! Au contraire, nous devons être dans la réalité et donner la vraie protection, la vraie protection qui consiste justement à former pour pouvoir permettre à ces gens d’avoir un travail.

Nous allons investir lourdement dans la formation et l’éducation et nous allons également simplifier et rendre plus efficace l’ensemble du système. En même temps, nous allons innover également dans l’économie et notamment par le biais de la recherche et le développement. Nous allons maintenir et renforcer nos mécanismes d’incitation fiscale et, en plus de cela, nous créerons un fonds de 10 milliards pour financer des programmes de recherche et d’innovation et notamment cette innovation perturbatrice. Et puis nous investirons aussi pour développer ces programmes d’innovation que nous allons lancer. Là aussi, nous nous concentrons sur la recherche et le capital humain.

Deuxième pilier de cet agenda ou ce train de réformes, ce sont l’investissement et le capital. Dans une économie comme la nôtre, vous la connaissez très bien, l’économie d’innovation et de compétences, il est bon d’avoir un système financier compétitif dont nous disposons en France, mais il est plus orienté vers les salaires que vers le capital. Il nous faut plus de capital, de fonds dans cet environnement pour financer les risques, les grandes innovations. Donc nous avons également adopté toute une série de réformes pour allouer nos épargnes dans cette direction ou à ce type de financement. Des négociations ont lieu en ce moment même à l’échelle européenne et mondiale pour justement davantage se concentrer sur des projets, des bons projets durables.

Des mesures concrètes viennent d’être adoptées pour faciliter ce type d’action. Donc nous avons réduit nos impôts aux entreprises : nous étions à 33 %, nous les avons considérablement réduits, les impôts. Une réforme aussi sur les profits sur le capital et d’autres mesures encore qui nous permettent de devenir plus compétitifs. Et tout cela pour quoi ? Pour finalement accélérer le redressement, accélérer la récupération de notre compétitivité et en réduisant les coûts du travail, nous renforçons aussi l’attractivité de la France. Donc nous allouons notre capital dans le financement de l’innovation, notamment dans les technologies perturbatrices, pour renforcer ce modèle.

Et puis troisième pilier, l’accélération et la souplesse. Dans un monde comme le nôtre, l’éducation et les nouveaux filets de sécurité sont essentiels pour protéger les gens mais il nous faut des structures beaucoup plus souples, des règles plus souples aussi pour s’adapter au changement, pour pouvoir aider les entreprises de tout type – des grandes entreprises, des start-up –, les aider à changer de business model pour justement s’adapter au nouvel environnement. Et c’est pour cela qu’en été l’année dernière, nous avons adopté une réforme très importante de notre marché du travail dont la philosophie principale – et je résume fortement –, c’est d’aligner l’Allemagne à l’Allemagne et à l’Europe du Nord, moins de règles définies par la loi et beaucoup plus de règles définies par un consensus, tant au niveau des entreprises qu’au niveau des secteurs. Donc, une meilleure adaptation à l’environnement des entreprises. Et ça, c’est un changement énorme. Cela nous rend plus compétitifs et beaucoup plus productifs et je pense que c’est une réforme que nous attendions depuis longtemps.

Accélération et souplesse, c’est aussi, ça entraîne aussi toute une série de réformes microéconomiques sur le logement, l’énergie, les transports et ce pour réduire les coûts totaux pour les gens, améliorer la compétitivité et rendre notre économie plus rapide, plus efficace dans les secteurs critiques.

Quatrième pilier de cette stratégie, nous avons décidé d’ériger la France en modèle, en exemple dans la lutte contre le changement climatique. C’est un avantage en termes de compétitivité. Il nous faut absolument arrêter d’opposer le changement climatique à la productivité, pourquoi ? Parce qu’on doit attirer les talents et les talents viendront là où c’est agréable de vivre, là où la vie est agréable ! Je ne sais pas si je dois vraiment vous convaincre ou non mais en tout cas, il nous faut une stratégie orientée vers la lutte contre le changement climatique. Là aussi, nous avons adopté un certain nombre de mesures pour faire accélérer la stratégie verte et notamment pour ce qui est des émissions de CO2 et leur réduction, bien entendu.

Qu’est-ce que cela veut dire ? D’ici à 2021, nous serons débarrassés du charbon. Cela veut dire que nous allons lancer encore des programmes de recherche et de développement et nous avons déjà attiré des projets de recherche et des start-up nombreux, grâce au programme au programme de Make Our Planet Great Again et grâce à tous ces projets qui, maintenant, arrivent en France.

Et le cinquième pilier de cette stratégie nationale – et c’est le dernier, je vous rassure –, le cinquième pilier, c’est le changement culturel. Et pour moi, c’est aussi important que les réformes concrètes, les emprunts, etc. Ce changement culturel, c’est la préférence à la simplification et à l’allégement administratif. La France est fameuse pour ses nombreux règlements et son droit fiscal très compliqué. Et pourquoi ? Parce que nous avons, j’ai réussi à gérer mieux que d’autres économies les inégalités. Mais par contre, nous n’avons pas évité les inégalités, nous les avons corrigées par une énorme complexité et ces corrections, fondamentalement ou définitivement, ont affaibli notre compétitivité.

Donc nous allons avoir une stratégie pour éviter les inégalités, j’y reviendrai plus tard, mais en même temps, nous allons simplifier les processus, nous allons amincir la bureaucratie et la simplifier avant tout. Nous avons pris toute une série de mesures concrètes pour lancer cette nouvelle structure d’esprit, cette nouvelle culture. Au cours des six derniers mois, nous avons réduit comme des fous le nombre de réglementations et nous avons diminué le nombre d’approches bureaucratiques et nous avons maintenant passé une loi pour changer complètement les relations entre l’administration et les entrepreneurs et les gens.

Ensuite, la visibilité. Nous devons garantir la stabilité aux gens, les entrepreneurs, les citoyens, les investisseurs. Toutes les réformes que j’ai mentionnées sur les impôts et les taxes visent à simplifier et nous avons adopté une stratégie quinquennale sur la fiscalité. C’est tout à fait nouveau parce que c’est facile de venir chez vous et de vous dire : j’ai changé le système fiscal pour cette année et l’année prochaine, je change encore. Parce que l’imprévisibilité est tout à fait contreproductive. Donc la visibilité, c’est important. Voilà la stratégie, c’est une stratégie sur cinq ans et nous n’allons pas changer pendant cinq ans, c’est tout. Donc c’est mon engagement et c’est l’engagement de ma gouvernance.

Troisième point très important, c’est le risque. Voilà un point donc du changement de culture. Donc, en France, j’ai toujours dit que c’était interdit d’échouer mais c’était aussi interdit d’avoir du succès et de réussir. Alors vous voyez que la marge est relativement réduite et vous n’avez pas beaucoup de marge de manœuvre. Aujourd’hui, il devrait être plus facile d’échouer, c’est-à-dire de prendre des risques. Donc, pour réduire le coût de l’échec, pour que les gens reviennent et recommencent et pour faciliter la réussite et pour autoriser la réussite, donc nous avons décidé d’avoir une autre relation par rapport au risque. Si vous prenez un risque, il faut être récompensé et si vous échouez, eh bien il faut que ce soit autorisé d’échouer. Voilà le changement d’esprit, le changement de culture que nous essayons d’installer en France parce que la France, c’est une nation d’entrepreneurs, c’est une nation de gens qui adorent le risque et c’était une grosse erreur, si vous regardez notre Histoire, que de ne pas autoriser ce risque et de ne pas lui donner suffisamment de marge.

Alors mon message, c’est : la France est de retour. La France est de retour au centre de l’Europe parce que nous n’aurons jamais de réussite française sans la réussite européenne. Et pour moi, toutes ces initiatives et toutes ces réformes ont une contrepartie, c’est la stratégie européenne. Et je vois beaucoup de dirigeants européens ici présents et ce sont de chers amis et, tous ensemble, nous travaillons d’arrache-pied pour que cette stratégie commune se réalise.

Je sais qu’Angela MERKEL vous a déjà communiqué cette vision il y a quelques heures et nous travaillons en étroite collaboration à cet égard. Mais je voudrais simplement en résumé que vous croyiez que la stratégie fondamentale pour moi au cours de l’année qui vient et aussi au cours de l’année que nous vivons actuellement, c’est de refondre l’Europe, préparer les questions sur l’énergie, le numérique, la migration et l’investissement. Ça, ce sont quatre sujets sur le programme 2018 mais cette année va être l’année où il va falloir que nous élaborions la stratégie sur 10 ans pour l’Europe parce que, dans l’environnement actuel, l’Europe a une responsabilité et un rôle par rapport à la Chine et par rapport aux États-Unis parce que notre vision, notre ADN de relation entre la liberté, la justice, l’équité, les droits individuels, c’est tout à fait unique et nous avons cet équilibre entre ces valeurs en Europe.

Aux États-Unis, il y a une très forte préférence vis-à-vis de la liberté, mais l’approche vis-à-vis de l’équité est très différente. En Chine, il y une aspiration encore différente. Mais c’est cette synthèse entre ces quatre valeurs qui sont à la base de notre approche multilatérale et de la mondialisation. Ceci a été fait en Europe et, en Europe, nous avons besoin d’une Europe plus forte pour être intégrés, insérés dans le monde, dans la mondialisation de notre planète. Et mon avis, c’est que nous devons redessiner une stratégie sur 10 ans, pas une stratégie comme ça de 24 heures, non non, une stratégie pour l’aspect économique, social, pour le vert, pour la science et pour la politique. Il faut une nouvelle stratégie de puissance européenne dans ces domaines et il faut pour cela davantage d’ambition pour que nous ayons une Europe plus souveraine, plus unie et plus démocratique.

Et pour la migration, le numérique, l’énergie, la défense, le développement, les finances, les investissements, le cœur de ce qui nous rend souverains dans cet environnement sera la construction d’une politique commune.

Je ne suis pas naïf, nous n’allons jamais construire quelque chose de suffisamment ambitieux à 27 et, honnêtement, je ne veux pas dire que c’est impossible à 27, non, je dirais simplement que nous devons bien sûr commencer notre travail à 27. Mais il faut plus d’ambition, il faut une sorte d’avant-garde de l’Europe pour réaliser quelque chose dans ces domaines critiques que j’ai mentionnés. Nous ne devons pas attendre que tout le monde soit aussi autour de la table pour avancer.

Donc, si certains sont prêts à être plus ambitieux et à aller de l’avant dans ce qui nous rendra souverains dans cet environnement pour défendre nos valeurs et nos intérêts, avançons ! Et là, nous sommes ouverts, la porte et la fenêtre sont toujours ouvertes. Mais ceux qui ne veulent pas avancer ne doit pas pouvoir bloquer ceux qui sont ambitieux dans la salle car je pense que cette ambition, c’est l’ambition qui permettra à notre euro zone de devenir plus forte, plus équitable, plus ambitieuse et plus capable de transmettre un message cohérent à propos de ce que nous voulons réaliser dans cet environnement.

En septembre dernier, j’avais fait un grand discours à ce sujet, nous avons beaucoup travaillé, mais j’espère, avec mes amis qui se trouvent dans cette salle, pouvoir élaborer ensemble pour la fin de cette année cette stratégie commune pour les 10 prochaines années pour donner à nos populations et au reste du monde une visibilité de ce qu’est l’Europe, c’est-à-dire une nouvelle puissance capable de coopérer avec lui.

Parce que, mes amis, je veux ici toutefois vous faire un aveu, si je souhaite que la France trouve pleinement sa place dans la compétition mondiale et si je pense que la condition, c’est que l’Europe, justement, soit plus forte et réussisse à trouver une nouvelle ambition, ça n’est pas une finalité en soi. La croissance économique, ça n’est pas une finalité en soi et on s’est, je pense, souvent trompé, parfois encore récemment, dans les discours qu’on tenait en disant : vous allez voir, tous nos sujets vont s’arranger, parce qu’on va avoir de la croissance.

Nous, on peut avoir un ou deux points de croissance en plus, c’est notre bataille, mais ça ne règle pas tous les sujets et la croissance économique, ça n’est pas une fin, ça reste un moyen. Et j’irais même plus loin, cette recherche de croissance économique nous a parfois fait oublier ce que les peuples sont prêts à accepter pour l’obtenir. La crise de la mondialisation qu’on est en train de vivre aujourd’hui, elle est liée à ça. Le monde, il est fragmenté par une série de phénomènes économiques, géopolitiques nouveaux et qu’on pouvait pour certains anticiper, qui sont liés à ce divorce.

D’abord, on a pensé ou on a fait croire que la croissance, ça concernait tout le monde, on disait : plus on aura de croissance, tous les problèmes vont s’arranger dans les pays émergents, les pays intermédiaires ou les économies développées. Ça n’est pas vrai parce que cette croissance, elle est structurellement de moins en moins juste. Toutes les revues internationales le montrent, que ça soit des institutions multinationales, des ONG, il y a une concentration sur les 1 % les plus riches qui se fait à chaque fois. C’est lié à quoi ? La financiarisation de cette mondialisation qui a favorisé un effet de concentration et les nouvelles technologies, cette économie de l’innovation et de la compétence que j’évoquais, parce que c’est une économie de super stars. Elle favorise les gens très talentueux et elle se concentre chez les gens les plus talentueux.

La réponse, on ne peut pas l’apporter dans chaque pays avec un système de taxes, sauf à être très coordonnés entre nous tous parce que sinon les talents s’en vont. Je peux vous dire, on a très bien testé cette méthode. Elle ne marche pas en non-coopératif et en non-coordonné ! Ça, ce n’est pas une bonne idée. Par contre, ne pas avoir de réponse du tout, ce n’est pas une bonne idée sur ce sujet. Ensuite, on nous dit : on est dans un monde formidable, les distances se raccourcissent, on est dans un monde où tout s’accélère, mais dans nos sociétés, tout se refracture.

On a des sociétés faites aujourd’hui de nomades qui bénéficient formidablement de la mondialisation et dont la vie, le quotidien, le destin est plus proche de gens qui sont à Bombay, à San Francisco que de leurs voisins de palier. Ça crée un vrai risque dans la démocratie parce que ça désaligne les intérêts, les sujets et ce qui fait le consensus démocratique et c’est devant nous. Et nous, on réfléchit ici de ces enjeux mais à quelques dizaines de kilomètres d’ici, on a des gens qui croient fermement que la solution, c’est la sortie de la globalisation et on a de plus en plus de gens qui sont convaincus que c’est la bonne option.

Alors, une fois que j’ai dit ça, ça veut dire que nous avons un défi qui n’est pas mince. Ce défi, ce n’est pas celui que des gouvernements. D’abord, les gouvernements, les États, depuis quelques années, je pense, vont dans le mauvais sens face à ces défis. Il y a les défis démocratiques que j’évoque. Beaucoup de gouvernements sont tentés de répondre par une approche nationaliste : vous avez raison, tout ça ne va pas, on referme les frontières. Ensuite, les défis qui font peur – les grandes migrations, le terrorisme, les grands changements technologiques –, ce sont des défis qui imposent une coordination internationale. Je l’évoquais au moins pour l’Europe mais plus large encore que l’Europe, si nous ne sommes pas en situation de coopérer, on ne saura pas les régler et on cherchera toujours à avoir nos avantages comparatifs. Et la recherche de l’avantage comparatif fait qu’on est toujours tiré vers le bas. C’est la course vers le point le plus bas sur tous ces sujets.

Et donc, cette course non coopérative nous empêche au fond de répondre à ces peurs et à ce qui tient nos nations ensemble. Et les États ont été dans le mauvais sens parce qu’on a plutôt fragilisé le multilatéralisme face à tout cela ces derniers temps. Et qu’il s’agisse de l’ONU, du FMI, de l’OMC, on a eu de plus en plus de gens qui ont attaqué ces institutions en disant : « Nous, on reprend en quelque sorte nos droits, on a notre propre approche, on crée des systèmes alternatifs. » Ne nous trompons pas, toutes ces structures sont nées de ce que le professeur vient de rappeler, cette période de l’Histoire où on a vu ce à quoi conduisait l’approche non coopérative entre les gouvernements lorsqu’il y avait des grandes peurs séculaires. Et depuis quelques années, nous avons été sur ce sujet dans le mauvais sens.

Nous avons été aussi, quand on regarde le droit social, le fiscal, tous les sujets qui, en quelque sorte, fondaient le cœur d’un État, dans un sens très non coopératif et dans un affaiblissement continu. J’expliquais il y a un instant ce que je fais pour la France. La France avait, était en quelque sorte très décalée par rapport au reste de l’Europe, elle était très au-dessus sur tous ces sujets de la moyenne européenne. Mais quand je regarde la dynamique actuelle dans le monde, on a une dynamique qui, sur les sujets fiscaux ou les sujets sociaux, est en train de continuer à expliquer aux gens : les amis, la bonne réponse, c’est d’en faire toujours moins ! La meilleure réponse, c’est de baisser nos impôts ! Il n’y a pas de limite ! Race to the bottom !

Sur le social, c’est pareil. Si nous ne définissons pas un standard de coopération internationale, jamais on n’arrivera à convaincre les classes moyennes, les classes laborieuses, que la mondialisation est bonne pour elles ! Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai ! Sur le commerce, nous revenons vers, là aussi, des stratégies qui sont non coopératives, vers plus de protectionnisme, vers la fragmentation de ce que l’OMC a fait, la menace de certains accords régionaux qui était très structurante et on détricote ce que la mondialisation avait pu mettre en place. Et sur le climat, beaucoup étaient avec moi le 12 décembre dernier à Paris, nous ne sommes pas à la hauteur de ce à quoi nous nous sommes nous-mêmes engagés, c’est-à-dire on est en train de perdre la bataille. 2020, ce n’est pas un rendez-vous pour une nouvelle conférence. Si on n’a pas délivré des actions concrètes, il ne faudra pas expliquer aux gens qu’ils sont de plus en plus vulnérables, on aura tout fait en pleine conscience pour le faire !

Donc, sur tous ces sujets, qui sont des sujets, je dirais qu’on connaît bien et sur lesquels on a su s’organiser, on a désagrégé l’organisation internationale, on l’a affaiblie. Et à ça, s’ajoutent des nouveaux sujets que nous n’avions pas vus : l’urbanisation accélérée, les grandes migrations et le changement technologique que vous avez parfaitement explicité. Et chacun est porteur de nouvelles inégalités, de nouveaux changements qui font très peur aux gens et qu’on ne pense là aussi trop souvent que de manière non coopérative. On n’a pas mis en place l’organisation mondiale qui nous permet de penser toutes les conséquences de ces changements technologiques, de l’intelligence artificielle, par exemple, ou du big data. On a une stratégie aujourd’hui mondiale totalement non coopérative sur ces sujets !

En Europe, on n’a pas encore de vraie stratégie ; aux États-Unis, il y a une stratégie qui est laissée à des grands acteurs privés que nous aimons tous et que nous utilisons tous au quotidien dans nos devices ou nos plateformes Internet, mais qui ont privatisé cet enjeu avec tout ce que ça a emporte de rapport aux libertés individuelles et au secret ; et en Chine, l’enjeu, il est géré de manière totalement publique avec un contrôle des données qui est fait selon d’autres standards que nous cherchons, nous. Mais on n’a jamais d’approche multilatérale sur ce sujet qui va détruire des millions d’emplois, changer les règles de la vie privée et donc construire le rapport au monde de nos citoyens. Mais demain, il changera la médecine, la connaissance que j’ai sur vous en termes justement de capacité à être soigné et même la solidarité nationale !

Tout ça pour dire – et je ne veux pas dégrader le tableau –, mais que ces changements technologiques, on fait tout pour les encourager chez nous, mais on ne fait pas attention et si on n’en pense pas le cadre, SCHUMPETER va très rapidement ressembler à DARWIN et vivre dans un monde totalement darwinien n’est pas bon. Ce n’est surtout pas bon pour nos peuples et pour toutes celles et ceux qui, en démocratie à la fin, décident de ça.

Face à toutes ces réalités et ces transformations, et je veux finir là-dessus, quels sont nos défis et comment y répondre ? Et au-delà de ce que nous faisons dans nos pays, de ce qui est nécessaire à faire pour l’Europe, nous avons quand même à retrouver, me semble-t-il, une forme de cadre, de grammaire du bien commun. On a des biens communs et ces biens communs sont mondiaux aujourd’hui, c’est le développement économique durable, l’environnement, la santé, l’éducation, la sécurité et la cohésion sociale, les droits de l’homme, et ces bien communs on ne peut jamais décider d’y renoncer. Et on doit dans nos stratégies et nos approches réussir à les articuler et à créer les bons forums pour recréer parfois de la régulation sur ces biens communs de manière coopérative.

Je dis ça pour les gouvernements mais je le dis aussi pour le secteur privé, personne ne pourra me suspecter de ne pas être "business friendly", personne ne pourra me reprocher de ne pas avoir une approche favorable à l’ouverture, au développement économique. Mais je vous le dis très franchement ici, cette approche doit avoir des résultats, ça c’est en quelque sorte mon job, celui du gouvernement et je l’espère de toutes celles et ceux qui dans le secteur privé viendront parce qu’ils ont confiance et permettront de créer des emplois et de se développer.

Même dans mon pays si je ne redonne pas un sens à cette mondialisation, si je n’arrive pas expliquer aux gens qu’elle est bonne pour eux et qu’elle sert à traiter les problèmes du quotidien et qu’ils y ont leur place, dans cinq ans, dans 10 ans, dans 15 ans ce seront les nationalistes, les extrêmes, ceux qui proposent de sortir de ce système qui gagneront et ce sera vrai dans chaque pays ! Et donc on ne peut pas simplement être là à trembler en disant « c’est affreux » quand des nationalistes, des extrêmes ou des gens qui parfois portent des messages terroristes ou de repli sur soi dans certains autres pays gagnent ! Non, le défi est maintenant chez nous et la question est de savoir si on sait refonder un vrai contrat mondial et un vrai contrat qui n’est pas que celui des gouvernements.

Je vous le dis très franchement, si la part de ce contrat n’est pas intégrée dans le modèle des investisseurs, dans le modèle des banques, dans le modèle des entrepreneurs, si chacune et chacun ne considère pas qu’il a une part de ce contrat mondial à porter ça ne marchera pas parce qu’il y aura toujours quelqu’un qui sera tenté d’avoir une stratégie non coopérative, parce qu’il y aura en quelque sorte toujours une prime au free-riding. Et l’ennemi du bien commun c’est le passager clandestin et aujourd’hui nous sommes en train de tomber dans une situation où dans notre mondialisation une majorité de puissances sont en train de devenir des passagers clandestins des biens communs, c’est ça la situation que nous vivons aujourd’hui.

Ce nouveau contrat mondial, je pense qu’il faut qu’on le fonde autour de trois engagements : le devoir d’investir, le devoir de partager et le devoir de protéger. Je suis sans doute pas exhaustif, je ne serai pas complet aujourd’hui, j’oublierai plein de sujets parce que je ne veux pas être excessivement long, mais je veux vous dire deux mots de chacun de ces devoirs. Le devoir d’investir c’est celui d’investir pour les États mais aussi le secteur privé dans les biens communs que je viens de rappeler, la santé en particulier, mais il y en a un sur lequel aujourd’hui nous ne sommes pas au rendez-vous c’est l’éducation.

Je l’ai évoqué pour la stratégie française, nous devons le faire aussi en Europe, mais c’est vrai sur toute la planète et en particulier dans les continents les plus en difficulté. Dans le monde on a aujourd’hui 750 millions d’adultes dont deux tiers de femmes qui ne possèdent pas les compétences d’alphabétisation de base et donc si on a une priorité en termes d’investissements c’est investir dans l’éducation des jeunes filles. Parce que partout où on n’investit pas dans l’éducation il n’y aura pas de croissance dans le pays, ça veut dire qu’on continue à avoir une stratégie prédatrice d’investissements dans le pays où nous sommes en tant qu’investisseurs étrangers.

Et s’il n’y a pas d’investissements pour les jeunes filles il n’y aura pas d’égalité homme-femme, il n’y aura pas de place pour les femmes et bien souvent dans les sociétés les plus difficiles sur le plan culturel, parfois le plan religieux et le plan économique la solution est chez les femmes et c’est elles qui la construisent. Et le choix de certains pays d’ailleurs de régresser dans l’éducation des jeunes filles c’est un choix assumé dans certains endroits face auquel nous ne pouvons pas nous taire ! Et donc face à cela nous on doit investir massivement. En Afrique, en 2015 il y a plus de 101 millions d’enfants qui étaient non scolarisés dont 53 millions de filles.

Alors la semaine prochaine je serai avec le président Macky SALL, nous allons œuvrer pour reconstituer le partenariat mondial pour l’éducation, c’est fondamental que tous les États ici présents puissent s’engager fortement. Mais j’aimerais aussi, ce qui n’a jamais été fait, que les investisseurs et les entreprises s’engagent, quand vous investissez un euro en Afrique investissez un euro dans l’éducation des jeunes filles ! Sinon ça veut dire que vous investissez pour le court terme parce que quand vous allez ouvrir une mine, une infrastructure de transport, c’est formidable, généralement d’ailleurs les États vous aident, vous garantissent, il y a plein de financements à la clé pour vous aider à faire ça, mais faites aussi quelque chose qui stabilise vraiment le pays maintenant.

Et donc il doit y avoir autour de l’éducation et de l’investissement dans l’éducation un vrai contrat public-privé en la matière, c’est une réponse absolument fondamentale. Et plus largement, vous l’avez compris, investir dans le développement, avoir une stratégie de développement beaucoup plus ambitieuse que celle que nous avons collectivement aujourd’hui est indispensable si nous voulons éviter cette fragmentation du monde.

Le deuxième devoir c’est partager, le partage de la valeur c’est un débat plus vieux que nous et qui a toujours irrigué le capitalisme. Mais il y a une crise du capitalisme contemporain, c’est qu’en se mondialisant parce qu’il est devenu un capitalisme, je le disais, de superstars et financiarisé, il faut bien le dire, la répartition de la valeur ajoutée n’est plus juste. Alors on regarde parfois en disant « elle ne s’est pas tant déformée que ça » mais parce qu’on oublie de regarder les superstars du côté de la rémunération du travail ! Et donc on doit mettre en place des vrais mécanismes de partage de la valeur ajoutée. Moi je crois très profondément dans la généralisation des systèmes d’intéressement et de responsabilité sociale et environnementale.

Vous avez compris, je ne crois pas que la réponse soit dans la taxe dans un État mais plus les entreprises généraliseront la responsabilité sociale et environnementale et donc décideront de débattre dans l’entreprise de la juste répartition des fruits de la croissance et de la réussite quand elle est là. Plus dans les mécanismes d’investissement et les critères d’investissement on aura justement une surveillance de la répartition de la valeur au sein de l’entreprise, ce qui fait d’ailleurs qu’elle se tient dans la durée, plus on construira un vrai capitalisme durable en termes de partage.

 

Il ne faut pas se tromper sur ce sujet, les entreprises dans la salle qui durent depuis bien longtemps ce sont celles qui ont des stratégies de répartition de la valeur, qui ont des vraies stratégies d’intéressement des salariés, beaucoup plus que d’autres. Et donc là-dessus je crois très profondément que la solution est du côté des entreprises et des investisseurs en ayant justement cette plus grande égalité. Et quand je parle d’égalité du partage de la valeur dans l’entreprise il faut aussi parler de l’égalité femme-homme. Nous avons lancé en France une stratégie en la matière pour combler le gap des inégalités salariales dans le quinquennat. Nous prenons avec le Word Economic Forum une initiative pour justement mettre en place des indicateurs et je pense que c’est très important d’avoir plus de visibilité en la matière dans le secteur privé et je veux saluer votre engagement très fort sur ce sujet. Mais je pense aussi que nous devons collectivement aller plus loin et je veux ici saluer les engagements pris par Justin TRUDEAU pour le G7 et qui a décidé de mettre ce sujet au cœur du G7 qu’accueillera le Canada cette année et je veux ici lui redire mon plein soutien.

Si on veut aussi mieux partager la valeur il faut le faire entre tous les secteurs et il y a un sujet fondamental que j’ai esquissé ou évoqué en creux en parlant des défis du monde contemporain, c’est le sujet fiscal. Si on veut mieux partager la valeur et si on veut mieux partager le financement des biens communs dans le monde actuel on doit avoir une stratégie fiscale beaucoup plus coordonnée au niveau international. Le « rest to the bottom » c’est la mort du financement des biens communs et le moindre partage. Et donc là on a vraiment un travail collectif à faire pour ne pas partir dans le mauvais sens.

L’OCDE a fait un très gros travail sur ce sujet qui a permis l’érosion des bases fiscales et du partage des profits, l’initiative BEPS, d’avancer. On a signé un traité multilatéral, la France est en train d’engager la procédure de ratification, il est fondamental, moi j’invite vraiment fortement les États-Unis et la Chine à entrer dans ce traité. On ne le fera pas vivre si les États-Unis et la Chine ne sont pas dedans, il n’y a pas de vrai discours sur la mondialisation si ces deux grandes puissances ne sont pas dedans, allez-y. Parce que c’est le vrai accord de partenariat sur ce sujet pour éviter l’érosion des bases fiscales, c’est la décision qu’on a un cadre pacifique de coopération fiscale qui évite les stratégies d’optimisation des groupes, des entreprises, et la moralité, il faut bien le dire, dans la façon de faire des profits.

Là-dessus, je le dis très franchement, si vous croyez tout ce que vous avez entendu ou les choses qui vous semblaient pertinentes ou tout ce que vous avez pu dire durant ces jours à Davos, alors vous ne pouvez pas faire d’optimisation fiscale comme elle est faite aujourd’hui et vous devez participer à cette lutte. Parce que ça veut juste dire je considère que mon secteur, mon business doit financer les biens communs parce qu’on est dans un monde où il faut financer les biens communs. Et donc sur ce sujet on doit savoir renoncer à l’optimisation fiscale à tous crins et je souhaite qu’on puisse aller beaucoup plus loin en la matière.

Il y a évidemment sur le plan fiscal, un deuxième sujet très important qui est de savoir comment on a une vraie taxation sur le plan mondial du numérique. Les grands acteurs du numérique sont des acteurs fondamentaux pour nos sociétés, pour l’innovation et moi je les ai toujours accueillis, chacun d’entre nous veut les avoir dans son pays, veut les développer, donc ne soyons pas hypocrites ! Mais dans le même temps il y a une double injustice, je ne sais pas dire à une start-up dans mon pays « tu va devenir un champion » quand les grands champions internationaux eux ne paient pas d’impôts dans mon pays et que lui paie tous les impôts. Et je ne sais pas dire c’est formidable la disruption, le changement technologique quand ces champions du numérique créent des changements que je veux accompagner et faire advenir mais que lui ne paie pas d’impôts et que celui qu’il disrupte dans son modèle d’affaires en paie, la TVA, l’impôt sur les sociétés et le reste, « it is not fair model », c’est évident !

Donc on doit mettre fin à ce système qui est injuste et il faut le faire tous ensemble pour ne pas avoir peur que ça enlève de la compétitivité à l’un ou à l’autre parce qu’évidemment comme nous ne nous sommes pas organisés au début on a créé des hubs d’attractivité fiscale ! Et il faut le faire de manière très détendue mais en disant juste c’est un bien commun de la planète et c’est juste parce que les grands acteurs du numérique provoquent des disruptions, ces disruptions vont détruire des millions d’emplois dans le monde, nous allons devoir reformer ces millions de personnes. C’est un bien commun l’éducation, je l’ai dit, on le paie. Si ceux qui détruisent ces emplois n’aident pas au financement de la reformation y compris pour aller vers leur secteur moi je ne sais pas l’expliquer aux classes moyennes et aux classes laborieuses et je pense vous non plus. Donc on doit trouver le bon cadre de coopération fiscale, moi j’espère qu’en Europe on le trouvera cette année, j’espère que l’OCDE le trouvera cette année et qu’on pourra avoir la coopération internationale sur ce sujet absolument fondamental.

Avoir cette coopération et mieux partager ça veut dire aussi retrouver la vitalité de notre coopération sur le plan financier, commercial tel qu’on a pu l’avoir après la crise de 2008, 2010 et tel qu’on l’a un peu perdue. Et là-dessus je veux lancer quelques idées, quelques propositions, moi je suis favorable à ce que le FMI ait le mandat de surveiller la totalité du système financier international dont des pans entiers échappent à la régulation. On a construit le FMI, il a acquis sa légitimité, il regarde des États, une partie du système financier, mais il ne regarde pas les acteurs les plus dérégulés et les plus dérégulateurs de tout le système ! Le bitcoin, les monnaies virtuelles, le shadow banking, tous les plus agressifs sur les marchés financiers, ceux qui peuvent créer des crises financières, déréguler des systèmes, c’est bien fait, on a dit « ça on ne le met pas dans le FMI ».

Nous devons lancer cette discussion, je souhaite qu’on puisse la lancer dans le cadre du G20, je vois notre ami argentin, le Président MACRI, en fin de semaine à Paris, je sais le leadership qu’il veut donner dans le cadre du G20 à l’Argentine et là-dessus le FSB aura un rôle absolument fondamental à jouer et je souhaite qu’on continue sur cet agenda pour donner justement plus de place à cette régulation.

On doit aussi penser la régulation sur le plan des principes des grands acteurs internationaux du numérique et des innovations. Il y a des déstabilisations financières telles que je viens de l’évoquer mais il y a aussi des déstabilisations dans nos sociétés liées à l’innovation technologique. On n’a aujourd’hui pas le cadre pour les penser, à quel moment on va décider de stopper des innovations parce qu’il faudra le faire à un moment donné. A quel moment on va dire l’intelligence artificielle on met une ligne rouge parce que ça disrupte pour le coup non pas des vieux systèmes productifs mais notre rapport à la liberté individuelle, au respect des droits privés, parce que ça met en cause l’intégrité de l’humain et du vivant, il y a des sujets philosophiques et de principe qu’on va se poser.

Il faut qu’on ait le cadre de coopération internationale pour le limiter, pour favoriser l’innovation technologique et aider les grandes plateformes Internet, continuer à développer nos startups et l’innovation mais pouvoir décider des principes qui ne peuvent pas être décidés par des acteurs économiques mais par les États. Je souhaite que nous puissions avoir là aussi une discussion au G20 qui est absolument fondamentale.

Enfin, le dernier défi il est de protéger, protéger en matière sociale, climatique et de lutte contre le terrorisme. C’est un devoir si on veut tenir la mondialisation et ça montre aussi l’importance des États sur certains de ces défis et retour des États. On a pensé pendant des décennies, c’était très à la mode de dire c’est la fin des États, il n’y a plus que les acteurs privés, pour faire face à ces défis il faut des États et une coopération internationale.

Sur le sujet social on doit arrêter cette tendance à détricoter notre droit social pour ajuster la mondialisation et là aussi je souhaite qu’on puisse avoir une discussion au G20 pour qu’il y ait dans le monitoring entre autre fait par le FMI et les grandes instances une surveillance des réformes nationales en faveur de la cohésion sociale, qu’il puisse y avoir un accompagnement aussi de ces sujets, que nous-mêmes en Europe lorsqu’on apporte une aide en particulier dans les mécanismes de cohésion on regarde la convergence sociale, qu’on ait une critérisation de nos mécanismes pour surveiller la convergence sociale entre nos pays. Et qu’on arrête d’être complètement paradoxaux en disant cela dans les enceintes internationales mais parfois en demandant à des pays, les mêmes, de détricoter leur droit social pour pouvoir ajuster les choses à un niveau qui devient sous-optimal et qui ne permet pas la protection minimale pleinement requise. Et donc sur le sujet social je souhaite qu’on puisse là aussi retrouver une vitalité du dialogue entre l’OIT, le FMI et réussir à mettre en place de tels critères.

Sur le climat, on a dit beaucoup de choses, nous nous sommes beaucoup engagés mais nos actes ne sont pas encore à la hauteur de ces engagements. Je veux ici saluer l’engagement fort de la Chine qui a constamment maintenu justement sa présence dans l’Accord de Paris, a annoncé la mise en place d’un marché carbone, ce qui est un élément fondamental de notre action commune en la matière. Je veux saluer l’engagement de l’Inde, le Premier ministre MODI a ouvert ce forum, pour l’Alliance solaire internationale il a joué un rôle fondamental et là aussi c’est un élément de transition essentiel.

Mais nous devons maintenant avoir les actes conformes aux Accords de Paris. Qu’est-ce que ça veut dire collectivement ? Un, l’Union européenne doit aller un cran plus loin et décider d’un prix plancher du CO2. Si nous ne savons pas le faire dans les mois qui viennent nous ne serons pas crédibles, nous avons mis en place un marché carbone, on doit accélérer la transition pour nos acteurs et donc avoir un prix minimum du CO2 et réussir à changer le modèle de production en Europe pour qu’il soit cohérent avec ces engagements.

Deux, ça veut dire, j’étais en Chine il y a quelques semaines, très impressionné par l’initiative diplomatique du président XI qui l’année dernière l’a évoqué devant vous mais ça veut dire que toute l’initiative One Belt One Road doit être cohérente avec nos engagements climatiques. Ces nouvelles routes de la soie doivent être vertes, ça ne peut pas être les routes de la centrale à charbon, ça doit être des routes du renouvelable, d’énergies qui réduisent les émissions de CO2 et on doit tous coopérer justement à cet engagement.

Trois, ça veut dire que nous on doit continuer à aller plus loin et moi je souhaiterais que nous puissions à horizon 2020 vraiment acter d’un pacte mondial pour l’environnement qui serait un vrai garde-fou juridique pour nos sociétés et un outil de la justice environnementale pour nos citoyens.

Et, enfin, il faut que le secteur privé soit au rendez-vous de ces engagements, 12 grandes initiatives ont été prises à Paris le 12 décembre dernier au « One Planet Summit » et je souhaite qu’on puisse les suivre vraiment régulièrement et que l’ensemble des investisseurs, l’ensemble justement des grands donateurs, des entreprises qui se sont engagées puissent rendre compte de manière régulière et montrer qu’il y a un engagement du secteur privé en la matière.

C’est enfin le système financier qui doit accompagner cette mue avec une véritable promotion de la finance verte. Moi je crois que la finance, c’est une bonne chose parce que, je vous l’ai dit, on ne finance pas l’innovation ou ses transformations, mais elle doit aussi financer un modèle de développement durable et l’Europe en la matière a un rôle fondamental à jouer, nous devons dans l’Union européenne, dans la zone euro avoir une vraie place financière verte qui sache justement accélérer le financement de ces modèles de transition.

Enfin, ce devoir de protection c’est un devoir de sécurité pour nos nations et nos populations. Je ne peux pas évidemment ne pas évoquer ce thème essentiel en partageant, pour conclure quelques convictions. La première c’est que nous sommes et nous resterons durablement engagés dans une lutte contre le terrorisme. Elle engage aujourd’hui nos forces de l’ordre sur des conflits divers, parfois contre des puissances étatiques, d’autres fois contre des terroristes organisés de manière très différente que ce soit en Afrique, au Sahel mais dans de nombreuses régions du monde. Il nous faut dans cette lutte continuer à travailler dans le cadre de nos coalitions, militaires et diplomatiques, mais avoir quelques principes clairement arrimés.

Je souhaite que cette lutte continue à se faire dans le cadre du multilatéralisme, on ne doit pas sortir de ce cadre et donc en quelque sorte considérer que la lutte contre le terrorisme doit conduire à des recompositions du monde et à une fragmentation de celui-ci. C’est la lutte contre des groupes organisés qui veulent la destruction de l’autre mais elle ne doit pas justifier une fragmentation aujourd’hui de notre environnement mondial. Et garder le multilatéralisme ça veut dire réussir à garder une stratégie où on met des pressions sur des puissances régionales qui inquiètent, je pense à l’Iran ou la Corée du nord, sans jamais tomber dans l’escalade ni tomber dans la fracturation de certaines régions.

Ensuite, cette lutte doit toujours se faire dans un cadre qui est diplomatique et politique, s’il n’y a pas d’issue diplomatique et politique à la lutte contre le terrorisme alors il y aura la reproduction du terrorisme. Et soyons honnêtes avec nous-mêmes, nous avons parfois produit des situations qui ont conduit au terrorisme en pensant qu’aller supprimer de manière unilatérale un tyran parce qu’il nous contrariait allait régler tous les problèmes. On ne se substitue pas à la souveraineté des peuples, à leurs frustrations, parfois à leurs souffrances, et donc seules des solutions politiques stables, pluralistes, durables permettent de lutter de manière forte contre le terrorisme parce qu’elles évitent justement aux frustrations de revenir dans les différents pays.

Et donc notre rôle, c’est non seulement de gagner la guerre contre le terrorisme mais de construire les conditions d’une paix durable dans les régions du globe qui aujourd’hui sont engagées dans cette lutte. Je pense au Moyen-Orient et je pense évidemment à l’Afrique. Sur ces sujets notre coopération est indispensable, notre stratégie de construction de la paix est indispensable et ça veut dire aussi parce que tout se tient que nous devons redonner du sens à la mondialisation que nous portons dans ces régions. Et c’est là où la politique de développement, notre politique diplomatique est inséparable de notre politique militaire. Si vous luttez dans un pays contre le terrorisme mais que vous n’avez aucune stratégie de développement, que vous n’avez aucune stratégie d’éducation, vous pouvez faire place nette et gagner un jour mais le lendemain les causes qui ont conduit au terrorisme seront toujours là.

Et tout cet agenda mondial se tient, le terrorisme est revenu dans le Sahel parce que nous n’avons pas été au rendez-vous du développement, parce que nous avons reculé en termes d’éducation, parce que nous n’avons pas répondu aux défis du changement climatique et que le rétrécissement du lac Tchad a conduit à une vraie crise économique, morale dans toute la région ! Et la solution ce sont les jihadistes qui l’ont apporté et les différents groupements qui leur sont liés. Et donc vous voyez bien, la lutte contre le terrorisme est militaire, elle est diplomatique mais elle implique d’être au rendez-vous de tous les défis que je viens d’évoquer.

Vous le comprenez bien et je finirai là-dessus, le cœur du nouveau contrat mondial c’est, non seulement qui doit impliquer tous les acteurs, que nous devons être obsédés par la lutte contre la stratégie du passager clandestin mais qui implique aussi d’être cohérent dans nos approches. Nous ne devrions plus conclure d’accords commerciaux lorsqu’ils ne respectent pas nos standards communs, climatiques, sanitaires, fiscaux, sociaux. Nous ne devrions plus avoir des discussions sur certains sujets avec des puissances si elles ne correspondent plus justement aux critères qui sont les nôtres. Nous devons avoir un agenda cohérent en termes de biens publics, ça ne se fera pas du jour au lendemain mais on doit rendre transparent toutes nos incohérences, ce que nous sommes progressivement en train de faire plutôt que de continuer à diverger et à les renforcer.

Ce cadre doit être basé sur la coopération et le multilatéralisme et absolument pas sur une sorte de nouvelle hégémonie, une fascination sur de nouveaux pouvoirs, ce serait une énorme erreur. A présent, une énorme responsabilité nous incombe car ce nouveau cadre est le seul moyen de protéger nos intérêts à long terme, nos biens communs et nos populations. La réponse se trouve en partie ici dans cette salle et d’une certaine façon notre nouvelle frontière n‘est pas une frontière technologique ou géographique mais bien plus notre engagement, nous sommes notre propre frontière dans notre propre conscience.

Si nous nous engageons à rendre la globalisation plus juste, favorable aux classes moyennes, si nous nous engageons à prendre en compte la complexité à long terme de nos décisions et pas simplement les résultats à court terme nous pouvons converger et bâtir une nouvelle mondialisation qui est compréhensive et bonne pour nos populations. En reprenant cette grande idée de progrès nous avons la solution en tant que gouvernement, en tant qu’entreprise, nous avons simplement une question : décidons-nous d’agir, d’aller de l’avant ou pas ? C’est maintenant !

Je vous remercie.

Emmanuel Macron, le 24 janvier 2018, à Davos, en Suisse..

Source : www.elysee.fr/


http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20180124-discours-macron-davos.html


 

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22 septembre 2017 5 22 /09 /septembre /2017 04:49

« Nous avons pour nous la force des pionniers, l’endurance, la certitude et l’énergie de ceux qui veulent construire un monde meilleur, et, oui, ce monde meilleur créera de l’innovation, des emplois, n’en déplaise à ceux et à celles qui veulent croire que l’avenir ne se regarde qu’en arrière. » (19 septembre 2017 à New York).


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À l’occasion de la 72e Assemblée Générale des Nations Unies à New York, le Président français Emmanuel Macron a prononcé, le 19 septembre 2017, un grand discours où il a fait l’apologie du multilatéralisme dont le meilleur outil est l’ONU. Il a fait discours quelques minutes après celui du Président américain Donald Trump qui, au contraire, le contraste fut frappant, n’a cessé de rappeler les seuls intérêts des États-Unis ("America first"), ce qui a contribué à renforcer l’isolement américain de la scène mondiale.

De ces deux discours, nul doute que restera dans les mémoires de la "communauté internationale" le discours très belliciste de Donald Trump, finalement peu différent, sur le ton, de ses discours de politique intérieure, au point de menacer directement la Corée du Nord de la "détruire totalement" ("totally destroy") si elle ne renonçait pas à l’arme nucléaire. Cela ne retire rien au mérite d’Emmanuel Macron d’avoir posé une nouvelle fois la volonté française de peser de façon déterminante dans les affaires du monde, sans pour autant montrer une quelconque arrogance.

Après cinq ans de présence ectoplasmique sur le champ mondial (celle de François Hollande, beaucoup trop soucieux de politique politicienne), la France revient donc par la grande porte dans ses missions d’éclaireur du monde. Emmanuel Macron contribue ainsi (mais ce n’est pas nouveau, dès sa prise de fonction, c’était ainsi) à redonner fierté et confiance à la France dans sa capacité d’influer sur les affaires du monde.

Voici quelques éléments à retenir de ce discours d’Emmanuel Macron dont on pourra lire l’intégralité ici.


1. La Syrie

Emmanuel Macron a évoqué l’urgence à « enclencher enfin une feuille de route politique inclusive en Syrie » avec les « deux lignes rouges » de la France : « D’abord, une intransigeance absolue sur l’emploi d’armes chimiques. Les auteurs de l’attaque du 4 avril dernier devront être traduits devant la justice internationale, et cela ne doit plus jamais se produire. Ensuite, l’absolue nécessité d’aménager les accès aux soins de tous et toutes, de permettre les structures médicales, de protéger les populations civiles. La France a décidé d’en faire l’une des priorités de sa Présidence du Conseil de sécurité le mois prochain. ».


2. La défense des minorités pourchassées

Il a pris la défense notamment des Rohingyas qu’il convient de protéger : « La nécessité, c’est aujourd’hui la fuite, face aux persécutions dont sont victimes les Rohingyas. Plus de 400 000 réfugiés dont la majorité sont des enfants. Les opérations militaires doivent cesser, l’accès humanitaire doit être assuré, et le droit rétabli face à ce qui est, nous le savons, un nettoyage ethnique. La France prendra l’initiative au Conseil de sécurité sur ce sujet. ».


3. La contribution de la France au développement

Il a annoncé que la France consacrerait 0,55% du PIB à l’aide publique au développement d’ici cinq ans, avec deux priorités, l’éducation et la santé, plus particulièrement la lutte contre les grandes pandémies et contre la malnutrition : « Les causes profondes, morales, civilisationnelles, si nous voulons les relever, c’est par une véritable politique de développement que nous pouvons le faire. ».

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Mais cette aide au développement ne se limite pas qu’à l’éducation et à la santé : « Dans ce combat pour le développement, nous avons aussi besoin de soutenir la place des femmes, la culture et la liberté d’expression. Partout où la place de la femme est remise en cause, bafouée, c’est le développement qui est bloqué, c’est la capacité d’une société à s’émanciper, à prendre sa juste place qui est ainsi bloquée, ce ne sont pas des sujets de société anodins, c’est un combat de civilisation profond, c’est notre combat, ce sont nos valeurs et elles ne sont pas relatives, elles sont éminemment universelles (…). ».


4. Le réchauffement climatique

Regrettant le désengagement des États-Unis de l’Accord de Paris, Emmanuel Macron a insisté pour au contraire vouloir le renforcer en raison des nouveaux cataclysmes (Irma, José, Maria, etc.) provenant de cette transformation climatique : « L’avenir du monde, c’est celui de la planète qui est en train de se venger de la folie des hommes, la nature nous rappelle à l’ordre et nous intime d’assumer notre devoir d’humanité et de solidarité. (…) Quand certains voudraient s’arrêter, nous devons continuer à avancer, à aller plus loin, parce que le réchauffement climatique, lui, ne s’arrête pas, (…) parce que notre devoir de solidarité et d’humanité ne s’arrête pas. (…) Derrière chacune de nos décisions, il y a des voix, il y a des vies, il y a le cortège invisible de ceux que nous défendons parce qu’un jour, on nous a nous-mêmes défendus. ».


5. Le Venezuela

Évoquant la "dictature", il a réaffirmé l’importance de respecter les règles démocratiques : « L’action collective doit maintenir dans ce pays le respect de la démocratie, le respect de toutes les forces politiques et ne rien céder aux tendances dictatoriales qui sont aujourd’hui à l’œuvre. ».


6. La Corée du Nord

Le politologue Stephan Haggard, dans le magazine américain "Time", a considéré : « Trump vient d’offrir au régime nord-coréen la citation du siècle ! ».

Rejetant les menaces contreproductives de Donald Trump, qui ne peuvent que renforcer la détermination des Nord-coréens à développer leur armement nucléaire, Emmanuel Macron a prôné le dialogue et la négociation : « Le multilatéralisme peine à faire face au défi de la prolifération nucléaire. Il ne parvient pas à conjurer des menaces que nous pensions à jamais révolues et qui sont réapparues brutalement dans notre présent. Ainsi, Pyongyang a franchi en le revendiquant un seuil majeur dans l’escalade militaire. La menace nous concerne tous immédiatement, existentiellement, collectivement. À ce jour, la Corée du Nord n’a donné aucun signe d’une volonté de négocier. Ses dirigeants s’enferment dans une surenchère acharnée. Notre responsabilité, avec tous nos partenaires dont la Chine et la Russie, est de ramener par la fermeté à la table des négociations d’un règlement politique de la crise. La France refusera toute escalade et ne fermera aucune porte au dialogue, si les conditions sont réunies pour que ce dialogue soit utile à la paix. ».


7. L’Iran

Opposé à Donald Trump dans son rejet de l’accord iranien du 14 juillet 2015 (« un accord solide, robuste et vérifiable, qui permet de garantir que l’Iran ne se dotera pas de l’arme nucléaire »), Emmanuel Macron n’est cependant pas opposé à le compléter, notamment pour la période d’après 2025 : « Soyons plus exigeants, mais en rien ne détricotons ce que les accords précédents ont déjà permis de sécuriser. ».

D’où cet éloge répété au multilatéralisme : « Regardons la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Avons-nous, par l’absence de dialogue, mieux endiguer la situation en Corée du Nord ? Pas une seule seconde. Partout où le dialogue, le contrôle, le multilatéralisme se dotent d’armes efficaces, il est utile. C’est cela que je veux pour nous tous et toutes. ».


8. Le multilatéralisme pour construire la paix

L’élément clef de son discours concerne donc le multilatéralisme. Emmanuel Macron a expliqué que le multilatéralisme a été souvent discrédité en raison d’un certain cynisme et d’un manque de volonté politique : « Nous avons laissé s’installer que le multilatéralisme était en quelques sortes un sport confortable, un jeu pour diplomates assis, l’instrument des faibles, c’est cela, ce qui s’est passé depuis tant et tant d’années. Nous avons laissé croire que le multilatéralisme ne pouvait pas tout régler. (…) Nous avons laissé croire qu’on était plus crédibles et plus forts lorsqu’on agissait de manière unilatérale. C’est faux. (…) Nous avons laissé les dérèglements du monde prendre le dessus. Nous avons traîné à régler le réchauffement climatique, à traiter des inégalités contemporaines qu’un capitalisme déréglé s’est mis à produire. (…) Notre défi (…), c’est de savoir refonder [le multilatéralisme]. ».

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Rejetant l’unilatéralisme trumpien, Emmanuel Macron a mis une équivalence certaine entre multilatéralisme et paix durable : « Tous nos défis sont mondiaux (…), tout cela, nous ne les réglerons qu’à l’échelle de la planète, de manière multilatérale. [Sinon], nous laissons la loi du plus fort l’emporter. (…) C’est [la règle du droit] qui nous a faits, c’est cela qui construit la paix dans la durée. (…) Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin du multilatéralisme (…). C’est la règle du droit, c’est l’échange entre les peuples, c’est l’égalité de chacune et chacun d’entre nous, c’est ce qui permet de construire la paix et de relever chacun de nos défis. ».


9. La réforme de l’ONU

L’ONU comme l’instrument adéquat du multilatéralisme : « L’ONU a toute légitimité pour agir et préserver les équilibres du monde. C’est pourquoi je veux une ONU plus responsable, plus efficace, plus agile. (…) La France sera là, aux côtés des Nations Unies, pour la réforme en cours. ». En particulier, la réforme du droit de veto.


10. Enfin, le multilatéralisme comme une assurance vie

Emmanuel Macron a conclu son long discours par cette affirmation que l’intérêt des plus faibles était aussi celui des plus forts : « Ne pas écouter la voix des opprimés et des victimes, c’est laisser leur malheur prospérer, jusqu’au jour où il nous frappera tous. C’est oublier que nous-mêmes, chacune et chacun, à un moment de notre histoire, nous avons été ces opprimés et d’autres ont entendu nos voix. C’est oublier que notre sécurité, c’est leur sécurité, que leur vie engage la nôtre et que nous ne saurions rester indemnes dans un monde qui s’embrase. Ne pas écouter ceux qui nous appellent à l’aide, c’est croire que les murs et les frontières nous protègent. ».

En d’autres termes : « Ne pas écouter ces voix, c’est croire que leur misère n’est pas la nôtre. Que nous posséderons pour toujours les biens dont ils ne pourront que rêver. Mais lorsque ce bien, c’est la planète, lorsque ce bien, c’est la paix, la justice, la liberté, pensez-vous que nous puissions en jouir seuls, dans un coin ? Si nous ne prenons pas la défense de ces biens communs, nous serons tous balayés. Nous laissons s’enflammer des brasiers où demain l’histoire jettera nos propres enfants. ».

Ainsi, sa profession de foi terminale : « Je veux croire aujourd’hui dans un multilatéralisme fort, responsable. C’est la responsabilité de notre génération, si elle ne veut pas laisser place à la fatalité. Nous n’avons qu’un courage à avoir (….), celui d’entendre ces voix, celui de ne pas dévier de la trace que nous devons laisser dans l’histoire et celui, à chaque instant, de considérer que nous devons réconcilier notre intérêt et nos valeurs, notre sécurité et les biens communs de la planète. ».

Au-delà de ce discours très pertinent et très dense intellectuellement, il reste évidemment à savoir quel sera le degré d’influence de la France, dans les mois et années à avenir, sur la scène internationale, en tant que médiatrice de paix, tandis que les États-Unis s’éloigneront peu à peu de leurs propres responsabilités…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 septembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le nouveau Secrétaire Général de l’ONU.
Texte intégral du discours d’Emmanuel Macron le 7 septembre 2017 à Athènes.
Texte intégral du discours d’Emmanuel Macron le 8 septembre 2017 à Athènes.
Texte intégral du discours d’Emmanuel Macron le 19 septembre 2017 à New York.
Texte intégral du discours de Jean-Claude Juncker le 13 septembre 2017 à Strasbourg.
Emmanuel Macron et la refondation de l’Europe (7 septembre 2017).
Emmanuel Macron à l’ONU, apôtre du multilatéralisme (19 septembre 2017).
Le dessein européen de Jean-Claude Juncker (13 septembre 2017).
Une avancée majeure dans la construction européenne.
La XVe législature de la Ve République.
Emmanuel Macron sous le sceau de l’histoire.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170919-macron-onu.html

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/emmanuel-macron-a-l-onu-apotre-du-197019

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/09/22/35694967.html


 

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19 septembre 2017 2 19 /09 /septembre /2017 19:16

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Pour aller plus loin :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170919-macron-onu.html



Discours du Président Emmanuel Macron le 19 septembre 2017 à New York aux Nations Unies.


Monsieur le Secrétaire Général des Nations Unies,
Mesdames et Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement,

Si j’ai aujourd'hui le privilège de m’exprimer devant vous, je sais à qui je le dois. Je le dois à tous ceux qui, voici un peu plus de soixante-dix ans, se sont levés contre un régime barbare qui s’était emparé de mon pays, la France. Je le dois aux Nations qui ont entendu le cri de ces résistants et qui, d’Amérique, d’Afrique, d’Océanie, d’Asie, ont, vers les côtes françaises, envoyé à leurs secours leurs filles et leurs fils. Ils ne savaient pas tous ce qu’était la France, mais ils savaient que la défaite de la France était aussi la défaite d’idéaux qu’ils partageaient, dont ils étaient fiers et pour lesquels ils étaient prêts à mourir. Ils savaient que leur liberté et leurs valeurs, dépendaient de la liberté d’autres femmes, d’autres hommes vivant à des milliers de kilomètres d’eux.

Je le dois à ceux qui, la guerre finie, ont osé la réconciliation et ont reconstruit un nouvel ordre international. A ceux qui, comme René CASSIN, ont compris que les Droits de l’Homme étaient au cœur de la légitimité internationale. A ceux qui ont jugé les coupables, recueilli les victimes, réparé les fautes, à ceux qui ont voulu croire que les valeurs, que cette guerre avait bafouées, devaient reprendre leur place, les valeurs de tolérance, de liberté, d’humanité qui sont fondatrices des Nations unies. Pas parce que ces valeurs étaient belles, mais parce qu’elles étaient justes et permettaient d’éviter que le pire n’advienne.

Si je vous dis tout cela, ça n’est pas simplement pour vous parler d’Histoire, mais lorsqu’aujourd'hui, j’entends nombre de nos collègues parler du monde tel qu’il va, ils oublient un peu de cette Histoire dont nous venons, et que ce qui nous paraît exotique ou si loin de nous, si loin de nos intérêts immédiats est peut-être ce qui détermine et déterminera le plus nos vies.

Mesdames et Messieurs, si mon pays aujourd'hui possède, dans l’ordre des Nations, cette place un peu singulière, cela lui confère une dette, une dette à l’égard de tous ceux qu’on a privés de leur voix. Et je sais que le devoir de la France est de parler pour ceux qu’on n’entend pas. Car parler pour eux, c’est aussi parler pour nous, aujourd’hui ou demain. Et en ce jour, ce sont ces voix oubliées que je veux porter.

J’ai entendu Bana, citoyenne d’Alep, et c’est sa voix que je veux ici porter. Elle a vécu sous la terreur des bombardements, des polices et des milices, elle a connu les camps de réfugiés. Le peuple syrien a assez souffert pour que la Communauté internationale prenne acte d’un échec collectif et s’interroge sur ses méthodes.

Pour établir une paix durable et juste, il y a urgence à nous concentrer sur le règlement politique de la crise, par la transition, comme le Conseil de sécurité l’a acté à l’unanimité dans la résolution 2254, de 2015. La France est à l’initiative, avec ses partenaires, pour soutenir les efforts des Nations unies et enclencher enfin une feuille de route politique inclusive en Syrie. C’est pour cela que je souhaite que nous puissions lancer un groupe de contact avec tous les membres du P5 et l’ensemble des parties prenantes. Aujourd’hui, le format dit « d’Astana » peut être utile, mais il ne suffit pas. Et ces derniers jours ont mis en lumière bien des difficultés.

Donnons-nous les moyens réels d’enclencher les négociations. Car la solution sera, à terme, politique, et non militaire. C’est notre intérêt à tous, et d’abord bien entendu celui des Syriens.

Dans ce contexte, j’ai indiqué quelles étaient nos deux lignes rouges. D’abord une intransigeance absolue sur l’emploi d’armes chimiques. Les auteurs de l’attaque du 4 avril dernier devront être traduits devant la Justice internationale, et cela ne doit plus jamais se produire.

Ensuite, l’absolue nécessité d’aménager les accès aux soins de tous et toutes, de permettre les structures médicales, de protéger les populations civiles. La France a décidé d’en faire l’une des priorités de sa présidence du Conseil de sécurité le mois prochain.

Agir pour le pays en Syrie, c’est agir pour le peuple syrien, mais c’est aussi nous protéger tous du terrorisme islamiste. Car en Syrie, en Irak, c’est contre le terrorisme que nous nous battons au premier chef. Nous agissons pour tous ceux qui ont péri dans ces attaques au cours des derniers mois. Car le terrorisme djihadiste a frappé sur tous les continents nos concitoyens, quelle que soit leur religion. Nous devons ainsi tous nous protéger en unissant nos forces, et notre sécurité devient la première priorité. C’est le sens des initiatives que la France porte pour lutter contre l’utilisation d’Internet par les terroristes, et contre toutes les sources de leur financement.

C’est pourquoi j’ai souhaité que nous puissions organiser en 2018 une conférence sur ce combat durant laquelle je vous appelle toutes et tous à vous engager. Mais c’est aussi le sens de l’action militaire que la France mène au sein de la Coalition en Syrie et en Irak, dans le respect du Droit international. Ce combat contre le terrorisme, il est militaire, il est diplomatique, mais il est aussi éducatif, culturel, moral. Il passe par notre action au Moyen-Orient en Afrique, mais aussi en Asie, et il doit tous et toutes nous réunir.

J’ai entendu Ousmane, écolier à Gao, et c’est sa voix que je veux ici porter. Son enfance se passe au Mali dans la hantise des attentats aveugles. Et pourtant, son seul rêve est d’aller à l’école sans risquer la mort. Au Sahel, nous sommes tous et toutes désormais engagés. Nations unies, pays de la région au sein de la Minusma et de la Force conjointe du G5, Union européenne et ses Etats-membres, et je veux ici rendre hommage à tous ces acteurs en rappelant que c’est un effort particulièrement douloureux et cher en vies humaines.

Notre défi est aujourd’hui, là aussi, d’éradiquer le terrorisme, et pour ce faire, de renforcer les capacités nationales pour que les Etats eux-mêmes prennent en charge leur sécurité. Quels que soient les moyens que nous mettrons, nous ne réussirons pas dans notre mission collective si les pays les plus concernés ne sont pas en mesure d’assumer leurs propres responsabilités. C’est pourquoi j’ai soutenu, dès ma prise de fonction, le déploiement de la force conjointe du G5 Sahel, et j’en appelle ici à votre mobilisation collective.

C’est pourquoi aussi je veux m’investir dans le renforcement du soutien aux opérations africaines de paix, car c’est cela, l’avenir. Nous devons repenser collectivement l'articulation entre maintien de la paix, organisations régionales et pays hôtes. Et notre capacité à répondre aux aspirations de paix des populations en dépend.

Assurément, la réponse militaire ne pourra jamais être la seule réponse, et je veux ici insister sur la nécessité d'une réponse politique, et je pense bien sûr à la mise en œuvre de l’Accord d’Alger et a notre politique de développement.

J'ai entendu aussi Kouamé, et c'est sa voix que je veux ici porter. Jeté sur les routes, il a traversé l'Afrique avant de remettre son sort en Libye entre les mains de passeurs. Il a traversé la Méditerranée, il est parvenu à bon port, quand tant d'autres périssaient en mer. Le réfugié, le déplacé, ou celui qu'on appelle tristement le « migrant », est en réalité devenu le symbole de notre époque. Le symbole d’un monde où aucune barrière ne pourra s'opposer à la marche du désespoir, si nous ne transformons pas les routes de la nécessité en route de la liberté.

Ces migrations sont politiques, climatiques, ethniques ; ce sont à chaque fois ces routes de la nécessité. La nécessité, c’est aujourd’hui la fuite, face aux persécutions dont sont victimes les Rohingyas. Plus de 400.000 réfugiés dont la majorité sont des enfants. Les opérations militaires doivent cesser, l’accès humanitaire doit être assuré, et le droit rétabli face à ce qui est, nous le savons, un nettoyage ethnique. La France prendra l'initiative au Conseil de sécurité sur ce sujet.

La nécessité, c'est le départ pour sauver sa famille quand la guerre fait rage et que le droit international humanitaire n'est plus respecté, mais instrumentalisé, comme en Syrie dans la stratégie de violence des acteurs ; l’exil, quand les défenseurs de la liberté sont les premières cibles des pouvoirs en place. La protection des réfugiés est un devoir moral et politique dans lequel la France a décidé de jouer son rôle. En soutenant le Haut-commissariat aux Réfugiés partout où il doit intervenir, en ouvrant des voies légales de réinstallation au plus proche des zones de conflit, au Liban, en Jordanie, en Turquie, mais aussi au Niger et au Tchad, en défendant le droit d’asile et le respect absolu de la convention de Genève.

Le 28 août dernier à Paris, nous avons réuni des pays africains et européens les plus directement concernés par les flux migratoires sur la route de la Méditerranée centrale. Nous avons adopté une feuille de route dont la priorité est de lutter contre les trafiquants qui font commerce de la misère. Nous devons mettre un terme aux violations insupportables des droits fondamentaux en mettant en place une infrastructure humanitaire avec le HCR et l'OIM, en aidant les pays d’origine et de transit à mieux contrôler les flux.

Mais si, face au terrorisme, aux migrations, les réponses de court terme s’imposent afin de gérer les crises, c'est notre volonté politique de traiter les causes profondes de toutes ces instabilités qui est aujourd'hui en jeu. Ces migrations, ce terrorisme, ce sont des défis politiques avant tout, profonds, pour nous tous et toutes. Car les causes profondes, morales, civilisationnelles, si nous voulons les relever, c'est par une véritable politique de développement que nous pouvons le faire.

C'est pourquoi j'ai décidé que la France jouerait son rôle en fixant l'objectif de consacrer 0,55 % de notre revenu national pour l’aide publique au développement d’ici cinq ans.

Je vous remercie pour vos applaudissements, mais je veux les tempérer en quelque sorte. D'abord parce que je sais que certains attendent davantage et que ça n'est jamais assez et la France aujourd'hui n'est pas suffisamment à ce rendez-vous ; mais surtout parce que ça n'est pas tellement l'argent qui est la question principale. C’est l’efficacité de cet argent. C’est ce à quoi nous le destinons. C’est de mieux évaluer, c’est de mieux être en responsabilité sur cet argent, que tous et toutes nous mettons.

Alors, oui, je veux que la France soit au rendez-vous de l’aide publique au développement mais je veux surtout que cette aide publique au développement fasse l’objet de plus d’innovations, de plus d’intelligence, de méthodes différentes, d’une plus grande responsabilité sur le terrain, c’est cela ce que je veux avec vous. L’enjeu aujourd’hui c’est que cette aide publique au développement arrive bien sur le terrain de manière simple, efficace, en étant évaluée, aille bien à la destination initialement recherchée, c’est cela ce que nous avons voulu faire par exemple avec l’Alliance pour le Sahel que nous avons lancée avec l’Union européenne, la banque mondiale et le PNUD.

Ensuite, c’est d’avoir des priorités claires, la première c'est d’investir dans l’éducation parce que c’est par l’éducation que nous gagnerons cette bataille contre l’obscurantisme, celle qui est aujourd’hui en train de faire basculer des pays, des régions entières, en Afrique comme au Proche et Moyen-Orient. Et j’appelle ici la communauté internationale à être au rendez-vous en février 2018 à Dakar pour la reconstitution du partenariat mondial pour l’éducation que la France coprésidera avec le Sénégal. C’est une bataille essentielle que nous mènerons là, c’est celle qui consiste précisément à donner la possibilité aux jeunes filles et aux jeunes garçons de ne pas sombrer dans l’obscurantisme, de pouvoir choisir leur avenir, pas celui qui leur sera imposé par nécessité ou celui que nous leur choisirions ici dans cette salle.

La deuxième priorité c’est d’investir dans la santé, dans la lutte contre les grandes pandémies et contre la malnutrition parce qu’aucun espoir n'est permis quand on ne peut pas se former ni se soigner. Dans ce combat pour le développement nous avons aussi besoin de soutenir la place des femmes, la culture et la liberté d’expression. Partout où la place de la femme est remise en cause, bafouée, c’est le développement qui est bloqué, c’est la capacité d’une société à s’émanciper, à prendre sa juste place qui est ainsi bloquée, ce ne sont pas des sujets de société anodins, c’est un combat de civilisation profond, c’est notre combat, ce sont nos valeurs et elles ne sont pas relatives, elles sont éminemment universelles sur tous les continents, toutes les latitudes. Partout où la culture est bafouée là aussi c’est notre capacité collective à relever ces défis qui est réduite.

C’est pourquoi l’UNESCO est aujourd’hui une institution particulièrement essentielle et a à cet égard un rôle clé, conserver au monde un visage humain quand tant d’obscurantismes voudraient en supprimer l’incroyable diversité. C’est pour que la culture et la langue de chacun vivent et perdurent que nous nous battons pour que continue le progrès de l’esprit. Et la liberté d’expression est elle aussi une bataille dont l’actualité n’est pas moins importante. L’ONU a vocation à protéger la liberté de ceux qui pensent, réfléchissent, s’expriment et notamment la liberté de la presse. C’est pourquoi j’appelle à la désignation d’un représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies sur la protection des journalistes dans le monde car en aucun cas la lutte contre le terrorisme, le durcissement du monde dans lequel nous vivons ne saurait justifier la réduction de cette liberté.

Je parle enfin au nom de Jules, mon compatriote, vivant sur l’île de Saint-Martin, je songe à sa maison détruite, à sa peur que cela ne recommence encore et encore parce que le réchauffement climatique multiplie les catastrophes. L’avenir du monde c’est celui de notre planète qui est en train de se venger de la folie des hommes, la nature nous rappelle à l’ordre et nous intime d’assumer notre devoir d’humanité et de solidarité. Elle ne négociera pas, il revient à l’humanité de se défendre en la protégeant. Les dérèglements climatiques font voler en éclats la traditionnelle opposition entre le Nord et le Sud, les plus fragiles sont toujours les premières victimes emportées dans un tourbillon d’injustices, nous sommes tous frapper par les emballements terribles du climat de la Chine aux Caraïbes en passant par la Russie ou la corne de l’Afrique.

Mon pays devant cette assemblée avait promis un accord universel à paris, il a été obtenu et signé dans cette salle. Cet accord ne sera pas renégocié, il nous lie, il nous rassemble, le détricoter serait détruire un pacte qui n’set pas seulement entre les états mais aussi entre les générations. Il pourra être enrichi de nouvelles contributions, de nouveaux apports mais nous ne reculerons pas. Je respecte profondément la décision des Etats-Unis et la porte leur sera toujours ouverte mais nous continuerons avec tous les gouvernements, avec les collectivités locales, les villes, les entreprises, les ONG, les citoyens du monde à mettre en œuvre l’Accord de Paris. Nous avons pour nous la force des pionniers, l’endurance, la certitude et l’énergie de ceux qui veulent construire un monde meilleur et, oui, ce monde meilleur créera de l’innovation, des emplois n’en déplaise à ceux et celles qui veulent croire que l’avenir ne se regarde qu’en arrière.

Nous le construirons sans attendre en mettant en œuvre nos contributions comme la France l’a fait en adoptant son plan Climat qui la place sur le chemin de la neutralité carbone. En rassemblant à Paris le 12 décembre prochain tous ceux qui sont décidés à avancer autour de solutions concrètes en mobilisant les financements publics et privés et je confirme ici que la France y prendra sa part en allouant cinq milliards d’euros par an à l’action sur le climat d’ici à 2020. Nous redoublerons d’ambitions en présentant dès cet après-midi un pacte mondial pour l’environnement dont l’ambition sera de forger le droit international du siècle qui vient avec l’appui des agences de l’ONU. Quand certains voudraient s’arrêter nous devons continuer à avancer, à aller plus loin parce que le réchauffement climatique, lui, ne s’arrête pas, parce que nos dérèglements ne s’arrêtent pas, parce que notre devoir de solidarité et d’humanité ne s’arrête pas.

Mesdames et Messieurs, derrière chacun de nos décisions il y a ces voix, il y a ces vies, il y a le cortège invisible de ceux que nous devons défendre parce qu’un jour on nous a nous-mêmes défendus. Toutes ces voix qui appellent pourquoi ne les entendons-nous pas davantage ? Pourquoi ne savons-nous plus faire ce qui voici 70 ans avait redonné à l’humanité entière la force de croire en elle, la responsabilité planétaire, le goût de l’entraide, la foi dans le progrès ? Et oui, lorsque je vous parle de Bana, d’Ousmane, de Kouamé ou de Jules je parle de mes concitoyens, je parle de vos concitoyens et de chacun d’entre eux car nos intérêts, notre sécurité ce sont aussi les leurs ! Nous sommes irrémédiablement liés les uns aux autres dans une communauté de destins pour aujourd’hui et pour demain. Alors les équilibres du monde, oui, ont profondément changé ces dernières années, le monde est redevenu multipolaire, cela veut dire qu’il nous faut réapprendre la complexité du dialogue mais aussi sa fécondité.

Notre action collective se heurte à l’instabilité des états, ainsi de la Libye, six ans après son intervention armée je prends acte devant cette assemblée de la responsabilité particulière de la France pour que ce pays retrouve la stabilité. La rencontre de La Celle-Saint-Cloud du 25 juillet dernier a permis de faire avancer la réconciliation indispensable à la réussite du processus politique sous l’égide des Nations Unies. Aux côtés du secrétaire général et de son représentant spécial nous devons parvenir en 2018 à l’organisation d’élections qui marqueront le début d’une restauration effective de l’Etat et j’y mettrai toute mon énergie. Ainsi pour le Venezuela l’action collective doit maintenir dans ce pays le respect de la démocratie, le respect de toutes les forces politiques et ne rien céder aux tendances dictatoriales qui sont aujourd’hui à l’œuvre. Ainsi en Ukraine nous devons inlassablement là aussi faire respecter les engagements pris et permettre le cessez-le-feu effectif et progressivement comme nous le faisons avec l’Allemagne tout particulièrement permettre là aussi aux parties en présence de respecter le droit international et parvenir à la fin de ce conflit.

Le multilatéralisme peine à faire face aux défis de la prolifération nucléaire, il ne parvient pas à conjurer des menaces que nous pensions à jamais révolues et qui sont réapparues brutalement dans notre présent. Ainsi Pyongyang a franchi en le revendiquant un seuil majeur dans l’escalade militaire. La menace nous concerne tous immédiatement, existentiellement, collectivement. A ce jour, la Corée du nord n’a donné aucun signe d’une volonté de négocier, ses dirigeants s’enferment dans une surenchère acharnée, notre responsabilité avec tous nos partenaires dont la Chine et la Russie est de ramener par la fermeté à la table des négociations d’un règlement politique de la crise. La France refusera toute escalade et ne fermera aucune porte au dialogue, si les conditions sont réunies pour que ce dialogue soit utile à la paix.

C’est ce même objectif qui me conduit à défendre l’accord nucléaire avec l’Iran. Notre engagement sur la non prolifération nucléaire a permis d’obtenir, le 14 juillet 2015, un accord solide, robuste et vérifiable, qui permet de garantir que l’Iran ne se dotera pas de l’arme nucléaire. Le dénoncer aujourd’hui, sans rien proposer d’autre, serait une lourde erreur. Ne pas le respecter serait irresponsable. Parce que c’est un accord utile, essentiel à la paix, à l’heure où le risque d’une spirale infernale ne saurait être exclu. C’est ce que j’ai dit hier aux Etats-Unis et à l’Iran.

Je souhaite, pour ma part, que nous complétions cet accord par un travail qui permettra d’encadrer l’activité balistique de l’Iran, par un travail qui permettra d’encadrer la situation après 2025 que ne couvre pas l’accord de 2015. Soyons plus exigeants, mais en rien ne détricotons ce que les accords précédents ont déjà permis de sécuriser. Regardons la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, avons-nous, par l’absence de dialogue, mieux endiguer la situation en Corée du Nord ? Pas une seule seconde. Partout où le dialogue, le contrôle, le multilatéralisme se dote d’armes efficaces, il est utile. C’est cela ce que je veux pour nous tous et toutes.

Alors, je ne sais si mon lointain successeur aura, dans soixante-dix ans, le privilège de s’exprimer devant vous. Le multilatéralisme survivra-t-il à la période de doutes et de dangers que nous connaissons ? En vérité, il faudrait que nous nous souvenions de l’état du monde, voici soixante-dix ans, brisé par la guerre, stupéfait par les génocides. Il faudrait que nous retrouvions aujourd’hui l’optimisme, l’ambition, le courage que nous avons opposés à ces raisons de douter, que nous retrouvions foi en ce qui nous unit. C’est-à-dire que nous retrouvions confiance en ces valeurs fondatrices de l’ONU qui sont universelles et qui protègent les individus partout sur la planète et garantissent leur dignité.

Mais Mesdames et Messieurs, pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Parce que nous avons laissé s’installer que le multilatéralisme était en quelque sorte un sport confortable, un jeu pour diplomates assis, l’instrument des faibles, c’est cela ce qui s’est passé depuis tant et tant d’années. Parce que nous avons laissé croire qu’on était plus crédibles et plus forts lorsqu’on agissait de manière unilatérale. C’est faux. Parce que nous avons laissé croire, parfois par cynisme, que le multilatéralisme ne pouvait pas tout régler.

Alors, nous avons laissé les dérèglements du monde prendre le dessus. Nous avons trainé à régler le réchauffement climatique, à traiter des inégalités contemporaines qu’un capitalisme déréglé s’est mis à produire. Nous avons laissé des voix discordantes s’élever. Mais à chaque fois, c’est la voix du plus fort qui l’emporte à ce jeu. Nous avons, par langueur, par oubli de l’Histoire qui nous a faits, nous avons laissé s’installer l’idée qu’on est plus forts hors du multilatéralisme.

Mais notre défi contemporain, celui de notre génération, c’est de savoir le refonder. C’est d’expliquer qu’aujourd’hui, dans le monde tel qu’il va, il n’ya rien de plus efficace que le multilatéralisme. Pourquoi ? Parce que tous nos défis sont mondiaux : le terrorisme, les migrations, le réchauffement climatique, la régulation du numérique, tout cela, nous ne les règlerons qu’à l’échelle de la planète, de manière multilatérale. A chaque fois que nous acceptons que ce ne soit pas le multilatéralisme, alors nous laissons la loi du plus fort l’emporter.

Parce que, oui, mes amis, consacrer notre vision du monde, c’est par le multilatéralisme que nous pourrons le faire. Parce que cette vision est universelle. Elle n’est pas régionale. Parce qu’à chaque fois que nous avons cédé à certains qui disaient que la place de la femme, c’était l’affaire de quelques-uns, à un certain bout de la planète, mais pas des autres, que l’égalité entre les citoyens, c’était l’affaire d’une civilisation, mais pas d’une autre, nous avons abandonné ce qui nous a rassemblés ici, dans ce lieu, l’universalité de ces valeurs. Là aussi, nous avons cédé, dans certains pays, à la loi du plus fort.

Parce qu’à chaque fois que les grandes puissances, assises à la table du Conseil de sécurité, ont cédé à la loi du plus fort, ont cédé à l’unilatéralisme, ont pu dénoncer des accords qu’elles avaient elles-mêmes signés, elles n’ont pas respecté le ciment du multilatéralisme qui est la règle du droit. C’est cela ce qui nous a fait, c’est cela qui construit la paix dans la durée.

Alors oui, aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin du multilatéralisme, non pas parce que ce serait un mot confortable, non pas parce que ce serait en quelque sorte un refuge pour gens intelligents. Parce que le multilatéralisme, c’est la règle du droit, c’est l’échange entre les peuples, c’est l’égalité de chacune et chacun d’entre nous, c’est ce qui permet de construire la paix et de relever chacun de nos défis.

Alors oui, pour ce faire, l’Organisation des Nations unies a toute légitimité pour agir et préserver les équilibres du monde. C’est pourquoi je veux une ONU plus responsable, plus efficace, plus agile et je soutiens pleinement le projet du secrétaire général des Nations unies, son ambition, sa volonté de porter une organisation à l’échelle des défis de la planète. Nous avons besoin de sortir de nos bureaux, des rencontres entre Etats et entre Gouvernements pour aller chercher d’autres énergies, pour représenter différemment le monde tel qu’il est et pour revenir sur des dogmes dans lesquels nous nous sommes parfois installés.

Nous avons besoin d’un Conseil de sécurité qui puisse prendre des décisions efficaces et ne pas être enfermé dans le droit de veto, quand des atrocités de masse sont commises. Nous avons besoin d’une meilleure représentation de toutes les forces en présence de tous les continents. Nous avons besoin d’une articulation dans la gestion des crises, avec l’Union européenne, l’Union africaine, les organisations sous-régionales qui sont des acteurs essentiels. C’est pourquoi la France sera là, aux côtés des Nations unies, pour la réforme en cours.

Pour conclure, Mesdames et Messieurs, je voulais vous dire que les voix oubliées que j’ai voulu porter ce jour ne peuvent résonner que dans une enceinte comme celle-ci. Une enceinte où chacun a sa place, où chacun peut se faire entendre de ceux qui ne veulent pas écouter. A ceux-ci, je dirai : ne pas écouter la voix des opprimés et des victimes, c’est laisser leur malheur grandir, prospérer, jusqu’au jour où il nous frappera tous. C’est d’oublier que nous-mêmes, chacune et chacun, à un moment de notre Histoire, nous avons été ces opprimés et d’autres ont entendu nos voix. C’est oublier que notre sécurité, c’est leur sécurité, que leur vie engage la nôtre et que nous saurions restés indemnes dans un monde qui s’embrase.

Ne pas écouter ceux qui nous appellent à l’aide, c’est croire que les murs et les frontières nous protègent. Mais ce ne sont pas les murs qui nous protègent. C’est notre volonté d’agir, c’est notre volonté d’influencer le cours de l’Histoire. C’est notre refus d’accepter que l’Histoire s’écrive sans nous, pendant que nous nous croyons à l’abri. Ce qui nous protège, c’est notre souveraineté et l’exercice souverain de nos forces au service du progrès. C’est cela l’indépendance des Nations dans l’interdépendance qui est la nôtre.

Ne pas écouter ces voix, c’est croire que leur misère n’est pas la nôtre. Que nous posséderons pour toujours les biens dont ils ne pourront que rêver. Mais lorsque ce bien, c’est la planète, lorsque ce bien, c’est la paix, la justice, la liberté, pensez-vous que nous puissions en jouir seuls, dans un coin ?

Si nous ne prenons pas la défense de ces biens communs, nous serons tous balayés. Nous laissons s’enflammer des brasiers où demain l’Histoire jettera nos propres enfants.

Oui, aujourd’hui encore plus qu’hier, nos biens communs, c’est aussi notre intérêt, notre sécurité, c’est aussi leur sécurité. Il n’y aurait pas d’un côté l’irénisme de ceux qui croient à la règle de droit et au multilatéralisme et, de l’autre côté, le pragmatisme de certains unilatéraux. C’est faux.

Notre efficacité réelle se joue dans ce combat ici. Alors, avec vous, je veux croire aujourd’hui dans un multilatéralisme fort, responsable. C’est la responsabilité de notre génération, si elle ne veut pas laisser place à la fatalité. Nous n’avons qu’un courage à avoir, Mesdames et Messieurs, celui d’entendre ces voix, celui de ne pas dévier de la trace que nous devons laisser dans l’Histoire et celui, à chaque instant, de considérer que nous devons réconcilier notre intérêt et nos valeurs, notre sécurité et les biens communs de la planète. Notre génération n’a pas le choix, car elle doit parler pour aujourd’hui et pour demain.

Je vous remercie.


Emmanuel Macron, le 19 septembre 2017 à Assemblée Générale de l'ONU à New York.

Source : www.elysee.fr/



 

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11 octobre 2016 2 11 /10 /octobre /2016 06:15

« Nous avons introduit une nouvelle norme de transparence et d’inclusion dans le processus de nomination qui a également le potentiel d’influer sur le résultat final de la sélection du Secrétaire Général. » (Mogens Lykketoft, Président en exercice de l’Assemblée Générale de l’ONU, conférence du presse du 14 avril 2016).


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Le second mandat du Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-Moon s’achève le 1er janvier 2017. Pour la première fois, une procédure un peu moins opaque a été mise en place pour la désignation de son successeur. Il s’est agi de demander un dépôt de candidature publiquement affiché (CV et lettre de motivation) puis d’entendre chaque candidat, de manière informelle, au cours d’auditions retransmises publiquement en direct. Les premières auditions ont eu lieu en avril 2016.

Formellement, ce sont les quinze membres du Conseil de Sécurité de l’ONU (dont cinq avec droit de veto) qui proposent un candidat dont le choix devra être ratifié en décembre 2016 par l’Assemblée Générale de l’ONU représentant les 193 pays membres. Pour identifier le bon candidat, l’instance décisionnelle a procédé à une série de six scrutins indicatifs de juillet à octobre.

Ce mercredi 5 octobre 2016, le choix définitif s’est porté sur l’ancien Premier Ministre portugais (socialiste) Antonio Guterres, et cela malgré la position de l’actuel Secrétaire Général Ban Ki-Moon qui tenait à ce que son successeur fût une femme. Une position sans précédent puisque aucun de ses prédécesseurs ne s’était permis d’émettre la moindre recommandation sur le choix de son successeur. C'est la pemière fois qu'un ancien chef de gouvernement deviendra Secrétaire Général de l'ONU.


Antonio Guterres

Antonio Guterres (67 ans), qui parle couramment espagnol, français et anglais, a reçu une formation scientifique avant de s’engager en politique au sein du Parti socialiste portugais et se fit élire député le 25 avril 1976 à l’âge de 26 ans. Il s’intégra rapidement dans la direction de son parti et de son groupe parlementaire dont il prit la présidence en 1988. Après la déroute socialiste aux élections législatives du 6 octobre 1991, il réussit à se faire élire secrétaire général du Parti socialiste le 23 février 1992 avec une large majorité de délégués. Il est devenu chef de l’opposition pendant quelques années jusqu’à sa victoire aux élections législatives du 1er octobre 1995 avec le meilleur résultat de son parti depuis 1975 (112 sièges sur 230 et 43,8% des voix).

Antonio Guterres fut alors Premier Ministre portugais du 28 octobre 1995 au 6 avril 2002. S’il fut reconduit après une nouvelle victoire aux élections législatives du 10 octobre 1999, l’échec de son parti aux élections locales du 16 décembre 2001 a mis fin à son leadership gouvernemental. Il démissionna pour laisser la tête du gouvernement à …José Manuel Barroso. Parallèlement, succédant à l’ancien Premier Ministre français Pierre Mauroy, il fut élu président de l’Internationale socialiste du 10 novembre 1999 au 15 juin 2005 et abandonna ce mandat au futur Premier Ministre grec Giorgos Panpandréou (qui est toujours à ce poste à ce jour).

Pressenti pour devenir le candidat socialiste à l’élection présidentielle du 22 janvier 2006, Antonio Guterres renonça à la vie politique portugaise lorsqu’il fut proposé, le 24 mai 2005, par Kofi Anna, Secrétaire Général de l’ONU, pour devenir le Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés (succédant à l’ancien Premier Ministre néerlandais Ruud Lubbers). Antonio Guterres occupa ce haut poste à responsabilité internationale pendant deux mandats, du 15 juin 2005 au 31 décembre 2015.

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Il se trouva ainsi confronté aux enjeux majeurs du monde actuel, en particulier la crise des réfugiés en Europe, à la guerre civile en Syrie et aux problèmes que le changement climatique entraîne, en particulier sur les mouvements de populations. Cette très bonne connaissance de ces sujets d’actualité majeurs ainsi que la très bonne connaissance des rouages des institutions de l’ONU ont été les atouts majeurs de sa candidature au Secrétariat Général de l’ONU qui le rend immédiatement opérationnel dans cette fonction.

À la fin de ses deux mandats au Haut commissariat, la candidature d’Antonio Guterres était de nouveau évoquée pour l’élection présidentielle du 24 janvier 2016 au Portugal avec une position de favori. Mais celui-ci renonça de nouveau et fut formellement le candidat de son pays au Secrétariat Général de l’ONU le 29 février 2016.


Les treize candidatures retenues

Reprenons toute la procédure qui a abouti à la désignation d’Antonio Guterres. Par une motion votée en septembre 2015 par l’Assemblée Générale de l’ONU, la procédure se voulait beaucoup moins opaque que dans le passé.

Dans un premier temps, la démarche transparente voulait que les candidatures soient explicitement déclarées. Le choix s’est donc fait sur douze (en fait treize) candidats. Au début, douze candidats avaient postulé, six hommes et six femmes, dont huit sont originaires de l’Europe centrale ou orientale.

J’en ai déjà présenté neuf d’entre eux précédemment : Irina Bokova (déclarée le 11 février 2016 par la Bulgarie), Vesna Pusic (déclarée le 14 janvier 2016 par la Croatie), Natalia Gherman (déclarée 19 février 2016 par la Moldavie), Igor Luksic (déclaré le 15 janvier 2016 par le Monténégro), Danilo Turk (déclaré le 9 février 2016 par la Slovénie), Srgjan Kerim (déclaré le 30 décembre 2015 par la Macédoine), Helen Clark (déclarée le 5 avril 2016 par la Nouvelle-Zélande), Antonio Guterres (déclaré le 29 février 2016 par le Portugal) et Vuk Jeremic (déclaré le 12 avril 2016 par la Serbie).

Trois autres candidatures ont été présentées depuis le printemps : Susana Malcorra (déclarée le 23 mai 2016 par l’Argentine), Miroslav Lajcak (déclaré le 25 mai 2016 par la Slovaquie) et Christiana Figueres (déclarée le 7 juillet 2016 par le Costa Rica). À ces candidatures, il faut rajouter celle de Kristalina Gueorguieva (déclarée le 28 septembre 2016) par la Bulgarie en remplacement de son soutien à Irina Bukova.

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Par ailleurs, deux autres candidatures ont été présentées, celle de Kevin Rudd en avril 2016 et celle d’Aminata Traoré le 1er juin 2016, mais elles ont été toutes les deux rejetées car elles n’ont pas été soutenues par leur gouvernement respectif.

Kevin Rudd (59 ans), diplomate australien, fut Premier Ministre d’Australie (travailliste) du 3 décembre 2007 au 24 juin 2010 et du 27 juin 2013 au 18 septembre 2013, et Ministre australien des Affaires étrangères du 14 septembre 2010 au 21 février 2012. Aminata Dramane Traoré (69 ans) écrivaine malienne, fut Ministre malienne de la Culture de 1997 à 2000, .altermondialiste favorable à Robert Mugabe.


10. Susana Malcorra (62 ans) d’Argentine

Après des études scientifiques, Susana Malcorra travailla pour IBM puis Telecom Argentina dont elle fut la directrice générale en 2001. Directrice exécutive adjointe du Programme alimentaire mondiale en 2004, elle fut nommée en mars 2008  sous-secrétaire générale de l’ONU par Ban Ki-Moon, avant d’être nommée en mars 2012 chef de cabinet du Bureau exécutif de l’ONU. Depuis le 10 décembre 2015, elle est la Ministre argentine des Affaires étrangères, nommée le 24 novembre 2015 par le Président Mauricio Macri, élu le 22 novembre 2015 avec 51,3% des voix pour succéder à Cristina Kirchner.


11. Miroslav Lajcak (53 ans) de Slovaquie

Diplomate slovaque, Miroslav Lajcak a occupé notamment le poste d’ambassadeur de Slovaquie à Tokyo de 1994 à 1998, et d’ambassadeur à Belgrade de 2001 à 2007. Il fut désigné Haut Représentant international en Bosnie-Herzégovine du 2 juillet 2007 au 28 février 2009 (poste issu des Accords de Dayton signé le 14 décembre 1995 à Paris). Comme indépendant, il fut nommé Ministre slovaque des Affaires étrangères du 26 janvier 2009 au 8 juillet 2010 et depuis le 4 avril 2012 (avec le titre de Vice-Président du Gouvernement du 4 avril 2012 au 23 mars 2016) dans les trois gouvernements de Robert Fico (social-démocrate).


12. Christiana Figueres (60 ans) de Costa Rica

Après des études d’anthropologie sociale, Christiana Figueres a été recrutée comme fonctionnaire sur l’aide au développement et la coopération internationale. Depuis 1995, elle a fait partie des négociatrices lors des discussions internationales sur le changement climatique. Depuis le 7 mai 2010, elle est la secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

Par ailleurs, son père, José Figueres Ferrer, a été Président de la République du Costa Rica trois fois, du 8 mai 1948 au 8 novembre 1949, du 8 novembre 1953 au 7 mai 1958 et du 8 mai 1970 au 8 mai 1974, son frère aîné, José Maria Figueres Olsen, a été, lui aussi, Président de la République du Costa Rica du 8 mai 1994 au 8 mai 1998, et sa mère, Karen Olsen Beck, a été ambassadrice du Costa Rica à Tel-Aviv en 1982, puis élue députée de 1990 à 1994.


13. Kristalina Gueorguieva (63 ans) de Bulgarie

Économiste bulgare, Kristalina Gueorguieva est une spécialiste universitaire des économies de transition environnementale, et a travaillé à la Banque mondiale. Pressentie comme numéro deux du gouvernement bulgare de Boïko Borissov chargée de l’Économie et de l’Énergie après les élections législatives du 5 juillet 2009, elle fut finalement nommée commissaire européenne le 10 février 2010, chargée de la Coopération internationale, de l’Aide humanitaire et de la Réaction aux crises, puis, après avoir été citée en juin 2014 pour devenir Haut Représentant de l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, elle a été reconduite à la Commission Européenne (présidée par Jean-Claude Juncker) le 10 septembre 2014, comme Vice-Présidente chargée du Budget et des Ressources humaines.


Le choix du Conseil de Sécurité

Le Conseil de Sécurité a procédé à six scrutins indicatifs à bulletin secret pendant tout l’été et début d’automne, en faisant pour chaque candidat un total des voix favorables, neutres ou défavorables (plus exactement, "encouragement", "sans opinion", "découragement").

Le Conseil de Sécurité est composé de quinze membres, cinq membres permanents avec droit de veto (la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie), et dix autres élus tous les deux ans, en 2016 : l’Angola, l’Égypte, l’Espagne, le Japon, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, le Sénégal, l’Ukraine, l’Uruguay et le Venezuela.

L’idée de ces scrutins indicatifs était, d’une part, de voir si une candidature se dégageait nettement des autres, et d’autre part, d’éliminer des candidatures visiblement rejetées par une grande majorité des membres ou par au moins un membre permanent qui a le droit de veto.

Il était tacitement convenu que le poste reviendrait à un citoyen européen (il y a traditionnellement une rotation entre les continents). Or, il était particulièrement adapté que ce fût un citoyen de l’Europe centrale ou orientale, zone qui a été libérée du joug soviétique il y a vingt-cinq ans et qui n’avait encore jamais participé à l’administration des Nations Unies. De plus, il aurait été pertinent également que le candidat retenu fût une candidate, qui aurait été alors la première femme désignée à la tête de l’ONU depuis soixante et onze ans (et huit secrétaires généraux).

La logique aurait donc voulue que choix se portât sur la candidate au plus grand potentiel, Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco. Soutenue par la Russie, sa candidature a été régulièrement rejetée, au fil des scrutins indicatifs, par les États-Unis car elle avait introduit l’Autorité palestinienne au sein de l’Unesco comme 195e membre à part entière le 31 octobre 2011.


Les cinq premiers scrutins indicatifs

Dès le premier scrutin indicatif du 21 juillet 2016, la candidature d’Antonio Guterres s’est détachée nettement avec 12 voix favorables, et 3 neutres (aucun défavorable). Juste après lui, Danilo Turk (11 voix favorables mais 2 défavorables), puis Irina Bokova (9 favorables, 4 défavorables), Vuk Jeremic, etc.

Vesna Pusic, dernière candidate (seulement 2 voix favorables et 11 défavorables, dont forcément au moins 1 voix défavorable qui a droit de veto), a renoncé à sa candidature.

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Le deuxième scrutin indicatif du 5 août 2016 a placé de nouveau Antonio Guterres en tête, mais avec seulement 11 voix favorables et aussi 2 voix défavorables. Vuk Jeremic, Susana Malcorra et Danilo Turk sont arrivés après lui, puis Irina Bokova en cinquième position avec un score encore plus faible qu’au premier scrutin, 7 voix favorables et 7 voix défavorables.

Dernier de ce scrutin, Igo Luksic a lui aussi renoncé à sa candidature.

Au troisième scrutin indicatif du 29 août 2016, Antonio Guterres est resté premier mais avec un résultat qui a continué à s’effriter, 11 voix favorables et 3 défavorables. Ensuite, en deuxième est placé Miroslav Lajcak avec 9 voix favorables et 5 défavorables. Irina Bokova s’est retrouvée troisième ex æquo avec 7 voix favorables et 5 défavorables.

Au quatrième scrutin indicatif du 9 septembre 2016, Irina Bokova (qui était la favorite initialement) n’a pas changé son score mais sa place, cinquième. Vuk Jeremic est remonté en troisième place, avec 9 voix favorables et 4 défavorables, juste derrière Miroslav Lajcak, mais Antonio Guterres a encore dominé le vote avec 12 voix favorables et 2 défavorables.

Classée avant-dernière, Christina Figueres, avec 5 voix favorables et 10 défavorables, a jeté l’éponge. Pas Natalia Gherman, pourtant dernière des deux précédents scrutins avec 12 puis 11 voix défavorables (dont au moins 2 puis 1 voix avec droit de veto). Comme on le voit, certains États ont cherché un candidat d’Europe centrale ou orientale à faire concurrence à Antonio Guterres dont la brillante audition avait impressionné la plupart des présents.

La procédure est devenue de moins en moins transparente durant septembre 2016 à cause de la proximité de la tenue de l’Assemblée Générale de l’ONU qui a donné l’occasion de faire des marchandages qui n’avaient rien à voir le poste de Secrétaire Général de l’ONU.

Au cinquième scrutin indicatif du 26 septembre 2016, Antonio Guterres a encore atteint la première place avec 12 voix favorables et 2 défavorables, et Miroslav Lajcak et Vuk Jeremic sont arrivés deuxième et troisième avec 8 votes favorables chacun. La candidature d’Irina Bokova, elle, a chuté à l’avant-dernière place avec 6 voix favorables et 7 défavorables.


Le scrutin décisif du 5 octobre 2016

Voyant que la candidature d’Irina Bokova n’avait plus aucune chance, la Bulgarie a préféré renoncer à la soutenir le 28 septembre 2016. Encouragée par la Chancelière allemande Angela Merkel, la candidature non déclarée initialement de l’actuelle commissaire européenne bulgare Kristalina Gueorgieva, docteur en économie, n’a finalement pas reçu le soutien attendu.

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Pour le sixième et dernier vote indicatif du 5 octobre 2016, les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité ont pu utiliser leur droit de veto : la couleur des bulletins (restés secrets) est différente selon les membres permanents et les autres, les scrutins précédents n’avaient pas fait la distinction.

Finalement, Antonio Guterres a reçu 13 voix favorables (dont 4 membres permanents) et 1 membre permanent a émis une voix neutre sur les deux neutres restantes, donc aucune voix et notamment aucun veto ne s’est opposé à sa candidature, ce qui rend définitive sa future désignation.

Car toutes les autres candidatures ont chuté, Vuk Jeremic et Miroslav Lajcak, deuxièmes ex æquo, n’ont recueilli que 7 voix favorables contre 6 défavorables, Irina Bokova, qui s’est malgré tout maintenue, est arrivée en quatrième position avec un même nombre de voix favorables et défavorables (7), et les autres ont recueilli plus de voix défavorables que favorables.


Un candidat de consensus

La Russie a voté en faveur du candidat portugais et son ambassadeur Vitali Tchourkine, président actuel du Conseil de Sécurité, lui a même souhaité bon courage : « Nous souhaitons tout le bien à M. Guterres en s’acquittant de ses devoirs de Secrétaire Général des Nations Unies ces cinq prochaines années. ».

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Il n’est pas évident que la procédure de désignation du futur Secrétaire Général de l’ONU fût aussi transparente que voulue initialement, mais elle l’a été certainement bien plus que les fois précédentes. Aucune femme n’a pu encore accéder à ce poste, malgré les candidates compétentes qui se sont présentées cette fois-ci, et c’est regrettable.

Antonio Guterres, qui avait décliné l’offre d’être élu Président de la République du Portugal en début janvier 2016 (il aurait été le grand favori), a su montrer une très bonne connaissance des institutions onusiennes et sera probablement très opérationnel dès sa prise de fonction pour agir sur les sujets brûlants d’aujourd’hui, à savoir, la guerre civile en Syrie, la crise des réfugiés en Europe et le changement climatique. Il faut espérer qu’il aura l’énergie de mener l’ONU vers des actions utiles et efficaces.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 octobre 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Antonio Guterres.
Les candidats au Secrétariat Général de l'ONU.
Ban Ki-Moon.
Boutros Boutros-Ghali.
Kurt Waldheim.
La COP21.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20161005-antonio-guterres.html

http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/antonio-guterres-choisi-secretaire-185405

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/10/11/34413476.html

 

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4 mai 2016 3 04 /05 /mai /2016 06:04

L’Assemblée Générale de l’ONU a amorcé des "dialogues publics informels" avec les candidats à la fonction de Secrétaire Général de l’ONU. Quatre femmes et cinq hommes se sont portés candidats mais le Conseil de Sécurité pourrait néanmoins recommander une autre personne.


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Postuler à la tête des Nations Unies se fait désormais comme pour postuler à un emploi ordinaire, c’est-à-dire avec une candidature présentant son CV et ses motivations ainsi qu’un entretien de recrutement.

La procédure mise en place par le Danois Mogens Lykketoft, Président de l’Assemblée Générale de l’ONU depuis le 15 septembre 2015, paraîtrait normale et habituelle dans un pays à la tradition démocratique, et pourtant, elle est exceptionnelle, elle est nouvelle, et elle préfigure peut-être une nouvelle étape dans l’histoire des Nations Unies.

En effet, pour la première fois dans la création de l’ONU, la désignation du prochain Secrétaire Général dont le mandat commencera le 1er janvier 2017, à l’expiration de celui de Ban Ki-Moon, se fera avec une plus grande transparence. Jusqu’à maintenant, c’était le Conseil de Sécurité (15 membres) qui désignait de manière très arbitraire et discrétionnaire le candidat qui était ensuite ratifié par l’Assemblée Générale. Cette désignation était le résultat d’un processus très opaque, de négociations obscures, de combinaisons secrètes.

Cette année, la méthode va être ouverte et publique. D’abord dans la déclaration de candidatures, ensuite dans la défense de celles-ci devant les représentants des nations, et enfin, peut-être, dans la désignation finale. Un vote sera peut-être même explicitement organisé.

C’est dans cet esprit que l’Assemblée Générale de l’ONU a pu écouter les neuf candidats déclarés au cours de trois journées d’auditions du 12 au 14 avril 2016. Pour chaque candidat, traité de façon identique, l’audition a duré deux heures et s’est déroulé de la même manière : une présentation orale du candidat et de ses propositions pour faire face aux défis actuels, ensuite, les réponses aux questions des États membres et de la "société civile".

Au total, les neuf candidats ont répondu à environ 800 questions devant une assemblée représentée par presque tous les pays membres de l’ONU : « Mon impression est que, durant ma courte expérience à l’ONU, au cours des derniers mois, nous n’avons jamais eu des discussions aussi franches et substantielles sur l’avenir des Nations Unies que celles que nous avons eues lors de ces dialogues informels. (…) Nous avons parlé des vertus et des défauts de l’ONU ; et les candidats ont présenté un grand nombre de points de vue intéressants sur la façon d’améliorer encore plus notre façon de faire les choses. » (Mogens Lykketoft le 14 avril 2016).

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Neuf candidats (dont quatre femmes) se sont pour l’instant fait connaître pour succéder à Ban Ki-Moon. J’ai présenté dans un précédent article les six premières candidatures et je présenterai ci-dessous les trois candidatures complémentaires dont une déclarée le première jour des auditions. La procédure qualifiée de révolutionnaire, d’historique et d’inédite étant informelle, rien n’empêchera la déclaration d’autres candidatures ultérieurement, et leur audition aura alors lieu, le cas échéant, au cours de nouvelles séances de dialogues informels.

Le programme des auditions fut le suivant.

Mardi 12 avril 2016 : Igor Luksic, Irina Bokova et Antonio Guterres.
Mercredi 13 avril 2016 : Danilo Turk, Vesna Pusic et Natalia Gherman.
Jeudi 14 avril 2016 : Vuk Jeremic, Helen Clark et Srgjan Kerim.


7. Helen Clark (66 ans) de Nouvelle-Zélande

Engagée contre la guerre du Vietnam, Helen Clark a adhéré au Parti travailliste en 1974 et échoua dans une élection locale en 1975 à Auckland. Elle se fit élire députée à l’âge de 31 ans, le 28 novembre 1981 et a été sans cesse réélue jusqu’à sa démission le 17 avril 2009 en raison de ses responsabilités à l’ONU. Elle fut nommée Ministre de 1984 à 1990 dont Ministre de la Santé dans le gouvernement de David Lange le 30 janvier 1989 avec le titre de Vice-Premier Ministre à partir du 8 août 1989 jusqu’au 2 novembre 1990 dans les gouvernements de Geoffrey Palmer et Mike Moore. Détrônant ce dernier à la tête du Parti travailliste, elle fut la chef de l’opposition du 1er décembre 1993 au 5 décembre 1999.

Ayant gagné les élections législatives trois fois, le 27 novembre 1999 (38,7% des voix et 49 sièges sur 120) face à la Premier Ministre sortant Jenny Shipley, le 27 juillet 2002 (41,3% des voix et 52 sièges sur 120) et le 17 septembre 2005 (41,1% des voix et 50 sièges sur 121). Helen Clark est devenue Premier Ministre de Nouvelle-Zélande du 5 décembre 1999 au 19 novembre 2008. Elle échoua aux élections du 8 novembre 2008 en ne recueillant que 34,0% des voix, soit 43 sièges sur 122, face à John Key et son Parti national (44,9% des voix et 58 sièges). Depuis le 17 avril 2009, elle est administratrice du Programme de développement des Nations Unies, comprenant un budget de 5 milliards de dollars et la gestion de 6 500 employés (la 3e position la plus importante au sein de l’ONU). Le magazine "Forbes" l’a classée 20e femme la plus puissante du monde en 2006 (et 23e en 2014). Le 4 avril 2016, elle a annoncé sa candidature.


8. Antonio Guterres (67 ans) du Portugal

Après des études d’électronique, Antonio Guterres s’est engagé au Parti socialiste en 1973 et se fit élire député le 25 avril 1976 à l’âge de 27 ans. Après avoir présidé deux commissions parlementaires, il fut élu président du groupe parlementaire socialiste (dans l’opposition) en 1988. Après une nouvelle défaite du Parti socialiste le 6 octobre 1991, il s’empara de la direction du parti (Jorge Sampaio qui fut ensuite Président de la République du 9 mars 1996 au 9 mars 2006) en se faisant élire secrétaire général le 23 février 1992. Après une opposition au gouvernement social-démocrate d’Anibal Cavaco Silva, les socialistes ont gagné les élections législatives du 1er octobre 1995 avec 43,8% des voix et 112 sièges sur 230. Antonio Guterres fut désigné Premier Ministre du Portugal du 5 octobre 1995 au 6 avril 2002. Il remporta une nouvelle victoire aux élections législatives du 10 octobre 1999 avec 44,1% des voix et 115 sièges sur 230.

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La défaite des socialistes aux élections municipales du 16 décembre 2001 a conduit Antonio Guterres à annoncer son retrait du gouvernement le soir même du scrutin et aussi à démissionner de la direction de son parti le 20 janvier 2002 (annoncé le 18 décembre 2001). Il ne fut pas candidat aux élections législatives anticipées du 17 mars 2002 qui fut une défaite pour les socialistes (37,8% des voix et 96 sièges sur 230) et une victoire pour les sociaux-démocrates (40,2% des voix et 105 sièges) de José Manuel Barroso nommé Premier Ministre du 6 avril 2002 au 17 juillet 2004. Il fut pressenti quelques temps pour être le candidat socialiste à l’élection présidentielle du 14 janvier 2006 puis à l’élection présidentielle du 24 janvier 2016. Fort de sa seconde victoire électorale, Antonio Guterres succéda à Pierre Mauroy le 10 novembre 1999 à la présidence de l’Internationale socialiste jusqu’au 15 juin 2005 qu’il laissa à Giorgos Papandréou. En effet, le 15 juin 2005, il fut nommé par Kofi Annan Haut-commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés, reconduit par Ban Ki-Moon en 2010 jusqu’au 31 décembre 2015. Sa candidature au Secrétariat Général de l’ONU fut annoncée le 29 février 2016 et a reçu le soutien, outre du gouvernement portugais, du gouvernement français (le 18 avril 2016).


9. Vuk Jeremic (40 ans) de Serbie

Après des études de physique théorique à Cambridge et d’administration publique à Harvard, Vuk Jeremic collabora à la City de Londres dans plusieurs banques dont la Deutsche Bank. Se rapprochant de certains ministres yougoslaves après la chute de Slobodan Milosevic le 5 octobre 2000, il continua, comme conseiller en politique étrangère entre juillet 2004 et mai 2007, sa collaboration avec Boris Tadic devenu Président de la République de Serbie du 11 juillet 2004 au 4 avril 2012.

Vuk Jeremic fut ensuite nommé Ministre serbe des Affaires étrangères du 15 mai 2007 au 27 juillet 2012, ayant eu notamment à gérer la proclamation d’indépendance du Kosovo le 17 février 2008. Il fut élu le 8 juin 2012 par 99 délégués contre 85 à l’ambassadeur de Lituanie Dalius Tchekuolis, à la Présidence de la 67e session de l’Assemblée Générale de l’ONU, en fonction du 18 septembre 2012 au 17 septembre 2013 (un autre serbe candidat également au poste de Secrétaire Général, Srgjan Kerim, présida l’Assemblée Générale de l’ONU cinq ans plus tôt). Vuk Jeremic fut également élu député serbe le 6 mai 2012 (et exclu du Parti démocratique le 14 février 2013). Sa candidature au Secrétariat Général de l’ONU fut annoncée par le gouvernement serbe le 12 avril 2016.


10. Autres candidatures…

Beaucoup de noms ont circulé sur d’autres possibles candidats qui ne se sont pas déclarés. On peut citer entre autres Dilma Rousseff, la Présidente de la République du Brésil dont la destitution probable lui apporterait un handicap majeur, Michelle Bachelet, l’actuelle Présidente de la République du Chili, Federica Mogherini, l’actuelle Haute Représentante de la politique étrangère et de sécurité de l’Union Européenne (et ancienne Ministre italienne des Affaires étrangères), Helle Thorning-Schmidt, ancienne Premier Ministre du Danemark, Janos Ader, actuel Président de la République de Hongrie, et même Angela Merkel, Chancelière allemande.


Pronostic ?

Lorsque j’ai rédigé mon premier article sur le sujet, le 3 mars 2016 (où j’avais présenté les six premiers candidats), j’avais envisagé un avantage à Irina Bokova parce qu’elle avait des compétences dans la gestion d’une organisation des Nations unies, qu’elle était une femme (il n’y en a jamais eu et c’est donc un grand retard pour l’institution) et qu’elle était originaire d’un pays d’Europe centrale et orientale (de l’ex-bloc soviétique).

Toutefois avec les trois autres candidatures, il est possible que la Néo-zélandaise Helen Clark soit la plus indiquée pour le poste de Secrétaire Général de l’ONU dans la mesure où elle a été à la tête d’un exécutif national pendant neuf ans, qu’elle a une expérience dans la gestion de programmes internationaux de grande importance et qu’elle provient d’un continent qui n’a jamais été choisi pour la tête de l’ONU.

Dans tous les cas, les enjeux de désignation peuvent encore rester assez flous et la décision risque encore d’être prise de manière opaque. Mais ce risque a été réduit avec cette procédure historique d’auditions publiques.

Dans sa conférence du presse du 14 avril 2016, Mogens Lykketoft l’a ainsi formulé : « Nous avons introduit une nouvelle norme de transparence et d’inclusion dans le processus de nomination qui a également le potentiel d’influer sur le résultat final de la sélection du Secrétaire Général. ».

L’avenir dira si cette procédure aura eu une influence ou pas sur le Conseil de Sécurité, d’autant plus que la haute qualité et la stature des différents protagonistes a d’ores et déjà apporté une belle valorisation de l’ONU.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 mai 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Neuf candidats.
Ban Ki-Moon.
Boutros Boutros-Ghali.
Kurt Waldheim.
La COP21.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160416-onu-B.html

http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/onu-neuf-candidats-pour-un-180579

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/05/04/33758800.html


 

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3 mars 2016 4 03 /03 /mars /2016 06:35

Une femme parviendra-t-elle à devenir un jour Secrétaire Générale des Nations Unies ?


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L’actuel Secrétaire Général de l’ONU, le Sud-coréen Ban Ki-Moon, terminera son second mandat de cinq ans à la tête de l’ONU le 31 décembre 2016. Rien ne l’empêcherait de postuler à un troisième mandat mais son âge (71 ans) et la coutume font qu’il ne sera pas candidat.

Parlant le français et l’anglais, Ban Ki-Moon est un diplomate de grand talent. En 1962, il avait gagné un concours parrainé par la Croix-Rouge et avait pu s’envoler aux États-Unis où il a pu rencontrer le Président américain John Kennedy. Diplômé en relations internationales à l’Université de Séoul (1970) et à Harvard (1975), il est devenu diplomate sud-coréen à l’ONU dès 1978. Après avoir travaillé longuement dans les relations entre la Corée du Sud et l’ONU, il fut en 1996 le conseiller à la sécurité national de Kim Young-Sam, Président de la République sud-coréenne du 25 février 1993 au 25 février 1998 (mort récemment, le 22 novembre 2015).

Il fut directeur de cabinet de Han Seung-Soo (futur Premier Ministre sud-coréen du 29 février 2008 au 28 septembre 2009), à la Présidence de l’Assemblée générale des Nations Unies en 2001-2002, au moment où les Nations Unies reçurent le Prix Nobel de la Paix 2001, et il fut ensuite nommé Ministre sud-coréen des Affaires étrangères du 17 janvier 2004 au 10 novembre 2006. Il quitta ce ministère pour l’ONU, puisqu’il fut élu par acclamations par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 octobre 2006 et fut réélu par acclamations le 21 juin 2011. Il y avait eu sept candidats à la succession de Kofi Annan (dont la Présidente de Lettonie Vaira Vike-Freiberga) et Ban Ki-Moon n’était pas celui qui était le mieux placé lorsqu’il avait fait acte de candidature en février 2006. Son premier mandat a commencé le 1er janvier 2007 après avoir prêté serment le 14 décembre 2006.

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Depuis neuf ans qu’il est à la tête de l’ONU, Ban Ki-Moon n’a jamais raté une occasion de réaffirmer les valeurs qui ont présidé à la création des Nations Unis notamment sur la démocratie et la paix, en publiant beaucoup de communiqués qui, souvent, laissent le goût très amer de l’impuissance d’un ministère de la parole. C’est particulièrement le cas lorsqu’il condamne les très nombreux attentats meurtriers perpétrés non seulement au Proche et Moyen-Orient mais aussi dans tous les autres pays du monde, et notamment en France lors des attentats du 13 novembre 2015.

Ainsi, à minuit cinquante dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015, alors que la tuerie au Bataclan n’était pas encore achevée, un communiqué de presse énonçait doctement qu’il « a exigé la libération immédiate des nombreuses personnes qui auraient été prises en otage dans le théâtre du Bataclan ». Ce type d’incantation fait tristement penser à un film pourtant humoristique, "Mars Attacks !" où un négociateur français croit encore pouvoir obtenir la paix auprès des cyniques envahisseurs martiens.

Je suis critique mais je dois reconnaître aussi qu’il ne faut pas sous-estimer les incantations dans une société où règne la communication par excellence, grâce notamment aux moyens technologiques modernes. Ces phrases qui peuvent être de simples bouteilles à la mer sont désormais lues par beaucoup de monde sur Internet et peuvent faire évoluer la conscience des peuples sinon de leurs dirigeants.


Procédure pour la succession

C’est le vendredi 26 février 2016 que le Danois Mogens Lykketoft, qui est le Président de l’Assemblée générale de l’ONU depuis le 15 septembre 2015, a annoncé qu’il allait proposer aux candidats à la succession de Ban Ki-Moon « d’avoir un dialogue informel avec l’Assemblée Générale ». Il a en effet envoyé une lettre à chaque État membre le 25 février 2016 et il souhaite organiser les rencontres avec les candidats dans un mois, du 12 au 14 avril 2016 : « Ces rencontres permettront aux candidats de présenter leur candidature et aux États membres de poser des question. Nous allons demander aux candidats de fournir une déclaration courte sur leur vision que mon bureau fera circuler auprès des États membres et du grand public. ». Cette volonté très nouvelle de grande transparence dans le choix du futur Secrétaire Général rendra ces débats publics et ceux-ci seront diffusés sur Internet. Une première donc dans une procédure habituellement confidentielle.

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Le texte de référence est l’article 97 de la Charte des Nations Unies, adoptée le 26 juin 1945 à San Francisco, qui stipule : « Le Secrétaire Général est nommé par l’Assemblée Générale sur recommandation du Conseil de Sécurité. ».

Il y a donc deux étapes, une décision du Conseil de Sécurité qui pourrait recommander plusieurs candidats même s’il n’y a jamais eu qu’un seul de recommandé (la résolution 11 de l’Assemblée Générale du 24 janvier 1946 explique qu’il est souhaitable de « présenter un candidat unique ») ; et une décision de ratification par l’Assemblée Générale.

Même si cette année, c’est le Président de l’Assemblée Générale qui semble s’être investi pour plus de transparence, c’est bien le Conseil de Sécurité qui a le plus grand rôle. Ainsi, l’article 48 du Règlement intérieur provisoire du Conseil de Sécurité rappelle que « toute recommandation à l’Assemblée Générale concernant la nomination du Secrétaire Général doit être discutée et décidée lors d’une réunion privée ». En cas de plusieurs candidats en lice, le Conseil de Sécurité procède à un vote.

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Comme pour n’importe quelle autre résolution de « décision de fond », la recommandation du candidat « est sujette au veto » d’un membre permanent du Conseil de Sécurité. Ainsi, pour la seule fois de l’histoire de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali n’a pas vu son mandat renouveler en raison du veto des États-Unis.


L’indépendance du Secrétaire Général de l’ONU

C’est aussi pour une raison d’indépendance et de neutralité qu’aucun ressortissant de États membres permanents du Conseil de Sécurité ne peut être désigné à la tête de l’ONU (c’est donc valable pour la France autant que pour les États-Unis, la Russie, la Chine et la Grande-Bretagne).

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Cette indépendance est même statutaire puisqu’elle est inscrite dans l’article 100 de la Charte : « Dans l’accomplissement de leurs devoirs, le Secrétaire Général et le personnel ne solliciteront ni n’accepteront d’instructions d’aucun gouvernement ni d’aucune autorité extérieure à l’Organisation. Ils s’abstiendront de tout acte incompatible avec leur situation de fonctionnaires internationaux et ne sont responsables qu’envers l’Organisation. ». Et réciproquement : « Chaque membre de l’Organisation s’engage à respecter le caractère exclusivement international des fonctions du Secrétaire Général et du personnel et à ne pas chercher à les influencer dans l’exécution de leur tâche. ».

Par les actions dont il a l’initiative, « le Secrétaire Général peut attirer l’attention du Conseil de Sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales » (article 99 de la Charte).

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À ce jour, Mogens Lykketoft a indiqué qu’il avait reçu six candidatures pour succéder à Ban Ki-Moon. Elles émanent toutes des Balkans (au sens très large). Normalement, dans le cadre d’une rotation des continents, le poste devrait revenir à un ressortissant européen. Trois des six candidats sont des candidates. Les six ont de sérieuses références internationales, universitaires ou politiques. Ce sera peut-être l’occasion d’imaginer enfin, après soixante-dix ans de fonctionnement, une ONU dirigée par une femme. Je présente très succinctement ces six candidats.


1. Irina Bokova (63 ans) de Bulgarie

Conseillère aux Nations Unies en 1980 pour la Bulgarie, Irina Bokova s’est engagée à la chute du mur de Berlin dans l’ancien parti communiste bulgare. Comme Ban Ki-Moon, elle a suivi des cours d’économie à la John F. Kennedy School of Government de Harvard. Candidate malheureuse à la Vice-Présidence de la République bulgare en 1996, elle fut Ministre bulgare des Affaires étrangères du 13 novembre 1996 au 12 février 1997 et s’impliqua dans l’adhésion de la Bulgarie à l’OTAN et à l’Union Européenne. Entre 2005 et 2009, elle fut ambassadrice de Bulgarie en France, à Monaco puis à l’Unesco. Enfin, choisie le 22 septembre 2009 puis élue formellement le 15 octobre 2009, Irina Bokova est directrice générale de l’Unesco depuis le 15 novembre 2009, reconduite dans ses fonctions le 12 novembre 2013 pour un second mandat de quatre ans. Elle a l’expérience de la gestion d’une institution internationale majeure.


2. Vesna Pusic (62 ans) de Croatie

Diplômée de sociologie et de philosophie de l’Université de Zagreb, Vesna Pusic fut présidente du parti libéral (HNS) de 2000 à 2008. Elle présida le Comité national pour le suivi de l’adhésion de la Croatie à l’Union Européenne de 2005 à 2008. Candidate à l’élection présidentielle du 27 décembre 2009 (elle n’a obtenu que 7,3% au premier tour), elle a fait partie de la coalition qui a gagné les élections législatives du 4 décembre 2011. À ce titre, Vesna Pusic a été nommée Ministre croate des Affaires étrangères et européennes du 23 décembre 2011 au 22 janvier 2016 dans le gouvernement de Zoran Milanovic, avec à partir du 16 novembre 2012 le titre de Premier Vice-Premier Ministre. Elle a quitté le gouvernement le 22 janvier 2016 à la suite de l’échec de justesse de sa coalition aux élections législatives du 8 novembre 2015.


3. Natalia Gherman (46 ans) de Moldavie

Fille du premier Président de la République de Moldavie Mircea Snegur (du 3 septembre 1990 au 15 janvier 1997), elle a suivi des études à Kichinev et à Londres. Ambassadrice de Moldavie en Autriche (2002 à 2006) puis en Scandinavie (2006 à 2009), elle fut nommée le 29 juin 2009 vice-ministre des Affaires étrangères et de l’Intégration européenne et négocia pour conclure un accord de coopération avec l’Union Européenne. Natalia Gherman a ensuite été nommée Vice-Premier Ministre et Ministre moldave des Affaires étrangères du 30 mai 2013 au 20 janvier 2016 et a même assuré l’intérim des fonctions de Premier Ministre du 22 juin 2015 au 30 juillet 2015.


4. Igor Luksic (39 ans) du Monténégro

Diplômé d’économie à Podgorica (1998), avec plus tard un doctorat d’économie (2005), il a commencé très tôt une carrière politique (en février 2000) au sein de l’ancien parti communiste. Élu député en 2001 au Parlement du Monténégro, également élu au Parlement de la Fédération de Serbie et Monténégro entre 2003 et 2006 (il fut vice-ministre des Affaires étrangères de cet État entre mars 2003 et février 2004), il fut pendant quelques mois en 2003 le conseiller du Premier Ministre monténégrin Milo Dukanovic (l’une des personnalités politiques incontournables du Monténégro depuis la guerre en ex-Yougoslavie). À 27 ans, Igor Luksic a été nommé Ministre monténégrin des Finances du 16 février 2004 au 29 décembre 2010 (il réforma la fiscalité et libéralisa l’économie) avec le titre de Vice-Premier Ministre du 5 juin 2006 au 29 décembre 2010, au moment de l’indépendance du Monténégro, puis il succéda, à l’âge de 34 ans, à Milo Dukanovic comme Premier Ministre du Monténégro du 21 décembre 2010 au 3 décembre 2012 (fonctions qu’il laissa ensuite à Milo Dukanovic).


5. Danilo Turk (64 ans) de Slovénie

Il a soutenu un doctorat en droit à Ljubljana sur le principe de non-intervention dans le droit international en 1982. Il travailla à l’ONU de 1986 à 1992 et collabora avec Amnesty International pour faire des rapports sur les droits de l’Homme en Yougoslavie. Après l’indépendance de la Slovénie, Danilo Turk fut le premier ambassadeur de Slovénie à l’ONU de 1992 à 2000. Il fit élire la Slovénie au sein du Conseil de Sécurité en 1998-1999 et fut élu Président du Conseil de Sécurité de l’ONU d’août 1998 à novembre 1999. Il fut conseiller du Secrétaire Général de l’ONU Kofi Annan pour les affaires politiques de 2000 à 2005. Professeur de droit international à l’Université de Ljubljana, il fut élu Président de la République de Slovénie le 11 novembre 2007 au second tour (avec 68,2% des voix) à partir d’une candidature indépendante soutenue par les sociaux-démocrates et les démocrates-chrétiens. Président de Slovénie du 22 décembre 2007 au 22 décembre 2012, il échoua à se faire réélire à l’élection présidentielle du 2 décembre 2012 au second tour (n’obtenant que 32,6% face au candidat élu Borut Pahor qui fut son ancien Premier Ministre).


6. Srgjan Kerim (67 ans) de l’ex-République yougoslave de Macédoine

Docteur en sciences économiques de l’Université de Belgrade en 1982, il fut professeur d’économie internationale à Belgrade et également à Hambourg et à New York (intervenant dans plus d’une centaine de conférences internationales). Srgjan Kerim fut, de 1986 à 1989, Ministre des Relations économiques de la République fédérée de Macédoine et, de 1989 à 1991, vice-ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Yougoslavie. Puis, il fut, à l’indépendance de son pays (ex-République yougoslave de Macédoine), ambassadeur macédonien en Allemagne et en Suisse (1994 à 2000). Il a été nommé Ministre macédonien des Affaires étrangères de 2000 à 2001, puis ambassadeur macédonien à l’ONU de 2001 à 2003. Élu le 24 mai 2007, Srgjan Kerim fut Président de la 62e Assemblée Générale de l’ONU du 18 septembre 2007 au 16 septembre 2008.

Désigné par le gouvernement macédonien le 17 septembre 2015, Srgjan Kerim est le premier candidat à s’être déclaré candidat à la succession de Ban Ki-Moon et son programme tient en cinq points : réforme de l’ONU pour une gouvernance plus démocratique ; priorité à la sécurité, facteur de paix et de prospérité ; adaptation aux changements climatiques ; promotion de l’éducation et de l’égalité ; enfin, adaptation aux migrations dans le monde.


Déplacer des montagnes…

Comme on le voit, ces six candidats ont beaucoup d’expérience et de reconnaissance internationale, souvent des universitaires chevronnés. Qu’il soit homme ou femme, jeune ou plus âgé, souhaitons que le candidat retenu aura le courage et la personnalité de déplacer des montagnes, car c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce poste aux actions si impuissantes et si inefficaces mais aux enjeux si cruciaux…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (3 mars 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Ban Ki-Moon.
Boutros Boutros-Ghali.
Kurt Waldheim.
La COP21.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160226-onu-ban-ki-moon.html

http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/onu-qui-succedera-a-ban-ki-moon-178344

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2016/03/03/33446157.html



 

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4 décembre 2015 5 04 /12 /décembre /2015 05:17

« Depuis les Grecs, nous savons qu’une vie politique réellement développée conduit à une remise en question du domaine de la vie privée, et à un profond ressentiment vis-à-vis du miracle le plus troublant : le fait que chacun de nous a été fait ce qu’il est singulier, unique et immuable. Toute cette sphère du strictement donné, reléguée au rang de la vie privée dans la société civilisée, constitue une menace permanente pour la sphère publique qui se fonde sur la loi d’égalité avec la même logique que la sphère privée repose sur la loi de la différence universelle et de la différenciation. L’égalité, à la différence de tout ce qui est impliqué dans l’existence pure et simple, n’est pas quelque chose qui nous est donné mais l’aboutissement de l’organisation humaine, dans la mesure où elle est guidée par le principe de justice. Nous ne naissons pas égaux ; nous devenons égaux en tant que membres d’un groupe, en vertu de notre décision de nous garantir mutuellement des droits égaux. » ("Les Origines du totalitarisme", 1951).


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La philosophe Hannah Arendt est morte il y a exactement quarante ans, le 4 décembre 1975, à l’âge de 69 ans d’une crise cardiaque après le dîner chez elle à New York (elle avait déjà eu une crise cardiaque en mai 1974). Elle a laissé inachevé son dernier essai "La Vie de l’esprit" qui devait comporter un troisième tome.

Devenue une référence incontournable dans l’étude de pensée politique, elle a beaucoup travaillé en particulier sur les totalitarismes, sur les concepts de démocratie, de liberté et d’autorité. Plaidant contre la modernité de son époque, qui déshumanise, elle voulait retrouver l’espace public de l’Antiquité pour exercer au mieux la citoyenneté politique. Elle définissait le totalitarisme comme une rupture historique : « Le totalitarisme transforme toujours les  classes en masse, substitue au système les partis, déplace le centre du pouvoir de l’armée à la police, et met en œuvre une politique étrangère visant à la domination du monde. » (1951).


Allemande et Américaine

Née le 14 octobre 1906 dans la banlieue de Hanovre, en Allemagne, Hannah Arendt a passé son enfance à Königsberg (Kaliningrad). Admiratrice de Rosa Luxembourg, elle avait lu à l’âge de 15 et 16 ans Jaspers et Kierkegaard. Elle passa son baccalauréat un an plus tôt que l’âge normal en candidature isolée avant d’entamer à Marbourg des études de philosophie, de théologie et de grec en 1924. Elle fut éprise dans tous les sens du terme, pas seulement intellectuellement, de son professeur Martin Heidegger, qui, convaincu de ses grandes capacités à réfléchir par elle-même, lui recommanda de suivre les cours d’Edmund Husserl à Freiburg et de Karl Jaspers à Heidelberg où elle a soutenu en 1929 sa thèse de doctorat (dirigée par Jaspers) sur "Le Concept d’amour chez saint Augustin". Quant à Martin Heidegger (qui avait refusé de diriger sa thèse), dont la pensée est encore aujourd’hui "monumentale", elle l’a soutenu fidèlement et constamment, même après la guerre où il fut accusé de collusion avec le nazisme.

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Lorsque les nazis arrivèrent au pouvoir, Hannah Arendt, d’origine juive, a commencé par s’opposer à leur antisémitisme mais fut arrêtée par la Gestapo pendant une semaine au printemps 1933 à Berlin puis relâchée car on n’avait encore rien à lui reprocher. Elle s’est donc enfuie de l’Allemagne nazie et, en passant par Prague et Genève (où elle a brièvement travaillé), elle s’est réfugiée en France de 1933 à 1940 et aida d’autres réfugiés du régime nazi arrivés en France. En mai 1940, elle fut internée dans les Pyrénées mais s’y échappa trois mois plus tard et gagna Montauban, puis Marseille, puis en janvier 1941, le Portugal. Grâce à un diplomate américain, elle a pu partir pour les États-Unis et se retrouva à New York en mai 1941. Elle apprit l’anglais en 1944 et même si elle pensait en allemand, elle a écrit tous ses essais en anglais, corrigés par ses amis. Après avoir fait des petits boulots, elle fut recrutée comme journaliste reporter pour un journal new-yorkais et a obtinu en 1945 un premier contrat d’édition pour rédiger son essai "Les Origines du totalitarisme". Elle retourna en Europe pour la première fois depuis la guerre de novembre 1949 à mars 1950 où elle retrouva ses amis et mentors Karl Jaspers et Martin Heidegger.


Origine du totalitarisme

Ce ne fut qu’en 1951 que la pensée d’Hannah Arendt fut véritablement diffusée dans le monde, par la publication de son retentissant essai "Les Origines du totalitarisme". Elle fut alors naturalisée citoyenne américaine le 10 décembre 1950 et commença une carrière universitaire aussi courte que brillante, nommée dans des universités américaines prestigieuses, Berkeley, Princeton (l’université où travaillait Albert Einstein ; elle y fut la première femme professeure), Columbia, Brooklyn College, Chicago, New School for Social Research à New York, etc. Son anticonformisme permettait de renouveler la pensée politique en analysant le XXe siècle à l’aune des grands philosophes grecs.

Hannah Arendt a distingué le totalitarisme des dictatures ordinaires. Pour elle, le totalitarisme interdit tout régime politique et enferme les peuples dans un système qui s’autoalimente. Dans l’Histoire du monde, elle n’a vu que deux véritables totalitarismes, l’Allemagne de Hitler et l’Union Soviétique de Staline où le parti unique se substitue à l’État et contrôle tout (Elle est morte trop tôt pour voir le totalitarisme des khmers rouges et celui de Mao Tsé-Toung). Le moyen utilisé est alors de dissoudre toutes les autres institutions, jusqu’à la famille en encourageant la délation à l’intérieur même de celle-ci et en y créant un sentiment d’insécurité permanente et de surveillance mutuelle tendant à la paranoïa. Les deux outils du totalitarisme sont alors la terreur et la propagande qui vont conduire des persécutés condamnés à mort et sans espoir pour eux jusqu’à faire leur propre autocritique. La logique du totalitarisme devient même absurde et contre son intérêt lorsqu’il privilégiait les convois des déportés juifs conduits vers les camps d’extermination sur les trains de ravitaillement pour conforter les soldats allemands sur le front.

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Très intéressante et éclairante aussi est l’analyse d’Hannah Arendt sur les réfugiés politiques : « La première perte que les sans-droit ont subie a été la perte de leur résidence, ce qui voulait dire la perte de toute la trame sociale dans laquelle ils étaient nés et dans laquelle ils s’étaient aménagé une place distincte dans le monde. Ce n’est pas une catastrophe sans précédent, loin de là : dans la longue mémoire de l’Histoire, l’émigration forcée d’individus ou de groupes entiers pour des raisons politiques ou économiques apparaît comme un événement quotidien. Ce qui est sans précédent, ce n’est pas la perte de résidence, mais l’impossibilité d’en trouver une. Tout à coup, il n’y a plus un seul endroit sur Terre où les émigrants puissent aller sans tomber sous le coup des restrictions les plus sévères, aucun pays où ils aient une chance de s’assimiler, aucun territoire où ils pourraient fonder leur propre communauté. Les nouveaux réfugiés étaient persécutés non pas à cause de ce qu’ils avaient fait ou pensé, mais parce qu’ils étaient nés pour toujours dans la mauvaise catégorie de "race" ou de classe. ».

Dans ce même essai, elle explique aussi que les droits humains ne sont véritablement applicable que lorsque la personne appartient à une communauté nationale et les personnes apatrides (dont elle faisait partie pendant dix-huit ans à cause du nazisme) n’ont en fait aucun droit car aucun État ne les protége.

Le problème des personnes apatrides est toujours d’actualité. Encore ce 1er décembre 2015, William Spindler, le porte-parole du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), s’était réjoui de l’accession à la nationalité thaïlandaise de 18 000 réfugiés apatrides en Thaïlande ces trois dernières années grâce à une action volontariste de la princesse Maha Chakri Sirindhorn : « Cela constitue une étape importante dans la campagne mondiale pour mettre fin à la condition d’apatride d’ici à 2024. ». Cependant, il reste encore 443 862 personnes apatrides en Thaïlande : « Beaucoup appartiennent à des tribus montagnardes vivant dans des zones reculées ou frontalières (…). Sans nationalité, beaucoup de ces personnes affirment qu’elles ne peuvent pas jouir pleinement de leurs droits humains, notamment du droit de se déplacer librement et d’accéder à la propriété. Elles n’ont souvent pas accès à des services de base comme les soins de santé d’un coût abordable et l’enseignement supérieur. ». Plus de dix millions de personnes dans le monde seraient sans patrie aujourd’hui, et le HCR en aurait recensé trois millions et demi.


Condition de l’homme moderne

En 1958, elle publia un autre essai majeur d"e son œuvre, "Condition de l’homme moderne" (préfacé par Paul Ricœur dans l’édition de 1983) où elle distingue trois activités de la vie humaine : le travail ("animal laborans" : nécessité), l’œuvre ("homo faber" : utilité) et l’action ("vita activa" : liberté). La modernité a consacré l’animal laborans mais en favorisant l’isolement des hommes et par voie de conséquence, l’uniformisation : avec le travail, « l’homme n’est uni ni au monde ni aux autres hommes, seul avec son corps, face à la brutale nécessité de la vie ». Au contraire, l’action est « la seule activité qui mette directement en rapport les hommes, sans l’intermédiaire des objets ni de la matière, [et] correspond à la condition humaine de la pluralité, au fait que ce sont des hommes et pas l’homme, qui vivent sur Terre et habitent le monde ». Ainsi, l’égalité s’oppose à la conformité en favorisant la diversité par la communication.

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Elle y analyse aussi la quête de l’immortalité qui tend à encourager l’action politique pour laisser une trace après la mort : « Le devoir des mortels, et leur grandeur possible, résident dans leur capacité de produire des choses, œuvres, exploits et paroles, qui mériteraient d’appartenir et, au moins jusqu’à un certain point, appartiennent à la durée sans fin, de sorte que par leur intermédiaire, les mortels puissent trouver place dans un cosmos où tout est immortel sauf eux. ».

Elle propose les exemples de l’automatisation du travail et du progrès scientifique qu’elle considère comme une sécularisation supplémentaire dans le sens d’une remise en cause du christianisme. Elle critique le fait que le progrès technique nous écarte de la réflexion sur la condition humaine. Sa critique porte aussi sur la société de consommation et d’abondance : « On accélère tellement la cadence d’usure que la différence objective entre usage et consommation, entre la relative durabilité des objets d’usage et le va-et-vient rapide des biens de consommation, devient finalement insignifiante. ». À cette société moderne, elle préfèrerait une société de la joie de vivre simplement (« the sheer bliss of being alive »).

Elle pointe du doigt l’importance de l’œuvre artistique pour consolider l’action politique, et parle ainsi des dirigeants politiques : « Accomplir de grandes actions et dire de grandes paroles ne laisse point de trace, nul produit qui puisse durer après que le moment aura passé de l’acte et du verbe. (…) Les hommes de parole et d’action (…) ont besoin de l’artiste, du poète et de l’historiographe, du bâtisseur de monuments ou de l‘écrivain, car sans eux le seul produit de leur activité, l’histoire qu’ils jouent et qu’ils racontent ne survivrait pas un instant. ». Elle revient dans "La Crise de la culture" sur le lien très étroit entre culture et politique : « La culture et la politique s’entr’appartiennent alors, parce que ce n’est pas le savoir ou la vérité qui est en jeu, mais plutôt le jugement et la décision, l’échange judicieux d’opinions portant sur la sphère de la vie publique et le monde commun, et la décision sur la sorte d’action à y entreprendre, ainsi que la façon de voir le monde à l’avenir, et les choses qui doivent y apparaître. ».

Toujours dans cet essai ("Condition de l’homme moderne"), Hannah Arendt considère que l’action politique est à placer au sommet de l’activité humaine : « Le nouveau apparaît (…) toujours comme un miracle. Le fait que l’homme est capable d’action signifie que de sa part, on peut s’attendre à l’inattendu, qu’il est en mesure d’accomplir ce qui est infiniment improbable. Et cela à son tour n’est possible que parce que chaque homme est unique, de sorte qu’à la naissance, quelque chose d’uniquement neuf arrive au monde. ». L’action est alors un moyen d’actualiser la « condition humaine de pluralité, qui est de vivre en être distinct et unique parmi des égaux » : « La pluralité humaine, condition fondamentale de l’action et de la parole, a le double caractère de l’égalité et de la distinction. ».

Elle anticipe la société des réseaux sociaux virtuels où se mélangent l’espace public et le domaine privé, où les individus deviennent isolés et déresponsabilisés : « Plus la société moderne supprime la différence entre ce qui est privé et ce qui est public, entre ce qui ne peut s’épanouir qu’à l’ombre et ce qui demande à être montré à tous dans la pleine lumière du monde public, autrement dit, plus la société intercale entre le public et le privé une sphère sociale où le privé est rendu public et vice-versa, plus elle rend les choses difficiles à ses enfants qui, par nature, ont besoin d’un abri sûr pour grandir sans être dérangés. » ("La Crise de la culture").

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Pour Hannah Arendt, l’espace public est le seul capable de garantir la liberté : « Sans une vie publique politiquement garantie, il manque à la liberté l’espace mondain où faire son apparition. ». En d’autres termes : « La citoyenneté politique (qui est un mode de l’agir) doit être pensée sur le mode d’un agir-ensemble, lui-même indissociable d’un apparaître-commun-des-êtres dont la condition impérative est l’institution et la préservation d’un espace public d’apparitions. ».

Elle propose alors le pardon face à l’irréversibilité et la promesse face à l’imprévisibilité (« Contre l’imprévisibilité, contre la chaotique incertitude de l’avenir, le remède se trouve dans la faculté de faire et de tenir des promesses. »), en insistant sur l’importance des naissances qui renforcent l’espérance et le renouvellent : « C’est cette espérance et cette foi dans le monde qui ont trouvé sans doute leur expression la plus succincte, la plus glorieuse dans la petite phrase des Évangiles annonçant leur bonne nouvelle : "un enfant nous est né !" ». Elle le répète dans son "Journal de pensée" : « Tout commencement est salut, c’est au nom du commencement, au nom de ce salut que Dieu a créé les hommes dans le monde. Chaque nouvelle naissance est comme une garantie de salut dans le monde, comme une promesse de rédemption pour ceux qui ne sont plus un commencement. » (mai 1952).


La crise de la culture

Dans "La Crise de la culture" (publié en 1961), un recueil de plusieurs essais (six puis huit en 1968), Hannah Arendt analyse notamment la crise de l’autorité : « L’autorité exclut l’usage de moyens extérieurs de coercition ; là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échoué. ».

Elle évoque aussi les conséquences de cette crise sur l’éducation : « Affranchi de l’autorité des adultes, l’enfant n’a donc pas été libéré, mais soumis à une autorité bien plus effrayante et vraiment tyrannique : la tyrannie de la majorité. En tout cas, il en résulte que les enfants ont été pour ainsi dire bannis du monde des adultes. Ils sont soit livrés à eux-mêmes, soit livrés à la tyrannie de leur groupe, contre lequel, du fait de sa supériorité numérique, ils ne peuvent se révolter, avec lequel, étant enfants, ils ne peuvent discuter, et duquel ils ne peuvent s’échapper pour aucun autre monde, car le monde des adultes leur est fermé. Les enfants ont tendance à réagir à cette contrainte soit par le conformisme, soit par la délinquance juvénile, et souvent par un mélange des deux. ».

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On peut alors comprendre à quel point la politique éducative de Najat Vallaud-Belkacem est éloignée des thèses d’Hannah Arendt : « C’est justement pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l’éducation doit être conservatrice ; elle doit protéger cette nouveauté et l’introduire comme un ferment nouveau dans un monde déjà vieux qui, si révolutionnaires que puissent être ses actes, est, du point de vue de sa génération suivante, suranné et proche de la ruine. ».


Le procès d’Adolf Eichmann

En cinq articles qui ont donné lieu à la publication de son ouvrage "Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal" en mai 1963, Hannah Arendt a couvert à sa demande le procès du criminel nazi Adolf Eichmann comme envoyée spéciale du magazine "The New Yorker".

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Né la même année que Hannah Arendt, Adolf Eichmann fut le responsable de la logistique de la "solution finale" ("Endlösung") : « Je descendrai dans la tombe le sourire aux lèvres à la pensée que j’ai tué cinq millions de Juifs. Cela me procure une grande satisfaction et beaucoup de plaisir. » (cité par Guy Walters dans "La Traque du mal", 2010). Après la guerre, il est parvenu à fuir l’Allemagne et à se réfugier en Argentine. Traqué puis enlevé le 11 mai 1960 et exfiltré le 21 mai 1960 par des agents du Mossad, Adolf Eichmann fut jugé à Jérusalem à partir du 11 avril 1961 et fut condamné à mort le 11 décembre 1961. Le verdict fut confirmé en appel le 27 mars 1962 et il fut exécuté le 31 mai 1962 (la seconde et dernière personne à avoir été exécutée par l’État d’Israël).

Au lendemain de cette exécution, le 1er juin 1962, le député israélien Ivo Goldberg prononça un discours émouvant à la Knesset devant ses pairs : « J’ai perdu ma mère, j’ai perdu mon père, j’ai perdu mes sœurs, j’ai perdu mes frères, j’ai perdu des tantes, j’ai perdu des oncles, j’ai perdu des amis il y a vingt ans. J’ai survécu aux camps avec la honte de m’en être sorti et pas eux. (…) Eichmann est mort. Et alors ? Certes, cela ne fera pas revenir ma famille (…), mais au moins, il a été jugé. Qu’il ait été pendu m’est indifférent. Qu’il soit mort m’est égal. L’homme et le criminel ont été jugés et condamnés. J’étais dans le camp de Bergen-Belsen quand ce petit homme boiteux, rachitique et engoncé dans son uniforme avait inspecté le camp. (…) Je le vis marcher fièrement en toisant les vieillards faméliques et regarder avec mépris les adolescents aux corps décharnés. Ce jour-là, j’étais à mille lieues de me douter que je reverrais cet homme moins de vingt ans plus tard dans une salle d’audience pour être jugé. De terrible bourreau actif et passif, il est devenu un simple citoyen "banal", pour reprendre l’expression d’Hannah Arendt. Eichmann est mort, mais le souvenir de nos frères de persécution ne doit pas l’être pour autant. Apprenons aux jeunes ce qui s’est passé pour qu’il n’y ait plus jamais d’autres Eichmann. ».

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Le mot cité d’Hannah Arendt, "banal", a engendré une grande polémique lorsqu’elle l’utilisa. En effet, alors qu’Adolf Eichmann était devenu aux yeux de beaucoup de monde l’incarnation du mal, un monstre, un démon, Hannah Arendt, au contraire, a analysé les choses sous l’angle de la banalité : le "mal" étant devenu "normatif" dans une société où la propagande était forte, il ne pouvait pas y avoir "banalisation" de l’horreur (car l’horreur n’était plus considérée comme exceptionnelle) mais le mal était devenu banalité : « Malgré tous les efforts de l’accusation, tout le monde pouvait voir que cet homme n’était pas un monstre : mais il était vraiment difficile de ne pas présumer que ce n’était pas un clown. Et comme une telle présomption aurait été fatale à toute l’entreprise, comme il était aussi assez difficile de la soutenir vu les souffrances qu’Eichmann et ses semblables avaient infligé à des milliers de personnes, ses pires clowneries passèrent quasiment inaperçues  et l’on n’en rendit jamais compte. ».

Ainsi, Eichmann est montré comme une personne médiocre, sans envergure, banale, ordinaire, un bon fonctionnaire, zélé et ambitieux, obéissant aux ordres et sachant résoudre les problèmes techniques et logistiques qui se posaient à lui, sans état d’âme, sans imagination (sinon, il aurait pu se mettre à la place de ses victimes), sans pensée (la pensée humaine, selon Hannah Arendt, est une condition de la liberté et un rempart contre le totalitarisme : « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal. »), plus soucieux de son propre avancement que d’une véritable émotion. Au procès, il n’a exprimé ni regret, ni haine, ni sentiment de culpabilité : « Il est dans la nature même du totalitarisme, et c’est peut-être de la bureaucratie, de transformer les hommes en fonctionnaires, en rouages administratifs, et ainsi de les déshumaniser. ». En quelques sortes, non seulement les nazis avaient déshumanisé leurs victimes dans les camps d’extermination, mais ils avaient aussi déshumanisé tous ceux qui avaient travaillé pour eux pour l’extermination.

Pour Hannah Arendt, cela n’enlève pourtant rien de la responsabilité personnelle d’Eichmann (« Rien n’est plus éloigné de mon propos que de minimiser le plus grand malheur de notre siècle. » car : « Il y a une liberté [celle de penser], et donc une responsabilité des hommes. ») mais il n’est pas le monstre spectaculaire qu’on aurait voulu décrire, il est « plutôt l’incarnation de l’absence de pensée chez l’être humain », selon les mots de Michelle-Irène Brudny de Launay qui a préfacé la version française du livre.

Deux films ont repris la thèse d’Hannah Arendt sur Eichmann, "Un spécialiste, portrait d’un criminel moderne" réalisé par Rony Brauman et Eyal Sivan (sorti le 31 mars 1999), et "Hannah Arendt" réalisé par Margarethe von Trotta (sorti le 10 janvier 2013).

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Il y a cinq ans et demi, la télévision publique, reprenant la célèbre expérience de Milgram, avait proposé une émission de téléréalité, "Le jeu de la mort", qui montrait qu’une soumission à l’autorité, pourvu qu’elle soit reconnue comme telle, pouvait aboutir aux pires abominations. Là encore, la réflexion d’Hannah Arendt pourrait servir à l’analyse des attentats du 13 novembre 2015 : comment peut-on massacrer froidement et gratuitement d’innocentes personnes après une si méticuleuse préparation ?


La révolution en tant que refondation

Parmi les autres ouvrages d’Hannah Arendt, on peut citer aussi "Essai sur la révolution" (publié en 1963), où elle insiste sur le fait que les révolutions permettent de fonder la liberté et que les générations futures ont ce même besoin de fondation. Elle a pris entre autres les exemples de la révolution américaine (la guerre de l’indépendance), la révolution hongroise (l’insurrection de Budapest), la Commune de Paris, etc. : « Dans les conditions de vie modernes, nous ne connaissons (…) que deux possibilités d’une démocratie dominante : le système des partis, victorieux depuis un siècle, et le système des conseils, sans cesse vaincu depuis un siècle. ».

Un autre essai, "La Vie de l’esprit" (inachevé, publié après sa mort en 1978) regroupe deux des trois tomes prévus, l’un sur la pensée et l’autre sur le vouloir.


Une pensée toujours d’actualité

Selon son ami Hans Jonas, Hannah Arendt fut « passionnément morale sans pour autant moralisatrice » et il ajoutait : « Tout ce qu’elle avait à dire était important, souvent provocant, parfois faux, mais jamais trivial, jamais indifférent et à jamais inoubliable. » (cité par Wolfgang Heuer dans sa biographie publiée en 2005).

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Quarante ans après sa disparition, Hannah Arendt garde toute sa modernité. Sa critique de la société de consommation pourrait lui faire porter, comme certains l’affirment, les prémices de la pensée en faveur de la décroissance et plus généralement l’écologie politique. À cet égard, que cent cinquante chefs d’État et de gouvernement se soient réunis ce 30 novembre 2015 au Bourget est un petit clin d’œil à Hannah Arendt et finalement, une reconnaissance mondiale posthume.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (4 décembre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le jeu de la mort (l’expérience de Milgram revisitée le 17 mars 2010).
Hannah Arendt.
Karl Popper.
Bernard d’Espagnat.
Jean d’Ormesson.
André Glucksmann.
BHL.

_yartiArendtHannah04



http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151204-hannah-arendt.html

http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/hannah-arendt-la-174995

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2015/12/04/33019301.html


 

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15 novembre 2015 7 15 /11 /novembre /2015 14:21

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« La France représente tout ce que les fanatiques religieux du monde détestent : Profiter de la vie sur terre, de plein de petites manières différentes : Une tasse de café parfumé avec un croissant au beurre, de belles femmes en robes courtes qui sourient librement, l’odeur du pain chaud, une bouteille de vin partagée avec des amis, un peu de parfum, des enfants qui jouent au jardin du Luxembourg, le droit de ne pas croire en dieu, de ne pas s’inquiéter des calories, flirter et fumer, et profiter du sexe hors mariage, prendre des vacances, lire n’importe quel livre, aller à l’école librement, jouer, rire, se disputer, se moquer des religieux comme des hommes politiques, laisser l’inquiétude sur ce qu’il y a après la vie aux morts. Aucun pays sur terre ne vit sur la terre mieux que les français. Paris, nous t’aimons, nous pleurons pour toi. Tu pleures ce soir, et nous sommes avec toi. Nous savons que tu riras encore, chanteras encore, feras l’amour et guériras, car aimer la vie est dans ta nature. Les forces des ténébres reflueront. Elles perdront. Elles perdent toujours. »

C'était d'un lecteur américain du New York Times qui aime la France.

Avec ce bémol expliqué par Koztoujours le 15 novembre 2015 :

« La France a autre chose à proposer au monde que le bon vin et la cuisse légère de ses jolies demoiselles. Et, si l’on descend d’un ton dans l’ironie : nous avons plus à donner au monde que la douceur de vivre, même si j’aime aussi la douce France.. » (Koz)

Lire aussi :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20151115-attentats-paris-B.html


SR


 

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20 mars 2015 5 20 /03 /mars /2015 13:31

Né le 21 mai 1940 à Toorak, petit-fils d'un sénateur, après des études de sciences politiques et économiques à Oxford, Malcolm Franser a échoué à devenir député en 1954 (de peu, puisqu'il lui manqua dix-sept voix). Il fut finalement largement élu député en 1955, siège qu'il garda du 10 décembre 1955 au 31 mars 1983. Représentant de l'aile droite du parti libéral australien, il fut nommé Ministre des Armées du 22 janvier 1966 au 28 février 1968, Ministre de l'Éducation et de la Science du 28 février 1968 au 12 novembre 1969, puis Ministre de la Défense du 12 novembre 1969 au 8 mars 1971, jusqu'à sa démission brutale qui entraîna la chute du Premier Ministre John Gorton (1911-2002) le 10 mars 1971. Il est redevenu Ministre de l'Éducation et de la Science du 20 août 1971 au 5 décembre 1972. Devenu leader de l'opposition en prenant la direction du parti libéral du 21 mars 1975 au 11 mars 1983, il fut accusé d'être à l'origine de la démission du travailliste Gough Whitlam (1916-2014) pour une démarche institutionnelle sans précédent.

Malcolm Fraser a succédé immédiatement à Gough Whitlam et est devenu Premier Ministre d'Australie du 11 novembre 1975 au 11 mars 1983. Après avoir gagné trois élections législatives, celles du 13 décembre 1975 (55,7%), du 10 décembre 1977 (54,6%) et du 18 octobre 1980 (50,4%), et perdu celle du 5 mars 1983 avec une lourde défaite (seulement 46,8%), il laissa le pouvoir à Bob Hawke le 11 mars 1983. Ce dernier (Premier Ministre jusqu'au 20 décembre 1991) a soutenu sa candidature pour devenir Secrétaire Général de l'ONU. Malcolm Fraser a démissionné du parti libéral en 2010 et a critiqué ses successeurs libéraux John Howard (du 11 mars 1996 au 3 décembre 2007) et Tony Abbott (depuis le 7 septembre 2013), le premier surtout pour son refus de prendre en compte l'intérêt des Aborigènes. Il s'est éteint d'une "courte maladie" et "paisiblement" le 20 mars 2015.

Sur Gough Whitlam :

http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-124848161.html
 

SR
 

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