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27 juillet 2018 5 27 /07 /juillet /2018 03:00

« Soyez confiants ; le monde est à ceux qui partent à sa conquête avec certitude et bonne humeur. » (André Maurois, 1927).



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Deux jours après l’éclipse de lune (voir en fin d’article), ce dimanche 29 juillet 2018, la NASA fête son 60e anniversaire. La NASA est l’acronyme de la National Aeronautics and Space Administration, fondée le 29 juillet 1958 par le Président Dwight Eisenhower aux États-Unis. Cette agence spatiale a employé en 2017 environ 17 500 personnes et son budget pour 2018 est près de 21 milliards de dollars.

Malgré ce budget "astronomique", ce n’est pas le premier consacré à l’Espace aux États-Unis puisque 27 milliards de dollars ont été consacrés en 2008 aux satellites militaires de télécommunications, météorologiques, etc. dans le budget du Ministère américain de la Défense, et d’autres agences américaines sont aussi fondées autour d’activités spatiales (le NRO : National Reconnaissance Office ; la NGA : National Geospatial-Intelligence Agency ; etc.).

Depuis une dizaine d’années, le budget de la NASA est de l’ordre du 0,5% du budget fédéral des États-Unis, ce qui est faible par rapport à ses débuts, et en particulier, les années 1960 (avec un sommet de presque 4,5% des dépenses fédérales en 1965, soit neuf fois plus que maintenant).

À l’origine, il y a eu la compétition entre les États-Unis et l’Union Soviétique au milieu des années 1950. Leurs objectifs, lancer un satellite artificiel, puis envoyer un homme dans l’Espace et plus généralement, explorer l’Espace. Cette compétition, pour une fois pacifique, a créé une saine émulation dans les domaines scientifiques et technologiques, et sans cette nécessité politique, il y aurait eu peu d’espoir qu’un pays au monde eût consacré un budget aussi gargantuesque pour la simple beauté du monde de la connaissance.

Les États-Unis ont raté deux rendez-vous historiques au profit de l’URSS : le lancement du premier satellite (Spoutnik fut lancé le 4 octobre 1957) et l’envoi du premier homme dans l’Espace (le cosmonaute Youri Gagarine dans Vostok-1survola la Terre le 12 janvier 1961). Les Américains n’ont envoyé leur premier satellite artificiel Explorer-1 que le 1er février 1958. Le premier astronaute américain Alan Shepard fut envoyé autour de la Terre le 5 mai 1961, mais ce fut John Glenn qui fut le premier Américain à avoir fait le tour de la Terre le 20 février 1962. C’était donc pour rendre plus efficaces toutes les décisions du gouvernement américain dans le domaine spatial que ce dernier a créé la NASA.

Mais les batailles ambitieuses ne se gagnent jamais que par les moyens qu’on alloue pour elles. À ce titre, même si, initialement, les Présidents américains Dwight Eisenhower et son successeur démocrate John Kennedy n’étaient pas des farouches promoteurs de la conquête de l’Espace, ils ont compris tout le bénéfice géopolitique qu’ils pourraient en tirer face aux Soviétiques. Après le double échec (premier satellite et premier vol habité), John Kennedy a lancé le très ambitieux programme Apollo : marcher sur la Lune !

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Son discours devant le Congrès au Capitole le 25 mai 1961 reste très connu : « Notre nation doit s’engager à faire atterrir l’homme sur la Lune et à le ramener sur Terre sain et sauf avant la fin de la décennie. ». Le 12 septembre 1962 à Houston, il a confirmé le programme : « Nous avons choisi d’aller sur la Lune au cours de cette décennie et d’accomplir d’autres choses encore, non pas parce que c’est facile, mais justement parce que c’est difficile. Parce que cet objectif servira à organiser et à offrir le meilleur de notre énergie et de notre savoir-faire, parce que c’est le défi que nous sommes prêts à relever, celui que nous refusons de remettre à plus tard, celui que nous avons la ferme intention de remporter, tout comme les autres. ».

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Objectif Lune atteint en moins d’une décennie : les deux premiers hommes à avoir marché sur la Lune furent Neil Armstrong et Buzz Aldrin le 21 juillet 1969 (Apollo 11). C’était trop tard pour JFK et son frère Bob Kennedy, qui furent assassinés, mais leur père Joseph Kennedy Sr a pu le vivre avant de s’éteindre quelques mois plus tard (le 18 novembre 1969).

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Ces missions Apollo sur la Lune furent sans nul doute la plus belle réussite de la NASA. Comment résumer tous ses programmes spatiaux depuis soixante ans ? Il est évidemment difficile d’être exhaustif et ce serait fastidieux. Je préfère alors parler de quelques émotions que j’ai pu ressentir personnellement dans cette conquête spatiale, car ces recherches, plus visibles que les recherches contre le cancer ou sur d’autres sujets, ont un fort potentiel à faire rêver. Et pas seulement de technologies. Mettre la tête dans les étoiles.

La NASA n’est évidemment pas la seule agence spatiale à avoir permis de grandes avancées dans le domaine spatial. La Russie évidemment a beaucoup contribué à une certaine époque, la Chine aussi, commence à s’équiper pour devenir une puissance spatiale autonome. L’Europe a fait beaucoup également, et l’une de ses dernières réussites a été la mission Rosetta, elle aussi très émouvante dans la capacité des êtres humains à envoyer des engins à une centaine de millions de kilomètres de chez eux avec une précision insoupçonnable.

L’une des innovations majeures apportées par la NASA dans les années 1980 fut la navette spatiale. Habituellement, les satellites et capsules habitées sont lancés par des fusées (appelées lanceurs) qui ne sont pas récupérables après le décollage. La navette spatiale, véhicule habité qui ressemblait assez bien aux véhicules intergalactiques de la science-fiction, avait été définie pour pouvoir rentrer sur Terre et être réutilisée lors d’une prochaine mission, faisant ainsi faire des économies substantielles. La première navette Columbia a décollé le 12 avril 1981, un décollage presque aussi émouvant que les exploits lunaires. Entre 1981 et 1986, à chaque nouveau décollage de navette, le téléspectateur pouvait presque être blasé, cela devait à peine moins ordinaire que le décollage d’un simple avion.

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Mais le programme des navettes spatiales a subi deux explosions en plein vol, Challenger au décollage le 28 janvier 1986, et Columbia au retour dans l’atmosphère terrestre le 1er février 2003. Finalement, il a été décidé d’arrêter le programme avec les navettes spatiales et de reprendre systématiquement la technologie "classique" des lanceurs. La 135e et dernière mission avec une navette spatiale américaine a eu lieu le 21 juillet 2011 avec Atlantis.

Une autre émotion très forte, en forme de saga, une saga dont les épisodes ont été très espacés dans le temps qui ont formé une histoire extraordinaire, ce fut l’odyssée des sondes Voyager-2 et Voyager-1.

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Lancée le 20 août 1977 par la fusée Titan-3-Centaur, la sonde Voyager-2 navigue dans l’Espace depuis une quarantaine d’années dans le Système solaire, émettant des images inédites de ses différentes planètes. Voyager-2 a survolé Jupiter le 9 juillet 1979, puis Saturne le 25 août 1981, Uranus le 24 janvier 1986, Neptune le 25 août 1989. Au 10 juillet 2018, la sonde était localisée à près de 17,7 milliards de kilomètres de la Terre. Quant à sa sœur jumelle, la sonde Voyager-1, lancée le 5 septembre 1977, elle a survolé Jupiter le 9 mars 1979, Saturne le 9 novembre 1980, et au 29 mars 2018, elle était distante de 21,1 milliards de kilomètres de la Terre. Voyager-1 a quitté l’héliosphère (la zone d’influence du Soleil) le 25 août 2012, tandis que Voyager-2 l’avait quittée le 29 août 2007. Les deux sondes ont encore quelques réserves énergétiques jusqu’en 2025, mais au-delà, elles continueront leur chemin sans pouvoir ni mesurer ni émettre de signal (dans 40 000 ans, elles passeront au voisinage d’une étoile de la constellation d’Andromède).

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Je termine sur trois autres missions intéressantes d’exploration de planètes spécifiques. Le but est de comprendre la géologie de ces planètes ainsi que celle de leurs satellites, et d’essayer de repérer des éléments constitutifs de vie, comme de l’eau liquide, et d’autres matières organiques, etc.

La sonde Galileo, avec une collaboration allemande, lancée le 18 octobre 1989 par la navette Atlantis, a pour but d’observer Jupiter et ses satellites. Elle s’est placée en orbite jupitérienne le 7 décembre 1995.

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La double sonde Cassini-Huygens, avec une collaboration européenne et italienne, lancée le 15 octobre 1997 par une fusée Titan-4-Centaur, a pour but d’observer Saturne et ses satellites. Elle s’est placée sur orbite saturnienne le 1er juillet 2004 après avoir survolé Jupiter le 30 décembre 2000, et la sonde Huygens a "atterri" sur Titan le 14 janvier 2005.

Enfin, la sonde MSL (Mars Science Laboratory), lancée le 26 novembre 2011 par la fusée Atlas-5, a pour but d’observer Mars. Elle a fait "atterrir" le robot Curiosity le 6 août 2012 pour pouvoir explorer la surface martienne. Après cinq ans d’approche, le module a atteint la région souhaitée pour l’exploration.

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La planète Mars est sans doute celle qui nous donnera le plus d’informations parce qu’elle est la plus proche et qu’on peut y lancer plus de sondes. La dernière révélation exceptionnelle sur Mars, qui n’a rien à voir avec la NASA, c’est la découverte annoncée il y a deux jours (dans "Science" le 25 juillet 2018) d’un lac d’eau permanente sous la surface martienne vers son pôle sud, observé par le radar Marsis de l’Agence spatiale italienne, mis en service le 4 juillet 2005 et issu de la sonde Mars Express, de l’Agence spatiale européenne, lancée le 2 juin 2003 par une fusée Soyouz, placée sur l’orbite martienne le 25 décembre 2003 (on peut télécharger cette publication ici).

La NASA, au même titre que les autres agences spatiales, notamment européenne et russe, concourt à découvrir une multitude de données spatiales, et à nous faire rêver par ces explorations émouvantes de ce que le petit humain croit être l’infiniment grand et qui n’est en fait qu’une mini-zone d’une obscure banlieue d’une petite galaxie…

« Les rêves naissent dans un esprit qui n’est pas tout à fait humain mais ressemblent plutôt à un murmure de la nature. » (Carl Jung, 1959).

NB. Et puisque j’évoque la planète Mars, elle sera en opposition ce vendredi 27 juillet 2018, en position la plus proche de la Terre depuis quinze ans, brillant d’un rouge incandescent dans la nuit du 27 au 28 juillet 2018, nuit de la pleine lune et de l’éclipse lunaire la plus longue du XXIe siècle (103 minutes), visible notamment depuis la France. L’ombre de la Terre masquera la surface lunaire le 27 juillet 2018 de 21 heures 30 à 23 heures 13 (heure de Paris).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 juillet 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
La théorie de la Relativité générale d'Einstein encore vérifiée (publication du 29 juin 2018 à télécharger).
"Radar evidence of subglacial liquid water on Mars", R. Orosei et al., "Science" (publication du 25 juillet 2018 à télécharger).
Les 60 ans de la NASA.
Le dernier vol des navettes spatiales.
Rosetta : mission remplie !
Youri Gagarine.
Spoutnik.
Les petits humanoïdes de Roswell.
André Brahic.
Evry Schatzman.
Stéphane Hawking.
La relativité générale.
Max Planck.
Marie Curie.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180729-nasa.html

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/vibrez-avec-la-nasa-ou-sans-206435

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/07/27/36589518.html


 

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21 avril 2018 6 21 /04 /avril /2018 00:21

Le physicien Max Planck a révolutionné la physique et a marqué le début de la physique quantique par la publication de ses travaux datée du 7 janvier 1901 : "On the Law of the Energy Distribution in the Normal Spectum" dans Annalen der Physik, vol. 4, p.553.

Cliquer sur le lien pour télécharger la publication (fichier .pdf) :
http://ffn.ub.es/luisnavarro/nuevo_maletin/Planck%20(1901),%20Energy%20distribution.pdf

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180423-max-planck.html

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20180422-planck-quanta.html

 

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25 mars 2018 7 25 /03 /mars /2018 01:47

Un livre intéressant qui explique la compétition entre les USA et l'URSS dans la conquête spatiale entre 1945 et 1974 est disponible sur le site de la Nasa. Il est donc possible de le lire.

Titre : "Challenge to Apollo : The Soviet Union and the Space Race, 1945-1974".
Auteur : Asif A. Siddiqi.
Éditeur : Nasa, 2000.

Cliquer sur le lien pour télécharger le livre (fichier .pdf) :
http://history.nasa.gov/SP-4408pt1.pdf

Autre lien :
https://ntrs.nasa.gov/archive/nasa/casi.ntrs.nasa.gov/20000088626.pdf

Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180327-gagarine.html

SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20180325-course-espace.html


 

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14 mars 2018 3 14 /03 /mars /2018 07:21

« Non seulement Dieu joue aux dés, mais il les jette parfois là où on ne peut les voir. » (Réponse de Stephen Hawking à la célèbre phrase du physicien Albert Einstein : « Dieu ne joue pas aux dés. »).


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Le sourire était même devenu un exploit physique ! Le physicien théorique Stephen Hawking est mort à l’age de 76 ans ce mercredi 14 mars 2018 à Cambridge. Le jour anniversaire de la naissance d'Albert Einstein ! Cela faisait plus d’une cinquantaine d’années qu’il aurait dû mourir selon les médecins qui avaient diagnostiqué la "maladie de Charcot" lorsqu’il était étudiant. C’est une maladie neurodégénérative, donc irréversible. Fascinant scientifique, successeur d’Isaac Newton et de Paul Dirac à la prestigieuse chaire de mathématiques de l’Université de Cambridge pendant vingt-neuf ans, entre 1980 et 2009.

Stephen Hawking ne sera certainement pas un modèle car il n’était pas un être humain ordinaire. Il a déjà été particulièrement désavantagé par la nature avec une maladie qui l’a handicapé toute la vie. Il aurait pu, comme de nombreuses personnes à situation de handicap, être considéré seulement comme "un handicapé", avec les regards qui y sont associés, compassion, voire pitié. Il aurait pu se replier dans cette spécificité dans laquelle la "société" en général (qui ? les "bien portants" ?) l’aurait enfermé. Il aurait probablement vécu beaucoup moins longtemps.

Heureusement, ce handicap ne sera sans doute qu’une "anecdote" dans sa biographie (évidemment pas simple pour lui, mais qui ne l’identifie pas). L’essentiel est ailleurs, dans son génie de la physique. Il a fait progresser la science théorique, a apporté une meilleure compréhension du monde en essayant de bien comprendre la relativité générale et la physique quantique.

Avec son collègue Roger Penrose (86 ans) plus particulièrement spécialisé dans la mathématisation de la relativité générale, Stephen Hawking a contribué à proposer de nombreuses théories de cosmologie, et en particulier, sur les trous noirs dont il fut un éminent spécialiste. Il a en particulier prédit en 1975 le rayonnement de Hawking ("Hawking radiation") qui est un très faible rayonnement émis par un trou noir.

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Pendant sa longue carrière universitaire, il a pu participer aux débats scientifiques voire en susciter sur la théorie quantique et la relativité générale. Esprit très fin et intelligent, il considérait ces échanges avec une certaine excitation intellectuelle. Il n’a pas eu toujours raison, a su d’ailleurs revenir sur ce qu’il proposait le cas échéant, mais il a toujours poussé à réfléchir.

Son état de santé était très visible, on pouvait presque l’imaginer comme une sorte d’esprit sans corps, comme un cerveau relié à tout un appareillage pour pouvoir communiquer. Mais ce type d’équipements est très coûteux, ne serait-ce que parce qu’il a fallu le concevoir et le développer depuis les années 1980.

Autre corde de génie, non seulement Stephen Hawking était capable de défricher des terres inexplorées de la connaissance (de créer de la connaissance), mais il était aussi un très bon pédagogue. On pourrait croire que c’est normal pour un professeur, mais en fait, les enseignants-chercheurs sont toujours évalués sur leurs travaux de recherche, pas sur leurs enseignements, et il y a sans doute plus de motivation intellectuelle et de curiosité à chercher du nouveau qu’à "ressasser" de la connaissance déjà connue et digérée.

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Il se trouve donc que l’une des vocations de Stephen Hawking fut également de transmettre. Excellent vulgarisateur, il a publié notamment en 1988 un best-seller, ce qui est assez rare dans un domaine scientifique qui peut paraître très ardu aux yeux des profanes, "Une brève histoire du temps" (préfacé par Carl Sagan) qui a été vendu à ce jour à plus de 10 millions d’exemplaires dans plus de 35 langues (et dont je recommande évidemment la lecture passionnante).

Dans ce livre, il a raconté notamment une anecdote, très intéressante car elle montre l’importance qu’a la métaphysique chez Stephen Hawking (et qui devrait d’ailleurs obséder tout humain) : « Un savant célèbre (certains avancent le nom de Bertrand Russell) donna un jour une conférence sur l’astronomie. Il décrivit comment la Terre tournait autour du Soleil, et de quelle manière le Soleil, dans sa course, tournait autour du centre d’un immense rassemblement d’étoiles que l’on appelle notre galaxie. À la fin, une vieille dame au fond de la salle se leva et dit : "Tout ce que vous venez de raconter, ce sont des histoires. En réalité, le monde est plat et posé sur le dos d’une tortue géante". Le scientifique eut un sourire hautain avant de rétorquer : "Et sur quoi se tient la tortue ? – Vous êtes perspicace, jeune homme, vraiment très perspicace, répondit la vieille dame. Mais sur une autre tortue, jusqu’en bas !". ».

Le succès de ce livre (et des autres livres de vulgarisation qui ont suivi) lui a permis de financer ses capacités à communiquer : l’ordinateur, le logiciel, la synthèse vocale, les robots, etc. qui lui ont donné une voix, un bras, un fauteuil roulant, etc. C’est très important de noter que sans cet outillage indispensable, il aurait croupi dans une sorte de désert intellectuel, de terrible isolement, car il aurait été incapable de bouger, de parler, d’échanger, etc.

Au-delà de l’aspect financier du succès éditorial, il y a eu aussi la notoriété qu’on peut encore mesurer le jour de sa disparition dont la nouvelle fut annoncée par tous les grands médias. Cela donne plus de responsabilités dans les paroles qu’il pouvait prononcer en public. À la fin de sa vie, il a tenté de sortir des chemins scientifiques pour se poser des spéculations philosophiques qui ont provoqué des polémiques. Ces spéculations n’étaient pas ma tasse de thé mais qu’importe, un homme est un tout, et le fait est qu’il a été un penseur génial de la cosmologie moderne et qu’il a fait avancer et donner envie d’avancer avec lui.

Alors, non, Stephen Hawking ne peut assurément pas être un exemple de vie parce qu’il était un génie exceptionnel. Mais grâce à lui, grâce à d’autres aussi, grâce à tous ceux qui sont au contact avec des personnes en situation de handicap, qui les accompagnent, le regard sur le handicap en général évolue, se "normalise". Chaque personne humaine est un trésor vivant et précieux, même si elle est malade. Et Stephen Hawking en a fait une éloquente démonstration.

Pour terminer, je propose cette profonde réflexion de Stephen Hawking ans sa "Brève histoire du temps" : « Si nous découvrons une théorie complète, elle devra un jour être compréhensible dans ses grandes lignes par tout le monde, et pas par une poignée de scientifiques. Alors, nous tous, philosophes, scientifiques, et même gens de la rue, serons capables de prendre part à la discussion sur la question de savoir pourquoi l’Univers et nous-mêmes, nous existons. Si nous trouvons la réponse à cette question, ce sera le triomphe ultime de la raison humaine, à ce moment, nous connaîtrons la pensée de Dieu. » (1988). Sans doute commence-t-il maintenant à un peu la connaître, cette "pensée de Dieu"…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 mars 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Dépendances.
Le congé de proche aidants.
Stéphane Hawking.
Un génie très atypique.
Georg Cantor.
Jean d’Alembert.
David Bohm.
Marie Curie.
Jacques Friedel.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20180314-stephen-hawking.html

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/stephen-hawking-le-courage-dans-le-202344

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2018/03/14/36227622.html


 

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20 décembre 2017 3 20 /12 /décembre /2017 02:24

« Je n’ai jamais été capable de voir une séparation entre la science et la philosophie. D’ailleurs, dans des temps plus reculés, on parlait de philosophie naturelle [philosophia naturalis] et cette expression correspond parfaitement à la façon dont je conçois toute cette discipline. » ("Science, Order and Creativity", publié en 1987).


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Ce mercredi 20 décembre 2017, on fête le centenaire de la naissance du physicien David Bohm, né en Pennsylvanie. De parents immigrés (Hongrois et Lituanien) mais Américain de naissance, il fut "ballotté" avec les remous de la guerre et de la guerre froide.

Après ses études secondaires en Pennsylvanie, il étudia la physique à partir de 1939 en Californie, au California Institute of Technlology, puis à l’Université de Berkeley. Il prépara une thèse de physique théorique qu’il a soutenue en 1946, et son directeur de thèse fut Robert Oppenheimer. Il fut happé par le projet Manhattan en 1942, à la demande d’Oppenheimer chargé de mobiliser le maximum de physiciens pour achever le développement de la bombe nucléaire, mais sa collaboration fut refusée pour la raison suivante.

En effet, parallèlement, David Bohm a adhéré au parti communiste américain en 1942, mais il le quitta rapidement plus par ennui que par opposition. L’étiquette communiste lui colla à la peau auprès des autorités américaines après la guerre.

Autre "tare", David Bohm, qui s’est consacré très studieusement à la physique quantique, refuse de séparer la discipline scientifique de la philosophie en général, mettant en danger la rigueur scientifique au profit de certaines spéculations philosophiques, ce qui a beaucoup nui à sa crédibilité.

Entre 1946 et 1949, David Bohm a un poste d’enseignant à la prestigieuse Université de Princeton où il fit la connaissance du physicien Albert Einstein qui l’a par la suite soutenu dans ses déboires américains. Les déboires ? Le "maccarthysme" le convoqua en mai 1949 dans sa chasse contre les communistes, mais il refusa de collaborer avec les autorités. Finalement, il fut acquitté en 1951 mais c’était déjà trop tard : l’Université refusa qu’il pénétrât sur le campus et son contrat ne fut pas renouvelé. Résultat, il devait quitter les États-Unis pour trouver du travail.

Grâce à la recommandation d’Einstein, David Bohm fut recruté à l’Université de Sao Paulo au Brésil, mais perdit sa nationalité américaine. Pour ne pas être apatride et pouvoir voyager, il a demandé la nationalité brésilienne. Il enseigna ensuite à Technion (qui est une grande université technologique : Israël Institute of Technology) de 1955 à 1957, puis, enfin, à l’Université de Londres où il a poursuivi et terminé sa carrière de physicien et de professeur de physique théorique. Il a ainsi obtenu la nationalité britannique, mais ne fut pas vraiment honoré durant sa carrière, seulement quelques années avant sa mort, à l’âge de 74 ans, le 27 octobre 1992, à Londres (membre de la Royal Society seulement en 1990).

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David Bohm a jeté un pavé dans la "mare quantique" en 1952 (il avait alors 34 ans) avec deux publications dans la revue scientifique très rigoureuse "The Physical Review". Il a repris les travaux du physicien français Louis de Broglie sur la dualité de la matière onde/corpuscule. Dès 1927 à la Conférence Solvay, Louis de Broglie présenta en effet le concept d’une onde-pilote, qu’il avait imaginée dès 1924, qui "guiderait les particules et l’évolution de cette onde serait régie par l’équation de Schrödinger. Vu le faible écho en réaction de ses collègues, Louis de Broglie n’insista pas avec cette idée.

Avec le physicien britannique Basile Hiley, David Bohm imagina alors l’existence d’un "potentiel quantique" qui pourrait être un "potentiel d’information" qui supprimerait le caractère probabiliste de la physique quantique, et en 1975, il proposa même un "ensemble continu de l’univers entier".

Dans son livre "The Search for Meaning. The New Spirit in Science and Philosophy", publié en 1989, David Bohm fit l’analogie avec un avion sous pilotage automatique. Pour pouvoir fonctionner, l’avion reçoit des ondes radar qui lui indiquent l’état de son environnement. L’avion est un système avec sa propre énergie, mais sa trajectoire dépend des informations qu’il reçoit des ondes radar, qui ne véhiculent que peu d’énergie. Le potentiel quantique serait ainsi l’équivalent de ces ondes radar qui aideraient les particules quantiques à se déplacer.

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Ce mélange de l’esprit et de la matière pourrait inquiéter certains scientifiques. Surtout que Basile Hiley est allé jusqu’à parler de "protoconscience" pour caractériser le "potentiel quantique", qui agit par l’information qu’il véhicule et pas par son amplitude, ce qui fait qu’il peut agir autant éloigné que rapproché. Ce que le physicien britannique David Peat (mort le 6 juin 2017) a analysé dans une approche holistique : « C’est pour cette raison que des objets lointains peuvent exercer une influence forte sur le mouvement de l’électron. ».

Le physicien belge Jean Bricmont résuma ainsi les conséquences sur l’interprétation de Copenhague, ultra-majoritaire dans la communauté scientifique : « Dans cette théorie, nul besoin de faire intervenir un "observateur" extérieur au système physique comme c’est le cas dans les présentations habituelles de la physique quantique (…). De plus, la théorie est parfaitement déterministe, contrairement à l’idée répandue selon laquelle la physique quantique aurait prouvé l’existence d’un "hasard intrinsèque" dans la Nature. » (juillet 2016).

Dans une autre communication, Jean Bricmont a donné un complément : « D’une part, non seulement [la théorie de Bohm] échappe à tous les théorèmes d’impossibilité sur les variables cachées, mais elle permet de comprendre intuitivement l’origine de ces théorèmes. Il n’y a pas de "variables cachées" dans cette théorie, autre que les positions. (…) La non-localité est, d’autre part, aussi facile à comprendre dans la théorie de Bohm. ».

Le physicien britannique Mike Towler de l’Université de Cambridge expliqua que ce fut une extrapolation de la théorie de Bohm qui amena le physicien irlandais John Steward Bell à formuler sa fameuse inégalité. John S. Bell, également mathématicien, proposa en effet un théorème mathématique pour pouvoir départager Bohr et Einstein sur l’existence ou pas de variables cachées. Les expériences (indépendantes) des physiciens John Clauser en Californie et Alain Aspect à Orsay ont  prouvé la non-localité, ce qui pourrait ainsi être perçu comme une validation de la théorie de Bohm et pas comme sa réfutation.

Tout a été fait pour que la théorie de Bohm ne fût pas discutée par la communauté scientifique, soit ignorée, soit assimilée à une théorie à variables cachées (ce qu’elle n’était pas). Cet ostracisme a sans doute plusieurs causes autres que scientifiques, l’une politique (son communisme originel, son éviction d’une université américaine, etc.), l’autre peut-être méthodologique (sa propension à vouloir aussi s’occuper de philosophie). Il fit même plusieurs entretiens filmés avec le philosophe ("théosophe") indien Jiddu Krishnamurti (1895-1986), qu’il rencontra et avec qui il sympathisa en 1960. David Bohm dialogua aussi avec le dalaï-lama.

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Certes, les considérations politiques n’ont jamais été exclues de la réflexion scientifique et universitaire. Par exemple, en France, la physique quantique a mis un peu plus de temps qu’ailleurs à être enseignée aux étudiants dès le premier cycle car le principal physicien de cette discipline était proche des communistes (Paul Langevin, présent aux Conférences Solvay). Mais retard ne signifie pas censure.

Il est sans doute plus explicable que ce sont les "physiciens de l’interprétation de Copenhague" qui, peut-être par arrogance, justifiée par des résultats théoriques et expérimentaux particulièrement efficaces, ne voulaient pas remettre en cause leur propre spéculation.

L’un des physiciens les plus proches de David Bohm fut d’ailleurs John S. Bell, qui s’interrogea ainsi : « Pauli, Rosenfeld, et Heisenberg ne pouvaient guère produire de critique plus dévastatrice de la théorie de Bohm que de la dénoncer comme étant "métaphysique" et "idéologique" (…). Pourquoi l’image de l’onde-pilote est-elle ignorée dans les cours ? Ne devrait-elle pas être enseignée, non pas comme l’unique solution, mais comme un antidote à l’autosatisfaction dominante ? Pour montrer que le flou, la subjectivité, et l’indéterminisme, ne nous sont pas imposés de force par les faits expérimentaux, mais proviennent d’un choix théorique délibéré ? » ("Speakable and Unspeakable in Quantum Mechanics", 1987, cité par Wikipédia citant Jean Bricmont).

Nul doute que la théorie bohmienne restera encore pour longtemps une simple curiosité intellectuelle dans le grand musée épistémologique de la physique quantique, soigneusement rangée à côté des travaux de Bernard d’Espagnat et Olivier Costa de Beauregard.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 décembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
"David Bohm et les rapports entre science, politique et philosophie", article de Jean Bricmont dans "Science & pseudo-sciences" n°317 de juillet 2016.
David Bohm.
Marie Curie.
Le cinéma parlant.
Spoutnik.
Paul Painlevé.
Les petits humanoïdes de Roswell…
Jacques-Yves Cousteau.
La fécondation in vitro.
Robert Edwards.
Publications historiques pour comprendre l’expérience d’Alain Aspect (à télécharger).
Série documentaire de Brian Greene "La Magie du Cosmos" (2012).
Palais de la Découverte.
Roger Mari.
Olivier Costa de Beauregard.
Alain Aspect.
Stephen Hawking.
Trofim Lyssenko.
Rosetta, mission remplie !
Le dernier vol des navettes spatiales.
André Brahic.
Evry Schatzman.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Cellules souches, découverte révolutionnaire et éthique.
Ernst Mach.
Darwin vaincu ?
Jean-Marie Pelt.
Karl Popper.
Sigmung Freud.
Emmanuel Levinas.
Hannah Arendt.
Paul Ricœur.
Albert Einstein.
La relativité générale.
Bernard d’Espagnat.
Niels Bohr.
Paul Dirac.
François Jacob.
Maurice Allais.
Luc Montagnier.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20171220-david-bohm.html

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/david-bohm-le-vilain-petit-canard-199748

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/12/20/35962585.html


 

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3 octobre 2017 2 03 /10 /octobre /2017 02:57

« Le moment viendra où un vaisseau spatial transportant des êtres humains quittera la Terre et partira en voyage vers des planètes lointaines. Aujourd’hui, cela ne semble être qu’une fantaisie séduisante, mais en fait, ce n’est pas le cas. Le lancement des deux premiers Spoutnik soviétiques a déjà jeté un pont solide de la Terre dans l’Espace, et la voie des étoiles est ouverte. » (Sergueï Korolev, 1957).


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Il y a soixante ans, le 4 octobre 1957 à 19 heures 28 minutes et 34 secondes (TU), en plein guerre froide, l’Union Soviétique a eu de quoi fanfaronner : en lançant en orbite autour de la Terre le premier satellite artificiel de l’histoire de l’humanité, Spoutnik-1, elle est ainsi devenue la première puissance spatiale du monde. Il a fallu attendre 92 minutes avant de recevoir son premier signal radio.

C’était une petite sphère en aluminium de 58 centimètres de diamètre avec quatre "pattes" (quatre antennes), en tout 84 kilogrammes. Elle contenait deux parois, une première comme écran thermique et une seconde pour l’étanchéité de l’atmosphère intérieure (de l’azote). Ses batteries zinc-argent avaient vingt-deux jours d’autonomie pour émettre par radio (fréquences de 20 et 40 kiloherz captables par tout le monde) quelques données thermodynamiques de l’intérieur du satellite (pression, température). Le satellite fut donc réduit au silence le 26 octobre 1957 et perdait de l’altitude au point de rentrer le 4 janvier 1958 dans l’atmosphère et de se désintégrer au contact avec l’air après avoir parcouru autour de 70 millions de kilomètres (1 400 tours du monde).

Le satellite fut lancé par la fusée R-7 Semiorka, l’ancêtre des Soyouz, depuis le cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan. Baïkonour parce qu’il fallait construire en 1954 une base de lancement dans une région désertique, sans différence de relief géographique pour développer les missiles balistiques intercontinentaux. De plus, la base se situe près de la ligne de chemin de fer Moscou-Tachkent. En fait, le nom, choisi seulement en 1961, fut celui d’une ville située à plus de 300 kilomètres de cette base (pour tromper les concurrents sur sa localisation précise).

Le premier missile lancé depuis Baïkonour l’a été le 15 mai 1957 et ce fut un échec (explosion en plein vol à la 100e seconde). L’objectif d’en faire un missile balistique intercontinental fut atteint le 21 août 1957 avec un vol de 6 000 kilomètres. On utilisa la même technologie pour lancer le premier satellite artificiel quelques semaines plus tard.

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À l’origine, en effet, la R-7 Semiorka devait transporter des bombes A pesant 5 tonnes, ce qui en faisait le premier missile intercontinental. Sa technologie a vite été abandonnée pour son objectif premier (pour de multiples raisons techniques), mais le missile avait la capacité de s’élever verticalement comme le démontra l’essai du 7 septembre 1957 (le cinquième tir). La version allégée qui a permis le lancement du satellite pesait 272 tonnes.

Le responsable scientifique de ces développements fut Sergueï Korolev (1907-1966), ancien ingénieur chez Tupolev ayant alimenté deux grandes qualités : grand organisateur de projets scientifiques de grande envergure et grand visionnaire sur le monde technologique du futur. Victime des purges staliniennes, il fut réhabilité en raison de son action durant la guerre et il a réussi à convaincre le pouvoir soviétique (Nikita Khrouchtchev en janvier 1956) de l’intérêt d’utiliser la technologie militaire des missiles pour faire du développement spatial et même parvenir à faire des vols spatiaux habités.

Comme l’URSS était informée que les États-Unis cherchaient, eux aussi, à lancer un satellite artificiel, les Soviétiques ont précipité les choses après le cinquième essai en plaçant sur le missile le satellite Spoutnik-1 à la place de la bombe nucléaire.

La réussite technique et politique fut si éclatante que les dirigeants soviétiques ont demandé à l’équipe d’ingénieurs de Korolev de lancer un deuxième satellite pour le 40e anniversaire de la Révolution russe, soit seulement quelques semaines plus tard. Malgré leur impréparation et le délai très court, les ingénieurs soviétiques ont réussi à envoyer un deuxième satellite, Spoutnik-2, le 3 novembre 1957, avec le premier être vivant dans l’Espace, la malheureuse chienne Laïka qui ne survécut pas au voyage, officiellement à cause d’une surélévation de la température et de son stress. On ne lui avait de toute façon pas réservé de billet retour et on lui avait laissé de la nourriture empoisonnée pour qu’elle ne souffrît pas. Elle était cependant restée vivante après la mise sur orbite, ouvrant l’ère des vols habités.

Ce fut donc aussi depuis Baïkonour (et la même rampe de lancement) que fut envoyé le premier cosmonaute de l’histoire, Youri Gagarine (1934-1968), le 12 avril 1961. Ce fut le sommet de la réputation de la technologie spatiale soviétique et la gloire pour Sergueï Korolev (qui, surmené et en mauvaise santé, termina sa vie d’un arrêt cardiaque le 14 janvier 1966, deux jours après son 59e anniversaire, sur le billard pour une opération à l’origine bénigne mais qui se compliqua après la découverte d’une tumeur cancéreuse).

La propagande soviétique amplifia la fierté d’avoir commencé la conquête spatiale, et a fait dire à Korolev : « L’Union Soviétique est devenue le rivage de l’Univers. ».

De leur côté, les États-Unis n’ont envoyé leur premier satellite artificiel que 1er février 1958, avec Explorer-1 lancé par une fusée Juno-I depuis la base de Cap Canaveral, après un premier échec le 6 décembre 1957 (le satellite Vanguard TV3 explosa au lancement, ce qui lui valut les surnoms de Flopnik ou Kaputnik !).

L’avance technologie de l’URSS a incité le gouvernement américain à créer la Nasa le 29 juillet 1958 et à lui donner des moyens humains et matériels gigantesques (en 2016, le budget était de plus de 19 milliards de dollars avec plus de 17 000 collaborateurs). Après l’élection de John F. Kennedy en novembre 1960, les États-Unis, motivés par le premier vol habité réalisé par l’URSS, réussirent à reprendre le leadership du développement spatial avec la mission Apollo et les premiers pas humains sur la Lune le 21 juillet 1969.

Depuis ce lancement de Spoutnik-1, il y a eu des milliers de satellites artificiels qui furent lancés par quelques puissances spatiales (en plus de la Russie et des États-Unis, on peut rajouter la France, le Japon, la Chine, le Royaume-Uni, l’Inde, Israël, l’Iran, l’Ukraine, la Corée du Nord et la Corée du Sud) et qui tournent autour de la Terre ou sont sur une orbite géostationnaire, pour de nombreuses applications, d’espionnage militaire, de télécommunications, de géolocalisation, de surveillance météorologique ou astronomique, etc.

Korolev, visionnaire, avait anticipé toutes ces applications : « La conquête ultérieure de l’Espace permettra, par exemple, de créer des systèmes de satellites faisant des révolutions quotidiennes autour de notre planète à une altitude de quelque 40 000 kilomètres, d’assurer des communications mondiales et de relayer les transmissions de radio et de télévision. Une telle configuration pourrait s’avérer plus intéressante, économiquement, que l’implantation de relais radio sur toute la surface de la Terre. La grande précision du mouvement de ces satellites fournira une base fiable pour résoudre les problèmes de navigation. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (03 octobre 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Spoutnik.
Paul Painlevé.
Les petits humanoïdes de Roswell…
Jacques-Yves Cousteau.
La fécondation in vitro.
Robert Edwards.
Publications historiques pour comprendre l’expérience d’Alain Aspect (à télécharger).
Série documentaire de Brian Greene "La Magie du Cosmos" (2012).
Palais de la Découverte.
Roger Mari.
Olivier Costa de Beauregard.
Alain Aspect.
Stephen Hawking.
Trofim Lyssenko.
Rosetta, mission remplie !
Le dernier vol des navettes spatiales.
André Brahic.
Evry Schatzman.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Cellules souches, découverte révolutionnaire et éthique.
Ernst Mach.
Darwin vaincu ?
Jean-Marie Pelt.
Karl Popper.
Sigmung Freud.
Emmanuel Levinas.
Hannah Arendt.
Paul Ricœur.
Albert Einstein.
La relativité générale.
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Niels Bohr.
Paul Dirac.
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Maurice Allais.
Luc Montagnier.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20171004-spoutnik.html

https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/spoutnik-le-premier-satellite-197363

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4 septembre 2017 1 04 /09 /septembre /2017 04:42

Une publication scientifique parue le 31 juillet 2017 pourrait remettre en cause les liens d'ascendance de l'homo sapiens. Des traces d'un bipède ont été découvertes en 2002 en Crète, près de Kissamos, par paléontologue polonais Gerard Gierlinski. Le bipède daterait de 5,7 millions d'années. On peut lire cette publication sur Internet.

"Possible hominin footprints from the late Miocene (c. 5.7 Ma) of Crete?"
par Gerard D. Gierlinski,Grzegorz Niedzwiedzki, Martin G. Lockley, Athanassios Athanassiou, Charalampos Fassoulas, Zofia Dubicka, Andrzej Boczarowskic, Matthew R. Bennett, Per Erik Ahlberg

Cliquer sur le lien pour télécharger la publi (fichier .pdf) :
http://ac.els-cdn.com/S001678781730113X/1-s2.0-S001678781730113X-main.pdf?_tid=00cdc16e-92f9-11e7-a180-00000aacb35d&acdnat=1504698561_ca16c0a5736ccd7f5dd39c0d82cdefdc


SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20170831-publi-bipede-crete.html



 

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23 juin 2017 5 23 /06 /juin /2017 05:45

« Nous savons bien que, quels que soient les efforts du savoir, jamais nous ne saisirons ni l’origine ni le but du chaos sensible dans lequel nous vivons. Que l’on découpe pour en faire de fines tranches les cerveaux des babouins que nous sommes ou l’infime instant du Grand Début, "un chant se lève en nous qui n’a connu sa source et qui n’aura d’estuaire dans la mort… et la semence de Dieu s’en va rejoindre en mer les nappes mauves du plancton". » (Paris, le 22 juin 1989).


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Il est mort il y a vingt ans, le 25 juin 1997 à l’âge de 87 ans (il est né le 11 juin 1910). Il aurait pu être amiral comme Philippe De Gaulle ou François Darlan. Il aurait pu être un universitaire chevronné, professeur au Collège de France. Il aurait pu être député, voire ministre, voire… Il a été quand même membre de l’Académie française, élu le 24 novembre 1988 au fauteuil de Bougainville, Pasteur, Littré …et Orsenna (Maurice Druon le 15 juin 1989 : « Le 5 juin dernier, vous entriez à l’Académie du Royaume du Maroc pour y occuper le siège d’Edgar Faure. Aujourd’hui même, vous avez été installé à l’Académie française où vous succédez à Jean Delay. »). Il fut aussi récompensé par la Palme d’or du Festival de Cannes et un Oscar du meilleur film documentaire pour "Le monde du silence" (1956).

Une sorte de Jules Verne option pratiquant, comme Paul-Émile Victor, Haroun Tazieff, les époux Krafft, etc. Le commandant Jacques-Yves Cousteau était d’abord un militaire, un marin qui voulait être pilote dans l’aéronautique navale qu’un accident de la route a empêché d’aller jusqu’au bout, puis un océanographe et surtout, un passionné des profondeurs et son objectif était avant tout d’émerveiller le grand public pour les fonds marins. Il refusait toute prétention, n’était ni chercheur ni enseignant mais simple vulgarisateur, tout en étant un inventeur (il a déposé plusieurs brevets), un homme d’affaires (pour financer ses expéditions) et un administrateur (il fut le directeur du Musée océanographique de Monaco de 1957 à 1988 et aussi secrétaire général de la Commission internationale pour l’exploitation scientifique de la Méditerranée de 1962 à 1988, intégré dans de nombreuses institutions internationales).

La petite donnée supplémentaire, c’est qu’il a été l’un des Français les plus aimés de France (avec l’abbé Pierre), et même du monde, l’un des Français les plus connus dans le monde, bénéficiant même d’une couverture du fameux journal "Time".

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Cet article d’hommage à Cousteau n’en est pas un, je me retranche ici derrière quelques citations éloquentes prononcées principalement sous la Coupole par quelques académiciens fameux pour évoquer quelques traits de cet aventurier passionné par le Grand Bleu, sauf à la fin où j’évoque un film sur sa vie.

Pasteur, son prédécesseur à son fauteuil de l’Académie, Cousteau l’avait décrit lors du centenaire de la mort comme le représentant suprême du don de soi : « Pasteur, extrait de son environnement et de son époque, prend dans la perspective de l’avenir des places qu’il ne pouvait pas imaginer : comme symbole de notre révolte contre la nature ; comme exemple d’association des deux modes de pensée, l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse ; comme opposant à la notion de profit quand il s’agit de résultats scientifiques destinés à protéger la santé publique. ». Alors, Cousteau, rouge d’idée politique ? ou juste "bonnet rouge" ?

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Bertrand Poirot-Delpech, qui avait reçu Cousteau à l’Académie française, lui proposa même la transformation de la Coupole : « Il aurait fallu que notre Coupole (…) fût remplie d’eau de mer, jusqu’aux voûtes. Rêvons, voulez-vous ? La quille brune de votre chère Calypso s’apercevrait, là-haut, à l’envers. Les amis qui vous font face ouvriraient des yeux ronds de poissons à l’affût. Les chapeaux roses (…) feraient office de coraux, d’anémones. Balancés par le courant, nos costumes auraient perdu leurs variétés de vert pour ne former qu’un herbier bleuâtre où se fondraient nos plus rouges rubans, puisque les profondeurs marines, vous nous l’avez révélé, changent en bleu nuit toutes choses, jusqu’au sang. En guise de tambours, on aurait entendu des éclaboussements de plongeons. Et vous seriez apparu dans une gerbe de bulles cristallines, suivi des caméras qui vous perdent rarement de vue. Bouteilles sur le dos, votre illustre œil d’azur collé au masque, vous nous auriez dévisagés comme on vous l’a vu faire tant de fois dans vos films, flairant en nous, qui sait ? quelque mérou… Et vous auriez plané vers votre place, dans un élégant battement de palmes, oserai-je dire, académiques… Figurez-vous que cette vision surréaliste je ne l’ai pas inventée, mais rêvée, peu après votre élection, en traversant l’Atlantique à la voile. » (22 juin 1989).

Écrivain passionné par la mer, Bertrand Poirot-Delpech n’a pas eu beaucoup de mal pour décrire son héros du jour : « Il était une fois… la plage de Bandol, un beau jour de juin 1943. Un officier de marine de 33 ans, tout en nez et en os, crache dans son masque de plongée pour en chasser la buée, geste qui deviendra aussi rituel que le signe de croix du torero à l’entrée de l’arène. Il endosse les trente kilos de matériel livrés le matin même par un ami ingénieur à l’Air Liquide ; et, après quelques enjambées pataudes, dignes du premier marcheur sur la Lune, il disparaît sous l’eau pour de longues minutes, y retrouvant la liberté des danseurs, la grâce de l’oiseau. Le scaphandre Cousteau-Gagnan est né ! Et avec lui commence la conquête visuelle de la troisième dimension des mers. ». Il faut ajouter que Jacques-Yves Cousteau a eu l’occasion de rencontrer Neil Armstrong, justement ce premier marcheur sur la Lune, au Maroc.

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Ce même auteur a révélé l’origine de la vocation de Cousteau : « Avant vos records de nageur universitaire (cent mètres en une minute quatorze, ce qui n’était pas si mal pour l’époque !), tout aurait commencé par une punition en colonie de vacances, aux États-Unis, dans les années vingt. Pour avoir boudé les séances d’équitation, vous fûtes condamné par un moniteur à nettoyer un étang, et le spectacle des branches mortes sous l’eau glauque aurait décidé d’une fascination qui n’allait pas se démentir durant soixante-dix ans. ».

Le besoin couplé à l’inventivité d’un proche : « Fortuits, toujours, les effets de la guerre : l’équipement des automobiles au gaz de ville, qui donnera à Gagnan l’idée du détendeur pour scaphandre ; l’essor de techniques et de matériaux utiles à la plongée, bakélite, caoutchouc, nouvelles émulsions photographiques ; l’invasion allemande de la zone sud qui empêchera votre nomination à Lisbonne et vous conduira à faire de la plongée autour de Toulon occupé, la couverture de votre espionnage au profit de Londres. Hasard toujours qu’un mécène (…) vous fasse cadeau, en 1950, d’un transbordeur (…)… la Calypso. ».

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Comment parler de Cousteau sans parler de sa nymphe Calypso ? La rencontre avec la Calypso, le successeur de Cousteau à son fauteuil d’académicien, Érik Orsenna, l’a racontée le 17 juin 1999 : « Dans le port de La Valette [île de Malte], sous la citadelle des chevaliers de Saint-Jean, une sorte d’épave attend. Elle a connu des heures de gloire en draguant des mines. La paix revenue, elle somnole au soleil, seulement visitée par des colonies d’anatifes. Un officier français passe sur le quai : c’est un marin sans bâtiment. À peine a-t-il aperçu la coque délaissée qu’il la choisit. Pour toujours. Telles sont les rencontres entre un homme et son navire. Cela tiens au coup de foudre. Au premier regard, on a reconnu son inséparable. Sitôt remise à neuf (…), la Calypso prend le large. "Quel est le but de notre voyage ?" demande-t-elle, après quelques miles de silence. "Le fond de la mer", répond le commandant. ».

La Calypso appartenait initialement à la Royal Navy (entre le 21 mars 1942 et 1947) avant d’être reconvertie en ferry pour la liaison entre Malte et l’île de Gozo (associée, selon le poète grec Callimaque de Cyrène, à Ogygie, l’île mythique dont fut reine la nymphe Calypso, d’où le nom du navire adopté en 1947). Rachetée en 1950 par le milliardaire Thomas Loel Guinness, le mécène de Cousteau, la Calypso fut louée au franc symbolique chaque année pour les expéditions de l’océanographe du 24 novembre 1951 à son naufrage le 8 janvier 1996 à Singapour. La remise en état du bateau n’a commencé qu’en avril 2016 en Turquie, après bien des vicissitudes juridiques et financières.

Érik Orsenna résuma ainsi l’activité si expérimentée de Cousteau : « Filmer et plonger : depuis l’âge de 13 ans, Cousteau n’a jamais rien voulu d’autre. La consécration venue, pourquoi cesserait-il ? D’autant qu’une bête énorme a pris possession du monde, une insatiable dévoreuse d’images fraîches : la télévision. La bête a ses exigences. Les images dont elle fait ses repas doivent lui être servies pimentées par une histoire. Le seul plaisir de découvrir la fait bâiller. La bête veut du spectacle. Cousteau va lui en fournir. Pour la nourrir et se nourrir lui-même. Il va scénariser l’univers, créer des personnages, bâtir des sortes d’intrigues, offrir du vrai suspens. Le résultat dépasse les espérances. Le feuilleton de la nature l’emporte en audience sur la plupart des "Dallas" et autres "Dynasty". Les petits et les grands (…) de tous continents se rivent à la vitre dès que paraît la Calypso. De semaines en semaines, la planète se révèle à ses habitants. Le gros bocal si souvent imbécile (…) s’est changé en hublot. » (17 juin 1999).

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Cela a donné des centaines de films, certaines œuvres connues mondialement : « Comment assouvir l’appétit de l’ogre [appelé télévision] ? La Calypso change de rythme. La promenade émerveillée se transforme en course. Il faut produire, produire toujours plus. Quatre films par an, minimum, et jusqu’à sept en 1989. Plus de cent en trente années. Le résultat s’impose : de l’Amazonie au Cap Horn, du Nil à Tahiti, de l’hippopotame à la loutre de mer, le commandant nous a donné de notre Terre le plus riche des portraits. Mais cette exploration à marches ou plongées forcées ne va pas sans péril. Celui du sensationnel à tout prix, ou de l’emporte-pièce. Or il faut au mentir vrai des flâneries que la finance ne connaît pas. Le besoin d’argent engendre la hâte, qui n’est pas bonne pour l’œil. À feuilleter ce fabuleux album, on peut se prendre à regretter le regard de Louis Malle et l’ambition du cinéma, c’est-à-dire sa durée, le temps qu’il réclame et prend. La nature est lente, la vérité aussi. » (Érik Orsenna).

Cousteau était aussi un expert en communication : « Après avoir fait au commandant le cadeau empoisonné de la vitesse, la télévision lui offre la célébrité. Autre piège de l’époque, autre risque de quitter sa liberté pour s’emprisonner dans un personnage. Il aurait pu rester dans l’ombre, il choisit d’apparaître. (…) Vient [alors] la trouvaille qui hisse le commandant au sommet de l’art le plus moderne qui soit, l’essence même de notre temps, la communication. Quelques mailles de laine, pour saluer notre tradition d’agriculture et d’élevage. Une forme lâche et molle pour signifier, à l’inverse des képis dominateurs, la douceur du projet, sa fraternelle bienveillance envers l’humanité tout entière. Une couleur puissante qui se voit de loin et n’inquiète plus personne maintenant que le communisme est défait. Vous l’avez reconnu, le bonnet rouge est né ! À ce panache débonnaire et flamboyant, les humains de bonne volonté vont tous se rallier. D’autant qu’au bonnet s’est ajoutée une appellation, qui plus est libellée dans la langue dominante : Captain Planet ! » (Érik Orsenna).

Bertrand Poirot-Delpech avait aussi décrit le grand communicant : « Professionnel du spectacle, vous l’êtes enfin quand, interprète de votre propre rôle, vous vous pliez aux corvées du vedettariat, sans complaisance ni illusion. C’est que le dur métier de plaire, comme on dit au théâtre, exige une escalade indéfinie de moyens et de sensations. Plus rien ne nous étonne, depuis le temps que vous nous surprenez ! Dernièrement, vous avez filmé deux exclusivités qui feront l’ébahissement des grands et des petits, à la rentrée, et dont j’assure ici la bande-annonce : un éléphant nageant avec sa trompe en surface en guise de respirateur et un requin blanc avalant… la caméra qui le filmait. Comment couper encore le souffle, après cela ? Cette nécessité de récolter de l’image vendable, en plus des renseignements scientifiques, l’équipe de la Calypso s’y plie avec entrain. C’est un régal de voir autour de vous ces plongeurs soudés par leur commune passion du fond et par leurs spécialités complémentaires, biologie, médecine, archéologie, cadrage ou prise de son. Tous partagent votre sens du jeu avec l’imprévu. » (22 juin 1989).

Insistant sur l’indépendance financière de Cousteau, Bertrand Poirot-Delpech a constaté par ailleurs : « Cela mérite d’être répété bien haut : en ces temps d’assistance généralisée, malgré votre utilité et un renom qui auraient fait de vous un budgétivore très présentable, vous n’avez, Monsieur, jamais encaissé le moindre centime d’argent public ! Admirons cette hérésie : vous n’acceptez les contribuables que bénévoles ! Les trois cent cinquante mille cotisants des Fondations, dont trois quarts aux États-Unis, paient les deux tiers de vos dépenses ; et deux cent cinquante millions d’humains vous apportent indirectement le reste, en regardant chacun de vos films, vous évitant l’autre humiliation que ce serait, ayant échappé à la mendicité publique, de souiller la Calypso, comme on le voit pour tant d’engins sportifs, avec des réclames autocollantes de carburant ou de saucisses. » (22 juin 1989). Il faut noter que si Cousteau recherchait beaucoup d’argent, il ne se le mettait pas dans la poche (il s’en moquait pour lui), c’était principalement pour payer les salaires et le matériel de ses expéditions.

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Au-delà de cet aspect business, Cousteau a beaucoup œuvré pour la préservation des fonds marins et de l’environnement en général. Il avait notamment eu une action déterminante pour préserver la virginité l’Antarctique au début des années 1990, alors qu’une trentaine de pays s’étaient mis d’accord pour en exploiter le sous-sol.

La grande popularité de Jacques-Yves Cousteau n’a pas empêché des controverses à son égard. Il avait admis humblement s’être mal comporté au début de ses explorations en massacrant des requins (par exemple) mais avait vite compris que la détérioration de la faune et de la flore marines provenant de l’action humaine devait être stoppée rapidement et il a évolué vers un écologisme qui ne se voulait pas politisé (considérant que l’écologie ne devait pas être réservée à un seul parti mais devait être une exigence universelle au même titre que la justice, l’égalité, la liberté).

À la fin de sa vie, il avait évolué vers un certaine misanthropie, considérant qu’il y avait sur Terre une surpopulation humaine que la planète ne pouvait plus supporter (un thème qu’on retrouve chez d’autres personnalités célèbres à la fin de leur vie et qui ne se base que sur des impressions, car les seuils ont éclaté entre certaines déclarations : le seuil de 2 milliards d’êtres humains avait fait frémir certains intellectuels dans les années 1950, beaucoup plus que le seuil très récent des 7 milliards).

S’exprimant sur Pasteur, le 20 juin 1995, Cousteau avait notamment déclaré : « Cette explosion démographique est due au fait que notre nouvel ensemble de valeurs anti-naturelles : la générosité, la solidarité, la fierté d’avoir su vaincre par la médecine les maux traditionnels, a été appliqué avec enthousiasme longtemps avant que nous ayons développé leur contrepartie logique, le contrôle des naissances. Notre incapacité à synchroniser ces deux éléments montre que nous avons mis très longtemps à comprendre que notre nouvelle voie révolutionnaire, qui remplaçait les règles naturelles impitoyables par nos propres idéaux d’égalité, de fraternité, de justice, impliquait de nouveaux devoirs et de nouveaux périls. Nous ne nous sommes pas encore pleinement rendu compte que notre récent divorce d’avec la Nature était irréversible. Nos ancêtres ont brûlé les ponts, et le retour à la nature n’est pas possible. Cela impose à l’homme moderne une charge écrasante : il lui faut partir de zéro pour inventer un comportement qui soit à la fois biologiquement acceptable et à la hauteur de ses ambitions morales. ».

Cette misanthropie est mise en lumière par un film qui a cherché à mieux comprendre les relations père/fils de Cousteau qui était un époux et un père certainement critiquable. Ce film, envisagé depuis longtemps, a été réalisé par Jérôme Salle et est sorti le 12 octobre 2016. Jérôme Salle a expliqué ses motivations : « C’était incroyable car pour les gens de ma génération [il a 46 ans], le commandant Cousteau, c’était un peu Jésus-Christ, l’un des hommes les plus connus au monde. (…) En discutant autour de moi, j’ai réalisé qu’il était en train de tomber complètement dans l’oubli pour les moins de 20 ans, voire les moins de 30 ans. (…) [Cousteau] maîtrisait parfaitement sa communication en se filmant avec son équipage mais sans jamais rien révéler de son intimité. ». Le film a fait 1,2 million d’entrées en France.

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Celui qui fut choisi pour prendre le rôle de Jacques-Yves Cousteau fut Lambert Wilson, et lui aussi, comme Philippe Cousteau, a connu des relations orageuses avec son père célèbre. Pour ce film, il a dû essayer de comprendre la personnalité de Cousteau : « Il devient l’homo ecologicus qui part avec son bâton de pèlerin convaincre le maximum de gens de la nécessité de protéger la biodiversité. (…) Cousteau se souciait de l’avenir de l’humanité parce qu’il avait observé les dangers qui menaçaient la planète, mais il n’était jamais plus heureux qu’au cœur de la tempête. » ("Le Temps", le 13 octobre 2016).

Et je conclurai avec cette remarque de l’homme faillible, héros mais faillible, selon Lambert Wilson : « Cela a été une surprise de découvrir ses parts d’ombre. Quand on voit Cousteau, on n’imagine pas immédiatement qu’il ait pu être un séducteur invétéré. Ce qu’il était. Ensuite, je ne pensais pas qu’il avait tant lutté, toute sa vie, pour chercher de l’argent. Cette quête permanente m’a surpris. (…) J’avais beaucoup de tendresse et d’admiration pour Cousteau, parce que je pense au fond que c’est un homme bon, mais que simplement, comme tous les gens possédés par une quête, les artistes, les scientifiques, les politiques, il ne pouvait pas être au four et au moulin. Il devait satisfaire sa propre pulsion, qui était celle de la découverte. Ce n’était pas un homme mauvais ou un pervers, il avait des faiblesses très humaines. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (23 juin 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jacques-Yves Cousteau.
L’abbé Pierre.
Jean-François Deniau et la mer.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170625-jacques-yves-cousteau.html

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/voyages/article/l-emerveillement-du-commandant-194389

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/06/23/35410335.html

 

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15 juin 2017 4 15 /06 /juin /2017 01:06

« Dans toutes ces expériences, si on ne sait pas être blasé, la première réaction est toujours l’étonnement. Mais ensuite, il y a un deuxième sentiment que j’espère vous avoir fait partager : c’est l’émerveillement devant la subtilité de ces phénomènes, et devant la puissance de cette mécanique quantique qui permet non seulement de les décrire, mais aussi, après quatre-vingts ans de bons et loyaux services, de toujours en découvrir de nouveaux. » (Alain Aspect, à Paris le 17 juin 2002).


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C’est ce jeudi 15 juin 2017 que le physicien français Alain Aspect a 70 ans. Par les hasards de la chronologie, il est né exactement dix ans après Michèle Cotta et vingt ans après Hugo Pratt. Pour moi, Alain Aspect est un véritable héros national, qui a contribué mille térafois plus au prestige national de la France que les prétendus "patriotes" de pacotille qui profitent du système en ramassant la colère populaire et qui n’ont jamais rien apporté de constructif à la France, mandats électifs après mandats électifs.

Alain Aspect est ce qu’on pourrait appeler un chercheur qui a trouvé, un physicien qui a réussi une brillante carrière, puisqu’il a obtenu jusqu’à la récompense la plus honorable pour un scientifique en France, à savoir la Médaille d’or du CNRS qu’il a reçue le 9 novembre 2005 et d’autres hautes récompenses internationales, comme le Prix Wolf reçu à Tel-Aviv le 13 mai 2010 des mains de Shimon Pérès. Il fait partie régulièrement des "nobélisables", et la France est très bien classée dans ce domaine puisqu’elle obtient un Prix Nobel de Physique en moyenne tous les cinq ans ces dernières décennies.

Normalien, agrégé de physique en 1969 avec un DEA en optique en 1968 (à Paris-Orsay) et une thèse de 3e cycle soutenue en 1971 à Orsay (sur la spectroscopie par holographie), docteur d’État en 1983 (après avoir passé trois ans en coopération à Yaoundé, au Cameroun, entre 1971 et 1974), professeur à Normale Sup. Cachan, puis Polytechnique, il travailla ensuite dans l’équipe de recherche de Claude Cohen-Tannoudji (Prix Nobel 1997) sur le refroidissement laser des atomes, puis en 1992, il fut nommé directeur de recherches au CNRS à l’Institut d’Optique, à Palaiseau (jusqu’en 2012) et y a créé un groupe d’optique atomique quantique où il travailla sur la rugosité d’une surface à l’échelle du dixième de nanomètre, et sur les condensats de Bose-Einstein. Élu correspondant le 25 avril 1994, il fut élu membre de l’Académie des sciences le 5 novembre 2001 à la section Physique.

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Le 10 mai 2012 à Berne, Alain Aspect a été récompensé par la Médaille Albert-Einstein (autres récipiendaires notamment : Stephen Hawking en 1979, Friedrich Traugott Wahlen en 1982, Rudolf Ludwig Mössbauer en 1986, John Wheeler en 1988, Roger Penrose en 1990, Thibault Damour en 1996, Hubert Reeves en 2001, Kip Thorne en 2009, Roy Kerr en 2013, Charles Misner en 2015, etc.).

Le 15 novembre 2013 à Berne, Alain Aspect a aussi reçu le Prix Balzan qui récompense non seulement la science et la culture mais aussi les actions humanitaires (en ce sens, ce n’est pas un prix scientifique en tant que tel), et parmi les autres lauréats, on y trouve notamment Jean XXIII (1962), Mère Térésa (1978), Ernest Labrousse (1979), Jean Piaget (1979), Jorge Luis Borges (1980), Jean-Baptiste Duroselle (1982), Jean-Pierre Serre (1985), René Étiemble (1988), Emmanuel Lévinas (1989), l’Abbé Pierre (1991), György Ligeti (1991), Yves Bonnefoy (1995), Paul Ricœur (1999), Claude Lorius (2001), Jean-Pierre Changeux (2001), Marc Fumaroli (2001), Dominique Schnapper (2002), Xavier Le Pichon (2002), Serge Moscovici (2003), etc.

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La carrière d’Alain Aspect est "classique" (néanmoins prestigieuse), mais le sujet de ses travaux est peu "classique" puisqu’il concerne la physique quantique. Il a posé une pierre essentielle à la construction de celle-ci à la fin des années 1970 et au début des années 1980 avec ce qu’on appelle désormais "l’expérience d’Aspect".

Je vais tenter d’exposer rapidement, clairement et le plus simplifié possible de quoi il s’agit. Que les lecteurs puristes et rigoureux me pardonnent donc les raccourcis, les courts-circuits de la pensée, les simplifications honteuses car il s’agit d’une discipline intellectuellement subtile et surtout étonnante, aux équations peu abordables aux "profanes" mais dont l’interprétation concerne, à mon sens, tout citoyen correctement équipé de deux lobes cérébraux s’intéressant à l’épistémologie et plus généralement, à la philosophie.

C’est à cause de cette entrée au cœur de la philosophie moderne que même les "profanes" (finalement, je n’aime pas trop ce mot qui laisse croire que la science est une secte réservée à des "initiés", or personne n’est exclu d’étudier pendant une demi-dizaine d‘années les équations de la physique quantique) ont voulu la comprendre, à l’instar du grand penseur de la complexité qu’est Edgar Morin. Le risque évidemment est qu’elle tombe également entre des mains de charlatans, plus ou moins volontaires, plus ou moins assumés, qui, au mieux, n’ont rien compris et au pire, la manipulent pour vendre leur camelote (le mot "quantique" fait joli dans les brochures ésotériques).

La physique quantique s’est construite pas à pas, d’abord par fragments jusqu’à des essais de théories globalisantes. En très synthétique, on peut dire que deux branches ont révolutionné la physique qui se voulait déterministe de la fin du XIXe siècle et qui reposait sur la mécanique de Newton et l’électromagnétisme de Maxwell : la physique quantique qui, comme son nom l’indique ("quantum") décrit un environnement discontinu (en énergie) dans l’infiniment petit (celui des particules élémentaires qui sont à la fois onde et corpuscule) et la relativité qui repose sur une notion "osée" de l’espace-temps et de la gravitation dans l’infiniment grand.

Dans ces deux aventures scientifiques de la première moitié du XXe siiècle, Albert Einstein a été un acteur inégalable. C’est lui qui a proposé la révolution de la relativité (en reprenant des travaux antérieurs, dont ceux d’Henri Poincaré) et qui a contribué de deux manières déterminantes à la rapide construction de la théorie quantique : d’une part, en "découvrant" l’effet photo-électrique (qui lui a valu son Nobel) et d’autre part, en émettant pendant des décennies des critiques très constructives contre les idées de ses collègues "quanticiens".

Le principal front ouvert par Einstein fut paradoxalement philosophique et pas scientifique. Sans être croyant (il se disait athée), Einstein a lâché sa célèbre formule : « Dieu ne joue pas aux dés. ». Histoire de résumer que la tournure probabiliste de la théorie quantique ne le satisfaisait pas du tout.

En effet, en raison de l’indétermination de Heisenberg, la théorie quantique a "décrété" qu’on ne pourrait jamais mesurer précisément à la fois la position et la vitesse d’une particule. Le seul fait de vouloir la mesurer perturberait la réalité. Il s’en est donc suivi que les équations ne pouvaient fournir ces informations que de manière probabiliste. Que l’électron est probablement à cet endroit-ci, mais il pourrait très bien être à cet endroit-là. C’est la notion (compliquée) d’orbitale électronique. Cela révolutionne la pensée scientifique car cela casse tout déterminisme.

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Einstein a alors proposé le 25 mars 1935 (dans un article célèbre : "Can quantum-mechanical decription of physical reality be considered complete ?" publié le 15 mai 1935 dans "Physical Review") une expérience de la pensée, le paradoxe EPR. Il y a une incohérence avec les trois éléments suivants : la limite infranchissable de la vitesse de la lumière, l’absence de variable cachée locale (la non-localité), et l’indépendance entre deux particules éloignées. Avec ce paradoxe, il a introduit le concept de particules intriquées.

En travaillant avec d’autres physiciens (Boris Podolsky et Nathan Rosen), Einstein a donc émis une hypothèse, venue d’une intuition, et on sait que ses intuitions ont été parfois très fécondes : si les équations "actuelles" ("actuelles" se réfère à l’époque d’Einstein mais elles n’ont pas beaucoup "bougé" depuis plus de soixante ans) sont obligées d’utiliser des probabilités, c’est parce qu’il "nous" manque (le "nous" se rapporte à l’humanité) des paramètres que nous n’avons pas encore pris en compte. C’est la théorie des "variables locales cachées". Avec des variables supplémentaires, les équations redeviendraient déterministes et tout rentrerait "dans l’ordre". Comme s’il nous manquait un pan de la réalité physique que nous n’aurions pas encore pris en compte. En clair, comme si la théorie quantique "actuelle" était incomplète, que sa forme "actuelle" n’était que transitoire en attendant "mieux".

À cela, la grande majorité des physiciens du temps d’Einstein a répondu selon l’interprétation formulée par l’école de Copenhague. Pourquoi Copenhague ? Parce que ce fut dans cette ville qu’a travaillé probablement le plus grand savant de tous les temps, Niels Bohr. Bohr admettait bien sûr l’insatisfaction d’Einstein mais répliquait que la théorie telle que formulée avec des probabilités avait un intérêt : elle fonctionnait. C’est ainsi qu’on a inventé le laser, l’imagerie par résonance magnétique, les fibres optiques, les transistors, les circuits intégrés, les ordinateurs, etc. L’école de Copenhague est une école d’abord pragmatique. Sans illusion d’ailleurs, car les théories sont toujours un jour ou l’autre remises en cause, dans l’histoire, ou reformulées, affinées, précisées. Ce qui compte, finalement, c’est que le principe d’inséparabilité des particules : des particules intriquées le restent tout le temps, même éloignées, même lorsqu’elles ne sont plus en capacité de communiuer.

Werner Heisenberg a ainsi constaté : « Il est très important de se rendre compte que notre objet a forcément été en contact avec les autres parties du monde, à savoir les conditions expérimentales, l’appareil de mesure, etc., avant l’observation et, au minimum, pendant l’observation. Cela signifie que l’équation du mouvement pour la fonction de probabilité contient maintenant l’influence de l’interaction avec le dispositif de mesure. Cette influence introduit un nouvel élément d’indétermination (…). La transition du "possible" au "réel" lors de la [réduction du paquet d’onde] a lieu pendant l’acte d’observer. » (1971).

Je reformule le débat. D’un côté, il y a Einstein qui dit que si l’on ne connaît pas exactement l’état d’une particule, c’est parce que les moyens de mesures ne le peuvent pas, mais que cet état est déjà déterminé. De l’autre côté, il y a Bohr qui explique que tant qu’on n’a pas mesuré la réalité, cette réalité n’existe pas, l’état de la particule n’est pas déterminé et reste probabiliste.

Le problème avec ce débat intellectuel, c’est qu’il n’y avait pas matière à départager par l’expérience, seule procédure correcte dans la démarche scientifique : émettre une théorie et la valider ou l’invalider par l’expérience (ce n’est pas si évident que cela, nous a dit Karl Popper, mais cela permet au moins d’évacuer toutes les théories fumeuses).

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Il n’y avait pas matière à départager jusqu’à ce que le physicien théoricien irlandais John Stewart Bell, également mathématicien (comme d’autres physiciens, par exemple Paul Dirac), a proposé ses (fameuses) inégalités de Bell pour "s’opposer" à l’interprétation de Copenhague dans un article soumis le 4 novembre 1964 à "Physics" ("On the Einstein Podolsky Rosen paradox"). Il s’agit d’un théorème dans le domaine de la théorie des groupes que je me garderai d’exposer ici. Disons seulement que ces inégalités tracent une frontière mesurable entre un comportement classique et un comportement quantique de deux particules dans un état quantique "intriqué", c’est-à-dire "enchevêtré" ou encore "corrélé", ce qui a permis d’envisager de concevoir une expérience qui n’était pas qu’une expérience de la pensée (comme le chat de Schrödinger) mais une véritable expérience matérielle, réelle, palpable, mesurable.

Ce qui est intéressant, c’est que les physiciens qui ont voulu travailler sur ce sujet étaient d’abord motivés par la volonté de donner raison à Einstein. John Bell, par ailleurs, était fasciné par les jumeaux et la capacité qu’ils ont, même éloignés, de réagir pareillement.

Des premières expériences ont été réalisées en 1971 et 1976 par John F. Clauser et Ed Fry sur un schéma proposé par John F. Clauser, Michael Horne, Abner Shimony et Richard Holt le 4 août 1969 ("Proposed experiment to test local hidden-variable theories" publié le 13 octobre 1969 dans "Physical Review Letters"). John F. Clauser était alors un étudiant et en révisant ses cours avant ses examens, il avait découvert, fasciné, la publication de John S. Bell. Embauché pour préparer un doctorat, le thésard, voulant démontrer qu’Einstein avait raison car lui-même ne comprenait rien à la physique quantique, a donc réalisé les premières expériences qui, à son grand étonnement, ont plutôt validé l’interprétation de Copenhague.

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J’écris "plutôt" car ce n’était pas avec le schéma idéal de John S. Bell : « Ce dernier avait souligné l’importance d’une expérience dans laquelle on pourrait modifier au dernier moment la grandeur mesurée sur chacune des particules. On interdirait ainsi toute forme de communication directe entre elles, sauf à accepter une interaction plus rapide que la lumière, ce qui est interdit par le postulat de base de la relativité d’Einstein. » (Alain Aspect, le 15 novembre 2013).

Le 2 décembre 1975, Alain Aspect a proposé une méthode expérimentale sophistiquée pour savoir si les inégalités de Bell seraient violées ou pas ("Proposed experiment to test the nonseparability of quantum mechanics" publié le 15 octobre 1976 dans "Physical Review") : « Je proposai en 1975 un schéma expérimental permettant de modifier l’orientation d’un polariseur en quelques milliardièmes de second, afin de répondre à cette exigence. » (15 novembre 2013).

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Petite parenthèse sur les dates : un article de 1976 pour répondre à un article de 1935. Il y a exactement le même temps écoulé depuis, entre 1976 et 2017 qu’entre 1935 et 1976. Une quarantaine d’années, cela peut paraître très long, à l’échelle d’une carrière de scientifique, mais à l’échelle de l’histoire des sciences, c’est très court !

Si ces inégalités étaient validées, cela signifierait que la théorie quantique serait incomplète et qu’il faudrait imaginer de la compléter par des variables locales. Si au contraire, elles étaient violées, cela prouverait le principe de non-localité et confirmerait l’interprétation de Copenhague.

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Pour son doctorat d’État, encouragé par Olivier Costa de Beauregard et Christian Imbert, Alain Aspect a donc conçu et réalisé les premières expériences de non-séparabilité entre 1976 et 1985. Il fut aidé de deux ingénieurs, Gérard Roger et André Villing, et fut rejoint par deux étudiants, Philippe Grangier et Jean Dalibard.

Les premiers résultats ont été annoncés le 12 juillet 1982 dans "Physical Review Letters" par un article soumis le 30 décembre 1981 par Alain Aspect : "Experimental realization of Einstein-Podolsky-Rosen-Bohm Gedankenexperiment : a new violation of Bell’s inequalities".

Alain Aspect a raconté par la suite : « Le résultat fut sans appel : la violation indiscutable des inégalités de Bell montra qu’il est impossible d’interpréter le parallélisme des comportements des photons intriqués comme on le fait pour les jumeaux humains, dont les patrimoines génétiques identiques permettent d’expliquer les corrélations entre les caractères physiques comme la couleur des yeux, ou les profils médicaux. Les photons intriqués ne sont pas deux systèmes distincts portant deux copies identiques d’un ensemble de paramètres, dont la connaissance serait suffisante pour expliquer les corrélations. Une paire de photons intriqués doit en fait être considérée comme un système unique, inséparable, décrit par un état quantique global, impossible à factoriser en deux états relatifs à chacun des deux photons. Cette inséparabilité se manifeste même si les deux photons sont très éloignés l’un de l’autre, et même si (…) aucune interaction ne peut se propager entre eux à une vitesse inférieure ou égale à celle de la lumière. » (17 juin 2002).

L’éloignement fut de 10 mètres dans les premières expériences en 1982 mais d’autres expériences ont été refaites avec des fibres optiques avec des distances de plusieurs dizaines de kilomètres !

Étienne Klein a donné une analogie très amoureuse de cette si étrange non-séparabilité des particules intriquées : « Deux cœurs qui ont interagi dans le passé ne peuvent plus être considérés de la même manière que s’ils ne s’étaient jamais rencontrés. Marqués à jamais par leur rencontre, ils forment un tout inséparable. ».

La conséquence est philosophiquement affolante : cela signifie que deux particules intriquées le sont "pour la vie", même si elles ne peuvent plus avoir d’interaction entre elles. Et la déduction logique, ce serait soit abandonner la notion de vitesse limite (celle de la lumière), en imaginant que des signaux auraient pu aller encore plus vite que la lumière pour échanger entre les deux particules, mais cette hypothèse irait à l’encontre de toute la science développée depuis un siècle, soit qu’il existerait dans la matière une préservation d’une information, de son passé historique…

On peut donc comprendre pourquoi une telle théorie, désormais validée par l’expérience, a fasciné de très nombreux scientifiques et même bien au-delà et a pu faire éclore certaines spéculations comme la rétro-causalité.

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Mais au-delà de ces réflexions purement intellectuelles ou philosophiques, des applications concrètes ont pu provenir de ces expériences d’Alain Aspect qui considère qu’il a touché du doigt la seconde révolution quantique : « Il semblait donc, comme on le dit parfois un peu trop vite, que ces expériences avaient clos la question en donnant raison à Bohr contre Einstein. Mais le domaine allait rebondir, suite à une remarque d’une fécondité extraordinaire : la violation des inégalités de Bell montre que l’intrication quantique, découverte par Einstein et Schödinger, est un concept tellement révolutionnaire que l’on peut penser à l’utiliser pour résoudre de façon inédite des problèmes hors de portée de nos ordinateurs classiques. Souvenons-nous que le concept de dualité onde-particule, au début du XXe siècle, avait été à la base de la première révolution quantique, en permettant une compréhension profonde de la structure de la matière, et en conduisant à l’invention du transistor, des circuits imprimés, du laser. ».

En particulier dans le domaine de la cryptographie quantique, on pourrait utiliser les propriétés loufoques de la matière pour assurer la confidentialité des informations : « Toute l’idée est que vous allez envoyer une information à votre partenaire, avec le moyen de vérifier que personne ne l’a scrutée en passant. Si quelqu’un l’a regardée, vous saurez qu’il ne faut pas l’utiliser. Mais dans ce cas, tout n’est pas perdu puisque vous n’envoyez pas l’information elle-même mais une clef. Donc, si la clef a été interceptée, vous ne l’utilisez pas et vous en renvoyez une autre jusqu’à ce qu’une clef arrive sans que personne n’ait pu en faire la copie. Chaque clef ne sert qu’une fois. Donc, le problème est ramené au fait de distribuer des clefs identiques. Mais là, au moment où vous le faites, vous vous assurez que personne ne l’a interceptée. Et si c’est bien le cas, vous pouvez annoncer, sur un canal parfaitement public, comme une radio : Ok, cette clef marche, on peut échanger l’information. C’est là toute l’idée de la cryptographie quantique. Ce n’est pas une technologie inviolable. Mais si elle est violée, vous le savez obligatoirement et vous pouvez y remédier. » (Alain Aspect, sur France Info le 10 mars 2010).

D’autres applications de l’intrication quantique sont possibles, en particulier la téléportation quantique de matière qui semblerait être un domaine en pleine expansion.

Pour comprendre ces expériences d’Alain Aspect sur des particules intriquées, je conseille au lecteur de regarder la troisième partie de la série "La Magie du Cosmos" proposée par le physicien Brian Greene et diffusée sur Arte en novembre 2012 (documentaire issu de son livre au même titre publié en 2004).







C’est pour sa contribution historique dans l’histoire de la physique quantique que j’ai qualifié Alain Aspect au début de cet article de héros national. En fait, il est même un héros mondial, car la science n’a évidemment aucune frontière nationale, et ce serait bien que ceux qui ont l’habitude de dénigrer la richesse de la France puisse de temps en temps se rappeler que la France est avant tout faite de trésors. Et l’expérience d’Aspect en est un très précieux.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 juin 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Publications historiques pour comprendre l’expérience d’Alain Aspect (à télécharger).
Série documentaire de Brian Greene "La Magie du Cosmos" (2012).
Palais de la Découverte.
Roger Mari.
Olivier Costa de Beauregard.
Alain Aspect.
Stephen Hawking.
Trofim Lyssenko.
Rosetta, mission remplie !
Le dernier vol des navettes spatiales.
André Brahic.
Evry Schatzman.
Les embryons humains, matériau de recherche ?
Cellules souches, découverte révolutionnaire et éthique.
Ernst Mach.
Darwin vaincu ?
Jean-Marie Pelt.
Karl Popper.
Sigmung Freud.
Emmanuel Levinas.
Hannah Arendt.
Paul Ricœur.
Albert Einstein.
La relativité générale.
Bernard d’Espagnat.
Niels Bohr.
Paul Dirac.
François Jacob.
Maurice Allais.
Luc Montagnier.

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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170615-alain-aspect.html

http://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/alain-aspect-acteur-de-la-seconde-194139

http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/06/15/35380808.html


 

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14 juin 2017 3 14 /06 /juin /2017 00:59

Voici l'historique des publications les plus importantes pour comprendre l'expérience d'Alain Aspect de 1982. Cliquer sur le lien pour télécharger le fichier .pdf correspondant.


Pour en savoir plus :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170615-alain-aspect.html


Einstein & al. 1935 :
MAY 15, 1935 PH YSI CAL REVI EW VOLUM E 4 7
Can Quantum-Mechanical Description of Physical Reality Be Considered Complete' ?
A. EINSTEIN, B. PODOLSKY AND N. ROSEN, Institute for Advanced Study, Princeton, New Jersey
http://prola.aps.org/pdf/PR/v47/i10/p777_1


John S. Bell 1964 :
J. S. Bell, “On the Einstein-Einstein-Podolsky-Rosen-Paradox”, Physics 1,195-200 (1964).
https://cds.cern.ch/record/111654/files/vol1p195-200_001.pdf


John F. Clauser & al. 1969 :
J. F. Clauser, M. A. Horne, A. Shimony, and R. A. Holt, "Proposed experiments to test local
hidden-variable theories", Phys. Rev. Lett. 23, 880 (1969).
http://users.unimi.it/aqm/wp-content/uploads/CHSH.pdf


Alain Aspect 1975 :
A. Aspect, "PROPOSED EXPERIMENT TO TEST NONSEPARABILITY OF QUANTUM-MECHANICS," Physical Review D 14 (8), 1944-1951 (1976).
https://www.lcf.institutoptique.fr/content/download/7851/46188/file/1976%20PRD%20proposed%20exper%201944_1.pdf


John F. Clauser & al. 1978 :
J.F. Clauser and A. Shimony, “Bell’s theorem: Experimental tests and implications”: Rep. Prog. Phys. 41, 1881 (1978).
http://physics.oregonstate.edu/~ostroveo/COURSES/ph651/Supplements_Phys651/RPP1978_Bell.pdf


Alain Aspect & al. 1981 :
A. Aspect, P. Grangier, and G. Roger, "EXPERIMENTAL REALIZATION OF EINSTEIN-PODOLSKY-ROSEN-BOHM GEDANKENEXPERIMENT - A NEW VIOLATION OF BELL INEQUALITIES," Physical Review Letters 49 (2), 91-94 (1982).
https://www.lcf.institutoptique.fr/content/download/7858/46209/file/1982%20PRL%20Bell%202%20voies.pdf


Alain Aspect & al. 1982 :
A. Aspect, J. Dalibard, and G. Roger, "EXPERIMENTAL TEST OF BELL INEQUALITIES USING TIME-VARYING ANALYZERS," Physical Review Letters 49 (25), 1804-1807 (1982).
https://www.lcf.institutoptique.fr/content/download/7859/46212/file/1982%20PRL%20Bell%20ADR.pdf


Série documentaire de Brian Greene :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20170615-magie-cosmos.html


SR

http://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20170615-publis-experince-aspect.html
 

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