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3 octobre 2024 4 03 /10 /octobre /2024 13:29

« Clap de fin pour Didier Raoult ou sanction purement symbolique qui ne changera rien ? La communauté médicale et scientifique est soulagée mais aussi partagée après les deux années d’interdiction d’exercice de la médecine infligées au chantre de l’hydroxychloroquine. » (article de Nicolas Berrod, le 3 octobre 2024 dans "Le Parisien").



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À la retraite depuis quelque temps (il a 72 ans, a dû quitter la direction de l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection le 1er septembre 2022 qu'il dirigeait depuis sa fondation le 30 novembre 2011 et a pris sa retraite de professeur des universités et praticien hospitalier le 1er septembre 2021), le professeur Didier Raoult, célèbre microbiologiste très médiatique, s'est vu condamner à une peine de deux ans d'interdiction d'exercer la médecine à partir du 1er février 2025 par la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins. C'est du moins ce qu'a indiqué le journal "Le Parisien" le jeudi 3 octobre 2024.

De quoi s'agit-il ? Entre autres reproches faits à Didier Raoult, le fait de promouvoir l'hydroxychloroquine comme traitement contre le covid-19. Dès février 2020, Didier Raoult a semé le doute et la confusion avec ses déclarations intempestives : « C’est efficace sur les coronavirus avec 500 milligrammes de chloroquine par jour, pendant 10 jours. C'est probablement l'infection respiratoire la plus facile à traiter. (…) Donc ce n’est pas la peine de s’exciter pour mettre les vaccins dans dix ans. Il faut travailler, voir les molécules potentiellement actives et qui sont immédiatement disponibles sur le marché. La seule chose que je vous dis : faites attention, il n’y aura bientôt plus de chloroquine dans les pharmacies. ». La plus facile à traiter ? Un peu léger, le professeur. Rappelons que plus de 15 millions de personnes sont mortes dans le monde de cette pandémie.

L'hydroxychloroquine n'a jamais été efficace contre le covid-19, et les
vaccins n'ont pas mis dix ans mais moins d'un an pour arriver sur le marché. Didier Raoult a joui de nombreux soutiens, d'abord des gens du Sud face aux gens de Paris, dans une sorte de démagogie anti-etablishment à laquelle se sont prêtaient des personnalités comme Christian Estrosi, Renaud Muselier, etc. Mais les réticences contre la vaccination l'ont mis dans le camp des antivax (qu'il n'est pas), très apprécié par tous les complotistes de tout poils, ce qui lui assurait aussi de fortes audiences dans ses vidéos publiées personnellement, en profitant de l'occasion pour remettre en cause la réalité du réchauffement climatique, et donc de son origine anthropique.

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Didier Raoult a été logiquement défendu par tous les extrémismes de la classe politique pour la même raison, par Jean-Luc Mélenchon le 27 mars 2020, et par Jordan Bardella, alors seulement vice-président du RN, qui disait le 28 mai 2024 sur France Inter : « Didier Raoult est à la médecine ce que nous sommes à la politique. ». C'est-à-dire des repris de justice ?

Si Didier Raoult est incontestablement un grand scientifique, il est
fortement contesté pour ses méthodes de management de la recherche, son intégrité (il a été interdit de publier temporairement dans certaines grandes revues scientifiques), sa forte médiatisation alors qu'un médecin doit d'abord soigner, etc.

Lorsqu'il a été condamné à un simple blâme le 3 décembre 2021 en première instance par la chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins de Nouvelle-Aquitaine pour avoir enfreint plusieurs articles du code de déontologie de la profession, le encore directeur de l'IHU a fanfaronné en disant : « C'est une décision qui ménage l'honneur de tous. Je peux continuer à faire mon métier et le Conseil de l'Ordre de se désavoue pas. ». L'Ordre des médecins a alors fait appel, parce qu'il considérait la sanction beaucoup trop légère. Un nouveau procès a eu lieu en juin 2024.


La chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins a donc été beaucoup plus sévère en appel que le jugement en première instance. Concrètement, cela ne changera plus grand-chose car l'infectiologue était déjà à la retraite, mais cela lui a apporté un grand désaveu scientifique à la face de tous, de manière très symbolique.

Cette chambre lui a reproché de nombreuses méconnaissances du code de santé publique.

Première faute : « Depuis la fin du mois de mai 2020, il existe un consensus parmi les autorités scientifiques et réglementaires pour estimer que l'on ne peut retenir un bilan bénéfice/risque favorable à l'hydroxychloroquine dans son utilisation contre le covid-19. Par la suite, en persistant à prescrire cette spécialité malgré les avis répétés et concordants des autorités sanitaires, le Pr Raoult n'a pas établi ses prescriptions selon les données acquises de la science et a méconnu les dispositions de l'article R.4127-8 du code de la santé publique. Il n'a, par voie de conséquence, pas délivré des soins consciencieux, en méconnaissance de l'article R.4127-31 du même code, et a proposé aux patients comme salutaire un médicament insuffisamment éprouvé, en méconnaissance de l'article R.41 27-39 du même code. ».

Deuxième faute : « En persistant à défendre publiquement la prescription d'hydroxychloroquine contre le covid-19 pendant la période de l'épidémie et après la fin de celle-ci, alors que, d'une part, l'absence de bilan bénéfice/risque favorable faisait consensus au niveau national et international et que, d'autre part, l'étude menée à l'IHU de Marseille sur près de 30 000 patients hors de tout protocole randomisé agréé par un comité de protection des personnes (CPP) et autorisé ne permettait pas de tirer des conclusions valides au plan scientifique, le Pr Raoult ne s'est pas fondé, dans ses prises de position publiques, sur des données confirmées, n’a pas fait preuve de prudence et a promu un traitement insuffisamment éprouvé, méconnaissant ainsi les dispositions des articles R.4127-13 et R.4127-14 du code de la santé publique. ».

La chambre a reconnu néanmoins qu'il n'a pas fait « courir de risque injustifié » à ses patients à qui il a prescrit de l'hydroxychloroquine car il « a sciemment écarté du traitement ceux qui présentaient les facteurs de risque les plus élevés » et la posologie « respectait les seuils » ANSM du 30 mars 2020, selon le président de la chambre disciplinaire nationale.

Troisième faute : Il n'a pas demandé aux autorités l'autorisation de mener une étude clinique sur 30 000 patients, un médecin « ne peut participer à des recherches biomédicales sur les personnes que dans les conditions prévues par la loi ».

Quatrième faute : « Il résulte de l'instruction que le Pr Raoult a tenu publiquement à l'égard d'autres établissements ou confrères des propos dépassant le cadre de la liberté d'expression et empreints d'absence de confraternité. Des propos tels que ceux où le Pr Raoult mettait en avant les bons résultats de l'IHU, en les opposant à ceux des hôpitaux parisiens où "ils comptaient les morts" (interview du 7 novembre 2020), ou encore ceux dans lesquels il désignait nommément un confrère médecin en indiquant que celui-ci "a fait des essais dans lesquels des enfants sont morts. Ça ne m'est jamais arrivé" (interview du 30 mai 2023), doivent être regardé comme méconnaissant les dispositions de l'article R.4127-56 du code de la santé publique. ».

Cinquième faute : Par ses remises en cause de la vaccination généralisée et des confinements, le chercheur a « nui par des propos dénués de pondération aux mesures prises par les autorités sanitaires aux fins de protection de la santé publique ».

On a bien vu, pendant la crise sanitaire, que la parole publique d'un scientifique en pleine pandémie avait des répercussions sociales très fortes, notamment dans le degré d'acceptation des contraintes liées à l'épidémie.

Cette sanction d'interdiction d'exercer la médecine « sera notifiée au Pr Didier Raoult, au Conseil national de l'Ordre des médecins, au conseil départemental des Bouches-du-Rhône de l'ordre des médecins, à la chambre disciplinaire de première instance de Nouvelle-Aquitaine de l'ordre des médecins, au directeur général de l'agence régionale de santé de Provence-Alpes-Côte d'Azur, au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille, au ministre chargé de la santé et à tous les conseils départementaux de l'ordre des médecins ».

Didier Raoult est par ailleurs encore sur le grill d'une enquête judiciaire au sujet de
soupçons d'essais cliniques sauvages, c'est-à-dire sans autorisation.

Il est heureux que la justice soit rendue pour toutes les infractions commises par le professeur Didier Raoult pendant la crise sanitaire. C'est aussi cela l'État de droit, des procédures qui sont longues à mener parce que le justiciable a le droit à une défense respectée. L'État de droit protège tous, tant le justiciable que les patients malmenés par un médecin en proie à un messianisme narcissique.

L'argument principal des défenseurs de Didier Raoult, souvent peu connaisseurs de la médecine, c'est la liberté : Didier Raoul aurait dû avoir la liberté de prescrire de l'hydroxychloroquine. C'est stupide, la liberté est un mot complètement galvaudé, invoqué à tort et à travers et le jugement de l'Ordre des médecins le démontre bien. Car à parler sans arrêt de liberté, on en viendrait aussi à la liberté de violer
Philippine et de la tuer, si on va jusqu'au bout du raisonnement où seule la liberté tiendrait face aux autres valeurs.

La liberté, liberté de prescrire, liberté de parler, liberté de dire n'importe quoi, c'est d'ailleurs l'argument populiste par excellence des complotistes de tout poils. À défaut de nouveau traitement efficace contre le covid-19, le professeur Didier Raoult aura au moins inventé un opni (objet pensant non identifié) original : la microbiologie populiste ! Qui l'eut cru ?



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 octobre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Covid-19 : Didier Raoult et des essais cliniques sauvages ?
Publi en preprint (à télécharger) : "Early Treatment with Hydroxychloroquine and Azithromycin: A ‘Real-Life’ Monocentric Retrospective Cohort Study of 30,423 COVID-19 Patients" (4 avril 2023).
Veut-on vraiment virer le professeur Didier Raoult de la direction de l’IHU Méditerranée Infection ?
Covid-19 : la France plus vaccinée qu’Israël.
Les supposés "bons" résultats de l’IHU Méditerranée du professeur Didier Raoult…
Didier Raoult, candidat des populistes à l’élection présidentielle de 2022 ?
Hydroxychloroquine : l’affaire est entendue…
Didier Raoult, médecin ou gourou ?
Hydroxychloroquine : attention au populisme scientifique !
Polémique avec le professeur Didier Raoult : gardons notre sang-froid !
Hydroxychloroquine vs covid-19 : Didier Raoult est-il un nouveau Pasteur ?
Didier Raoult interdit d'exercer !
2e rentrée scolaire contre les papillomavirus humains.
Variole du singe (mpox) : "ils" nous refont le coup ?
Covid : attention au flirt !
Papillomavirus humains, cancers et prévention.
Publications sur le papillomavirus, le cancer du col de l'utérus et l'effet de la vaccination anti-HPV (à télécharger).
Émission "Le Téléphone Sonne" sur la vaccination contre les papillomavirus, sur France Inter le 3 mars 2023 (à télécharger).
Le cancer sans tabou.
Qu'est-ce qu'un AVC ?
Lulu la Pilule.
La victoire des impressionnistes.
Science et beauté : des aurores boréales en France !
Le Tunnel sous la Manche.
Peter Higgs.
Georges Charpak.
Gustave Eiffel.
Prix Nobel de Chimie 2023 : la boîte quantique ...et encore la France !
Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
Covid : la contre-offensive du variant Eris.
Hubert Reeves.
Prix Nobel de Physique 2023 : les lasers ultrarapides, la physique attoseconde... et la France récompensée !
John Wheeler.
La Science, la Recherche et le Doute.
L'espoir nouveau de guérir du sida...
Louis Pasteur.
Howard Carter.
Alain Aspect.
Svante Pääbo.
Frank Drake.
Roland Omnès.
Marie Curie.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20241003-didier-raoult.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/didier-raoult-interdit-d-exercer-257056

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/10/03/article-sr-20241003-didier-raoult.html


 

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6 septembre 2024 5 06 /09 /septembre /2024 03:12

« Cet après-midi à Jarnac, j'ai fait des annonces sur (…) le papillomavirus. Dès la rentrée prochaine, pour nos jeunes, il sera beaucoup plus facile de se faire vacciner. Nous allons organiser des campagnes de vaccination massives pour permettre à tous les élève de 5ème d'y avoir accès au collège. » (Emmanuel Macron, le 28 février 2023 sur Instagram).



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C'est la deuxième rentrée scolaire qui s'attaque massivement à la prévention contre les papillomavirus humains. Cette politique sanitaire a été élaborée il y a un an et demi. Retour en arrière.

En annonçant une campagne massive de vaccination contre les infections au papillomavirus dans les collèges de France pour les 800 000 élèves de Cinquième à partir de septembre 2023, le Président de la République Emmanuel Macron, qui visitait une classe de Troisième dans un collège de Jarnac, a pris une initiative que beaucoup de médecins attendaient en France.

Car la France est très en retard dans cette politique de prévention des cancers qui correspond à plus de 6 400 cas par an en France (et pas seulement chez les femmes !). Je reviendrai plus loin sur la notion de "en retard" car l'importance n'est évidemment pas de se comparer aux autres pays mais de protéger la population.

Si cette annonce a provoqué de monceaux d'immondices dans les réseaux sociaux par le courant antivax (il n'y a rien à faire, c'est irrécupérable, surtout depuis le covid-19), évacuons quelques critiques plus politiciennes que sanitaires de cette initiative. Si elle coûte cher (ce qui est très relatif : entre 95 et 110 euros par collégien ; cela devrait donc coûter autour de 80 millions d'euros chaque année), il faudra aussi calculer le coût réel, pour la collectivité, des soins d'un patient atteint d'un cancer, plus les coûts psychologiques pour lui et son entourage, sans compter l'éventuel coût humain, hélas, dans certains cas (encore très nombreux).

Payer avant la maladie au lieu de soigner quand la maladie se déclare, c'est le principe même de la prévention et, fait notable, c'est la première fois que le Ministre de la Santé est également Ministre de la Prévention (il devrait être également Ministre des Sports et Ministre de l'Alimentation, mais j'en demande sûrement trop ; après tout, le Ministre de l'Écologie est maintenant le Ministre des Énergies).

Ceux qui disent que ce n'est pas le rôle du Président de la République de promouvoir la prévention de la population, qu'il n'est pas médecin (tous ces antivax sont-ils médecins ?), qu'il a d'autres choses à se préoccuper... ont tort : dans le cadre d'une promotion, la parole d'un Président de la République est nettement plus efficace que celle d'un Ministre de la Santé, et encore plus que celle d'un directeur général de la Santé publique. Les interventions du chef de l'État ne peuvent pas être trop nombreuses, un ou deux sujets par jour, pour seulement 1 826 jours de mandats, finalement, pour un pays de 67 millions d'habitants, c'est peu de sujets traités publiquement au plus haut niveau de l'État. C'est donc, au contraire, un privilège de pouvoir atteindre ce niveau-là d'attention, c'est ce qu'on appelle les priorités de l'État. Protéger les citoyens est même l'une des premières obligations régaliennes d'un État.

Bien sûr, Emmanuel Macron n'est pas médecin, mais ce n'est pas en cette qualité qu'il s'est exprimé, mais en qualité de représentant des pouvoirs publics et ceux qui l'ont élu (18,8 millions de Français quand même !), je ne pense pas qu'ils le souhaitaient inerte, inactif, invisible, passif, immobile. Quant aux autres sujets, depuis quand ne faudrait-il s'occuper que d'un seul sujet à la fois ? Un gouvernement responsable doit s'occuper de toutes les choses urgentes et prioritaires en même temps. C'est seulement quand il y a une guerre sur son sol, ou une pandémie, ou une catastrophe terrible (comme le séisme en Turquie et Syrie), que tous les efforts doivent être focalisés sur cet unique sujet.

Après, on peut lui reprocher la manière dont il s'attaque au sujet, on peut surtout lui reprocher d'y venir peut-être beaucoup trop tardivement (cette campagne massive était très attendue, je le répète), mais on ne peut pas lui reprocher qu'il s'occupe du papillomavirus ni qu'il exprime sa volonté, reprise unanimement par tous les professionnels de la santé, de renforcer la politique de prévention.

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Car, avant tout, qu'est-ce que le papillomavirus ? Il est souvent abrégé en HPV pour human papillomavirus (en anglais, donc). Je ne précise pas humain, mais je n'évoque que lui (il y en a d'autres), et au lieu de mettre au singulier, je serais bien inspiré de mettre au pluriel, car il y en a environ 200 génotypes différents chez l'homme (dont 20 provoquant des lésions précancéreuses et des cancers). Enfin, chez l'humain : chez l'homme et la femme.

Et là, la première chose qu'il faut savoir, malgré tous les efforts de communication, c'est que le papillomavirus ne concerne pas seulement les femmes, également les hommes (plus de 4 cancers sur 10 provenant d'une infection au papillomavirus se développent chez l'homme). Sa présence est massive, à tel point qu'on considère que dans le monde, environ 80% de la population mondiale aura été en contact avec un papillomavirus au moins une fois dans son existence (selon l'OMS). Ces deux éléments font frémir : cela concerne les deux sexes et cela impacte la vie d'environ 80% des personnes !

Rappelons déjà son étymologie : cela vient de deux mots latins, papillo (mamelon) et oma (tumeur). Les papillomavirus (55 nanomètres de diamètres ; le HIV fait plus de 130 nm de diamètre) sont des virus à ADN non enveloppés qui induisent des lésions exophytiques de la peau et des muqueuses (exophytique : se dit des lésions qui prolifèrent vers l'extérieur). Le découvreur de leurs effets est le virologue allemand Harald zur Hausen (87 ans le 11 mars) qui a reçu le Prix Nobel de Médecine en 2008, aux côtés de deux autres lauréats, eux Français, Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier, eux pour la découverte du virus du sida. Les travaux de Harald zur Hausen ont mis en évidence les effets pathogènes des papillomavirus humains.

Avant d'évoquer les ravages de ce virus, on peut rapidement présenter comment on l'attrape : c'est la première des infections sexuellement transmissibles. Le moindre rapport sexuel peut contaminer, même sans pénétration ou avec un rapport bucco-génital. Le virus se transmet par la moindre écorchure ou coupure de la peau ou des muqueuses. Un simple contact de la peau suffit donc à le transmettre, une simple caresse (précisons, une caresse sexuelle : on ne peut pas l'attraper en seulement se serrant la main). Avec ce constat : la plupart des personnes contaminées le sont au tout début de leur activité sexuelle. Le préservatif ne protège pas de l'infection au papillomavirus. Il n'y a donc pas de prévention sauf à s'en protéger par le vaccin et à se faire régulièrement dépister pour les femmes (qui ont ainsi un petit avantage sur les hommes).

Lors d'une contamination, le virus infecte la peau ou la muqueuse. Au bout de deux ans, dans 90% des cas, l'organisme réussit à évacuer naturellement le virus et tout va bien. Mais dans 10% des cas, le virus persiste et développe au bout de dix ans des lésions précancéreuses qu'on peut éliminer en chirurgie si on les détecte (mais la plupart sont asymptomatiques). Si ces lésions ne sont pas éliminées, elles peuvent évoluer vers un cancer invasif dans les dix à trente ans depuis le début de l'infection (pour 3 cas sur 1 000 environ).

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Les papillomavirus humains sont responsables en France de plus de 6 400 nouveaux cancers chaque année (soit environ 2% de l'ensemble des cancers). Chez la femme : environ 3 000 cas de cancer du col de l'utérus (et 35 000 cas de lésions précancéreuses du col de l'utérus, dont le traitement peut avoir des conséquences sur la fertilité et augmenter le risque d'accouchement prématuré), 1 100 cas de cancer de l'anus, 380 cas de cancer des voies aéro-digestives supérieures (VADS), à savoir oropharynx, cavité buccale, larynx, et 190 cas de cancer de la vulve et du vagin. Chez l'homme : environ 1 300 cas de cancer VADS, 360 cas de cancer de l'anus et 90 cas de cancer du pénis. Précisons qu'avec 1 100 décès chaque année, la mortalité du cancer du col de l'utérus, c'est plus de 1 sur 3, c'est énorme ! Car il se développe chez des femmes encore jeunes : l'âge moyen au diagnostic en 2012 était de 51 ans (et l'âge moyen au décès à cause du cancer du col de l'utérus en 2012 était de 64 ans). En d'autres termes, en France, le taux de survie nette est de 66% à 5 ans (diagnostics portés entre 2005 et 2010) et de 59% à 10 ans (sur la période 1989-2010).

À cela s'ajoutent aussi 50 000 de verrues dans les parties génitales pour l'homme, autant pour la femme. Donc 100 000 en tout, chaque année. Si elles ne sont pas cancéreuses, ces verrues génitales sont très inconfortables (et très inesthétiques : les photos qu'on peut trouver dans la littérature sont assez éloquentes...).

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Donc, je le répète, les hommes sont aussi concernés que les femmes par le papillomavirus, pas seulement pour limiter sa transmission aux femmes, mais aussi pour prévenir des cancers, et, à la différence des femmes qui peuvent être dépistées par des frottis et tests HPV, les hommes n'ont aucun moyen d'être dépistés et c'est seulement lorsque le cancer est déclaré que le papillomavirus peut être détecté (donc bien plus tard).

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Si on prend les statistiques dans l'autre sens, on observe que 91% des cancers de l'anus sont dus aux papillomavirus, 100% des cancers du col de l'utérus, 23% des cancers de la vulve ou du vagin, 27% des cancers du pénis, 4% à 34% des cancers VADS (rappel : VADS = bouche et gorge). À cela, il faut aussi voir les risques d'être touché par un second cancer augmentent beaucoup quand on a un premier cancer (cela dépend des types de cancer, les cancers VADS sont particulièrement récidivistes). Dans un guide sur le cancer publié par l'Institut national du cancer en avril 2016, le risque relatif (RR) est présenté en fonction des différents primocancers (RR=1,36 signifie par exemple que le sujet a 36% de risques supplémentaires d'avoir un autre cancer que la population générale d'avoir d'un cancer).

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Pour la prévention, il n'y a pas trente-six mille solutions, comme je l'ai déjà évoqué. Il y a le test HPV à faire régulièrement (selon l'âge), à la suite d'un frottis cervico-utérin. Il y a bien sûr la communication, faire connaître les effets de ces papillomavirus, trop associés aux seuls cancers du col de l'utérus (alors que cela ne correspond qu'à un peu plus de la moitié du total). Et enfin, évidemment, il y a le vaccin.

Le vaccin HPV a été développé à partir de 1995 à la suite des travaux de Harald zur Hausen et mis sur le marché au début des années 2000 (avec une méthode classique : fragment de virus qui stimule les anticorps). Ce qui fait déjà une longue période qui permet d'affirmer qu'il ne provoque aucun effet secondaire (avec un recul de 500 millions de doses injectées depuis quinze ans).

Trois vaccins sont commercialisés protégeant de certains génotypes : Gardasil, Cervarix, Gardasil 9 (ce dernier, développé en 2015, protège de neuf génotypes). Les trois protègent des génotypes 16 et 18 principalement en cause dans le cancer du col de l'utérus. Le vaccin HPV est prophylactique, c'est-à-dire qu'il n'élimine pas les infections déjà présentes dans l'organisme au moment de la vaccination.

Comme je l'écrivais au début, la France est en retard dans la prévention de ces cancers, au même titre que les États-Unis et l'Allemagne. En effet, en 2021, il y avait deux types de pays. Ceux qui ont commencé à vacciner tôt contre les papillomavirus en organisant des campagnes de vaccination, avec un taux de couverture actuel très large : 90% en Belgique flamande, 86% au Royaume-Uni, 80% en Suède et en Australie, 73% en Espagne et au Canada. L'Islande, la Finlande, la Norvège et la Nouvelle-Zélande ont, eux aussi, un taux supérieur à 70%. Et ceux qui laissent à leurs citoyens l'initiative de la vaccination : 50% en Italie, 43% en Allemagne et aux États-Unis, 25% en France. Et encore, le taux en France (toujours en 2021) est la synthèse d'une forte disparité : seulement 45% des filles et 6% des garçons âgés de 15 ans ont reçu une dose de vaccin. L'objectif du gouvernement est que la couverture soit de 80% d'ici à 2030.

Cette vaccination est très efficace : en Australie, qui a assuré massivement la vaccination depuis 2007 (80% de la population), les lésions précancéreuses du col de l'utérus ont diminué de près de 50%. Le cancer du col de l'utérus devrait y être éradiqué dans quinze ans. Une étude publiée le 7 février 2018 dans "The Journal of Infectious Diseases" a étudié la prévalence du papillomavirus sur une cohorte de 1 500 jeunes femmes australiennes âgées de 17 à 35 ans pendant neuf ans. Cette prévalence est passée, pendant cette période, grâce à la vaccination, de 22,7% à 1,1% chez les jeunes femmes âgées de 17 à 25 ans et de 11,8% à 1,1% chez les jeunes femmes de 25 à 35 ans.

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Dans les pays au taux de couverture vaccinale élevée, la protection du vaccin assure non seulement une protection individuelle mais aussi une protection collective (immunité de groupe, comme dans le cas de la rougeole, coqueluche, diphtérie, etc.). En effet, dans l'étude citée de 2018, parmi la cohorte des 1 500 femmes, il y avait 15% de femmes non vaccinées. Et malgré cette non-vaccination, la prévalence a baissé de la même manière qu'avec des femmes vaccinées en raison de l'immunité de groupe. Une autre étude publiée le 26 juin 2019 dans "The Lancet", qui a fait une méta-analyse sur les informations publiées par 65 articles de revues scientifiques entre février 2014 et octobre 2018, a confirmé la réduction de la prévalence du cancer du col de l'utérus et l'immunité de groupe par la vaccination anti-HPV.

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À ce jour, c'est une enquête suédoise publiée le 1er octobre 2020 dans "The New England Journal of Medicine" ("HPV Vaccination and the Risk of Invasive Cervical Cancer") qui a apporté la preuve scientifique la plus complète sur l'efficacité du vaccin anti-HPV en prenant des cohortes de 518 319 sujets vaccinés (ayant reçu au moins une dose) et de 528 347 sujets non-vaccinés sur une période s'étendant de janvier 2006 à décembre 2017. Elle a démontré que le taux d'incidence du cancer du col de l'utérus était de 5,27 pour 100 000 chez les femmes non-vaccinées et 0,73 pour 100 000 chez les femmes vaccinées. Plus intéressant, l'étude a précisé aussi une nettement plus grande efficacité chez les jeunes femmes vaccinées avant l'âge de 17 ans (taux de 0,10 pour 100 000) par rapport à celles qui ont été vaccinées à un âge plus élevé (3,02 pour 100 000). Celles qui ont été vaccinées à un âge compris entre 20 et 30 ans se retrouvent, avec un taux de 5,16 pour 100 000, aussi exposées au cancer que les femmes non-vaccinées. Il est donc vraiment indispensable d'être vacciné avant les premières relations sexuelles.

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Concrètement, le vaccin, qui n'est pas obligatoire mais fortement recommandé en France, est destiné aux garçons et filles entre 11 et 14 ans avec deux injections espacées de six mois. Entre 15 et 19 ans, il faut trois injections. Quant aux hommes qui ont des relations avec d'autres hommes, ils peuvent se faire vacciner jusqu'à 26 ans. Il est remboursé par la Sécurité sociale (65%) et les mutuelles et est gratuit dans les centres de vaccination. Médecins, pharmaciens et infirmiers peuvent vacciner sur prescription. Pour les jeunes femmes de plus de 20 ans, le vaccin n'est plus remboursé parce que son efficacité, comme l'étude suédoise l'a montré, est quasiment nulle.

La décision du Président Emmanuel Macron d'organiser la campagne de vaccination dans les collèges permet donc de redonner l'initiative aux pouvoirs publics et pas aux familles. Je rappelle que ce vaccin n'est pas obligatoire mais il est utile à l'ensemble des adolescents qui commencent leur vie sexuelle. Pourquoi dans les écoles ? Parce que justement, c'est le meilleur moyen de démocratiser la vaccination. Les familles les plus pauvres vont plus rarement chez le médecin et n'iraient pas forcément spécifiquement pour la vaccination contre les papillomavirus. Dans le milieu scolaire, tous les jeunes Français se retrouvent avec une égalité des chances à se prémunir contre ces infections qui tuent plusieurs milliers de personnes par an.

Quant à l'argument que les papillomavirus représentent peu de cancers (2% de ceux qui se déclarent au total), c'est quand même énorme : plus de 6 400 personnes chaque années sont concernées. Et surtout, ce sont les seuls cancers qu'on est capable de prévenir de manière à peu près efficace (à 90%) : ne rien faire serait criminel ! Cela vaut donc le coup de faire vacciner massivement les jeunes avant leurs premiers émois sexuels pour stopper définitivement ce type d'infections.

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Ce raisonnement national est encore plus pertinent au niveau mondial. Dans une note de l'OMS du 22 février 2022, il est indiqué que le seul cancer du col de l'utérus est le quatrième cancer le plus courant au monde chez les femmes, estimé à 604 000 nouveaux cas en 2020 et à 342 000 décès la même année, en 2020. Et cette évidence : « Environ 90% des nouveaux cas et des décès dans le monde en 2020 sont survenus dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. ». De plus, ce qui renforce le handicap des pays les plus pauvres : « Les femmes vivant avec le VIH sont exposées à un risque six fois plus élevé de contracter un cancer du col de l’utérus que les femmes séronégatives. ».

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Pour compléter cet article, je recommande vivement l'écoute de l'émission "Le Téléphone Sonne" diffusée le 3 mars 2023 sur France Inter sur ce thème (qu'on peut télécharger ici), ainsi que la vidéo proposée en fin d'article, l'échange qu'a eu Emmanuel Macron (venu accompagné des ministres Pap Ndiaye et François Braun) avec les élèves de Troisième du collège de Jarnac (on remarquera que l'enseignante a encouragé discrètement ses élèves à honorer le chef de l'État en se levant à son arrivée, ce qui ne leur semblait pas une évidence).



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (02 septembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
2e rentrée scolaire contre les papillomavirus humains.
Variole du singe (mpox) : "ils" nous refont le coup ?
Covid : attention au flirt !
Papillomavirus humains, cancers et prévention.
Publications sur le papillomavirus, le cancer du col de l'utérus et l'effet de la vaccination anti-HPV (à télécharger).
Émission "Le Téléphone Sonne" sur la vaccination contre les papillomavirus, sur France Inter le 3 mars 2023 (à télécharger).
Le cancer sans tabou.
Qu'est-ce qu'un AVC ?
Lulu la Pilule.
La victoire des impressionnistes.
Science et beauté : des aurores boréales en France !
Le Tunnel sous la Manche.
Peter Higgs.
Georges Charpak.
Gustave Eiffel.
Prix Nobel de Chimie 2023 : la boîte quantique ...et encore la France !
Katalin Kariko et Drew Weissman Prix Nobel de Médecine 2023 : le vaccin à ARN messager récompensé !
Covid : la contre-offensive du variant Eris.
Hubert Reeves.
Prix Nobel de Physique 2023 : les lasers ultrarapides, la physique attoseconde... et la France récompensée !
Des essais cliniques sauvages ?
John Wheeler.
La Science, la Recherche et le Doute.
L'espoir nouveau de guérir du sida...
Louis Pasteur.
Howard Carter.
Alain Aspect.
Svante Pääbo.
Frank Drake.
Roland Omnès.
Marie Curie.








https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240902-papillomavirus.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/2e-rentree-scolaire-contre-les-247122

http://rakotoarison.hautetfort.com/archive/2024/09/04/article-sr-20240902-papillomavirus.html



 

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17 août 2024 6 17 /08 /août /2024 03:18

« Actuellement, la forte recrudescence de la maladie en Afrique est principalement due à une nouvelle souche, le clade Ib, plus transmissible et plus dangereuse que les précédentes. » ("Le Monde", le 16 août 2024).

« Des symptômes plus graves et plus durables, des lésions cutanées étendues sur l'ensemble du corps, une transmission par contact non sexuelle et une mortalité accrue chez les enfants : voilà ce qu'il faut retenir de cette nouvelle variante du mpox qui inquiète l'OMS. En outre, l'infection avec cette souche plus virulente entraîne des effets secondaires et des complications spécifiques après la guérison. » (Futura Sciences, le 16 août 2024).





 


Ça y est, les réseaux sociaux s'y mettent aussi et se demandent de manière faussement ingénue si "ils" vont recommencer "le coup" du covid-19. Encore un peu, et ces complotistes en pantoufles iraient jusqu'à accuser Emmanuel Macron d'inventer un nouveau virus et une nouvelle pandémie rien que pour retarder la formation du nouveau gouvernement (Louis Boyard a déjà cru qu'il avait inventé les Jeux paralympiques pour prolonger les JO 2024 de Paris !). En cause : l'alerte maximale donnée par l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) à propos de la variole du singe.

Mon objectif ici est d'y voir un peu plus clair sur cette menace pandémique du virus mpox (autre nom, à préférer, de la variole du singe), avec cette situation qui veut que lorsqu'il y a une menace, il y a un double risque de peur ou de déni. J'aurais pu titrer mon article "faut-il avoir peur de la variole du singe ?" mais la réponse à la question est évidente : non ! Non, face au danger, il ne faut jamais avoir peur car la peur paralyse. En revanche, il faut avoir une vision lucide de la situation, comprendre les risques et, surtout, les prendre au sérieux. Rappelons-nous qu'en janvier 2020, il y avait deux ou trois personnes (étrangères) contaminées au covid-19 en France (dans la région de Bordeaux je crois) et à l'époque, un grand maître de la virologie prétendait que ce n'était rien et qu'on en faisait déjà trop ! Nous n'imagions pas la tournure que prendrait ce virus, en France comme dans le monde (du reste, ces personnes contaminées semblent ne pas avoir propagé l'épidémie en France et la cause serait plutôt un foyer à Mulhouse). Prendre l'option du déni n'est donc pas une meilleure posture que l'option de la peur. Responsabilité et vigilance paraissent plus indiquées.

Le complotisme a cette fâcheuse manie de mettre un sens là où il n'y en a pas. De croire que les catastrophes naturelles sont surnaturelles, c'est-à-dire proviennent de forces intelligentes superpuissantes (certains l'ont dit du sida que Dieu voulait punir les déviants, réflexe relativement humain puisque d'autres l'ont dit pour la peste, etc.). Ou que les catastrophes naturelles sont humaines, provenant d'une puissante élite humaine aux commandes de tout, qui maîtrise tout, qui nous manipule (c'est le "ils" du titre, à opposer au confortable et rassurant "nous"). Quelle prétention humaine ! La réalité scientifique est souvent plus bestiale : l'être humain est minuscule face aux intempéries de la Nature !

La pandémie fait certes partie des catastrophes naturelles (c'est bien la nature qui avance avec les virus, une sorte de laboratoire de la théorie de l'Évolution en accéléré), mais elle pourrait aussi provenir de l'humain, de recherches humaines casse-cou, genre prométhéennes ou frankensteiniennes. Pour le covid-19, certains ont ainsi soupçonné certains laboratoires d'avoir confectionné le virus (pour un autre virus totalement romancé, l'écrivain Xavier Müller, auteur de "Erectus" publié en 2018, donc bien avant le covid-19, imagine la négligence scientifique dans un programme voulu de recherches en virologie). L'origine humaine (dans le sens de sciences mal maîtrisées) d'une pandémie est possible mais peu probable car la Nature n'a pas besoin des humains pour créer ou faire évoluer, muter, de nouveaux virus.

 


Revenons à la variole du singe, appellation très mal trouvée et particulièrement dégradante, qui n'incite pas les malades qui en sont atteints à la déclarer pour se faire soigner, au risque d'être considérés ou de se considérer comme des singes. On a parlé du singe parce que le virus a été pour la première fois isolé et identifié chez le singe, mais il n'est pas associé au singe et le réservoir animal du virus est plutôt les rongeurs (en particulier les rats de Gambie). On appelle la maladie orthopoxvirose simienne, infection à virus monkeypox et maintenant, selon l'appellation de l'OMS adoptée le 28 novembre 2022, mpox (le "m" faisant référence à monkey, singe en anglais). L'appellation française est officiellement la "variole simienne" depuis le 18 avril 2023 (mais je ne vois pas trop ce qui change, simienne voulant dire "qui relève des singes" !). Ce virus mpox fait partie de la même "famille" que celui de la variole humaine, du genre orthopoxvirus, à cela près que le variole humaine a été complètement éradiquée depuis 1980.
 


Le mpox provient surtout des forêts d'Afrique tropicale (où la maladie est endémique), se transmet à l'humain depuis l'animal, et aussi d'humain à humain par contact de matières issues de lésions cutanées ou de sécrétions (pas forcément sexuelles) et a des conséquences analogues à celles subies avec la variole (humaine) mais moins graves : éruption pustuleuse, fièvre, problèmes respiratoires, etc. La létalité est de l'ordre de 1% à 10%, ce qui reste beaucoup (nettement supérieure à celle du covid-19), touchant principalement les très jeunes enfants et les personnes immunodéprimées (en particulier celles atteintes du sida), en raison des complications des formes graves qui sont : surinfection bactérienne de la peau, déshydratation, pneumonie, cécité (par infection de la cornée), encéphalite et septicémie. Les soins appropriés et connus (soins des symptômes) permettent le rétablissement des personnes atteintes après une période donnée, et la vaccination contre la variole (humaine) apporte une protection très efficace contre cette maladie (efficacité de 85%). Donc, première source pour être rassuré, cette maladie est beaucoup mieux connue que le très nouveau covid-19 en janvier 2020. De plus, on a les outils pour s'en prémunir ou la soigner, au contraire du covid-19 (et, semble-t-il, pas avec de l'hydroxychloroquine !).

Le virus mpox a été découvert et isolé en 1958 sur un singe à Copenhague. Des épidémies de mpox ont eu lieu dans les années 1960 principalement sur des singes venus d'Asie et transportés en Europe, et leur infection a eu lieu pendant leur transport, notamment avec d'autres animaux, dont des animaux africains contaminés car le virus provient d'Afrique. Ce n'est qu'en 1969 que ce virus a été distingué du virus de la variole humaine. Le premier cas humain de mpox a été découvert en 1970 à Basankusu au Zaïre (République démocratique du Congo) sur un enfant dans le cadre de la surveillance de la variole par l'OMS. Pendant plusieurs décennies, la variole simienne est restée une maladie très rare en Afrique (quelques centaines de cas par épidémies). Les années 2010 ont connu une augmentation importante du nombre de cas humains (d'un facteur dix). À la fin des années 2010, plusieurs milliers de cas ont été détectés en République démocratique du Congo, Nigeria et Centrafrique. Entre 2000 et 2022, quelques cas ont été signalés hors d'Afrique, en particulier aux États-Unis où a eu lieu une épidémie de mpox en 2003 (propagée dans le Midwest par des rongeurs importés du Ghana comme nouveaux animaux domestiques).

 


La première épidémie mondiale de mpox provoquée par le clade IIb a eu lieu en 2022-2023. Le premier cas a été détecté à Londres le 6 mai 2022 sur un patient revenant du Nigeria. Cette épidémie a touché l'Europe (le 16 juin 2022, 183 cas de mpox ont été détectés en France), en Amérique, Asie, etc. touchant 113 pays. L'OMS a enregistré 83 943 cas confirmés en laboratoire et 75 décès pour l'année 2022. L'urgence de santé publique de portée internationale a été déclarée par l'OMS le 23 juillet 2022 et a été levée le 11 mai 2023 avec le contrôle de la propagation de la maladie. Quelques cas de mpox de clabe IIb ont été encore signalés après janvier 2024 dans des pays non endémiques, mais très peu. Le pic de cette épidémie a eu lieu en juillet 2022 en France et a concerné 2 749 personnes atteintes. Sur l'ensemble du monde, au 28 juillet 2024, cette épidémie a touché 99 388 personnes (cas confirmés) et provoqué 208 décès dans 116 pays (depuis janvier 2022).

La précédente déclaration d'urgence de santé publique de portée internationale a été faite le 30 janvier 2020 pour la pandémie de covid-19, et les trois précédentes encore pour le virus Ebola les 8 août 2014, 1er février 2016 et 17 juillet 2019. Cette déclaration signifie que tous les États du monde doivent prendre des mesures pour empêcher le développement d'une pandémie qui pourrait être une catastrophe mondiale (comme ce fut le cas pour le covid-19 dont on ne connaissait rien au contraire du virus Ebola et du virus mpox). Cela a été aussi le cas pour la pandémie de grippe A (H1N1) le 26 avril 2009, et je répète que les mesures de viglance prises à l'époque par la Ministre de la Santé, à savoir Roselyne Bachelot, ont été responsables et sages, dans l'intérêt de santé publique ; il valait mieux trop protéger que pas assez, critique faite au début de la crise du covid-19 (absence de masque, de tests, de vaccins, etc.).
 


La seconde épidémie mondiale de mpox a lieu en ce moment et c'est pour cela que la variole du singe est revenue dans l'actualité, déclarée urgence de santé publique de portée internationale ce mercredi 14 août 2024 par Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l'OMS : « Le risque de propagation en Afrique et partout dans le monde est très inquiétant. ». Il s'agit d'une nouvelle souche du virus mpox, le clade Ib, plus mortelle et plus contaminante, et c'est cela qui inquiète l'OMS et les responsables de santé publique de tous les pays. Le premier cas confirmé de cette épidémie a été détecté en septembre 2023 dans le Sud-Kivu en République démocratique du Congo. À ce jour, cette épidémie a atteint 16 127 personnes (cas confirmés) et a provoqué 554 décès (des enfants de moins de 15 ans pour plus de 60% des décès), dans 15 pays dont 13 pays africains (très grande majorité des cas sont en République démocratique du Congo), ce qui fait une létalité d'environ 4%.

Et l'inquiétude, au-delà de cette souche particulièrement agressive, c'est qu'un cas a été détecté à Stockholm, en Suède, le 15 août 2024 et 3 cas au Pakistan le 16 août 2024. La chef intérimaire de l'Agence suédoise de santé publique Olivia Wigzell a déclaré au cours d'une conférence de presse : « La personne touchée (qui vit dans la région de Stockholm) a été infectée lors d’un séjour dans une région d’Afrique où sévit une importante épidémie de mpox du sous-type clade Ib. (…) Nous estimons que la Suède est bien préparée pour diagnostiquer, isoler et traiter les personnes atteintes de mpox de manière sûre et efficace (…). Qu’une personne soit traitée pour le mpox dans le pays n’implique pas de risques pour le reste de la population ». Pour le premier cas confirmé au Pakistan, le Ministère pakistanais de la Santé a précisé que la personne atteinte, un homme de 23 ans, venait d'un pays du Golfe persique (par leurs liaisons aériennes internationales, les Émirats arabes unis sont systématiquement touchés par les épidémies internationales et ont recensé depuis 2022 déjà 16 cas de mpox, toute souche confondue).

Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) a considéré que le risque d'une contamination massive est très faible à ce jour. Néanmoins, sa directrice générale Pamela Rendi-Wagner a recommandé la plus grande surveillance : « En raison des liens étroits entre l’Europe et l’Afrique, nous devons nous préparer à un plus grand nombre de cas importés de clade Ib. ».

L'OMS a déclaré l'urgence internationale car le nombre de cas en 2024 en Afrique a augmenté de 160% en un an. Depuis janvier 2022, le nombre de cas de mpox est de 38 465 cas dans 16 pays (africains) et de 1 456 décès, pour les deux souches (clade IIb et clade Ib). Je reconnais que ces chiffres sont un peu contradictoires avec les autres statistiques que j'ai fournies juste avant pour l'un ou l'autre des sous-types du virus. Je n'ai pas précisé les sources de ces statistiques, mais elles émanent d'agences nationales ou internationales de surveillance sanitaire différentes qui ont leur propre mode de calculs ou qui prennent en compte ou pas certaines données.
 


Ce qu'on sait en tout cas, c'est que la situation épidémique est très grave en République démocratique du Congo qui représente plus de 95% des contaminations. En juillet 2024, le gouvernement congolais a reconnu une « augmentation exponentielle » du nombre de cas, alors que le dépistage et la surveillance restent encore partielles. Louis Albert Massing, coordinateur MSF en RDC, a évoqué la particularité de certaines régions de ce pays : « La maladie a été enregistrée dans les camps de déplacés autour de Goma, au Nord-Kivu, où l'extrême densité de la population rend la situation très critique. Les risques d'explosion sont réels vu les énormes mouvements de population. » (cité par Blue News le 7 août 2024). Maria van Kerkhove, directrice de la prévision des épidémies à l'OMS, a pondéré la forte hausse de 2024 avec une meilleure capacité de dépistage, mais est restée toutefois très préoccupée de cette flambée.

La gravité accrue de la nouvelle souche du mpox mérite certainement l'alerte maximale. Trudi Lang, la chercheure à l'origine de la détection de cette nouvelle souche, a expliqué auprès de Gavi.org (organisation internationale visant à améliorer l'accès aux vaccins pour les enfants des pays les plus pauvres) : « Nous observons avec cette nouvelle souche des éruptions cutanées généralisées sur tout le corps, en plus de lésions génitales dans certains cas. Les symptômes ont tendance à durer plus longtemps. Les cas graves montrent une mortalité de 5% chez les adultes et de 10% chez les enfants (…). En outre, les femmes infectées pendant la grossesse perdent leur fœtus, ce qui ajoute à la gravité de la situation. » (cité par Futura Sciences). Leandre Murhula Masirika, participant également à la détection du premier cas, a ajouté : « Certains patients, même après leur guérison, continuent de se plaindre de problèmes oculaires, cutanés ou génitaux. Nous avons donc lancé un projet pour étudier les effets à long terme de cette infection. ».

La Chine populaire a renforcé le 16 août 2024 les contrôles aux frontières sur les personnes et les biens susceptibles d'avoir été en contact avec le virus mpox. De son côté, le Premier Ministre français démissionnaire Gabriel Attal a déclaré ce vendredi 16 août 2024 en début de soirée, sur Twitter : « Depuis le déclenchement de l’épidémie de mpox en 2022, nous avons rigoureusement appliqué le triptyque : surveillance, diagnostic rapide, vaccination. Nous n’avons jamais baissé la garde. Ainsi, ce sont 152 500 vaccinations qui ont été réalisées. La circulation du virus a été contenue : 4 975 cas recensés en 2022, 52 en 2023 et 107 depuis le 1er janvier 2024. Ces derniers jours, face à l’apparition d’un nouveau variant et à une accélération de la circulation du virus en Afrique, l’OMS et l’ECDC ont rehaussé le niveau d’alerte. J’ai tenu aujourd’hui un point de situation avec Catherine Vautrin et Frédéric Valletoux. À la suite de cette réunion, nous plaçons notre système de santé en état de vigilance maximale. (…) Nous saisissons sans délai les autorités sanitaires pour qu’elles statuent sur la conduite à tenir en matière d’actualisation des recommandations sur les populations cibles en vaccination. Par ailleurs, conformément à nos valeurs de solidarité internationale et à la priorité sanitaire de contenir le foyer épidémique en Afrique, nous avons décidé, à la demande du Président de la République, de réaliser un don de vaccins aux pays les plus touchés. Notre système de santé est sur ses gardes. Nous nous tenons prêts à tous les scénarios pour faire évoluer les consignes à la population en fonction de l’évolution du virus et maintenir ainsi le haut niveau de vigilance adopté depuis 2022. ». Un nouveau point sera fait mardi 20 août 2024. Le premier centre parisien de vaccination contre le mpox a ouvert le mercredi 7 août 2024.
 


L'un des producteurs de vaccins contre la variole, Bavarian Nordic (danois), s'est déclaré prêt le 15 août 2024 à produire jusqu'à 10 millions de doses du vaccin d'ici à 2025, il en dispose déjà 500 000 doses en stock. Certains pays comme les États-Unis sont prêts à proposer des vaccins principalement aux enfants et adolescents de 12 à 17 ans, qui risquent des complications plus graves que les adultes bien portants. Actuellement, il existe deux vaccins contre la variole, et l'OMS souhaite autoriser des mises sur le marché accélérée pour d'autres vaccins afin de faire face à la demande. S'il existe des antiviraux capables d'accompagner les symptômes parfois graves de la maladie, il n'existe aucun médicament pour guérir le mpox et la meilleure protection reste la vaccination auprès des populations à risque (enfants et personnes immunodéprimées), même administrée après contamination.

On connaît encore mal le mode de transmission du virus mpox, si ce n'est le contact pour la transmission d'humain vers humain. Le centre régional d'information pour l'Europe occidentale des Nations Unis a ainsi expliqué le 16 août 2024 : « La variole du singe est une maladie infectieuse causée par un virus transmis à l’homme par des animaux infectés, mais qui peut aussi se transmettre d’homme à homme par contact physique étroit. La variole se caractérise par une éruption ou des lésions cutanées généralement concentrées sur le visage, la paume des mains et la plante des pieds. Dans la plupart des cas, la maladie guérit spontanément en deux ou trois semaines. (…) Le taux de mortalité reste en dessous de 4%. (…) L’OMS encourage tous les pays à renforcer la surveillance, à partager les données et à travailler pour mieux comprendre la transmission du virus. Il existe deux vaccins homologués et efficaces contre le mpox. Plusieurs études ont montré que la vaccination contre la variole "classique" était efficace à 85% pour prévenir le mpox. Le fait d’avoir été vacciné auparavant contre la variole peut entraîner une maladie moins grave. Cependant le vaccin contre la variole n’est plus administré depuis l’éradication de cette maladie en 1980. ». L'ONU a de plus exhorté les pays à « partager les outils tels que les vaccins et à appliquer les leçons tirées des précédentes urgences de santé publique de portée internationale pour faire face à l’épidémie actuelle ».

Il n'y a donc aujourd'hui pas de quoi paniquer, surtout pour les personnes qui ont déjà été vaccinées contre la variole (avant 1980), mais il faut garder une vigilance maximale pour éviter ou circonscrire une flambée internationale des cas de mpox. Ah, au fait, Emmanuel Macron n'y est pour rien, il a un alibi : il était aux Jeux olympiques !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 août 2024)
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Pour aller plus loin :
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7 février 2024 3 07 /02 /février /2024 04:49

« Au cours de la récente intervention pour une hypertrophie bénigne de la prostate, un problème distinct a été constaté (…). [Des] tests ultérieurs ont permis d'identifier une forme de cancer. » (Communiqué de Buckingham Palace, le 5 février 2024).




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Le mot est lâché. Cancer. Le peuple britannique a été ému par le communiqué de Buckingham Palace qui a annoncé le lundi 5 février 2024 que le roi Charles III souffrait d'un cancer et qu'il est traité médicalement pour cette raison. Il s'était fait opérer de la prostate (il était hospitalisé du 26 au 29 janvier 2024) et c'est donc fortuitement que son cancer a été dépisté. Selon le Premier Ministre Rishi Sunak, ce cancer aurait été dépisté très tôt, ce qui lui donne en principe de grandes chances de guérison : « Je ne doute pas qu'il retrouvera rapidement toutes ses forces et je sais que le pays tout entier lui adresse ses meilleurs vœux. ».

À plus de 75 ans, Charles III, qui a succédé à sa mère Élisabeth II en septembre 2022, il y a près d'un an et demi, après s'y être préparé au métier de monarque pendant soixante-dix ans, se retrouve donc dans une tourmente personnelle qu'il aurait évidemment préféré éviter. Si la nature du cancer n'a pas été révélée, l'information a tout de même le mérite de donner une certaine transparence de sa situation médicale. C'était déjà le cas lorsque son opération de la prostate a été annoncée. Il faut dire que la famille royale est parraine ou responsable de plus de 400 000 œuvres dans le pays et que le roi lui-même doit participer à environ cent à cent cinquante cérémonies par an. Son absence pour la durée du traitement aurait de toute façon été constatée.

Au-delà de cette conséquence directe, la maladie du souverain n'affectera pas énormément la continuité de l'État britannique dans la mesure où le pouvoir se retrouve sous la direction du Premier Ministre et pas du roi. Même si l'annonce d'un cancer d'une personnalité publique est désormais relativement fréquente, c'est tout de même notable et assez rare pour un homme d'État. En général, ces communications concernent plutôt des artistes, des acteurs, des chanteurs, et rarement des personnes qui se trouvent au pouvoir et qui, donc, ont la responsabilité d'une communauté nationale en entier.


Certains journaux en profitent pour évoquer de nouveau l'hypothèse d'une abdication du roi. À tort à mon avis car une démission de fonction officielle peut aussi signifier une démission du combat face à la maladie. Charles III entend bien rester positif et agir, selon ses possibilités, comme s'il n'avait rien. Le principe de l'abdication dans une monarchie est un véritable problème propre à ce type de régime institutionnel, dès lors que l'espérance de vie a évolué en croissance. La plupart des monarchies européennes ont connu ces abdication pour laisser les héritiers prendre la relève à un âge encore convenable. Élisabeth II ne voulait absolument pas entendre parler d'abdication et si on lui avait laissé exprimer ses préférences, elle aurait de toute façon souhaité abdiquer en faveur de son petit-fils William en sautant une génération.

On avait aussi ce problème au Vatican quand Jean-Paul II, très malade, avait refusé de renoncer en laissant Dieu décider tout seul. Son successeur Benoît XVI, pourtant conservateur sur la liturgie, a déminé le terrain pour ses successeurs en quittant, épuisé, le Saint-Siège pour une retraite méritée, ce qui permet aujourd'hui à l'actuel pape François, le plus âgé depuis plus d'un siècle (87 ans), de se laisser la possibilité, également, de démissionner. Je ne doute pas que Charles III prendrait ce rôle de Benoît XVI si, dans le cas que personne ne souhaite, la maladie évoluait définitivement dans la mauvaise direction.

Mais quittons ces considérations institutionnelles qui ont peu d'intérêt (l'important serait plutôt le résultat des prochaines élections législatives britanniques qui se profilent à l'horizon) pour revenir au cancer. Le communiqué indique précisément la raison de cette transparence : le roi a
« choisi de partager son diagnostic afin d'éviter les spéculations, et dans l'espoir d'aider le public à comprendre tous ceux qui sont touchés par le cancer dans le monde entier ».


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Non sans malice, Cécile Ducourtieux, la correspondante du journal "Le Monde" à Londres, a rappelé le 5 février 2024 la situation déplorable de la santé au Royaume-Uni :
« Le pays est un des plus mal classés des pays occidentaux pour les taux de survie au cancer, en raison de diagnostics souvent bien trop tardifs. Les Britanniques ont de plus en plus de mal à décrocher des rendez-vous avec leurs médecins généralistes, pas assez nombreux (environ 2,8 pour 1 000 habitants). (…) Plus de 7 millions de Britanniques sont sur une liste d’attente pour des opérations ou des traitements au NHS, le système de santé public, et beaucoup attendent des mois avant d’avoir accès à des chimiothérapies. ».


Une telle transparence est inédite en général au plus haut niveau de l'État. En France, on se souvient bien sûr de la maladie de Georges Pompidou, également celle de François Mitterrand, qui avait même menti aux Français dès 1981 en se piégeant lui-même à vouloir publier des bilans de santé régulier, enfin, celle moins connue de Jacques Chirac dont les conséquences de l'AVC en été 2005 n'ont pas été bien évaluées sur sa capacité à diriger encore le pays.

Une telle annonce va ainsi dans le bon sens, pas seulement institutionnel mais simplement humain. L'annonce d'un cancer est hélas très ordinaire, très fréquente, trop fréquente. L'évolution de la société (notamment la sédentarité, les pollutions, une alimentation industrielle ou trop riche, des grossesses tardives, etc.) va dans le sens d'une augmentation notable du nombre de cancers, ce qui signifie que plus d'une personne sur deux (60% en fait) va connaître cette maladie au moins une fois au cours sa vie. L'OMS (Organisation mondiale de la santé) prévoit une augmentation de 77% du nombre de nouveaux cas de cancer dans le monde en 2050 par rapport à 2022.


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Mais si c'est la mauvaise nouvelle des temps modernes, il y a aussi une bonne nouvelle : le cancer n'est plus synonyme de mort, et c'est l'essentiel. Certes, c'est synonyme de combat difficile, de traitements épuisants, mais la médecine progresse à grand pas et c'est réjouissant : beaucoup de cancers se soignent, parfois avec des taux de survie (après cinq années) qui dépassent largement les 90% (j'ai bien conscience qu'un pourcentage du taux de survie ne veut strictement rien dire et les statistiques sont, généralement, hors de l'humain ; pour un patient, c'est 100% ou 0% et point, si possible pas final). Bien entendu, plus il y a de dépistage, plus tôt est détecté le cancer, plus certain il peut se combattre, mais il y a aussi la manière de le soigner (de les soigner, il y a autant de maladies que de cancers), et c'est cela qui est réjouissant.


Par coïncidence, anticipant l'improbable communiqué de la famille royale britannique, la radio France Inter a invité le vendredi 2 février 2024 pour sa matinale deux chercheurs en cancérologie : le professeur Jean-Yves Blay, oncologue et président d'Unicancer (directeur du Centre Léon-Bérard à Lyon), et la docteure Suzette Delaloge, oncologue et spécialiste du cancer du sein à l'Institut Gustave-Roussy (directrice du programme de prévention personnalisée des cancers Interception). La station organisait justement une journée spéciale sur le cancer ("La science face au cancer") et le producteur de l'émission, Ali Baddou présentait ainsi son interview : « Le mot seul de cancer suffit à faire peur chacun d'entre nous. On peut le vivre, le cancer, comme une fatalité, parfois comme une loterie, parfois aussi comme une profonde injustice. ».

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Jean-Yves Blay a rappelé que le cancer était un fait de société majeur car on constate 430 000 nouveaux cas par an en France (et 170 000 décès liés au cancer par an), ce qui est immense. Mais s'il y a une nette amélioration dans le traitement contre le cancer, c'est parce que la recherche médicale a fait de grands progrès dans la compréhension du mécanisme qui fait qu'une cellule normale devient une cellule cancéreuse, ce qui permet de savoir comment traiter la cellule mauvaise et de préserver celle qui n'a pas besoin d'être traitée, en connaissant précisément ses anomalies de fonctionnement.


Ainsi, Suzette Delaloge a expliqué : « La plupart de ces cellules normales, même mutées, même avec des anomalies de l'ADN qui pourraient faire un cancer, n'en vont jamais faire de cancer, mais sous l'effet de changements de l'inflammation, de l'immunité à cause (…) des expositions diverses et variées, un cancer peut survenir. À partir de ça, on est aujourd'hui capable de construire de nouvelles interventions de prévention. ».

Le corps est en perpétuelle transformation, certaines cellules meurent tandis que d'autres naissent. Lorsqu'une cellule se reproduit, il est possible, statistiquement, qu'elle n'ait pas tout à fait le même code génétique, elle peut muter, mais généralement, quand cette mutation est grossière, le corps est bien fait et des anticorps sont là pour les éliminer. C'est quand les mutations sont plus fines que le corps a plus de mal à les distinguer et à les éliminer, mais ce qui est sûr, c'est que la situation immunitaire du patient est essentielle dans la prévention des cancers, et le fait de faire du sport, par exemple, permet de renforcer son système immunitaire (et aussi le fait de "bien" manger, c'est-à-dire de la nourriture de qualité).

Malheureusement, il n'y a pas que des causes externes au cancer car il touche aussi des enfants, des personnes qui ne sont pas exposées aux causes habituelles du cancer. Jean-Yves Blay l'a expliqué ainsi : « La loterie, c'est une très bonne expression ! La loterie, c'est juste quelque chose que l'on ne comprend pas, en fait, sur le plan biologique, que nous allons comprendre, je pense, parce qu'effectivement, les cancers des personnes jeunes, des enfants, ne résultent pas des mêmes mécanismes que les cancers des sujets âgés. Mais la compréhension de pourquoi ici et maintenant, pourquoi moi, pourquoi mon enfant, c'est quelque chose qu'on est en train de décrypter actuellement. ».

Suzette Delaloge a donné quelques indications sur la prévention : « La prévention, il y a deux choses. Il y a un, c'est ce qui s'adresse à la population générale. Il ne faut pas fumer, il ne faut pas boire trop d'alcool, il faut bien manger, il faut faire de l'exercice, etc. Mais malheureusement, ça ne suffit pas. Un, ça ne suffit pas ; deux, on ne peut pas vivre ailleurs que le monde dans lequel on vit, nous sommes en 2024, nous sommes assis, vous êtes assis toute la journée. On ne peut pas faire autrement, nos modes de vie, nous les subissons en partie, et donc, il faut absolument lutter contre ça. Donc, notre point de vue actuel, c'est : il faut, un temps donné, chez une personne donnée, construire quelque chose en plus, c'est-à-dire une prévention un peu plus personnalisée. Donc, il y a le dépistage, la prévention normale, mais en personnalisant, ça veut dire que chez moi, chez vous, un temps donné, on va pouvoir déterminer le risque de développer un cancer dans les années qui viennent et faire en sorte que chez vous, on évite le cancer, ou on évite le cancer grave. ».

Jean-Yves Blay a parlé de l'intérêt de l'intelligence artificielle : « On est capable effectivement, avec les outils qui sont mis à notre disposition, de repérer sur des images radiologiques, de manière très fine, la nature potentiellement maligne d'une tumeur. Et également, sur les examens, ce qu'on appelle anatomopathologiques, c'est-à-dire sur un examen microscopique de la tumeur, on est capable de repérer, grâce à l'intelligence artificielle, certaines formes particulières de cancer, voire même faire un diagnostic du cancer, que l'humain voyait mais moins bien. C'est vraiment une aide, un peu comme le scanner a aidé à la radiologie conventionnelle, et c'est quelque chose qui va pénétrer le système de santé, notre organisation de prise en charge, de manière très profonde dans les années à venir, c'est certain. ».

Malgré la complexité due notamment à l'allongement de l'espérance de vie (nous ne sommes pas adaptés à vivre aussi longtemps, au contraire des éléphants qui ne développent pas de cancer), Suzette Delaloge a envisagé la perspective de vaccins contre le cancer : « Malgré tout, il est possible aujourd'hui d'envisager, à un horizon de dix à vingt ans, un certain nombre de vaccins qui pourraient empêcher la survenue de cancers. (…) Pas des vaccins qui s'adressent à des agents infectieux, ça, on sait le faire, il faut se vacciner contre le papillomavirus, on va éviter le cancer lié aux papillomavirus qui est en grande augmentation (…), c'est dramatique, on nous demande des vaccins, et en même temps, les gens ne font pas les vaccins qui sauvent énormément de vies, c'est incroyable, c'est un aparté, mais là, on parle de vaccins qui pourraient permettre d'empêcher des cellules de devenir cancéreuses, oui, ça existe. Ça va commencer par des situations génétiques particulières, mais ça va pouvoir s'étendre à beaucoup de personnes ensuite. ».

Une des avancées majeures en cours depuis les quinze dernières années, c'est l'immunothérapie (étudiée depuis les années 1970). Explication de la docteure Delaloge : « Un certain nombre de cancers sont assez dépendants de l'immunité de l'hôte [c'est la personne qui est malade] et se développent... (…), un certain nombre de cancers sécrètent des substances qui font que l'immunité de la personne liée à ce cancer est dégradée. Et en fait, l'immunothérapie recharge les batteries, permet aux cellules immunitaires de l'hôte de reconnaître le cancer, d'aller détruire le cancer. Et ça marche sur pas mal de cancers, ça a été révolutionnaire dans la prise en charge de certains cancers, mélanome, cancer du rein, du poumon, etc. Aujourd'hui, on est à peu près à la fin de la première génération d'immunothérapies, il y a d'autres générations qui arrivent, et l'association de ces immunothérapies à d'autres thérapies est aussi assez remarquable, donc on a encore un champ énorme d'immunothérapies à développer. ».


Une autre avancée majeure, les thérapies ciblées. Explication du professeur Blay : « Les thérapies ciblées, c'est en fait très simple. Maintenant qu'on comprend la biologie de de la cellule cancéreuse, qu'est-ce qui est muté, quelle est la clef de démarrage de la cellule cancéreuse, il s'agit, au lieu de mettre dessus du destop qui va détruire, la chimiothérapie, c'est d'enlever la clef ou de bloquer la clef. Et de cette manière-là, on comprend très vite qu'on va avoir une efficacité qui est spécifique de la cellule cancéreuse, [pendant très longtemps, on a pensé qu'il fallait tuer la tumeur pour guérir du cancer] (…) parce que les cellules cancéreuses sont paradoxalement un petit peu plus fragiles que les cellules normales qui réparent mieux, mais maintenant, en comprenant mieux la biologie du cancer, on sait bloquer les clefs, en fait, il n'y a pas qu'une seule clef, ça, c'est une vision qui serait idéale mais qui n'est pas le cas, on sait bloquer quelques clefs de la cellule cancéreuse, ce qui fait qu'elle s'arrête ou qu'elle meurt car elle ne peut pas supporter de vivre sans ces démarreurs. ».

Alors que le gouvernement vient d'assouplir les règles sur les pesticides, facteurs de cancers, et même que la Présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen a retiré son plan de retrait des pesticides, Suzette Delaloge n'y a pas vu vraiment une contradiction mais surtout le résultat d'un équilibre instable : « Évidemment, c'est une bonne question [sur les pesticides], et notre vie est faite de contradictions. Il faut toujours se situer à un niveau macroéconomique et macro-santé. Et il y a un certain nombre de choses qu'on a faites, de choses qu'on a développées pour vivre plus longtemps et qui nous ont permis aujourd'hui d'avoir des espérances de vie plus longues, qui sont délétères. Le développement de la nourriture ultratransformée, ça permet à une grande partie de la population mondiale de vivre plus longtemps, ça augmente le risque de cancers, de maladies métaboliques, etc. Et les pesticides, c'est exactement la même chose. Et donc, à nous de trouver un équilibre ensemble, dans les prochaines années. C'est la même question que l'écologie ; l'écologie et la santé se rejoignent totalement dans de nombreux domaines. Je pense qu'une vision globale écologie santé pour le futur est absolument utile. ».

Cette vision globale aura évidemment du mal à se concevoir mais elle sortira sans doute plus aisément du monde scientifique que du monde politique trop occupé au très court terme.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (05 février 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le souverain cancer de Charles III.
Le retour surprise de David Cameron.
Charles III en France : oublié le Brexit, vive l'Entente cordiale !
David Hockney.
Richard Attenborough.
Jane Birkin.
Kim Wilde.
Couronnement plus vieux, couronnement heureux !
Tony Blair.
Discours de Tony Blair à l'Assemblée Nationale le 24 mars 1998 à Paris (texte intégral et vidéo).
Êtes-vous invité au couronnement ?

Margaret Thatcher.
John Major.
Michael Heseltine.

Audrey Hepburn.
Anthony Hopkins.
Alireza Akbari.
Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine".
L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes !
Élisabeth II, la reine des Français ?
Howard Carter.
La BBC fête son centenaire.
Rishi Sunak.
Qui succédera à Liz Truss ?
Liz Truss.
Le temps du roi Charles III.
Je vous salue Élisabeth, pleine de grâce…
Archie Battersbee.
Diana Spencer.
Theresa May.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20240205-cancer-charles-iii.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/le-souverain-cancer-de-charles-iii-252949

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2024/02/06/40198791.html





 

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16 novembre 2023 4 16 /11 /novembre /2023 04:07

Les virus et les bactéries ne demandent pas la carte de séjour ou la carte d'identité de la personne avant de contaminer son organisme. Le financement de l'AME n'est pas seulement une mesure de fraternité envers les sans-papiers, il est aussi et avant tout une mesure de protection sanitaire de toute la population nationale.




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Le projet de loi présenté par le gouvernement sur l'immigration (officiellement : « projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration ») a été adopté en première lecture le mardi 14 novembre 2023 au Sénat, par 210 voix pour, 115 voix contre, sur 341 votants. Un accord avait été trouvé entre le groupe Les Républicains (LR) présidé par Bruno Retailleau et ses alliés de l'Union centriste (UC) présidée par Hervé Marseille, et les groupes de la majorité présidentielle, au nombre de deux, un proche du centre gauche, le Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) présidé par François Patriat et un autre proche du centre droit, Les Indépendants, République et Territoires (LIRT) présidé par Claude Malhuret.

Ces quatre groupes ont voté massivement pour le projet de loi, seuls trois sénateurs de ceux-ci ont voté contre, et onze se sont abstenus. Quant aux autres groupes, de gauche, ils ont unanimement voté contre (sauf quatre qui se sont abstenus). Ce clivage est fondateur de ce texte très important puisqu'il est le deuxième enjeu symbolique, après la réforme des retraites, du deuxième quinquennat du Président Emmanuel Macron : l'un économique et social, l'autre régalien.

Le texte sera examiné par l'Assemblée Nationale à partir du 27 novembre 2023. La position du groupe LR à l'Assemblée Nationale, présidé par Olivier Marleix, sera cruciale puisque la majorité présidentielle ne bénéficie que d'une majorité relative à l'Assemblée. Majoritaire au Sénat, susceptible d'apporter la majorité à l'Assemblée, Les Républicains, parti présidé par Éric Ciotti, est donc en position de faiseur de loi à défaut d'être faiseur de roi.

Il faut toutefois se rappeler que la réforme des retraites de ce printemps avait été amendée et adoptée par les sénateurs LR, mais rejetée par une grande partie du groupe LR à l'Assemblée, car les députés LR ont été très majoritairement élus dans leur conscription face à un candidat de la majorité présidentielle. La discussion du texte sur l'immigration à l'Assemblée, prévue du 27 novembre au 3 décembre 2023, promet donc d'être rocambolesque et pleine de rebondissements.

Au-delà de donner un contenu au quinquennat d'Emmanuel Macron, le texte sur l'immigration a aussi un enjeu national essentiel : il préfigure les conditions de la prochaine élection présidentielle prévue en avril 2027. En effet, selon que ce texte sera considéré comme utile ou pas, efficace ou pas, par les Français sur l'immigration, le candidat ou la candidate issu du Rassemblement national aura plus ou moins de chance de l'emporter dans trois ans. On comprend ainsi la main tremblante de tous les responsables politiques de droite, du centre et de la majorité présidentielle sur cette question (les responsables de gauche, fidèles à leur laxisme habituel, ne surprendront pas en votant systématiquement contre ce texte).

Et plus particulièrement, c'est la position de LR qui est en jeu puisque ce parti toujours en grand écart entre l'opposition (trop populiste de droite) et la majorité (trop macroniste pour se distinguer) devra bien adopter une ligne définitive. Le Sénat, fidèle à sa sagesse, a décidé, comme pour la réforme des retraites, d'être constructif, mais on a vu des députés LR particulièrement virulents contre le gouvernement pour penser que la situation est un peu différente à l'Assemblée.

Ce texte, qui est un texte négocié et savamment équilibré, a pour titre « contrôler l'immigration, améliorer l'intégration ». Inutile de rappeler que, selon la marque de fabrique du macronisme politique, il est question du "en même temps" : à la fois plus sévère contre l'immigration et plus accueillant pour ceux à qui on concède de venir. Cette seconde partie de la philosophie de la loi sera certainement moins médiatisée que la première.

Soit dit en passant, l'autre enjeu politique, très personnel, est l'avenir du Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, qui joue ici toute sa crédibilité pour devenir un candidat valable à l'élection présidentielle. Pour l'instant, il est au charbon, et il doit encore faire ses preuves, mais l'adoption du texte à l'Assemblée sans article 49 alinéa 3, quelle qu'en soit la rédaction, sera une victoire politique personnelle du ministre dont ne pourront pas s'enorgueillir ses rivaux potentiels Bruno Le Maire et Édouard Philippe.

Venons-en au fond de cet accord entre la majorité présidentielle et Les Républicains : il s'agit principalement de cette fameuse aide médicale de l'État (AME), qui est, dans l'article 1
er I (non issu de la première version du texte à sa présentation par le gouvernement), son abrogation pure et simple, et la création d'une "aide médicale d'urgence" (AMU ?).

Cette disparition de l'aide médicale d'État était demandée par les ailes droitières de la classe politique depuis une vingtaine d'années. Qu'est-ce que c'est ? C'est une aide sociale financée par le budget de l'État et pas de la Sécurité sociale qui prend en charge les dépenses médicales des étrangers en situation irrégulière vivant sur le territoire français depuis plus de trois mois sous condition de ressources. Elle a été créée par le gouvernement de Lionel Jospin par la loi 99-641 du 27 juillet 1999 relative à la couverture médicale universelle (CMU) qui est entrée en vigueur le 1
er janvier 2000.

L'AME a bénéficié d'un écho médiatique très important avec beaucoup de fausses impressions, d'erreurs, de désinformations, comme si c'était à cause d'elle que les étrangers venaient irrégulièrement sur le sol français, comme si c'était un vecteur de promotion d'un certain tourisme médical français. La véracité des conditions de revenus est effectivement impossible à vérifier puisque, justement, les sans-papiers sont sans papiers, et seules les attestations sur l'honneur font foi. Pourtant, même si cela n'empêche pas les abus, beaucoup d'étrangers en situation irrégulière ne se soignent pas et ne cherchent pas à bénéficier de l'AME car ils craignent d'être découverts et expulsés.

Il y a trois type de fraudes à l'AME : tromper sur son identité, sa résidence et ses ressources. Les suspicions de fraude sont souvent sur des personnes qui seraient en France depuis moins de trois mois. Selon la Caisse nationale d'assurance maladie, 60% des bénéficiaires de l'AME sont en France depuis plus d'un an. En 2019, sur 11,4% des dossiers d'AME inspectés, seuls 4% ont été rejetés.

En fait, l'aide médicale d'étranger en situation irrégulière a toujours été financée en France, son principe est même établi dès la loi du 15 juillet 1893 avec l'assistance médicale gratuite. La loi n°93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, dite loi Pasqua 2, impose que la personne soit en régularité de séjour pour bénéficier de l'assurance maladie, ce qui impose un dispositif particulier pour les personnes en situation irrégulière.

Ce que le gouvernement Jospin a mis en place, c'est sa budgétisation officielle. En effet, dans le cadre d'un contrôle des performances des dépenses publiques, des moyens d'établir la réalité de cette dépense publique ont été installés dans tous les domaines de l'État. Aucun médecin dans aucun hôpital français n'a jamais refusé de soigner un patient en fonction de son compte en banque ou de sa situation au regard de la loi. Simplement, les coûts étant maintenant scrutés à la loupe, il fallait bien donner un cadre formel pour cette situation des personnes étrangères en situation irrégulière.

Du reste, le montant de l'AME n'est pas catastrophique même s'il n'est pas négligeable. En 2022, la loi de finances a provisionné 1 079 millions d'euros, soit un peu plus de 1 milliard d'euros (je rappelle que le déficit se situe à plus de 100 milliards d'euros par an), en légère augmentation par rapport à 2021 (+1,1%). 369 000 personnes ont bénéficié de l'AME en 2021. En 2020, le coût de l'AME a été d'environ 2 500 euros par bénéficiaire (pour plus des deux tiers en établissements hospitaliers), ce qui était inférieur au coût moyen des dépenses médicales pour la population française, qui était de 3 100 euros par personne.

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Cette aide médicale d'État pourrait être considérée seulement comme un geste de solidarité et surtout de fraternité (incluse dans notre devise républicaine) pour venir en aide aux personnes malades sans-papiers. Et c'est cette générosité qui n'a cessé de se dégrader et d'être montrée du doigt par les ailes droitières de la classe politique. Mais on oublie un peu trop une autre raison qui serait beaucoup plus importante et là, qui serait plus égoïste pour la population française : l'AME soigne les étrangers, certes, mais elle protège aussi toute la population française en situation régulière pour la simple raison que les maladies transmissibles ne font pas dans la distinction de situations.

C'est même pire puisque la plupart des étrangers en situation irrégulière ont plus de risque d'être malades que les autres, parce qu'ils viennent de pays sanitairement moins performants et leur arrivée se fait dans des conditions sanitaires parfois très difficiles. Des études montrent une surreprésentation des maladies transmissibles chez les bénéficiaires de l'AME. Il y a des statistiques qui peuvent faire frémir : par exemple, seulement 6% des patients atteints d'hépatite B connaissent leur diagnostic avant de venir en France. Les autres les ignorent et risquent de contaminer les autres, des Français.

Pendant les premiers mois de la pandémie de covid-19, avant de connaître le vaccin à ARN messager, on a vu à quel point une maladie contagieuse pouvait se répandre rapidement et partout quand on ne la traitait pas. C'est le cas de toutes les maladies contagieuses si on n'en fait pas diagnostic et si on ne les traitent pas, soit préventivement par les vaccins, soit en les soignant. La santé est un trésor qui ne peut être que collectif et le moindre trou dans la raquette rejaillit sur tout le monde.

L'accord entre la majorité présidentielle et Les Républicains paraît donc plus une posture destinée à un électorat tenté par le RN qu'à une réelle prise de responsabilité. La disparition de l'AME pourrait réduire la protection sanitaire des Français, d'autant plus que l'État ne maîtrise pas la situation des sans-papiers, puisque ces personnes sont dans la clandestinité. De nombreux médecins ont ainsi dénoncé, en dehors de toute arrière-pensée politique, cette suppression car ils voient bien que cette AME est une nécessité sanitaire. De plus, l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES) a laissé entendre dans ses études que limiter les droits proposés par l'AME pour lutter contre l'immigration clandestine et réduire fortement les dépenses de santé serait un leurre et raterait sa cible car cela ne découragerait pas les gens de venir en France et cela risquerait d'accroître les dépenses médicales en raison des conséquences sanitaires désastreuses que cela entraînerait.


Invité de la matinale de France Inter le 15 novembre 2023, le Président du Sénat Gérard Larcher a voulu rassurer le personnel médical en rappelant que l'AME a été remplacée par l'aide médicale d'urgence : « Sur la question de l'aide médicale d'urgence, le vote du Sénat a fait qu'il y a dans cette aide les maladies graves, les urgences, la grossesse... C'est le médecin qui appréciera le caractère urgent ou non : c'est une clarification de ce qui peut être apporter aux hommes et aux femmes qui sont en situation irrégulière dans notre pays. ». En cas de retour de l'AME dans le texte à l'Assemblée, il a lancé un avertissement : « Ce serait un signal, (…) un facteur d'appel à des migrations plus importantes. ».

L'aide médicale d'urgence proposée par le nouveau texte évoque son application pour « la prophylaxie et le traitement des maladies graves et les soins urgents dont l’absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l’état de santé de la personne ou d’un enfant à naître ; les soins liés à la grossesse et ses suites ; les vaccinations réglementaires ; les examens de médecine préventive ; la prise en charge est subordonnée, lors de la délivrance de médicaments appartenant à un groupe générique ». Selon la loi de finances de 2022, 70 millions d'euros seulement étaient réservés aux soins urgents sur les 1 079 millions d'euros au total de l'AME.

Pour Gérard Larcher, qui était vétérinaire chevalin de métier avant ses engagements politiques, la suppression de l'AME ne mettrait pas la santé des Français en danger avec cette prise en compte de l'aide médicale d'urgence. Il y a donc deux possibilités : ou ce qu'il dit se révèle vrai, et dans ce cas-là, ce n'est qu'une question de vocabulaire (comme l'INSP, Institut national du service public, a remplacé l'ENA), et l'option de la posture symbolique est confirmée, ou ce n'est pas le cas et la santé des Français est moins protégée. Dans les deux cas, ce n'est pas très responsable et cela pêche surtout par des concessions à la démagogie ambiante.

L'aide médicale d'État est une sorte de vortex qui attire en effet toutes les démagogies, tous les fokon et les yaka. Un bouc émissaire facile à désigner, à comprendre, alors que le phénomène migratoire a des ressorts beaucoup plus complexes. Mais l'enjeu, je le rappelle, reste l'élection présidentielle de 2027 : en n'écoutant pas la démagogie ambiante, les partis gouvernementaux prennent le risque de laisser le pouvoir à des partis beaucoup moins sérieux et beaucoup moins sages pour l'intérêt des Français. Cette concession, sémantique sinon sanitaire, à la loi sur l'immigration serait alors le minimum symbolique pour parfaire devant leur électorat respectif l'idée que ces partis lutteraient efficacement contre l'immigration clandestine. Je ne crois cependant pas que cet électorat puisse être dupé et que le risque électoral de 2027 en soit réduit.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Des bleus à l'A.M.E. (aide médicale d'État) : entre posture et protection.
L'affaire Leonarda, dix ans plus tard...
La Méditerranée, mère de désolation et cimetière de nos valeurs ?
Aymen Latrous Aymen Latrous n’est pas Leonarda !
Mamoudou Gassama, un héros en France.
Leonarda sous le feu des projecteurs.
L’immigration irlandaise.
Immigration : l'occasion ratée de François Hollande.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20231114-aide-medicale-d-etat.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/des-bleus-a-l-a-m-e-aide-medicale-251552

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/11/16/40110088.html










 

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11 août 2023 5 11 /08 /août /2023 18:13

« Il fallait choisir entre l’expert dans ses pantoufles attendant que le ministre lui pose une question et l’activiste qui pose un problème et défend ses propositions. Il risque d’être qualifié d’ayatollah, de vichyste sournois, d’hygiéniste rétrograde et liberticide, mais ces excès sont préférables à l’absence de débats d’idées. Les propositions des experts doivent être commentées par des généralistes de la pensée et de l’action sociale. » (Claude Got, "Le Monde" du 21 décembre 1993).




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J'ai éprouvé beaucoup d'émotion en apprenant ce vendredi 11 août 2023 la disparition du professeur Claude Got en Belgique à l'âge de 87 ans (il est né le 5 mai 1936 à Sarreguemines). Il était l'un des grands experts de la santé publique et a sans cesse été un lanceur d'alerte sur les enjeux majeurs de santé publique. Grâce à lui, des dizaines de milliers de personnes ont été sauvées d'une mort par accident.

On pourrait dire qu'il était en quelque sorte un Jancovici de la sécurité routière, ou, plus précisément, il a été pour la sécurité routière et plus généralement, pour la santé publique, ce que Jean-Marc Jancovici est au climat, c'est-à-dire un scientifique qui raisonne par la science et en dehors de toute doctrine politique, en dehors toute pression médiatique. Et également un artisan de sa pensée : indépendant, il n'avait que sa voix et sa plume pour porter ses idées.

En ce sens, le professeur Got a été souvent contesté, en particulier par tous ceux, parmi les automobilistes, qui ont rouspété par des mesures prises en faveur de la sécurité routière depuis plus de cinquante ans, mais aussi par les viticulteurs et les producteurs de cigarettes, entre autres. Il aimait rappeler qu'il avait parcouru dans sa vie près d'un million de kilomètres avec sa voiture et qu'il avait obtenu trois prix récompensant ses travaux scientifiques, décernés par la Society of Automotive Engineers : « Cette société des ingénieurs de l’automobile américains n’a jamais considéré que la promotion de la sécurité s’opposait à l’usage de l’automobile. ».

Il répondait à ses détracteurs ainsi : « Mon attitude n’est pas celle d'un utopiste imaginant résoudre des problèmes insolubles, ni celle d’un adversaire des moyens de transports actuels. Je sais que le développement du transport individuel et du transport routier s’est fait avec l’ampleur que nous constatons pour une raison simple : il est commode et il apporte donc de la liberté aux individus et aux entreprises. (…) L’usage de la route et du transport individuel routier ne se réduira pas, il faut donc que nous lui donnions des caractéristiques qui assurent la sécurité. De multiples motivations vont dans le même sens, le bruit, la pollution, la consommation de combustibles fossiles, le risque lié à la vitesse excessive peuvent être réduits par la production de véhicules moins puissants et une meilleure régulation des vitesses. Une autre motivation est liée à la prise de conscience du risque lié aux possibilités de véhicules dont les caractéristiques sont en contradiction avec les règles (voitures qui peuvent atteindre 180, 200 km/h alors que la vitesse maximale autorisée est de 130 !). Ces incohérences fonctionnent comme de véritables pièges dont sont victimes l’ensemble des usagers. Il faut cesser d’opposer les automobilistes et les autres utilisateurs de la route, ils forment une communauté d’individus qui se partagent les mêmes infrastructures et qui doivent bénéficier de la liberté de se déplacer dans les meilleures conditions de sécurité. Trouver le bon compromis entre leurs exigences a un nom, cela s’appelle la solidarité. ».

Les conditions de son décès sont à noter. Il est allé en Belgique pour y mourir par euthanasie, accompagné de sa fille Isabelle et d'un petit-fils : depuis le fin de l'année 2021, il se disait atteint de la maladie d'Alzheimer (il avait des troubles neurodégénératifs) et la mort de son épouse chérie Claudie (Claude-Marie) en décembre 2022 d'un AVC ne lui donnait plus de raison de vivre. Ils s'étaient rencontrés en 1938 (leurs parents étaient amis), ils s'étaient marié en 1956 et ils s'étaient dit qu'ils mourraient ensemble.

De fait, Claudie n'a jamais cessé d'accompagner les travaux de son époux, notamment les travaux d'écriture d'ouvrages, mais aussi les loisirs. Dans une interview au magazine "Panorama du médecin" parue le 27 décembre 2002, le professeur Claude Got expliquait qu'il faisait beaucoup de randonnées à vélo avec sa femme, une ou deux semaines chaque été, environ 100 kilomètres par jour, et a affirmé avoir déjà gravi au moins 800 cols de montagne. Le couple avait, en plus d'Isabelle, deux jumelles atteintes de sclérose en plaques et mortes en 2013 et 2019. Claude Got a lui-même pratiqué l'euthanasie en 1992 sur sa mère de 88 ans qui le lui avait demandé, son grand-père, atteint de paraplégie à 50 ans, avait été euthanasié à sa demande par un ami vétérinaire. Le couple lui-même a, dès 2014, revendiqué le droit à décider de sa mort. Claude Got avait accepté d'attendre quelques mois avant de partir, pour laisser un peu de temps de préparation à sa famille.

Si je ne partage pas cette conception de l'euthanasie (qui reste respectable mais qu'il ne me paraît pas sain ni serein de généraliser par la loi), j'adhérais complètement à ses tentatives, parfois vaines, toujours audacieuses, de renforcer la sécurité sanitaire de ses contemporains. Il n'hésitait pas à publier de nombreux articles voire ouvrages, ainsi que plusieurs sites Internet pour expliquer sa démarche et, surtout, donner des éléments chiffrés, des statistiques, des calculs, etc.

Pas une fois il ne s'est abstenu de râler lorsque le pouvoir politique reculait dans la sécurité routière (la dernière fois, la marche en arrière pour les 80 kilomètres par heure), mais ces derniers mois, en raison de sa santé, il s'était fait plus discret dans son combat. Coïncidence malheureuse, Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière depuis 2002, qui relayait souvent ses réflexions, est morte en juin 2023 et lui-même n'a pas eu la possibilité d'assister à son enterrement. Une page se tourne, assurément, pour la sécurité routière.

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Claude Got était ce qu'on appelle un mandarin, c'est-à-dire avec un triple métier, un praticien hospitalier devenu chef de service, un professeur d'université et un chercheur. Mais un mandarin atypique. À l'origine, il se destinait à la pneumologie, puis à la réanimation, et il racontait que l'évolution de sa carrière n'a été qu'une suite de demandes extérieures qu'il n'avait pas prévues. À partir de 1965, il a travaillé à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches comme spécialiste de l'anatomie pathologique « qui privilégie l'observation et la compréhension des lésions ».

En 1970, un médecin de Renault est venu le voir pour travailler avec lui sur la conception des ceintures de sécurité : Volvo en mettait déjà (dès 1959) dans ses voitures. Petit rappel : 1972 a été la pire année pour la mortalité routière en France (plus de 16 000 morts). Son action a été déterminante : « Comme anatomo-pathologiste, j'ai fait des autopsies d'accidentés. De la description des lésions, nous sommes passés à l'expérimentation sur le cadavre, dans le cadre du don du corps pour la science. Cette pratique nous a permis de développer les connaissances biomécaniques des lésions produites par les accidents. Décrire les dommages produits par un choc n'était pas suffisant, il fallait connaître les forces, les pressions, qui les avaient produites. J'ai développé cette activité en collaboration avec les constructeurs automobiles pendant toute ma carrière. ».

Cette expérience l'a profondément marqué pour la suite : « À Garches, mon bureau se trouvait dans le funérarium de l’hôpital. Pendant quinze ans, j’ai vu des familles venir reconnaître et enterrer leurs proches, victimes d’accidents de la route. J’ai alors été confronté aux particularités de ces accidents, notamment la fréquence élevée avec laquelle ce sont les parents qui enterrent leurs enfants. Il faut avoir en permanence à l’esprit le nombre de 2 000, qui est celui des tués par accident de la route entre 15 et 24 ans (note : cette valeur s'est abaissée à 1 262 en 2006). 38% des décès pendant cette période de la vie, un quart de l’ensemble des morts de la route. Quelle que soit la tristesse que l’on puisse éprouver quand on perd ses parents, cet événement est dans la nature des choses. Grâce aux progrès des conditions de vie, de la médecine, on vit plus vieux, on demeure plus longtemps en meilleure condition physique, mais on finit un jour par disparaître et une génération doit se séparer de celle qui l’a précédée. Cet événement n’est pas comparable à la perte d’un enfant, et c’est peut-être parce que la mortalité infantile par maladie est devenue exceptionnelle que la mort par accident, qui demeure fréquente, est devenue intolérable. C’est un échec grave de notre civilisation, un signe de barbarie et d’indifférence à une souffrance que l’on se refuse à imaginer pour soi et dont on tolère qu'elle soit subie par les autres. Pendant cette période je n’ai pas eu à imaginer cette douleur, je l’ai vue. J’ai eu parfois à aider le personnel de l’établissement à secourir des mères ou des pères qui ne se sentaient plus capables de vivre après avoir subi cette annonce de la mort de leur enfant. Ils étaient dans leur vie normale et un appel téléphonique les avaient brutalement plongés dans le malheur. Arrivant à l’hôpital, c’est souvent seulement là qu’ils apprenaient que leur enfant n’avait pas survécu et qu’ils venaient à la salle des morts. Ce sont ces parents qui m’empêchent de dormir certaines nuits et qui font que (…) je suis à la disposition de toutes les associations et les structures qui interviennent dans la sécurité routière. La passivité face à une telle situation n’est pas tolérable, on ne peut toujours espérer que le drame atteigne seulement les autres, il faut se mobiliser pour réduire une mortalité dont nous savons qu’elle est évitable, plusieurs pays sont deux à trois fois meilleurs que nous, deux à trois fois plus civilisés que nous, dans la prévention de ces morts inacceptables. ».

En 1972, Claude Got a convaincu le premier délégué interministériel à la sécurité routière, Christian Gerondeau, de rendre l'obligatoire le bouclage de la ceinture de sécurité et de définir une vitesse limite sur la route. Il a fallu une année pour que le gouvernement ait pu réussir à l'imposer face à ceux qui se disaient défenseurs des libertés. Au bout de deux ans, plusieurs milliers de personnes ont été sauvées chaque année grâce à ces mesures. C'est le début d'une politique de sécurité routière qui a connu ses hauts et ses bas, mais qui, globalement, à quelques exceptions près, a toujours permis de réduire le nombre de morts sur la route malgré l'augmentation du nombre de véhicules en circulation, du nombre de conducteurs et du nombre de kilomètres de routes accessibles.

Claude Got a aussi étudié précisément les causes des accidents mortels et a pu y voir une causalité importante dans l'absorption d'alcool (et de drogue). Dans une étude qu'il a publiée dans "Le Monde" en décembre 1977, il a évalué à l'époque que 5 000 personnes mouraient chaque année sur la route à cause de l'alcool.

C'est en raison de ces études d'accidentologie, le mot serait de lui, qu'il a été appelé à collaborer directement avec le gouvernement, d'abord dans le cabinet de Simone Veil de 1978 à 1979, puis dans celui de Jacques Barrot de 1979 à 1981 : «  Ce n'était pas mes connaissances spécifiques des problèmes traités qui motivaient ces interventions, mais mon expérience de la gestion des risques. L'alcool, le tabac, le sida, l'amiante... détruisent des vies et la réduction de leur nuisance fait partie des obligations des pouvoirs publics avec des méthodes très variables qui vont de l'interdit de l'usage (l'amiante) aux différentes formes de dissuasions argumentées. ». Il a participé à l'élaboration de la loi du 12 juillet 1978 qui autorise les contrôles préventifs d'alcoolémie sur les routes, et cela malgré la forte opposition des producteurs d'alcools. Il a travaillé aussi sur la réforme des études médicales, la formation des généralistes, le numerus clausus pour adapter le nombre d'étudiants aux besoins démographiques, etc.

À partir de 1978, Claude Got a intégré de nombreux conseils scientifiques, organismes d'expertise, commissions, etc. sur la sécurité routière et sur la santé publique. En particulier, il est entré en 1978 au Haut comité d'étude et d'information sur l'alcoolisme et en a démissionné en février 1987 pour protester contre le gouvernement de Jacques Chirac qui a permis des publicités de bière. Il a rédigé un rapport sur le sida en 1988 à la demande du ministre de la santé ; avec Gérard Dubois, François Grémy, Albert Hirsch et Maurice Tubiana, il a rédigé un rapport sur la santé publique, qui a abouti, pas sans mal, à la loi Évin votée le 10 janvier 1991 qui a notamment interdit la publicité pour le tabac ou l'alcool et qui protège (enfin) les non-fumeurs. Claude Got a démissionné aussi du Haut comité de santé publique en juin 1992 à cause de son manque de moyens et de son manque d'indépendance. Plusieurs autres rapports cruciaux ont été rédigés par lui, dont un pour évaluer la première loi de bioéthique en 1994, un autre sur les risques liés à l'amiante en 1998 (« Environ 700 mésothéliomes apparaissent chaque année en France, personne ne discute le fait que 90% à 95% de ces cancers sont provoqués par l’amiante et cependant moins de 100 mésothéliomes seront reconnus comme d’origine professionnelle. »), etc. Il était aussi président du collège scientifique de l'Observatoire français des drogues et toxicomanies de 1999 à 2005, membre du comité d'experts auprès du Conseil national de la sécurité routière (dont il a démissionné en 2015 parce que le gouvernement de Manuel Valls refusait de prendre la décision du 80 kilomètres par heure qu'il préconisait dès 2013 et que le successeur Édouard Philippe a finalement mis en œuvre en 2018), etc.


 




Sa carrière de médecin hospitalier a progressé en parallèle, en étant nommé chef du service d'anatomie pathologique à l'hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt d'octobre 1985 à septembre 1997 et professeur des universités à Paris-Descartes de 1970 à 1997.

Dans une interview très instructive accordée à Jean-Yves Nau et Franck Nouchi et publiée dans "Le Monde" du 21 décembre 1993, Claude Got savait qu'il y avait un équilibre à trouver entre liberté individuelle et contrainte pour renforcer la sécurité publique : « Le risque, ici, serait que le débat soit monopolisé par des groupes d’intérêt qui, bien souvent contribuent à rendre illisible l’évolution sociale en multipliant les informations et les interprétations contradictoires. (…) L’échec du totalitarisme communiste renvoie le balancier vers un libéralisme extrême et l’aveuglement de ceux qui veulent situer toutes les responsabilités au niveau de l’individu est aussi dangereux que la tutelle dictatoriale. ».

Il évaluait son expertise médicale avec cet objectif :
« J’essaye de créer une hiérarchie entre les libertés en utilisant des situations concrètes. Un enfant, un adulte vulnérables, n’ont pas à être piégés par le risque, et leur liberté de vivre passe avant la libre cupidité de ceux qui commercialisent des produits potentiellement dangereux. Je crois au rôle de l’État pour concrétiser une solidarité sans laquelle une société se déséquilibre. Je n’ai pas la prétention d’organiser le monde, mais je tente d’identifier et de neutraliser ceux qui le désorganisent. C’est un mélange d’égoïsme social, concevant mes intérêts particuliers comme dépendant de la prévention de certains risques, et de respect de la démocratie me faisant écarter les méthodes qui ne sont pas souhaités par une majorité de la population. (…) Je tente d’identifier ce que je refuse, sans tenter de reconstruire un monde dont les finalités m’échappent. ».

Dans un article sur "Les mécanismes décisionnels en santé publique" publié en avril 1991 dans la "Revue des Deux Mondes", le professeur Claude Got insistait sur l'importance, pour minimiser les dépenses de santé ou pour renforcer la sécurité sanitaire, de faire évoluer les comportements de tout le monde et pas seulement de personnes "extrêmes" au sens d'être un grand facteur d'insécurité ou grand facteur de dépenses inadaptées (chauffards par exemple sur la route, ou employé alcoolique dans le milieu professionnel, ordonnances de neuroleptiques, etc.) : « Un recueil exhaustif de données permettrait de savoir quelles sont les pratiques "normales", facilitant l'identification des "déviances" en matière d'actes diagnostiques ou thérapeutiques, des références étant constituées par les comportements "moyens". Ces études apporteront des connaissances supplémentaires, mais ne régleront rien, car les cimetières de données n'ont jamais constitué une solution aux problèmes de responsabilité et d'autorité, et surtout, le problème des dépenses de soins est posé par les comportements "moyens" et non par les extrêmes. Le mythe d'un système qui dérape sous l'influence d'une minorité de gaspilleurs déviants est aussi fortement ancré dans les commentaires sur les dépenses de soins que celui du rôle des chauffards dans le domaine de la sécurité routière. (…) La référence à des comportements moyens ne donnera pas de meilleurs résultats dans le contrôle de la pratique hospitalière. Les services les plus compétents établiront des données statistiques fiables, mais leur utilité sera nulle car le conflit entre les techniciens de la médecine et ceux de la gestion ne sera jamais réglé par des ordinateurs et les listings qui peuvent en sortir. C'est l'évaluation de la qualité des pratiques en fonction des comportements définis par la profession, effectuées par les services hospitaliers et des praticiens, avec des conséquences sur les moyens alloués ou sur les remboursements, qui peut faire évoluer les comportements. ».

Dans le même article, il poursuivait en indiquant l'importance de l'évaluation : « Le monde médical n'échappera pas à un contrôle de ses actes, c'est à lui de l'organiser et de le faire fonctionner s'il veut éviter des méthodes inadaptées et inefficaces. La prise de décision technique doit être appréciées par des médecins formés à l'évaluation de la qualité des soins. Pour optimiser sur le terrain les procédures de prévention, de diagnostic et de soins, il faut que les connaissances permettent d'arbitrer les conflits d'intérêts entre une technostructure de soins expansionniste et une technostructure politique et administratif qui veut limiter l'inflation des dépenses. Avant de contrôler efficacement la mise en œuvre des meilleures procédures, il faut pouvoir apprécier l'utilité d'une médecine scientifique et technique en évolution rapide. L'évaluation est la clef d'une relation apaisée entre le système qui finance et celui qui soigne. Le simple mot évaluation évoque, pour ceux qui tentent de la développer en France, une suite de décisions politiques incomplètes ou éphémères qui font que les connaissances disponibles pour fonder la prise de décision en santé publique sont toujours dramatiquement insuffisantes. ».

La politique de prévention doit en outre être cohérente : « L'ambiguïté de nos positions sur la politique de prévention peut devenir un facteur majeur d'inégalité devant la mort, et les débats (…) sur la publicité pour le tabac et l'alcool l'ont clairement démontré. Le risque apparaît si une absence de cohérence dans la prise de décision associe une prévention par le savoir dont bénéficient les plus instruits et une promotion du risque par ceux qui ont un intérêt économique à développer un comportement dangereux. (…) Tous les pays industrialisés constatent une régression du tabagisme chez les personnes les plus instruites et si nous laissont la promotion augmenter les discriminations, la "liberté" des publicitaires deviendra une nouvelle méthode de sélection, aggravant le handicap des moins aptes à maîtriser les pièges de la société. La différence d'espérance de vie en France entre un manœuvre et un cadre supérieur est [en 1991] de huit années, elle est en augmentation ; le tabagisme et l'alcoolisme expliquent en grande partie cette différence. Une vaccination obligatoire, l'eau courante bénéficient à tous, la prévention active agit différemment, elle exige des aptitudes et, comme sur la route, il faut lui associer une prévention passive qui interdit de développer des facteurs d'insécurité. Commercialiser une GTI turbo, qui peut atteindre 200 kilomètres à l'heure dans un pays où la vitesse est limitée, introduit un facteur de sélection. (…) Les systèmes libéraux peuvent avoir, en contrepartie de leur efficacité économique, des conséquences humaines qui aggravent l'inégalité en l'absence de garde-fous. Il est vain d'espérer améliorer la sécurité routière en assurant la promotion de l'alcool et de la vitesse, ou de tenter de réduire l'inégalité devant la mort tout en soutenant l'industrie du tabac. Dans la tranche d'âge de cinquante à cinquante-quatre ans, le cancer de la bouche et de l'œsophage est quatre fois plus fréquent chez les manœuvres et les ouvriers spécialisés que chez les cadres supérieurs et dans les professions libérales. » (avril 1991).

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Malgré sa réputation de redresseur de torts, Claude Got était capable d'être un bon vivant, chaleureux, sachant apprécier un bon verre de vin du Languedoc. Il était avant tout une conscience, souvent, la mauvaise conscience des gouvernements qui ont toujours été réticents à prendre des mesures impopulaires pour sauver des vies (on l'a vu pour la crise du covid-19). Sa dernière publication sur son blog date du 20 avril 2022 : « Une seconde élection réussie d'un Président de la République a toujours un intérêt particulier, l'absence d'une troisième élection lui permet de développer ses convictions sans crainte. ». Il espérait ainsi que la réélection (annoncée) du Président Emmanuel Macron l'encouragerait à revenir à la généralisation du 80 kilomètres par heure sur les routes à une voie, à réduire à 110 kilomètres par heure la vitesse maximale sur les autoroutes (pour renforcer la sécurité routière et réduire les émissions de carbone), et revenir aussi à la taxe carbone sur les camions (écotaxe), avortée très chèrement par Ségolène Royal après la contestation des bonnets rouges (précurseurs des gilets jaunes).

Avec sa disparition, il manquera cruellement au débat public sur la sécurité routière. Toutes mes sincères condoléances à la famille.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (11 août 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Claude Got.
Claude Malhuret.
Didier Raoult.
Olivier Véran.
Philippe de Beaulieu.
Louis Pasteur.
Luc Montagnier.
François Jacob.
Jacques Testart.
Robert Edwards.
Katalin Kariko.
Li Wenliang.
Karine Lacombe.
Martin Blachier.
Agnès Buzyn.
Martin Hirsch.
Bertrand Guidet.
Axel Kahn.
Bernard Debré.
Claude Huriet.
Albert Jacquard.
Maurice Tubiana.

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230811-claude-got.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/professeur-claude-got-pere-de-l-249864

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/08/11/40006377.html







 

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6 mars 2023 1 06 /03 /mars /2023 04:22

« Dis-toi, qu't'es en train de partir
Tu t'es trompée d'navire
T'as cassé ta dérive
T'es en train d'te couler »
(Florent Pagny, "N'importe quoi", 1987,
Paroles : Florent Pagny, Marion Vernoux ;
Réalisation : Jean-Yves D'Angelo, Kamil Rustam).




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C'est avec cette chanson déchirante (contre la consommation de drogues) en mars 1988 que Florent Pagny est entré dans le petit panthéon de la chanson française. En plus de trente ans de carrière, et plus de 15 millions de disques vendus, il a chanté encore quelques grands succès et a parfois suscité la polémique, notamment avec des dettes fiscales dans les années 2000. Depuis un quart de siècle, il vit à la fois en France où est basée son activité artistique et en Patagonie où il aime se reposer en dehors de tout star system et où, surtout, habite son épouse.

Comme beaucoup d'artistes célèbres, Florent Pagny a de nombreux fans, mais aussi quelques détracteurs, des jaloux mais aussi des agacés par ses démêlées fiscales. Ces rancœurs se traduisent encore récemment par de véritables méchancetés alors que depuis janvier 2022, le chanteur vit dans une sorte de terrible cauchemar.

En effet, Florent Pagny a choisi de révéler publiquement, le 25 janvier 2022 sur son compte Instagram, qu'il était atteint d'un cancer du poumon : « On vient de me diagnostiquer une tumeur au poumon, une tumeur cancéreuse, pas très sympathique, qui ne peut pas s'opérer, donc je dois rentrer dans un protocole de six mois de chimiothérapie et de rayons X. Moi et ma moitié devons nous mettre en mode guerrier afin d'affronter cette épreuve un peu particulière. ». On l'oublie un peu vite maintenant, mais janvier 2022, c'était la grande vague du variant omicron pour le covid-19 et beaucoup de choses étaient encore bloquées (jusqu'en mai 2022).

Cancer du poumon. Deux mots qui font frémir, le premier, le crabe, jamais joli à entendre et le second, la localisation, qui fait partie des cancers les plus courants (en France, plus de 45 000 personnes ont été diagnostiquées en 2015) mais aussi qu'on réussit le moins bien à soigner (en France, plus de 30 500 personnes en sont mortes en 2015). Certains ont critiqué le choix de l'expression "tumeur pas très sympathique", considérant qu'il n'y en a jamais de sympathique, mais je trouve au contraire que l'utilisation de cet euphémisme l'honore, en y mettant du recul et de la légèreté dans ce qu'il convient bien de dire que c'est du lourd. Très lourd.

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Ce n'est jamais facile de révéler publiquement sa maladie, parce que le risque est irrémédiablement d'être étiqueté. Il l'a fait d'une part parce qu'il devait interrompre sa tournée réalisée pour ses 60 ans (qu'il a atteints le 6 novembre 2021). D'autre part, parce qu'il semblait en ressentir le besoin : partager avec ceux que cela intéresse ses difficultés personnelles. De plus, c'est une maladie où la psychologie joue un rôle essentiel : il faut vouloir combattre, ce qui semble être le cas du chanteur avec une pointe d'optimisme, même.

Une à deux centaines de milliers de followers (comme on dit) suivent donc les différentes évolutions de son traitement. Le 10 mai 2022, Florent Pagny s'est montré rassurant : « Il ne me reste plus qu'une chimio. Je peux vous dire que je vais très bien. Le protocole a plutôt bien marché puisque, dès les deux premières chimioimmunothérapies, ma tumeur aussi grosse qu'un kiwi s'est transformée en une noisette. ». Ont suivi des traitements encore très lourds.

Toujours soutenu par plus de 140 000 internautes, Florent Pagny s'est montré le 14 août 2022 sur Instagram dans un bateau en plein milieu de la mer Égée, autour de montagnes, chauve avec barbichette et moustaches : « Tout va très bien !! Je reprend des couleurs en Mer Égée, magnifique. ».

Enfin, dans l'émission "Taratata" spécialement consacrée à la lutte contre le cancer, diffusée le 29 octobre 2022 sur France 2, Florent Pagny a évoqué la perspective de reprendre sa tournée, pour ses 61 ans. En visioconférence depuis son domicile de Patagonie, il a en effet lâché, soulagé : « Comme vous le voyez, je vais de mieux en mieux (…). Normalement, si tout va bien, l’année prochaine, on se retrouvera enfin tous ensemble pour chanter et pour chercher des dons, puisque ce sont les dons individuels qui permettent le développement et la recherche. (…) J’aurais bien aimé être avec vous pour une soirée comme celle-ci, pour soutenir et se mobiliser contre le cancer, surtout que je suis largement concerné maintenant. (…) Si tout se passe bien on se retrouve l'année prochaine pour terminer ce que j'ai commencé : la tournée des 61. ». Et pourtant, rien n'est jamais sûr avec cette merde.

Toutes ces nouvelles rassurantes ont effectivement été démenties ce dimanche 5 mars 2023. Intervenant dans l'émission "Sept à Huit" sur TF1, Florent Pagny a affirmé qu'à la suite de fortes toux en janvier dernier, il a dû faire des premières analyses qui ont fait état d'un ganglion qui pourrait être très mauvais : « Ce n’est pas le scénario qu’on espérait (…). Les images elles ne sont pas terribles, donc dans trois jours, je rentre à Paris, pour aller voir ce qui se passe. Il y a un ganglion qui a fixé, ce qui fait qu’il y a des risques de métastases. ».

En rémission, Florent Pagny est retourné en Patagonie et a interrompu son immunothérapie. Il pense maintenant que c'est peut-être à cause de cela (personne ne pourra confirmer) que son cancer réapparaît : « En fait, ça fait chier cette histoire, il y a toujours quelque chose qui finit par réapparaître. ».

Ce nous dit le site de l'INSERM : « L'immunothérapie est une approche thérapeutique qui agit sur le système immunitaire d'un patient pour lutter contre sa maladie. Dans le cas du cancer, elle ne s'attaque pas directement à la tumeur, mais stimule les cellules immunitaires impliquées dans sa reconnaissance et sa destruction. ». C'est une toute nouvelle approche de lutte contre le cancer (depuis une dizaine d'années). Autrement dit : « Au lieu de s’attaquer directement aux cellules tumorales, l’idée est d’aider le système immunitaire à les reconnaître et les détruire. ». Elle pourrait contribuer à une meilleure prise en charge des cancers et, surtout, à une réduction de leur mortalité.


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Quoi qu'on pense de son travail d'artiste, et même de son comportement (de sa négligence dans les soins ; il a assez avec sa propre culpabilité pour ne pas en rajouter), on ne peut que souhaiter à Florent Pagny de s'en sortir le plus promptement possible, et le souhaiter aussi aux dizaines de milliers de personnes qui, en France, sont atteintes du même mal que lui et vivent ses mêmes espoirs et inquiétudes.

Parce qu'il est connu, il ne sera pas mieux soigné, bien sûr, mais il pourra plus efficacement mettre en garde contre cette maladie, son écho médiatique sera plus fort. Car le cancer du poumon est "la" maladie des fumeurs (à environ 80% des cas), même si tous les fumeurs ne développent pas un cancer du poumon et même si on peut avoir un cancer du poumon sans avoir jamais fumé de la vie.

Quelques mesures, depuis une vingtaine d'années, ont déjà été prises pour contrer ce cancer, en particulier la hausse des taxes sur le tabac qui a considérablement réduit le tabac chez les jeunes et adolescents (mesures faciles pour un État). Ainsi, le nombre de nouveaux cas de cancer du poumon est en baisse actuellement.

Certains médecins, à l'instar du professeur Nicolas Girard, pneumologue spécialisé en oncologie thoracique, souhaiteraient que l'État mette en place une véritable politique de dépistage systématique du cancer du poumon (ce sera coûteux mais on le fait déjà avec le dépistage du cancer colo-rectal et le cancer du sein), ce qui signifie un scanner de la cage thoracique pour les personnes à risques, à savoir, celles qui ont plus de 50 ans avec plus de vingt-cinq ans de tabagisme. La détection aux premiers stades de la tumeur augmente les chances de s'en sortir.

Pour terminer, j'évoque, en passant, les commentaires lus sur Internet dans les articles évoquant ce sujet (j'ai pris par exemple l'article publié par 20minutes). Il y a des personnes dont la rancœur les égare, au point de parler de l'évasion fiscale du chanteur, de se faire soigner en France (ce dont il a parfaitement le droit, le chanteur paie la plupart de ses impôts, cotisations et taxes en France), des réflexions de jalousie souvent (au point qu'un internaute a répliqué ainsi : « le rendez-vous des oncologues de 20mn... un concentré de spécialistes »), de l'argent qui ne peut pas empêcher le cancer (là, c'est une réflexion très sage), parfois, de la naïveté de se croire sauver alors que le cancer ne quitte pas aussi facilement l'organisme, et il y a aussi de nombreuses personnes compatissantes, qui lui souhaitent de s'en remettre, qui lui souhaitent bon courage, qui le soutiennent dans son malheur, dans son combat, certaines parce qu'elles connaissent aussi ce combat. Dans les commentaires sur 20minutes, je retiendrai cependant celui-ci, plutôt mignon, et pas méchant, qui joue avec les mots : « Le cancer, c'est un pagny de crabes. ». Bon courage pour la suite, l'artiste !


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (06 mars 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La maladie de Florent Pagny sans tabou.
Papillomavirus humains, cancers et prévention.
Qu'est-ce qu'un AVC ?
L'espoir nouveau de guérir du sida...
La Science, la Recherche et le Doute.
Louis Pasteur.
Svante Pääbo.
Luc Montagnier.
François Jacob.
Jacques Testart.
Robert Edwards.
Katalin Kariko.
Didier Raoult.
Axel Kahn.
Claude Huriet.
Transgenres adolescentes.
Le covid-19.
La malaria (le paludisme).
Unitaid et la taxe de solidarité sur les billets d’avion.
À votre écoute coûte que coûte !








https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230305-florent-pagny.html

https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/la-maladie-de-florent-pagny-sans-247163

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2023/03/07/39837173.html





 

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3 mars 2023 5 03 /03 /mars /2023 20:31

L'émission "Le Téléphone Sonne", diffusé en direct sur France Inter le soir du vendredi 3 mars 2023, portait sur la vaccination contre les papillomavirus, après l'annonce du Président Emmanuel Macron de généraliser cette vaccination dans les collèges.
 
Cliquer sur le lien pour télécharger le podcast de l'émission (fichier .mp3) :
https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/11176-03.03.2023-ITEMA_23305266-2023F4170S0062-22.mp3

Pour en savoir plus :
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230228-papillomavirus.html

SR
https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20230303-telephone-sonne.html
 

 

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26 février 2023 7 26 /02 /février /2023 18:53

« D'après ["Le Parisien"], son pronostic vital n'est pas engagé. Le JDD indiquait samedi soir que l'humoriste était "conscient" mais "très affaibli". Jointe par l'AFP, l'avocate de l'acteur, Céline Lasek, n'a pas souhaité confirmer. » ("L'Est Républicain", le 26 février 2023).



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Après l'accident de la route, l'accident vasculaire cérébral (AVC). Pierre Palmade, qui a été mis en examen pour homicide involontaire et assigné à résidence dans le service d’addictologie de l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne) après l'accident du 10 février 2023, testé positif à la cocaïne et aux médicaments de substitution, a quitté l'unité de soins intensifs de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre ce dimanche 26 février 2023 selon la chaîne BFMTV. La raison non pas de la sortie mais de son admission la veille ? Pierre Palmade aurait été pris en charge pour un AVC. Pour cette prise en charge, son bracelet électronique aurait été coupé, ce qui aurait entraîné le placement de l'humoriste sous surveillance policière. Je ne connais pas son état de santé actuel et je n'ai pas à le savoir, le secret médical doit être respecté.

Je ne reviens pas sur ce qu'on a appelé "l'affaire Palmade" si ce n'est pour rappeler la détresse d'une famille, une mère enceinte qui a perdu son enfant à naître et un enfant qui a été très gravement blessé. Bien malgré lui, l'accident de Pierre Palmade a mis sur le devant de l'actualité de nombreux problèmes de la société, la consommation de drogues, l'insécurité routière, l'homosexualité non-assumée, le chemsex, et bien plus encore, et (je me garderais de dire qu'il n'a pas de chance mais disons que je n'aimerais pas être à sa place), voici qu'il vient de faire un AVC. À 54 ans, c'est très tôt, alors que les trois quarts des AVC concernent des personnes âges d'au moins 65 ans (dont un quart des personnes d'au moins 85 ans).

Il est important de rappeler ce qu'est un AVC (attaque cérébrale ; en anglais, stroke), comment le déceler et quoi faire, car en France, environ 150 000 personnes sont victimes d'un AVC chaque année. On évalue qu'une personne sur cinq aura un AVC dans son existence. Il est aussi fréquent que l'infarctus du myocarde. L'AVC est la première cause de handicap physique, la deuxième cause de démence et la troisième cause de décès. C'est donc un événement important et fréquent dans la société, qui a de quoi pourrir la vie de ceux qui en sont victimes (dans le cas où leur vie en réchappe). Seulement 40% des personnes ayant eu un AVC retrouve une vie normale.

Qu'est-ce que c'est, un AVC ? C'est l'absence d'irrigation d'un vaisseau sanguin dans le cerveau. Plus cet arrêt de circulation sanguine est long, plus les tissus irrigués par le vaisseau concerné sont détruits. Cela donne une idée aussi de l'urgence : elle est aussi élevée qu'en cas d'infarctus du myocarde (crise cardiaque).

On distingue trois catégories d'AVC par les différentes causes de l'obstruction du vaisseau sanguin, qu'on peut voir sur le schéma proposé par la Fondation pour la recherche sur les AVC. Les principaux AVC (80% des cas) sont des infarctus cérébraux provoqués par l'occlusion d'une artère cérébrale par un caillot sanguin (appelé thrombus). La deuxième catégorie (15% des cas), ce sont les hémorragies cérébrales dues à la rupture d'une artère cérébrale, avec la formation d'un hématome à l'intérieur du cerveau. Enfin, il existe aussi (pour 5% des cas) les hémorragies méningées provoquées par la rupture de l'artère cérébrale superficielle qui entraîne une hémorragie dans les enveloppes qui entourent le cerveau.

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On le voit, un AVC est donc un événement de santé très sérieux auquel il faut prêter attention. J'écris cela car contrairement à une crise cardiaque qui fait très mal, un AVC est généralement indolore, mais souvent, pas sans conséquence. C'est ce que disait le professeur Laurent Spelle, chef du service de neuroradiologie interventionnelle de l'hôpital Bicêtre au Kremlin-Bicêtre, le 28 octobre 2019 dans "Le Parisien" : « Contrairement à un infarctus du cœur qui entraîne une douleur intense dans la poitrine, l'AVC ne fait pas mal. Conséquence, les gens ne paniquent pas, ils attendent que ça passe et n'appellent pas les secours. ».

Donc, le premier problème, c'est de savoir qu'on est victime d'un AVC, et ce n'est pas si simple de savoir. En effet, les symptômes existent mais il faut être très à l'écoute de son corps : cela peut être léger, ou alors, très fort mais très bref, et si tout se rétablit, on peut croire que tout va à nouveau bien, ce qui est un leurre, ça peut être un AIT (voir plus loin).

Trois séries de symptômes sont à observer, qui surviennent brutalement : 1° une paralysie dans le visage (une bouche qui se tord par exemple) ; 2° une inertie d'un membre ; 3° un trouble de la parole, élocution difficile, trouble de la vision, etc. Si l'un de ces trois symptômes survient, même s'il disparaît rapidement ensuite, il faut en urgence téléphoner au 15 (le Samu).

Il est très important de passer par le téléphone et de ne pas aller dans le service des urgences d'un hôpital qui n'a peut-être pas de neurologue disponible en permanence. Le Samu envoie une ambulance à la victime de l'AVC et organise son hospitalisation dans une unité de soins intensifs neurovasculaires (ce qui semble avoir été le cas pour Pierre Palmade).

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Le site de la Fondation pour la recherche sur les AVC insiste beaucoup : « Il faut surtout éviter de céder à la tendance naturelle qui consiste à minimiser les symptômes, à leur trouver une explication rassurante et à attendre dans l’espoir que tout va rentrer dans l’ordre rapidement. Il vaut mieux appeler à tort que trop tard. ».

Il y a en effet urgence à traiter au mieux un AVC : un médicament peut dissoudre le caillot dans les 4 heures 30 suivant le début des troubles, voire une intervention pour retirer le caillot dans les 6 heures. Avec des techniques nouvelles, on peut parfois agir jusque dans les 24 heures. Concrètement, seulement un tiers des personnes touchées par un AVC arrive à bon port (dans le bon service hospitalier) dans les délais. Pour les deux autres tiers, c'est une perte de chance, des séquelles parfois définitives.


 




Beaucoup de causes peuvent engendrer un AVC. Les plus communes sont tout ce qui peut boucher une artère. Un caillot peut aussi s'être formé dans le cœur ; un AVC peut donc provenir d'une malformation cardiaque (éventuellement non-diagnostiquée). Les trois principaux facteurs de risques sont : l'hypertension artérielle, le diabète et le cholestérol ; d'autres sont : l'insuffisance rénale, et tous les troubles de la coagulation. Liés au mode de vie, d'autres facteurs augmentent beaucoup le risque : tabac, alcool, cannabis, surpoids, mauvaise alimentation (trop salé, trop sucré, trop de viande rouge, pas assez de fruits et légumes, trop de graisse, etc.), absence d'activité physique, etc.

Feigin et al. (Lancet Neurol d'octobre 2021) ont établi ce tableau des facteurs de risques pour l'année 2019 dans le monde.

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Depuis une dizaine d'années (bien avant la vaccination anti-covid !), on observe une hausse des AVC chez des patients jeunes dont les causes peuvent être la trop grande sédentarité, le surpoids, la pollution (cause prouvée), une alcoolisation aiguë, etc. Dans le même article du "Parisien", la professeure Charlotte Cordonnier, neurologue à Lille, conseillait de faire de l'exercice physique régulièrement : « Deux à trois fois par semaine durant 30 à 45 minutes. Elle permet de prévenir les maladies vasculaires mais aussi les fonctions cognitives du cerveau comme la mémoire ! ». La Fondation propose également : « Le type et l’intensité de l’activité physique souhaitable demeurent discutés : plus de 150 minutes d’activité physique modérée (marche rapide par exemple) ou 75 minutes par semaine d’activité intensive (course) ou encore 3 à 4 séances de 40 minutes par semaine d‘activité modérée à intensive. ».

Il peut aussi y avoir ce que j'appellerais un "demi-AVC", à savoir, ce que la médecine appelle un AIT, accident ischémique transitoire, c'est-à-dire une artère cérébrale bouchée temporairement puis qui se débouche toute seule. Le trouble est brutal mais bref : il faut alors consulter très vite car c'est un signe précurseur d'AVC. Le site de la Fondation le confirme : « La régression des signes en quelques minutes ne doit en aucun cas rassurer. Ces déficits neurologiques soudains régressant rapidement portent le nom d’accident ischémique transitoire (AIT). L’AIT est en fait un excellent signe avant-coureur d’infarctus cérébral, dont le risque est particulièrement élevé dans les heures et les jours qui suivent. ».

Environ 800 000 personnes ont survécu à un AVC en France, dont 60% gardent des séquelles neurologiques plus ou moins graves (déficit moteur, troubles du langage, troubles sensitifs ou visuels). 30% font une dépression après un AVC, et parfois, la dépression atteint l'entourage de la personne qui a eu l'AVC. Selon l'OMS, en 2019, 12,2 millions de personnes ont eu un AVC dans le monde, et 6,6 millions de personnes sont décédées d'un AVC (deuxième cause de décès dans le monde).

Tous ces éléments devraient encourager les pouvoirs publics à renforcer encore leur communication sur la prévention des AVC auprès du grand-public. Bien malgré lui, Pierre Palmade y a un petit peu contribué...


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (26 février 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L'AVC de Pierre Palmade.
L'espoir nouveau de guérir du sida...
La Science, la Recherche et le Doute.
Louis Pasteur.
Svante Pääbo.
Luc Montagnier.
Le Nobel 2008 conforte la paternité française de la découverte du virus du sida.
Un nouvel espoir contre le sida ? (31 octobre 2007).
Réflexions sur l’attribution des Prix Nobel (17 octobre 2007).
Luc Montagnier nobélisé.
François Jacob.
Jacques Testart.
Robert Edwards.
Katalin Kariko.
Li Wenliang.
Gilbert Deray.
Olivier Véran.
François Braun.
Karine Lacombe.
Didier Raoult.
Claude Malhuret.
Martin Blachier.
Agnès Buzyn.
Olivier Véran.
Martin Hirsch.
Bertrand Guidet.
Axel Kahn.
Bernard Debré.
Claude Huriet.
Albert Jacquard.
Maurice Tubiana.
Charlotte Valandrey.
Transgenres adolescentes.
Le covid-19.
La malaria (le paludisme).
Unitaid et la taxe de solidarité sur les billets d’avion.
À votre écoute coûte que coûte !

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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230226-avc.html

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22 février 2023 3 22 /02 /février /2023 04:33

« La guérison signifie que notre dignité est rétablie et que nous sommes en mesure de faire avancer nos vies. » (Mgr Desmond Tutu).




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Bonne nouvelle sur le front de la recherche. Le sida (AIDS en anglais), maladie provoquée par le virus VIH (ou HIV en anglais) va peut-être enfin être vaincu par le génie humain, quarante ans après la découverte du virus du sida. En tout cas, c'est l'espoir pour des dizaines de millions de personnes qui s'est renforcé avec cette brève communication publiée ce lundi 20 février 2023 dans la revue scientifique "Nature Medicine" (à télécharger ici).

Soumis le 5 août 2022 et accepté le 9 janvier 2023, ce papier succinct émanant de plusieurs équipes de recherche, en particulier le CHU de Düsseldorf, l'Institut Pasteur, les Universités de Hambourg et d'Utrecht, fait état d'un troisième cas de guérison probable du VIH.

Il s'agit d'un patient hospitalisé à Düsseldorf de 53 ans qui, en plus d'être séropositif, avait une leucémie. Il résistait à tous les traitements. Ses médecins lui ont proposé de lui faire une greffe de moelle osseuse, mais très particulière : en plus d'être compatible, le donneur devait porter une mutation génétique empêchant naturellement le VIH d'entrer dans les cellules (mutation CCR5 delta32). Cette greffe faite il y a quatre ans a été un grand succès pour ce patient, tant contre la leucémie que le sida : il n'a plus aucune trace de VIH dans l'organisme.

Comme écrit plus haut, ce patient de Düsseldorf est le troisième malade guéri du sida, après deux autres cas indépendants, qui ont été également soignés avec cette méthode, qui n'ont pas encore fait l'objet d'une publication scientifique, à l'exception d'une brève annonce publiée le 5 mars 2019 dans "Nature".

Le premier patient, dit "le patient de Berlin", atteint d'une leucémie, est soigné depuis 2007, année où il a eu deux greffes de moelles osseuses et des cellules souches de donneurs ayant une mutation génétique résistant au VIH : « Au bout de 600 jours, la charge virale est devenue indétectable. Son taux d'anticorps a baissé à un niveau témoignant de la disparition du virus. » indiquait "Le Monde" du 26 juillet 2012.

Le deuxième patient, dit "le patient de Londres", diagnostiqué au VIH en 2003 et suivant une thérapie antirétrovirale depuis 2012, a été soigné en 2016 avec une greffe de moelle osseuse et une chimiothérapie après qu'on a détecté une forme avancée de la maladie de Hodgkin (cancer du système lymphatique), et depuis août 2017, il n'observe plus de VIH détectable. Le 4 mars 2019, ce "patient de Londres" a confié de manière anonyme au "New York Times", très ému : « Je me sens responsable d'aider les médecins à comprendre comment cela s'est passé afin qu'ils puissent développer la science (…). Je n'ai jamais pensé qu'il y aurait un remède de mon vivant. ». Il faut dire qu'être soigné et guéri en même temps de deux maladies très graves est assez exceptionnel.

Pour Ravindra Gupta, professeur de l'Université de Cambridge et l'un des principaux auteurs de la découverte, c'était très prometteur en 2019 : « En parvenant à une rémission sur un deuxième patient tout en utilisant une approche similaire, nous avons montré que le "patient de Berlin" n'a pas été une anomalie. ». Le troisième patient confirme ainsi les deux précédentes guérisons.

C'est donc très encourageant, car jusqu'à maintenant, les traitements proposés pour soigner les personnes malades du sida (la trithérapie antirétrovirale ARV) permettaient principalement de ralentir l'action du VIH (permettant aux porteurs du virus de vivre plusieurs décennies) mais jamais de faire disparaître complètement ce virus.

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C'est un espoir de guérison qui s'ouvre à tous les malades, mais, au-delà des confirmations sur plus de trois patients, ce n'est qu'une piste de recherche et pas une voie de soins à généraliser. En effet, c'est une méthode très risquée, qui est réservé aux patients qui n'ont plus d'autres solutions. Une telle greffe est très dangereuse et son taux de mortalité est très élevé, les effets secondaires sont également très lourds. Par ailleurs, cette méthode est très coûteuse, bien sûr.

De plus, au-delà de trouver un donneur compatible, il faut aussi que ce donneur porte cette mutation génétique qui le protège naturellement du VIH, or moins de 1% de la population porterait cette mutation si précieuse : « Il est très rare qu’un donneur de moelle compatible ait cette mutation. Au final, il s’agit d’une situation exceptionnelle quand tous ces facteurs coïncident pour que cette greffe soit un double succès de guérison, de la leucémie et du VIH. » selon le docteur Asier Saez-Cirion, l'un des auteurs de cette étude et responsable de l'unité réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l'Institut Pasteur, interrogé par franceinfo le 20 février 2023.

Même si elle est utilisée dans des cas extrêmes, cette méthode prouve que la piste génétique est efficace : la greffe de moelle osseuse permet de vider le corps de toutes les cellules infectées au VIH, puis, grâce à la mutation génétique citée, de renforcer les barrières au VIH. L'idée est donc d'envisager de provoquer ces effets sans greffe, toujours lourde et incertaine.

Deux techniques sont ainsi en voie de développement, selon Anne-Laure Dagnet de Radio France : « On sort les cellules de l'organisme, on fait ce travail en laboratoire et on les réinjecte, ou alors on fait une simple piqûre avec à l'intérieur de quoi couper les gênes directement dans l'organisme. Dans les deux cas, le patient guérirait sans subir d'opération et sans avoir à prendre un traitement à vie. ».

Le sida est un véritable fléau dans le monde. Selon Unitaid, en 2021, plus de 38 millions de personnes vivaient avec le VIH, dont 1,5 million qui ont été infectées dans l'année et 650 000 personnes en sont mortes la même année. Moins de 60% des personnes atteintes du VIH sont soignées avec la thérapie ARV et une nouvelle forme de VIH résistante à cette thérapie devient très préoccupante.

À l'occasion de la Journée mondiale du sida, le 1
er décembre 2022, le Secrétaire Général de l'ONU Antonio Guterres a tiré de nouveau le signal d'alarme : « Le monde a promis de mettre fin au sida d'ici à 2030… mais nous ne sommes pas sur la bonne voie (…). Aujourd'hui, nous risquons d’avoir des millions de nouvelles infections et des millions de décès supplémentaires. (…) Nous pouvons mettre fin au sida. Si nous traitons tout le monde de manière égale. ». Le Président de l'Assemblée générale des Nations Unies Csaba Körösi, de son côté, a insisté pour dire que la crise du sida été « mûre pour des solutions fondées sur la science, la solidarité et la durabilité ».

Au-delà des gros investissements en recherche et développement pour trouver de nouvelles méthodes pour lutter contre le VIH, il y a la prévention qui est encore un problème notamment dans certains pays d'Afrique, puis le dépistage et les soins. Le meilleur moyen de ne plus avoir le sida, c'est de ne jamais l'avoir eu.

Mais comme l'a affirmé Maureen Murenga, une militante kényane, diagnostiquée séropositive au début des années 2000 et qui a souffert d'une forte stigmatisation dans son pays, avoir le sida n'est heureusement plus synonyme d'une condamnation à mort. Peut-être même que dans quelques années, la thérapie génique mise en lumière par ces trois guérisons permettra d'en finir une bonne fois pour toute avec le sida. Attention toutefois aux faux espoirs ; pour ce genre de sujet, il faut toujours rester très prudent et rester au conditionnel.


Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (20 février 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L'espoir nouveau de guérir du sida...
Publication "In-depth virological and immunological characterization of HIV-1 cure after CCR5Δ32/Δ32 allogeneic hematopoietic stem cell transplantation" du 20 février 2023 (à télécharger).
La Science, la Recherche et le Doute.
Louis Pasteur.
Svante Pääbo.
Luc Montagnier.
Le Nobel 2008 conforte la paternité française de la découverte du virus du sida.
Un nouvel espoir contre le sida ? (31 octobre 2007).
Réflexions sur l’attribution des Prix Nobel (17 octobre 2007).
Luc Montagnier nobélisé.
François Jacob.
Jacques Testart.
Robert Edwards.
Katalin Kariko.
Li Wenliang.
François Braun.
Karine Lacombe.
Didier Raoult.
Claude Malhuret.
Martin Blachier.
Agnès Buzyn.
Olivier Véran.
Martin Hirsch.
Bertrand Guidet.
Axel Kahn.
Bernard Debré.
Claude Huriet.
Albert Jacquard.
Maurice Tubiana.
Charlotte Valandrey.
Transgenres adolescentes.
Le covid-19.
La malaria (le paludisme).
Unitaid et la taxe de solidarité sur les billets d’avion.
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