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30 avril 2009 4 30 /04 /avril /2009 09:35

Il avait démarré très tôt dans ses engagements et son ascension politique avait été très rapide. Mais la fermeté de ses convictions et les circonstances ont laissé de côté cet homme politique d’une grande rigueur morale et d’une grande conscience sociale.



Il est l’un des hommes politiques socialistes les plus importants de l’après-guerre qui semble avoir été effacé de la mémoire politique de la France : il s’agit de Daniel Mayer, qui est né il y a exactement un siècle, le 29 avril 1909.
 
Oublié pas pour tout le monde puisque parallèlement au centenaire d’Alain Poher, le Ministère de la Culture a aussi inscrit dans ses célébrations de cette année le centenaire de Daniel Mayer.
 
 
Résistant et engagé
 
D’origine modeste, adhérent dès l’âge de dix-huit ans à la SFIO (l’ancêtre du Parti socialiste) à la suite de l’exécution de Sacco et Vanzetti et rédacteur d’une chronique sociale dans "Le Populaire" (à partir de 1933), Daniel Mayer s’engagea dans la Résistance pendant la guerre et visita souvent son mentor, le leader socialiste Léon Blum détenu à la prison de Bourrassol.
 
À partir de janvier 1941, Daniel Mayer anima des réseaux de résistance avec Pierre Brossolette et s’occupa de réorganiser dans la clandestinité la SFIO dont il devint naturellement le secrétaire général en 1943 (à l’âge de 34 ans) et le représentant au Conseil National de la Résistance. Ce fut lui qui encouragea les socialistes français à soutenir pleinement De Gaulle et Churchill, ce qui favorisa l’unification de tous les mouvements de la Résistance.
 
Il fut élu député de Paris dans les assemblées constituantes puis à l’Assemblée Nationale jusqu’en 1958.
 
À la Libération, Daniel Mayer perdit le contrôle de la SFIO. L’aile modérée représentée par Léon Blum fut balayée par l’aile marxiste emmenée par Guy Mollet qui prit le contrôle de la SFIO en août 1946 pour une vingtaine d’années (jusqu’en 1969 et la transformation de la SFIO en PS).
 
 
Le "père adoptif" de la sécurité sociale à la française
 
Daniel Mayer fut alors nommé ministre au début de la IVeRépublique (à l’âge de 37 ans) dans le gouvernement de son ami Léon Blum puis, quelques semaines après, pour succéder à Ambroise Croizat après le renvoi des communistes du gouvernement de Paul Ramadier : Ministre du Travail et de la Sécurité sociale ou des Affaires sociales du 16 décembre 1946 au 22 janvier 1947 et du 9 mai au 22 octobre 1947 au 28 octobre 1949. C’est lui qui accompagna les premières années de la sécurité sociale.
 
Daniel Mayer a eu à affronter les grandes grèves du printemps 1947 avec une CGT très remontée à qui il concéda quelques mesures phares : hausse du salaire minimum vital en octobre 1947 et augmentation de onze pourcents des salaires dans la fonction publique, mais resta ferme ensuite afin de faire arrêter les grèves.
 
En octobre 1949, Daniel Mayer se trouva en opposition avec son Président du Conseil, le radical Henri Queuille. Daniel Mayer souhaitait la liberté de négociation des conventions collectives mais Henri Queuille, qui s’y opposa, démissionna finalement.
 
 
Une conscience morale isolée politiquement
 
À 40 ans, Daniel Mayer ne fut plus ministre et ne retourna plus jamais au gouvernement, dépassé par une SFIO dirigée par Guy Mollet.
 
Il milita avec difficulté auprès des dirigeants de la SFIO pour s’opposer à la Communauté Européenne de Défense (CED) en 1954 (ce qui l’exclut quelques mois de la SFIO) et pour s’opposer à la politique de répression en Algérie menée par les socialistes Guy Mollet, Robert Lacoste et Max Lejeune. Il présida la Commission des Affaires étrangères à l’Assemblée Nationale.
 
Daniel Mayer se transforma petit à petit en une sorte de conscience morale de la gauche.
 
Il quitta la SFIO en 1958 parce qu’il s’opposa au retour de De Gaulle au pouvoir. Il participa à la création du PSU (au même titre que Pierre Mendès France) qu’il quitta en 1967 pour finalement réintégrer en 1970 le nouveau Parti socialiste dirigé par Alain Savary (d’abord dans le 18e arrondissement de Paris puis à Orsay).
 
Parmi les fonctions les plus représentatives de l’existence de Daniel Mayer, il y a la longue présidence de la Ligue française des Droits de l’Homme (1958-1975) qui l’obligea à quitter son siège à l’Assemblée Nationale puis la présidence de la Fédération internationale des Droits de l’Homme (1977-1983).
 
 
Une reconnaissance tardive par un socialiste d’adoption
 
Ce fut donc un peu pour honorer cette conscience morale que le Président de la République François Mitterrand le nomma membre du Conseil supérieur de la magistrature en 1981, puis, usant pour la première fois de sa faculté de nommer les membres de cette instance le 21 février 1983, le nomma Président du Conseil Constitutionnel (à presque 74 ans) pour succéder au gaulliste Roger Frey.
 
Une fonction qui aurait dû se prolonger pendant neuf ans. Si Daniel Mayer est bien resté membre du Conseil Constitutionnel jusqu’au 25 février 1992, contre toute tradition républicaine, François Mitterrand lui demanda de démissionner de la présidence pour y placer le 19 février 1986 Robert Badinter.
 
Même si la nomination de son successeur était loin d’être contestable, ce petit tour de passe-passe institutionnel montra l’une des habiletés politiciennes dont était coutumier François Mitterrand pour garder le "contrôle" de la présidence du Conseil Constitutionnel le plus longtemps possible (soit jusqu’en février 1995) : en effet, en février 1986, c’était la dernière nomination possible de membre du Conseil Constitutionnel avant la fin de son mandat (en mai 1988).
 
François Mitterrand eut l’occasion de faire durer son influence, sans manœuvre cette fois-ci grâce au hasard du calendrier institutionnel, le 8 mars 1995 (juste avant la fin de son second mandat) en nommant pour neuf ans (jusqu’en février 2004 en principe, ce qui signifiait que Mitterrand aurait "contrôlé" pendant vingt eu un an cette institution) son proche ami Roland Dumas (ce dernier a cependant dû démissionner en mars 2000 après son implication dans un scandale financier).
 
 
Rigueur morale
 
Ce qui est étrange en observant la vie politique de Daniel Mayer, c’est qu’après 1949, il n’a jamais été reconnu politiquement à sa juste valeur parce qu’il a été vite écarté dans son parti pour manque de discipline politique (ne pensant pas comme la majorité de ses camarades). Plus victime de Guy Mollet que de De Gaulle. Préférant faire passer ses convictions avant son ambition politique.
 
Son successeur direct au Conseil Constitutionnel, Robert Badinter, témoigna ainsi : « Tous les membres [du Conseil Constitutionnel] appréciaient la force de ses convictions républicaines, sa passion de la liberté et, aussi, son humour et sa délicatesse. Il était un modèle et un ami. Et pour tous ceux qui l’ont connu et aimé, Daniel Mayer demeure au Panthéon de leur mémoire. ».
 
Il s’éteignit le 29 décembre 1996 à l’âge de 87 ans et demi.
 
 
 
Sylvain Rakotoarison (30 avril 2009)
 
 
Pour aller plus loin :
 
 
 
 
 

 

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17 avril 2009 5 17 /04 /avril /2009 21:02

Résistant, européen, centriste, chrétien, sénateur : des caractéristiques qui collent bien au candidat imprévu de la première élection présidentielle de l’après-De Gaulle. Et à un Président de la République intérimaire si fréquent qu’il fut surnommé "Man-Poher" !




Ce 17 avril 2009, Alain Poher aurait eu 100 ans, six jours après la mort de son successeur au Plateau, René Monory (sur la destinée duquel je reviendrai plus tard).
 
Ce centenaire est l’occasion pour moi de rappeler l’itinéraire d’un homme bonhomme qui a incarné dans ses qualités mais aussi dans ses défauts ce Sénat si détesté d’une partie des Français. Un Sénat qu’il a présidé de 1968 à 1992, soit vingt-quatre ans, bien trop longtemps évidemment (recordman de longévité pour un président d’une assemblée parlementaire en France), d’autant plus que la fragile santé l’empêchait sur la fin de mener à bien sa mission.
 
 
Haut fonctionnaire et résistant
 
Vaguement descendant des ducs de Bretagne (ses aïeuls le revendiquaient), Alain Poher a fait des études scientifiques pour devenir ingénieur civil des mines parallèlement à une licence en droit et à un diplôme de science politique.
 
Pendant la guerre, après avoir été grièvement blessé en 1940 sur le front, il resta jusqu’en 1941 au Ministère des Finances où il était affecté comme haut fonctionnaire. Selon Guillaume Rousson dans le "Dictionnaire des Ministres" (sous la direction de Benoît Yvert, éd. Perrin), Alain Poher a reconnu qu’il avait hésité quant à son attitude à adopter pendant l’Occupation : il fut marqué par la tragédie de Mers el-Kébir mais il ne supporta pas la vision des troupes nazies défilant sur les Champs-Élysées.
 
En 1941, il s’engagea donc dans la Résistance au sein du réseau "Libération-Nord" et fut chargé d’épurer le Ministère des Finances à la Libération.
 
 
L’Europe, une motivation pour s’engager politiquement
 
Démocrate-chrétien proche de Jean Monnet et ferme partisan de la construction européenne à une époque où l’amitié franco-allemande n’était pas une évidence, il s’engagea en politique à la Libération au sein du MRP (Mouvement des républicains populaires) en se faisant élire maire de sa ville, Ablon-sur-Seine, près de Paris, en 1945 (il le resta jusqu’en 1983) et, encouragé par Robert Schuman (dont il était le chef de cabinet), il se fit élire sénateur (conseiller de la République sous la IVe République) le 8 décembre 1946 à 37 ans (il fut réélu jusqu’en 1995).
 
Très vite, il prit des responsabilités nationales, en particulier en présidant le groupe MRP du Conseil de la République (qui deviendra le groupe Union centriste). Cela lui valut quelques semaines ministérielles en tant que secrétaire d’État à l’âge de 39 ans, aux Finances puis au Budget, dans les gouvernements de Robert Schuman (son mentor) et de Henri Queuille (du 5 septembre au 20 novembre 1948).
 
Il fut ensuite nommé Commissaire général aux affaires allemandes et autrichiennes de novembre 1948 à avril 1950 puis président de l’Autorité internationale de la Ruhr de janvier 1950 à mai 1952 avant de réintégrer le Sénat le 18 mai 1952.
 
Au Sénat, Alain Poher intervenait souvent sur les questions budgétaires (dont il était le spécialiste) et sur les questions européennes à l’époque du début de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier, ancêtre de l’Union Européenne). Sa conception de l’Europe fut un « pari sur l’avenir commun de nations liées par un même passé, sur un regain de jeunesse et de vitalité et non pas une confrontation jalouse » et prédit : « Le Marché commun favorisera la prospérité générale. ».
 
Du 10 juillet 1952 au 20 décembre 1977, il fut désigné pour siéger à l’Assemblée commune de la CECA devenue, le 19 mars 1958, Assemblée des Communautés européennes, futur Parlement européen (avant 1979, aucune élection directe n’avait lieu pour la désignation des députés européens), présidant le groupe des démocrates-chrétiens de mars 1959 à mars 1966. Alain Poher présida ensuite le Parlement européen du 7 mars 1966 au 11 mars 1969, une présidence occupée également par Robert Schuman de 1958 à 1960).
 
Il retourna tout aussi furtivement au gouvernement comme Secrétaire d’État à la Marine dans le gouvernement de Félix Gaillard du 11 novembre 1957 au 14 mai 1958, peu avant la fin de la IVe République.
 
Il fit partie des parlementaires qui soutenaient le retour du général De Gaulle au pouvoir mais il fut vite déçu tant par la vision très peu européenne de De Gaulle et par un mépris vis-à-vis des élus (qui fut en tout cas compris comme tel lors du passage en force de 1962).
 
 
Élu Président du Sénat sans l’avoir voulu
 
Le 3 octobre 1968, il fut élu par hasard Président du Sénat pour succéder à Gaston Monnerville, un Président radical qui s’était violemment opposé à De Gaulle en 1962 lorsque ce dernier avait imposé par référendum l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Alors qu’il n’était pas candidat, Alain Poher fut ainsi propulsé au Plateau car apprécié pour son esprit de conciliation.
 
Représentant alors de façon quasi-corporative les sénateurs qui l’avaient élu, Alain Poher devint l’un des principaux opposants à De Gaulle lors du référendum sur la participation et la régionalisation qui voulait modifier de fond en comble le Sénat.
 
 
Chef de l’État… sans l’avoir voulu non plus
 
L’échec du référendum, dû en partie à l’opposition calculée de Valéry Giscard d’Estaing, entraîna la démission de De Gaulle.
 
Lors de la rédaction de la Constitution de la Ve République durant l’été 1958, De Gaulle aurait voulu que l’intérim du Président de la République fût assumé par le Premier Ministre que le Président nommait lui-même. Mais il a finalement renoncé à cette mesure afin de faire adhérer la majeure partie de la classe politique aux nouvelles institutions.
 
Comme dans les République antérieures, c’était donc toujours le Président du Sénat qui serait en charge de l’intérim présidentiel, à ceci près par rapport aux précédents régimes que le remplacement du Président de la République n’allait plus prendre seulement quelques heures (ou jours comme en décembre 1953), mais quelques semaines, ce qui placerait son titulaire dans une position cruciale en cas de crise extérieure et l’obligerait à prendre des quelques décisions malgré son caractère provisoire.
 
Ce fut donc tout mécaniquement qu’Alain Poher s’installa à l’Élysée du 28 avril au 20 juin 1969. Le Premier Ministre sortant Maurice Couve de Murville ne considérait pas cet état de fait très politique et se contenta de gérer les affaires courantes sans vraiment s’occuper d’Alain Poher. Seul René Capitant, Ministre de la Justice, donna sa démission par fidélité à De Gaulle. Alain Poher se plaignit par la suite que les ministres gaullistes lui firent quelques mesquineries au cours de cet intérim.
 
 
Une aventure présidentielle surfant sur la vague antigaulliste
 
À 60 ans, Alain Poher se trouva placé dans des circonstances telles qu’il représentait le mieux les intérêts des petits élus, trop modestes pour supporter encore la grandeur gaullienne. Sans doute aussi les forces récurrentes de la IVe République qui n’avaient pas pu s’exprimer en décembre 1965 avec les candidatures de François Mitterrand et de Jean Lecanuet.
 
Se prenant au jeu, contesté dans son rôle d’arbitre comme Président par intérim, Alain Poher s’employa à faire une campagne de proximité qui bénéficia d’un véritable effondrement de la gauche non communiste (Gaston Defferre ne fit que 5,0% et Michel Rocard 3,6%). Les sondages s’emballèrent à son avantage.
 
Alain Poher arriva en deuxième position au premier tour le 1er juin 1969 avec 23,3% (derrière Pompidou 44,5%), ce qui empêcha la gauche d’être présente au second tour (phénomène qui s’est reproduit en 2002). Poher ne parvint cependant pas à être élu malgré le soutien de tous les antigaullistes de toutes obédiences (à l’exclusion des communistes qui avaient rassemblé 21,3% autour de leur candidat Jacques Duclos) et fut battu le 15 juin 1969 par Georges Pompidou avec seulement 41,8%.
 
Ne nourrissant aucune amertume de ne pas avoir été élu, Alain Poher confia même : « Une victoire en 1969 ? Rien n’aurait pu m’arriver de pis ! » (cité par Guillaume Rousson).
 
 
Un long travail de reconnaissance du Sénat
 
Après cet échec, Alain Poher fit preuve de sportivité en invitant dans ses prestigieux salons du Petit Luxembourg le Président Georges Pompidou et ses ministres qui ignoraient voire méprisaient le Sénat par leur absence au cours des débats.
 
Il faut dire que les locaux rue de Vaugirard sont exceptionnels de luxe et que les invités des lieux y sont toujours flattés. Ce raccommodage esquissa la lente reconversion des gaullistes en faveur du Sénat qu’ils trouvaient initialement inutile (à l’instar de leur héroïque général) au point qu’en septembre 1986, l’amiral Philippe De Gaulle, fils du général, fut même élu sénateur de Paris.
 
 
Initiateur du "bloc de constitutionnalité"
 
Ce fut durant la Présidence de Georges Pompidou qu’Alain Poher prit une initiative essentielle pour la sauvegarde des droits des citoyens.
 
À la suite de l’annulation administrative d’une décision du préfet de police de Paris qui refusait la constitution d’une association trotskiste, le Ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin voulut faire passer une loi au Parlement pour réduire la liberté d’association. Malgré l’opposition des sénateurs, cette loi parvint à être adoptée par la majorité gaulliste le 30 juin 1971 (grâce au jeu des navettes qui donnent toujours le dernier mot aux députés).
 
En tant que Président du Sénat, Alain Poher avait à l’époque seul (avec le Président de la République et le Président de l’Assemblée Nationale) la possibilité de saisir le Conseil Constitutionnel (Valéry Giscard d’Estaing révisa la Constitution le 29 octobre 1974 pour permettre à un groupe de soixante parlementaires d’une même assemblée de saisir le Conseil Constitutionnel, ouvrant ainsi la voie de la saisine par l’opposition).
 
Par courtoisie, Alain Poher demanda préalablement au Président du Conseil Constitutionnel, le gaulliste historique Gaston Palewski, ce qu’il penserait d’une saisine éventuelle contre la loi Marcellin. Selon la version d’Alain Poher lui-même dans ses mémoires "Trois fois Président" (éd. Plon), Gaston Palewski lui répondit : « Si le général, père de la Constitution, était encore au pouvoir, jamais il n’aurait accepté un tel texte. Il faut faire comprendre à Pompidou qu’il n’est pas De Gaulle, lui donner une leçon, le rappeler à l’ordre… ».
 
Fort de cet encouragement, Alain Poher saisit donc le Conseil Constitutionnel le 1er juillet 1971 et le 16 juillet 1971, ce dernier déclara la loi Marcellin anticonstitutionnelle parce qu’elle était contraire au préambule de la Constitution qui proclamait le droit d’association.
 
C’était la première fois que le Conseil Constitutionnel prenait en compte le "bloc de constitutionnalité" composé non seulement de la Constitution mais aussi de son préambule qui reprend le préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
 
Le Conseil Constitutionnel devenait une sorte de protecteur des droits et des libertés au-delà du simple juge constitutionnel. L’un des exemples récents de cette nouvelle évolution fut avec la loi Hortefeux le 15 novembre 2007.
 
 
Rebelote à l’Élysée
 
La mort de Georges Pompidou lui ouvrit une seconde fois les portes de l’Élysée, du 2 avril au 19 mai 1974. Assagi et plus du tout en état de faire valoir une nouvelle candidature (c’était le référendum du 27 avril 1969 qui popularisa son existence politique), il demeura un simple observateur de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing.
 
Symboliquement, pour honorer la mémoire de celui qui l’avait "engagé" en politique, Robert Schuman, Alain Poher ratifia le 6 mai 1974 la Convention européenne des droits de l’homme approuvée en 1950 mais jamais ratifiée par De Gaulle ni par Pompidou. Ce fut avec son initiative du 1er juillet 1971 l’un des quelques actes qui donna à Alain Poher une stature institutionnelle de première importance.
 
 
Dernier rempart contre le "socialo-communisme"
 
De juin 1974 à octobre 1983, il présida l’Association des maires de France qui est l’une des instances les plus actives pour représenter les élus locaux.
 
L’élection de François Mitterrand le 10 mai 1981 plaça Alain Poher de nouveau dans le rôle d’un chef implicite de l’opposition, présidant la dernière instance acquise à la droite et au centre contre un pouvoir socialo-communiste très gourmand (en fait, politiquement, ce rôle revint finalement à Jacques Chirac).
 
Sur la recommandation du centriste Pierre Méhaignerie (Ministre de l’Agriculture de Valéry Giscard d’Estaing), entre 1981 et 1982, Alain Poher engagea à la Présidence du Sénat un jeune chargé de mission de 30 ans… François Bayrou. Un moyen pour ce dernier de se préparer aux futures élections locales (François Bayrou fut élu conseiller général des Pyrénées-Atlantiques le 22 mars 1982 et conseiller municipal de Pau le 14 mars 1983).
 
L’alliance gouvernementale entre socialistes et communistes et l’échec électoral de Valéry Giscard d’Estaing et de Jacques Chirac renforcèrent les retrouvailles entre centristes et gaullistes déjà amorcées sous Pompidou (avec le CDP, parti des centristes qui se sont "pompidolisés" dès 1969).
 
L’une des batailles les plus symptomatiques fut la crise en 1984 avec l’échec de la réforme de l’enseignement privé, la démission d’Alain Savary puis de Pierre Mauroy et la décision très subtile de François Mitterrand de proposer un référendum sur le référendum avant d’en faire un, éventuellement, sur l’enseignement.
 
Pendant le mois d’août 1984, devant très peu de spectateurs, le Sénat batailla alors pour faire échouer cette initiative présidentielle (sans surprise).
 
 
Un Alain Poher… en train de se "pohériser"
 
Au fil des années, l’âge augmentant et la santé se fragilisant, Alain Poher se fit de plus en plus rare dans la scène politique. C’était essentiellement son influent directeur de cabinet Pierre Bordry qui dirigeait en interne la maison.
 
En octobre 1989, Alain Poher, à 80 ans, pourtant centriste, fut victime d’une fronde de ses amis sénateurs centristes qui lui demandaient de renoncer à un nouveau mandat. Jean Arthuis (ancien secrétaire d’État de 44 ans) se présenta au premier tour et René Monory au second tour (voir plus de détails bientôt à ce lien).
 
Mais par un retournement cocasse de l’histoire, Alain Poher bénéficia des voix gaullistes contre son propre groupe grâce à la stratégie de Charles Pasqua (président du groupe RPR au Sénat de l’époque) qui comptait sur le renforcement du RPR au détriment l’UDF lors des élections sénatoriales suivantes (en 1992) pour s’emparer de la Présidence du Sénat : il lui fallait donc garder l’actuel Président afin d’éviter la désignation d’une nouvelle personnalité qu’il aurait été plus difficile à renverser en 1992.
 
Après trois ans de grande "pohérisation" qui fut déplorable pour l’image du Sénat, Alain Poher quitta le Plateau le 1er octobre 1992 après vingt-quatre années passées à présider les sénateurs. La stratégie de Charles Pasqua échoua toutefois puisque René Monory fut finalement élu à sa succession. Il fallut attendre le 1er octobre 1998 pour voir un gaulliste à ce poste avec Christian Poncelet puis Gérard Larcher.
 
Il quitta le Sénat à la fin de son mandat en septembre 1995 et mourut le 9 décembre 1996.
 
Pour lui rendre hommage, son successeur René Monory évoqua en séance publique un « homme de bon sens, pragmatique et généreux, avisé et compétent qui a formidablement incarné notre Haute Assemblée ». Une description dont aurait pu aussi se prévaloir celui qui l’avait prononcée.
 
 
Incarnation d’un Sénat indépendant
 
Que reste-t-il d’Alain Poher ?
 
Sans doute pas, hélas, sa ferveur sincère pour la construction européenne dont il a participé à l’aventure dès le début, mais pas aux premières loges.
 
Ce qui restera certainement, en revanche, c’est la conception qu’il se fit du Sénat : « Pour moi, le rôle du Sénat n’est pas d’applaudir par principe ce qui lui est proposé par le Gouvernement, quel que soit celui-ci d’ailleurs, ni de pratiquer non plus une opposition systématique. Le Sénat doit être un censeur vigilant, indépendant et objectif, et poser en quelque sorte au pouvoir exécutif une interrogation permanente. ».
 
Le même exemple récent que plus haut concerne la loi Hortefeux adoptée par les députés le 20 septembre 2007 mais contestée et améliorée par les sénateurs.
 
Il termina son mandat avec ce bilan autoproclamé : « D’un Sénat méprisé qu’on voulait supprimer, j’ai fait une assemblée restaurée pesant son poids dans la vie politique de notre pays. ».
 
La vieillesse et l’excessive longévité d’Alain Poher ne doivent en effet pas masquer les évolutions qu’il a su faire prendre à l’institution sénatoriale ni la modernisation du Sénat, ayant engagé un processus d’informatisation documentaire en 1991 qui fut poursuivi par son successeur, René Monory, avec la mise en ligne du site Internet du Sénat dès 1995. Successeur qui, à son tour, tomba dans la… pohérisation.
 
 
 
Sylvain Rakotoarison (17 avril 2009)
 
 
Pour aller plus loin :
 
 
 
 
 
 
 
 

 

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15 avril 2009 3 15 /04 /avril /2009 23:12

Auteur à succès, romancier, essayiste, homme politique mais avant tout, académicien, Maurice Druon était la « mémoire de l’Académie » selon les mots de son amie très proche, Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de cette monumentale institution.




L’écrivain, résistant, académicien et ancien ministre gaulliste Maurice Druon est mort ce 14 avril 2009 à dix-huit heures. Il allait fêter le 23 avril prochain son 91e anniversaire.
 
 
Un roc académique et politique
 
Maurice Druon était devenu lui-même une institution. Il personnifiait l’Académie française dont il était le doyen d’élection (depuis la mort d’Henri Troyat), entré le 8 décembre 1966 à l’âge de 48 ans au fauteuil de Georges Duhamel. Il en rêvait depuis l’âge de 10 ans. Il fut même le (provisoire) secrétaire perpétuel de l’Académie française de novembre 1985 à octobre 1999, laissant place à Hélène Carrère d’Encausse qui a annoncé son décès.
 
Succédant à un autre Duhamel, Jacques Duhamel, au Ministère des Affaires culturelles, Maurice Druon a goûté à la fonction ministérielle sous le gouvernement de Pierre Messmer avec un objectif d’image pour le Président Georges Pompidou : contrebalancer l’avant-gardisme du projet du Centre Beaubourg par la nomination d’un "conservateur".
 
 
Une œuvre littéraire immense
 
Homme de lettres et homme de la politique (plus qu’homme politique), Maurice Druon était avant tout un monument de la littérature française, très prolifique avec cinquante-cinq œuvres écrites à partir de l’âge de 24 ans sans compter d’autres textes lorsqu’il était plus jeune. Essentiellement des romans, mais aussi des pièces de théâtre et des essais, notamment sur le peintre Bernard Buffet (1964) et sur a colline de Vézelay (1968).
 
 
Des ancêtres… un peu comme lui
 
Son ascendance le prédisposait à la littérature et à la politique. Il avait pour oncle Joseph Kessel (également académicien), pour arrière-grand-oncle le poète Charles Cros également inventeur de ce qui est devenu le phonographe, pour arrière-grand-père Antoine Cros, un médecin et écrivain qui traduisait Eschyle et qui faillit périr d’une blague idiote d’Arthur Rimbaud (de l’acide sulfurique dans son verre de bière). Maurice Druon a eu aussi des ascendants brésiliens (notamment Odorico de Mendez, écrivain et homme politique devenu roi de l’éphémère Araucanie au sud du Chili) et russes (un grand-père qui exerça le métier de médecin en Argentine).
 
 
Résistant
 
Alors qu’il était au service militaire, il fut mobilisé en 1940, l’interrompant dans l’écriture de sa pièce de théâtre "Mégarée". Une fois démobilisé, il fit représenter cette œuvre le 3 février 1942 à Monte-Carlo (en zone libre) puis quitta clandestinement la France avec Joseph Kessel en passant par la péninsule ibérique pour gagner Londres où il travailla pour la Résistance jusqu’en 1944 (ils traversèrent les Pyrénées le jour de Noël).
 
C’est en début 1943 qu’à la demande d’Emmanuel d’Astier, il rédigea avec son oncle Joseph Kessel les paroles du célèbre et émouvant "Chant des Partisans" mises en musique le 30 mai 1943 par la jeune compositrice Anna Marly (qui disparut le 15 février 2006). Ce chant servit d’indicatif à l’émission "Honneur et Patrie" de la BBC de mai 1943 à mars 1944 et devint l’hymne des résistants.
 
 
Écrivain populaire
 
Le premier grand succès de Maurice Druon fut "Les Grandes Familles" publiés en 1948 couronné par le Prix Goncourt qui fut transposé au cinéma en 1958 par Denys de La Patellière et Michel Audiart avec, parmi les acteurs, Jean Gabin, Pierre Brasseur, Bernard Blier, Jean Desailly et Louis Seigner.
 
Son œuvre la plus connue fut évidemment "Les Rois Maudits" en sept tomes (de 1955 à 1977), histoire romancée des rois de France à partir de Philippe le Bel où il montra la "loi des trois frères", simple conséquence de la loi saliens qui interdisait aux femmes d’accéder au trône de France (trois fois dans l’histoire des Capétiens cette règle s’appliqua, la dernière fois avec Louis XVI, Louis XVIII et Charles X).
 
La célébrité vint surtout avec l’adaptation de cette saga à la télévision par Marcel Jullian et Claude Barma, diffusée du 21 décembre 1972 au 24 janvier 1973 avec Jean Piat et Louis Seigner entre autres. Un feuilleton télévisé qui fit mon bonheur d’enfant et qui rendit bien fade la seconde version, réalisée par Josée Dayan et diffusée du 7 au 28 novembre 2005. Dans sa préface, Maurice Druon admit que sa rédaction fut collective, à laquelle collabora Edmonde Charles-Roux, écrivaine et veuve de Gaston Defferre.
 
 
Gaulliste de gouvernement
 
Lors de l’arrivée de Jacques Chaban-Delmas à Matignon, Maurice Druon participa aux travaux de la Commission de réforme de l’ORTF qui éclata sous Valéry Giscard d’Estaing (donnant naissance notamment à Radio France).
 
Bien qu’engagé politiquement depuis la Libération aux côtés des gaullistes, Maurice Druon n’avait encore jamais été élu quand il fut nommé Ministre des Affaires culturelles le 5 avril 1973 (fonction qu’il quitta un mois avant la mort de Pompidou le 1er mars 1974, lors du dernier remaniement préparant l’élection présidentielle anticipée probable en plaçant Jacques Chirac à l’Intérieur).
 
Une nomination qui fit donc scandale bien que Pompidou lui-même ne fût pas élu lors de sa nomination à Matignon en 1962. Maurice Druon se justifia en déclarant le 3 mai 1973 : « Au fond, mes lecteurs ne sont-ils pas mes électeurs ? ». Il faut dire que sa nomination arrivait juste avec son très grand succès à la télévision, ce qui fit dire à Maurice Clavel le 14 mai 1973 : « Logique qui donne l’Élysée à Guy Lux et Matignon à Léon Zitrone » (argument que méditèrent par la suite des personnes aussi peu politiques que Jean-Noël Jeanneney, Alain Decaux, Luc Ferry et bien d’autres).
 
Maurice Druon stoppa l’élan réformateur et moderniste de son prédécesseur centriste Jacques Duhamel mais garda le directeur de cabinet de ce dernier, Jacques Rigaud, énarque centriste et futur président de RTL de 1980 à 2000.
 
Il tenta l’aventure électorale en se faisant finalement élire député de Paris aux élections suivantes, de mars 1978 à mai 1981 et fut même élu député européen aux premières élections au suffrage universel direct en juin 1979.
 
 
Conservateur pointilleux de la langue française
 
Partisan de l’ordre et conservateur, Maurice Druon le montra surtout dans la sauvegarde de la langue française, refusant non seulement les réformes pour une nouvelle orthographe (sollicité en 1990, il répondit au Premier Ministre Michel Rocard qu’il ne fallait aucune modification restrictive et que seul l’usage d’une nouvelle orthographe devait ratifier toute évolution) mais surtout la féminisation des noms de fonctions, préférant "Madame le Ministre" au pourtant ordinaire "Madame la Ministre" (Michèle Alliot-Marie refuse toujours d’être "la" Ministre de l’Intérieur).
 
 
À propos de Maurice Papon…
 
Sans risque de nourrir des ambiguïtés collaboratrices grâce à son passé de résistant incontestable, Maurice Druon prit la défense de Maurice Papon lors du procès de ce dernier en ne voulant pas « juger avec nos yeux instruits d’aujourd’hui » ce qui se juger avec nos « yeux aveugles d’hier ». Il prenait ainsi la même position que l’historien de Vichy Henri Amouroux (« L’histoire ne s’écrit pas en noir et blanc. ») sur laquelle se rejoignaient aussi les anciens Premiers Ministres Pierre Messmer et Raymond Barre.
 
 
Hommage présidentiel
 
Bardé de récompenses, prix, décorations et autres distinctions internationales, Maurice Druon va recevoir sans doute, au lendemain de sa disparition, de nombreux éloges de la classe politique et du monde littéraire. Cela n’en sera que mérité.
 
Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a ainsi rappelé que Maurice Druon « a risqué sa vie en résistant » et que « très tôt, il a compris le pouvoir de la télévision, et la nécessité d’en faire un média d’éducation et de culture populaire » en concluant sur deux mots que Maurice Druon avait utilisés pour qualifier Pierre Messmer et qui le caractérisent aussi : « le courage et l’exemple ».
 
 
Conservateur mais ouvert
 
Que ceux qui ne manqueront pas de critiquer ses positions politiques très conservatrices et son amour de l’ordre n’oublient pas la très grande ouverture dont il était la synthèse par la diversité de ses propres origines, sa passion de la liberté et son incroyable fécondité littéraire.
 
 
 
Sylvain Rakotoarison (15 avril 2009)
 
 
Pour aller plus loin :
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 




http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/maurice-druon-pas-si-immortel-que-54570

http://fr.news.yahoo.com/13/20090416/tot-maurice-druon-pas-si-immortel-que-ca-89f340e_1.html

http://www.lepost.fr/article/2009/04/17/1500421_maurice-druon-pas-si-immortel-que-ca.html

http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-45

http://www.centpapiers.com/maurice-druon-pas-si-immortel-que-ca/6906/




 

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4 avril 2009 6 04 /04 /avril /2009 14:04

La disparition de la "grand-mère" des journalistes français est passée quasiment inaperçue dans la presse française et quand elle est passée, ce fut émaillée de plusieurs inexactitudes. Oubli, ingratitude, ignorance, indifférence, incompétence ? Dommage d’un si petit hommage.


Je l’avais hélas évoqué à la fin de mon article sur France Inter et la possible désignation de Philippe Val à sa direction : le jeudi 2 avril 2009 matin, l’ancienne journaliste Jacqueline Baudrier est morte à 87 ans.


Une journaliste passionnée et passionnante

Jacqueline Baudrier était une "grande dame" de l’audiovisuel français. Elle considérait son job avec beaucoup de passion, de professionnalisme, d’élégance et de distinction.

Née le 16 mars 1922, elle fut la première femme responsable d’une chronique politique en France en 1950 et fut donc très rapidement connue du grand public puisqu’à l’époque, il n’y avait qu’un seul journal parlé, le sien dont elle était devenue la rédactrice en chef en 1960. Elle fut nommée directrice de l’information de la seconde chaîne de télévision (en couleur) en 1969.

Elle fut choisie avec Alain Duhamel par Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand pour animer le premier débat présidentiel d’entre les deux tours en France, le 10 mai 1974 (des images de l’INA nous le rappellent).


À la tête de Radio France

Dès son accession à l’Élysée, le Président Valéry Giscard d’Estaing réforma profondément l’audiovisuel français en faisant éclater le mastodonte ORTF. Le 1er janvier 1975, Jacqueline Baudrier fut alors désignée par lui à la présidence de Radio France, nouvelle structure de la radio publique dont on procède actuellement au renouvellement de la direction (Jean-Luc Hees succédera le 12 mai 2009 à Jean-Paul Cluzel).

Pendant six années et demie, sous son impulsion, France Inter gagna 2,25 millions d’auditeurs, France Culture s’installa au Festival d’Avignon et les deux orchestres de Radio France (l’Orchestre Philharmonique de Radio France et l’Orchestre National de France, aujourd’hui dirigés respectivement par Myung-Whun Chung et Daniel Gatti) multiplièrent les tournées internationales.

Lors de sa dernière présidence de conseil d’administration de Radio France, elle présenta le premier plan de développement pour quadriller la France de radios locales (après les bonnes expériences de Melun FM, Fréquence Nord et Radio Mayenne).

En juillet 1981, avec l’accession au pouvoir de François Mitterrand, Jacqueline Baudrier fut contrainte à la démission alors qu’elle n’avait pas achevé son troisième mandat à la tête de Radio France. L’exécuteur des basses œuvres, le Premier Ministre Pierre Mauroy, qui l’appréciait pourtant beaucoup et avait des états d’âme, lui trouva d’abord un point de chute pour la recaser : ce fut le poste d’ambassadrice de France à l’UNESCO, poste qu’elle transmit ensuite à Gisèle Halimi en 1985.

Sa successeur directe à Radio France évoque ce limogeage dans ses carnets en ces termes : « Mauroy, qui respecte la présidente sortante, Jacqueline Baudrier, et hésitait à la débarquer de la radio, ne m’en avait pas parlé avant qu’il ne lui trouve une sortie convenable. Aujourd’hui, Jacqueline Baudrier est ambassadeur à l’UNESCO. Pierre Mauroy m’appelle donc (…) : j’ai hésité, puis dit oui. ».


Une journaliste reconnue

Après le retour de Jacques Chirac à Matignon en 1986, Jacqueline Baudrier fut nommée membre de la CNCL (Commission nationale de la communication et des libertés) qui remplaça la Haute autorité de l’audiovisuel (présidée par Michèle Cotta de 1982 à 1986) et qui fut transformée après la réélection de François Mitterrand par le CSA (Conseil national de l’audiovisuel), aujourd’hui présidé par Michel Boyon, lui aussi ancien président de Radio France de 1995 à 1998 (laissant la présidence à Jean-Marie Cavada).

Parmi les nombreux prix et distinctions que Jacqueline Baudrier a reçus au cours de sa carrière, on peut citer le Prix de la Fondation Louise Weiss en 1997, le Prix Maurice Bourdet en 1960, le Prix international Ondas en 1969, le Prix Unda en 1972 et fut également nommée Commandeur de la Légion d’Honneur.

Honoré par des étudiants, son nom fut attribué à la promotion 1993 de l’École du journalisme de Nice.


Service minimum pour l’annonce de sa disparition

Cette trajectoire très riche, pourtant, semble avoir été très négligée par ceux qui sont aujourd’hui ses successeurs dans l’audiovisuel français. Certes, son état de santé l’avait éloignée définitivement de la scène publique depuis une dizaine d’année, mais est-ce une raison de l’oublier ?

Une rapide revue de presse sur Internet montre ce déplorable oubli.

Sur Google avec uniquement son nom comme mot-clef, au lendemain de son décès le 3 avril 2009 à midi, il n’y avait que deux éléments qui évoquaient sa disparition : une brève temporaire publiée par le site France Culture et Wikipédia qui avait intégré l’information dès 18h38 la veille.

En regardant de nouveau sur Google ce 4 avril 2009 avec le même mot-clef, heureusement, les éléments se sont multipliés (cependant, moins de 2 500) et mon mini-billet placé sur mon blog pourtant très mal référencé arrivait en quatrième position, ce qui donne une idée de la faible occurrence sur le traitement de la disparition de Jacqueline Baudrier.


Des erreurs surprenantes de la part de certains professionnels

Évidemment, l’information fut développée le long de la journée du 3 avril 2009 mais avec quasiment la même dépêche de presse provenant de l’agence AFP qui, pourtant, avait commis deux erreurs (dont une assez grossière) qui n’ont pas encore été corrigées à cette heure.

On passera sur la première concernant la carrière de Jacqueline Baudrier : on prétend la faire débuter en 1950 avec son entrée au journal parlé de la RTF. En fait, elle commença en 1948 à Radio Guadeloupe. Qu’importe.

La seconde erreur est beaucoup plus grave car elle montre une réelle ignorance de certains journalistes (ceux qui ont retransmis l’information) de l’histoire de la régulation de leur propre métier.

Que ce soit sur France 3, dans "Le Parisien", dans une chronique de Jean-Marc Morandini reproduite sur "Yahoo News", dans "Les Échos" ou sur TV5 (pour ne citer qu’eux), Jacqueline Baudrier aurait été nommée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, confondant de manière malheureuse la CNIL (fondée le 6 janvier 1978) avec la CNCL qui ne dura que deux ans en demi (du 30 septembre 1986 au 17 janvier 1989).

Notons que cette erreur n’avait pas été commise par Wikipédia, ce qui renforce l’hypothèse que l’erreur ne provenait que d’une seule personne (errare humanum est) et que ce sont les autres journalistes qui n’ont fait que reprendre la dépêche sans en vérifier la véracité. Ce qui décrédibilise ce qu’on peut entendre dans les médias, mais ce constat est hélas loin d’être le premier.


Célébration

Les obsèques de Jacqueline Baudrier seront célébrées le mercredi 8 avril 2009 à 10 h. 30 en l’église Notre Dame d’Auteuil, 4 rue Corot à Paris 16e.


Elle fut l’honneur du journalisme et l’honneur des femmes.
Mes respects, Madame.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (4 avril 2009)


Pour aller plus loin :

Les changements à Radio France.

Premières dépêches.

Dépêches du 3 et 4 avril 2009.

Sur Google le 4 avril 2009.

























http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=54116

http://fr.news.yahoo.com/13/20090404/tot-la-deplorable-attention-du-journalis-89f340e_1.html

http://www.lepost.fr/article/2009/04/04/1483621_la-deplorable-attention-du-journalisme-pour-sa-grande-dame-jacqueline-baudrier.html

http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-38

http://www.centpapiers.com/la-deplorable-attention-du-journalisme-pour-sa-grande-dame-jacqueline-baudrier/6526/


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3 février 2009 2 03 /02 /février /2009 09:26

Hommage à la philosophe Simone Weil le jour de son centenaire.


Le titre de cet article reprend l’une des phrases clefs de l’œuvre de la célèbre philosophe Simone Weil née il y a exactement 100 ans, le 3 février 1909 à Paris.

À ne pas confondre avec l’ancienne ministre et ancienne Présidente du Parlement européen Simone Veil, elle bien vivante, nouvelle académicienne, qui a pour point commun avec Simone Weil une très forte personnalité.

Simone Weil était plus jeune que Simone de Beauvoir, Sœur Emmanuelle ou encore Germaine Tillion. Pourtant, dans la mémoire collective, elle semble avoir existé bien avant elles pour la malheureuse raison qu’elle est morte bien avant elles, à l’âge de 33 ans, d’une tuberculose le 24 août 1943. Elle était aussi contemporaine d'Irena Sendlerowa.


La vierge rouge

Simone Adolphine Weil, c’est d’abord le destin éclair d’une Française dans la pensée contemporaine. Pensée et action.

Ses parents, alsaciens, avaient fui l’Alsace-Lorraine en 1871. Elle était la petite sœur du grand mathématicien André Weil (1906-1998), fondateur du groupe Bourbaki et connu pour ses travaux sur la topologie (c’est lui qui proposa Ø pour noter l’ensemble vide) et la théorie des nombres.

Bachelière à 16 ans, elle fut l’élève du philosophe Alain au lycée Henri IV à Paris (pour hypokhâgne et khâgne), puis normalienne et agrégée de philosophie à 21 ans (septième au classement). Le directeur de Normale Sup., Célestin Bouglé, la nommait "la vierge rouge" en 1929.

Un surnom pas si anodin. Citée par Alain Vernet, une de ses condisciples, Simone de Beauvoir, la décrivait ainsi : « Tout en préparant normale, elle passait à la Sorbonne les mêmes certificats que moi. Elle déambulait dans la cour de la Sorbonne escortée par une bande d’anciens élèves d’Alain. Je réussis un jour à l’approcher. Je ne sais plus comment la conversation s’engagea : elle déclara d’un ton tranchant qu’une seule chose comptait aujourd’hui sur terre, la révolution qui donnerait à manger à tout le monde. Je rétorquai, de façon non moins péremptoire que le problème n’était pas de faire le bonheur des hommes, mais de trouver un sens à leur existence. Elle me toisa : on voit bien que vous n’avez jamais eu faim, dit-elle ! Nos relations s’arrêtèrent là. » ("Mémoires d’une jeune fille rangée", 1958).


Corps malade en résistance

En été 1930, un court séjour en Allemagne lui fit comprendre le destin probable de l’antisémitisme européen. Sa santé était très fragile et certains pensent qu’elle aurait présenté des troubles d’anorexie mentale. Pour dépasser un corps difficile, elle se mit au rugby, au saut en hauteur et au jogging.

De 1934 à 1935, elle quitta momentanément son métier d’enseignante pour se confronter à la réalité de la condition ouvrière sur laquelle elle voulait réfléchir "physiquement" dans les usines d’Alsthom et de Renault (voir "La Condition ouvrière").

Elle s’engagea lors de la guerre civile en Espagne du côté républicain (mais à cause d’un accident, a dû revenir en France) et aussi lors de l’Occupation en aidant les gaullistes à Londres avec qui elle se brouilla en juillet 1943 après leur refus de l’envoyer en mission en France occupée (parmi ces gaullistes, le démocrate-chrétien Maurice Schumann qui fut son condisciple rue d’Ulm et le socialiste André Philip qu’elle assista à Londres).


Condition ouvrière et christianisme

Elle était une "réformiste révolutionnaire", expression oxymore qui signifie en quelques sortes qu’il fallait d’abord réformer la société pour permettre ensuite à tous les citoyens d’écrire eux-mêmes leur propre destin.

Entre 1940 et 1943, à Marseille, puis aux États-Unis où sa famille s’est réfugiée puis à Londres, Simone Weil entreprit de beaucoup rédiger pour montrer une synthèse entre la pensée chrétienne également présente dans l’humanisme des Anciens et la pensée contemporaine.

D’origine juive, elle se convertit au christianisme quelques semaines avant sa mort après avoir été dans un état de grâce proche d’une crise mystique.

À partir de 1947, Albert Camus contribua à faire découvrir les manuscrits de Simone Weil qu’elle avait confiés à son ami, philosophe catholique, Gustave Thibon (1903-2001).


Les besoins de l’âme

Peu avant de mourir, Simone Weil rédigea à Londres (en 1943) "L’Enracinement" qui fut considéré comme son testament spirituel (téléchargeable ici). Les éditions Gallimard le publia en 1949.

Dans ce livre, elle analysa les relations entre les personnes et les collectivités qui les englobaient. Pour elle, les obligations devraient se focaliser uniquement sur les êtres humains et pas sur les collectivités qui n’ont pour objet que leur rendre service.

Son introduction aux "Besoins de l’âme" est déjà très claire :

« Il y a obligation envers tout être humain, du seul fait qu’il est un être humain, sans qu’aucune autre condition ait à intervenir, et quand même lui n’en reconnaîtrait aucune. Cette obligation ne repose sur aucune situation de fait (…), sur aucune convention (…). Cette obligation est éternelle. Elle répond à la destinée éternelle de l’être humain. Seul l’être humain a une destinée éternelle. Les collectivités humaines n’en ont pas. Aussi n’y a-t-il pas à leur égard d’obligations directes qui soient éternelles. Seul est éternel le devoir envers l’être humain comme tel. Cette obligation est inconditionnée (…). Cette obligation a non pas un fondement, mais une vérification dans l’accord de la conscience universelle. Elle est exprimée par certains des plus anciens textes écrits qui nous aient été conservés. Elle est reconnue par tous dans tous les cas particuliers où elle n’est pas combattue par les intérêts ou les passions. C’est relativement à elle qu’on mesure le progrès. ».

En quelques sortes, elle justifiait la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La reconnaissance de cette obligation est exprimée d’une manière confuse et imparfaite (…) par ce qu’on nomme les droits positifs. » mais elle ajoutait aussitôt : « Dans la mesure où les droits positifs sont en contradiction avec elle, dans cette mesure exacte ils sont frappés d’illégitimité. (…) La destinée éternelle d’un être humain ne peut être l’objet d’aucune obligation, parce qu’elle n’est subordonnée à des actions extérieures. ».


Le respect est tout

La clef dans son raisonnement, c’est ce petit mot qui, pour tous, est un élément essentiel de "bien vivre" : « Le fait qu’un être humain possède une destinée éternelle n’impose qu’une seule obligation ; c’est le respect. L’obligation n’est accomplie que si le respect est effectivement exprimé, d’une manière réelle et non fictive ; il ne peut l’être que par l’intermédiaire des besoins terrestres de l’homme. ».

Simone Weil ainsi constatait que dans toute l’histoire des êtres humains (chez les Égyptiens, chez les chrétiens etc.), il y a obligation par exemple de secourir un proche affamé si on est dans la possibilité de lui donner à manger etc.

De là, la jeune philosophe a entamé une étude pour présenter non seulement les besoins physiques (la nourriture, le sommeil, la chaleur) mais surtout les besoins pour la vie de l’âme qu’il ne faudrait pas confondre avec les désirs, les caprices, les fantaisies et les vices, ce qui lui permettait de terminait fort à propos son introduction :

« L’absence d’une telle étude [des besoins de l’âme] force les gouvernements, quand ils ont de bonnes intentions, à s’agiter au hasard. ».


Mort et travail

Dans la conclusion de l’ouvrage, Simone Weil mettait en parallèle la violence du travail et la mort : « La pensée humaine domine le temps et parcourt sans cesse rapidement le passé et l’avenir en franchissant n’importe quel intervalle ; mais celui qui travaille est soumis au temps à la manière de la matière inerte qui franchit un instant après l’autre. C’est par là surtout que le travail fait violence à la nature humaine (…). Le consentement à la mort, quand la mort est présent et vue dans sa nudité, est un arrachement suprême, instantané, à ce que chacun appelle moi. Le consentement au travail est moins violent. Mais là où il est complet, il se renouvelle chaque matin tout au long d’une existence humaine, jour après jour, et chaque jour il dure jusqu’au soir, et cela recommence le lendemain, et cela se prolonge souvent jusqu’à la mort. (…) Immédiatement après le consentement à la mort, le consentement à la loi qui rend le travail indispensable à la conservation de la vie est l’acte le plus parfait d’obéissance qu’il soit donné à l’homme d’accomplir. ».


Quelques autres citations

Toujours dans "L’Enracinement" : « Un homme qui serait seul dans l’univers n’aurait aucun droit, mais seulement des obligations. ».

Dans "La Pesanteur et la Grâce" :

« La beauté, c’est l’harmonie du hasard et du bien. »

« La pureté est le pouvoir de contempler la souillure. »

« L’homme voudrait être égoïste et ne peut pas. C’est le caractère le plus frappant de sa misère et la source de sa grandeur. »

« Nous ne possédons rien au monde – car le hasard peut tout nous ôter – sinon le pouvoir de dire je. »

Dans "Oppression et Liberté" :

« Les collectivités ne pensent point. »

« On pense aujourd’hui à la révolution, non comme à une solution des problèmes posés par l’actualité, mais comme à un miracle dispensant de résoudre les problèmes. »


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (3 février 2009)


Pour aller plus loin :

Pour télécharger "L’Enracinement" de Simone Weil (écrit en 1943, publié en 1949).

Biographie de Simone Weil par Alain Vernet.

"La Condition ouvrière" de Simone Weil (écrit de 1934 à 1942, publié en 1951).

"Écrits politiques et historiques" de Simone Weil (écrit en 1943, publié en 1960).

"Sur la Science" de Simone Weil (écrit de 1934 à 1942, publié en 1966).

"Attente de Dieu" de Simone Weil (écrit en 1942, publié en 1966).

"Réflexions sur la cause de la liberté et de l’oppression sociale" de Simone Weil (écrit en 1934, publié en 1955).





http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=51039


http://www.lepost.fr/article/2009/02/03/1410289_seul-est-eternel-le-devoir-envers-l-etre-humain-comme-tel.html

http://www.kydiz.com/article/2130-Seul-est-eternel-le-devoir-envers-l-etre-humain-comme-tel.htm



 



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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 04:38


http://fr.wikipedia.org/wiki/Simone_Weil

Simone Weil
Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Pour les articles homonymes, voir Weil.
Ne pas confondre avec Simone Veil, la femme politique.

Simone Weil (Paris, le 3 février 1909 - Ashford, le 24 août 1943) est une philosophe française, sœur du mathématicien André Weil.

Sommaire

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Biographie [modifier]

Simone Weil est née en 1909 dans une famille d'origine juive. Élève d’Alain (Émile Chartier), elle entre à l’École normale supérieure[1], passe l’agrégation de philosophie en 1931 et commence une carrière d’enseignante dans divers lycées.

Elle passe quelques semaines en Allemagne au tout début des années 1930 ; à son retour, avec beaucoup de lucidité, elle exprime dans plusieurs articles ce qui risquait d'y arriver. Abandonnant provisoirement sa carrière d'enseignante, en 1934 et 1935, elle est ouvrière chez Renault et en 1941 ouvrière agricole afin de pouvoir "parler de la cause ouvrière en connaissance de cause" [2].

Sa mauvaise santé l'empêche de poursuivre le travail en usine. Elle recommence à enseigner, et donne une grande partie de ses revenus à des personnes dans le besoin. Solidaire des syndicats ouvriers, elle se joint en 1935 au mouvement de grève générale contre le chômage et les baisses de salaire. En 1937, elle collabore au Nouveaux cahiers, revue économique et politique défendant une collaboration économique franco-allemande.

D'abord pacifiste radicale, puis syndicaliste révolutionnaire, elle plaide finalement pour un « réformisme révolutionnaire » : les faibles sont trop opprimés pour avoir même la volonté de se révolter, et pourtant il faut que ce soit eux-mêmes qui prennent en main leur révolution. Il faut donc déjà créer des conditions moins oppressives par des avancées réformistes, pour ensuite permettre une révolution responsable, moins précipitée et moins violente.

Syndicaliste de l’enseignement, elle est favorable à l’unification syndicale et écrit dans la revue L’Ecole émancipée. Communiste anti-stalinienne, elle participe à partir de 1932 au Cercle communiste démocratique de Boris Souvarine, qu’elle a connu par l’intermédiaire de Nicolas Lazarévitch. Elle travaille quelques mois en usine pour étudier dans sa chair la condition ouvrière, et s’implique dans la grève générale de 1936. Elle milite avec passion pour un pacifisme intransigeant, mais s’engage dans la Colonne Durruti lors de la guerre civile Espagnole pour combattre le coup d'État de Franco. Bien que républicaine, elle s'interpose alors pour éviter qu'un prêtre franquiste soit injustement fusillé.

Gravement brûlée après s'être renversé de l'huile bouillante sur le pied, elle doit repartir assez rapidement pour la France, sans avoir tiré un coup de feu.

Juive, lucide sur ce qui se passe en Europe, elle est sans illusion sur ce qui la menace, elle et sa famille, dès le début de la guerre.

Quand en 1940 elle est obligée de fuir Paris et de se réfugier à Marseille, elle écrit sans discontinuer pour exposer dans des pages brûlantes une philosophie qui se veut projet de réconciliation (douloureuse) entre modernité et tradition chrétienne, souvent lue à travers le prisme de l’humanisme grec qu’elle garde pour boussole. En 1942, elle emmène ses parents en sécurité aux États-Unis, mais, refusant un statut qu’elle sent trop confortable en ces temps de tempêtes, elle se rend en Grande-Bretagne, plus près du théâtre des opérations et travaille comme rédactrice dans les services de la France libre. Son intransigeance dérange. Elle démissionne de l'organisation du général de Gaulle en juillet 1943.

Cette période terminale de sa courte vie est celle où elle rencontre le Christ, où, comme elle le dit elle-même, le Christ s’empare d’elle. Mais sa foi n'acceptera pas les aspects institutionnels de l'Église. Elle se tiendra sur le seuil de l'Eglise jusqu'au jour de sa mort où elle est baptisée en état d'inconscience. Chrétienne, posant des questions embarrassantes aux chrétiens, elle sera après sa mort réfutée par des historiens de l'Église qui lui reprocheront de ne pas avoir bien compris l'histoire de l'Église.

Cette dimension du refus de la force, qu'elle assimile à la violence, est une constante de la pensée de Simone Weil. Bien qu'elle eût d'abord une perception mitigée de la non-violence de Gandhi, qu'elle jugea plus réformiste que révolutionnaire, elle rencontrera notamment plusieurs fois Lanza del Vasto à la fin de sa vie.

Atteinte de tuberculose, elle meurt d'un arrêt cardiaque au sanatorium d'Ashford, en 1943. Soucieuse de partager les conditions de vie de la France occupée, elle est déçue par le refus de l'entourage de De Gaulle (Schuman, Cavallès, André Philip), de la laisser rejoindre les réseaux de résistance. En effet, elle aurait probablement été rapidement capturée par la police allemande, identifiée comme juive et donc probablement déportée. À la suite de ce refus, elle considère que sa vie est vide de sens et se sous-alimente volontairement, ce qui aggrave son état de santé.

Ses ouvrages les plus importants sont tous parus après sa mort.

Œuvres [modifier]

  • 1934 - Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale, Coll. Idées, Paris, Gallimard, 1955.
  • 1947 - La Pesanteur et la Grâce, préface de Gustave Thibon, Paris, Plon.
  • 1949 - L'Enracinement. « Prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain », Paris, Gallimard ; Coll. Idées, Paris, Gallimard, 1968.
  • 1949 - Attente de Dieu, introduction de Joseph-Marie Perrin, O. P. Paris, La Colombe, Éd. du Vieux Colombier ; Paris, Fayard, 1966.
  • 1950 - La Connaissance surnaturelle, Coll. Espoir, Paris, Gallimard.
  • 1951 - Intuitions pré-chrétiennes, Paris, La Colombe, Éd. du Vieux-Colombier, 1951.
  • 1951 - Cahiers, I, Coll. L'Épi, Paris, Plon, 1951 ; nouvelle éd. revue et augmentée, 1970.
  • 1951 - Lettre à un religieux, Coll. Espoir, Paris, Gallimard 1951 ; Coll. « Livre de Vie », Paris, Éd. du Seuil, 1974.
  • 1951 - La Condition ouvrière, avant-propos d'Albertine Thévenon, Coll. Espoir, Paris, Gallimard, 1951 ; Coll. Idées, Paris, Gallimard, 1972[3].
  • 1953 - La Source grecque, Paris, Gallimard.
  • 1953 - Cahiers, II, Coll. L'Épi, Paris, Plon, 1953 ; nouvelle éd. revue et augmentée, 1972.
  • 1955 - Oppression et liberté, Coll. Espoir, Paris, Gallimard, 1955.
  • 1955 - Venise sauvée, Gallimard.
  • 1956 - Cahiers, III, Coll. L'Épi, Paris, Plon, 1956 ; nouvelle éd. revue et augmentée, 1974.
  • 1957 - Écrits de Londres et dernières lettres, Coll. Espoir, Paris, Gallimard.
  • 1959 - Leçons de philosophie (Roanne 1933-1934), transcrites et présentées par Anne Reynaud-Guérithault, Paris, Plon 1959 ; Coll. 10/18, Paris, UGD, 1970.
  • 1960 - Écrits historiques et politiques, Coll. Espoir, Paris, Gallimard, 1960.
  • 1962 - Pensées sans ordre concernant l'amour de Dieu, Paris, Gallimard.
  • 1966 - Sur la science, Paris, Gallimard.
  • 1988 - Œuvres complètes, Paris, Gallimard. Tome 1 : Premiers écrits philosophiques, Tome 2 : Écrits historiques et politiques.
  • 2006 - Note sur la suppression générale des partis politiques, Paris, Climats.

Voir aussi [modifier]

Articles connexes [modifier]

Liens externes [modifier]

Bibliographie [modifier]
  • Simone Weil, Œuvres, Gallimard, collection Quarto, 1999
  • Simone Weil, Œuvres complètes, Gallimard, 17 volumes prévus, 1988-?
  • Simone Weil, Les Besoins de l'âme, Folio plus philosophie, 2007, Dossier établi par Martin Steffens
  • Jean-Marie Muller, Simone Weil : l'exigence de non-violence, Desclée de Brouwer, 1995.
  • Julien Molard, Simone Weil : en quête de vérité : texte intégral de son "Autobiographie spirituelle", présenté et analysé par Julien Molard, Paris, éd. Parole et silence, coll. « Cahiers de l'École cathédrale », n° 66, 2005, 148 p., 21 cm. (ISBN 2-84573-226-0)
  • Simone Pétrement, La Vie de Simone Weil, Paris, Fayard, 1973.
  • Miklos Vetö, La Métaphysique religieuse de Simone Weil, Paris, L'Harmattan, 1997.
  • Philippe de Saint-Robert, La Vision tragique de Simone Weil, Paris, éd. François-Xavier de Guibert, 1999.
  • Mary-Magdaleine Davy, Simone Weil, Paris, éd. Universitaires, 1956.
  • Mary-Magdaleine Davy, Introduction au message de Simone Weil, Paris, éd. Universitaires, 1954.
  • Charles Jacquier (sous la direction de), Simone Weil, l’expérience de la vie et le travail de la pensée, Paris, Éditions Sulliver, 1998.
  • Emmanuel Gabellieri, "Être et don, Simone Weil et la philosophie", Louvain-Paris, Ed. de l'institut superieur de philosophie de Louvain-la-neuve, 2003.
  • Corinne Pasqua, Simone Weil, biographie imaginaire : Souvenirs de celle que je n'ai pas rencontrée, Paris, L'Harmattan, 2005.

Notes et références [modifier]

  1. Arrivée deuxième du concours d'entrée, elle y devance Simone de Beauvoir, arrivée troisième.
  2. Les besoins de l'âme, Folio Plus Philosophie, Dossier p.94-95
  3. Texte disponible en ligne
Dernière modification de cette page le 9 septembre 2008 à 08:10.
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28 janvier 2009 3 28 /01 /janvier /2009 07:52

Oui, vous l'avez bien deviné, ce bon grand-père qui promène son chien avec madame en portant un jeans est bien l'ancien Président de la République Jacques Chirac. Serait-ce l'une des dernières images de ce personnage politique si présent pendant une quarantaine d'années de paysage politique ? Un peu à l'instar du voyage en Irlande du général De Gaulle ?


Quant au chien des Chirac, il n'est pas vraiment gentil. C'est ici :

Chirac trahi par son plus fidèle compagnon.


SR


http://www.lepost.fr/article/2009/01/28/1403520_promenade-de-toutou-par-chirac.html



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15 décembre 2008 1 15 /12 /décembre /2008 13:59

(dépêche)



Décès du Pr Claude Olievenstein, le "psy des toxicos"

15 déc. 2008 - il y a 9 heures 28 min

Le professeur Claude Olievenstein, le "psy des toxicos", fondateur du centre Marmottan pour le traitement des toxicomanes à Paris, est décédé dimanche dans la capitale à l'âge de 75 ans, a-t-on appris lundi auprès de Marc Valleur, médecin-chef de Marmottan.

Portrait daté du 19 novembre 1994 du Professeur Claude Olievenstein.

Le Pr Olievenstein "est mort vers 16H30-17H00 dimanche en soins palliatifs" à Jeanne-Garnier, une clinique privée du XVe arrondissement, a déclaré à l'AFP le Dr Valleur. "Il était atteint depuis une dizaine d'années d'une maladie de Parkinson invalidante et était quasi inconscient ces dernières semaines".

Claude Olievenstein fut l'un des pionniers, au début des années 1970, d'une méthode de prise en charge des jeunes toxicomanes. Il avait créé le centre pour toxicomanes de Marmottan en juillet 1971 alors qu'un mouvement dans l'opinion publique s'était ému de décès par overdose chez des jeunes gens.

"Olievenstein dans le monde de la toxicomanie, c'est un peu Big Ben qui s'arrête", a estimé Marc Valleur, qui avait succédé en 2001 au "docteur Olive" lorsque ce dernier avait pris sa retraite.

Claude Olievenstein était né le 11 juin 1933 à Berlin. Après des études à la faculté de médecine de Paris, il avait consacré, comme psychiatre, toute sa carrière au traitement des toxicomanes.

Il était l'auteur de plusieurs ouvrages dont "La drogue" (1970), "Il n'y a pas de drogués heureux" (1977).

Il était chevalier de la Légion d'honneur, officier de l'ordre national du Mérite et décoré de la Croix de la Valeur militaire.

Les premières réactions au décès du Pr Claude Olievenstein, recueillies par l'AFP, rendent hommage au pionnier de la prise en charge des toxicomanes et créateur du centre Marmottan en 1971, un "grand humaniste".

- Marc Valleur, médecin-chef de Marmottan, successeur du Pr Olievenstein:

"Olievenstein, dans le monde de la toxicomanie, c'est un peu Big Ben qui s'arrête. C'est le fondateur de tout un champ d'intervention, il a été très discuté mais sans lui le champ des addictions ne serait pas ce qu'il est. Marmottan, ce n'était pas conformiste".

- Etienne Apaire, président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) :

"Je rends hommage à l'un des précurseurs de la lutte contre la toxicomanie. Il a accompagné le développement de la consommation des drogues dans ce pays.

Il a à la fois déromantisé l'usage de la drogue en rappelant qu'il n'y avait pas de drogués heureux (titre de l'un de ses livres publié en 1977, ndlr) et contribué à rappeler que les toxicomanes étaient des individus qui devaient et pouvaient être aidés.

C'est le départ d'un grand humaniste que nous saluons à la Mildt, un des grands anciens qui ont ouvert la voie, et on s'inscrit dans cette histoire: nous essayons de faire que la question des drogues ne soit pas tabou dans ce pays.

Dans notre imaginaire à tous dans le champ de la toxicomanie, c'est quelqu'un qui a beaucoup compté et surtout par cette approche à la fois déculpabilisante mais qui nous invitait à réagir."

- Dr Denis Méchali, chef du service des maladies infectieuses et tropicales (SMIT) de l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis:

"C'était un type extrêmement engagé qui défendait une position humaniste et optimiste en la personne humaine. Sa posture en retrait sur la substitution était peut-être une erreur technique ou une erreur de timing par rapport à l'urgence d'une politique de réduction des risques mais était bien dans la lignée d'un homme qui s'est battu pour les toxicomanes, pour qu'ils soient avant tout reconnus comme des personnes en souffrance".


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11 décembre 2008 4 11 /12 /décembre /2008 07:12

Le 1er décembre 2008, avec six mois de retard, j'apprenais par hasard le décès d'un ancien sénateur que j'avais connu en Lorraine.

L'ancien député et ancien sénateur de Meurthe-et-Moselle Hubert Martin est mort le 8 juin 2008 à 96 ans.

Rappelons que son collègue départemental et sénatorial Roger Boileau est mort le 12 septembre 2001 à 87 ans, le lendemain des attentats du World Trade Center.

Roger Boileau et Hubert Martin étaient deux sénateurs UDF, le premier au Centre des démocrates sociaux, le second au Parti républicain. Ils sont entrés au Sénat en même temps, en septembre 1974, et ont quitté le Sénat aussi en même temps, en septembre 1992, respectivement à 78 ans et 80 ans, après deux mandats de neuf ans.

Deux souvenirs à propos d'eux.

 

A la fin des années 1980, un samedi après-midi, on reçut un coup de téléphone. Pour travailler tranquillement, j'avais donné pour consigne de ne pas me transmettre les appels téléphoniques. Mais on insista avec un peu de gêne auprès de moi pour prendre la communication : c'était le sénateur Roger Boileau qui me téléphonait pour savoir où il devait me déposer quelques enveloppes vides. J'étais très étonné qu'un parlementaire ne trouvât rien de mieux à faire un samedi après-midi qu'à s'occuper de papeterie... fort serviablement d'ailleurs.

L'autre souvenir se déroulait lors d'une réunion politique dans une salle dorée de Nancy. Belle salle avec tapis rouge dans l'unique allée centrale. Les deux sénateurs, un peu taquins l'un avec l'autre, s'étaient assis au premier rang, chacun près de l'allée centrale qui les séparait. Et j'ai pu observer que parfois énervé par l'autre, chacun essayait de se donner des petits coups de cannes.


Je ne remets pas en cause les qualités de ces deux anciens sénateurs aujourd'hui disparus, mais simplement je m'interroge sur le fait qu'ils ont donné une bien mauvaise image du Sénat à l'époque et qu'à plus de 75 ans, il était temps d'arrêter...


Resquiescant in Pace.



Hubert MARTIN

Ancien sénateur de la Meurthe-et-Moselle

Etat-Civil   
Né le 23 février 1912
Décédé le 8 juin 2008
 
Situation en fin de mandat   
Membre de la commission des affaires culturelles
Membre du Groupe de l'Union des Républicains et des Indépendants
 
Election    
Elu le 22 septembre 1974; 
Réélu le 25 septembre 1983; 
Fin de mandat le 1er octobre 1992 (Ne se représente pas) . 
 
Profession    
Médecin

Fonctions antérieures 
Député


Roger BOILEAU

Ancien sénateur de la Meurthe-et-Moselle

Etat-Civil   
Né le 1er juin 1914
Décédé le 12 septembre 2001
 
Situation en fin de mandat   
Membre de la commission des affaires culturelles
Membre du Groupe de l'Union Centriste
 
Election    
Elu le 22 septembre 1974; 
Réélu le 25 septembre 1983; 
Fin de mandat le 1er octobre 1992 (Ne se représente pas) . 
 
Profession    
Pharmacien 
 

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20 octobre 2008 1 20 /10 /octobre /2008 23:31

« Fends le cœur de l’homme, tu y trouveras un soleil. »

Foi en l’Homme, justice, solidarité, respect des autres, liberté de pensée… quelques valeurs que cette presque centenaire a transmises à des centaines de milliers d’enfants de ce monde avec un optimisme incroyable et une chaleur communicative.


Sœur Emmanuelle s’est éteinte dans la nuit du 19 au 20 octobre 2008 dans sa maison de retraite, à Caillan, dans le Var, au sud de la France. Elle aurait atteint 100 ans dans un petit mois, le 16 novembre 2008.

Il est toujours difficile d’évoquer une femme de cette envergure sans écrire des platitudes.


Dans mon Panthéon des femmes exceptionnelles

Je la placerais volontiers sur la même montagne olympienne que Germaine Tillion, Mère Teresa, Geneviève Anthonioz-De Gaulle ou Irena Sendlerowa, celle des grandes dames du XXe siècle qui ont donné un sens à leur existence, et qui l’ont consacrée au service des autres, de ceux qui en ont eu le plus besoin. Qui sont à la fois l’honneur des femmes libres et volontaires et l’honneur des êtres humains tout simplement.


Un début d’existence assez classique

Cette petite dame toute rabougrie mais aux yeux pétillants de vie est née dans une famille plutôt aisée à Bruxelles sous le nom officiel de Madeleine Cinquin.

Elle passe son enfance à Bruxelles, Londres (à cause de la Première guerre mondiale) et Paris. Elle se comporte alors comme une midinette gâtée et capricieuse, aimant s’acheter de beaux vêtements et danser avec de jolis garçons.

Sa mère lui dit même : « Telle que je te connais, tu t’intéresseras moins aux livres qu’aux moustaches ! ».


Religieuse et prof

Elle décide cependant d’entrer au couvent à l’âge de 20 ans. Sa mère n’est pas vraiment d’accord, elle la voyait mariée à une autre famille bourgeoise. Elle avait perdu son père à l’âge de 6 ans sous ses yeux dans la mer du Nord, mais ce n’est pas la disparition de son père qui l’aurait motivée. Et à 22 ans, elle devient Sœur Emmanuelle, de la congrégation Notre-Dame de Sion.

Elle expliquera ainsi sa vocation : « Je voulu, moi, m’appuyer sur ce qui ne me trompera jamais. Jamais ! J’ai choisi Dieu. (…) Je voulais l’Absolu. Et sur Terre, l’homme, quel qu’il soit, ne peut pas vous apporter l’Absolu. ».

Sœur Emmanuelle passe toute sa vie active dans l’enseignement des lettres : dans un lycée d’Istanbul en 1932, puis à Tunis en 1960, puis à Alexandrie en 1965.

En Tunisie, elle tombe amoureuse d’un de ses collègues professeurs qu’elle trouve intelligent, fin et séduisant. Elle réfléchit alors beaucoup durant une nuit : « J’avais choisi Dieu, je ne voulais pas changer de route. Je ne regrette rien. Je suis fière de m’être prise en main. Cela a été un peu difficile, mais on peut y arriver si on a un choix de vie. ».


Beaucoup de compassion pour les plus démunis

Elle est très affectée par les pauvres qu’elles côtoient quotidiennement et essaie de sensibiliser ses élèves issus de familles privilégiées à la condition extrêmement précaires des exclus : « Tant qu’à les former, je vais leur apprendre à regarder vers les autres, à défendre la place de la femme dans la société, à s’occuper des miséreux. ». Elle n’a pas réussi à être affectée auprès des plus démunis par sa congrégation. La Supérieure lui explique qu’elle fera plus pour les pauvres en instruisant les enfants de la classe privilégiée qu’en faisant ce que d’autres pourraient faire à sa place.

Lorsqu’elle arrive à la retraite, en 1971, Sœur Emmanuelle décide de rester en Égypte dont elle se sent attachée. Elle veut d’abord soigner des lépreux au Caire, mais la zone est militarisée, c’est trop difficile d’obtenir les nombreuses autorisations.

Elle décide alors de partager sa vie avec les chiffonniers du Caire dans le bidonville d’Ezbet el-Nakhl, dans la plus grande pauvreté. Un quatre mètres carré aux milieux des puces, des rats et des chiens, à côtoyer la misère de la drogue et de l’alcool, des femmes battues et des enfants saouls.

Elle cherche à améliorer leurs conditions de vie, de santé, d’éducation. Elle se fait rapidement accepter par eux grâce à sa grande ouverture. Elle utilise son énergie à faire construire des écoles, des dispensaires et cherche à favoriser le dialogue entre juifs et musulmans.

Dans les pays difficiles, où règnent la chaleur, la pauvreté et la promiscuité, Sœur Emmanuelle y développe aussi un extraordinaire optimisme : « Vous savez, en Occident, on ne sait plus rire. Là-bas, on riait beaucoup. ».

Cinq ans plus tard, elle fait la rencontre (essentielle) de Sœur Sarah (Sarah Ayoub Ghattas), une sœur supérieure copte francophone d’origine aisée qui la rejoint et accepte de gérer la communauté, ce qui permet à Sœur Emmanuelle de parcourir le monde pour chercher des aides et de professionnaliser ses actions en recherchant des successeurs et en implantant son association (créée en 1980) dans plusieurs pays.


Une retraite très peu inactive

En 1993, alors qu’elle aurait préféré mourir dans son bidonville, Sœur Emmanuelle doit quitter l’Égypte (l’obéissance est l’un des vœux qui peut peser le plus chez les âmes indépendantes) et se retire en France où elle continue ses actions d’aide aux plus défavorisés (notamment les sans-papiers et les sans-abris) et d’encouragement à l’engagement des bénévoles pour développer cette aide. Elle passe beaucoup de temps à la prière et à la méditation. Sœur Sarah continuera à s’occuper des chiffonniers du Caire.

Parallèlement aux conférences et rencontres qu’elle fait, Sœur Emmanuelle rédige quelques bouquins pour expliquer son engagement et sa foi. Et surtout, pour aider ses actions de solidarité. Elle intervient dans les médias qui en font un peu l’alter ego féminin de l’abbé Pierre.

Selon Frédérique Neau-Dufour dans sa biographie de Geneviève Anthonioz-De Gaulle, Sœur Emmanuelle aurait même convaincu Jacques Chirac en 1995 de baser sa campagne présidentielle sur la fracture sociale (un thème cher également à Philippe Séguin).


Reconnaissance des hommes

La République française a "largement" décoré cette femme exceptionnelle avec la Légion d’honneur, devenant commandeur le 1er janvier 2002 (des mains de Jacques Chirac qu’elle tutoyait comme tous ses autres interlocuteurs, car en arabe, tout le monde se dit toujours "tu") puis grand officier le 31 janvier 2008 (des mains de Nicolas Sarkozy).

Mais pour elle, ces honneurs ne devaient pas valoir pas grand chose comparés au sourire d’un enfant qu’elle aurait croisé.

Sœur Emmanuelle, c’était une dame qui ne regardait pas les titres pour s’adresser à une personne, qui considérait tout le monde égal, avec la même dignité.

Elle a compris très vite (comme d’autres "religieux médiatiques" tels que Mgr Jacques Gaillot ou l’abbé Pierre) que les médias étaient une caisse de résonance formidable et le revers de la médaille : « L’orgueil se glisse partout. J’ai beau être une religieuse, quand on parle de moi, ça me fait plaisir. ».

Jean-Marie Cavada, Patrick Poivre d’Arvor, Michel Drucker, Bernard Pivot… tous les grands présentateurs l’ont invités à partir de 1990 sur les plateaux de télévision.

Jacques Delors a avoué avoir été très impressionné par la religieuse, Danièle Mitterrand et Charles Pasqua ont été sous le charme et un autre interlocuteur expliqua : « Elle vous secoue, vous charme et vous cannibalise. ».

Sœur Emmanuelle analysait les conséquences de sa médiatisation ainsi : « Je me suis calmée peu à peu. Je dis bien : peu à peu. Pas en un jour. L’orgueil aussi. Depuis des années, quelque chose de terrible m’est arrivé : je suis devenue médiatique. Pour servir les autres, j’ai brassé des millions, parcouru la planète, rencontré ceux que l’on appelle les plus grands, les plus puissants et les plus célèbres en tout cas. Cela m’a donné un sentiment grisant. Pourtant, aujourd’hui, j’en mesure les limites. ».


Une religieuse très libre et pragmatique

Elle était d’une grande gentillesse, mais elle n’était pas forcément consensuelle. Capable de dire les choses parfois crûment, elle avait avant tout un sens humain hors du commun et un esprit très pragmatique. Elle n’a jamais cherché à faire évoluer les choses d’en haut, mais d’en bas. Elle était capable de secouer les gens par ses paroles. Adepte du fameux "Aide-toi et le ciel t’aidera !".

Son esprit d’indépendance, elle l’aurait trouvé dans la mort de son père et quelques jours après, dans la crainte de voir sa mère mourir également lors de la traversée de la Manche pour fuir les Allemands en décembre 1914 : « Je crois qu’à partir de ce moment s’est développé en moi un grand esprit d’indépendance : l’hypothèse de me retrouver seule, vous comprenez ? ».

Tout en étant très engagée religieusement, Sœur Emmanuelle était un "soldat" du terrain, qui voyait les problèmes concrètement. Elle avait observé qu’il existait beaucoup de prêtres mariés en Orient et que cela ne gênait personne, sauf qu’ils arrivaient parfois en retard à la messe !

Sœur Emmanuelle aimait beaucoup raconter à ses interlocuteurs qu’elle avait écrit une belle lettre au pape Jean-Paul II qu’elle admirait beaucoup pour lui expliquer qu’il était nécessaire de distribuer la pilule contraceptive et le stérilet au Caire, car elle voyait beaucoup de petites filles mariées dès l’âge de 11 ans (pour la dot), et qu’elles faisaient des enfants très tôt et très nombreux, à forte mortalité (plus de la moitié), et qu’il fallait stopper cela.

Elle n’avait jamais reçu de réponse de la part du pape mais « je sais qu’il a reçu ma lettre, parce que je la lui ai fait apporter par un intermédiaire qui le connaissait très bien. » [ma supposition personnelle : Jacques Delors ?]. Ce qui lui fit conclure ainsi : « S’il ne me répond pas, c’est qu’il ne peut pas, que sa fonction l’en empêche. Mais en ne condamnant pas, il approuve. ».


Rebelle et révolutionnaire

Son franc-parler pouvait choquer comme lorsqu’elle racontait, à propos d’un charter de retour des Philippines rempli de notables venus abuser d’enfants : « Si j’avais eu une bombe à ma disposition, j’aurais, comme les kamikazes, fait sauter l’avion ! ».

Ou alors : « Un jour, à Genève, j’ai dit devant une assemblée très convenable : si je ne trouve pas 30 000 dollars, il ne me restera plus qu’à faire un hold-up. Alors là, j’ai eu du succès et j’ai eu les 30 000 dollars. ».

Elle détestait ces bons chrétiens qui ne faisaient rien pour les pauvres : « Qu’un homme soit riche et égoïste, c’est son affaire. Mais qu’il ose se dire chrétien et s’achète une bonne conscience en allant à la messe, cela je ne le supporte pas. Et je gueule ! Qu’on relise donc saint Matthieu ! C’est révolutionnaire, saint Matthieu ! J’ai eu faim, soif, froid et tu es venu vers moi… Ce n’est pas une question de messe, mais une question d’entraide et d’amour des autres. ».

La révolution, elle aurait voulu la faire si elle avait été plus jeune et elle l’avait encouragée : « Je sais bien que je ne fais que colmater des brèches sans ébranler l’injustice sur laquelle est bâti le monde. Mais je compte sur les jeunes. Je leur dis : ayez des diplômes, maîtrisez plusieurs langues et infiltres-vous dans les sociétés et organisations internationales. C’est vous qui pourrez insuffler d’autres valeurs, influencer les gouvernants. Ah ! Si j’avais été plus jeune, j’aurais moi-même rencontré les présidents de pays producteurs de coton pour les inciter à s’entendre sur son cours, scandaleusement bas ! ».


L’islam et le foulard

Sœur Emmanuel considérait l’islam comme une religion non violente : « Par essence, le musulman n’est ni un violent, ni un fanatique. J’en au connu des milliers. Seulement, chaque homme, surtout jeune, est enclin à libérer ses instincts primaires. ».

Elle se gardait d’ailleurs bien de faire du prosélytisme et d’essayer de convertir des musulmans : « Cela n’est vraiment pas un service à rendre en terre d’islam ! Ce serait comme arracher un arbre à sa terre, les couper de leur milieu, peut-être les condamner à mort. ».

Et elle était contre l’interdiction du foulard à l’école : « N’est-il pas essentiel de respecter celui qui pense autrement ? Si aujourd’hui j’étais chrétienne à l’école, je porterais un voile uniquement par instinct de liberté. ».


Pas la peur de mourir, mais celle de souffrir

Dans "L’Express", Jacques Duquesne qui a interviewé Sœur Emmanuelle pour un livre d’entretiens prévu pour ses 100 ans affirme qu’elle avait surtout peur de l’agonie : « Elle est morte sans souffrir, comme elle le souhaitait. Elle a été exaucée. ».

En regardant sa vie si intense, Sœur Emmanuelle se réfugiait dans l’humilité : « J’aurais pu mieux faire, j’aurais dû mieux faire ! Mais j’ai fait ce que mon cœur et Dieu me dictaient ! ».

Car ce qui était essentiel à ses yeux, c’est que ces soixante-dix mille enfants dans le monde dont elle avait la charge, ils puissent bénéficier d’autres Sœur Emmanuelle, d’autres mères pour les soulager de la misère et de la pauvreté.


« Je sens maintenant ma barque s’éloigner peu à peu du rivage »

Sœur Emmanuelle voulait délivrait ce message : « J’ai eu une vie heureuse. Je ne peux que répéter qu’il faut donner aux autres optimisme, volonté et amour. (…) Sans partage, sans solidarité, on ne peut pas faire progresser l’humanité, il faut donc s’acharner. ».


Et pour elle, ce qu’elle avait vécu dans son bidonville, c’était un peu comme ce que pourrait être le paradis qu’elle vient maintenant de rejoindre : « La joie régnait, une joie profonde, qui tenait à la solidarité. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 octobre 2008)


Pour aller plus loin :

Sœur Emmanuelle par elle-même (L’Express, 14 août 2008).

Articles du Monde et de L’Express sur Sœur Emmanuelle (20 octobre 2008).

Vidéo sur la religieuse.


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