État de choc.
Oui, le mot est juste pour décrire la sidération, la colère, l’incompréhension dans laquelle je me suis retrouvée le 9 au soir en entendant Emmanuel Macron annoncer la dissolution de l’Assemblée Nationale et l’organisation d’élections législatives les 30 juin et 7 juillet.
Une semaine après, l’incompréhension et la rancœur devant ce geste que beaucoup qualifient de coup de poker subsistent, c’est vrai.
Mais on ne peut pas rester figé dans l’indignation et l’incrédulité quand une perspective qui a structuré notre vision de la vie publique de si longue date se rapproche.
Depuis que je suis en âge de voter, je n’ai jamais manqué une occasion de mettre mon bulletin dans l’urne. Pas parce que j’étais enthousiaste, pas parce que j’adhérais aux programmes proposés par les candidats (d’ailleurs, la seule fois où je me suis déterminée sur la base d’un programme, j’ai -comme des milliers d’autres électeurs- précipité le choc d’une élection présidentielle opposant au second tour un représentant du RPR et le leader du Front national).
Non, ma motivation pour voter depuis aussi loin que je m’en souvienne est restée la même : « ils sont morts pour que j’aie cette liberté ». « Ils » pour moi, ce sont Jean Moulin et toute l’armée des ombres qui ont donné leur vie pour que la France sorte de la dictature nazie.
Or, quel que soit le ripolinage de l’image du FN, devenu RN sous l’égide de Marine Le Pen, ce parti a été fondé par l’alliance d’anciens nazis (tels que Pierre Bousquet) et d’anciens membres de l’OAS, organisation terroriste paramilitaire créée pour la défense de l’Algérie française. Jean-Marie Le Pen lui-même, qui a fait la guerre d’Algérie comme beaucoup des Français de sa génération qui en sont revenus traumatisés, y a pratiqué et justifié l’usage de la torture.
Le RN au pouvoir, pour moi, c’est la négation de 80 ans de construction européenne pour tourner le dos aux démons de la loi du plus fort et de la haine. C’est aussi le retour du populisme mortifère, celui qui consiste à flatter les égoïsmes, à se nourrir des peurs, à désigner des boucs émissaires et à pratiquer la politique de l’autruche dans un monde où nous sommes tous interdépendants et où les autres nations ne s’arrêteront pas, la tête dans le sable, en même temps que la France.
Alors ?
Alors, il y a une semaine, j’écoutais Raphaël Glucksmann à la radio. Proche des idéaux sociaux-démocrates, j’avais l’impression de partager beaucoup de ses doutes, de ses indignations, de ses convictions et de son sens des responsabilités qui incombent maintenant aux électeurs.
Je partageais ses constats...mais je n’arrive pas aux mêmes conclusions.
Malgré la sidération, malgré la colère, malgré l’exaspération que provoque si fréquemment Emmanuel Macron, je voterai pour un candidat du camp présidentiel.
Je voterai parce que je considère que le bilan des 7 dernières années est globalement un bon bilan.
En 7 ans, la France a connu des crises inimaginables : la crise des gilets jaunes, le covid, le retour de la guerre en Europe. A chaque fois, le Président et le gouvernement, accusés pourtant de libéralisme débridé, ont mis en œuvre tous les dispositifs sociaux et financiers d’accompagnement nécessaires pour que la France sorte de la crise avec le moins de dégâts possibles au point, c’est vrai, d’atteindre un taux d’endettement qui devient préoccupant.
En parallèle, la politique de stabilité et de constance économique et fiscale a porté ses fruits : depuis 5 ans, la France est le pays d’Europe le plus attractif pour les investissements étrangers. La réindustrialisation, encore fragile, gagne du terrain depuis 2 ans.
La France a créé près de 500 000 nouveaux emplois (net des suppressions) rien que sur les 2 dernières années, malgré la guerre d’Ukraine, la crise de l’énergie et l’inflation.
Le taux de chômage est redescendu à 7,5%, ce que je ne pensais pas envisageable, tant le pacte social français reposait sur une économie à deux vitesses, les soins des syndicats et les avantages sociaux allant tout entiers à la défense du bien-être des salariés en CDI aux détriments des millions de travailleurs à la recherche d’un emploi.
L’inflation est revenue à 2,3% sur un an au mois de mai.
Et, ce qui n’est pas le moindre des atouts à mes yeux, pendant ces 7 dernières années, j’ai été fière de la voix de la France à l’international. Le Président a été constant dans son engagement pour une Europe solidaire et forte, qu’il a contribué à faire avancer pendant les crises. Il a pesé de tout le poids d’un pays qui est devenu une puissance de second ordre, mais qui garde un rayonnement à la taille de son histoire culturelle et de son engagement démocratique, sur les conflits contemporains.
D’ailleurs, quelle plus belle reconnaissance de la vision que les autres pays ont de nous que cet article du Spiegel, publié en septembre 2023, au titre paradoxal : « La France, c’est l’Allemagne, mais en mieux » ?
Enfin, en cette période où la prospérité d’un État nécessite de marcher sur une ligne de crête, entre la faiblesse face aux puissances brutales et un bellicisme fatal, entre la maîtrise des grands équilibres économiques et la protection sociale des citoyens, entre la lutte contre le dérèglement climatique et une éco-anxiété dévastatrice, quelle autre solution se présente ?
Le programme économique du nouveau Front Populaire, sous la pression d’un LFI, encore largement dominant et des partis de gauche extrême tels que le NPA, m’a catastrophée. Comment peut-on imaginer revenir à la retraite à 60 ans, augmenter le SMIC, indexer les salaires sur l’inflation et bloquer les prix de l’alimentation et de l’énergie et financer tout cela par le retour de l’impôt sur les grandes fortunes, la taxation des superprofits et l’augmentation de l’impôt sur les sociétés ? Tout cela alors que le taux d’endettement de la France est déjà préoccupant ? La France se retrouvera-t-elle dans quelques mois dans la situation de défaut de paiement qu’a connue la Grèce ? Comment le Parti socialiste, en toute lucidité, a-t-il pu signer ce programme qui risque de dissuader plus d’électeurs, conscients que l’on ne rase jamais gratis, qu’il n’en attirera ?
Aucune élection n’est jamais jouée avant que les électeurs mettent leur bulletin dans l’urne.
J’ai l’espoir que le souci de l’intérêt de la France et le bon sens des Français nous permette de sortir de l’œil du cyclone dans lequel nous sommes pendant ces 3 semaines de campagne électorale dans une zone de calme où il sera possible de construire ensemble un vrai chemin d’avenir.