Jean Mattéoli : la mort d’un résistant à l’esprit de dialogue
Gaulliste de gauche, catholique social, Jean Mattéoli fut un homme qui, tout au long de son existence, s’est inspiré de son courage, de sa détermination et de son ouverture.
Jean Mattéoli est mort à 85 ans le dimanche 27 janvier 2008 à Paris d’un cancer.
L’homme fut peu connu des médias et pourtant, tant en politique qu’en économie, il fut l’un des acteurs majeurs des transformations sociales des trente dernières années.
La Résistance et la déportation
À 17 ans, en août 1940, alors étudiant en droit à Dijon, Jean Mattéoli s’engagea dans la Résistance au sein de réseaux menés par le chanoine Félix Kir (futur député-maire de Dijon). Il fabriquait de faux papiers grâce à sa nomination de rédacteur à la Préfecture de Dijon et faisait passer la ligne de démarcation entre la zone occupée et la zone libre à des prisonniers de guerre, des militaires anglais et des personnalités britanniques (jusqu’en novembre 1942). Il fut arrêté en avril 1944 et fut déporté au camp de Neuengamme puis de Bergen-Belsen. Il fut libéré par les forces britanniques en mai 1945.
En 1946, il se maria avec Christiane (née en 1923 à Dijon) qu’il avait rencontrée avant la guerre dans l’Action Catholique et qui l’accompagna dans la Résistance. Six enfants naquirent de leur union.
Une carrière administrative puis industrielle
En 1945, il travailla sur les questions économiques et financières pour le compte du gouvernement, d’abord en Bourgogne, puis en Allemagne (peu de temps après son retour des camps). Attiré par le monde de l’entreprise, il suivit en 1948 son patron d’alors (Émile Laffon) à Douai lorsque ce dernier prit la tête des Houillères du Bassin du Nord et du Pas de Calais où il fit une brillante carrière.
En 1968, le gouvernement le nomma à des postes à responsabilités pour s’occuper de la réindustrialisation du Nord Pas-de-Calais puis des Ardennes.
En 1973, il fut désigné pour présider les Charbonnages de France, succédant à Yvon Morandat (son ami). Très à l’aise dans tous les milieux et bon communicateur, il s’impliqua dans la défense de la mine et du charbon et contribua à ouvrir Charbonnages de France sur le monde des entreprises.
De 1973 à 1979, il fut membre du Conseil Économique et Social s’occupant plus particulièrement des problèmes économiques généraux et de la conjoncture.
De 1985 à 1990, il fut le patron de la société Tréfilerie et Câblerie d’Alsace.
Un engagement politique au service du gaullisme
D’abord mendésiste, puis centriste en 1956 au sens mitterrandien du terme (UDSR), malgré sa fibre démocrate-chrétienne, il ne trouva pas au MRP un espace politique qui le mettait à l’aise (beaucoup de ‘démocrates-chrétiens’ gaullistes et anciens résistants étaient passés par le MRP avant de s’engager à l’UNR par fidélité au Général De Gaulle, comme Maurice Schumann et Edmond Michelet).
Jean Mattéoli adhéra (donc) au parti gaulliste en 1967 (alors UNR) et s’intégra à ses instances nationales : membre du conseil exécutif de l’UDR de 1971 à 1975, puis du comité central du RPR de 1977 à 1979.
En mars 1983, il fut élu adjoint au maire de Paris chargé du commerce et de l’artisanat, et devint conseiller régional d’Île-de-France de 1983 à 1986 (juste avant les premières élections régionales au suffrage direct consécutives aux lois Defferre sur la décentralisation).
Ministre du Travail sous Giscard
En novembre 1979, le Ministre du Travail Robert Boulin, personnalité politique RPR à l’avenir prometteur (on le disait possible futur Premier Ministre), fut retrouvé sans vie dans la forêt de Rambouillet (suicide ou assassinat, les doutes subsistent).
Pour lui succéder, le Premier Ministre Raymond Barre fit appel à Jean Mattéoli qui s’acquitta de sa tâche de Ministre du Travail et de la Participation jusqu’à la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing en mai 1981.
Promoteur de la participation, Jean Mattéoli fut notamment l’auteur d’une loi (en 1980) qui rendait optionnelle la distribution de 3% des actions de sociétés (au lieu d’être obligatoire), ce qui est, selon lui, plus dans l’esprit gaulliste de la participation.
Il fit également voter une loi pour renforcer la protection des salariés en cas d’accidents du travail ou de maladie professionnelle.
Un Président unanimement apprécié du Conseil Économique et Social
En avril 1987, Jean Mattéoli fut élu Président du Conseil Économique et Social pour succéder à Gabriel Ventejol qui ne souhaitait pas se représenter (à cette fonction depuis 1974, ancien résistant et fondateur de Force Ouvrière en 1950) et qui mourut peu de temps après. Il fut brillamment réélu en 1989, 1992,1994 et 1997 (pour des mandats de trente mois) et quitta sa présidence en septembre 1999 en devenant président d’honneur.
Ce fut dans ces fonctions que Jean Mattéoli a su participer au mieux à la réflexion nationale, notamment parce qu’il fut sollicité à plusieurs reprises par le gouvernement pour y apporter ses contributions.
Un rapport contesté sur l’emploi en France
En septembre 1993, à la demande du Premier Ministre Édouard Balladur, Jean Mattéoli présenta un rapport sur les obstacles structurels à l’emploi, dans le but de « recenser les phénomènes qui vont à l’encontre de la création d’emplois ». Il constitua alors un groupe de réflexion où se retrouvèrent notamment Patrick Devedjian, Philippe Vasseur, Michel Godet, Didier Pineau-Valencienne, Claude Bébéar et Alain Minc.
Le ‘rapport Mattéoli’ préconisait la baisse des charges pour les emplois les moins qualifiés et proposait le contrat d’insertion professionnelle (CIP) créé par la loi du 20 décembre 1993 et le décret du 23 février 1994 mais vite supprimé par le décret du 30 mars 1994 et la loi du 8 août 1994 après de nombreuses manifestations d’étudiants et de salariés (en ce sens, cette crise fut nettement mieux gérée que celle du CPE au printemps 2006 par Dominique de Villepin, elle aussi à un an d’une élection présidentielle).
En décembre 1995, le Premier Ministre Alain Juppé le choisit comme médiateur dans le conflit qui opposa le gouvernement et les salariés de la SNCF (grèves contre le plan Juppé et contestation du contrat de plan État-SNCF).
Une mission tant attendue sur les spoliations des biens des Juifs sous Vichy
En février 1997, Alain Juppé, toujours à Matignon, lui confia la délicate mission de comprendre comment les biens appartenant aux Juifs de France ont été confisqués ou volés, tant par l’occupant allemand que par les autorités de Vichy entre 1940 et 1944.
La ‘mission Mattéoli’, initiée par le fameux discours de Jacques Chirac au Vel d’Hiv le 16 juillet 1995, regroupa des personnalités comme François Furet, Jean Kahn, Jean Favier et Serge Klarsfeld, et acheva ses travaux le 17 avril 2000.
La mission présenta les principales estimations : 1,35 milliards d’euros de confiscations aux Juifs (hors pillages) ; 520 millions d’euros de spoliation financières (avoirs bancaires, boursiers, contrats d’assurance) ; 5,1 millions d’euros de prélèvements sur les entreprises et biens immobiliers ; 91 millions d’euros prélevés sur les internés des camps. Le rapport considéra qu’au moins 90% des biens et avoirs avient été déjà restitués depuis la fin de la guerre (ainsi que 45 000 des 100 000 œuvres d’art spoliées).
À cette occasion, Jean Mattéoli fit faire preuve de beaucoup d’écoute et d’ouverture.
Un exemple en effet : un sociétaire de la SACEM lui fit remarquer qu’aucune disposition sous Vichy n’interdisait aux Juifs d’exercer la profession d’auteur compositeur. Il précisa que la SACEM semblait pourtant être plus zélée que le régime, puisqu’elle menaçait même ses sociétaires auteurs et compositeurs « d'internement dans un camp de concentration » en cas de fausse « déclaration d'aryenneté ». Ce sociétaire a finalement convaincu Jean Mattéoli qui décida d’étendre les recherches de spoliations vers la SACEM.
Des hommages quasi-unanimes
Titulaire de plusieurs décorations militaires et civiles, Jean Mattéoli avait présidé la Fédération nationale des déportés et internés de la Résistance de 1987 à 1993 et avait contribué à fonder en 1993 la Fondation de la Résistance qu’il présida.
Comme à chaque disparition de grandes personnalités, les hommages se sont multipliés.
Le Président de la République Nicolas Sarkozy a salué « le grand résistant qui connut les souffrances de la déportation » et a dit que « la France a perdu un grand serviteur ».
Le Premier Ministre (et ancien successeur de Jean Mattéoli de 2002 à 2004) François Fillon a fait l’éloge du « ministre courageux et efficace », « homme de grande valeur et qui inspirait à tous le plus profond respect », insistant sur le fait qu’il « était de ceux qui mettent leur expérience, leur intelligence et leurs qualités de cœur au service de leur pays ».
Son lointain successeur, le Ministre du Travail actuel, Xavier Bertrand, a déclaré qu’il avait « toujours su mener de front esprit de résistance et esprit de dialogue » ajoutant que Jean Mattéoli avait mené au gouvernement « une action pragmatique en faveur de l’emploi, faisant face à un contexte économique difficile » et qu’au Conseil Économique et Social, il avait su « faire jouer pleinement son rôle de concertation et de proposition ». Xavier Bertrand a affirmé également : « Grand résistant, Jean Mattéoli était de ces hommes qui savent affronter les épreuves de l'Histoire et qui, après avoir connu la déportation, choisissent de s'engager dans la reconstruction du pays et sa modernisation économique et sociale. ».
Le Secrétaire d’État aux Anciens combattants Alain Marleix a remarqué de son côté que Jean Mattéoli « compt[ait] parmi ces personnalités qui ont fait de la France, et de ses valeurs, plus qu’un idéal mais bien une réalité ».
Cependant, deux notes discordantes au tableau.
Le 5 août 1993, le journal L’Humanité critiquait en Jean Mattéoli « l’ex-ministre des licenciements », condamnant le fait qu’il s’était vanté d’avoir accepté de nombreux licenciements entre 1979 et 1981 : « Dans 70% des cas, je donne mon accord pour les licenciements ». À l’époque, il fallait en effet une autorisation administrative pour licencier, qui fut supprimée par Jacques Chirac lors du premier gouvernement de cohabitation en 1986 (aujourd’hui, les seuls licenciements soumis à l’autorisation de l’inspecteur du travail sont ceux des salariés protégés, à savoir notamment les membres des CE et des CHSCT).
Le même journal avait aussi raillé son encouragement, en 1980, à développer le temps partiel et sa volonté de « faciliter l’embauche des jeunes par des exonérations des charges sociales accordées aux entreprises » par des « pactes pour l’emploi » (on voit donc que tout ce vocabulaire n’est pas nouveau).
Un témoignage contesté dans le procès Papon
Mais le plus négatif fut le témoignage de Jean Mattéoli en faveur de la défense dans le procès de Maurice Papon le 25 février 1998 (et pas le « soutien » de Jean Mattéoli à Maurice Papon comme il a été trop souvent mal écrit dans les dépêches de presse).
Un témoignage qui ressemble étrangement à celui de Raymond Barre (sur Agoravox), ce dernier très contesté. Sans doute parce qu’ils furent tous les trois collègues dans le même gouvernement et que les deux hommes (Raymond Barre et Jean Mattéoli) ont toujours cultivé ce sens du devoir au service de l’État. Jean Mattéoli avait en effet déclaré à propos de Maurice Papon : « Doit-on s'étonner de cette assistance donnée à la Résistance, concomitamment à son appartenance à l'administration ? ».
À l’époque (en 1998), ce témoignage de Jean Mattéoli avait été très contesté car il présidait en même temps la mission sur la spoliation des biens des Juifs sous Vichy.
En juillet 2001, Jean Mattéoli avait cosigné, avec notamment l’ancien Premier Ministre et ancien résistant Pierre Messmer (sur Agoravox), l’ancienne résistante Germaine Tillion (sur Agoravox) et l’ancien Ministre de la Justice Robert Badinter, une demande de remise en liberté de Maurice Papon (qui fut effective le 18 septembre 2002) où il réaffirma, à propos de Papon : « on fait supporter à ce seul fonctionnaire subalterne le poids de la responsabilité de la Fonction publique sous la contrainte de l'Occupation allemande ».
Une exigence de dialogue et de courage
Malgré cette tâche noire, Jean Mattéoli a montré tout au long de son existence qu’on pouvait renforcer la concertation et le dialogue sur les enjeux économiques et sociaux majeurs. Son gaullisme n’était pas partisan, plus social et participatif que politique, et répondait à cet esprit de résistance qui correspondrait à ce refus de la fatalité, celle par exemple que certains avaient cru déceler pour le chômage (« On a tout essayé », François Mitterrand).
Puisse son exemple inspirer les hommes politiques actuels dans la recherche de larges consensus sociaux d’autant plus nécessaires qu’il est indispensable de transformer en profondeur la société pour l’adapter au monde globalisé d’aujourd’hui.
Sylvain Rakotoarison
Documents :
Témoignage de Jean Mattéoli sur ses activités de résistants.
Biographie officielle de Jean Mattéoli sur le site du Conseil Économique et Social.
Article paru sur Agoravox.
Article paru aussi
sur CentPapiers.

http://www.lepost.fr/perso/sylvain-rakotoarison/
http://www.centpapiers.com/_Sylvain-Rakotoarison_
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison
Jean Mattéoli est mort à 85 ans le dimanche 27 janvier 2008 à Paris d’un cancer.
L’homme fut peu connu des médias et pourtant, tant en politique qu’en économie, il fut l’un des acteurs majeurs des transformations sociales des trente dernières années.
.La Résistance et la déportation
À 17 ans, en août 1940, alors étudiant en droit à Dijon, Jean Mattéoli s’engagea dans la Résistance au sein de réseaux menés par le chanoine Félix Kir (futur député-maire de Dijon). Il fabriquait de faux papiers grâce à sa nomination de rédacteur à la Préfecture de Dijon et faisait passer la ligne de démarcation entre la zone occupée et la zone libre à des prisonniers de guerre, des militaires anglais et des personnalités britanniques (jusqu’en novembre 1942). Il fut arrêté en avril 1944 et fut déporté au camp de Neuengamme puis de Bergen-Belsen. Il fut libéré par les forces britanniques en mai 1945.
s’engagea dans la Résistance
http://www.memoresist.org/spip.php?page=oublionspas_detail&id=1310
En 1946, il se maria avec Christiane (née en 1923 à Dijon) qu’il avait rencontrée avant la guerre dans l’Action Catholique et qui l’accompagna dans la Résistance. Six enfants naquirent de leur union.
avec Christiane
http://www.memoresist.org/-DVD-
.Une carrière administrative puis industrielle
En 1945, il travailla sur les questions économiques et financières pour le compte du gouvernement, d’abord en Bourgogne, puis en Allemagne (peu de temps après son retour des camps). Attiré par le monde de l’entreprise, il suivit en 1948 son patron d’alors (Émile Laffon) à Douai lorsque ce dernier prit la tête des Houillères du Bassin du Nord et du Pas de Calais où il fit une brillante carrière.
En 1968, le gouvernement le nomma à des postes à responsabilités pour s’occuper de la réindustrialisation du Nord Pas-de-Calais puis des Ardennes.
En 1973, il fut désigné pour présider les Charbonnages de France, succédant à Yvon Morandat (son ami). Très à l’aise dans tous les milieux et bon communicateur, il s’impliqua dans la défense de la mine et du charbon et contribua à ouvrir Charbonnages de France sur le monde des entreprises.
présider les Charbonnages de France
http://209.85.135.104/search?q=cache:0JziKAQYpFUJ:www.charbonnagesdefrance.fr/dArticle.php%3Fid_rubrique%3D183%26id_article%3D818+%22jean+matt%C3%A9oli%22&hl=fr&ct=clnk&cd=46&gl=fr
De 1973 à 1979, il fut membre du Conseil Économique et Social s’occupant plus particulièrement des problèmes économiques généraux et de la conjoncture.
De 1985 à 1990, il fut le patron de la société Tréfilerie et Câblerie d’Alsace.
.Un engagement politique au gaullisme
D’abord mendésiste, puis centriste en 1956 au sens mitterrandien du terme (UDSR), malgré sa fibre démocrate-chrétienne, il ne trouva pas au MRP un espace politique qui le mettait à l’aise (beaucoup de ‘démocrates-chrétiens’ gaullistes et anciens résistants étaient passés par le MRP avant de s’engager à l’UNR par fidélité au Général De Gaulle, comme Maurice Schumann et Edmond Michelet).
d’abord mendésiste
http://www.lefigaro.fr/politique/2008/01/28/01002-20080128ARTFIG00559-deces-de-jean-matteolifigure-du-gaullisme-social-.php
Jean Mattéoli adhéra (donc) au parti gaulliste en 1967 (alors UNR) et s’intégra à ses instances nationales : membre du conseil exécutif de l’UDR de 1971 à 1975, puis du comité central du RPR de 1977 à 1979.
s’intégra à ses instances nationales
http://www.lemonde.fr/web/depeches/0,14-0,39-34083135@7-40,0.html
En mars 1983, il fut élu adjoint au maire de Paris chargé du commerce et de l’artisanat, et devint conseiller régional d’Île-de-France de 1983 à 1986 (juste avant les premières élections régionales au suffrage direct consécutives aux lois Defferre sur la décentralisation).
.Ministre du Travail sous Giscard
En novembre 1979, le Ministre du Travail Robert Boulin, personnalité politique RPR à l’avenir prometteur (on le disait possible futur Premier Ministre), fut retrouvé sans vie dans la forêt de Rambouillet (suicide ou assassinat, les doutes subsistent).
Pour lui succéder, le Premier Ministre Raymond Barre fit appel à Jean Mattéoli qui s’acquitta de sa tâche de Ministre du Travail et de la Participation jusqu’à la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing en mai 1981.
Promoteur de la participation, Jean Mattéoli fut notamment l’auteur d’une loi (en 1980) qui rendait optionnelle la distribution de 3% des actions de sociétés (au lieu d’être obligatoire), ce qui est, selon lui, plus dans l’esprit gaulliste de la participation.
promoteur de la participation
http://www.vie-publique.fr/cdp/803100482.html
Il fit également voter une loi pour renforcer la protection des salariés en cas d’accidents du travail ou de maladie professionnelle.
.Un Président unanimement apprécié du Conseil Économique et Social
En avril 1987, Jean Mattéoli fut élu Président du Conseil Économique et Social pour succéder à Gabriel Ventejol qui ne souhaitait pas se représenter (à cette fonction depuis 1974, ancien résistant et fondateur de Force Ouvrière en 1950) et qui mourut peu de temps après. Il fut brillamment réélu en 1989, 1992,1994 et 1997 (pour des mandats de trente mois) et quitta sa présidence en septembre 1999 en devenant président d’honneur.
Ce fut dans ces fonctions que Jean Mattéoli a su participer au mieux à la réflexion nationale, notamment parce qu’il fut sollicité à plusieurs reprises par le gouvernement pour y apporter ses contributions.
.Un rapport contesté sur l’emploi en France
En septembre 1993, à la demande du Premier Ministre Édouard Balladur, Jean Mattéoli présenta un rapport sur les obstacles structurels à l’emploi, dans le but de « recenser les phénomènes qui vont à l’encontre de la création d’emplois ». Il constitua alors un groupe de réflexion où se retrouvèrent notamment Patrick Devedjian, Philippe Vasseur, Michel Godet, Didier Pineau-Valencienne, Claude Bébéar et Alain Minc.
rapport sur les obstacles structurels à l’emploi
http://fr.wikipedia.org/wiki/Rapport_Matt%C3%A9oli
Michel Godet
http://www.conscience-politique.org/2005/godetemploietmodelesocial.htm
Le ‘rapport Mattéoli’ préconisait la baisse des charges pour les emplois les moins qualifiés et proposait le contrat d’insertion professionnelle (CIP) créé par la loi du 20 décembre 1993 et le décret du 23 février 1994 mais vite supprimé par le décret du 30 mars 1994 et la loi du 8 août 1994 après de nombreuses manifestations d’étudiants et de salariés (en ce sens, cette crise fut nettement mieux gérée que celle du CPE au printemps 2006 par Dominique de Villepin, elle aussi à un an d’une élection présidentielle).
loi 1
http://www.admi.net/jo/19931221/TEFX9300125L.html
décret 1
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000364361&dateTexte=
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?oldURL=true&cidTexte=JORFTEXT000000364361&dateTexte=
décret 2
http://www.admi.net/jo/19940331/TEFX9400143D.html
loi 2
http://www.admi.net/jo/19940810/ECOX9300054L.html
En décembre 1995, le Premier Ministre Alain Juppé le choisit comme médiateur dans le conflit qui opposa le gouvernement et les salariés de la SNCF (grèves contre le plan Juppé et contestation du contrat de plan État-SNCF).
.Une mission tant attendue sur les spoliations des biens des Juifs sous Vichy
En février 1997, Alain Juppé, toujours à Matignon, lui confia la délicate mission de comprendre comment les biens appartenant aux Juifs de France ont été confisqués ou volés, tant par l’occupant allemand que par les autorités de Vichy entre 1940 et 1944.
La ‘mission Mattéoli’, initiée par le fameux discours de Jacques Chirac au Vel d’Hiv le 16 juillet 1995, regroupa des personnalités comme François Furet, Jean Kahn, Jean Favier et Serge Klarsfeld, et acheva ses travaux le 17 avril 2000
mission Mattéoli
http://www.akadem.org/photos/contextuels/1420_1_matteoli.pdf
fameux discours de chirac
http://www.elysee.fr/elysee/francais/interventions/discours_et_declarations/1995/juillet/allocution_de_m_jacques_chirac_president_de_la_republique_prononcee_lors_des_ceremonies_commemorant_la_grande_rafle_des_16_et_17_juillet_1942-paris.2503.html
vel d’hiv
http://artic.ac-besancon.fr/Histoire_geographie/new_look/lycées/discours_jchirac.htm
La mission présenta les principales estimations : 1,35 milliards d’euros de confiscations aux Juifs (hors pillages) ; 520 millions d’euros de spoliation financières (avoirs bancaires, boursiers, contrats d’assurance) ; 5,1 millions d’euros de prélèvements sur les entreprises et biens immobiliers ; 91 millions d’euros prélevés sur les internés des camps. Le rapport considéra qu’au moins 90% des biens et avoirs avient été déjà restitués depuis la fin de la guerre (ainsi que 45 000 des 100 000 œuvres d’art spoliées).
principales estimations
http://fr.wikipedia.org/wiki/Mission_d%27%C3%A9tude_sur_la_spoliation_des_Juifs_de_France
À cette occasion, Jean Mattéoli fit faire preuve de beaucoup d’écoute et d’ouverture.
Un exemple en effet : un sociétaire de la SACEM lui fit remarquer qu’aucune disposition sous Vichy n’interdisait aux Juifs d’exercer la profession d’auteur compositeur. Il précisa que la SACEM semblait pourtant être plus zélée que le régime, puisqu’elle menaçait même ses sociétaires auteurs et compositeurs « d'internement dans un camp de concentration » en cas de fausse « déclaration d'aryenneté ». Ce sociétaire a finalement convaincu Jean Mattéoli qui décida d’étendre les recherches de spoliations vers la SACEM.
lui fit remarquer
http://www.timbale.com/html/lettreaMatteoli990722.htm
Il précisa
http://www.timbale.com/html/lettreaMatteoli990329.htm
elle menaçait
http://www.timbale.com/pdf/circulaireprojet411107.pdf
qui décida
http://www.timbale.com/pdf/lettreJMatteoli990603-08.pdf
.Des hommages quasi-unanimes
Titulaire de plusieurs décorations militaires et civiles, Jean Mattéoli avait présidé la Fédération nationale des déportés et internés de la Résistance de 1987 à 1993 et avait contribué à fonder en 1993 la Fondation de la Résistance qu’il présida.
Comme à chaque disparition de grandes personnalités, les hommages se sont multipliés.
Le Président de la République Nicolas Sarkozy a salué « le grand résistant qui connut les souffrances de la déportation » et a dit que « la France a perdu un grand serviteur ».
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2008/01/28/01011-20080128FILWWW00571-matteoli-sarkozy-salue-le-resistant.php
Le Premier Ministre François Fillon (et ancien successeur de Jean Mattéoli de 2002 à 2004) a fait l’éloge du « ministre courageux et efficace », « homme de grande valeur et qui inspirait à tous le plus profond respect », insistant sur le fait qu’il « était de ceux qui mettent leur expérience, leur intelligence et leurs qualités de cœur au service de leur pays ».
http://www.premier-ministre.gouv.fr/acteurs/communiques_4/deces_jean_matteoli_59040.html
Son lointain successeur, le Ministre du Travail actuel, Xavier Bertrand, a déclaré qu’il avait « toujours su mener de front esprit de résistance et esprit de dialogue » ajoutant que Jean Mattéoli avait mené au gouvernement « une action pragmatique en faveur de l’emploi, faisant face à un contexte économique difficile » et qu’au Conseil Économique et Social, il avait su « faire jouer pleinement son rôle de concertation et de proposition ». Xavier Bertrand a affirmé également : « Grand résistant, Jean Mattéoli était de ces hommes qui savent affronter les épreuves de l'Histoire et qui, après avoir connu la déportation, choisissent de s'engager dans la reconstruction du pays et sa modernisation économique et sociale. ».
http://www.travail-solidarite.gouv.fr/actualite-presse/communiques/xavier-bertrand-rend-hommage-jean-matteoli-decede-27-janvier-7292.html
Le Secrétaire d’État aux Anciens combattants Alain Marleix a remarqué de son côté que Jean Mattéoli « compt[ait] parmi ces personnalités qui ont fait de la France, et de ses valeurs, plus qu’un idéal mais bien une réalité ».
http://fr.news.yahoo.com/afp/20080128/tpl-social-politique-gouvernement-deces-ee974b3_3.html
Cependant, deux notes discordantes au tableau.
Le 5 août 1993, le journal L’Humanité critiquait en Jean Mattéoli « l’ex-ministre des licenciements », condamnant le fait qu’il s’était vanté d’avoir accepté de nombreux licenciements entre 1979 et 1981 : « Dans 70% des cas, je donne mon accord pour les licenciements ». À l’époque, il fallait en effet une autorisation administrative pour licencier, qui fut supprimée par Jacques Chirac lors du premier gouvernement de cohabitation en 1986 (aujourd’hui, les seuls licenciements soumis à l’autorisation de l’inspecteur du travail sont ceux des salariés protégés, à savoir notamment les membres des CE et des CHSCT).
http://www.humanite.fr/1993-08-05_Articles_-Jean-Matteoli-l-ex-ministre-des-licenciements
Le même journal avait aussi raillé son encouragement, en 1980, à développer le temps partiel et sa volonté de « faciliter l’embauche des jeunes par des exonérations des charges sociales accordées aux entreprises » par des « pactes pour l’emploi » (on voit donc que tout ce vocabulaire n’est pas nouveau).
.Un témoignage contesté dans le procès Papon
Mais le plus négatif fut le témoignage de Jean Mattéoli en faveur de la défense dans le procès de Maurice Papon le 25 février 1998 (et pas le « soutien » de Jean Mattéoli à Maurice Papon comme il a été trop souvent mal écrit dans les dépêches de presse).
témoignage de Mattéoli
http://abonnes.sudouest.com/papon/retro/sa/Le-soutien-des-Gaullistes.php
Un témoignage qui ressemble étrangement à celui de Raymond Barre (sur Agoravox), ce dernier très contesté. Sans doute parce qu’ils furent tous les trois collègues dans le même gouvernement et que les deux hommes (Raymond Barre et Jean Mattéoli) ont toujours cultivé ce sens du devoir au service de l’État. Jean Mattéoli avait en effet déclaré à propos de Maurice Papon : « Doit-on s'étonner de cette assistance donnée à la Résistance, concomitamment à son appartenance à l'administration ? ».
ressemble étrangement
http://rakotoarison.over-blog.com/article-5921015.html
Raymond Barre
http://rakotoarison.over-blog.com/article-6367220.html
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=22331
http://rakotoarison.over-blog.com/article-7062977.html
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=28296
ce dernier très contesté
http://divagations.blog.20minutes.fr/archive/2007/08/26/raymond-barre-un-antisémite-virulent.html
À l’époque (en 1998), ce témoignage de Jean Mattéoli avait été très contesté car il présidait en même temps la mission sur la spoliation des biens des Juifs sous Vichy.
En juillet 2001, Jean Mattéoli avait cosigné, avec notamment l’ancien Premier Ministre et ancien résistant Pierre Messmer (sur Agoravox), l’ancienne résistante Germaine Tillion (sur Agoravox) et l’ancien Ministre de la Justice Robert Badinter, une demande de remise en liberté de Maurice Papon (qui fut effective le 18 septembre 2002) où il réaffirma, à propos de Papon : « on fait supporter à ce seul fonctionnaire subalterne le poids de la responsabilité de la Fonction publique sous la contrainte de l'Occupation allemande ».
Mattéoli avait cosigné
http://divagations.blog.20minutes.fr/archive/2007/08/30/messmer-mort-d-un-soutien-de-papon.html
Pierre Messmer
http://rakotoarison.over-blog.com/article-7073647.html
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=28445
Germaine Tillion
http://rakotoarison.over-blog.com/article-6706644.html
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=25065
.Une exigence de dialogue et de courage
Malgré cette tâche noire, Jean Mattéoli a montré tout au long de son existence qu’on pouvait renforcer la concertation et le dialogue sur les enjeux économiques et sociaux majeurs. Son gaullisme n’était pas partisan, plus social et participatif que politique, et répondait à cet esprit de résistance qui correspondrait à ce refus de la fatalité, celle par exemple que certains avaient cru déceler pour le chômage (« On a tout essayé », François Mitterrand).
Puisse son exemple inspirer les hommes politiques actuels dans la recherche de larges consensus sociaux d’autant plus nécessaires qu’il est indispensable de transformer en profondeur la société pour l’adapter au monde globalisé d’aujourd’hui.
Aussi sur le blog.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-7362601.html
Sylvain Rakotoarison
http://www.rakotoarison.eu
Document :
Témoignage de Jean Mattéoli sur ses activités de résistants.
http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&num_notice=5&total_notices=8&mc=service%20du%20travail%20obligatoire
Biographie officielle de Jean Mattéoli sur le site du Conseil Économique et Social.
http://www.conseil-economique-et-social.fr/ces_dat2/1-6histo/psti.htm
http://adminv1.over-blog.com/trackback.php?Id=7362601
http://rakotoarison.over-blog.com/article-5722769.html
Islamisation de la Turquie : ne pas se voiler la face !
Le voile islamique a fait de nombreuses polémiques en France. Mais, d’autres pays s’enflamment aussi pour la même cause, celle de la laïcité. La Turquie par exemple.
Le Premier Ministre turc Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis le 11 mars 2003, est à la tête d’un gouvernement dit islamiste modéré démocratiquement élu.
.Un démocrate-musulman
Au moment de prendre le pouvoir, Erdogan avait voulu tempérer l’islamisme de sa mouvance politique et rassurer les observateurs étrangers en disant que son parti (AKP, le Parti de la Justice et du Développement) était à l’islam ce que les démocrates-chrétiens (en Allemagne ou en Italie) étaient au christianisme. Une sorte de mouvement démocrate musulman.
Son but, éviter d’être confondu avec des islamistes fondamentalistes.
Cela ne l’avait pourtant pas empêché de proposer une loi sur l’adultère pour criminaliser l’infidélité conjugale, projet qu’il avait vite abandonné après de nombreuses protestations.
.Un pays à la laïcité pointilleuse
La Turquie, depuis le 10 décembre 1937, vit sous un régime laïque. Sa Constitution indique dans son article 2 : « L’État turc est républicain, nationaliste, populiste, étatiste, laïque et réformateur. ». Pays donc musulman à pouvoir très fortement laïque. L’armée, la magistrature, les universités sont très majoritairement laïques et partisanes de cette laïcité institutionnalisée. Quitte, pour l’armée, à se montrer menaçante.
À l’instar de l’Égypte. À la différence près que la Turquie est une démocratie. Mieux, une démocratie qui cherche à s’occidentaliser notamment en demandant (depuis 1959) son adhésion à l’Union Européenne.
La Turquie de Mustafa Kemal (devenu Atatürk) fut toujours en ‘avance’ sur la laïcité dans le monde musulman et avait pris modèle sur la France de Jules Ferry.
Cela a abouti notamment par l’accession au poste de Premier Ministre d’une femme, Tansu Ciller, du 25 juin 1993 au 6 mars 1996, lors de l’élection de son prédécesseur (Suleyman Demirel) à la Présidence de la République (elle n’était cependant pas la première femme dans ce cas à diriger un gouvernement dans un pays musulman).
.Une crise institutionnelle secouée par des considérations laïques
Ceux qui s’intéressent à la vie politique turque avaient observé une véritable crise institutionnelle à l’occasion de l’élection du Président de la République turque du 27 avril 2007.
L’homme est désigné par les parlementaires, majoritairement membres de l’AKP. Le Ministre des Affaires Étrangères, Abdullah Gül, un des leaders de l’AKP, était donc leur candidat (Premier Ministre du 18 novembre 2002 au 11 mars 2003, le temps que Erdogan, condamné pour incitation à la haine, ait retrouvé son éligibilité). Mais la classe politique craignait une crise politique et même, l’intervention de l’armée (il manquait dix voix pour Gül).
En effet, on reprochait notamment à l’épouse de Gül d’être voilée, alors que Gül lui-même a toujours été considéré comme un modéré, notamment par l’Union Européenne, car il a lancé des réformes de démocratisation du pays pour son éventuelle adhésion à l’Union Européenne. L’épouse de Erdogan aussi est voilée.
Finalement, au troisième tour, Gül a été élu le 28 août 2007 et surtout (c’est l’important), accepté par tous les acteurs de la Turquie (y compris l’armée).
Depuis cette date, l’AKP occupe donc les deux principales fonctions à la tête de l’État turc.
.Le voile de nouveau autorisé à l’université ?
La nuit du 6 au 7 février 2008, certains se sont peut-être mordu les doigts d’avoir laissé à l’AKP le champ libre.
Malgré la grande manifestation du 2 février 2008 à Ankara (ayant réuni 125 000 personnes), un amendement constitutionnel a été adopté par le Parlement turc (par 404 députés), qui va permettre aux jeunes filles voilées d’étudier dans les universités.
Cette mesure, nécessitant la majorité des deux tiers, a été confirmée le samedi 9 février 2008 par 411 députés sur 500 malgré le déroulement d’une nouvelle grande manifestation de protestation (de 100 000 personnes), et devra être approuvée par le Président Gül.
En fait, le texte est plus anodin et dit : « Personne ne peut être privé de son droit à l’éducation supérieure. ».
Et évidemment, dit comme cela, il est difficilement contestable.
C’est d’ailleurs toute l’argumentation de Erdogan qui explique que cette volonté d’accès inconditionnel aux universités est une réponse pour se mettre en conformité avec les attentes de l’Union Européenne qui rejette toutes les discriminations (encore que la France ait adopté elle-même une loi contre le port du foulard dans les écoles) et également un élément majeur de la liberté de religion.
.Un voile jusqu’à maintenant interdit à l’université
Le port du voile est strictement interdit dans la fonction publique depuis 1980 et dans les universités depuis 1989 (interdiction renforcée en 1997 par les militaires ayant renversé le premier gouvernement islamiste dirigé par Necmattin Erbakan).
Notons qu’en France, s’il est interdit dans les établissements d’enseignement primaire et secondaire, le port du voile est autorisé dans les universités françaises (et d’ailleurs fréquemment observé).
Deux tiers des femmes turques portent le voile islamique, ce qui leur interdit actuellement de suivre des études supérieures.
Des observateurs peuvent ainsi remarquer que permettre aux jeunes femmes voilées de s’instruire leur empêchera de sombrer dans une sorte d’inculture qui fait le lit aux fondamentalismes religieux (quels qu’ils soient).
.Un risque d’islamisation de la Turquie ?
Mais beaucoup de pro-laïques considèrent que le foulard est le symbole de l’islam politique et estiment que cette réforme est une véritable provocation, servant à « éroder la laïcité », à « défier la République laïque » et finalement, à ériger « un État islamique ».
L’un des meneurs de l’opposition, Gokhan Gunaydin, a scandé samedi 9 février 2008 : « Ce qui se passe aujourd'hui au parlement consiste à éliminer le régime républicain et à le remplacer par la bigoterie. Ils veulent détruire la république démocratique laïque. ».
.Une mesure très fortement polémique qui n’arrange personne
Ils redoutent aussi que la pression du voisinage encourage à se voiler les étudiantes qui ne portaient pas de voile dans les campus. Et les responsables des universités craignent des affrontements dans les campus et un boycottage des cours.
Le Parti Républicain du Peuple (CHP), d’opposition, soupçonne, quant à lui, que l’AKP veuille exploiter les sentiments religieux pour gagner les élections municipales qui se profilent en 2009.
« Le voile divise le pays. (…) Il réduit les femmes en citoyens de deuxième classe » a protesté Nur Serter, une parlementaire du CHP.
Kemal Anadol, le président du groupe CHP du Parlement, avait demandé en vain à ses collègues, avant le voter, d’avoir du bon sens, « pour qu'ils évitent de prendre une décision qui provoquera le chaos ».
Étrangement, les autorités religieuses ne sont pas non plus favorables à cette mesure, car l’amendement n’autorise que le fichu traditionnel noué sous le menton et pas le ‘turban’ qui enveloppe la tête et le cou.
.Une situation complexe difficile à apprécier sans nuance…
Mais… il vaut peut-être mieux un gouvernement AKP (qui apaise le fondamentalisme islamiste) qu’une prise de pouvoir islamiste par la force comme l’Iran en a connue, ou une anarchie due à des opposants islamistes qu’a connue l’Algérie et que connaissent encore aujourd’hui l’Irak, l’Afghanistan, le Pakistan et le Cachemire (entre autres).
Petit à petit, Erdogan donne des arguments à ses partenaires européens pour… ne pas accueillir la Turquie au sein de l’Union Européenne.
À la grande joie de certains.
Aussi sur le blog.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-7370725.html
Sylvain Rakotoarison
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La laïcité en France et en Turquie.
http://www.ceri-sciencespo.com/publica/cemoti/textes19/intro19.pdf
http://adminv1.over-blog.com/trackback.php?Id=7370725
Islamisation de la Turquie : ne pas se voiler la face !
Le voile islamique a fait de nombreuses polémiques en France. Mais, d’autres pays s’enflamment aussi pour la même cause, celle de la laïcité. La Turquie par exemple.
Le Premier Ministre turc Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis le 11 mars 2003, est à la tête d’un gouvernement dit islamiste modéré démocratiquement élu.
Un démocrate-musulman
Au moment de prendre le pouvoir, Erdogan avait voulu tempérer l’islamisme de sa mouvance politique et rassurer les observateurs étrangers en disant que son parti (AKP, le Parti de la Justice et du Développement) était à l’islam ce que les démocrates-chrétiens (en Allemagne ou en Italie) étaient au christianisme. Une sorte de mouvement démocrate musulman.
Son but, éviter d’être confondu avec des islamistes fondamentalistes.
Cela ne l’avait pourtant pas empêché de proposer une loi sur l’adultère pour criminaliser l’infidélité conjugale, projet qu’il avait vite abandonné après de nombreuses protestations.
Un pays à la laïcité pointilleuse
La Turquie, depuis le 10 décembre 1937, vit sous un régime laïque. Sa Constitution indique dans son article 2 : « L’État turc est républicain, nationaliste, populiste, étatiste, laïque et réformateur. ». Pays donc musulman à pouvoir très fortement laïque. L’armée, la magistrature, les universités sont très majoritairement laïques et partisanes de cette laïcité institutionnalisée. Quitte, pour l’armée, à se montrer menaçante.
À l’instar de l’Égypte. À la différence près que la Turquie est une démocratie. Mieux, une démocratie qui cherche à s’occidentaliser notamment en demandant (depuis 1959) son adhésion à l’Union Européenne.
La Turquie de Mustafa Kemal (devenu Atatürk) fut toujours en ‘avance’ sur la laïcité dans le monde musulman et avait pris modèle sur la France de Jules Ferry.
Cela a abouti notamment par l’accession au poste de Premier Ministre d’une femme, Tansu Ciller, du 25 juin 1993 au 6 mars 1996, lors de l’élection de son prédécesseur (Suleyman Demirel) à la Présidence de la République (elle n’était cependant pas la première femme dans ce cas à diriger un gouvernement dans un pays musulman).
Une crise institutionnelle secouée par des considérations laïques
Ceux qui s’intéressent à la vie politique turque avaient observé une véritable crise institutionnelle à l’occasion de l’élection du Président de la République turque du 27 avril 2007.
Le Président est désigné par les parlementaires, majoritairement membres de l’AKP. Le Ministre des Affaires Étrangères, Abdullah Gül, un des leaders de l’AKP, était donc leur candidat (Premier Ministre du 18 novembre 2002 au 11 mars 2003, le temps que Erdogan, condamné pour incitation à la haine, ait retrouvé son éligibilité). Mais la classe politique craignait une crise politique et même, l’intervention de l’armée (il manquait dix voix pour Gül).
En effet, on reprochait notamment à l’épouse de Gül d’être voilée, alors que Gül lui-même a toujours été considéré comme un modéré, notamment par l’Union Européenne, car il a lancé des réformes de démocratisation du pays pour son éventuelle adhésion à l’Union Européenne. L’épouse de Erdogan aussi est voilée.
Finalement, au troisième tour, Gül a été élu le 28 août 2007 et surtout (c’est l’important), accepté par tous les acteurs de la Turquie (y compris l’armée).
Depuis cette date, l’AKP occupe donc les deux principales fonctions à la tête de l’État turc.
Le voile de nouveau autorisé à l’université ?
La nuit du 6 au 7 février 2008, certains se sont peut-être mordu les doigts d’avoir laissé à l’AKP le champ libre.
Malgré la grande manifestation du 2 février 2008 à Ankara (ayant réuni 125 000 personnes), un amendement constitutionnel a été adopté par le Parlement turc (par 404 députés), qui va permettre aux jeunes filles voilées d’étudier dans les universités.
Cette mesure, nécessitant la majorité des deux tiers, a été confirmée le samedi 9 février 2008 par 411 députés sur 500 malgré le déroulement d’une nouvelle grande manifestation de protestation (de 100 000 personnes), et devra être approuvée par le Président Gül.
En fait, le texte est plus anodin et dit : « Personne ne peut être privé de son droit à l’éducation supérieure. ».
Et évidemment, dit comme cela, il est difficilement contestable.
C’est d’ailleurs toute l’argumentation de Erdogan qui explique que cette volonté d’accès inconditionnel aux universités est une réponse pour se mettre en conformité avec les attentes de l’Union Européenne qui rejette toutes les discriminations (encore que la France ait adopté elle-même une loi contre le port du foulard dans les écoles) et également un élément majeur de la liberté de religion.
Un voile jusqu’à maintenant interdit à l’université
Le port du voile est strictement interdit dans la fonction publique depuis 1980 et dans les universités depuis 1989 (interdiction renforcée en 1997 par les militaires ayant renversé le premier gouvernement islamiste dirigé par Necmattin Erbakan).
Notons qu’en France, s’il est interdit dans les établissements d’enseignement primaire et secondaire, le port du voile est autorisé dans les universités françaises (et d’ailleurs fréquemment observé).
Deux tiers des femmes turques portent le voile islamique, ce qui leur interdit actuellement de suivre des études supérieures.
Des observateurs peuvent ainsi